Le Projet de Loi de Finance 2020, rendu public il y a 3 jours, confirme l’augmentation du budget des Armées de 1,7 Md€ en 2020, conformément à la Loi de Programmation Militaire 2019-2025, et atteindra donc 37,6 Md€, soit une hausse de plus de 5 Md€ depuis le début de la mandature présidentielle. Cette augmentation sera ventilée entre l’augmentation de la provision pour opération extérieure, passant de 850 m€ en 2019 à 1,1 Md€ en 2020, pour atteindre, enfin, le montant estimé des dépenses totales de ces missions. Les crédits liés à l’innovation vont croitre de 8,5% pour atteindre 448 m€, alors que le ministère va créer 300 postes supplémentaires, pour l’essentiel dans les domaines du renseignement et du cyber. 40 m€ sont réservés pour le financement des mesures catégorielles, des primes directes attribuées aux militaires pour accroitre, notamment, le taux de ré-engagement en fin de contrat.
Le gros des investissements, soit plus de 1 Md€, sera consacré aux crédits d’équipement, pour accélérer et renforcer le renouvellement des forces. Ainsi, en 2020, de nombreux nouveaux programmes seront entamés, comme la modernisation des chars Leclerc et des Hélicoptères Tigre, la construction de Patrouilleurs Outre-Mer et de 2 systèmes anti-mines de nouvelle génération, et la commande de 3 avions E2-D Hawkeye, de 4 Hercules C-130H et de 6 avions de Surveillance Maritime. D’autres programmes verront de nouvelles commandes parmi lesquels 42 Jaguar, 271 Griffon et 364 Serval pour l’Armée de terre. 2020 verra également de nouvelles livraisons d’équipements, parmi lesquels 128 VBMR Griffon et 4 EBRC Jaguar ainsi que 12.000 Fusils d’Assaut HK416F pour l’Armée de terre, la livraison tant attendue du SNA Suffren, de 2 NH90 et de 2 Atlantique 2 rénovés pour la Marine, et celle de 2 Mirage 2000-D rénovés, de 2 A400M Atlas, d’un A330 MRTT et de 3 drones Reaper avec leur station de contrôle pour l’Armée de l’Air.
Les premiers mirage 2000-D modernisés de l’Armée de l’Air entreront en service en 2020
En réalité, les premiers effets notables de l’augmentation des crédits engagés par la LPM2019-2025 ne commenceront à être vraiment sensible qu’à compter de 2021, lorsque plusieurs programmes majeurs arriveront à maturité. Ainsi, une nouvelle commande de canons automoteurs CEASAR devrait être passée et la livraison des blindés du programme Scorpion entrera dans un rythme de croisière, comme le sera celle du programme de modernisation des mirage-2000D. La Marine devrait recevoir la frégate anti-aérienne Alsace et de deux POM, et verra le lancement du SNA Duguay-Trouin, ainsi que l’entame des travaux sur la première FDI et le premier Patrouilleur de Haute-Mer. L’Armée de l’Air, enfin, recevra de nouveaux A330 MRTT et A400M Atlas, une dizaine de mirage-2000D modernisés, et commandera une nouvelle série de Rafale.
Les crédits des Armées doivent encore croire de 1,7 Md€ par an jusqu’en 2022, puis doivent croitre de 3 Md€ par an à partir de 2023 pour atteindre un effort de Défense de 2% du PIB en 2025, contre 1,86% en 2020, conformément aux engagements des membres de l’OTAN, et conformément à la Loi de Programmation Militaire 2019-2025. Le respect de la trajectoire budgétaire établie par la LPM est un signe très encourageant de l’engagement du gouvernement dans l’effort de Défense, d’autant qu’on aurait pu craindre des arbitrages défavorables liés aux dépenses supplémentaires conséquence de la crise des Gilets Jaunes. Reste que, comme cela a été abordés à plusieurs reprises ici-même, les paradigmes qui encadrent aujourd’hui les décisions d’équipement des forces ne sont plus en cohérence avec la réalité des enjeux internationaux, et notamment des risques accrus de devoir engager des forces françaises dans des conflits de moyenne et de haute intensité, pour lesquels elles ne sont pas dimensionnées ni équipées.
La modernisation des chars Leclerc débutera en 2020, et permettra, entre autre, d’intégrer le blindé au système SCORPION
S’il est improbable de voir une inflexion de la politique de défense sur la deuxième partie de la mandature présidentielle, on ne peut qu’espérer en revanche que le sujet soit approprié par plusieurs candidats à l’élection présidentielle de 2022, avec des propositions ambitieuses afin d’assurer la sécurité et l’intégrité du pays et de ses interets face à ces nouvelles menaces. Encore faut-il qu’ils aient conscience de la réalité des menaces internationales aujourd’hui et en devenir ….
Selon l’Agence Tass, ce vendredi 27 septembre a eu lieu le premier vol rassemblant un avion Su-57 et le prototype du drone de combat S-70 Okhotnik-B. Le vol, d’une durée de 30 min, s’est déroulé en mode automatique pour l’Okhotnik-B selon les autorités russes, et aurait permis de tester le contrôle du drone par le Su-57 ainsi que la coopération entre les deux appareils pour, notamment, étendre les capacités de détection et d’engagement du couple. Cette coopération était identifiée comme un des axes de developpement prioritaire du programme, un prototype du programme PAK-FA ayant été modifié spécifiquement pour cette mission. Cette collaboration est simplifiée par l’emport, sur les deux appareils, d’équipements de communication et de détection similaires, ouvrant de nombreuses possibilités tant en terme d’échange de données que d’engagement coopératif.
Alors qu’au milieu des années 2010, le programme PAK-FA semblait ne pas être la priorité des autorités militaires russes, qui privilégiaient alors la production d’appareils comme le Su-34 et le Su-35, il a connu une sérieuse accélération depuis 3 ans, et le premier appareil de pré-série sera livré d’ici le début d’année 2020. Les autorités russes n’ont pas attendu la fin des phases de tests pour commander 76 appareils qui seront livrés entre 2021 et 2028. Le chasseur lourd a fait également l’objet de tests intensifs, avec deux déploiements observés ces dernières semaines sur la base aérienne de Hmeimim en Syrie. Entre outre, à en croire les informations transmises par les autorités russes, les avions de série seront particulièrement bon marché pour un chasseur de ce gabarit (>30 tonnes) et de cette génération (5ème), avec un prix unitaire « domestique » de 31 m€, soit moins cher qu’un F16 block 52.
Le prototype Okhotnik-B en test aujourd’hui est appelé à grandement évolué, notamment en ce qui concerne sa propulsion et son nez, pour renforcer sa furtivité.
