Malgré l’insuccès de son Combat Reconnaissance Armoured Buggy, ou CRAB, présenté au salon Eurosatory 2012 comme un potentiel remplaçant du VBL, probablement trop en avance vis-à-vis des besoins des armées, Arquus, qui a repris la marque Panhard en 2012, a continué à travailler son concept de véhicule blindé léger à haute performance. Les travaux concernant le Scarabée, successeur désigné du CRAB, ont débuté en 2017, et le prototype fut présenté au salon Eurosatory en 2018, créant le même intérêt que le CRAB 6 ans auparavant de la part des visiteurs et de la presse, mais ne parvenant pas à amener le Ministère des Armées à s’y intéresser de plus prêt, alors que le remplacement des VBL actuellement en service ne doit pas intervenir avant la prochaine LPM, en 2026.
Des performances de haut niveau
Le Scarabée impressionne par son design futuriste, proche de celui du CRAB, et qui n’est pas sans rappeler celui de la voiture conduite par Batman dans « The Dark Knight ». Mais au delà du design, ce sont les performances du véhicule qui tranchent avec la génération précédente de blindé léger. Avec un moteur de 330 Cv hybride, le Scarabée dispose en effet d’un rapport puissance/poids de 38 Cv par tonne, lui conférant une vitesse de pointe de plus de 90 km/h, 70 Km/h en tout terrain. Surtout, les capacités de franchissement du blindé léger sont exceptionnelles pour un véhicule de ce gabarit, égalant celle du VBCI pourtant réputé très agile.
D’une masse à vide de seulement 7 tonnes, et d’une masse au combat de 9 tonnes, il est en effet beaucoup plus léger que les véhicules blindés « légers » sur le marché ou en conception aujourd’hui, qui affichent dans leur immense majorité plus de 11 tonnes sur la balance. Si le prototype présente un tourelleau armé d’une mitrailleuse de 7,62mm télé-opérée, le centre de gravité bas, et la charge utile de 2 tonnes du véhicule, autorisent la mise en oeuvre d’une mitrailleuse lourde de 12,7 mm, voir un canon de 20 ou 25mm. Selon Arquus, il serait possible d’y installer un canon de 40mm, mais les chances de voir un Scarabée équipé d’une telle puissance de feu sont tout de même extrêmement faibles.
Des innovations conceptuelles en série
En tant que concepteur et constructeur du VBL, du PVP, du VAB et de l’ERC90, Arquus a acquis une expérience sans comparaison concernant l’emploi des blindés légers en opération de combat. En effet, depuis le milieux des années 80, ces véhicules ont été de toutes les opérations exterieures et des opérations inter-alliées des forces françaises, de la Guerre du Golfe au Kosovo, de la Cote d’Ivoires à l’Afghanistan, du Mali à la Syrie, sans oublier les opérations de l’OTAN dans les Pays Baltes et en Méditerranées. Le Scarabée fait la synthèse de ces dizaines de milliers d’heures d’opérations de combat cumulées par ses véhicules à l’occasion de ces engagements par les forces françaises.
Car, ne nous y trompons pas, le Scarabée est l’archétype du blindé français, léger, très mobile, fonctionnel, à la maintenance simplifiée. La Mobilité a fait l’objet d’un soin particulier, avec les 4 roues directrices autonomes, comme sur le CRAB, permettant au blindé de faire un demi-tour sur moins de 5 mètres, ou de se déplacer en diagonale.
Le moteur hybride rechargeable offre plusieurs options remarquables, outre le regain de puissance traditionnel lorsque c’est nécessaire. Ainsi, le pilote peut choisir ce mode pour accroitre sa discrétion acoustique, permettant une approche furtive d’un objectif par exemple. En outre, les batteries permettent d’alimenter l’ensemble des systèmes du véhicule moteur arrêté, en particulier les systèmes d’information et la climatisation. Une fonctionnalité très appréciable en zone chaude.
L’accessibilité et le pilotage ont également fait l’objet d’un soin particulier, avec une configuration 1+3, offrant au pilote en position avant centrale une vue panoramique sur 270° autour du blindé. En outre, les portes coulissantes permettent un accès au véhicule en espace confiné, comme dans la soute d’un avion de transport, le Scarabée étant, bien évidemment, aéro-transportable, et aéro-largable. La protection de l’équipage est modulaire, pouvant aller du Stanag 2 au 4. En outre, le blindé est prêt pour Scorpion, disposant des câblages et de la puissance électrique suffisante pour intégrer les différents éléments du système de communication et de commandement français.
Bien évidemment, le tableau ne serait pas complet, ni actuel, sans une bonne dose d’Intelligence artificielle, permettant au véhicule de déterminer et suivre un itinéraire de façon autonome, que le pilote soit ou non à bord. En outre, les modules, y compris la tourelle télé-opérée, sont controlée à distance par le pilote, ouvrant de nombreuses options tactiques. A ce titre, Arquus développe une remorque autonome, disposant de son propre moteur et de ses propres batteries, pouvant servir en mode remorque pour accroitre la capacité d’emport et de puissance électrique disponible, ainsi que de manière autonome, avec des fonctionnalités de déplacements autonome et de contrôle à distance comparables à celle du blindé. L’industriel aurait en effet développé un véritable savoir faire en matière de recherche d’itinéraire en mode tout-terrain, et de pilotage autonome tout-terrain, avec ou sans l’assistance d’un drone de situation.
