Il y a quelques jours, des clichés montrant des traces sombres sur le pont du futur troisième porte-avions de la marine chinoise, le porte-avions Fujian, en cours de finition aux chantiers navals de Jiangnan de Shanghai, commencèrent à circuler sur les réseaux sociaux et dans les sphères défense.
Pour plusieurs observateurs, ces traces étaient des fissures apparues sur le pont d’envol, comme il semblerait que d’autres étaient apparues sur le pont du premier porte-avions chinois, le Liaoning, lors de sa construction.
Comme souvent, cette interprétation spectaculaire s’est répandue comme une trainée d’huile sur les réseaux, et fut même reprise par certains sites spécialisés, ouvrant la voie, par capillarité, à des conclusions concernant la qualité des constructions navales chinoises, et donc de sa flotte dans les années à venir. Malheureusement, il semble qu’il ne s’agissait que de cela, des trainées d’huile sur le pont d’envol.
Les marques apparues sur le pont d’envol du Fujian ont été interprétées, à tort, comme des fissures.
Or, les clichés allant du 8 septembre 2022 et du 23 avril 2023, ne montraient aucune apparition de fissure, alors que les clichés postérieurs au 15 mai, ne montrent quant à eux aucun signe qu’une quelconque réparation ait été entreprise pour les éliminer.
En outre, le navire étant à quai par tribord, il est probable qu’il enregistre une très légère gite vers bâbord, ceci expliquant qu’une fuite de liquide, huile ou autre, survenue coté tribord, se soit répartie sur le pont vers bâbord, avant que la fuite ait été stoppée, et le pont nettoyé.
Selon les analystes du CSIS, la production et la diffusion de ce type d’information et d’interprétation, s’avère au final des plus contre-productives, en confortant l’idée que les équipements chinois seraient de moindre qualité, de sorte à minimiser le challenge posé par la montée en puissance des armées, mais également de l’industrie de défense chinoise.
Le porte-avions Shandong comme son sister-ship le Liaoning, ont participé à de nombreux exercices et déploiements ces derniers mois
Au contraire, la construction du Fujian semble suivre une trajectoire maitrisée, le navire devant probablement effectuer ses premiers essais à la mer dans les mois à venir. Bien plus imposant que les deux premiers porte-avions chinois, le Fujian est également doté de catapultes électromagnétiques et de brins d’arrêt, technologies à l’œuvre uniquement sur les navires américains et français jusqu’ici.
Dans le même temps, les porte-avions Liaoning et Shandong déjà en service, ainsi que leur escorte et leur groupe aérien embarqué respectifs, font montre d’une fiabilité notable au regard des nombreux exercices auxquels ils ont participé ces derniers mois, ceci ne laissant présager d’aucun problème particulier dans ce domaine, bien au contraire.
Ce biais qui tend à surestimer l’efficacité des équipements occidentaux face aux matériels chinois, se retrouve d’ailleurs fréquemment dans les sujets consacrés à l’analyse des performances des matériels russes en Ukraine. S’il est vrai que les armées ukrainiennes se sont montrées, jusqu’ici, souvent plus efficaces que les troupes russes, attribuer cette efficacité relative à une éventuelle supériorité de l’ensemble des matériels transférés par les occidentaux, s’avère la plupart du temps exagéré.
Bien que les progrès de l’Armée Populaire de Libération aient été très importants ces deux dernières décennies, et qu’ils sont désormais pris très au sérieux par les stratèges occidentaux, notamment outre-Atlantique, la puissance nucléaire chinoise et leur système d’arme stratégique n’ont, jusqu’ici, jamais été perçus comme une composante critique des équilibres mondiaux dans ce domaine.
Il est vrai qu’avec moins de 300 têtes en service jusqu’il y a peu, mises en œuvre par des missiles balistiques ICBM DF-4 et 5 sensiblement moins évolués que les Minutemann III américains et les Yars russes.
C’est aussi le cas des bombardiers stratégiques H-6 dérivés du Tu-16 soviétique, et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins Type 09IV réputés moins discrets que leurs homologues russes, américains, britanniques ou français, la menace chinoise était, jusqu’ici, bien moindre que celle posée par Moscou.
Ce statu quo hérité de la Guerre Froide, est pourtant en phase de transformation rapide. D’une part, les nouveaux ICBM DF-41 chinois à carburant solide n’ont plus guère à envier aux modèles contemporains, alors que Pékin aurait entrepris, selon des observations satellites, la construction de 3 sites qui pourront accueillir jusqu’à 300 de ces missiles, pour se rapprocher des 399 Minutemann III en service aux Etats-Unis.
Le missile balistique intercontinental ICBM DF-41 offre des performances comparables à celles du Yars russe
Dans le domaine de l’aviation stratégique, la société Xian développerait activement le bombardier H-20 qui se veut la réponse de Pékin au B-21 Raider américain. Enfin, une nouvelle classe de SNLE chinois, désignée Type 09VI, serait en construction, et serait capable de mettre en œuvre le nouveau missile balistique à changement de milieux SLBM JL-3.
Si cette trajectoire doit permettre à Pékin de se mettre au niveau de Washington et Moscou, en capacités comme en volume, les ingénieurs chinois développeraient surtout un nouveau système d’arme stratégique susceptible, selon les spécialistes du Bulletin of the Atomic Scientists, de profondément bouleverser le rapport de force mondial dans ce domaine.
Rappelons qu’en 2021, une fusée Long March 2C chinoise a mis en orbite ce qui s’apparente à un système de bombardement fractionné (SBF), un véhicule spatial capable de suivre une trajectoire orbitale avant de provoquer une entrée atmosphérique pour délivrer une charge offensive, potentiellement nucléaire. En soi, bien qu’ayant pris au dépourvu les observateurs et services de renseignements occidentaux, cette annonce n’avait pas de quoi alarmer outre mesure.
Le système de bombardement orbital fractionné chinois a été mis en orbite par une fusée Long March 2C comme celle-ci
Expérimentés par l’Union Soviétique dans les années 80, les systèmes de bombardement fractionné souffrent, en effet, d’un important manque de précision, en faisant une arme certes rapide à déployer et difficile à détecter par les systèmes anti-balistiques qui scrutent le ciel aujourd’hui, mais inadaptée à des frappes stratégiques.
Et pour cause : le planeur hypersonique corrige le principal défaut du SBF, son manque de précision, par sa capacité de manœuvre lui permettant de compenser les imprécisions du système. De fait, le système résultant cumule la vitesse et l’imprévisibilité du SBF, avec la précision et la capacité à déjouer les défenses anti-balistiques du planeur hypersonique, pour donner naissance à ce que l’on peut qualifier de système d’arme stratégique ultime du moment.
Le planeur hypersonique permet de corriger le défaut de précision du SBF
En effet, un tel système serait en mesure de frapper à l’aide d’une charge nucléaire une cible partout sur la planète avec une grande précision, tout en déjouant les systèmes de détection existants et les systèmes d’interception qui protègent les grandes puissances, plus particulièrement la Russie et les Etats-Unis.
Surtout, il faudrait moins de 10 minutes pour y parvenir, à partir du moment où l’ordre serait donné, soit un délai très inférieur à ceux actuellement pris en compte pour déclencher les ripostes et protéger les cibles prioritaires.
Dit autrement, ce nouveau système stratégique, en cours d’expérimentation en Chine, constituerait un système de première frappe très efficace, susceptible de décapiter l’adversaire avant qu’il ne puisse donner l’ordre de frappe à ses propres capacités de riposte.
Il induirait dès lors un très dangereux déséquilibre dans le rapport de force stratégique mondial, y compris pour les pays dotés d’une flotte stratégique sous-marine censée conférer la garantie ultime de destruction mutuelle à l’adversaire, et ainsi prévenir tout aventurisme dans ce domaine.
Le problème est d’autant plus important que Russie comme Etats-Unis n’ont pas entrepris, jusqu’ici, de tels développements, en partie en raison de l’interdiction de la militarisation de l’Espace et, plus spécifiquement, du développement de systèmes de bombardement fractionné, stipulés dans les accords SALT III, mais qui ne concernaient que Washington et Moscou.
Dans le même temps, les efforts pour intercepter les armes hypersoniques aujourd’hui visent surtout à intercepter le vecteur balistique avant qu’il ne libère le planeur hypersonique lui-même.
Le SBF chinois pourrait mettre à mal l’équilibre des forces stratégiques mondiales, y compris en neutralisant la composante sous-marine, en éliminant les centres de commandement adverses avant qu’ils aient pu transmettre l’ordre de tir.
De fait, si la Chine venait à mettre en service un système stratégique de ce type, elle disposerait d’un ascendant évident dans les rapports de force mondiaux, tout du moins jusqu’à ce que les Etats-Unis, et peut-être par la suite la Grande-Bretagne et la France, ne se dotent de systèmes équivalents, ce qui ouvre la porte à une nouvelle course aux armements comme celle qu’a connue le monde dans les années 50.
On comprend les raisons du ton relativement alarmiste employé par l’article de thebulletin.org. De toute évidence, les avancées chinoises dans le domaine des armes stratégiques, apparaissent bien plus avancées qu’anticipées jusqu’il y a peu, au point d’ouvrir, potentiellement, la porte à une redistribution radicale des équilibres stratégiques mondiaux, ainsi qu’à une nouvelle période d’incertitude et de tensions ayant, précédemment, amené le monde au bord de la guerre nucléaire.
Si le Rafale F5 pourra s’appuyer sur de nouvelles capacités et performances propres à l’appareil, il bénéficiera également d’un environnement opérationnel, industriel et commercial renouvelé, pour lui donner potentiellement l’ascendant sur les offres concurrentes, et notamment le Lockheed-Martin F-35 Lightning II, à partir de 2030.
Mais la nouvelle version du Rafale, désignée F5, qui doit entrer en service à partir de 2030, pourrait bien profondément changer le rapport de force opérationnel et commercial entre ces deux appareils pour les années et décennies à venir.
Dans la première partie de cet article, nous avons étudié deux critères de cette évolution, la transformation du Rafale en Système de combat aérien avec la version F5 d’une part, et l’arrivée des drones de combat Neuron et Remote Carrier de l’autre, venant gommer les atouts du F-35A tout en exacerbant ceux du chasseur français.