Parallèlement, l’Okhotnik-B apparait aujourd’hui comme un des plus avancés et des plus dynamiques concernant des programmes de drones de combat furtifs. Connu uniquement des experts aéronautiques défense il n’y a que 2 ans, le programme a aligné les annonces depuis, et doit entrer en service en 2024, en faisant un des premiers drones de combat opérationnel au monde. Mais là ou le Sharp Sword chinois ou le Stingray américain ont été conçus pour des missions de renseignement ou de ravitaillement en vol, l’Okhotnik-B, du haut de ses 20 tonnes, est conçu pour le combat et la coopération avec les avions de combat alliés, et notamment le Su-57, pour assurer aussi bien les missions de Loyal Wingman que de Remote Carrier, là ou les systèmes équivalent mais spécialisés occidentaux n’entreront, eux, en service que bien au delà de 2030.
Toutefois, et contrairement aux forces aériennes occidentales, la Russie ne néglige pas de renforcer et moderniser sa flotte de chasse de génération antérieure concomitamment à l’entrée en service des appareils de nouvelle génération. Ainsi, de nouvelles commandes de bombardiers Su-34 et de chasseurs Su-35 sont attendues dans les mois à venir, pour continuer le remplacement des Su-24 et Su-27, de sorte à pouvoir conserver une flotte de chasse de 1.200 appareils sans couts excessifs. Si le Su-57 est appelé à remplacer, progressivement, tous les appareils de la famille Su, il est probable que, pendant de nombreuses années, il sera utilisé, à l’instar du T-14 Armata, comme une force de rupture et un multiplicateur de force, afin d’employer au mieux le gros de la force aérienne de génération précédente. A noter que la Chine développe une stratégie aérienne similaire, en continuant de renforcer sa force aérienne d’avions de génération précédente J-10, J-11 et J-16 tout en percevant des avions de génération suivante J-20. A contrario, beaucoup de pays occidentaux et notamment européens, ont fait le choix d’homogénéiser leur flotte autour d’un modèle unique de dernière génération, en l’occurence le F-35, quitte à devoir sacrifier le nombre pour y parvenir. C’est le cas de la Belgique, mais également du Danemark et des Pays-Bas, qui vont voir leur flotte de chasse divisée par deux en passant du F16 au F35.
Le manque d’intérêt des forces aériennes russes pour le Mig-35 risque d’affaiblir sensiblement les capacités d’exportation de l’industrie aéronautique russe à moyen terme
A ce titre, la décision actuelle de l’Etat-Major russe de ne pas remplacer la flotte de chasseurs légers Mig-29 en service par des appareils de même gabarit, comme le Mig-35, pourrait s’avérer être, à terme, un très mauvais calcul. Rappelons que les autorités militaires russes ont exprimé la possibilité de remplacer cette flotte de Mig-29 par des drone Okhotnik-B. Mais ce choix se ferait probablement au détriment des exportations russes d’armement dans le monde, que l’on sait être indispensables à l’équilibre du budget d’équipement des forces. Si le Mig-35 peine à trouver des débouchés internationaux, ce n’est pas le cas du Mig-29, qui sur cette seule année, a vu une cinquantaine d’exemplaires commandés par divers pays dont l’Inde et l’Algérie. C’est également l’appareil choisi par l’Egypte pour marquer son retour vers des materiels russes.
Or, beaucoup de forces aériennes, qui pourraient mettre en oeuvre un appareil léger comme le Mig-35, n’auraient aucun intérêt à mettre en oeuvre un UCAV comme l’Okhotnik, car ne disposant pas de force aérienne pour accompagner et contrôler si besoin l’action de ces drones. De fait, en abandonnant le Mig-35 à son sort comme le fait l’Armée de l’Air russe aujourd’hui, Moscou risque de se couper d’une part significative du marché adressable à l’exportation dans les 20 prochaines années. En revanche, en décidant de remplacer ses Mig-29 par le nouvel appareil, au delà d’un nombre symbolique comme elle le fait actuellement, elle marquerait sa confiance vers le dernier né des bureaux d’étude MIG. Cela renforcerait la pérennité et diminuerait le prix du chasseur, de sorte à le rendre beaucoup plus attractif sur la scène internationale, non pas face aux Su-35 ou Su-57, mais contre le F-16V et le JAS Gripen E/F. Des paramètres importants qui devraient être pris en compte pour l’avenir de la filière aéronautique russe à moyen terme.
Le second sous-marin de type Scorpene, conçu par Naval Group, du programme P75 de la Marine Indienne, entrera en service ce 28 septembre, après avoir satisfait aux essais à la mer pendant prés d’une année. Le Khanderi rejoindra son sister-ship, la Kalvari, entré en service en Décembre 2017, alors que le troisième exemplaire, le Karanj, effectue en ce moment même ses essais en mer, et que le Vela, quatrième unité de la classe, a été lancé au mois de Mais 2019, et se prépare à entamer ses propres essais. Les deux dernières unités, les sous-marins Vagir et Vagsheer, sont en cours de construction, et l’ensemble de la flotte sera en service d’ici 2023.
Malgré des débuts difficiles, le programme P75, attribué à Naval Group en 2012, a désormais atteint un rythme de croisière, avec des productions en temps et heures répondant aux exigences qualitatives de la Marine Indienne. A noter que le déploiement du Kalvari fait déjà l’objet de toutes les attentions de la Marine Pakistanaise, consciente que le submersible étend sensiblement les moyens dont dispose l’Etat-Major indien, vis-à-vis des sous-marins Kilo d’origine russe, jusque là employés.
Les succès industriels et opérationnels de Naval Group et des chantiers navals du programme P75 Mazagon Docks Ltd, sont de bonne augure pour le nouveau programme P75I lancé par les autorités indiennes au mois de Juin, afin de construire sur place, à l’image du programme P75, 6 sous-marins classiques disposant, cette fois, d’une propulsion anaérobies. Comme précédemment, ce programme verra Naval Group être opposé aux modèles allemands, suédois et russes, ainsi que sud-coréen et probablement espagnols. Dans ces conditions, les relations de confiance établies entre les équipes indiennes et françaises au cours du programme P75 joueront certainement un rôle important dans la désignation du vainqueur. Et l’experience acquise par Naval Group des méandres et particularités des programmes de Défense ne seront, dans ce domaine, certainement pas de trop.
L’Inde est aujourd’hui, le plus important importateur de systèmes de Défense au Monde, avec plus de 17 Md$ d’achat d’équipements en 2018 auprés de la Russie, des Etats-Unis, de la France pour ne citer que les principaux. C’est aussi, selon un avis largement partagé, le marché le plus complexe. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer la durée des programmes d’acquisition, et surtout le nombre de programmes lancés, puis annulés, pour être relancés après quelques temps. C’est le cas du programme MMRCA qui devait permettre l’acquisition de 114 Rafale, suivit d’une commande de 36 appareils et par le programme MMRCA II, ou le programme FGFA, qui vit l’Inde se retirer du programme connexe au Su-57en 2018, pour afficher un intérêt nouveau pour l’appareil au salon MAKS2019.
