Selon l’équivalent du projet de loi de finance 2020 de la fédération de Russie, le budget des armées va passer de 2,9 Tr roubles en 2019 à 3,1 Tr Roubles en 2020, soit une hausse de 6,9% sur l’année. En 2021, il s’établira à 3,2 Tr rb et en 2022 à 3,3 Tr rb, soit une hausse de 14% sur 3 ans. Il s’agira de la plus forte hausse annuelle du budget fédéral de la Défense depuis 10 ans, en cohérence avec les ambitions de la GPV 2019-2027, l’équivalent de la Loi de Programmation Militaire, qui prévoit une dépense de 9 Tr Roubles pour les équipements de forces armées, soit une moyenne de 18,75 Md$ par an. Dans les faits, il s’agira d’une progression de 16 Md$ en 2019 jusqu’à 21 Md$ en 2027, soit une croissance moyenne de 7,5% par an.
Cette progression très nettes des dépenses de Défense est cependant masquée dans la communication officielle par la baisse sensible de la valeur du rouble sur les marchés internationaux, qui est passé d’une valeur moyenne autour de 59 rb par USD en 2017/2018, à 65 rb par USD aujourd’hui. Ceci explique pourquoi, dans la présentation officielle du budget des armées exprimée en USD, celui ci s’établit à 47,7 Md$ en 2020, 50 Md$ en 2021, et 51,3 Md$ en 2022, à parité fixe. En revanche, ces valeurs doivent être pondérées de l’inflation en Russie, qui s’établie aujourd’hui entre 3,5 et 4% par an, et qui limite donc l’efficacité de cette hausse.
Ramené en euro, le Su7 ne coute que 31 M€ au budget russe par exemplaire, alors qu’un Rafale coute plus de 70 m€ au budget des armées françaises.
Il convient en outre de se montrer très prudent lorsqu’il s’agit d’évaluer les capacités militaires de la Russie sur la seule base de son budget officiel exprimé en rouble. En effet, comme exprimé plus haut, la valeur du rouble est aujourd’hui très faible vis-à-vis du dollar ou de l’euro, étant passé de 1 euro pour 37 roubles en 2013 à 1 euro pour 75 roubles aujourd’hui. Sur la même période, les prix et les salaires en Russie ont largement moins augmentés, surtout dans l’industrie de l’armement, et dans les armées. En outre, le tiers des effectifs militaires est constitué de conscrits, qui ne reçoivent qu’un salaire symbolique, hormis lorsqu’ils sont déployés en zone d’opération, comme en Syrie. Enfin, de nombreuses dépenses de Défense ne sont pas prises en compte par le ministère de La Défense russe, mais par des dépenses fédérales parallèles, notamment concernant la recherche et le developpement, alors que beaucoup de dépenses d’infrastructures sont à la charge des Oblasts (les régions). C’est la raison pour laquelle les organismes internationaux comme le SIPRI, dont les méthodes de calculs du budget de La Défense sont pourtant contestables, estime le budget russe consacré aux armées à 61 Md$ en 2018, contre 45 selon la communication officielle du Kremlin.
Il est également important de garder à l’esprit que les stratèges russes ont su, depuis le milieux des années 2000, concevoir une politique industrielle de Défense alliant le developpement de nouveaux systèmes critiques, comme les missiles anti-aériens S350/400/500, les missiles hypersoniques Kinzhal et Tzirkon, l’avion de combat Su-57 et les blindés de nouvelle génération de la famille Armata, avec un vaste programme de modernisation des équipements existants et disponibles en grands nombres, comme les chars T72B3 et T80BV, les hélicoptères Mi8/24/26/35 ou encore les avions de combat de la famille Su-27. Or, là ou construire un char leopard 2 A7 coute plus de 10 millions d’euro, la modernisation d’un T90 au standard T90M ne coute, elle, qu’un million d’euro, soit le prix d’un VBMR Griffon.
Les autorités militaires et politiques russes ont su concentrer leurs investissements de Défense vers des developpement d’équipements apportant un important gradient de puissance avec l’occident, comme le missile hypersonique Kinzhal
En d’autres termes, il est essentiel de pondérer les discours basés sur l’écart des dépenses de défense entre la Russie et l’Europe, par exemple, pour revenir à des appréciations plus factuelles, comme le nombre d’hommes prés au combat, le nombre de blindés et de systèmes d’artillerie, le nombre de sous-marins et d’avions de combat, tout en intégrant ces valeurs dans un filtre prenant compte de l’efficacité technologique entre les systèmes, pour évaluer la réalité de l’écart de puissance entre le bloc occidental et la Russie en Europe.
Si la questions vous intéresse, reportez vous à l’article « Proposition de modèle pour une analyse comparée des investissements d’équipements de défense » accessible gratuitement ici.
Si certains pays, comme l’Inde, semblent peiner à valider leurs acquis issus des clauses de transferts technologiques dans leurs programmes d’importation d’équipements de Défense, d’autres, en revanche, semblent exceller en la matière. C’est le cas, notamment, de la Turquie qui, depuis l’arrivée au pouvoir de R.T Erdogan, s’est engagée dans un developpement rapide, et maitrisé, de son industrie de Défense, sur la base de partenariats technologiques passés avec ses partenaires occidentaux. Parmi les programmes les plus emblématiques, outre le TF-X, un avion de combat de 5ème génération, et le char de combat Altay, figure le programme naval MILGEM, visant à concevoir et produire une famille de bâtiments de surface pour assurer le renouvellement des moyens de la marine turque.
