mercredi, décembre 3, 2025
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L’industrie britannique de défense ne sait plus construire de canon d’artillerie à hautes performances

Lorsque l’on présente un char de combat, ou un système d’artillerie, il est commun de mettre en avant là le fonctionnement de son système de chargement automatique lui conférant une grande cadence de tir, ici le système de visée ou de pointage de nouvelle génération offrant une précision renforcée, voire la munition elle-même, capable de percer les meilleurs blindages ou de frapper sa cible avec précision à plusieurs dizaines de kilomètres.

Pourtant, l’un des composants les plus avancés et les plus complexes à concevoir et construire de ces systèmes d’arme, n’est autre que le tube d’artillerie lui-même.

En effet, plus les systèmes d’artillerie sont performants, qu’il s’agisse de tir tendu comme pour les chars, ou de tir en cloche pour les obusiers et canons d’artillerie, plus ils doivent résister à des contraintes thermiques et mécaniques élevées, une réalité à laquelle les équipes américaines travaillant sur le programme ERCA sont aujourd’hui durement confrontées.

De fait, la conception et la fabrication d’un tube d’artillerie, requiert des compétences et des savoir-faire de hautes technologies, tant en matière de métallurgie que d’ingénierie. Et comme toutes les technologies et savoir-faire avancés, il est indispensable aux industriels qui en sont dépositaires, d’exercer et de développer leurs compétences, pour les maintenir opérationnelles.

Cette dure règle vient de s’inviter sur la scène publique outre-manche. En effet, alors que Londres a envoyé en Ukraine des chars Challenger 2 et des systèmes d’artillerie AS90 de 155 mm pour soutenir la contre-offensive ukrainienne en cours, il est apparu que la British Army allait devoir cannibaliser ses propres chars et systèmes d’artillerie restants, lorsqu’il s’agira de remplacer les tubes de ces deux équipements en Ukraine. En effet, l’industrie britannique n’a plus la compétence de produire de nouveaux tubes d’artillerie au-delà des petits calibres.

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Cette révélation, si elle fait l’effet d’un électrochoc pour de nombreux Britanniques, n’a pourtant rien de surprenant. En effet, depuis la livraison des chars Challenger II entre 1993 et 2002, et des canons automoteurs de 155 mm AS90 sur la même période, l’industrie britannique n’a plus eu matière à exercer ses compétences dans ce domaine.

À ce titre, le char Challenger III, un rétrofit profond du Challenger II qui donnera à la British Army une force de char pour assurer l’intérim jusqu’à l’arrivée de la prochaine génération, autour de 2045, sera équipé du canon L55A1 de 120 mm de Rheinmetall, celui qui équipe notamment le Leopard 2A6 allemand. Quant au remplaçant de l’AS90, il s’agira d’une acquisition sur étagère importée.

De fait, depuis plusieurs années, décision avait été prise par Londres que le maintien de cette compétence était secondaire, alors que des systèmes performants étaient disponibles, notamment en Europe.

Malheureusement, les planificateurs britanniques n’avaient de toute évidence pas anticipé de scénario comparable à celui qui se déroule aujourd’hui, et qui risque de handicaper encore davantage les capacités opérationnelles lourdes de la British Army, pourtant déjà lourdement diminué dans ce domaine.

Si l’on peut admettre que le scénario ukrainien était peu prévisible, cette situation démontre également la très faible résilience de la British Army aujourd’hui. De toute évidence, si celle-ci devait se trouver engagée dans un conflit majeur entrainant attribution et usure rapide des équipements, celle-ci aurait les plus grandes peines du monde à réparer ses matériels, alors que la guerre en Ukraine a montré, de manière incontestable, le rôle déterminant du soutien industriel de régénération ou réparation des équipements pour tenir la ligne.

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Cette annonce montre également, s’il était besoin, à quel point laisser en friche un secteur industriel défense pendant un délai trop long, engendre des conséquences irréversibles sur le maintien de ses compétences.

Alors que le programme MGCS risque d’être une nouvelle fois reporté au-delà de 2050, cette information constitue par ailleurs une mise en garde pour la France, si celle-ci veut effectivement être en mesure de conserver les compétences nécessaires pour concevoir et construire, équiper et les entretenir des blindés lourds, alors que la base industrielle technologie et défense terrestre n’aura alors plus produit de chars depuis 40 ans.

L’Armée Populaire de Libération chinoise, elle aussi, fait face à de sérieuses difficultés de recrutement et de fidélisation

Si vous êtes un fidèle lecteur de Meta-defense, vous savez que la problématique des ressources humaines est devenue, ces dernières années, un enjeu majeur pour la plupart des armées occidentales qui font face simultanément à trois facteurs dégradant leurs effectifs. C’est également le cas de l’Armée Populaire de Libération chinoise.

À la baisse des candidatures, en partie liée à la fin de la conscription dans de nombreuses armées européennes, mais également à une opinion publique moins sensible aux questions de défense, s’ajoute, en effet, d’importantes difficultés pour recruter les candidats ayant le profil attendu par les armées, tant par la technologisation croissante de tous les postes requérants des personnels ayant un bagage scolaire plus élevé, que de la sédentarisation croissante des populations, créant davantage de difficultés pour les candidats pour atteindre les critères physiques requis pour le métier des armes.

Outre les difficultés à recruter, les armées occidentales peinent à fidéliser les militaires sous contrat, beaucoup d’entre eux décidant de ne pas renouveler leur engagement à la fin de leur premier ou de leur second contrat, créant d’immenses difficultés pour bâtir la pyramide des âges et des grades consubstantielles d’une force armée efficace.

Dans ce domaine, les armées font face à la concurrence du marché de l’emploi civil, particulièrement friand des compétences acquises par les militaires et offrant des profils de carrière à la fois mieux rémunérés et bien moins contraignants qu’au sein des forces.

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La majorité des armées occidentales rencontrent aujourd’hui des difficultés pour maintenir et assurer le renouvellement de leurs effectifs

On aurait pu penser que cette situation ne touchait que les armées des démocraties occidentales. Ce n’est pas le cas. En effet, l’Armée Populaire de Libération semble, elle aussi, rencontrer des problèmes croissants pour maintenir ses effectifs et fidéliser les militaires sous contrat. Bien évidemment, par son opacité traditionnelle, l’APL ne communique pas ouvertement à ce sujet. Pour autant, plusieurs informations concordantes et concomitantes, présentées dans une analyse publiée sur le site américain DefenseOne, attestent de cette situation.

