Avant même la première allocution du Président de la République en lien avec l’épidémie actuelle de coronavirus, le 12 mars dernier, des rumeurs concernant les forces armées circulaient déjà dans les sphères complotistes. Elles cherchaient à expliquer les liens soi-disant évidents entre l’épidémie qui débutait alors en Chine ou en Italie et l’implication de l’armée, si possible américaine pour plus de sensationnalisme.
Depuis quelques jours, en France, certaines de ces rumeurs ont trouvé un certain écho et une caisse de résonnance sur l’ensemble des réseaux sociaux, de Twitter à Facebook en passant par WhatsApp. D’autres sont également subitement apparues en détournant des faits et des photos –généralement non-sourcés– pour instiller le doute et la confusion vis-à-vis des consignes officielles transmises par le gouvernement français ou encore l’OMS.
La France n’est d’ailleurs pas le seul pays concerné par des rumeurs infondées qui participent à créer un climat de désinformation, de défiance et de panique. Ainsi, en Ecosse, une rumeur circule abondamment sur l’application de messagerie WhatsApp et prétend que l’armée britannique établit des bases secrètes, de nuit, autour de Glasgow afin de confiner la ville prochainement. Une manœuvre matériellement, humainement et organiquement impossible à réaliser, mais qui a quand même poussé la British Army à émettre un démenti.
Au cœur de nombreuses rumeurs, en France et ailleurs en Europe, les armées sont alors accusées d’être déployées massivement afin de préparer de sombres missions :
- Imposer par la force confinements et couvre-feux,
- Lutter contre des pillages (que certains semblent juger inévitables),
- Empêcher toute circulation depuis ou vers certaines zones, en particulier l’Île de France,
- Faire respecter une loi martiale dont l’annonce est imminente voire, pour les plus « enthousiastes », soutenir un coup d’état à venir…
Toujours, on n’y retrouve soit la peur de voir les armées (ou « l’Armée », aussi inexact que puisse être ce concept) prendre le pouvoir, éventuellement au profit des autorités politiques en place, soit la preuve que la situation sanitaire et sécuritaire est en train de dégénérer. De quoi pousser de plus en plus de gens à la panique et contribuer, petit à petit, à un réel climat d’insécurité et de défiance vis-à-vis des autorités.
Enfin, certaines rumeurs persistantes depuis le mois de janvier dans la sphère complotiste se répandent aujourd’hui dans les réseaux sociaux. Comme pour chaque épidémie, le coronavirus est accusé d’être une arme biologique créé par bioingénierie, ou une excuse destinée à permettre à des laboratoires militaires de faire fortune en commercialisant un vaccin (sic), alors même que ces derniers participent activement à trouver une solution au problème.
Revenons ainsi sur certaines des rumeurs les plus répandues de ces derniers jours. En premier lieu, on notera la peur d’une mobilisation générale –ou plus exactement la peur de ce que cela impliquerait– qui court depuis dimanche et la publication au Journal Officiel d’un décret relatif à l’affectation temporaire des militaires. Pourtant, ce texte n’aurait rien d’extraordinaire et sa publication était prévue de longue date. D’après le Ministère des Armées, il s’agirait d’un texte précisant la situation administrative des militaires qui servent temporairement en dehors du Ministère des Armées. De fait, les détachements de personnels militaires auprès d’autres administrations ou organismes publics ou d’utilité publique ne sont pas rares. Et même si ce texte pourrait théoriquement contribuer à faciliter la mise à disposition de personnels soignants militaires (docteurs, infirmiers, etc.) auprès des hôpitaux publics, il ne s’agit en aucun cas d’un ordre de mobilisation générale.
L’autre grande rumeur de ces derniers jours concerne le déploiement de troupes dans et autour des principales villes de France, toujours appuyée par les mêmes photos, à peu de choses près. La moindre image de blindés sur un train ou un camion de transport, le moindre 4×4 militaire circulant en ville ou le moindre convoi routier croisé sur l’autoroute devient pour beaucoup la « preuve » supplémentaire d’un déploiement en cours ou immédiat des forces armées face aux populations civiles. Pour les observateurs de l’actualité défense, ce genre de rumeurs n’est en rien une nouveauté, et elles avaient déjà pu circuler très largement au début de la crise des gilets jaunes.