Le 30 septembre 2019, eu lieu la cérémonie d’entrée en service de la corvette TCG Kinaliada (F-514), 4eme unité de la classe Ada, la première classe de navire du programme MILGEM. Les corvettes de la classe Ada, dont 4 sont en service sur les 8 exemplaires commandés, jaugent 2400 tonnes pour une longueur de 100m, sont des navires polyvalents disposant de capacités anti-sous-marines et anti-surfaces, ainsi que d’une capacité d’autoprotection anti-aérienne et anti-missile cohérente avec les missions du navire. Elles emportent pour cela 1 canon de 76mm, 8 missiles anti-navires Harpoon remplacés par des missiles Atmaca de facture locale et aux capacités étendues à partir de la 4eme unités, d’un système anti-aérien et anti-missile RAM armé de 21 missiles, et de 2 tubes lance-torpilles anti-sous-marines triples. Elles disposent également d’un hangar et d’une plate-forme pour mettre en oeuvre un hélicoptère S70B SeaHawk. En matière de systemes de détection, elles disposent du radar SMART-S de Thales et du sonar de coque TBT-01, mis en oeuvre par le système de combat MSYS conçu pour l’ensemble de la gamme MILGEM.
Avec leur superstructure monobloc, leur mat intégré, la cheminée encastrée et un large pont d’envol donnâtes sur un grand hangar, les corvettes de la classe Ada ont toutes les caractéristiques des corvettes les plus modernes du moment.
Le programme MILGEM comportera une autre classe de navires de combat, 4 frégates de la classe Istanbul dont une est en construction. Les frégates polyvalentes Istanbul jaugent 3000 tonnes pour 113 m de long, et sont en quelque sorte des Ada allongées, pour emporter 16 missiles anti-navires au lieu de 8 et un système de silos Mk41 pour mettre en oeuvre des missiles anti-aériens RIM-162 ESSM ou RIM-66 Standard, ainsi que des missiles VL-ASROC anti-sous-marins. Cette jauge permet également d’augmenter l’autonomie a la mer, qui passera de 3.500 et 6.500 nautiques. La quille du TCG Istanbul (F-515) a été posée le 3 juillet 2017, et son lancement est prévu pour 2021. L’Amirauté Turque prévoit, une fois les acquis technologiques validés sur les frégates de la classe Istanbul, de construire 7 destroyers anti-aériens de type FT-2000, dont les caractéristiques ne sont pas encore déterminées fermement, mais qui devront emporter 64 VLS Mk41 pour mettre en oeuvre des missiles SM2, ESSM, VL-ASROC et probablement des missiles de facture locale Tubitak G40 anti-aérien, Atmaca anti-navire et le missile de croisière Gezgin.
L’objectif de la Marine Turque est de disposer, début 2030, d’une flotte de 20 bâtiments de surface de 1er rang, soit la flotte de surface combattante la plus importante numériquement du théâtre méditerranéen. En outre, les bâtiments du programme MILGEM suscitent l’intérêt, l’Indonésie ayant commandé en 2011 2 corvettes Ada, et le Pakistan ayant commandé en 2018 4 corvettes Ada modifiées à construire entre 4 ans et demi et 6 ans, pour faire face au renforcement de la Marine Indienne, et notamment de sa flotte sous-marine, avec les programmes P75 et P75I. A noter que c’est également la Turquie qui procède à la modernisation des sous-marins de type Agosta mis en oeuvre par la Marine Pakistanaise .
Alors que la communauté du renseignement semblait penser que le nouveau missile hypersonique chinois, le DF17, n’atteindrait le statut de qualification qu’en 2020, il semble que les militaires chinois aient voulu joueur la surprise en présentant ce nouveau vecteur comme opérationnel dans l’arsenal balistique de l’Armée Populaire de Liberation lors de la parade militaire pour le 70eme anniversaire de la création de la Republique Populaire de Chine, le 1er octobre 2019 à Pekin. Avec cette entrée en service, la Chine rejoint donc la Russie dans le club très exclusif des pays disposant de missiles hypersoniques manoeuvrant, et donc capables de déjouer les systèmes anti-missiles occidentaux comme le THAAD, le SM3 et le Patriot.
Le nouveau missile balistique DF17 se caractérise par sa capacité à soutenir un vol hypersonique manoeuvrant durant les phases de vol intermédiaires et finales grâce à un planeur hypersonique de rentrée atmosphérique, le rendant très difficile à intercepter par les systèmes anti-missiles existants. Bien que le missile ait la possibilité d’emporter une charge nucléaire, il est présenté par l’APL comme un missile balistique conventionnel de courte à moyenne portée, c’est à dire ayant une portée maximale entre 300 et 3.500 km, selon la classification internationale, et n’emportant qu’une charge explosive conventionnelle, et non nucléaire, comme charge militaire.
Gros plan sur le planeur hypersonique du DF17 Los de la parade célébrant le 70eme anniversaire de la création de la République Populaire de Chine.
Ce missile, capable d’une grande précision selon les rapports de tests de l’APL, est donc une arme à vocation tactique, dont la fonction première serait d’éliminer les postes de commandement, postes de communication et noeuds logistiques de l’adversaire, sans passer au delà du seuil nucléaire. Il se rapproche beaucoup, en cela, du missile Kinzhal russe, dont l’une des fonctions est justement de « décapiter » les instances militaires, voir politiques, de l’adversaire, de sorte à désorganiser ses défenses. Grace à sa capacité à se jouer des défenses anti-missiles, le DF17 pourrait également être employé pour éliminer les bases de lancement et de guidage des systèmes anti-missiles de l’adversaire, de sorte à laisser le champs libre aux missiles balistiques de moyenne portée DF21, moins performants, mais disponibles en grand nombre au sein de l’APL.