En effet, en avril dernier, le « Règlement de conscription » qui encadre la conscription chinoise qui forme plus de la moitié des effectifs de l’APL dans un service militaire de deux ans, a été sensiblement révisé par la Commission militaire centrale chinoise. Rappelons que selon le discours officiel chinois, si la conscription est obligatoire, elle ne concerne qu’un très faible nombre de jeunes d’une même classe d’âge.

D’une part, l’APL a considérablement réduit son format ces 30 dernières années pour passer d’une armée défensive basée sur la masse alignant plus de 4,5 millions d’hommes , à une armée moderne et hautement professionnalisée de 2 millions de soldats, à l’instar des armées occidentales. D’autre part, les volontaires pour effectuer leur service militaire étaient à ce point nombreux que la conscription obligatoire ne touchait qu’une très faible part d’une même tranche d’âge. Mais ça, c’était avant.

En dépit d'une population dépassant les 1,4 milliard d'habitants, la Chine peine à fournir à l'Armée populaire de Libération les effectifs qui lui sont nécessaires
En dépit d’une population dépassant les 1,4 milliard d’habitants, la Chine peine à fournir à l’APL les effectifs qui lui sont nécessaires

Le nouveau règlement, entré en vigueur ce printemps, montre au contraire que l’Armée populaire de libération peine désormais à remplir ses quotas de conscription, raison pour laquelle les règles s’appliquant à ceux qui la refusent ont été considérablement durcies.

Ainsi, faute de répondre à l’appel, les jeunes chinois se verront à présent écoper d’une amende pouvant dépasser les 6000 €, mais également se voir interdire l’accès à l’université, de pouvoir se rendre à l’étranger, d’obtenir un logement d’état ou un poste dans la fonction publique ou les entreprises d’État, ainsi que de se voir attribuer une licence professionnelle. Les tentatives d’interventions extérieures pour soustraire un candidat à la conscription sont ainsi très durement réprimées.

Pour autant, ce durcissement répressif semble ne pas pouvoir, à lui seul, résoudre les problèmes de l’APL en matière de ressources humaines. Ainsi, le taux de candidats conscrits s’avérant inaptes au service, qu’il s’agisse de problèmes de santé, de faibles capacités physiques ou de myopie, phénomènes résultants de la sédentarisation citadine massive de la population chinoise, dépasserait désormais les 50%. Au point qu’aujourd’hui, si le taux d’inaptitude au service déclaré par un centre sur une classe d’âge venait à dépasser un certain seuil, l’ensemble de la classe d’âge devrait être réévaluée.

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Plus de la moitié des jeunes diplômés chinois ne satisferaient pas aux critères physiques de l’APL

La fidélisation des effectifs représenterait aussi un problème pour l’APL. Jusqu’à présent, les conscrits n’ayant pas rejoint le corps de sous-officiers ou des officiers lors de leur service, étaient systématiquement rendus à la vie civile. Désormais, ces soldats pourront se voir proposer un contrat court de deux ans supplémentaires, associés à plusieurs avantages postérieurs dans la vie civile.

Le problème est d’autant plus critique que l’APL, comme les armées occidentales, vise à présent à recruter davantage de candidats diplômés, jusqu’à 70% de ses effectifs selon certaines sources, précisément pour mettre en œuvre les équipements de plus en plus technologiques et complexes qui arrivent en masse en son sein.

Or, il semblerait que le taux d’inaptitude physique pour les jeunes diplômés atteindrait dorénavant les 60%, rendant la conscription et le recrutement d’autant plus difficile que ces derniers sont promis à des carrières autrement plus attrayantes que celles proposées par l’APL qui, en de nombreux domaines, peinent à uniformiser le fonctionnement de ses forces sur son immense territoire.

De fait, et pour répondre à une possible augmentation rapide des besoins de l’APL en termes d’effectifs, la Commission militaire centrale chinoise a également durci le fonctionnement de la réserve, notamment si un ordre de mobilisation venait à être émis par les autorités.

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Recrues chinoises à bord d’un blindé, qui respirent la joie de vivre ….

L’ensemble de ces données et informations tendent à donner une image différente de celle dont veut se parer l’APL sur la scène internationale, en communiquant fréquemment sur le succès de ses campagnes de recrutement ou sur l’efficacité des processus de collaboration avec les lycées et les universités, notamment pour « détecter les futurs talents ». De toute évidence, en dépit de la répression ambiante, les jeunes chinois n’ont que peu d’entrain pour effectuer leur période de conscription, et encore moins de rejoindre l’APL pour y faire une carrière professionnelle.

La tentation semble grande, pour les autorités chinoises, de créer une société à deux vitesses, avec des citoyens de premier rang ayant effectué leur période de conscription et appartenant ou ayant appartenu à la réserve, et des citoyens de seconde zone pour ceux n’ayant pas suivi ce parcours. Sera-ce suffisant pour palier les difficultés actuelles de l’APL pour maintenir et renouveler ses effectifs avec les profils requis ? Cela reste à démontrer…

Après l’Italie et l’Allemagne, la Royal Navy va-t-elle aussi se doter de « Super destroyers » ?

En mars 2019, alors que Meta-défense était encore relativement « vert », nous publiions un article intitulé « Faut-il construire à nouveau des croiseurs pour la Marine Nationale« . Celui-ci mettait en avant le retour probable des grands navires de surface lourds de type croiseur.

Par leur puissance de feu concentrée tant en matière anti-navire et anti-aérienne, que de frappes vers la terre, ces navires représentent en effet une capacité complémentaire offensive idéale aux sous-marins et porte-avions, notamment pour éliminer les systèmes modernes de déni d’accès, tout en constituant de puissants escorteurs pour les capitals ships comme les porte-avions et grands bâtiments amphibies, en particulier face aux attaques de saturation.

Depuis, les choses ont rapidement évolué. Avec l’entrée en service de nouveaux grands bâtiments de surface comme les destroyers lourds Type 055 chinois, mais également avec l’augmentation des capacités des destroyers Arleigh Burke Flight III ou Sejong le grand, le retour du croiseur, même s’il n’en a pas la dénomination, s’est largement implanté dans de nombreuses grandes marines mondiales, y compris en Europe.

En effet, les futurs destroyers lourds DDx italiens, mais aussi dans une moindre mesure, les frégates lourdes de 10.000 allemands du programme MKS180, répondent à cette classification.

Si, pour l’heure, aucun programme de ce type n’a été annoncé en France, il semble qu’outre-manche, la Royal Navy tende, elle aussi, à se tourner vers ce type de navires pour le remplacement de ses destroyers anti-aériens Type 45 de la classe Daring.