C’est également le cas du programme visant à acquérir 6 avions ravitailleurs pour remplacer les Il-78 de l’IAF dont la disponibilité ne parvient pas à dépasser les 49%. Lancé initialement en 2007, ce programme a déjà été rétorqué et abandonné 2 fois, et se voit donc exhumé une troisième fois par le nouveau ministre de La Défense, Rajnath Singh, qui s’est donné pour mission de simplifier et accélérer les procédures d’acquisition et le mille-feuilles technocratique indien. Une procédure d’expression de besoin (Acceptance of Neccessity) va prochainement être lancée e devra être acceptée par le Defence Acquisition Counsil, avant de pouvoir lancer une consultation auprés des constructeurs étrangers, pour un programme estimé à 2 Md$.
Pour les 3 constructeurs en lice, l’américain Boeing avec le KC46A, le russe Iliouchine avec l’IL-78, et l’européen Airbus DS avec l’A330 MRTT il s’agira donc de la troisième compétition pour le même marché. Mais aujourd’hui, les 3 appareils pourront tous être évalués aux vues de leurs capacités réelles, et non supposées ou promises par le constructeur, avec un net avantage pour l’A330 MRTT en terme de fiabilité et de performances, alors que le KC46A ne parvient pas à résoudre de nombreux problèmes critiques, et que l’Il-78 n’offre pas la versatilité de l’avion européen.
Par sa versatilité, ses performances et sa fiabilité, l’A330 MRTT part avec de sérieux atouts dans la nouvelle compétition pour le remplacement des Il-78 indiens
Alors qu’elle dispose d’une flotte de chasse de prés de 600 appareils, l’Inde n’emploie que 15 appareils de ravitaillement, 6 Il-78 et 3 Il-76 lourds, 3 ERJ 145 et 3 Gulfstream IV légers, un flotte qui apparait très limitée au regard des standards occidentaux. Ainsi, la France compte acquérir 18 A330 MRTT pour une flotte inférieure à 250 avions de chasse, et l’US Air Force met en oeuvre 470 avions ravitailleurs lourds KC-135 et KC-10 pour 2400 avions de combat et bombardiers. Certes, l’Inde n’a que très peu d’ambitions de projection de puissance aujourd’hui, domaine qui requiert un nombre important de Ravitailleurs. Mais le maintien d’une posture opérationnelle renforcée simultanée face à la Chine et au Pakistan, notamment dans le domaine de la composante air de la dissuasion, risque rapidement de nécessiter l’augmentation de cette flotte. Dès lors, la compétition qui se profile, porte en elle une potentialité très supérieure aux seuls 6 appareils qu’elle vise à acquérir .
Le sous-marin brésilien Riachuelo, de type Scorpene, va prochainement débuter ses essais à la mer pour une durée de une année, avant son entrée en service prévue pour octobre 2020. Il s’agit du premier sous-marin de la classe Scorpene, sur 4 unités commandées par la Brésil en 2008 pour un montant de 6,7 Md€ dont 4,1 Md€ pour DCNS, aujourd’hui Naval Group. Ce sous-marin de 1870 tonnes, est plus long de 5 mètres, et plus lourd de 150 tonnes que les Scorpene Malaysiens ou Chiliens. Il emportera, une fois en service, les nouvelles torpilles anti-sous-marines lourdes issues de la collaboration de Naval Group et Thales F21 fabriquées sous licence au Brésil, et la version la plus évoluée du missile anti-navire Exocet à changement de milieu, le SM39 Block 2 mod 2.
Le second navire de la classe, le Humaitá, doit être lancé en septembre 2020, alors que le Tonolero et l’Angostura doivent être lancés respectivement en décembre 2021 et décembre 2022. Une fois en service, ces 4 submersibles évolueront aux cotés des 5 sous-marins de la classe Tulip du Type 209 de TKMS, jusqu’à l’entrée en service du premier sous-marin nucléaire d’attaque brésilien, programme construit avec le soutien technologique de la France. Initialement prévu pour entrer en service en 2023, la construction du premier SNA brésilien, sur une flotte prévue de 6 unités, n’interviendra qu’en 2025, suite à des arbitrages budgétaires défavorables.
Sous-marin Scorpene de la marine Chilienne
L’Amérique du Sud représente aujourd’hui un marché clé pour les chantiers navals européens proposants des sous-marins, à l’instar de Naval Group. En effet, 20 sous-marins type-209 sont aujourd’hui en service dans les marines brésiliennes (5), Argentine (3), Chilienne (2), Colombienne (2), Vénézuélienne (2) et Péruvienne (6). Ces submersibles ayant entre 15 et 35 ans, se pose désormais la question de leur remplacement. Naval Group a su se positionner avec le Scorpene, d’abord au Chili qui commanda 2 Scorpene entrés en service en 2005 et 2006 pour remplacer les sous-marins de classe Oberon britanniques, suivi du Brésil en 2008.
Au début des années 2000, l’Etat-Major de l’US Army transforma une partie de des unités d’infanterie mécanisée en 7 brigades Stryker, ou Stryker Brigade Combat Team, plus deux SBCT au sein de la Garde Nationale. Principalement équipée de 300 véhicules blindés 8×8 Stryker, chaque brigade de 4.500 hommes devait pouvoir être projetée par avions C-130 en 96 heures, répondant aux impératifs opérationnels face à des conflits de faible et moyenne intensité dans des délais courts. Si le regain de mobilité apporté par les nouveaux véhicules blindés rencontra un accueil très favorable sur les théâtres afghans et irakiens par les officiers et soldats de l’US Army, la vulnérabilité du Stryker, et sa faible puissance de feu, apparut rapidement comme problématique. Alors que des programmes visant à répondre à ces remontées terrain étaient en cours, les bouleversements géostratégiques suivant l’annexion de la Crimée en Europe, et l’apparition de tensions fortes avec la Chine, amena l’Etat-Major à devoir renforcer simultanément les capacités offensives et défensives des Brigades Stryker.
C’est ainsi qu’apparu le Stryker Dragoon, un Stryker monté d’une tourelle mettant en oeuvre un canon Mk44 Buskmaster II de 30 mm, capable de prendre à parti des blindés légers, des aéronefs, des drones, et des postes retranchés jusqu’à 3000m. Alors que les premiers Dragoon sont arrivés cette année en Europe, théâtre jugé prioritaire pour ces blindés par le Pentagone, l’US Army vient d’annoncer sa volonté de doter 3 brigades Stryker , concomitamment aux Dragoon, de Stryker équipés d’une tourelle télé-opérée mettant en oeuvre des missiles anti-char Javelin, afin d’augmenter la puissance de feu de la Brigade face à des blindés moyens ou lourds, et face à des bunker fortement renforcés. Concrètement, à partir de 2022, 3 brigades Stryker sur les 6 existantes, vont voir 83 de leurs véhicules transformés en Dragoon, et autant équipés de tourelles Javelin, transformant de fait ces unités en unités d’infanterie mécanisée capables de soutenir un combat de haute intensité, sans abandonner pour autant leur capacité à être projetées rapidement.