Quoiqu’il en soit, avec le DF17 en service, l’APL renforce encore davantage ses capacités opérationnelles d’intervention sur une grande partie du continent asiatique, et augmente sensiblement son potentiel militaire pour défier les Etats-Unis. Lorsqu’elle disposera d’un nombre suffisant de ces nouveaux systèmes d’arme, comme le DF17, les drones GJ11 et WZ8, les chasseurs et bombardiers de nouvelle génération J20 et HH20, et autres croiseurs Type 055 et porte-avions Type 002, elle sera définitivement hors de portée d’une intervention occidentale dans la région, et pourra, dès lors, imposer son propre agenda.
C’est à l’occasion du défilé militaire marquant le 70eme anniversaire de la création de la République Populaire de Chine, que les autorités militaires ont présenté deux drones de combat de nouvelle génération qui ont focalisé l’attention des observateurs nationaux et internationaux. On savait déjà que l’industrie aéronautique chinoise avait su developper une famille de drones de combat et de surveillance MALE (Medium Altitude Long Endurance) et HALE (High Altitude Long Endurance), comme le célèbre Wing Loong largement exporté dans le monde, même en Europe. Mais ce défilé fut l’occasion pour Pekin de marquer les esprits avec deux nouveaux drones de combat à l’aspect et aux performances très éloignés des drones MALE, et présentés comme étant d’ores et déjà en service dans les forces armées chinoises.
Le premier est identifié comme étant le drone d’attaque furtif GJ-11, une aile delta semblable à celles connues du public occidental au travers du programme X47B américain et du Neuron européen. D’une envergure de 14 mètres, il semble plus que probable que le GJ-11 soit dérivé du programme Sharp Sword de HAIG, qui fit son premier vol en 2013, et dont une autre version dérivée équipera le porte-avions Type 001A chinois. A en juger par ses dimensions et son aspect, le GJ-11 doit atteindre une masse de 7 tonnes à vide, et de 10 à 12 tonnes au décollage, soit un poids comparable à celui d’un chasseur léger. En revanche, on constate qu’il est beaucoup plus petit que le S70 Okhotnik russe qui, avec 20 mètres d’envergures et 20 tonnes au décollage, occupe visiblement le haut du spectre des drones de combat modernes. La structure aile volante est particulièrement adaptée pour la conception d’appareils furtifs, ayant la particularité d’être moins sensible que les autres configurations actuelles aux phénomènes de résonance des ondes VHF-UHF.
Le GJ-11 est beaucoup plus petit que le S70 Okhotnik russe
On ne sait toutefois pas grand chose sur le GJ-11, si ce n’est que l’appareil semble plus destiné aux missions d’attaques en zone contesté, à l’instar du profil Remote carrier, qu’au profil d’effecteur déporté du Loyal Wingman. Pas plus qu’on ne connait ses performances exactes, comme sa vitesse, subsonique de toute évidence, son rayon d’action, ou sa capacité d’emport et d’utilisation de munitions de différents types. Toutefois, maintenant que le programme est officiellement présenté par l’Armée Populaire de Liberation, il est probable que des informations apparaitront rapidement. Il faudra toutefois se montrer prudent dans leur analyse, car elles pourront être aussi bien source d’informations que de désinformations.
Le second drone présenté avait déjà attiré les regards et l’attention des observateurs défense suite à la diffusion de photos prises lors des répétitions du défilé, et montrant un nouveau modèle de drone de combat visiblement conçu pour les hautes vitesses et non la furtivité. Il est identifié par le code WZ-8, un drone à ailes delta mesurant environ 13 mètres de long pour une envergure de 7 mètres, et présenté comme un drone de reconnaissance supersonique élevé. Selon l’analyse du site Eastpendulum.com, le WZ-8 pourrait atteindre des vitesses proches de Mach 3, et aurait pour fonction de repérer et suivre des cibles mobiles à forte valeur, comme les porte-avions américains, afin de coordonner, si besoin, une attaque contre elles. Avec une telle vitesse, le WZ-8 serait en mesure d’atteindre tous les sites dans un rayon de 1500 km en moins de 20 minutes, lui laissant dès lors suffisamment de carburant pour surveiller la cible pendant 30 à 60 minutes. Il semble donc parfaitement adapté pour combler les périodes de temps durant lesquelles aucun satellite de surveillance ne serait disponible pour suivre la cible.
le drone supersonique WZ-8 lors de la parade pour le 70eme anniversaire de la création de la Republique Populaire de Chine
Rappelons que, comme nous l’avions évoqué dans cet article, les missiles balistiques anti-navires chinois DF-21 et DF-26 semblent devoir être controlés par satellite pour atteindre une cible mobile, comme un porte-avions. On peut imaginer, dès lors, que le WZ-8 puisse également intervenir dans cette procédure de guidage lorsque, par exemple, la couche nuageuse empêche le guidage optique à partir d’un satellite, en offrant une localisation déportée mais précise de la cible au satellite qui guide le missile en secteur arrière. On ignore toutefois si le WZ-8 est un drone intérimaire dans l’attente de l’entrée en service d’un futur drone hypersonique, ou si il s’agit d’une décision de raison face aux difficultés rencontrées dans le developpement de ce dernier, et notamment du scramjet indispensable pour atteindre et maintenir des vitesses hypersoniques sur de longues périodes de temps.