Selon le site britannique Ukdefencejournal.org.uk qui a publié ce cliché (en illustration principale), les travaux entourant la future classe de destroyers qui seront, semble-t-il, désignés comme Type 83, n’en sont qu’au niveau des études préparatoires.

Toutefois, à l’occasion d’une conférence navale, la Royal Navy a diffusé un visuel d’illustration pour cette nouvelle classe, et le navire semble avoir tous les attributs d’un destroyer lourd, voire d’un croiseur.

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La Chine a mis en service en 3 ans les 8 premiers destroyers lourds Type 055 de la classe Nachang. Chaque bâtiment emporte 112 silos verticaux mettant en œuvre des missiles surface-air HQ-9, des missiles anti-navires YJ-18 et YJ-21, et des missiles de croisière CJ-10.

En effet, le visuel diffusé montre un destroyer lourd ayant, par extrapolation des éléments connus (hélicoptère Merlin, canon de 127 mm, antennes radar CEAFAR) des dimensions comparables à celles du Type 055 chinois, soit une longueur autour de 180 mètres et un déplacement estimé autour de 12.000 tonnes, contre 150 mètres et 8000 tonnes pour les Daring.

On observe également 64 silos verticaux repartis en 2 blocs sur la plage avant et entre les deux cheminées, ainsi que des systèmes d’autodéfense composés d’un canon de 127 mm, de tourelles d’artillerie de petit calibre et de ce qui semble être des systèmes à énergie dirigée, probablement laser.

Le navire est montré avec un hélicoptère lourd EH101 Merlin en plage arrière, ainsi qu’avec le puissant système radar australien CEAFAR de CEA Technologies, qui arme les frégates australiennes anti-aériennes de la classe Anzac, et qui équipera probablement les futures frégates Hunter de la Royal Australian Navy, révélant la spécialisation anti-aérienne du navire britannique en devenir.

Si l’analyse de cette image d’illustration apporte certaines informations intéressantes, notamment sur le fait que la Royal Navy envisage effectivement de se doter de destroyers lourds et dotés d’une puissance de feu accrue pour remplacer les Type 45, il convient toutefois d’en modérer les conclusions, notamment en ce qui concerne la configuration de l’armement et des systèmes embarqués.

Comme dit précédemment, les travaux de conception de cette classe qui ne doit entrer en service qu’à partir de la seconde moitié de la prochaine décennie, n’en sont qu’à leur stade initial, et de nombreuses évolutions interviendront très probablement durant la conception effective du navire.

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Les super destroyers italiens DDx dépasseront eux-aussi les 10.000 tonnes de déplacement, et seront dotés d’une grande puissance de feu, en particulier dans le domaine de l’artillerie navale

Surtout, il n’aura échappé à personne que le tempo technologique et doctrinal en matière d’équipements de défense a connu une accélération très notable ces dernières années. Ainsi, en à peine 10 années depuis 2013, la réalité technologique et opérationnelle militaire mondiale a connu une transformation comparable à celle qui fut observée sur les 30 années précédentes.

De fait, le contexte technologique qui encadrera la conception de ces navires pourrait encore sensiblement évoluer avant que le modèle et la configuration définitive des Type 83 auront été arrêtés.

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un nouvel exemple qui tend à préfigurer le retour des croiseurs dans les grandes marines mondiales, un renversement de tendance sensible dans la conception des forces navales.

Sans venir remplacer les porte-avions, toutes les marines (en dehors de l’Allemagne) qui sont ou vont se doter de croiseurs ou de destroyers lourds, mettant ou prévoyant de mettre en œuvre (Corée du Sud) également des porte-avions ou porte-aéronefs majeurs, ces navires de surface combattants lourds offrent en effet une alternative unique tant pour protéger la flotte que pour supprimer les défenses adverses, notamment les systèmes de déni d’accès anti-aériens et anti-navires.

L’US Army a enregistré un tir d’artillerie de 155 mm au-delà de 100 km

L’US Army a annoncé avoir effectué un tir d’artillerie de 155 mm au-delà de la barre symbolique des 100 km, alors que le rôle de l’artillerie à longue portée a été démontré à nouveau lors du conflit en Ukraine.

Face aux évolutions rapides des capacités des armées chinoises, et dans une moindre mesure des armées russes, nord-coréennes et iraniennes, l’US Army a lancé en 2017, à l’instar des autres armées US, un vaste programme visant à faire évoluer son organisation et ses équipements d’un modèle optimisé pour les engagements anti-insurrectionnels de ces 20 dernières années, vers un modèle adapté à l’engagement de haute intensité, comme lors de la guerre froide.

Parmi les sujets majeurs d’évolution, plusieurs programmes clés ont émergé, comme le Futur Vertical Lift qui vise à remplacer les équipements aériens (hélicoptères et drones) en service avec les programmes Futur Long Range Air Assault (FLRAA) et Future Attack and Reconnaissance Aircraft (FARA), la densification des systèmes anti-aériens et anti-drones avec les programmes Gardian et MEHEL, ou encore le remplacement de véhicules de combat d’infanterie Bradley avec le programme Optionnaly Manned Fighting vehicle, ou OMFV.

Le rôle de l’artillerie de 155 mm en Ukraine

Comme ce fut le cas au début des années 70 avec le super programme BIG 5, l’US Army a également entrepris de remplacer ses capacités d’artillerie et de frappes de la profondeur adverse, notamment au travers du programme Extended Range Cannon Artillery, ou ERCA.

Il est vrai que dans ce domaine, si les HIMARS de Lockheed-Martin se sont montrés très efficaces en Ukraine, cela n’a pas été le cas des M109 offerts à Kyiv par ses alliés européens. Ainsi, de manière documentée, ce sont pas moins de 21 M109 italiens, britanniques et norvégiens qui ont été détruits ou endommagés depuis le début du conflit, mais également plus d’une cinquantaine de canons tractés M777 offerts par les Etats-Unis, contre seulement un Pzh 2000 allemand et deux canons Caesar français endommagés.

Artillerie de 155 mm américiane
Les M109 envoyés en Ukraine ont une portée au combat de 25 km, 30 km avec des obus assistés de roquette, et 40 km en employant des obus Excalibur.

Et pour cause ! En effet, les M109, comme les M777, sont équipés d’un tube de 155 mm de seulement 39 calibres (longueur du tube exprimée en fonction du calibre de l’arme, soit 6 mètres), et ont donc une portée inférieure à 25 km, contre près de 40 km pour les tubes de 52 calibres des systèmes français et allemands.