La tourelle du Stryker Dragoon amène le blindé aux limites de masse pour maintenir une mobilité satisfaisante
Ces 186 Stryker à capacité d’engagement renforcée viendront soutenir la quarantaine de M1128 Mobile Gun system, un Stryker monté d’une tourelle mettant en oeuvre un canon de 105 mm, à l’instar, par exemple, des AMX10RC français. Ces SBCT recevront également, au même moment, leur dotation en IM-SHORAD, un Stryker équipé d’un canon de 30 mm anti-aérien M230, de 4 missiles Stingers et de 2 missiles Hellfire Longbow montés dans une tourelle et controlés par un systeme radar et optronique, pour assurer la protection anti-aérienne et anti-drone rapprochée des éléments mobiles et déployés sur le théâtre d’opération. Enfin, La dotation en MEHEL, des véhicules Stryker équipés d’un système laser de 5 KW, prochainement amené à 18 KW, sera effective d’ici 2023, de sorte à apporter un regain de capacités contre les drones légers. Au final, les Stryker Brigades vont progressivement évoluer, en tout cas pour au moins 3 d’entre elles, en unités adaptées au combat de Haute Intensité, avec une puissance de feu renforcée vis-à-vis des SBCT des années 2010.
Reste que, et les manoeuvres en Europe de l’Est tendent à le mettre en évidence, les blindés sur roue souffrent de certaines limitations sur les sols meubles et humides Européens. En outre, les SBCT ne peuvent rivaliser, selon les plans de developpement actuellement connus, avec les brigades d’infanterie mécanisées russes, qui disposent d’une artillerie à la fois plus nombreuse (x3 vis à vis d’une SBCT), et aux performances sensiblement supérieures, notamment en terme de portée. Ces mêmes brigades d’infanterie mécanisées russes, souvent désignées comme des brigades de fusillés, mettent en oeuvre, à l’instar des brigades d’infanterie de l’US Army, un ou deux bataillons de chars lourds, et une dotation mixte entre les véhicules chenillés et les véhicules à roue.
Le MEHEL est équipé d’un laser de 5 KW pour engager les drones évoluant à proximité
On peut dès lors s’interroger sur l’intérêt réel, à terme, des SBCT, dès lors que l’on envisage des combats de haute intensité contre des adversaires majeurs, comme la Russie ou la Chine. Certes, la Brigade Stryker conserve sa capacité a être projetée, sans toutefois avoir la versatilité d’une brigade aéroportée, mais dès lors qu’elle doit faire face à des forces adverses autres de des unités légères, elle risque de se retrouver rapidement dépassée en puissance de feu et capacité de manoeuvre. En outre, les Stryker, qui ont vu leur masse masse augmenter de 25% en 15 ans suite aux divers programmes de modernisation successifs, sont désormais dans l’incapacité d’emporter des systèmes pour renforcer leur survivabilité, comme un systeme de protection actif, ou des sur blindages réactifs, sans entraver sévèrement la mobilité du véhicule. De fait, si les modernisations en cours des SBCT sont liés à un besoin opérationnel à court terme, il est probable qu’à moyen ou long terme, le concept même de Stryker Brigade tel que conçu aujourd’hui sera appelé à disparaître, ou à évoluer plus nettement soit vers un modèle de troupes aéroportées, soit un modèle d’infanterie mécanisée plus lourde.
Le 13 septembre 2019, lors de l’Université d’été de la Défense, Madame la ministre Florence Parly a communiqué le rapport de la Task Force IA nommé « L’IA au service de la Défense » précisant la stratégie du ministère des Armées sur cette technologie de rupture. La nature de la guerre reste la même malgré le temps. Il s’agit toujours d’un duel de volontés. Mais la guerre s’étend sur de nouveaux domaines. La maîtrise des nouvelles technologies, telle que l’IA, a toujours été un préalable afin de maintenir sa supériorité opérationnelle. Le rapport mentionne cet impératif maintes fois. L’IA est bien « une technologie stratégique » indispensable pour les années à venir. Le travail fourni par cette Task Force a vocation à être une feuille de route fiable sur un temps long pour les armées françaises.
La captation des cerveaux par les GAFAM menace l’indépendance stratégique
Le constat de la course à la maîtrise de l’IA est claire. Deux « superpuissances » sont en avance sur le reste des États : les États-Unis et la Chine. Les premiers s’appuient sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), tandis que la Chine se repose sur les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Ces différents acteurs captent de manière agressive les individus ayant le savoir-faire de développer l’IA adéquate. A cette fin, la captation de ces cerveaux par les GAFAM est clairement évoquée. Ces entreprises sont devenues essentielles dans le développement de cette technologie comme semble le démontrer l’annonce de Google ayant atteint la supériorité quantique. Cette dernière notion permet une augmentation du traitement considérable par l’usage de processeur quantique par rapport aux ordinateurs actuels. Néanmoins, l’article de l’équipe de recherche de Google a très vite été retiré.
La Chine aussi dispose de ses entreprises phares de nouvelles technologies, rassemblées dans l’acronyme BATX
De même, ces entités peuvent avoir des intérêts contraires à ceux de la France. La course à la maîtrise de l’IA implique aussi bien les acteurs privés que les États. L’Union européenne semble être en voie de devenir une puissance normative en matière d’IA, domaine où l’encadrement juridique reste à définir. A ce titre, l’Union a érigé ses lignes directrices en matière d’éthique afin d’acquérir une IA digne de confiance. A cette fin, le rapport rappelle la position française sur les SALA. Ces derniers n’existent pas et « interdiction préventive ne permettrait pas de répondre aux défis juridiques et éthiques posés par ces systèmes ».
La réponse du Ministère des Armées
La France ne compte pas être un spectateur passif, au contraire elle est l’une des puissances ayant le plus fort taux de développement en la matière au niveau européen. Le ministère des Armées compte ainsi sur son plan d’actions pluriannuels décomposé en trois phases.
La première, de 2018 à 2019, est semblable à une phase d’audit des besoins et de méthodologie. Elle vise à la construction d’une première capacité technique et méthodologique au service de la donnée, essentiellement à partir de plateforme d’ouverture, d’exposition et d’exploitation de données (POCEAD). Ce dernier va fixer le cadre ministériel de gouvernance ainsi que les outils opérationnels permettant sa mise en œuvre. Cette phase détermine les seuils de qualité et d’exploitation des données afin d’optimiser les futurs apprentissages de l’IA.