Dans cette seconde partie, nous aborderons 3 autres domaines majeurs venant infléchir ce rapport de force : les nouvelles capacités et les nouvelles munitions du Rafale F5; l’apparition du Club Rafale et l’émergence d’une nouvelle stratégie commerciale et industrielle française, et enfin l’influence de la hausse des couts de possession du F-35 sur les compétions à venir.
3- Les nouvelles capacités et de nouvelles munitions du Rafale F5
Outre les drones eux-mêmes, le Rafale F5 sera doté de nouvelles munitions et de nouvelles capacités, qui lui permettront de combler certaines faiblesses relatives vis-à-vis du F-35. C’est notamment le cas dans le domaine de la suppression des défenses anti-aériennes adverses, à laquelle il est commun de faire référence par l’acronyme SEAD qui, comme nous nous en étions plusieurs fois fait l’écho depuis 2018, représentait un manque important dans la panoplie opérationnelle du Rafale jusqu’ici.
Si la composition de cette capacité dont sera dotée le Rafale F5 n’a pas encore été officiellement présentée, on peut supposer qu’elle reposera sur l’utilisation conjointe de brouilleurs radar venant s’ajouter aux systèmes d’autodéfense de l’appareil, pour lui donner la possibilité d’englober d’autres appareils dans sa bulle de protection, ainsi qu’une ou plusieurs munitions anti-radiations, conçues pour remonter le faisceau radar de l’adversaire pour venir le détruire.
Le FMC doit remplacer le missile croisière SCALP qui équipe les Rafale de l’Armée de l’Air et de l’espace et de l’Aéronautique navale aujourd’hui
Le Rafale F5 sera également conçu pour mettre en œuvre les nouveaux missiles franco-britanniques FMC (Futur Missile de Croisière) et FMAN (Futur Missile Anti-Navire) qui devront respectivement remplacer les missiles de croisière SCALP/Storm Shadow d’une part, et AM39 Exocet de l’autre.
Ces deux munitions de précision à longue portée, en cours de conception, seront dotées de caractéristiques évoluées, comme la furtivité ou une vitesse hypersonique, pour défier les systèmes de défense anti-aériens modernes comme des systèmes de brouillage et de leurrage, et conféreront à l’appareil des capacités de frappe à longue distance très avancées dans les décennies à venir.
L’appareil se verra également doté d’un pod fusionnant les capacités des nacelles de désignation de cible Talios et de la nacelle de reconnaissance RECO NG en un unique équipement, conférant au chasseur une vision tactique air-sol, air-surface et même air-air d’une grande précision, et ainsi de multiples options opérationnelles tout en restant en mode non-émitif.
Enfin, le Rafale F5 sera conçu pour mettre en œuvre le nouveau missile de croisière hypersonique ASN4G à charge nucléaire, qui doit remplacer l’ASMPA au sein des deux escadrons de l’Armée de l’Air et de l’Espace et des flottilles de la Marine nationale formant la composante aérienne de la dissuasion française. Toutefois, cette capacité, bien que critique pour la défense française, n’aura probablement que très peu d’influence sur le marché international.
La BAT-120LG est une bombe légère planante de précision adaptée aux théâtres de moindre intensité pour éviter les dégâts collatéraux, mais également aux engagements de haute intensité pour saturer les défenses adverses
D’autres munitions et capacités pourraient être intégrées au Rafale F5 d’ici à 2030. On pense notamment à des munitions air-sol de précision légères comme la BAT-120 LG de Thales, ainsi que des munitions rôdeuses à moyenne portée, d’autant que ces armes légères trouveraient naturellement leur place à bord des drones de combat épaulant l’appareil, y compris des Remote Carrier.
En outre, il bénéficiera de l’arsenal actuel du Rafale F4, à savoir les missiles air-air Meteor et MICA NG, ou encore des bombes planantes propulsées ASSM particulièrement efficaces.
Dès lors, en 2030, le Rafale F5 disposera d’une panoplie opérationnelle globale et très moderne, parfaitement à niveau voire supérieure en certains points de celle proposée par le F-35, privant ce dernier d’un des atouts clés sur lequel il battit son succès commercial.
4- La révolution du Club Rafale
Le Rafale F5 sera donc un système de combat aérien à la fois très moderne, performant et exceptionnellement bien doté pour lever les défis des décennies à venir. Pour autant, le Rafale F3 pouvait se targuer d’avantages comparables vis-à-vis du F-35A lors de nombreuses compétitions récentes, qui pourtant ont toutes tourné en faveur de l’avion américain.
De toute évidence, Dassault Aviation et le Ministère des Armées ont parfaitement pris en compte les causes de ces échecs, et entendent les corriger avec le Rafale F5, en dotant l’appareil d’un discours et d’un environnement commercial conçus pour s’imposer face à l’avion américain.
En premier lieu, il était nécessaire de poser un discours commercial renouvelé face au F-35. Lockheed-Martin a en effet développé une stratégie commerciale extrêmement efficace ces dernières années, en présentant non pas les performances actuelles de l’appareil proposé, mais les performances et capacités à venir.
Et même si le calendrier et les capacités promises ont été, de toute évidence, bien trop optimistes jusqu’ici, force est de constater que cette approche s’est révélée des plus efficaces.
Plusieurs opérateurs du Rafale, comme la Grèce, dispose d’une industrie aéronautique qui pourrait participer au développement de l’appareil
Ainsi, lors de la compétition néerlandaise, le Rafale F3 a dû faire la démonstration effective de ses capacités opérationnelles face à de simples promesses techniques et commerciales de Lockheed-Martin, dont un bon tiers n’a pas été respecté depuis. De même, la Suisse a basé sa décision sur des promesses à venir de Lockheed-Martin, tant en termes de budget que de performances.
Jusqu’à présent, la France s’était contenté de protester contre la stratégie américaine dans ce domaine, sans grand succès. Dans le cadre du Rafale F5, elle prend la position inverse.
Non seulement promet-elle, elle aussi, des performances et capacités à venir, mais elle pourra mettre en avant le respect des trajectoires d’évolutions suivies par le Rafale depuis sont entrées en service, y compris pour ses clients. En d’autres termes, le Rafale F5 va se battre avec les mêmes armes, mais des arguments plus affutés contre le F-35A dans les années à venir.
Surtout, simultanément à l’annonce du nouveau calendrier du Rafale F5 visant une entrée en service en 2030, le Ministère des Armées à annoncer la création d’un « Club Rafale », c’est-à-dire d’une initiative visant à rassembler les utilisateurs tant pour régler les questions de maintenance et d’évolutivité, que pour peser, voire participer, au développement des nouvelles capacités, voire des nouveaux standard du Rafale. Cette stratégie n’est pas nouvelle, le succès du char Leopard 2 reposant en grande partie sur une approche similaire.
la création d’un Club Rafale est révélatrice d’un profond changement de la stratégie commerciale défense de la part de Paris
Mais elle constitue une révolution conceptuelle profonde de l’approche française dans ce domaine, faisant passer chaque utilisateur, présent ou potentiel, au statut de partenaire et d’acteur du devenir de l’appareil et de ses capacités.
Cette nouvelle stratégie va permettre d’intégrer bien plus efficacement les capacités aéronautiques industrielles des utilisateurs du Rafale dans l’écosystème de l’appareil, et constitue de fait un argument de poids en faveur du chasseur français vis-à-vis du F-35A et de son environnement excessivement fermé aux mains de Lockheed-Martin et de Washington.
5- L’argument du prix
Le Rafale F5 pourra, enfin, d’appuyer sur un dernier argument de poids face au F-35A dans les années à venir : son prix. Non pas que l’appareil français sera moins onéreux à l’acquisition que le chasseur de Lockheed-Martin.
Depuis le début de ce bras de fer entre Lockheed-Martin et Dassault, les deux appareils ont systématiquement évolué dans une gamme de prix similaire pour acquérir les appareils ainsi que les systèmes, munitions et l’ensemble des services nécessaires à leur mise en œuvre.
En dépit des engagements de Lockheed-Martin, les couts de possession du F-35 demeurent très élevés, et tendent même à croitre plus vite que l’inflation
Jusqu’à présent, cette dérive a été ignorée dans les compétitions d’équipement auxquelles le chasseur a participé, tant du fait du discours parfaitement huilé de Lockheed-Martin soutenu par le Département d’État américain, que par une évidente myopie, volontaire ou non, des négociateurs européens, coréens ou australiens à ce sujet.
Toutefois, le sujet commence à être de plus en plus difficile à ignorer, y compris pour son principal utilisateur, l’US Air Force, qui, sans remettre en cause son attachement à l’appareil, est contrainte à d’importantes circonvolutions dans le domaine de la planification budgétaire pour parvenir à contenir la bombe à retardement que représentent les couts de possession de l’appareil.
Et il en ira de même sur la scène internationale. En effet, si jusqu’à présent les clients potentiels pouvaient feindre la bonne foi pour ignorer les signaux dans ce domaine, de sorte à pouvoir effectivement se tourner vers l’appareil offrant un environnement technologique et opérationnel en devenir le plus prometteur, ce ne sera plus le cas dans les années à venir, les dérives budgétaires du F-35 devenant de plus en plus évidentes et impossibles à ignorer, alors que les atouts opérationnels promis auront été gommés, et parfois largement surpassés par les nouvelles capacités du Rafale F5.
Conclusion
Comme nous venons de le voir, l’arrivée du Rafale F5, et dans une certaine mesure, sa seule annonce, vont profondément faire évoluer le rapport de force entre le chasseur français et son principal adversaire, le F-35A américain. Avec des capacités opérationnelles renouvelées venant flirter avec la 6ᵉ génération de combat, des appendices et munitions de nouvelle génération, et une stratégie commerciale en rupture profonde avec la tradition française, le chasseur de Dassault Aviation fera, dans les années à venir, bien plus que jeu égal avec l’avion de Lockheed-Martin, et ce, dans presque tous les domaines.
Reste que les résultats potentiels de cette stratégie sont difficiles à évaluer. En effet, lorsque le Rafale F5 entrera en service, l’immense majorité des forces aériennes européennes seront d’ores et déjà équipées du F-35A/B, partiellement ou intégralement, faisant de l’appareil un standard qu’il sera très difficile de déloger au sein de l’OTAN, comme auprès des principaux acteurs de la sphère occidentale du théâtre Pacifique.