La présentation de ces deux drones munis de leurs codes de désignation opérationnels, et non de leurs désignations de prototype, avait clairement pour marquer les esprits et montrer la maitrise chinoise en matière de technologies des drones. Il n’aura fallut que quelques années à la Chine pour proposer ses drones MALE sur le marché mondial de l’armement après qu’ils soient entrés en service dans l’APL. Il est donc raisonnable d’envisager qu’elle pourrait faire de même avec le GJ-11 et le WZ-8, même si les contraintes d’utilisation et les couts de ces 2 drones sont certainement sans rapport avec ceux des drones MALE. Si une telle hypothèse venait à se réaliser, et que ces systèmes commençaient à apparaitre dans les arsenaux d’autres nations, cela pourrait sensiblement modifier l’équilibre technologique militaire et ouvrir d’importantes options tactiques et stratégiques pour ces pays, que ce soit en matière de guerre hybride comme de combat de haute intensité.
Si l’Inde fait souvent l’actualité par ses programmes d’acquisition d’armement en provenance de l’étranger, elle dispose également d’une industrie de Défense de plus en plus efficace, comme le montre le lancement de la première représentante de la classe P17A, la nouvelle classe de frégates furtives de la marine indienne. Commandées en 7 exemplaires en 2015, les frégates P17A sont destinées à renforcer les capacités d’engagement et d’escorte de la Marine indienne dans les 3 domaines que sont la lutte anti-sous-marine, anti-aérienne et anti-surface.
Avec une jauge de 6700 tonnes pour 149m de long, ces navires se rapprochent plus de la définition d’un destroyer, au sens de la Marine Indienne, que d’une frégate. Elles mettront en oeuvre, outre le canon de 127 mm, 32 missiles Barak 8 à moyenne portée en silos verticaux, 8 missiles de croisière anti-navires supersoniques Brahmos ainsi que 2 lance-torpilles triples, et, plus étonnant de nos jours, 2 lance-grenades anti-sous-marines RBU-6000. Elles emporteront également un radar EL/M-2248 MF-STAR Aesa en bande S fournis par l’israélien AIA, et un sonar d’étrave HUMSA-NG, mais semblent ne pas être pourvues de sonar à profondeur variable. Le hangar imposant permettra de mettre en oeuvre 2 hélicoptères moyens.
Le destroyer INS Visakhapatnam lors de son lancement le 20 avril 2015. Il doit entrer en service en 2021
Cette nouvelle classe de frégate, dont l’entrée en service est attendue entre 2021 et 2026 pour les 7 unités, montre à la fois le dynamisme et les limites de l’industrie de Défense indienne. Dynamique car concomitamment à ces 7 frégates, les chantiers navals indiens produisent sur la même période 4 destroyers de 7400 tonnes de la classe Visakhapatnam, aux caractéristiques étonnement proches de celles des P17A, et 4 nouvelles frégates de la classe Talwar acquises en Russie (classe Grigorovich), ainsi que des corvettes de 2000 tonnes et 700 tonnes, et probablement les deux premiers LHD de la Marine Indienne, si les autorités parviennent à choisir entre les 3 propositions européennes de Naval Group, Fincantieri et Navantia.
En revanche, on constate que l’Inde continue à avoir un impérieux besoin d’une aide extérieure pour les systèmes principaux de ses bâtiments, comme le radar MF-Star et les missiles Barak 8 d’origine israélienne, le canon de 127 mm italien, ou les missiles Brahmos conçu en partenariat avec la Russie. Contrairement à la Chine, ou à la Corée du Sud, l’Inde semble faire face à d’importantes difficultés pour faire siennes les technologies transférées au cours des contrats d’importation, afin de concevoir ses propres systèmes ultérieurement. Ces difficultés ne sont pas exclusives au domaine naval, on constate ainsi qu’en dépit des contrats répétés pour la construction l’assemblage d’appareils russes MiG21, 27 et Su30 MKI, l’industrie indienne n’est pas parvenue à faire de son avion de combat léger Tejas un appareil efficace.
Les destroyers de la classe Kolkata sont les unités de surface les plus modernes dont dispose aujourd’hui la Marine Indienne. Ils sont équipés du même radar MF-STAR de IAI qui équiperont les frégates P17A
A la vue des difficultés rencontrées par tous les industriels qui produisent en Inde des équipements de Défense, que ce soit en terme de qualité comme de cout final, et de l’incapacité manifeste des industries indiennes à acquérir des technologies de défense de façon constructive, on peut se demander si la politique du « Made in India » du président Modi, qui pourtant répond à une conception économique incontestable, n’est pas devenue, aujourd’hui, un boulet dangereux attaché au pieds des forces armées indiennes, qui doivent faire face à des velléités de plus en plus marquées de la part du Pakistan au Cachemire, et de la Chine sur les plateaux himalayens ?
Les forces armées hongroises viennent de passer commande pour 44 chars de combat Leopard 2A7+ et 24 canons automoteur blindé chenillé de 155 mm Pzh 2000, faisant de la Hongrie le 19 ème client du Leopard 2 dans le monde, et le 8 ème client pour le Pzh 2000. Cette commande représentera un bon capacitaire très important pour la petite armée hongroise de 27.000 hommes, qui ne dispose aujourd’hui que de 34 chars de combat T72 et n’aligne qu’une douzaine d’obusiers de 120mm tractés en terme d’artillerie.
Cette commande marque également le retour de plus en plus sensible des commandes en matière de chars de combat et des systèmes d’artillerie lourd dans le monde entier, même en Europe, et ce malgré un important coup d’arrêt des acquisitions à partir de 2005. En effet, il s’agit de la première commande de Leopard 2 neufs intervenant sur cette décennie, et la seconde concernant des Pzh 2000 neufs, après celle du Qatar en 2015, sur la même période.