De fait, les M109 et M777 ont une portée similaire à celle des 2S3 et 2S19 en service au sein des armées russes, et donc des tirs de contrebatterie. Ceci explique en grande partie les pertes enregistrées.

Le programme ERCA de l’US Army

C’est précisément pour répondre à cette menace que l’US Army a lancé en 2019 le programme ERCA, qui vise à équiper la plateforme M109 d’un nouveau canon de 58 calibres, le XM907E, avec l’objectif affiché d’atteindre des cibles au-delà de 60 miles, soit 100 km. Pour rappel, le record en termes de portée pour un système de 155 mm était jusque-là détenu par Rheinmetall qui, en novembre 2019, avait annoncé avoir enregistré un tir à 76 km avec un obusier G6 et une munition Assegai V-LAP.

De toute évidence, ce record a volé en éclats. En effet, ce mercredi, le britannique BAe a révélé avoir enregistré, dans le cadre du programme ERCA, un tir sur cible fixe ayant « plus que doublé » la plus importante portée enregistrée par le système jusqu’ici, soit 43 miles enregistrés en 2020 avec un obus de précision à propulsion additionnée M982 Excalibur.

De fait, selon le site américain Task and Purpose, l’annonce faite hier par BAe accrédite l’hypothèse d’un tir au-delà de 69 miles, soit 109 km. Pour y parvenir, BAe a mis en œuvre une nouvelle munition, désignée XM1155-SC Sub-Caliber Artillery Long-Range Projectile with Enhanced Lethality ou SCALPEL.

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Les Pzh2000 allemands et les Caesar français, équipés de canons de 52 calibres, ont enregistré des pertes relatives bien moins élevées que les M109 de facture américaine du fait d’une portée sensiblement supérieure

Si le succès de cet essai marque incontestablement une avancée majeure dans le cadre du programme ERCA, elle ne marque pas la fin des développements. En effet, il y a quelques mois, un rapport faisait état de l’apparition rapide de fatigues structurelles sur le canon XM907E L/58, du fait des contraintes thermiques et mécaniques très importantes que subit le tube à chaque tir.

Ce constat n’est guère une surprise, les tubes de 52 calibres employés par les Caesar et Pzh2000 en Ukraine, ayant déjà montré une usure relative plus rapide que les tubes de 39 calibres armant les autres systèmes occidentaux.

En outre, le Congrès s’était montré relativement circonspect quant aux promesses du programme ERCA, et ont limité, en décembre dernier, le format d’acquisition planifiée à ce jour à 18 systèmes dans le cadre de la Loi de finance 2024 du Pentagone.

Il reste donc encore beaucoup d’obstacles techniques comme politiques et probablement budgétaires à franchir pour ce programme, avant que les unités d’artillerie américaines soient effectivement dotées d’une capacité de frappe au-delà de 100 km. Pour l’heure, elles demeurent avec les M109A7 limités à 25 km de portée avec des obus classiques, et à 30 km avec des obus à propulsion additionnée RAP.

L’Etat-major norvégien anticipe une nouvelle montée en puissance des armées russes dans les années à venir

Ce n’est désormais plus contesté que par quelques soutiens inconditionnels de Moscou, les Armées russes ont subi des pertes considérables en Ukraine. Ainsi, selon le site de référence Oryx, celles-ci auraient dorénavant perdu (détruits, capturés ou endommagés) au combat plus de 10.000 équipements majeurs, dont plus de 2000 chars de combat, près de 3500 véhicules blindés de combat, plus de 900 systèmes d’artillerie ou encore 170 avions et hélicoptères et plus d’une dizaine de navires militaires.

Quant aux pertes humaines, beaucoup plus difficiles à évaluer, elles avoisineraient les 180.000 tués, blessés et portés manquants depuis le début du conflit.

Pour de nombreux pays européens, ces pertes sont à ce point élevées qu’il sera nécessairement long à Moscou de reconstituer une force armée conventionnelle suffisante pour venir menacer l’OTAN et ses voisins.

C’est ainsi que les grandes armées européennes, Françaises, Allemagnes, Italiennes ou Britanniques, se sont engagées sur un effort qui, certes, vise à répondre à l’évolution de la menace et au retour des risques de conflits majeurs conventionnels en Europe, mais ce sur un calendrier relativement long, c’est-à-dire sur une dizaine ou une quinzaine d’années, soit le temps nécessaire estimé à la Russie pour se remettre du désastre ukrainien, ce quelle que soit la conclusion de ce conflit.

face aux armées russes, l'état-major norvégien a fait le chois du Leopard 2A8
Le Leopard 2A7 (à gauche) et le K2 Black Panther (à droite) ont fait jeu égal lors des essais en Norvège. C’est toutefois le char allemand qui a été sélectionné par Oslo pour remplacer les Leopard 2A4 en service

Pour les pays d’Europe de l’Est et du nord, en revanche, la perspective est très différente. L’exemple le plus flagrant, bien que probablement excessif, n’est autre que la Pologne, qui produit depuis plusieurs mois un effort colossal visant à doter le pays d’une puissance militaire conventionnelle susceptible de contenir, au besoin sans l’aide de ses alliés européens, la menace russe en devenir.

Sans les excès évident de Varsovie, cette inquiétude d’une résurgence de la menace russe bien plus tôt qu’envisagé à Paris, Berlin ou Rome, est également partagée par les pays d’Europe du Nord et de Scandinavie, qui se sont engagés, eux aussi, dans un important effort à ce sujet.

C’est notamment le cas de la Norvège qui, malgré une population réduite d’à peine plus de 5 millions d’habitants, dispose d’une puissance militaire remarquable, avec presque 25.000 hommes et femmes sous les drapeaux, en partie fournis par un service militaire non obligatoire.

Surtout, les forces armées norvégiennes sont particulièrement bien équipées, avec une cinquantaine de chars lourds Leopard 2A4 bientôt remplacés par des Leopard 2A7+ épaulés de 160 véhicules de combat d’infanterie CV90, une trentaine de canons automoteurs K9 protégés d’une batterie sol-air NASAMS rassemblés au sein d’une Brigade de combat de 4500 hommes. Les forces aériennes alignent, quant à elle, une cinquantaine de chasseurs F16 et F-35A, 5 avions de patrouille maritime P-8A Poseidon ainsi qu’une quarantaine d’hélicoptères.