La seconde, durant l’année 2020, va consolider les capacités techniques et du socle méthodologique en s’appuyant sur les retours d’expérience issus de POCEAD et des cas d’usage expérimentés sur ARTEMIS (Architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multi-sources). Ce dernier vise à veiller à l’ouverture des différentes bases de données de tous les services du ministère des Armées françaises. Par ce décloisonnement des bases de données, les approches pluridisciplinaires des opérations seront facilitées.
La dernière, en 2021, consiste en une « maturité organisationnelle dans la maîtrise des données, en phase avec la mise en production d’ARTEMIS, et permettant de répondre aux enjeux stratégiques du ministère ». Il s’agit donc d’une phase de réajustement et d’amélioration.
Ces trois phases permettent de construire une réelle stratégie de la donnée, vitale pour parvenir à une IA la plus performante possible.
Afin que chaque personnel le nécessitant puisse bénéficier du soutien de l’IA, même dans des situations dégradées telles que les OPEX, un effort est consacré au Cloud du ministère. Ce dernier suivra la logique du schéma en cercles de la stratégie Cloud de l’État. Des dispositifs souverains en la matière sont des impératifs identifiés afin d’être pleinement autonome.
Quatre domaines d’applications de l’IA sont visés par la stratégie du ministère des Armées.
Tout d’abord, il s’agira d’une aide à la décision en planification et en conduite. Par exemple, l’IA pourra définir des itinéraires les moins dangereux possibles pour le personnel sur le terrain. L’IA sera également essentielle aux décideurs militaires en raison de sa confrontation à une explosion quantitative de données par l’augmentation des transmissions avec les soldats sur le front et des images recueillies par les drones. Or, il est primordial de pouvoir analyser et traiter celles-ci de manière la plus efficiente possible afin d’obtenir la meilleure décision pour parvenir à imposer sa volonté sur le champ d’affrontement. De même, l’utilisation de l’IA par les décideurs va vraisemblablement provoquer une accélération des cycles décisionnels grâce à une meilleure planification.
Deuxièmement, le combat collaboratif sera grande améliorée. In fine, l’IA permet une meilleure préparation au déploiement et affrontements sur le terrain. En effet, les simulations deviendront de plus en plus précises. Dès lors, les industriels pourraient s’appuyer sur ces dernières pour proposer et tester des équipements au plus près des besoins des opérateurs situés sur le terrain. De même, les opérateurs seront mieux préparés à leurs déploiements futurs grâce aux simulations proposées par l’IA prenant en compte les conditions topographiques et météorologiques locales. Par cette technologie, les équipements modulables des armées seront mieux adaptés au terrain. En testant les diverses combinaisons possibles, l’IA sélectionnera la plus adaptée à la situation à venir. L’opérateur pourra ainsi s’y entraîner et valider ou non la proposition de l’IA. Il est néanmoins vital que l’opérateur ne suive pas aveuglément l’IA. Son esprit critique doit rester pleinement efficient.
Troisièmement, l’application de l’IA en matière de cyberdéfense sera déterminante. En effet, le temps de réaction lors des cyberopérations est de plus en plus raccourci. L’IA va permettre de réagir dès la détection de cyberopération hostile, d’autant plus que l’IA peut être usée de manière offensive. Par exemple, la société IBM a dévoilé en 2018 le protocole DeepLocker. Ce dernier permet de rendre un malware furtif en l’implémentant dans un logiciel tiers. L’activation de ce malware se fait grâce à l’IA.
La Maintenance des aéronefs profitera des développements en matière d’Intelligence artificielle, pour anticiper les besoins et optimiser la gestion des pièces détachées
Enfin, la MCO sera affinée grâce à cette technologie. En France, le constat de la mise en disponibilité des moyens aéronautiques des armées est effarant. En 2017, moins de 50 % des flottes d’aéronefs français étaient disponibles. L’IA peut permettre de résoudre cette crise. Dès lors, elle est bien un facteur de supériorité opérationnelle. Par exemple, le Data mining, l’exploration de données, permet d’augmenter la MCO en gagnant en disponibilité et en coût. Cela va nécessiter de consolider les détections de signaux faibles. Ceci sera possible par une montée en puissance de l’apprentissage de l’IA en matière de systèmes d’armes par un partage massif de données entre les entreprises constituant la BITD. A cette fin, une numérisation des équipements est le nécessaire préalable. Il doit y avoir une modélisation 3D courante des équipements utilisés afin de comparer l’état actuel du système d’arme à son référentiel de sortie d’usine. De même, certaines tâches de MCO sont destinées à s’automatiser via l’usage d’algorithmes d’optimisation, ou par l’usage de drones, afin d’obtenir une meilleure planification des MCO.
Les Outils de la France dans ce combat
Pour que la stratégie du ministère soit efficiente, il est nécessaire d’investir dans une réelle industrie française en matière d’IA. En effet, la ministre rappelle le besoin « d’ une souveraineté à développer en matière d’industrie de Défense française et européenne ». Chose qui peut être vivement encouragée par le plan de soutien aux start-up françaises annoncé. Cependant, il est nécessaire d’être vigilant sur la captation de certaines d’entre elles par les GAFAM. L’exemple du rachat de la start-up anglaise DeepMindTechnologies par Google prouve ce danger, et un cruel manque d’innovation pour les Etats. Malgré ces critiques, l’avenir semble prometteur. En effet, la DGE et la Banque Publique d’Investissement France ont lancé un appel à projets sous la forme de challenges dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir. Certains d’entre eux concernent le domaine de la sécurité et de la défense, notamment le domaine de la simulation de défense, ou encore de l’efficience des données disponibles en vue de l’apprentissage de l’IA. La recherche en matière d’IA doit venir aussi bien des milieux de la recherche classiques que des industriels, tous soutenus par l’État. La puissance maîtrisant le plus la technologie de l’IA sera la plus légitime à imposer ses normes au niveau international. Or l’encadrement juridique de cette technologie reste encore à définir. A ce titre, il s’agit d’un des objectifs principaux de la Chine.
Les dernières semaines
ont vu plusieurs annonces du Pentagone et du gouvernement américain en
direction de la 4éme dimension : l’Espace. Cette gesticulation n’est pas
anodine. Elle traduit la mise en œuvre du « Commandement de l’Espace»
américain et les enjeux stratégiques, doctrinaux et techniques s’y afférant.
La militarisation de l’espace n’a cessé de monter en puissance depuis la fin de la guerre froide et la seconde guerre du Golfe (1991). Elle se situe au carrefour de l’éclatement géostratégique issu de l’effondrement du bloc soviétique et de l’irruption des NTIC dans la conduite de la guerre dite « réseau -centrée » ou « info-centrée ». Multiplicateur de force fondamental, clé de voutes des systèmes C4ISR mais se bornant à une fonction d’appui, l’utilisation à des fins militaire de l’Espace était dans les années 1990 le fait d’un club très refermé de nations (EU, Russie, France…). Cette donne a largement évoluée par la progressive banalisation de l’accès à la quatrième dimension (une soixantaine de pays aujourd’hui) et l’irruption de nouveaux acteurs institutionnels (Chine, Inde, Japon, Israël, Iran…). On note également l’apparition du « New Space ». Un écosystème d’acteurs privés ne se contentant plus d’être des opérateurs mais également concepteurs, développeurs, constructeurs et surtout lanceurs.