Le canon automoteur blindé PZH 2000 de 155mm est en service dans 7 forces armées aujourd’hui, dont les forces croates ici représentées
Pourtant, grâce à un programme de modernisation efficace et au programme Leoben regroupant les utilisateurs du blindé, Krauss Maffei Wegman, concepteur et principal fabriquant du Leopard 2, a su maintenir des lignes de production en état, et ce malgré l’absence de nouvelles commandes. De fait, et contrairement au Leclerc français, ou au Challenger 2 britannique, KMW, devenu entre temps KNDS avec le français Nexter, est aujourd’hui le seul industriel européen capable de répondre à une demande de char de combat. Alors que le marché international s’ouvre à nouveau, plusieurs pays, dont l’Arabie saoudite, l’Egypte, le Maroc et même l’Inde, n’ont d’autres choix que de se retourner vers l’Abrams américain ou les productions russes ou chinoises, lorsqu’ils veulent s’équiper de nouveaux chars.
En outre, avec seulement 220 chars de combat en France, 326 en Allemagne, 170 en Grande-Bretagne, et moins de 600 dans l’ensemble des autres pays européens, la composante lourde des forces européennes est pourtant le parent pauvre de la Défense du continent, que ce soit au niveau de l’UE comme de l’OTAN, qui n’arrive à aligner seule qu’un tiers des 4500 chars de combat opérationnels dont disposent les forces armées russes. A ce titre, avec un calendrier approprié et probablement plus resserré que celui actuellement envisagé, et des objectifs technologiques et tarifaires raisonnables, le programme MGCS franco-allemand pourrait bien être en mesure de s’appuyer sur un marché intérieur européen très en demande. Encore faudra-t-il arriver à passer outre les ambitions personnelles politiques ou industrielles de certains, et les aspirations parfois excessives du technologisme d’autres, tout en gardant à l’esprit que le T14 Armata sera proposé à moins de 6 m$ l’unité sur le marché international, et ce dés le début des années 2020…
Si l’actualité récente a montré que La Défense anti-aérienne occidentale pouvait être mise en défaut par une combinaison de missiles de croisière et de drones volant à basse altitude, une des principales craintes des autorités militaires américaines dans un futur proche est de voir une de ses bases aériennes, ou un de ses centres logistiques, être victime d’une attaque menée par un essaim de drones, contre lequel elle serait quasiment désarmée. C’est ce qui a mené l’US Air Force à développer, via le Air Force Research Laboratory, le système THOR, pour Tactical High-power Operational Responder, un générateur de micro-onde directionnel intégré dans un conteneur traditionnel de 20 pieds, et pouvant être rapidement transporté par avion C-130 ou hélicoptère CH47.
A l’instar du programme de l’US Army récemment confié à Raytheon dans le cadre du programme IFPC, le THOR peut générer des impulsions micro-ondes hautement énergétiques dans une zone donnée de l’espace proche, et détruire l’ensemble des circuits électriques et électroniques des systèmes s’y trouvant, en l’occurrence, des essaims de drones. L’objectif est évidemment d’éliminer un grand nombre de drones à la fois, de sorte à réduire l’efficacité de l’attaque coordonnées, et de laisser aux systèmes à destruction individuelle, comme le systeme laser HEL TVD, le soin d’éliminer les quelques survivants.
Les bases militaires françaises comme ici la base de Gao, au Mali, pourraient être la cible d’attaques par essaims de drones dans des délais très courts
Développé en 18 mois avec une enveloppe de 15 millions de $, le THOR permet à l’US Air Force de répondre au risque croissant de voir ce type d’attaque se produire sur ses bases exterieures, notamment au Moyen-Orient. Les autorités russes ont ainsi indiqué, dans un communiqué publié la semaine dernière, que les systèmes TOR M1/2 et Pantsir S2 déployés autour de la base aérienne de Hmeymim et du port de Tartous en Syrie, avaient fait face à plus de 200 attaques par drones en 2 ans. Il ne fait guerre de doute, désormais, que les bases américaines les plus exposées pourront être la cible de ce type d’attaque, avec un nombre de plus en plus important de drones, et des schémas d’attaque de plus en plus élaborés.
Ce type de menace touche également les forces européennes déployées en Afrique et au Moyen-Orient, comme les forces stationnées au Mali, en Jordanie, en Irak ou aux Emirats Arabes Unis. Dès lors, le developpement en urgence d’un système similaire, sur la base des programmes européens de Défense etrassemblant les pays contributeurs de ces interventions, pourrait s’avérer une initiative plus que judicieuse, avant qu’elle ne soit contrainte par une actualité dramatique ….
Si tous les regards se portent que la livraison prochaine des premiers T14 Armata aux forces russes, blindés qui seront avant tout destinés aux centres de formation et de définition des doctrines, la livraison du premier lot de T90M par la société Ouralvagonzavod participe tout autant, si ce n’est davantage, à la modernisation et au renforcement des capacités opérationnelles russes.
Le T90M représente, en effet, une forme de char de transition entre les T72B3M et T80BVM qui formeront le corps de bataille de l’arme blindée russe, et le T14 accompagné du T90, formant la force de rupture et de pointe. Ainsi, dans sa version modernisée, le T90 se voit doté de nombreux attributs du T14 Armata, dont son blindage réactif Relikt ERA et le système de protection actif Afghanit, assurant un important regain de protection à ce char déjà connu pour sa robustesse, que ce soit en Syrie, dans le Donbas et en Tchétchénie. Il reçoit également, comme le T14, le nouveau canon de 125 mm 2А82-1М et le système de contrôle de tir Kalina, ainsi qu’un nouveau système de communication et de controle de mission dérivé de celui de son successeur, lui permettant d’interagir efficacement avec celui-ci. Enfin, le nouveau moteur de 1130 cv permet au T90M de conserver un rapport puissance-poids de 22 Cv par tonne, lui conférant une excellente mobilité.