Avec plus de 80.000 km de côtes du fait de sa géographie très spécifique, riche en Fjord, la Norvège est également dotée d’une puissante marine, forte de 4000 militaires, et surtout alignant aujourd’hui 6 sous-marins de la classe Ula, 4 frégates de 5300 tonnes de la classe Fritjof (après la perte de la 5ᵉ unité, la frégate Helge Ingstad en juin 2019), ainsi que 6 corvettes lance-missiles de la classe Skjold , 4 navires de guerre des mines des classes Alta (2) et Oksøj, et un grand navire logistique, le Maud.

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La Marine Royale Norvégienne aligne aujourd’hui 4 frégates de la classe Fritjof Nansen

Dans ses recommandations 2023, un exercice annuel permettant au chef d’état-major d’exprimer publiquement ses besoins ainsi que la trajectoire donnée aux armées pour faire face aux menaces, le général Eirik Kristoffersen a comme chaque année, présenté une vision claire et objective des menaces en développement, et des besoins des armées norvégiennes pour les contrer.

De manière synthétique, le CEM norvégien estime que la guerre en Ukraine, si elle aura durement érodé les armées russes, aura également permis à celles-ci de se confronter à de nombreux équipements et doctrines occidentales, et d’en tirer les conséquences. De fait, dans les années à venir, le général Kristoffersen estime que les armées russes vont se reconstruire et réorganiser sur la base de ces enseignements, pour au final produire une menace bien plus significative pour le pays.

Pour répondre à cette évolution, il préconise dans ce document soumis aux autorités politiques du pays, plusieurs recommandations, notamment le durcissement des capacités de frappes de la profondeur et de défense anti-aériennes du pays. Mais la recommandation la plus marquante n’est autre que l’acquisition de deux sous-marins Type 212CD supplémentaires, en plus des quatre déjà commandés à l’allemand TKMS. À l’instar de l’état-major US, le commandement norvégien estime en effet que la menace sous-marine et navale russe aujourd’hui représente la plus importante capacité de nuisance aux mains de Moscou.

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L’Etat-major norvégien estime qu’il est aujourd’hui nécessaire de porter la commande de cous-marins Type 212CD de 4 à 6 navires, de sorte à doubler le potentiel opérationnel dont il dispose dans ce domaine pour faire face à la menace russe

Il convient donc d’en contrôler la liberté opérationnelle et d’en contenir la menace, en maintenant le format de la flotte sous-marine à six navires, ce qui permettra de doubler la disponibilité opérationnelle de cette composante vis-à-vis d’une flotte à quatre sous-marins actuellement visée. Selon le général Kristoffersen, ce besoin est même bien plus pressant, aujourd’hui, que le remplacement et/ou l’extension de la flotte de frégates, ce en dépit de la perte du Helge Ingstad il y a quatre ans.

Par sa position stratégique, la Norvège contrôle en effet le transit des navires et sous-marins russes de la flotte du nord, basée à Mourmansk, vers la Mer du Nord et l’océan Atlantique. Outre les navires norvégiens, cette zone est très régulièrement patrouillée par d’autres sous-marins de l’OTAN, notamment les SNA américains, britanniques et français.

Au-delà de l’extension de la flotte sous-marine norvégienne, le général Kristoffersen recommande également d’accroitre les capacités dont disposent la Marine royale et les forces aériennes pour mouiller des mines, mais également pour se prémunir de cette menace, alors que les 4 navires de 375 tonnes en service aujourd’hui sont entrés en service entre 1995 et 1997.

Pour cela, il recommande de mettre en œuvre des procédures pré-établies pour être en mesure de rapidement mouiller des champs de mines navals par moyens navals (navires et sous-marins), aériens (P8A Poseidon et hélicoptères MH60), mais également en faisant appel à des capacités civiles au besoin.

Dans tous les cas, il apparait dans le document annuel publié par l’état-major norvégien, que celui-ci anticipe, à relativement court terme, de possibles confrontations avec la Russie dans de nombreux domaines de conflictualité, terrestres, aériens, navals, sous-marins ou cyber.

Il serait probablement bienvenu, pour les européens de l’ouest, de suivre avec attention la lecture de cette menace faite par les pays qui en sont les plus proches, notamment pour ce qui concerne le calendrier de montée en puissance de la menace russe dans les années à venir, au-delà du conflit en Ukraine.

Le Ministère des Armées veut co-developper le Rafale F5 avec le « Club Rafale » pour 2030

Si, lors de sa présentation initiale, la nouvelle Loi de Programmation Militaire française 2024-2030 pouvait apparaitre terne et sans emphase, celle-ci s’est considérablement étoffée au cours des débats parlementaires, aussi bien du fait d’amendements venant des parlementaires eux-mêmes, que par des amendements et des précisions portées par le Ministère des armées lui-même, notamment autour du programme Rafale F5.

C’est ainsi que plusieurs programmes clés ont été confirmés, comme le porte-avions de nouvelle génération, alors que l’enveloppe budgétaire à été consolidée à 413 Md€, et que le Ministère des Armées a ouvert la voix à d’autres opportunités, comme un second porte-avions ou les drones de combat sous-marins.

Le Rafale a également fait l’objet d’une grande attention. Ainsi, il y a quelques jours devant l’Assemblée Nationale, le Ministère des Armées a présenté un amendement visant à encadrer les développements du programme, notamment de la version F5 qui doit disposer de capacités renouvelées en matière de fusion de données, mais également de nouvelles capacités, comme la suppression des défenses anti-aériennes de l’adversaire, et surtout celle d’évoluer aux cotés de drones de combat développés à partir du programme Neuron.

Pour autant, si cet amendement précisait que les travaux du Rafale F5 et de son drone de combat devaient débuter et être poursuivis sur la LPM à venir, tous, y compris le PdG de Dassault Aviation, envisageaient une entrée en service autour de 2035.

Le Rafale F5 intégrera un drone de combat dérivé du Neuron
Le Rafale F5 intégrera un drone de combat dérivé du Neuron

Interrogé à ce sujet par les membres de la commission du Sénat pour les forces armées et affaires internationales, le Ministre des Armées Sebastien Lecornu, a présenté hier un calendrier, mais également une approche programmatique, autrement plus ambitieux.

Ainsi, selon le Ministre, ce ne sont pas une partie mais tous les travaux de R&D pour donner naissance au Rafale F5 et au drone de combat dérivé du Neuron, qui seront réalisés sur la future LPM 2024-2030, ce qui suppose, comme il l’a explicitement confirmé, que les deux appareils entreront en service en 2030, ou tout au moins au tout début de la LPM à suivre.