Les forces aériennes saoudiennes vont prochainement devoir remplacer leur flotte de 81 Panavia Tornado
De même, beaucoup de forces aériennes majeures du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud, auront déjà entrepris leur modernisation, et le marché adressable par le F5, en dehors des clients existants ou en négociation à court terme (on pense à l’Irak, à la Serbie et peut-être à la Colombie), sera réduit, sauf à ce qu’une nouvelle vague de tensions internationales viennent à engendrer une nouvelle phase de densification des moyens aériens dans le monde.
Il reste toutefois certaines alternatives potentiellement importantes pour le nouveau chasseur français. On pense par exemple à l’Arabie Saoudite qui va devoir remplacer les Panavia Tornado ainsi que ses F-15 dans les années à venir, soit près de 150 appareils, mais également au Maroc qui devra remplacer ses F-5 et F-1 pour répondre à la modernisation des moyens algériens. Certains pays d’Amérique du Sud, au-delà de la Colombie, vont, eux aussi, devoir moderniser leurs forces, comme le Pérou et l’Équateur.
En Europe, enfin, la Hongrie devra bientôt remplacer ses Gripen, alors que certains utilisateurs du F-35 dotés de flotte réduite, car onéreuse, comme le Danemark ou la Belgique, pourraient considérer l’avion français pour accroitre leur masse.
Quoi qu’il en soit, il apparait que le Rafale F5 sera, en bien des aspects, bien plus qu’une nouvelle version du joyau de Dassault Aviation, mais un véritable nouveau départ pour l’appareil, qui par là pourrait effectivement voir son horizon opérationnel comme commercial se redessiner en profondeur pour les décennies à venir.
On peut difficilement souhaiter mieux pour le seul chasseur à l’ADN exclusivement européen du moment.
L’arrivée du standard Rafale F5 pour 2030, comme annoncé par le Ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans le cadre de la LPM 2024-2030,va non seulement doter le chasseur de Dassault Aviation de nouvelles capacités, elle pourrait également profondément transformer le marché des avions de combat, y compris face à un Lockheed-Martin F-35 qui semble intouchable aujourd’hui.
Après presque une décennie de vaches maigres et de doutes, entre 2005 et 2015, le Rafale s’est imposé comme un des plus importants succès de l’industrie de défense française en matière d’exportation, alors que le nouveau standard Rafale F5 arrivera en 2030.
En effet, depuis la première commande de 24 Rafale F3 par l’Égypte en février 2015, le chasseur français a aligné les succès, au Qatar et Inde dans un premier temps, puis en Grèce, en Croatie, en Indonésie et bien évidemment aux Émirats Arabes Unis, les 80 Rafale F4 commandés par Abu Dhabi pour 14 Md€ étant le plus important contrat à l’exportation jamais signé par la BITD française.
De fait, avec 284 livrés, commandés ou sous engagement pour l’exportation d’une part, et 225 chasseurs devant armer à terme les forces aériennes françaises de l’Armée de l’Air et de l’Espace et de l’aéronautique Navale, le Rafale est aujourd’hui un succès colossal pour Dassault Aviation et l’ensemble de la team Rafale, ce d’autant que d’autres contrats à l’exportation sont attendus dans les mois à venir, peut-être avec des annonces lors du prochain salon du Bourget.
Il faut dire que le Rafale ne manque pas d’arguments à faire valoir. Très équilibré, offrant une polyvalence rare, et des performances aéronautiques appréciées, l’appareil dispose également d’une électronique embarquée moderne et performante, et d’un ensemble de munitions et autres systèmes embarqués en faisant l’un des meilleurs chasseurs du moment, et ce, dans tous les domaines.
Le F-35 s’est imposé comme le standard de fait de l’OTAN, aussi bien au sein des forces aériennes américaines qu’Européennes.
En dépit de ces atouts indiscutables, le Rafale n’est jamais parvenu à s’imposer face au F-35A de l’Américain Lockheed-Martin, que ce soit lors des compétitions européennes (Pays-Bas, Suisse, Finlande, Belgique …) ou asiatiques (Corée du Sud, Singapour).
Il faut dire que le Lightning II dispose de nombreux arguments à faire valoir au-delà du seul soutien du Pentagone et du Département d’État américain, arguments suffisamment différenciés pour justifier, au moins du point de vue du discours, d’une génération d’écart avec ses principaux concurrents européens comme le Gripen E/F suédois, le Typhoon et le Rafale français.
Et de fait, le F-35A (et parfois B) s’est systématiquement imposé partout où l’appareil était proposé, et est même au cœur d’une certaine rupture de ban de la part d’alliés des États-Unis s’étant vus refuser l’appareil, comme l’Arabie Saoudite et la Thaïlande.
Mais les choses pourraient bien changer dans les années, voire dans les mois à venir. En effet, à l’occasion des débats parlementaires autour de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, le Ministère des Armées a tracé une trajectoire pour l’avion français très ambitieuse, parfois même révolutionnaire vis-à-vis des us français ces dernières années, et susceptible de profondément faire évoluer le positionnement relatif du Rafale sur la scène internationale, en particulier face au F-35 américain.
La Loi de Programmation militaire a été votée par l’Assemblée Nationale par 408 voix contre 87
De fait, d’ici, le Rafale F5, épaulé de drones Neuron et évoluant dans un techno-système international articulé autour du « Club Rafale », aura 5 atouts à mettre en avant pour s’imposer face au chasseur de Lockheed, étudiés dans cet article en deux parties.
1- Le Rafale F5 sera-t-il premier Système de Combat aérien opérationnel sur le marché international ?
Jusqu’à l’arrivée des commandes de vol électriques, la mission principale du pilote était de piloter l’appareil, c’est-à-dire de le garder dans son domaine de vol, tout en effectuant les tâches et remplissant au mieux les missions confiées. Avec l’arrivée des commandes de vol électrique, avec le F-16 ou le Mirage 2000, le pilotage fut confié à l’appareil lui-même, le pilote (ou l’équipage) étant alors en charge de la trajectoire, du combat et de la conduite de mission au sens plus étendu.
Avec la modernisation des systèmes embarqués, de plus en plus de tâches ont été confiées à l’avion lui-même. De fait, à bord d’un Rafale F3R, le pilotage et le contrôle de la trajectoire de vol ne représentent qu’une infime partie de la charge de travail dans le cockpit.
Le cockpit full glass du F-35 contribue à donner à l’appareil une stature futuriste très séduisante pour les décideurs occidentaux
C’est dans ce domaine que le F-35 dispose d’un des arguments contre les Rafale, Typhoon ou Gripen aujourd’hui. En effet, l’avion Lockheed-Martin prend non seulement en charge le pilotage, mais aussi une grande partie de la mission de combat, le pilote ayant pour fonction de déterminer la meilleure conduite à tenir pour mener la mission et répondre à l’environnement.
De fait, l’efficacité du F-35 dépend beaucoup moins de l’aguerrissement de l’équipage que pour les autres appareils, ce qui est censé simplifier les procédures et même les exigences de recrutement, formation et entrainement des équipages, tout en améliorant les capacités opérationnelles finales. Cet argument a notamment fait mouche en Suisse, un pays dont la Défense fait face à d’importantes difficultés pour maintenir le niveau d’entrainement de ses équipages.
Le Rafale F5, lui, évoluera à un tout autre niveau. En effet, il sera, à l’instar du programme SCAF rassemblant l’Allemagne, l’Espagne et la France, un Système de Combat Aérien, basé sur un système de systèmes, et non un avion de combat faisant office de vecteur principal de ses moyens mis en œuvre, comme c’est encore le cas du Rafale F4.
Le programme SCAF européen devait être le premier système de combat aérien de 6ᵉ génération sur le vieux continent. Il se pourrait que le Rafale F5 lui vole ce titre.
Pour y parvenir, le Rafale F5 va être doté de drones de combat intégrés à son propre système, Neuron et Remote Carrier, chaque drone ayant un niveau d’autonomie comparable à celui du F35 aujourd’hui, et contrôlé par le Rafale lui-même, l’équipage ayant pour fonction de coordonner et optimiser l’efficacité de ce système de systèmes.
De fait, si le F-35A est, pour ainsi dire, l’archétype de ladite 5ᵉ génération d’avion de combat, le Rafale F5 sera l’un des premiers représentant de la 6ᵉ génération, qui se caractérise précisément par cette nouvelle architecture.
Et si l’US Air Force a effectivement annoncé qu’elle entendait doter 300 de ses F-35A de drones de combat, à l’instar du Rafale F5 épaulé du Neuron et des Remote Carrier, tout indique à ce jour que ces drones de type Loyal Wingam attachés au programme NGAD, ne seront pas, au moins pour un temps, proposés sur la scène internationale.
Même si le F-35 venait à se voir doter de drones de type Loyal Wingman, ses avantages relatifs liés à la 5ᵉ génération, comme la furtivité et la fusion de données, auront été gommés ou amoindris dans l’effort pour intégrer la 6ᵉ génération, alors que le Rafale, lui, pourra s’appuyer sur des exigences beaucoup plus caractéristiques de cette nouvelle génération, notamment en termes de capacité d’emport et d’autonomie.
2- Neuron, Remote Carrier : une gamme complète de drones de combat et d’appui
Car le Rafale F5 ne sera pas qu’un avion, mais en techno-système opérationnel étendu et complet, s’appuyant notamment sur deux types de drones de combat, voire trois en y intégrant le RPAS Mâle européen. Ainsi, dans un amendement présenté lors du vote de la LPM 2024-2030, le Ministère des Armées a précisé que conjointement au Rafale F5 serait développé un drone de combat dérivé du programme de démonstrateur Neuron. Il s’agira, de toute évidence, d’un effort visant à développer un drone ailier, à l’instar de ceux développés aux États-Unis dans le cadre du programme NGAD, en Australie avec le MQ-29 Ghost Bat ou en Russie avec le S-70 Okhotnik-B.
Conçu pour être particulièrement furtif tant sur le spectre électromagnétique qu’infrarouge, le Neuron représente en effet une base de travail particulièrement adaptée pour développer un drone de combat ailier capable d’accompagner et d’étendre les capacités opérationnelles du chasseur, en transportant et mettant en œuvre ses propres senseurs (radar, infrarouge, optronique…) ainsi que ses propres munitions, le démonstrateur disposant à ce titre d’une soute à munition capable d’accueillir 2 bombes de 250 kg.
Dassault va developper un drone de combat dérivé du Neuron pour assurer la fonction d’ailier des Rafale F5
Il est probable que le drone de combat qui sera développé d’ici à 2030, sera relativement différent du démonstrateur Neuron, notamment pour pouvoir accueillir et mettre en œuvre des senseurs et armements plus étendus, mais également pour s’intégrer pleinement et efficacement au système de systèmes du Rafale F5.
