Jusqu’ou ira le président américain Donald Trump pour tenter de rattraper son retard dans les sondages en vue de la présidentielle du 3 novembre 2020 ? On peut raisonnablement se poser la question, aux vues des dernières déclarations faites par le locataire de la Maison Blanche, visiblement prêt à tout pour glaner de nouvelles voies sans autre vision que les élections elles-mêmes. Ainsi, après avoir jouer la carte de l’Amérique blanche conservatrice en n’hésitant pas à flirter avec des positions ouvertement racistes, voilà qu’il s’en prend directement aux officiers généraux du Pentagone, en les accusant de subornation aux grandes entreprises de Défense US, et de mener des guerres aux seuls profits de celles-ci.
Donald Trump pense ainsi répondre à la polémique croissante le concernant suite à la publication d’un article par le quotidien « The Atlantic » révélant que le président américain avait à plusieurs reprises déclaré que les soldats américains morts au combat, ou fait prisonniers, étaient en fait des « Perdants » et les qualifiants de « Suckers » (à vous de trouver la traduction qui convient le mieux à cette insulte), créant un vaste mouvement d’indignation de la part des militaires américains. De fait, perdu pour perdu, Donald Trump tente de surfer sur l’ensemble des adeptes de la théorie du complexe militaro-industriel, et qui se referent à la mise en garde du président Eisenhower lors de sa dernière allocution en temps que président.
Il faut noter que le Président Eisenhower n’avait jamais commis l’erreur de mettre en cause les officiers généraux du Pentagone et des Armées américaines, et ce en dépit d’une légitimité sur le sujet que le président américain actuel est loin de détenir, et surtout d’un contexte bien plus problématique, avec par exemple le général de l’US Air Force Curtiss Lemay, commandant le Stratégic Air Command, qui exprimait régulièrement des positions en totale contradiction avec les positions présidentielles. Eisenhower savait, en effet, qu’il était indispensable de maintenir un lien fort et indéfectible entre l’opinion publique et les armées américaines, en cette période de guerre froide et de courses aux armements.
Cette notion stratégique a visiblement totalement échappé au président américain, en dépit d’un contexte internationale qui se rapproche chaque jour davantage de celui qui avait cours dans les années 50. Les tensions croissantes avec Pékin, liées en partie aux tentatives du président américain d’imposer sa volonté à son principal créancier, mais également avec le Venezuela qui prévoit d’acquérir des missiles balistiques russes ou chinois, avec la Corée du Nord dont le dirigeant refuse désormais de rencontrer Donald Trump, ainsi que les relations de plus en plus tendues entre l’OTAN et la Russie, sont autant de crises qui menacent potentiellement la paix mondiale, et qui engendrent un contexte sécuritaire global très dégradé.
Toutefois, force est de reconnaitre que le Pentagone a, de son coté, largement prêté le flanc à ce type de critique, ne se doutant pas, ceci dit, qu’elles puissent venir d’un président en exercice. Non pas que les militaires agissent pour mener des guerres, ils n’en ont ni le pouvoir constitutionnel, qui revient uniquement au Président et au Congrès américain, ni même la volonté; mais ils ont largement contribué, ces trois dernières décennies, à enrichir les actionnaires des grandes entreprises de Défense US, grâce au plus important budget de défense de la planète représentant, à lui seul, 35% des dépenses mondiales de défense, sans pour autant être aujourd’hui en mesure d’obtenir l’ascendant militaire sur des pays comme la Chine ou la Russie, en encore moins contre une alliance des deux.
Les programmes hors budgets ou annulés du Pentagone ont en effet représenté, à eux seuls, l’équivalent des dépenses militaires britanniques, françaises, et allemandes cumulées sur les 30 dernières années. Parmi les programmes symboliques de cet gabegie budgétaire, outre le F35 Joint Strike Fighter de l’US Air Force, figurent les programmes de corvette Littoral Combat Ship, de sous-marins Sea Wolf et de destroyers lourds Zumwalt de l’US Navy, ainsi que le programme RAH-66 Comanche ou le programme FCS visant à remplacer les M2/3 Bradley de l’US Army. Malgré les centaines de milliards de dollar dépensés par les armées entre 1995 et 2020 en matière de programme d’équipements, les armées américaines disposent aujourd’hui, dans les faits, en grande majorité d’équipements conçus initialement dans les années 70 et 80 pour équiper leurs forces : avions F15, F16 et F18 ; destroyers A.Burkes , sous-marins Los Angeles et porte-avions Nimitz ; hélicoptères Apache et Black Hawk ; chars Abrams, VCI Bradley, canons automoteurs M109 ; système anti-aériens Patriot et SM2/3…

Dans le même temps, l’action de Lockheed-Martin, principal fournisseur du Pentagone, a vu son cours multiplié par 8 en 20 ans, passant de 50$ à prés de 400$, celles de Boeing et de United technologies (Raytheon) ayant connu la même croissance sur la même durée, mais ayant subi une forte dévaluation ces derniers mois entre les effets de la crise COVID et de celle du Boeing 737 Max, limitant leurs progression respectivement à 300% et 400%. Difficile, dans ces conditions, de ne pas lier cette croissance aux dépenses inconsidérées du Pentagone ces dernières décennies.
Reste que Donald Trump semble aujourd’hui jouer aux apprentis sorciers, manipulant des sujets qui visiblement le dépassent, et basant toute sa stratégie sur le clivage et même l’opposition entre américains. Stratégie qui ne semble guère efficace, puisque l’écart ne cesse de se creuser dans les différents sondages d’opinion face à son rival démocrate Joe Biden, ce dernier étant le plus souvent crédité de 10 points d’avance sur le président en exercice. Mais même dans l’hypothèse probable d’une défaite de Donald Trump en novembre prochain, le Pentagone ne pourra faire l’économie d’une remise en question profonde de sa façon de concevoir et piloter ses programmes d’équipement, ainsi que d’une restructuration intégrale des centres de couts exorbitants qui évaporent chaque années des dizaines de milliards de dollar dans ses couloirs. Cette démarche sera, en effet, indispensable non seulement pour re-tisser le lien avec l’opinion publique américaine qui aura été fortement ébranlée par cette campagne présidentielle, mais également pour espérer contre-balancer la montée en puissance militaire chinoise dans les années à venir.