Cette déclaration, évidemment plus que bienvenue, n’est pour autant pas la plus grande surprise de cette audition du Ministre. En effet, pour developper les nouveaux appareils, et les financer, le Ministre entend solliciter « le Club Rafale », c’est à dire les opérateurs présents (Egypte, Qatar, Inde, Grèce) et à venir (Indonésie, Croatie, Emirats Arabes Unis) de l’appareil, pour participer à cette évolution critique du programme.

Si, pour l’heure, il ne s’agit probablement que d’une ouverture potentielle évoquée par Sebastien Lecornu, cette annonce représente toutefois incontestablement, un changement profond de paradigme autour du programme Rafale, et plus globalement de la manière dont la France envisage désormais les relations qu’elle entend entretenir avec les opérateurs de ses systèmes d’armes.

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Le Grèce est probablement un excellent candidat pour rejoindre le co-développement du Rafale F5

En effet, traditionnellement, la France repartit en deux catégories faiblement poreuses les clients de ses équipements de défense. D’une part, il y a les partenaires, le plus souvent des pays européens proches avec qui les équipements sont co-produits, comme c’est le cas du Royaume-Uni dans le domaine des missiles et de la guerre sous la mer, de l’Allemagne et de l’Espagne dans le domaine des avions de combat et chars, ou de l’Italie dans le domaine naval et des missiles sol-air.

Les autres sont des clients utilisateurs, avec lesquels il est possible de collaborer ponctuellement, mais qui ne sont presque jamais sollicités ni même consultés, lorsqu’il s’agit de faire évoluer les équipements en service au sein des armées françaises.

Cette vision manichéenne des relations internationales dans le domaine des équipements de défense, a souvent desservi les exportations françaises, surtout que d’autres pays, comme l’Allemagne, l’Italie ou le Royaume-Uni, se montrent souvent beaucoup plus souples que Paris dans ce domaine.

De fait, si l’attention médiatique se portera probablement sur le nouveau calendrier du Rafale F5 présenté par le Ministre des Armées face au Sénat, c’est incontestablement ce basculement qui constitue le changement le plus radical en devenir, surtout s’il est par la suite étendu au delà du seul programme Rafale.

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Le changement de paradigme commercial peut potentiellement donner une nouvelle impulsion majeure aux exportations du chasseur français dans les années à venir

Concrètement, aujourd’hui, plusieurs opérateurs présents et à venir peuvent voir dans le développement du Rafale F5, une opportunité aussi bien opérationnelle qu’industrielle pour accroitre leurs capacités militaires mais également pour developper leur propre base industrielle défense.

C’est notamment le cas de la Grèce, qui dispose d’une industrie aéronautique active notamment autour du F-16. L’inde, quant à elle, met déjà en oeuvre une plate-forme industrielle complète, et pourrait y voir un grand intérêt dans l’objectif d’atteindre sa propre autonomie stratégique.

l’Egypte et surtout les Emirats Arabes Unis, ont montré quant à eux de grandes ambitions précisément pour developper leurs industries aéronautiques de défense respectives. Enfin, si le Qatar peut lui aussi être intéressé par le sujet, il est peu probable que Doha et Abu Dabi participent conjointement au même programme.

Cette approche peut produire de nombreux effets positifs. De manière évidente, elle pourrait diminuer le poids budgétaire sur la LPM à venir, ceci expliquant probablement pourquoi son calendrier a pu être révisé à enveloppe constante.

Dassault aviation étant, face à ces partenaires, le maitre d’oeuvre incontestable, ll sera possible d’appliquer la même matrice de collaboration que celle utilisée pour le programme Neuron, qui produisit d’excellents résultats.

Atelier Rafale Tissu industriel Défense BITD | Artillerie | Chars de combat MBT

Enfin, elle permettra d’étendre l’assiette industrielle et les commandes de nouveaux équipements, notamment des drones et probablement de nouveaux appareils, et donc d’assurer l’activité industrielle et la pérennité du Rafale pour la décennie à venir, voire au delà.

Reste désormais à étendre cette approche, sujet maintes fois abordé dans des articles publiés sur ce site, à d’autres programmes, de sorte à multiplier notamment vers le sud, les coopérations potentielles au plus grand bénéfice de l’industrie de défense française et des armées.

On ne peut qu’espérer que cette annonce se transformera dans les mois et années à venir, en réelle dynamique étendue à d’autres programmes industriels et technologiques de défense français.

Le Japon attribue à Mitsubishi la conception de 2 missiles hypersoniques et anti-navires d’ici à 2030

Après avoir conservé une posture de défense basée sur la stricte suffisance des moyens et un effort de défense sous le seuil des 1% de PIB pendant toute guerre froide et au-delà, le Japon a, depuis le milieu de la précédente décennie, entrepris de moderniser et renforcer ses capacités militaires de manière significative, notamment en se dotant de moyens jusque-là considérés comme incompatibles avec la constitution nippone, comme les destroyers porte-hélicoptères de la classe Izumo transformés en porte-avions capables de mettre en œuvre des avions de combat F-35B, capacité perdue par la marine nippone depuis 1945.

Depuis 2021 et la publication du nouveau Livre Blanc sur la Défense identifiant la Chine, mais aussi la Russie comme des menaces, statut jusque-là réservé à la Corée du Nord, et préconisant un soutien nippon aux forces américaines dans le cadre de la crise de Taïwan, Tokyo a également entrepris de considérablement accroitre ses investissements en matière de développement de systèmes militaires de rupture, qu’il s’agisse de drones, d’armes à énergie dirigée, de railgun mais également d’armes hypersoniques.

C’est ainsi qu’il y a trois ans, les autorités nippones annoncèrent le lancement de deux programmes de missiles hypersoniques, l’un à vocation anti-navire basé sur une trajectoire semi-balistique, l’autre employant un planeur hypersonique pour frapper les cibles terrestres adverses.

Si le développement du missile anti-navire ne pose pas d’enjeux en dehors du domaine technologique, le développement du système hypersonique de frappe vers la terre a nécessité une certaine interprétation de la constitution nippone qui interdit les armes dites offensives, ainsi que la notion de frappes préventives.