On ignore à ce jour si le drone résultant sera développé pour pouvoir être mis en œuvre à bord du PAN Charles de Gaulle et de son successeur, ce qui représenterait un avantage significatif, surtout si, comme le Rafale, le drone est capable d’employer un Skijump.
Si le développement du « Neuron » interviendra dans le cadre du Rafale F5, les industriels français, notamment MBDA, sont également engagés dans le développement d’une autre famille de drones de combat, en l’occurrence les Remote Carrier du programme SCAF.
La version lourde de cette famille de drones de combat aéroportés est développée par Airbus DS. La version légère, pouvant être mise en œuvre à partir d’un chasseur et non d’un appareil lourd de type A400M, est, quant à elle, développée par MBDA France, et trouvera toute sa place au sein du Système de Combat Aérien Rafale, qui mériterait probablement de s’appeler SCAR plutôt que Rafale F5 pour en marquer le caractère disruptif.
Les Remote Carrier du programme SCAF sont, eux aussi, supposés entrer en service en 2030, et pourraient donc très probablement s’inviter bientôt à bord du Rafale F5
Or, selon les informations distillées jusqu’à présent au sujet du pilier Remote Carrier du programme SCAF, les premiers RC devaient justement entrer en service, tant à bord et au profit des Rafale français que des Typhoon allemands et espagnols, au début des années 2030, c’est-à-dire sur la même échéance que celle annoncée par le Ministère pour le Rafale F5 et le Neuron.
En disposant simultanément d’un drone de type Loyal Wingman, très furtif et potentiellement embarqué, ainsi que de drones de combat légers de type Remote Carrier, le Rafale F5 proposera alors un environnement opérationnel et technologique entièrement renouvelé et probablement unique sur la scène internationale.
Au début des années 50, les marines mondiales entreprirent de doter leurs grandes unités navales, croiseurs et destroyers, d’un nouveau type d’armement anti-aérien capable de s’opposer aux nouveaux chasseurs supersoniques qui rejoignaient les forces aériennes et aéronavales.
C’est ainsi que furent développés les premiers missiles surface-air, le RIM-2 Terrier américain, le Masurca français, le Seaslug britannique ou encore le SA-N-1 soviétique. Tous partageaient alors des technologies et performances comparables, avec une portée de 30 à 45 km, un plafond entre 20 et 25 km, et un guidage sur faisceau radar radio-contrôlé ou semi-actif radar.
Les capacités offertes par ces nouveaux systèmes, mais également les progrès réalisés dans le domaine des missiles, des radars et des systèmes de guidage, amenèrent toutes les marines à se tourner, relativement rapidement, vers une utilisation massive de ces missiles surface-air de plus en plus performants et parfois de plus en plus spécialisés.
Pour assurer l’autodéfense des navires de surface, apparurent ainsi des missiles de protection rapprochée, comme le Crotale Naval français, le Seawolf britannique, le Sea Sparrow américain ou l’Osa-M (SA-N-4 Gecko) soviétique, alors que des missiles dotés d’une allonge plus étendue que leurs prédécesseurs, comme le SM-1MR américain ou le SA-N-6 soviétique, posaient les prémices du déni d’accès aéronaval.
La frégate anti-aérienne Jean Bart était équipée de 40 missiles standard SM-1MR et de 2 radars de tir SPG-51C. Elle ne pouvait guider que 2 missiles à la fois.
Bien qu’efficaces, tous ces systèmes développés dans les années 60 et 70, souffraient d’une faiblesse majeure, leur incapacité à répondre à des attaques dites de saturation, lorsque le nombre de menaces venait à excéder le nombre de systèmes de guidage disponibilité à bord du navire. En effet, les missiles à moyenne et longue portée de cette époque reposaient sur des systèmes de guidage exclusifs. Un destroyer ou un croiseur ne mettant en œuvre qu’entre 2 et 4 dispositifs de pointage, il ne pouvait simultanément guider qu’autant de missiles.
La numérisation et la miniaturisation des systèmes de guidage, dans les années 80, permit d’apporter une réponse à cette limitation, permettant à un unique navire de lancer et guider simultanément un grand nombre de missiles pour répondre aux attaques de saturation. Cette nouvelle génération de systèmes surface-air à moyenne et longue portée, apparue entre le milieu des années 80 et les années 2000, constituent aujourd’hui le fer de lance de la défense anti-aérienne des flottes de surface mondiales.
Dans cet article, nous présenterons les 5 principaux systèmes aujourd’hui en service : le HHQ-9 chinois, l’Aster 30 franco-italien, le Barak 8 israélo-indien, le SM-2MR américain et le missile 9M96 du système Redut russe.
Chine : Système HHQ-9
Premier missile surface-air à longue portée de facture chinoise, le HHQ-9 est entrée en service en 2004 avec l’arrivée du premier destroyer Type 052C, le Lanzhou, qui était alors le premier navire de guerre de l’APL à disposer d’une réelle capacité de déni d’accès avec 48 de ces missiles en silos verticaux.
Les destroyers lourds chinois Type 055 disposent de 112 VLS pouvant accueillir, entre autres, le missile anti-aérien à longue portée HHQ-9B
D’une portée estimée à 120 km pour une vitesse supérieure à Mach 4, le HHQ-9 met en œuvre une navigation inertielle recalée par le radar du navire tireur dans un premier temps, avant d’activer un autodirecteur radar actif pour venir intercepter la cible. Outre les 6 destroyers Type 052C, il arme également, dans une version évoluée pouvant être mise en œuvre à partir de systèmes de lancement vertical à chaud HHQ-9B, les 22+ destroyers anti-aériens Type 052D, et les 8 destroyers lourds Type 055.
En dépit de cette vaste diffusion, on ne sait que peu de choses de manière certaine concernant ce système. Dérivé du HQ-9 terrestre, lui-même très inspiré des systèmes S-300F et P acquis par Pékin auprès de Moscou, il intègrerait également des systèmes inspirés du système terrestre MiM-104 Patriot. Le système serait capable d’engager simultanément une cinquantaine de cibles aérienne, à une distance dépassant les 100 km et probablement au-delà pour les Type 052D et Type 055 qui disposent de radar plus puissant et plus performant.
France-Italie : Missiles surface-air Aster 30
Alors que les frégates françaises et italiennes des années 70 et 80 mettaient en œuvre des missiles surface-air à courte portée Crotale Naval et Aspide, et des missiles SM-1MR à moyenne portée pour les navires de défense aérienne, les deux pays entreprirent, à la fin des années 80, de codévelopper une nouvelle famille de systèmes anti-aériens terrestres et navals à moyenne et longue portée de conception européenne. C’est ainsi qu’en 1995 naquit le groupe Eurosam, une coentreprise entre les missiliers MBDA France et Italie et le radariste français Thales, en vue de développer la famille de missile Aster et les systèmes y attenant.
À l’instar des frégates Horizon franco-italiennes, les destroyers Type 45 de la classe Daring disposent de 6 systèmes SYLVER 50 (48 silos) accueillant des missiles Aster 15 et 30, formant le système Sea Viper avec le radar SAMPSON
Dans le domaine naval, cette coopération s’étendit à la Grande-Bretagne pour donner naissance au système PAAMS pour Principal Anti-Air Missile System, également désigné outre-manche comme le Sea Viper. Destiné à armer les destroyers anti-aériens Horizon franco-italiens et Type 45 britanniques, mais aussi les porte-avions Charles de Gaulle et Cavour, le PAAMS se compose d’un radar multifonction EMPAR (Italie, France) ou SAMPSON (UK), d’un système de contrôle et de tir automatisé, du système de lancement vertical SYLVER ainsi que des missiles ASTER 15 à moyenne portée et Aster 30 à longue portée.
D’une portée de plus de 120 km, le missile Aster 30 a une longueur de 4,9 mètres du fait du booster supplémentaire lui permettant d’étendre sa portée vis-à-vis de l’Aster 15 dont il partage tous les autres composants. Il dispose d’un système de guidage alliant une centrale à inertie recalée par le navire tireur, et un autodirecteur radar.
Du fait de sa grande manœuvrabilité, de son système de guidage et d’une vitesse de Mach 4,5, le missile s’est montré remarquablement efficace depuis son entrée en service en 2001, démontrant notamment lors de nombreux essais sa capacité à intercepter des drones cibles supersoniques reproduisant le comportement de missiles anti-navires modernes.
Une nouvelle version du missile, désignée Aster Block 1, a été conçue pour intercepter des missiles balistiques à courte portée au milieu des années 2010, alors que l’Aster Block 1NT, commandé par la France et l’Italie en janvier 2023, permet d’intercepter des missiles balistiques d’une portée de 1500 km. Le missile Aster et le système PAAMS équipe désormais, au-delà des navires initialement prévus, les frégates FREMM franco-italiennes, les PPA italiennes, FDI françaises, ainsi que les frégates singapouriennes de la classe Formidable, Al Riyadh saoudiennes et les LPD de la classe San Giorgio Al Fulk qatari et Kalaat Béni Abbes algériens.
Israël-Inde : Missiles surface-air Barak 8
Au milieu des années 2000, l’Inde entreprit de se doter d’un système surface-air offrant des performances comparables au SM-2 américain pour armer ses destroyers anti-aériens alors en conception, qui donneront naissance aux classes Kolkata (Project 15-A) et Visakhapatnam (Project 15B) entrées en service au milieu des années 2010. C’est ainsi qu’en 2009, New Delhi se tourna vers l’israélien IAI qui avait déjà enregistré plusieurs succès dans le développement de la famille des missiles Barak, pour codévelopper en collaboration avec la DRDO (équivalent indien de la DGA en France), le système anti-aérien à moyenne portée Barak-8.
Les 3 destroyers indiens de la classe Kolkata mettent en œuvre 32 missiles anti-aériens Barak 8 en silos verticaux
D’une portée allant de 70 à 150 km selon les versions, le Barak 8 peut atteindre une altitude de 16km dans sa version initiale MRSAM, et de 30 km dans la version Barak ER disposant d’un booster supplémentaire. Si le guidage initial repose sur une liaison bidirectionnelle couplée à une navigation GPS, le missile disposant d’un autodirecteur radar actif doublé d’un autodirecteur infrarouge pour le guidage terminal.