Le T90M profite de nombreuses technologies développées autour du programme Armata, dont le système de controle de tir Kalina, le système de visée et le système de données tactique.
Le T90M représente, à ce titre, parfaitement l’efficacité dont font preuve les autorités militaires russes pour optimiser leurs développements technologiques sans nuire au volume des forces, considéré en Russie comme un facteur essentiel pour assurer la victoire. Comme les Su30, Su34 et Su35 qui profitent des technologies développées autour du programme Su-57, le T90M bénéfice de nombreux atours le transformant en char de génération intermédiaire, et l’amenant au plus prêt du niveau des chars occidentaux les plus avancés, comme le Leclerc MLU ou le Leopard 2A7.
Le site américain C4ISRnet.com, appartenant à la sphère defensenews.com, a publié l’histoire ayant amené Lockheed à garder au sol ses F35A dépêchés au salon Berlin Air Show en 2018, sur l’aérodrome Schönefeld prés de Berlin, alors que l’OTAN et les Etats-Unis faisaient tout ce qui était en leurs pouvoirs pour amener l’Allemagne à choisir l’appareil furtif pour remplacer ses Tornado. En effet, le concepteur de radar allemand Hensoldt profita de cet événement pour tester son nouveau radar passif TwInvis, afin d’en évaluer les performances sur un vaste panel d’appareils. Et comme les concepteurs du TwInvis, non donné au système allemand, s’y attendaient, les deux F35 en provenance de la base aérienne de Luke en Arizona furent détectés et suivis par le système sur prés de 150 km, au point que les autorités américaines décidèrent de garder les appareils au sol durant toute la durée du salon, ne laissant à Hensoldt que le vol retour pour parfaire leurs mesures.
Mis face à l’évidence, le constructeur Lockheed se contenta de répondre que les deux appareils étaient pourvus de lentilles Luneburg, de petits dispositifs implantés sous les ailes pour augmenter la reflectivité radar de l’appareil vis-à-vis des radars d’approche primaires. Mais, comme le fit remarquer à juste titre Hensoldt, ces dispositifs sont efficaces sur des bandes radars traditionnelles, alors que le radar passif fonctionne sur une gamme de fréquence bien plus basse, rendant les lentilles Luneburg, si pas inutiles, en tout cas inefficaces au regard de la masse que représente le F35.
Comme en Grande-Bretagne, Lockheed espérait que Berlin choisirait le F35A pour remplacer ses Tornado
En effet, contrairement à un radar traditionnel, qui émet un rayonnement électromagnétique à une fréquence déterminée et détecte les rayonnements renvoyés lorsque l’onde rencontre un objet, les radars passifs utilisent le rayonnement électromagnétique ambiant d’origine humaine pour créer une carte aérienne du ciel, et détecter les anomalies pour déterminer la présence d’appareils. Les sources de rayonnement peuvent être des émetteurs de télévision, de radio, les antennes GSM, et même, mais dans une moindre mesure, les téléphones mobiles eux-mêmes. Cette technologie présente plusieurs atouts, le premier étant sa capacité à détecter les appareils utilisant les technologies de furtivité actuelles, comme le F22 ou le F35, en raison des bandes de fréquences utilisées, et de la multiplicité des emetteurs. Il s’agit, en quelques sortes, d’une version « de fait » d’une multitude de radars en bande VHF-UHF travaillant en multi statisme.
En second lieu, l’appareil détecté n’a aucune idée qu’il l’a été, puisqu’il évolue dans le « bain électromagnétique ambiant » tout à fait normal pour la zone. Il est, dès lors, aisé d’amener un intercepteur dans la queue de l’appareil visé, sans qu’il ait besoin d’utiliser son radar aérien, et donc sans signaler à la cible qu’il a été pris en chasse, jusqu’au départ d’un éventuel missile. Il est également possible de guider un missile sol-air à proximité de l’avion furtif, pour laisser son autodirecteur, radar ou IR, se charger de l’interception. En effet, toute efficace qu’elle soit, cette technologie n’a pas la précision d’un radar traditionnel de guidage, et ne peut amener le missile jusqu’à l’impact.
Des emetteurs TNT comme celui-ci, ou GSM, sont implantés sur tout le territoire européen, rendant l’utilisation des radars passifs plus que pertinente
Cette technologie à un autre inconvénient, et non des moindres, celui d’être dépendant d’émetteurs non controlés par les forces armées, et donc non « durcis ». Ainsi, en cas de coupure de l’alimentation électrique sur une zone, la grande majorité des emetteurs cesseront d’émettre, soit immédiatement, soit lorsque les générateurs auront consommé tout leur carburant. En conséquence, on ne peut faire reposer la Défense aérienne d’un pays sur cette seule technologie, en dépit de ses nombreux attraits. En revanche, elle se révèle être très efficace pour la surveillance aérienne renforcée en période de paix, ou en période de crise, afin de détecter des intrusions d’appareils furtifs non détectés par le système principal. Cela permettrait, en particulier, d’intercepter des raids d’appareils furtifs voulant mener des frappes préventives ou de première intention.