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Schéma descriptif du missile de la trajectoire du missile armé d’un planeur hypersonique pour frapper des cibles terrestres présenté par le Ministère de la Défense nippon

Quoi qu’il en soit, le Ministère de la Défense japonais a attribué les contrats industriels relatifs à ces programmes, et publié un communiqué à ce sujet le 6 juin. Ainsi, la société Mitsubishi Heavy Industries. Ltd s’est vu attribuer la première phase du développement du missile hypersonique anti-navire devant entrer en service en 2031, ce jusqu’en 2026 ; ainsi que la première partie jusqu’en 2027, concernant le programme de développement d’un planeur hypersonique de frappe vers la terre qui doit entrer en service en 2030.

Deux autres programmes ont été annoncés au même moment. Mitsubishi Heavy Industries. Ltd, à nouveau elle, va développer un missile de reconnaissance et de désignation de cibles navales devant entrer en service en 2027.

Kawasaki Heavy Industries, Ltd, de son côté, va développer un missile anti-navire à longue portée, qui doit entrer en service au même moment. Il s’agit, dans tous ces cas, de renforcer les capacités de riposte et de dissuasion conventionnelle des Forces d’Autodéfense Nippones face à la Chine, mais également à la menace balistique nord-coréenne et russe.

Au-delà de l’attribution des contrats elle-même, cette annonce met en évidence l’ambition, mais surtout l’urgence dans laquelle les Forces d’Autodéfense nippones évoluent aujourd’hui.

En effet, huit ans pour concevoir simultanément un missile anti-navire semi-balistique hypersonique, et un missile coiffé d’un planeur hypersonique de frappe vers la terre, sont des délais particulièrement courts, surtout pour une BITD qui n’a guère d’expériences dans ces domaines jusqu’ici.

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Trajectoire du missile semi-balistique hypersonique anti-navire développé par Mitsubishi

À titre de comparaison, le programme Futur Missile Anti-navire et Futur Missile de Croisière, ou FMAN/FMC franco-britannique, lancé en 2017, ne prévoit pas une entrée en service avant 2030 dans le meilleur des cas, alors que les deux pays partagent une expérience avancée en matière de missiles de croisière et anti-navires, que la France a l’expérience des missiles balistiques, et que les deux pays ont entrepris des recherches dans le domaine hypersonique depuis plusieurs années. Surtout, rien ne garantit aujourd’hui que ces missiles, ou un seul d’entre eux, soient effectivement hypersoniques.

On peut penser que ces développements, mis en perspective des avancées réalisées ces dernières années par les industries chinoises, mais également nord et sud-coréennes, ainsi que l’attention portée par la recherche US sur ce théâtre, mettent en évidence que le centre de gravité, moteur des technologies de défense, a désormais glissé vers le Pacifique, alors que l’Europe fait face à une Russie en perte sévère de vitesse dans le domaine des technologies de défense ces dernières années, probablement amplifiée par les conséquences de la guerre en Ukraine.

Contre l’avis de l’US Air Force, Lockheed continue de faire pression pour placer le tanker LMXT / A330 face au KC-46 de Boeing

Au début du mois de mars dernier, l’US Air Force annonçait sa décision de ramener le programme KCy, qui vise à remplacer une partie des avions ravitailleurs KC-135 et KC-10 Extender les plus anciens encore en service, à seulement 75 appareils, contre 160 appareils initialement prévus.

Ce programme, qui devait donner lieu à une compétition entre le KC-46 Pegasus de Boeing, déjà choisi par l’USAF en 2011 dans le cadre du programme KCx, et le tanker LMXT de Lockheed-Martin basé sur l’A330 MRTT d’Airbus, était alors réduit en volume de sorte à libérer des crédits et de ressources pour le programme KCz, à suivre, qui lui doit permettre la conception d’un avion ravitailleur de nouvelle génération susceptible d’opérer en environnement contesté.

Quoi qu’il en soit, concomitamment à la réduction de volume du programme KCy, l’US Air Force avait également annoncé qu’elle entendait ne pas lancer de compétition autour de ce programme, et se tourner directement vers le KC-46 de Boeing, de sorte à conserver une flotte homogène et plus aisé à maintenir.

Cette décision est, de toute évidence, loin de satisfaire Lockheed-Martin, qui n’a semble-t-il pas dit son dernier mot à ce sujet, pour amener le Pentagone à choisir son champion plutôt que celui de Boeing.

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L’US Air Force aligne aujourd’hui plus de 380 KC-135 Stratotanker dont 240 au sein des forces de réserve entrées en service entre 1957 et 1965

En effet, à la grande surprise de beaucoup d’observateurs avertis, par la voix du directeur du programme LMXT, Larry Gallogly, Lockheed-Martin a annoncé avoir sélectionné le turboréacteur CF6 de General Electric pour motoriser son LMXT, et ainsi signifier à l’US Air Force que le géant aéronautique américain n’entendait pas se satisfaire d’une décision sans compétition de la part du Pentagone dans ce domaine, alors que selon LM, son appareil offre des performances et une fiabilité meilleures que celles de son concurrent de Boeing.

En procédant ainsi, Lockheed espère amener l’US Air Force à déterminer des critères objectifs ouverts lors de la publication de la Demande d’information qui doit être publique d’ici à quelques semaines au sujet du programme KCy, lui permettant de concourir avec des chances de succès face au Pegasus de Boeing.

Surtout, l’avionneur fait peser une réelle pression sur le Pentagone, en signifiant qu’il était prêt à peser le cas contre une procédure bâclée ou tronquée, qui ne respecterait pas les règles de concurrences américaines, avec à la clé, la menace d’une procédure judiciaire qui bloquerait pendant plusieurs années le programme.

Notons que c’est précisément ce qui fit Boeing en 2009 après que l’A330 MRTT fut sélectionné par l’US Air Force à la suite d’une compétition contre le KC-46, amenant, après une bataille de lobbying intense, l’US Air Force à se tourner vers son appareil « 100% américain » en 2011.

Le tanker LMXT est basé sur l'A330 MRTT d'Airbus DS
Les Emirats Arabes Unis mettent en oeuvre aujourd’hui 3 A330 MRTT sur les 5 commandés

Depuis, l’image de Boeing a été sévèrement écornée dans ce programme, le KC-46 Pegasus ayant rencontré d’importants délais et surcouts, mais également des dysfonctionnements importants engendrant d’importantes difficultés opérationnelles, notamment lors des ravitaillements de nuit.

Dans le même temps, l’A330 MRTT d’Airbus a rencontré un important succès commercial à l’exportation, en Europe, mais également en Australie, en Arabie Saoudite, en Corée du Sud et à Singapour, et donne pleine et entière satisfaction à toutes ces forces aériennes, y compris à certaines des plus fidèles à l’industrie aéronautique de défense US.