Couplé au radar israélien MF-STAR à antennes AESA qui équipe les destroyers Kolkata et Visakhapatnam, mais aussi les porte-avions Vikrant et Vikramaditiya ainsi que les nouvelles frégates Nilgiri, également équipés du système, le Barak 8 offre une couverture anti-aérienne et anti-missile à 360° difficile à mettre en défaut. Le système équipe aussi les corvettes Sa’ar 5 israéliennes, et a connu son baptême du feu, dans sa version navale, en juillet 2022, lorsque la corvette israélienne INS Eilat abattit deux drones aériens du Hezbollah s’approchant du champ gazier offshore de Karish.
Etats-Unis : RIM-66 SM-2MR
De tous les systèmes présentés ici, le RIM-66 est celui qui trouve ses racines le plus loin. En effet, le premier système RIM-66 SM-1 Block I est entré en service en 1967, et fut employé lors de la guerre du Vietnam pour remplacer les RIM-24C Tartar à bord des destroyers et croiseurs de l’US Navy. Pour autant, si le SM-1 s’appuyait sur les technologies de l’époque, et en avait les limitations, les versions actuellement en service à bord des croiseurs classe Ticonderoga, destroyers Arleigh Burke et prochainement des frégates Constellation de l’US Navy, ainsi qu’à bord de nombre de destroyers et frégates occidentales, n’ont plus guère à voir en termes de performances et de technologies avec leur ancêtre.
Le SM-2 arme aujourd’hui tous les croiseurs et destroyers américains des classes Ticoderoga et Arleigh Burke
D’une longueur de 4,7 mètres pour une masse de 700 kg, le SM-2MR Block III qui équipe les navires américains, les Kongo, Atago et Maya Japonais, les Sejong le Grand sud-coréens ou encore les frégates anti-aériennes allemandes F-124 Sachsen, F100 Alvaro de Bazan espagnoles et De Zeven Provinciën néerlandaises, ont en effet une portée supérieure à 150 km et un plafond d’interception au-dessus de 25 km. Couplé au radar SPY-1 ou SMART-L, il offre une capacité d’interception étendue, notamment lorsque mis en œuvre avec le système de combat AEGIS.
Contrairement aux autres missiles de ce panel, le SM-2MR s’appuie sur un système de guidage relativement ancien, le guidage radar semi-actif, obligeant le navire à « éclairer » sa cible avec son propre radar pour que le récepteur radar du missile puisse s’y diriger. Toutefois, contrairement au SM-1 de première génération, le SM-2 dispose d’une navigation inertielle permettant au radar de guidage de pointer la cible de manière intermittente et lors du guidage final à très courte portée pour pouvoir l’atteindre, ce qui permet au destroyer de guider un grand nombre de missiles simultanément, sachant qu’il ne peut en tirer qu’un toutes les deux secondes du fait des limitations du VLS MK41 américain.
Bien que très répandu, le SM-2 actuel arrive donc désormais aux limites d’efficacité de son architecture, raison pour laquelle l’US Navy a lancé le développement du SM-2 Block IIIC qui, comme le missile ESSM à moyenne portée qui souffrait de la même limitation, sera doté d’un autodirecteur radar actif, comme les autres missiles de ce panel.
Russie : 9M96 Système Redut
Traditionnellement, les systèmes anti-aériens soviétiques puis russes ont pour la plupart été initialement conçus sur la base de systèmes terrestres. C’était le cas du Volkhov M-2 (SA-N-2) dérivé du S-75, du 4-K-33 (SA-N-4 Gecko), ou du S-300F (SA-N-6) dérivé du S-300. Plus récemment, les 3S90 Schtil (SA-N-7) et 9K95 Kinzhal (SA-N-9 Gauntlet) sont respectivement les versions navales du système Buk et Tor. C’est aussi le cas du nouveau système anti-aérien qui arme les frégates de la classe Armiral Gorshkov et des corvettes Steregushchiy et Gremyashchiy, basé sur le nouveau système anti-aérien S-350 .
Les frégates russes de la classe Amiral Gorshkov disposent de 4 systèmes de lancement vertical Redut (32 silos) prenant place sous la passerelle. Les silos UKSK derrière le canon de 130 mm accueillent, quant à eux, 24 missiles longs (Kalibr, Oniks et Kinzhal)
Le nouveau système russe se compose, en fait, de deux éléments différents : le missile 9M96 et le système de lancement vertical Redut. D’une portée allant de 40 à 120 km selon les versions, le 9M96 est une famille de missile anti-aérien et anti-balistique à hautes performances, donnée pour pouvoir atteindre une altitude de 35 km et intercepter des cibles allant jusqu’à Mach 15 dans sa version 9M96E2. La nouvelle version 9M96M2, entrée en service en 2019, est quant à elle donnée pour atteindre une portée de 150 km et un plafond de 30 km.
Particulièrement manœuvrant, le 9M96 est donné pour soutenir des accélérations à 60G grâce à d’importantes surfaces de contrôle et un système de contrôle vectoriel. Son système de guidage, peu documenté, reposerait sur un guidage initial mixte inertiel/faisceau et sur un autodirecteur radar terminal. A l’instar du VLS Mk41 américain qui peut également mettre en œuvre le missile anti-aérien à courte portée ESSM en version quad pack (4 missiles par silo), le système Redut peut également mettre en œuvre 4 missiles 9M100 à guidage infrarouge d’une portée de 15 km par silo, conférant aux frégates et corvettes russes une importante capacité de défense.
Conclusion
Ces 20 dernières années, les systèmes surface-air navals ont connu une évolution rapide, tant en termes de performances que de diffusion. Désormais, les systèmes Aster, Barak 8 et autres 9M96, confèrent aux bâtiments qui les mettent en œuvre, non seulement d’importantes capacités d’auto-défense et d’escorte, mais également la possibilité, au besoin, de déployer une zone de déni d’accès très imposante.
Ainsi, un système ayant une portée de 120 km, comme l’Aster 30 qui équipe les frégates FREMM ou FDI, peut interdire le ciel sur 22,500 km², aux appareils militaires comme civils, donnant d’importantes potentialités de coercition aux Marines mettant en œuvre de tels systèmes.
Une frégate FDI peut poser une zone de déni d’accès de 22.500 km2 grâce à ses 16 missiles Aster 30 et son radar Sea Fire 500.
Au-delà du potentiel anti-aérien, certains de ces missiles offrent également désormais des capacités anti-balistiques, pouvant de fait rapidement densifier le bouclier antimissile du pays, de la flotte, voire d’un allier au besoin. Pour autant, ces systèmes ne sont pas dépourvus de certaines faiblesses. Ainsi, si les nouveaux missiles à guidage radar actif ou infrarouge permettent de répondre aux attaques de saturation, ils ne peuvent, évidemment, mettre en œuvre que le nombre de missiles transportés. Ainsi, les frégates françaises des classes Aquitaines et Amiral Ronarc’h, comme les PPA italiennes, n’emportent que 8 ou 16 missiles Aster.
Surtout, ces missiles sont onéreux, 1,8 m€ pour un Aster 30, 2,5 m€ pour le SM-2MR, et ne sont donc pas adaptés pour répondre à certaines nouvelles menaces, comme les munitions rôdeuses qui ne coutent que quelques dizaines de milliers d’euros tout en emportant une charge militaire importante.
De fait, et comme c’est le cas pour lé défense anti-aérienne terrestre, les missiles surface-air à moyenne et longue portée, ne trouvent leur efficacité réelle que dans la constitution d’une défense anti-aérienne multicouche composée de moyens complémentaires pouvant répondre à des menaces différenciées.
Dans ce domaine, la capacité offerte par certains VLS, comme le Mk41 américain ou le Redut russe, pour mettre en œuvre, aux côtés de missiles à longue portée, des missiles d’autodéfense plus petits et plus économiques, à raison de quatre missiles par silo, constitue probablement un impératif opérationnel dans les années à venir, tout comme la densification des systèmes anti-aériens à courte portée à faible empreinte budgétaire comme les systèmes d’artillerie navale ou les armes à énergie dirigée, particulièrement adaptés pour répondre à la menace des munitions rôdeuses.
C’est probablement à cette condition seulement que le plein potentiel de déni d’accès et de protection offert par ces missiles à longue portée, pourra être atteint.
Au-delà du cas du chasseur F-35 Lightning II qui, à lui seul, justifierait d’un rapport tant les sujets d’inquiétude et d’interrogation sont nombreux depuis près d’une décennie, bien d’autres programmes en cours pour les armées US ont été pointés du doigt cette année, notamment pour le non-respect des délais prévus.
Et pour cause ! Selon le GAO, ce sont aujourd’hui plus de la moitié des programmes industriels de défense américains qui ne respecteraient pas le calendrier prévu, ceci entrainant des risques opérationnels, bien évidemment, mais également d’importants surcouts pour le Pentagone, qui doit non seulement abonder les développements du point de vue budgétaire, mais qui doit également, parfois, mettre en œuvre des solutions d’attente ou de remplacement souvent en urgence et au prix fort.
Cette année encore, ce problème a été identifié comme un handicap majeur pour l’effort américain de modernisation de ses forces. Et plusieurs programmes ont été particulièrement désignés comme responsables ou symptomatiques de cette situation préoccupante.
Le programme F-35 est toujours l’un des principaux sujets d’inquiétude dans le rapport du GAO
Mais le programme le plus problématique pointé par le rapport du GAO n’est autre que la transformation des destroyers DDG 1000 de la classe Zumwalt pour mettre en œuvre de nouveaux missiles hypersoniques, qui montre un défaut évident de planification objective avec des ambitions impossibles à tenir dès le début du programme, et une maitrise approximative des enjeux technologiques encadrant ce programme.
La transformation du destroyer DDG 1000 Zumwalt pour mettre en œuvre des missiles hypersoniques a été planifiée sans tenir compte des réels enjeux technologiques et industriels, selon le GAO
Pour autant, le rapport du GAO laisse entrevoir des raisons d’espérer. D’une part, l’arrivée de l’impression 3-D dans de nombreux programmes a permis de sensiblement réduire les délais de mise au point, et surtout dû mettre à profit le temps ainsi libéré pour les améliorer, notamment grâce à des échanges plus systématiques et nombreux avec les opérateurs futurs.
Parmi les exemples cités dans ce domaine, figure le programme ERCA visant à concevoir un système d’artillerie basé sur le châssis du M109 équipé d’un nouveau canon de 155 mm et 58 calibres, permettant d’accroitre considérablement la portée du système, et qui a fait l’objet de nombreuses modifications « utilisateurs » sans venir impacter son calendrier, précisément du fait d’une utilisation intensive de l’impression 3-D ayant permis d’expérimenter rapidement les recommandations des futurs opérateurs du système.