Bien plus qu’un démonstrateur
Initialement conçu comme un démonstrateur, le Scarabée a largement dépassé ce stade aujourd’hui, sous les efforts conjugués d’Arquus et des ses sous-traitant. Ainsi, l’industriel assure que les besoins en terme d’études pour passer du démonstrateur au prototype, puis au véhicule de série, seraient limités, en terme de délais comme de cout. Le blindé a été conçu dans l’optique de respecter le concept du VBAE, le Véhicule Blindé d’Aide à l’Engagement, sensé remplacer le VBL dans la seconde moitié de la décennie 2020. De fait, la conception de prototypes reprenant les missions du VBL serait extrêmement réduite.
Mais le Scarabée n’est pas qu’un simple successeur au VBL, il en étend considérablement le potentiel. Plus lourd, beaucoup plus puissant, il peut de fait recevoir une charge d’équipements plus importante, de sorte à le doter de moyens de communication, ou de capacité de feu, bien supérieure à ce dernier. On peut aisément imaginer une version SHORAD du Scarabée équipée de missiles Mistral et d’un canon de 20 ou 30 mm, comme on peut y intégrer des équipements de brouillage et de guerre électronique pouvant être portés au plus prêt du dispositif adverse. Les capacités de deplacement autonome de la remorque et du blindé prennent, dans ce domaine, beaucoup de sens. Le blindé peut également être configuré en version de lutte antichar, avec une tourelle de missiles MMP, et des drones de localisation des cibles, ou encore en mortier automoteur léger, pour mettre en oeuvre un mortier automatique de 81mm au plus prêt de l’engagement.
Quel marché pour le Arquus Scarabée ?
Pour Arquus, le Scarabée se positionne sur deux marchés principaux : le remplacement des VBL en services dans 15 armées dans le monde, et compléter la gamme de véhicules SCORPION, pour la France, mais également la Belgique au sein du programme CaMo. Bien évidemment, le marché français reste déterminant; avec plus de 1400 VBL en service, l’Armée de terre reste le client privilégié de l’industriel. D’autant que le blindé est, à l’exception du moteur actuellement utilisé, intégralement composé de pièces fabriquées en France, offrant de fait un excellent taux de retour budgétaire en cas de commande. De plus, étant donné les progrès réalisés par l’industrie automobile française ces dernières années en matière de moteurs hybrides et rechargeables, Arquus ne doute pas de pouvoir produire un véhicule intégralement conçu et construit au niveau national. Rappelons que, dans ce cas, le retour budgétaire pour l’Etat représente plus de 140% des montants investis, hors exportation.

Selon Arquus, plusieurs armées étrangères ont déjà signifié leur intérêt pour le blindé, avec des besoins antérieurs à 2026 et le lancement du programme VBAE en France. Toutefois, le groupe européen espère convaincre l’Hotel de Brienne (le Ministère de Armées) d’accélérer cette procédure, de sorte à bénéficier d’une base installée dans l’Armée française, un atout essentiel pour l’exportation. En outre, si le prototype devait être conçu à la demande d’une armée étrangère, le standard pourrait s’éloigner de l’ADN du programme VBAE pour lequel le Scarabée fut conçu. Car le potentiel à l’exportation d’un Scarabée en service dans l’Armée de terre serait, à n’en point douté, remarquable. Il est en effet suffisamment différencié, notamment en terme de masse et de mobilité, de ses concurrents existant et en developpement, avec des arguments forts à faire valoir pour emporter la décision, en Europe comme dans le Monde. Sa grande mobilité, son apport tactique et technologique, et sa puissance de feu potentielle, en font en effet un excellent atout opérationnel, tant pour contrer les menaces hybrides que dans le cadre d’engagements de haute intensité.
Conclusion
La technologie française a bien souvent été précurseur en matière d’équipements de Défense, que ce soit dans l’aéronautique, dans le naval et dans les armements terrestres. Malheureusement, il arrive également bien souvent que ces innovations restent dans les cartons avant d’être mises en oeuvre, faisant perdre l’avantage technologique, opérationnel et commercial que ces avancées apportaient. Nous rencontrons aujourd’hui ces exemples avec le concept SMX31 de Naval Group, l’hélicoptère Racer d’Airbus H., ou encore le Neuron de Dassault Aviation. Le Scarabée, en tant qu’héritier du VBL et qu’aboutissement du CRAB, entre dans cette catégorie de potentiels qui restent à réaliser.
Nul doute que le besoin opérationnel, au niveau de l’Armée de terre, pour un véhicule de cet acabit, existe. Il ne manque, comme toujours, que le budget pour lancer le programme. Or, tant que le ministère de Armée, et celui du Budget, continueront à ne percevoir que l’unique aspect « Dépense » dans la construction du budget, et dans les arbitrages menés, ce cycle mortifère d’occasions ratées ne pourra cesser, au détriment des forces armées, mais également de l’économie et de l’emploi au niveau national. Alors que tous les Etats dépensent des milliards de dollar pour tenter d’acquérir ces technologies et ces savoir-faire qu’Arquus, Airbus, Dassault, MBDA, Naval Group, Nexter, Safran et Thales possèdent, nous les observons avec un certain dédain, enfermés dans une pensée rigide et sclérosée, ne souffrant aucune contestation, même face à l’évidence. En faisant ainsi, nous pavons la voie de notre propre déclassement.