Certains sont aujourd’hui en passe de contester la prééminence de certains acteurs jusque-là prédominants [efn_note]Le lanceur renouvelable de Space X est un concurrent très sérieux pour Arianne VI d’Airbus/Arianespace. La France se pose très sérieusement la question de la volonté à long terme d’un déni de notre accès souverain à l’Espace[/efn_note]. Favorisé dès les années 2000 par l’administration américaine et débouchant sur une baisse importante des coûts et une miniaturisation des pièces, le « New Space » accouche d’un écosystème et d’un marché mondial du spatial de plus en plus mature. Par là-même il participe lui aussi à changer la nature de l’appréhension stratégique de cette 4éme dimension.
De l’Espace
militarisé à la 4ème dimension arsenalisée
La combinaison de la compétition,
notamment militaire, entre les états, le caractère de marqueur stratégique de
l’Espace et la banalisation de son accès le font muter d’une dimension d’appui à une dimension supplémentaire
de combat. En d’autres termes la militarisation de l’espace poursuit sa
progressive vers l’arsenalisation. Dans les années 1990 les utilisations
militaires de l’Espace concernaient trois « composantes »
principales :
L’Observation (ROIM) et Elint [efn_note]Electronic Intelligence [/efn_note] (ROEM) en orbite basse (- de 2000km), utilisant des satellites dit « défilants)
Le Géo-positionnement (GPS, Galileo) en orbite moyenne (entre 2000 km et 5000 km)
Les Télécommunications, transmissions de données et alerte [balistique] avancée[efn_note] Les systèmes d’alerte avancée utilisent également l’orbite basse[/efn_note] en orbite « géosynchrone » (satellites stationnaires à 36 000km)
Ces composantes conféraient à l’Espace le statut de clé de voute des architectures C4ISTAR des armées occidentales fondant leur supériorité technologique et informationnelle. Sans espace pas de processus de ciblage et des capacités de renseignement électroniques (écoute, brouillages, intoxications…) limitées ; pas de transmissions de données à haut débit en temps réel, au sein des architectures C2, pas de guidage des drones HALE et MALE, pas de géolocalisation des vecteurs sur théâtre (nécessaire à leur mise en réseau) ou de guidage GPS des munitions (Croisière, Balistique…), etc… . Ces capacités sont appelées à se renforcer via l’usage de l’IA dans la transmission et la fusion des données au volume exponentiel, la systématisation du combat collaboratif interarmes, la multiplication des orbites de microsatellites ou bien l’évolution des systèmes d’alerte avancée destinés à prendre en compte la menace des missiles balistiques hypersoniques… . Autant d’avancées technologiques permises entre autre par le « New Space »
Les drones MALE et HALE sont dépendant d’une liaison satellite avec le centre de controle
En revanche, l’émergence de nouveaux acteurs spatiaux implique aujourd’hui une incrémentation de la conflictualité dans une dimension désormais vitale pour tout pays prétendant à accroitre ou maintenir son influence et sa puissance. Les états-majors occidentaux sont donc aujourd’hui forcés d’anticiper de nouveaux risques dans l’espace. Car tout déni d’accès ou neutralisation/destruction des capacités nuirait de manière rédhibitoire aux armées occidentales dans leurs capacités à entrer en premier dans des environnements semi et non-permissifs voire d’utiliser tout simplement la majeure partie de leurs systèmes. Les troupes déployées sur les théâtres d’opération deviendraient aveugles et les unités isolées[efn_note] Même dans le cadre des doctrines d’environnements dégradés qui anticipent ce genre de scénario.[/efn_note] .
La radicalisation croissante des rapports de force internationaux fait à présent peser des menaces variées qu’elles soient cyber (piratage des logiciels au sol ou en orbite), électromagnétique (brouillage des données SatCom ou de géolocalisation), sabotage/capture/déplacement de satellites, voire des menaces cinétiques telles que des missiles antisatellites (tirs depuis la surface ou les airs voire un jour Espace-Espace) ou la programmation de « satellites-tueurs ». On note au passage qu’une large partie des menaces concernent des vecteurs spatiaux susceptibles de neutraliser ou détruire d’autres vecteurs. La connaissance de l’environnement spatial est alors fondamentale. La capacité « surveillance de l’Espace » est déjà un enjeu stratégique depuis 20 ans. La densification croissante du trafic spatial combiné à la hausse de la conflictualité la rend incontournable[efn_note]Elle est également très importante concernant la gestion des débris [/efn_note]. Elle est encore aujourd’hui le fait d’un club resserré de nations (EU, Russie, France, Chine, bientôt le Japon…). L’enjeu technique la caractérisant est son évolution vers la surveillance de l’Espace depuis l’Espace afin de compléter les systèmes de radars au sol.
Les États-Unis tachent d’affirmer nettement leur leadership dans l’espace de demain
Ce contexte stratégique débouche sur une inflation de doctrines, d’architectures et production de vecteurs au sein des principaux états-majors occidentaux. Ce sont les États-Unis qui, les premiers, face aux gesticulations spatiales Russes et Chinoises notamment, ont entrepris la création d’un « Commandement de l’Espace » fin 2018. Les récentes déclarations et projets entrepris démontrent qu’il ne s’agissait pas d’un effet d’annonce. Cette annonce est le débouché logique de 15 ans de prospectives sur l’arsenalisation de l’Espace. Les crispations internationales et le réarmement global matérialise de plus en plus cette perspective contraignant les puissances spatiales à réagir. Les mois d’août et septembre 2019 ont été très riches en annonce du Pentagone et du gouvernement à destination de l’Espace. En deux mois ont été confirmés :
L’augmentation des bandes-passantes SatCom à destination des troupes déployées sur théâtre,
L’arrivée imminente du système d’alerte avancée de nouvelle génération,
Un milliard de dollars ont été débloqués pour la DAMB[efn_note]Défense Anti-Missiles Balistiques [/efn_note] hypersonique
La mise en place prochaine d’un système de surveillance de l’espace profond afin d’anticiper des menaces conventionnelles au-delà de l’orbite Géosynchrone.
La surveillance de l’espace profond est peut-être d’un point de vue stratégique et prospectif la plus intéressante. Tant en termes d’innovation technologique et doctrinale que d’implication géopolitique. En effet, en prévoyant des menaces au-delà de l’orbite Géosynchrone, l’armée américaine déplace mécaniquement l’horizon géostratégique « terrestre » vers le voisinage de la Lune. Crédibilisant les menaces d’affrontements conventionnels dans l’espace à moyen terme.