Il faut dire qu’après avoir été le pire élève des armées US en matière de conduite de programme, l’US Army a fait, ces dernières années, d’impressionnant progrès dans ce domaine. Ainsi, la conception, validation et production du M10 Booker, nouveau nom donné au char « léger » Mobile Protected Firepower, n’aura pris que 7 ans et ne coutera, au final, que 6 Md$, ceci comprenant la livraison des 504 blindés commandés par l’US Army, bien loin des 20 Md$ dépensés en vain et sans aucune livraison entre 2009 et 2014 pour le programme Ground Combat Vehicle.
le char léger M10 Booker est le premier programme majeur mené dans le respect des délais et des couts de l’US Army en plus de 20 ans
Quoi qu’il en soit, si le GAO a une nouvelle fois appuyé là où cela fait mal pour le Pentagone et les industriels défense, il semble bien qu’une certaine dynamique de transformation soit à l’œuvre outre atlantique, pour rompre avec la problématique de couts et de délais non maîtrisés qui ne posait guère de cas de conscience aux dirigeants américains, il n’y a de cela que quelques années encore.
De toute évidence, après des décennies de laxisme budgétaire et capacitaire, les autorités américains entendent désormais mettre un peu d’ordre dans la conduite des programmes industriels de défense, condition effectivement indispensable pour espérer pouvoir relever le défi chinois dans les années à venir.
Il y a quelques jours, alors qu’il était interrogé par la Commission du Sénat sur la Défense et les Affaires Etrangères dans le cadre de l’examen de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, le PdG de Dassault Aviation, Eric Trappier, avait fermement exprimé son opposition à ce que d’autres partenaires européens ne rejoignent le programme SCAF. Selon lui, le partage industriel autour de ce programme est déjà suffisamment complexe et difficile à équilibrer avec l’Allemagne et l’Espagne, alors que de nouveaux partenaires ne feraient que rendre l’ensemble encore plus instable, avec le risque de provoquer son effondrement.
Surtout, prenant l’exemple de la Belgique, Eric Trappier a mis en avant que ce pays, que l’on sait enclin à rejoindre le programme, avait fait le choix de s’équiper du F-35A, et que du F-35A, pour remplacer ses F-16, et qu’en tant que tel, il n’avait pas montré un attachement particulier à l’émergence d’une autonomie stratégique européenne en matière de défense, ainsi qu’à la préservation des compétences de l’industrie aéronautique de défense européenne.
Bien évidemment, cette déclaration, au demeurant fort peu diplomatique dans la bouche d’un des industriels les plus influents en Europe, n’a guère plu outre-Quiévrain, et de nombreuses voix, y compris au sein des armées, se sont offusquées de la position exprimée par le PDG français.
En 2018, Bruxelles a préféré le F-35A aux offres européennes pour remplacer ses F-16
Il est vrai que si Bruxelles a arbitré en faveur du F-35A de Lockheed-Martin en 2018, au détriment du Typhoon, Gripen ou Rafale européens, les autorités belges ont mis en oeuvre un important effort, en particulier dans le domaine de la Défense, pour apaiser l’ire de Paris.
Ainsi, quelques jours à peine après l’annonce de l’acquisition du chasseur américain, Bruxelles et Paris annonçait le lancement du programme CaMo, par lequel les forces armées terrestres des deux pays deviendraient parfaitement inter-opérables, notamment par l’acquisition pour l’Armée de terre belge de 382 véhicules Griffon et 60 Jaguar, tous info-valorisés, livrés à partir de 2025.
Du point de vue Belge, de fait, si effectivement préférence fut donnée au F-35 en 2018, une décision en grande partie conditionnée par l’engagement d’interopérabilité avec les forces aériennes néerlandaises déjà équipées de l’appareil, le pays a montré, depuis, toute sa determination à renforcer l’émergence d’une autonomie stratégique européenne, et notamment en se rapprochant de l’industrie de défense française.
Entre le programme CaMo et la conception des navires de guerre des mines belge-néerlandais, l’industrie française a obtenu, ces dernières années, un montant global de commandes identique à celui du programme F-35A belge.
Qu’elle ait été formalisée ou non, il est peut probable que l’offre française ait été effectivement considérée par le gouvernement Belge, et surtout par le ministre de la défense de l’époque, Steven Vandeput, fervent défenseur de l’appareil américain. C’est d’ailleurs pour cela que Dassault justifie de n’avoir pas donné suite.
Pour autant, en mettant bout à bout l’ensemble des événements et décisions qui se sont succédées depuis 2018 au sujet de la coopération défense franco-belge, il apparait que la situation est probablement plus nuancée que présentée par Eric Trappier, même si ce dernier a des raisons objectives pour contenir la participation industrielle autour du programme SCAF aux 3 pays initiaux.
l’extension du programme SCAF à d’autres partenaires européens complexifiera le partage industriel déjà tendu autour de ce programme
Par ailleurs, il est probable que l’opposition ferme de Dassault aux requêtes appuyées de Bruxelles, encore réitérées il y a quelques jours par la Ministre de la défense belge Ludivine Dedonder, pour rejoindre le programme SCAF, pourrait venir détériorer la dynamique en cours dans les domaines terrestres et navals. Dans ce cas, peut-on sortir de ce cercle vicieux auto-entretenu par des acteurs sûrs de leur bon droit ?
En premier lieu, il convient de rappeler que la décision finale, autour de cette coopération, ne revient pas à Eric Trappier mais aux ministres de tutelle des 3 pays finançant le programme SCAF aujourd’hui. Pour autant, un acteur comme Dassault Aviation, unique avionneur du programme à avoir l’expérience de la conception d’avions de combat, a incontestablement un poids industriel et politique qu’il est impossible de négliger, même au plus haut niveau des Etats.
Il existe pourtant une alternative à cette situation, potentiellement mutuellement profitable et acceptable par les deux pays, ainsi que par les industriels français et belges. En effet, il y a quelques jours, dans le cadre des débats autours de la LPM 2024-2030, le ministère des armées a annoncé son intention de developper le programme Rafale F5, épaulé d’un drone de combat dérivé du Neuron, d’ici 2030.
Le Rafale F5 évoluera accompagné d’un drone de combat dérivé du démonstrateur Neuron
En revanche, aucune décision n’a été prise quant au renouvellement de la flotte initiale de Rafale M entrée en service au début des années 2000, et qui va bientôt arriver aux limites du potentiel des appareils. En outre, il convient de rappeler que les frégates belges ont souvent participé aux missions d’escorte du PAN Charles de Gaulle français. Enfin, les forces aériennes belges n’ont commandé, à ce jour, que 34 avions F-35A, un format particulièrement réduit ne permettant de projeter, au besoin, que quelques appareils simultanément, loin du rôle qu’elles avaient par exemple, lors de la guerre froide, tant pour épauler l’OTAN que pour assurer les missions de couverture et protection en Mer du Nord.
L’ensemble de ces situations indépendantes entre elles, ouvrent pourtant la voix à une solution potentiellement acceptable et bénéfique pour les différents protagonistes. Il serait en effet possible de mettre en oeuvre une flottille de chasse embarquée mixte, composée pour moitié d’avions Rafale M F5 de l’aéronautique navale français, et pour moitié par les forces aériennes belges sur la base du même appareil, les deux forces contribuant à part égale aux ressources humaines (pilotes et personnels de maintenance) de la Flottille.
En procédant ainsi, la Belgique pourrait recoller au modèle mixte de force aérienne exigée par Eric Trappier pour rejoindre SCAF, tout en limitant les investissements ( 7 à 8 Rafale M F5 soit 1 Md€) et les couts de mise en oeuvre. En outre, les forces aériennes belges n’auraient pas, dans cette hypothèse, à déployer les infrastructures de formation et de maintenance requises mais inefficaces et très couteuses pour une micro-flotte de ce format, en s’appuyant sur les infrastructures de l’aéronautique navale dans ce domaine.
La création d’une flottille franco-belge de chasse embarquée pourrait constituer une solution positive pour lever les objections concernant la participation de la Belgique au programme SCAF
Du point de vue opérationnel, cette flottille pourrait se voir attribuer un contrat opérationnel spécifique pour la couverture de la Mer du Nord lorsqu’elle n’est pas embarquée à bord du PAN Charles de Gaulle, de sorte à décharger les F-35A belges de cette mission, et ainsi augmentant la disponibilité des appareils pour d’autres missions.
Enfin, la mise en oeuvre d’une nouvelle flottille franco-belge de chasse embarquée permettrait effectivement à la Marine Nationale d’envisager plus sereinement l’absence de renouvellement de ses premiers Rafale M sur cette LPM, tout en étendant la dynamique du programme CaMO dans le domaine aéronautique et aéronaval.
Alors que le Ministre des Armées, Sebastien Lecornu, a ouvert la porte à une nouvelle politique de coopération industrielle de défense française avec la création d’un « Club Rafale », cette approche pourrait permettre de lever les objections bloquantes aujourd’hui, aux plus grands bénéfices de l’émergence d’une dynamique étendue en Europe pour la construction de l’autonomie stratégique du vieux continent, mais également des capacités opérationnelles des forces armées concernées, pour une empreinte budgétaire et RH des plus maitrisée.
Une chose est certaine, cependant. Pour parvenir à fédérer efficacement en Europe, tout en satisfaisant aux impératifs industriels de chaque pays, il sera indispensable de se montrer original dans la conception des solutions à apporter, et passer au delà des postures, bien-fondés ou pas, de chacun des acteurs de ce dossier.
La Chine multiplie les ouvertures pour un rapprochement avec la Thaïlande en matière de défense, après que les États-Unis ont refusé d’exporter le chasseur F-35 vers Bangkok il y a quelques jours.
Pendant toute la guerre froide, et spécialement durant la guerre du Vietnam, la Thaïlande avait été l’un des alliés les plus fidèles de Washington, allant jusqu’à accueillir les escadrons de chasse de l’US Air Force sur ses bases aériennes, sans quoi les armées américaines n’auraient pu compter que sur les jets à bord des porte-avions de l’US Navy pour assurer leur couverture.
Après la guerre froide, toutefois, Bangkok s’émancipa de la tutelle US, pour prendre une posture plus neutre, ouvrant notamment la voie à un rapprochement avec Moscou et surtout Pékin.