En réalité, de tels mouvements logistiques sont quotidiens sur les routes de France, à tel point qu’on ne les remarque habituellement pas. Evidemment, dans une situation tendue de confinement, et au regard des mesures bien plus extrêmes qui ont pu être prises en Italie ou en Chine, on comprend que le moindre « signal » allant dans le sens de ses croyances soit repéré, interprété et partagé par certains individus peu au fait de la chose militaire. Pour rappel, le respect des mesures de confinement actuellement en place sera assuré par près de 100.000 policiers et gendarmes répartis sur tout le territoire national. C’est, littéralement, dix fois plus que ce que l’opération Sentinelle est à même de déployer au plus fort de son activité, réserve de 3000 hommes comprise. Or, l’opération Sentinelle est régulièrement critiquée par les analystes et les militaires pour la pression énorme qu’elle impose sur les effectifs des armées françaises.
Pour l’heure, loin de contrôler les populations et de museler les libertés individuelles, les forces armées permettent au contraire de renforcer les dispositifs publics les plus fragiles et de palier, quand elles le peuvent, à la saturation des services étatiques submergés par l’épidémie de coronavirus. Concrètement, le principal « fait d’arme » des Armées contre le coronavirus, pour l’instant, a été le déploiement d’un hôpital militaire de campagne à côté de l’hôpital de Mulhouse, en Alsace. Les avions de transport et de ravitaillement KC-135 et A330MRTT de l’Armée de l’Air ont également été mis à profit pour transporter certains patients des hôpitaux les plus surchargés, encore une fois dans l’Est de la France, vers des établissements d’autres régions mieux à même de les accueillir. Cela a été possible grâce aux kits d’évacuation sanitaire Morphée pouvant être installés dans ces appareils. Enfin, il convient également de saluer l’engagement des personnels soignants du Service de Santé des Armées déjà intégrés au quotidien au sein de certains hôpitaux publics. C’est notamment le cas à Lyon, où les équipes médicales de l’Hôpital d’Instruction des Armées Desgenettes et celles des Hospices Civils de Lyon à l’hôpital Edouard Herriot travaillent déjà depuis des années de manière pleinement intégrée.
Au final, loin de servir de poing armé au service d’une hypothétique loi martiale, les forces armées françaises permettent pour l’heure d’amortir en partie certaines insuffisances des services publics. Ces dernières années, l’hôpital public, en France, a connu de drastiques réductions de moyens et de personnels, conduisant à une gestion à flux tendu des malades et de leur accueil. Comme on le voit aujourd’hui, une telle situation est absolument incompatible avec la gestion d’une crise sanitaire majeure, qui demande avant tout des stocks, de la résilience et de l’anticipation. A bien des égards, la situation que connaissent les hôpitaux n’est pas sans évoquer les tensions que subissent également les forces armées françaises, à qui on demande au quotidien de faire toujours plus avec moins de moyens et moins d’hommes. Et qui ne dispose de quasiment aucune marge de manœuvre pour affronter une situation de crise majeur.
Pour l’heure, le Service de Santé des Armées dispose de moyens matériels et de ressources humaines permettant de combler –en partie seulement– les carences du système hospitalier public. Hier soir, le Ministère a ainsi annoncé avoir livré cinq millions de masques chirurgicaux, qui font cruellement défaut, et la DGA « travaille d’arrache-pied pour tester toutes sortes de masques qui pourraient constituer des alternatives », d’après la Ministre Florence Parly. Dans les jours qui viennent, cependant, les moyens militaires pourraient bien être réquisitionnés pour lutter contre le coronavirus ailleurs que dans les hôpitaux métropolitains. Des épidémies pourraient ainsi se propager au sein des navires et des bases militaires, même si les populations militaires, jeunes et en bonne santé, ne semblent pas présenter de risques. Mais c’est surtout la situation au-delà du territoire métropolitain qui inquiète beaucoup. Des cas de coronavirus ont ainsi été signalés dans plusieurs territoires d’Outre-Mer. Or, les infrastructures hospitalières y sont encore moins préparées qu’en métropole, et tout ravitaillement devra passer par voie aérienne ou maritime. Ainsi, à Mayotte, où les conditions sanitaires sont critiques pour plus de la moitié de la population, le seul hôpital de l’île ne dispose que d’une douzaine de lits de réanimation qui devraient tous être occupés d’ici quelques jours à peine. Or, dans un contexte de pandémie, pas question de chercher une aide à La Réunion, qui devra gérer ses propres cas. Le déploiement de navires dotés de capacités hospitalières, comme les porte-hélicoptères, ou l’utilisation des MRTT avec kits Morphée, pourraient alors être utilisés en priorité pour la gestion de la situation outre-mer, très rapidement.