L’acquisition de renseignement, qu’ils soient électromagnétiques ou optiques, est une des principales missions confiées aux satellites militaires
Par ruissellement les EU tablent également sur la nécessité de créer un nouveau domaine du renseignement dédié à l’Espace[efn_note]Un Renseignement d’Origine Espace (ROES) en quelques sorte [/efn_note] et à l’usage de l’Espace qui déboucherait potentiellement sur la création d’un centre de renseignement [spatial] indépendant de l’US Air Force et par voie de conséquence de doctrines et d’architecture du renseignement propre à la 4ème dimension. La situation témoigne d’un volontarisme important qui matérialise la conscience des américains des enjeux vitaux auxquels ils sont confrontés. Cette nouvelle grille de lecture spatiale semble avoir rapidement fait école…
La France
veut conserver son rang de grande puissance spatiale
En tant que vieille nation militaire et spatiale, la France a pris conscience progressivement du progressif changement de nature de la 4ème dimension. Toutefois, l’effort doctrinal récent semble avoir été provoqué par deux électrochocs : l’annonce du Président Trump de la création de l’US Space Command en 2018 et la médiatisation de l’affaire du satellite Russe s’étant approché du satellite de télécommunication Franco-Italien Athena-Fidus en septembre 2018. C’est ainsi que fin 2018, le président Emmanuel Macron et la ministre de la Défense Florence Parly médiatisent la nouvelle stratégie spatiale française se matérialisant dans le document « Stratégie Spatiale de Défense » complété, sommairement, par « Imaginer au-delà : document d’orientation de l’innovation Défense » en 2019.
Il apparait regrettable en terme de prospective que la France se mette dans une posture aussi « réactive » voire à la remorque doctrinale des États-Unis[efn_note]Ce qui serait assez inédit depuis la fin de la décennie 1990, période à partir de laquelle la France commence à élaborer des concepts et doctrines d’emplois plus originaux après le « traumatisme » de la seconde guerre du Golfe et des conflits de l’ex-Yougoslavie [/efn_note] . Toutefois la France a fait la preuve de sa vigueur intellectuelle dans les « War studies » et dispose de l’important ReTex de ses nombreuses opérations extérieures depuis 30 ans. On peut présumer que les évènements « déclencheurs » décrits plus hauts consistèrent plus en des prétextes médiatisés afin d’obtenir un effet d’annonce international plus important. Il n’en demeure pas moins que la France est la seconde nation occidentale, voire mondiale, à se doter officiellement d’une stratégie spatiale.
Les satellites de la pleiade Galileo permettent aux européens de disposer d’un système de positionnement indépendamment du système GPS Américain.
Cette dernière est tournée vers la préservation de son existant en renseignement optique (Hélios II, Pléiade, CSO), télécommunications (Syracuse, Athena-Fidus), Géo-positionnement (Galileo) et renseignement électromagnétique (Céres). Elle semble vouloir également développer ses capacités radars et d’alerte avancée pour le moment sommaires voire inexistantes. Tous ces éléments sont nécessaires à la préservation de ses capacités de soutien aux opérations.
Le cœur de la nouvelle stratégie spatiale de défense est toutefois largement tournée vers la défense active et passive de ses satellites face à toute les menaces cyber, électromagnétiques (brouillage notamment), déni de service en orbite (amarrage, détournement, capture, sabotage…) mais également d’autres menaces plus conventionnelles : actions cinétiques (missiles Asat, dégradation des segments au sol…). La surveillance de l’Espace n’est pas négligée, prévoyant le remplacement du système GRAVES et l’accrétion des capacités dans ce domaine. Enfin une très large part est accordée à l’innovation technologique via la cybersécurité et l’usage croissant de l’Intelligence Artificielle, les solutions opérationnelles offertes par les « microsatellites » ainsi que le développement de technologies « duales », civilo-militaires. Ces dernières sensées améliorer entres autres la redondance des vecteurs et par là la profondeur capacitaire.
On note certaines limites, comme la prise en compte de l’espace dans la DAMB hypersonique qui reste vague. Par ailleurs, la France choisit de se doter d’une stratégie active mais défensive quand les États-Unis ont d’ores et déjà annoncé doter à terme leur « Space Command » de systèmes d’armes létaux. Enfin, on note tout de même des mesures concrètes avec la dotation d’un budget de 3,6 milliards d’Euros accordés dans le cadre de la LPM 2019-2024 et la création d’un début de commandement spatial unifié sous la houlette de l’armée de l’air désormais appelée armée de l’Air et de l’Espace. Si les menaces sont bien identifiées, la stratégie spatiale de défense reste une feuille de route généraliste sans effet directement exécutifs. Les mois et les années à venir seront déterminants afin de mesurer le volontarisme français dans les capacités de défenses concrètes dont nous aurons fait le choix de nous doter, à l’image des États-Unis.
Le missile anti-navire P-800 Onyx est, depuis 2002, le fer de lance de la lutte anti-navire à bord des unités lourdes de la Marine russe. Capable d’atteindre des cibles à 600 km à une vitesse dépassant Mach 2, le missile surpasse dans ces domaines, aujourd’hui encore, ses homologues occidentaux, comme le MM40 Exocet ou l’AGM 84 Harpoon, et même le naval Strike Missile de Kongsberg, pourtant le grand succès du moment en matière de missile anti-navire. Il équipé aujourd’hui les frégates des classes amiral Gorshkov et amiral Grigorovich, ainsi que les corvettes Karakurt et Buyan-M, et les sous-marins nucléaires d’attaque Iassen-M. Il équipera également les croiseurs de la classe Kirov après leurs modernisations, de même que les sous-marins de la classe Antey, les corvettes Gremayashchiy (projet 20385), et même le porte-avions Kuznetsov.
Dans un communiqué publié par l’agence Tass, le constructeur NPO Mashinostroyeniya annonce qu’il procédera prochainement aux essais d’une nouvelle version du missile, désigné Onyx-M, aux performances accrues, et pouvant être utilisé comme missile de croisière contre des cibles terrestres si besoin. Il est indiqué, ainsi, que la portée du missile serait étendue à 800 km, et que les capacités de résistances au brouillage et aux leurres de l’autodirecteur radar actif aurait été renforcées. Le reste des performances du missiles, notamment sa vitesse supérieure à Mach 2, et ses dimensions, sont inchangées.