Cette anecdote taille en pièce, encore un peu davantage, l’aura d’invulnérabilité dont se pare souvent le F35 et sa furtivité. Eu égard aux investissements importants faits dans le monde pour contrer les technologies de furtivité, l’avantage dont dispose aujourd’hui le F35 est amené à s’étioler rapidement, pour ne plus être pertinent au tournant de la décennie 2030. Ceci explique peut-être les changements de positions importants que s’apprête à annoncer l’US Air Force cette semaine, avec le developpement probable d’un nouveau chasseur lourd dans un programme accéléré, et le retour à de « petites » séries d’appareils plus spécialisés, plus récurrentes, et sur des délais bien plus courts, que le F35. Il est d’ailleurs probable que l’objectif de 1700 F35A mis en avant par l’US Air Force pendant prés de 10 ans, soit ramené progressivement à des valeurs plus en cohérence avec le besoin réel d’un tel appareil.
Bien que de nombreux efforts soient déployés des deux cotés du Rhin pour tenter de trouver un Modus Operandi cohérent entre la France, l’Allemagne et l’Espagne autour du programme SCAF, les récents rebondissements et difficultés rencontrées par le programme, essentiellement liés à des questions de politique allemande, risquent de mettre en péril son devenir. Quelles seraient, dans ces conditions, les alternatives pour chacun des acteurs, afin de répondre aux enjeux industriels et opérationnels entourant le SCAF aujourd’hui ?
L’Espagne et le retour aux sources
Le cas de l’Espagne est, de loin, le plus simple. En effet, le pays envisage déjà de s’équiper de F35B pour maintenir une composante aéronavale embarquée et remplacer ses AV8 Matador. Dès lors, l’alternative la plus simple pour Madrid, et la plus probable, serait de rejoindre le programme Tempest, en se calquant sur le modèle Italien et britannique, en s’équipant partiellement de F35 et de Tempest supplémentaires pour remplacer ses F18 et ses Matador. Rappelons que Madrid, à l’instar de Londres, Rome et Berlin, est membre du consortium Eurofighter qui produit le Typhoon. Une autre solution reposerait sur une coopération bilatérale avec la France dans le SCAF, mais elle serait peu probable si l’Allemagne venait à s’en retirer, du fait, notamment, des pressions qui ne manqueraient pas de se produire au siège de l’OTAN. En outre, dans un cas comme celui-ci, le poids relatif de l’Espagne dans le programme serait très inférieur à celui de la France, qui garderait toutes les clés du programme.
En tant que membre d’Eurofighter, l’Espagne pourrait rapidement basculer vers le programme Tempest
L’Allemagne entre sécurité et renoncement
Comme pour l’Espagne, l’hypothèse la plus probable si Berlin venait à se retirer du SCAF serait un basculement vers le programme Tempest, une hypothèse par ailleurs soutenue par de nombreux politiques, industriels et même militaires outre-Rhin. En effet, l’industrie allemande a su, au cours des programmes Tornado et Tempest, developper des relations équilibrées et même favorables avec les industries britanniques et italiennes. Mais les ambitions technologiques de l’Allemagne dans le Tempest ne pourront être au niveau de celles dans le SCAF, de part la présence de plus d’acteurs, et donc d’un poids relatif plus faible dans le programme. On comprend pourquoi cette hypothèse n’a pas les faveurs d’Airbus DS, qui espère faire du SCAF le programme de transition lui permettant de devenir avionneur militaire à part entière dans le domaine des avions de combat. En revanche, Berlin pourrait faire le parie d’un bon technologique important à moindre frais, puisque BAe comme Leonardo, tous deux partenaires du programme F35, ont développé leurs compétences dans des domaines clés comme la furtivité ou la fusion de données. En outre, le calendrier du Tempest, prévu pour entrer en service en 2035, et non 2040 comme le SCAF, pourrait fournir un avantage commercial pour le remplacement des premières générations de Typhoon, notamment en Arabie saoudite.
Contrairement à Madrid, il est peu probable que les autorités allemandes reviennent sur leur décision de ne pas acquérir de F35, tout du moins tant que la coalition actuelle entre la CDU et le SPD reste au pouvoir. En revanche, si le paysage politique allemand venait à évoluer, on peut s’attendre à voir l’OTAN et la Luftwaffe revenir à la charge pour en acquérir quelques escadrons de l’appareil de Lockheed pour remplacer ses Tornado, plutôt que de choisir le Typhoon comme le souhaite le gouvernement actuel.
La Luftwaffe et l’OTAN ne manqueront pas de tenter de replacer le F35A en Allemagne si une nouveau paysage politique venait à émerger
La France face à plusieurs opportunités
La France apparaitrait, de prime abord, comme la grande perdante si l’Allemagne venait à se retirer du programme SCAF. En effet, l’hypothèse de rejoindre le programme Tempest condamnerait des pans entiers de savoir-faire technologiques sur l’autel du partage industriel, bien davantage que pour le SCAF, a propos duquel ce problème avait déjà été soulevé. Il resterait cependant à la France, pour maintenir ses savoir-faire industriels, et son rang opérationnel, 3 solutions loin d’être dénuées d’intérêts :
Le SCAF Solo
La solution la plus évidente serait de developper seule le programme SCAF, dans une rediffusion de ce que furent les programmes Rafale et Typhoon, deux appareils sensiblement similaires tant dans l’aspect que dans les performances, et s’opposant systématiquement dans les quelques compétitions internationales que les Etats-Unis, la Chine et la Russie daigneront laisser aux européens. Si les couts de developpement et de fabrication, qui seraient évidemment plus élevés si la France développait seule le SCAF, seront compensés au niveau du budget de l’Etat par les recettes sociales et fiscales générées[efn_note]Principe de La Défense à Valorisation Positive[/efn_note], le volume restreint d’appareils limitera sensiblement les économies d’échelle sur la production, et donc la compétitivité de l’appareil, comme ses cycles d’évolution.