Ainsi, dès 2009, la Chine était le second investisseur étranger dans ce pays, alors que concomitamment, la présence américaine économique comme militaire ne cessait de diminuer. Ce rapprochement aboutit au cours des années 2010 par la signature de plusieurs contrats d’armement avec les industriels chinois, visant à acquérir tant des matériels terrestres (chars lourds VT-4, véhicules de combat d’infanterie VN-1, VLS DTI-1G et SR-4) et dans le domaine naval (sous-marins S-26T, navire d’assaut Type 071E, frégates Type 053).
Pour autant, jusqu’à présent, Bangkok avait systématiquement donné la préférence aux systèmes américains et occidentaux concernant l’équipement de ses forces aériennes, celles-ci mettant notamment en œuvre 11 Saab Gripen C/D, 51 F-16 et une trentaine de F-5 pour sa flotte de chasse.
La Thailande met en oeuvre aujourd’hui une trentaine de chars lourds VT-4 (MBT 3000) de conception chinoise
C’est précisément pour remplacer ces appareils obsolètes que les Forces Aériennes Royales Thaïlandaises ont entrepris de se mettre en quête d’un nouveau modèle de chasseur.
Cette déclaration avait de quoi surprendre. Non seulement à aucun moment le F-35A peut-il être considéré comme plus économique que le Gripen, quel que soit le point de vue retenu, mais surtout du fait que Washington avait, jusque-là, réservé les licences d’exportation concernant cet appareil à ses alliés les plus proches de l’OTAN ou du Pacifique.
En s’étant à ce point rapproché de Pékin jusqu’à aller faire l’acquisition de sous-marins, de capital ship comme un LPD, ou encore de chars lourds, il était très peu probable que les États-Unis n’abondent dans le sens de l’Air Marshal Dhupatemiya.
Pour autant, il est évident qu’au travers de ces délais, Washington donne surtout à Bangkok le temps nécessaires pour choisir son camp de manière plus affirmée.
La Marine Royale Thaïlandaise a admis au service il y a quelques semaines le HTMS Chang, un LPD Type 071E construit par les chantiers navals Hudong-Zhonghua
La situation n’a certainement pas échappé aux autorités chinoises. En effet, à l’occasion de la visite du ministre de la Défense thaïlandais Narongphan Jitkaewtae à Pékin pour y rencontrer son homologue chinois Li Shangfu, ce dernier à clairement et publiquement ouvert la voie à un rapprochement accru entre les deux pays en matière de défense, pointant spécifiquement le rôle déstabilisateur et dangereux des États-Unis dans cette région pour justifier d’une telle initiative. Quant à Jitkaewtae, il a salué, lors de cette rencontre, le rôle de la Chine en faveur d’un apaisement des tensions régionales.
Il faut dire que Li Shangfu savait que son audience était réceptive. Le premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-o-cha et le président chinois Xi Jinping, à l’occasion du Forum de développement économique de Bangkok, pour accroitre la coopération entre les deux pays autour de l’initiative « Ceinture et routes » (improprement traduite en français de manière idéalisée par » les nouvelles routes de la Soie »). Quant à Li Shangfu, il a appelé à renforcer la coopération militaire entre les deux pays, et notamment d’organiser davantage d’exercices conjoints.
L’ouverture appuyée de Pékin montre incontestablement que le refus de Washington de vendre des F-35 aux forces aériennes thaïlandaises, a eu des effets sensibles à Bangkok, pouvant amener le pays à revoir sa politique d’alliance et d’équipement, bien au-delà de se tourner à nouveau vers le JAS-39 Gripen de Saab plutôt que vers le F-16V américain pour moderniser ses forces aériennes.
Le ministre de la défense chinois Li Shangfu a appelé à un renforcement de la coopération bilatérale entre la Chine et la Thaïlande en matière de défense
Elle montre également que même pour certains alliés traditionnels et de longue date des États-Unis et du camp occidental, de tels refus peuvent avoir des conséquences très significatives sur l’alignement des pays concernés, comme on a déjà pu le voir en Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis ces dernières années.
Au final, si le F-35 a incontestablement resserré les rangs, et par là même accru l’influence des États-Unis en Europe et vis-à-vis des alliés clés de la zone Pacifique, il semble avoir l’effet inverse vis-à-vis des pays ne répondant pas aux critères d’exportation américains, provoquant même un durcissement des relations entre ces pays et Washington.
Depuis plusieurs années, les européens ne ménagent pas leurs efforts pour tenter de donner vie à une industrie de défense européenne rationalisée, pour objectif, à terme, d’accroitre l’autonomie stratégique du vieux continent.
C’est ainsi que plusieurs initiatives ont été lancées, notamment au niveau de l’Union européenne comme la Coopération Permanente Structurée ou PESCO et le Fonds Européens de Défense, visant à donner un cadre de coopération et un accès à des crédits à des programmes de défense, qu’ils soient industriels ou opérationnels, réalisés par des pays européens.
D’autres initiatives, comme le programme d’avion de combat SCAF, le char de combat de nouvelle génération MGCS, le drone de combat RPAS Eurodrone ou les frégates FREMM, ont été lancés au travers d’accords nationaux, parfois dans le cadre de l’OCCAR (Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement).
Un constat sans appel
Il faut dire que le constat fait par les autorités européennes, il y a quelques années, avait de quoi intriguer. Ainsi, si les Etats-Unis mettaient en œuvre, en 2019, 2.779 avions de combat appartenant à 11 modèles différents, tous produits sur le sol américain, les membres de l’Union, de leurs côtés, n’alignaient que 1.700, mais de 19 modèles différents, dont plus de la moitié avait été importée.
Cette situation est loin de ne concerner que les avions de combat, étant strictement identique dans le domaine des blindés, des systèmes anti-aériens, des navires de combat ou encore des hélicoptères, même si dans plusieurs de ces catégories, la part des équipements européens s’avère supérieure.
Les armées européennes mettent en œuvre deux fois plus de modèles d’avions de combat que les armées US, pourtant 50% plus imposantes.
Face à de tels chiffres, il semblait évident qu’il était nécessaire de rationaliser non seulement les programmes d’équipements des armées européennes, de sorte à en améliorer l’interopérabilité, mais également de réduire les couts et améliorer la maintenabilité et l’évolutivité des flottes, et ainsi éviter d’inventer plusieurs fois la même roue.
À titre d’exemple, aujourd’hui, quatre industriels européens (TKMS, Kockums, Navantia et Naval Group) conçoivent des sous-marins à propulsion conventuelle ou AIP, alors que six grands bureaux d’étude navals (les quatre précédemment cités ainsi que Damen et Fincantieri) conçoivent des frégates, destroyers et grands navires de combat de surface.
Les dépenses répliquées de R & D sont évidentes, et pourraient de fait être économisées au profit de plus de matériels pour les armées, et de moins de dépenses pour les gouvernements, souvent exposés à d’importants déficits publics.
Une volonté de rationaliser l’industrie de défense européenne
De fait, et de manière prévisible, les institutions européennes, comme les dirigeants des pays les plus enclins à soutenir cette lecture de la situation comme la France ou l’Allemagne, entreprirent de « corriger le tir », en lançant des programmes conjoints, dans le cadre des institutions européennes ou de manière multilatérale.
Quelques années plus tard, force est de constater que le chemin emprunté s’est, de toute évidence, révélé bien plus chaotique qu’anticipé, alors que de nombreux programmes franco-allemands, comme MAWS, CIFS et Tigre III, ont connu un funeste destin, que les programmes SCAF et MGCS ne manquent pas de tensions et de difficultés, et que les programmes européens font fréquemment de même, surtout lorsqu’ils portent sur des capacités dimensionnantes, comme dans le cadre de la défense anti-missile.
Toutefois, de récentes déclarations outre-atlantique pourraient apporter certains éclaircissements sur les conséquences de cette stratégie européenne qui se rapproche de celle appliquée aux Etats-Unis il y a maintenant trois décennies.
Chaine de production de Krauss-Maffei-Wegmann pour le Leopard 2
Les effets pervers du nouveau paysage industriel défense américain
En effet, aujourd’hui, les grandes entreprises de défense américaines, et notamment le Top 5 constitué de Lockheed-Martin, Boeing, Raytheon, Northrop-Grumman et General Dynamics, ont atteint une telle puissance économique, sociale et politique, qu’il est impossible au Pentagone de contrôler la hausse des couts des équipements, par manque de compétition.
Les Stinger envoyés en Ukraine par les Etats-Unis avaient couté 25 000 $ à l’US Army au début des années 90. Ils sont remplacés par des Stinger achetés aujourd’hui 400.000$ auprès de Raytheon.
Or, cette situation est la conséquence, selon Shay Assad, de décisions prisent en 1993 par le gouvernement américain, pour précisément rationaliser la BITD américaine en faisant fusionner les quelque 50 groupes industriels qui se livraient depuis des décennies une féroce compétition à chaque appel d’offre du Pentagone, dans cinq grands groupes aux prérogatives exclusives dans le pays.
En procédant ainsi, le gouvernement US voulait précisément réduire les couts, mais également renforcer la puissance de son offre industrielle internationale, avec des ambitions au final très proches de celles visées par les initiatives européennes.
Rappelons qu’à cette époque, à titre d’exemple, un porte-avions américain mettait en œuvre un groupe aérien embarqué composé de 9 à 11 différents types d’appareils, contre 6 aujourd’hui.
Si aujourd’hui l’offre industrielle américaine est sensiblement plus rationalisée, elle a aussi connu une hausse des coûts sans précédent, dans tous les domaines, précisément par les positions hégémoniques de ces grands groupes qui aujourd’hui se traduit même au niveau contractuel, comme pour le F-35.
Selon Shay Assad, le fait de disposer d’une offre concurrentielle et non centralisée permet précisément d’éviter la création de potentats industriels en situation hégémoniques dans le domaine des équipements de défense, qui au final s’avère bien plus bénéfique aux armées et à leurs capacités d’équipement.
Ceci va à l’opposé du postulat de départ de la position européenne. Toutefois, en multipliant les acquisitions en petite série, de sorte à alimenter efficacement le fonctionnement et la pérennité de l’écosystème défense américain, il faudrait s’attendre à ce que les couts de possession des équipements croissent considérablement, ceci venant menacer les bénéfices concurrentiels attendus.