Le missile Brahmos qui équipe les bâtiments de la marine Indienne est dérivé du P-800 Onyx
Or le missile P-800 est au coeur d’un autre programme de missiles de croisière et anti-navire de NPO, le Brahmos développé avec l’Inde. Si ce missile, dans sa version actuelle, atteint des performances sensiblement similaires au P-800, à savoir une portée de 500 km bientôt amenée à 600 km, les versions en developpement atteignent, elles, des vitesses très nettement au dessus des Mach 2,5 annoncées par le P-800, en l’occurence Mach 4. En outre, un programme dérivé, le Brahmos II, utilisant cette fois un Scramjet, est en cours de developpement, et vise, à l’instar du 3M22 Tzirkon, des vitesses de l’ordre de Mach 8, pour une portée de 600 à 800 km, là ou le Tzirkon est donné pour dépasser les 1000 km. Il serait, dès lors, très étonnant que le P-800 Onyx-M ne bénéficie pas des recherches des programmes en cours, et notamment celles sur le Brahmos et Brahmos-A, dont il partage la filiation, pour augmenter sa vitesse au dessus de Mach 3,5, vitesse au delà de laquelle de nombreux systèmes anti-missiles occidentaux, comme le nouveau Sea Ceptor britannique qui équipera les frégates Type 26 et Type 31, sont incapables d’intercepter les missiles adverses.
Les systèmes de protection anti-missiles, comme le Sea Ceptor de MBDA, ne peuvent intercepter des missiles anti-navires volant à plus de Mach 3,5.
En outre, cette annonce est assez éloignée de celle faite en Mai 2019, faisant état du developpement d’une version hypersonique du P-800, ce qui tendrait à confirmer la volonté de l’état-major russe de disposer de missiles allant le plus vite possible, pour les raisons précédemment citées. Ceci dit, comme nous l’avons vu dans un article précédent, le statoréacteur propulsant le P800 n’est pas adapté pour atteindre de telles vitesses, qui requiert une propulsion par superstatoreacteur, ou scramjet.
A noter que le P-800 Onyx équipe également les batteries anti-navires terrestres K-300P Bastion, utilisées par la marine et la Défense côtière russe, ainsi que par les forces vietnamiennes, et les forces syriennes. En outre, il est mis en oeuvre dans les mêmes silos que ceux qui permettent le lancement de missiles de croisière Kalibr, et du futur missile hypersonique Tzirkon, permettant à chaque vecteur de mettre en oeuvre ces missiles selon les besoins. Le missile Tzirkon doit entrer en service d’ici 2020 dans la marine russe.
Quelques semaines à peine après avoir reçue son ilot, le premier porte-hélicoptère d’assaut Type 075 chinois a été lancé ce 25 septembre, en présence des autorités militaires et civiles du pays. Ce nouveau navire, jaugeant plus de 40.000 tonnes pour 250m de long et 30 m de large, procurera à la Marine de l’Armée Populaire de Libération une capacité de projection de forces jusqu’ici réservée aux Etats-Unis. Un second navire de même type est en construction dans la même cale sèche qui accueillait celui-ci jusqu’à ce matin, et un troisième serait en construction dans un second chantier naval.
Alors que les porte-avions Type 001/001A et les navires d’assaut LPD Type 071 ont marqué la naissance des ambitions chinoises pour disposer d’une capacité de projection de force de haute mer, l’arrivée des LHD Type 075, et des futurs porte-avions Type 002 dotés de catapultes en cours de construction, marque la volonté chinoise de faire jeu égal avec les Etats-Unis dans le domaine naval. On remarque en effet les similarités entre ce nouveau Type 075, et les LHA de la classe America en construction dans les chantiers américains, tant du point de vue performances que du nombre de LHD disponibles à terme. Il en va de même vis-à-vis des porte-avions chinois, dont les premiers modèles à propulsion nucléaire et jaugeant plus de 100.000 tonnes, donc comparables aux super porte-avions américains des classe Nimitz, Improved Nimitz et Ford, devraient entrer en service avant 2030.
D’ici 2023, la Marine chinoise disposera de 8 LPD type 071 capables de mettre à terre un millier d’hommes et leurs équipements.
Capable de mettre à terre un bataillon renforcé de marines, soit prés de 1600 hommes, avec leur matériel et leur équipement roulant et blindé, le Type 075 met en oeuvre jusqu’à 30 hélicoptères de différents types, du Z8 de transport lourd au Z19 d’attaque, ainsi que le nouveau Z20 de manoeuvre. Certains échos font également état de la possibilité de mettre en oeuvre des appareils à décollage et atterrissage court ou vertical comme le Harrier ou le F35B, bien que rien n’indique formellement qu’un tel avion soit en developpement en Chine, ni même chez l’allié Russe. Mais il serait surprenant que la Chine ne s’engage pas, à court ou moyen terme, dans ce type de developpement, tant les potentialités sont importantes, et permettraient d’augmenter rapidement le nombre de vecteur de projection de puissance aérienne naval du pays.
Ce lancement est également un message envoyé à Taipei, qui vit de plus en plus dans la crainte d’une action militaire venant du continent. Ceci dit, l’APL n’aura pas les ressources suffisantes pour une opération amphibie et aéroportée contre l’île avant plusieurs années, le temps de disposer de l’intégralité de sa flotte de LPD Type 071 (8 unités) et d’au moins 5 ou 6 LHD Type 075, ainsi que d’un nombre suffisants d’hélicoptères et d’avions de transport stratégique Y-20. Il lui faudra également s’assurer de disposer d’une flotte de chasse suffisamment moderne et surnuméraire vis-à-vis des défenses de Taiwan forte de plus de 300 chasseurs modernes, et d’une flotte de surface et sous-marine suffisamment dense et performante pour tenir tête à une éventuelle riposte de l’US Navy. En d’autres termes, une telle opération ne pourra voir le jour avant 2025, et plus probablement 2030, ce qui n’exclut pas d’autres formes d’action, comme des tentatives de déstabilisation politique, de guerre économique, voir d’embargo naval et aérien.
La Chine renforce également ses moyens de projection de puissance aérienne, en constituant une flotte de transport stratégique mettant en oeuvre le nouvel avion de transport Y20, proche du C17 Globemaster américain.
Ce lancement marque une nouvelle fois, s’il en était besoin, les évolutions profondes qui touchent les relations internationales aujourd’hui. Il ne fait plus de doute, à moins d’être atteint d’une myopie très avancée, qu’une nouvelle course aux armements est belle et bien lancée à l’échelle mondiale, et que toutes les stratégies antérieure à 2015, et notamment celle du Soft Power chère à l’Allemagne, n’ont plus court, et ont même vu leurs acquis balayés en seulement quelques années. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder avec quel empressement les pays africains et asiatiques se rapprochent de Moscou et de Pékin depuis quelques années, ou celui des pays d’Europe de l’Est vers les Etats-Unis. Le poids d’un pays sur la scène internationale en 2030, et au delà, s’évaluera en grande partie à la vue de ses moyens militaires, et de ses capacités d’action pour protéger ses intérêts, et ceux de ses alliés. Des notions totalement étrangères au Livre Blanc 2013, comme à la RS 2017, qui ont servit de cadre à la LPM en cours…