Le SCAF international
La seconde solution, pour la France, serait d’ouvrir son programme à des pays ne disposant pas d’une BITD majeure en matière de construction aéronautique, de sorte à créer un pool de partenaires et compenser le départ de l’Allemagne. En dehors de l’Espagne, des pays comme la Grèce, la Suisse et la Finlande peuvent être envisagés en Europe, ainsi que la Belgique, même si cette dernière a fait le choix du F35. D’autres pays, notamment asiatiques, sud-américains ou du Moyen-Orient, pourraient avoir intérêt à rejoindre le programme, comme la Malaisie, le Brésil et les Emirats Arabes Unis. A l’instar du F35, le SCAF deviendrait dès lors non pas un programme multi-national mais international, rassemblant un nombre important d’acteurs agissant comme proxy dans leur sphère d’influence. L’industrie française conserverait une part très importante du programme en matière d’étude et de recherche, les partenaires ayant principalement un intérêt à developper des compétences industrielles de production.
La France pourrait inviter d’autres acteurs, moins prédominant que l’Allemagne, et plus complémentaires en matière commerciale, pour maintenir le développement du programme SCAF
Un des avantages d’une telle approche, est qu’elle peut s’établir dynamiquement, sans accords ab initio entre tous les acteurs. Ainsi, la France pourrait démarrer seule le programme, et incorporer les partenaires industriels étrangers de manière dynamique dans le temps, selon un modèle préalablement établi et pondéré, à l’instar de ce qui fut fait autour du programme NEURON. En procédant ainsi, le programme n’aurait pas à subir de retard, du à des négociations difficiles. En outre, le volume d’appareils serait plus important, et chaque acteur pourrait agir dans sa sphère d’influence pour promouvoir l’offre, plutôt que de devoir se chevaucher sur des sphères qui se superposent, augmentant le nombre probable de ventes à l’exportation.
Le SCAF étendu
Troisième et dernière solution, la France pourrait décider de concevoir un appareil complémentaire au Tempest, tout en rejoignant le programme européen. Dans cette hypothèse, la BITD participerait, à un niveau cohérent avec le partage industriel entre les acteurs, à un programme SCAF/Tempest fusionné, et développerait, parallèlement, ou légèrement en amont, un appareil de 5eme génération avancé monomoteur léger, destiné aussi bien à valoriser le savoir faire français dans ce domaine depuis l’avènement des mirage, qu’à étendre considérablement le marché adressable à l’export par l’offre française, qui disposera de deux appareils différents dans sa gamme.
Un appareil léger monomoteur de 5eme génération conçu par la France pourrait rapidement remporter un important succès sur la scène internationale, comme le Mirage III, F1 et 2000 avant lui
En procédant ainsi, la BITD française maintiendrait l’intégralité des compétences nécessaires à la conception d’un avion de combat, alors que, parallèlement, les BITD européennes se seront enfermées dans un modèle collaboratif interdisant toute initiative individuelle. En outre, la France retrouverait une partie du marché perdu depuis la fin de la chaine mirage 2000, et aujourd’hui captif du F16V, malgré les efforts suédois. Car si le Rafale n’est pas à la portée de toutes les bourses, mêmes pour de nombreux pays européens, le SCAF/Tempest le sera encore moins, tant le programme se veut ambitieux. Avec un appareil léger de 5ème génération, plus abouti et mieux conçu que le F35, mais d’un niveau supérieur vis-à-vis des K-FX, T-FX et autres J10D, la BITD française pourrait retrouver ce qui fit son succès pendant les années 60, 70 et 80.
Conclusion
On le voit, chaque pays dispose d’un ou plusieurs plans B, si le SCAF dans son format actuel venait à se retrouver dans une impasse. C’est peut-être, d’ailleurs, une des causes des difficultés actuelles, car il est clair que certains oeuvrent ouvertement pour privilégier ces plans B, plutôt que de chercher à solutionner les entraves au plan principal. Il n’en demeure pas moins que les formats actuels des programmes SCAF et Tempest tendent à générer eux-mêmes des divergences et des difficultés, tant les ambitions exprimées au niveau industriel divergent des réalités négociées. On ne peut que regretter, dès lors, la rigidité des modèles tant au niveau industriel, militaire et politique, qui empêche l’ensemble des acteurs des deux programmes de concevoir une approche cohérente et efficace, à tous les niveaux, comme par exemple le principe du Scaf étendu.
On peut se demander toutefois si, en France notamment, cette myopie n’est pas volontaire, et conditionnée par la crainte de voir le politique se précipiter vers le developpement d’un appareil plus léger et plus économique, au détriment d’un appareil bimoteur moyen, comme ce fut le cas lorsque l’Industrie aéronautique française et l’Armée de l’Air décidèrent de fermer la chaine de production de mirage2000 pour ne pas risquer de voir les commandes nationales de Rafale diminuer (ce qui arriva tout de même plus tard). L’utilisation raisonnée de la démonstration du retour budgétaire de l’investissement de Défense de la doctrine Défense à Valorisation Positive, et l’analyse objective des évolutions des menace et de la pression opérationnelle, devraient toutefois permettre d’éviter des décisions politiques hâtives et malencontreuses, tout en préservant les bénéfices de cette approche originale et performante.