Selon lui, les paradigmes actuels, basés sur la conception d’appareils à la fois très polyvalents, très évolutifs et destinés à rester en service pendant plusieurs décennies, entrainent des surcoûts de conception, de fabrication et de possession dépassant largement les bénéfices attendus, qu’ils résultent d’une production en grande série, de la polyvalence poussée à l’extrême ou du maintien en service des appareils sur 30 ou 40 ans, voire au-delà.
À l’inverse, selon ce modèle, la production de séries réduites d’appareils spécialisés, de l’ordre de 200 ou 300 unités, destinées à ne rester en service que 15 à 20 ans, permettrait d’en simplifier considérablement le cahier des charges et d’en réduire les couts, délais et risques technologiques, tout en stimulant une réorganisation de la BITD pour une concurrence saine et efficace entre les industriels.
Le docteur Will Roper a démontré que les paradigmes industriels modernes en matière de construction aéronautique militaire étaient erronés
Pour autant, ses travaux ouvrent des perspectives qui pourraient, dans le cas européen, profondément bouleverser les paradigmes et objectifs des politiques inclusives actuellement suivies, qui aujourd’hui sont à l’origine de nombreuses tensions et difficultés, que ce soit pour les industriels comme pour les militaires, et parfois même pour les gouvernants, même s’ils s’en défendent.
Ainsi, les tensions qui ont failli, l’année dernière, faire dérailler le programme de chasseur de nouvelle génération rassemblant la France, l’Allemagne et l’Espagne, trouvent précisément leur origine dans cet effort de rationalisation industriel, qui n’est pas du tout du gout de Dassault Aviation, l’une des rares entreprises de défense pleinement indépendante en France.
En effet, l’objectif évident visé par Paris, Berlin et Madrid, ici, est de créer une interdépendance stratégique dans le domaine industriel entre ces trois pays, précisément en privant chacun d’eux des ressources nécessaires pour maintenir pleinement les compétences acquises après plusieurs décennies d’efforts, de recherche et d’investissements.
Dassault Aviation entend bien garder son indépendance et son savoir-faire industriel dans la BITD recomposée imaginée par les dirigeants européens.
Et pour cause : dans le cas d’une concentration industrielle franco-allemande, voire européenne dans ce domaine, Dassault devrait probablement à terme se laisser absorber par Airbus, ce qui est loin de correspondre aux objectifs des actionnaires de l’entreprise française.
Et l’on peut penser que la coentreprise KNDS résultant d’un rapprochement entre l’allemand Krauss-Maffei Wegmann et le français Nexter, résulte du même calcul, avec à terme, un effacement des entreprises nationales au profit d’un groupe supranational.
On notera que cette approche n’est pas nécessairement négative du point de vue industriel, comme le montre le cas de MBDA. Pour autant, rien ne démontre que cette approche soit au bénéfice final des Armées et de leurs capacités à s’équiper efficacement et au meilleur prix, bien au contraire si l’on s’en réfère à l’exemple outre-atlantique.
Conclusion
Quoi qu’il en soit, les déclarations faites par Shay Assad et corroborées par les difficultés et surcouts auxquels font face les armées US aujourd’hui dans leurs rapports avec la BITD américaine, devraient inviter les autorités européennes à aborder la stratégie actuellement suivie avec un nouveau regard, alors que les travaux de Will Roper peuvent, quant à eux, apporter de nouvelles perspectives quant aux paradigmes industriels employés.
On peut d’ailleurs se demander si, au-delà des stratégies supranationales et pluriannuelles difficiles à contrôler et basées avant tout sur une vision dogmatique du sujet, l’émergence d’une réelle autonomie stratégique et industrielle de défense au niveau européen, n’interviendra pas, avant tout, lorsque l’Allemagne acceptera d’acquérir des équipements développés par la BITD française, et vice-versa ?
Car au final, en dépit des annonces et des milliards investis, ni Paris ni Berlin ne semblent prêts à franchir ce Rubicon, laissant de fait à Rome (en l’occurrence, Washington) toute latitude pour contrôler la stratégie européenne…
Dans son nouveau rapport au sujet des armements, du désarmement et de la Sécurité international, le Stockholm International Peace Research Institute, ou SIPRI, l’institut suédois faisant référence dans ce domaine, trace un instantané du rapport de force mondial en matière de forces armées.
Cette année, celui-ci montre, entre autres, une progression inédite depuis plusieurs décennies des armes et des têtes nucléaires en service dans le monde.
Une hausse de 0,9% des stocks d’armes nucléaires dans le monde en un an
En effet, entre 2022 et 2023, le nombre total de têtes nucléaires opérationnelles est passé de 9.490 à 9.576, soit une hausse de 0,9% au global. Toutefois, cette variation faible au demeurant cache d’importantes disparités, alors que les pays occidentaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Israël) ont maintenu des stocks strictement identiques, là où la Chine (410 vs 350) a connu une hausse de plus de 17%, et la Corée du Nord (30 vs 25) de 20%. Quant à la Russie (+0,2%), l’Inde (+2,5%) et le Pakistan (+3%), leurs stocks ont augmenté de manière plus modérée.
Pour autant, cette hausse rapide des stocks chinois et nord-coréens, n’a pas donné lieu à une quelconque réponse marquée par les autorités des pays occidentaux dotés.
Cette absence de réaction est à chercher dans la certitude partagée par les chancelleries occidentales, selon laquelle le seuil nucléaire ne pourrait être franchi par les autorités de Moscou, Pékin ou Pyongyang, sachant que le cas échéant, cela déboucherait probablement sur un conflit nucléaire généraliser duquel personne ne sortirait vainqueur.
La Russie mettra en œuvre une flotte de 12 SNLE Boreï/ Boreï-A soit autant que la flotte de sous-marins de la classe Columbia de l’US Navy
Cette théorie de la destruction mutuelle assurée a été au cœur de nombres de décisions ces derniers mois, qu’il s’agisse du soutien occidental à l’Ukraine face à la Russie, ou du soutien américain à Taïwan face à la Chine dans le Pacifique.
De toute évidence, européens et américains n’ont jamais vraiment pris au sérieux les menaces du Kremlin dans ce domaine, pas davantage que le réarmement massif en cours de ces pays dans le domaine nucléaire.
Montée en puissance rapide des capacités nucléaires de la Chine, la Russie et la Corée du Nord
Pékin, de son côté, a admis au service 3 SNLE Type 09IV(A) ces 3 dernières années, poursuivi le développement du bombardier stratégique furtif H-20, et surtout a entrepris la construction de trois nouveaux sites destinés à accueillir des missiles ICBM en silo, pouvant potentiellement amener Pékin à parité avec les Etats-Unis et la Russie dans ce domaine dans les années à venir.
Pyongyang, enfin, a procédé à de nombreux essais de nouveaux vecteurs balistiques, y compris un missile à changement de milieux qui armera le prochain sous-marin lanceur d’engins à propulsion conventionnelle de la Marine nord-coréenne.
La Chine a entrepris la construction de 3 sites destinés à accueillir jusqu’à 300 missiles ICBM en silo, contre 399 Minuteman III américains en service
Une appréciation erronée occidentale des doctrines nucléaires de ces pays
Pour cette spécialiste reconnue de la dissuasion nucléaire, les certitudes occidentales dans le domaine de la dissuasion nucléaire, sont bien trop optimistes. D’une part, Pékin, Moscou et Pyongyang n’ont montré, ces dernières années, aucune volonté pour réduire et contrôler les armes nucléaires, les leurs comme celles de leurs compétiteurs, ce qui démontrerait une stratégie et une doctrine pleinement fondée sur le rapport de force nucléaire.
Surtout, aucun de ces pays n’adhère au principe d’inefficacité des armes nucléaires dans un conflit limité, du fait des risques d’escalade et de destruction mutuelle assurée. Au contraire, ils ont développé des doctrines employant les armes nucléaires dans une approche se voulant maitrisée pour obtenir un avantage militaire ou politique circonscrit au théâtre d’opération.
La directrice du Harvard Research Network on Rethinking Nuclear Deterrence n’est d’ailleurs pas la seule à exprimer des inquiétudes motivées dans ce domaine. Ainsi, dans un article publié le 17 mai par le Belier Center de Harvard, le général de brigade en retraite de l’US Army Kevin Bryan a, lui aussi, expliqué que l’utilisation de l’arme nucléaire en Ukraine par la Russie avait été encadrée depuis plusieurs mois par le Kremlin, notamment si les armées russes venaient à s’effondrer face aux coups de boutoir ukrainiens.
Bien évidemment, les positions exprimées par le docteur Giovanni ou par le général Bryan, ne doivent nullement être considérées comme des prédictions inévitables, mais davantage comme des arguments en faveur d’une évolution des postures occidentales dans ce domaine.
Le risque de première frappe nucléaire à visée tactique plus présent que jamais
On doit se rappeler, en effet, que jusqu’à quelques jours avant l’offensive russe contre l’Ukraine, l’immense majorité des chancelleries occidentales, ainsi que de leurs services de renseignement, convergeait sur la certitude que la Russie ne commettrait pas l’erreur d’attaquer son voisin.
La Russie comme la Chine et la Corée du nord disposent de vecteurs adaptés aux armes nucléaires de faible intensité, contrairement aux pays occidentaux dotés de l’arme nucléaire
Il est également important de prendre conscience que si la Chine, la Russie ou la Corée du Nord, et peut-être bientôt l’Iran, disposent ou disposeront bientôt de vecteurs adaptés à la posture ou a la frappe nucléaire de faible intensité, parfois désignée comme tactique, ce n’est plus le cas aujourd’hui des pays occidentaux dotés, tous n’ayant dans leur arsenal que des armes stratégiques pouvant, éventuellement, voir leur capacité de destruction réduite.
Or, s’il est possible d’identifier un missile balistique Iskander ou DF-21 comme une arme balistique nucléaire de faible intensité, il n’existe aucun moyen de savoir si l’ASMPA, la bombe nucléaire B61 ou les véhicules de rentrée atmosphérique lancés par des ICBM ou des SLBM sont de faible, moyenne ou forte intensité.
De fait, on peut se demander si, aujourd’hui, il manquerait aux pays occidentaux dotés de l’arme nucléaire, toute une partie de l’alphabet nécessaire à l’inévitable dialogue stratégique qui fut au cœur du rapport de force face à l’Union Soviétique au cours de la guerre froide, au risque de ne pouvoir contenir les risques de dérapages potentiels qui se dessinent ?