Quoi qu’il en soit, par cette stratégie, Lockheed-Martin fait évidement user une pression des plus sensibles sur l’US Air Force et le Pentagone, avec le Congrès souvent critique vis-à-vis du KC-46 en embuscade, même si l’amendement proposé en ce sens par le représentant Républicain de l’Alabama Jerry Carl dans le cadre de la loi de finance 2024 du Pentagone a été rejeté il y a quelques semaines.

Cela montre également la combativité des industriels américains, prêts à se battre avec toutes les armes nécessaires pour influencer la décision, même lorsque la situation est très défavorable ou même critique.

Pourquoi la modernisation rapide des armées représente-t-elle un danger pour l’industrie de défense européenne ?

L’attaque russe contre l’Ukraine, entamée en février 2022, a constitué en bien des aspects un véritable électrochoc pour l’immense majorité des Européens, qu’ils soient dirigeants, personnalités politiques ainsi que pour l’ensemble de l’opinion publique.

En quelques heures, trois décennies de certitudes quant à l’impossibilité qu’une guerre majeure pour émerger en Europe, en particulier en impliquant une superpuissance nucléaire comme la Russie, avaient volé en éclat. Naturellement, beaucoup d’Européens se sont alors demandés si leurs propres armées, et leur industrie de défense, étaient en capacité de résister à une telle agression.

Le choc de la guerre en Ukraine

Le réveil fut alors des plus douloureux. Après 30 années de sous-investissements généralisés dans l’outil militaire, et des engagements militaires certes difficiles et couteux, mais de nature dissymétrique et anti-insurrectionnelle, les armées européennes n’étaient plus que l’ombre de ce qu’elles avaient été pendant la guerre froide.

Non seulement avaient-elles perdu les deux tiers, souvent plus, de leur masse, mais elles avaient, également et le plus souvent contraintes et forcées, largement négligé de moderniser et d’entretenir des équipements disponibles, pourtant en faible nombre.

C’est ainsi qu’en 2018, la Bundeswehr fit l’âpre constat qu’elle ne disposait, effectivement, que de quatre frégates, une cinquantaine de chasseurs Typhoon et Tornado, et à peine plus d’une centaine de chars Leopard 2 opérationnels et prêts au combat, alors que toute sa flotte de sous-marins était bloquée dans les ports.

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EN 2018, les 6 sous-marins allemands Type 212 étaient simultanément indisponibles et incapables de prendre la mer.

Malheureusement, le cas allemand était très loin d’être exceptionnel, la plupart des armées européennes, de l’est comme de l’ouest, faisant face à d’importants problèmes de disponibilité et d’efficacité dans la plupart des domaines.

Et si les armées françaises, par leurs interventions en Afrique et leur posture nucléaire heureusement maintenue très sérieusement à son plus haut niveau par l’État-major, étaient alors reconnues comme « la meilleure armée européenne », c’était avant tout faute de concurrence.

Si les pays d’Europe de l’Est, en particulier la Pologne et les Pays Baltes, avaient anticipé depuis quelques années le durcissement de la menace russe, et si la Grèce avait maintenu une posture défensive efficace face à la menace turque, toutes les autres armées européennes ont été, en quelque sorte, cueillies à froid par ce basculement.

Le Chancelier Olaf Scholz fut le premier à réagir à cette nouvelle situation, en annonçant, dès le 28 février 2022, la mise en place d’une enveloppe exceptionnelle de 100 Md€ pour moderniser les armées allemandes.

Surtout, il s’agissait de palier aux principales défaillances critiques, alors que le gouvernement s’engageait à atteindre un effort de défense à 2% du PIB d’ici à 2025, après avoir trouvé tous les prétextes possibles pour déroger à cet objectif tracé par l’OTAN depuis 2014, et resté d’actualité jusqu’à l’offensive russe.

Depuis, tous les pays Européens, des plus imposants comme l’Allemagne, la France et l’Italie, aux plus modestes comme la Lettonie et ses 1,9 million d’habitants, se sont engagés dans un vaste effort pour rapidement moderniser et accroitre leurs moyens militaires, tant pour compenser les matériels transférés à Kyiv pour faire face à Moscou, que pour rendre une offensive russe contre l’OTAN suicidaire, quel que soit le scénario envisagé.

Varsovie veut construire son industrie de défense sur la base d'un intense partenariat avec Séoul
Si les 180 premiers chars K2 Black Panther commandés par Varsovie sont produits en Corée du Sud, la majorité des 820 K2PL à venir le seront en Pologne

L’effort de defense polonais

L’exemple le plus marquant de cet effort n’est autre que la Pologne qui, en à peine 15 mois, a commandé 1250 nouveaux chars de combat K2 et M1A2, plus de 700 canons automoteurs de 155 mm K9, plus de 1600 véhicules de combat d’infanterie ainsi que 96 hélicoptères de combat Apache, 3 frégates Arrowhead et 48 chasseurs légers FA-50, parmi les équipements les plus significatifs.

Si de nombreuses questions subsistent quant au financement de cet effort exceptionnel, ses caractéristiques globales, à savoir un effort important, global et concentré sur une période de temps ramassée de moins de 15 années, représentent aujourd’hui, incontestablement, le plus important sujet d’inquiétude, d’autant que de nombreux autres chancelleries européennes, y compris en Europe de l’Ouest, se sont, elles aussi, engagées dans un effort de modernisation aux caractéristiques comparables.

En effet, pour faire face à la menace russe présente et en devenir, Varsovie a fait le choix de rapidement renforcer et étendre ses armées, passant notamment d’un format de 4 à 6 divisions mécanisées, tout en profitant de cet investissement massif pour déployer dans le pays une industrie de défense importante, notamment dans le domaine de la production de systèmes terrestres et blindés.

Avec un succès évident d’ailleurs, puisque sur les quelque 4500 matériels blindés de combat commandés par Varsovie ces derniers mois, près de 3 000 devront être assemblés, voire entièrement construits en Pologne.

De même, les autorités polonaises entendent développer leur industrie navale autour du Programme Espadon (frégates) et Orka (Sous-marins), leur industrie aéronautique dans un partenariat avec Séoul autour du kF-21 Boramae, ainsi que divers autres domaines, comme la missilerie, les drones ou l’électronique embarquée.

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Varsovie a ouvert la porte pour rejoindre le programme sud-coréen KF-21 Boramae à partir de 2026

Pour parvenir à respecter le calendrier visé par les autorités polonaises, les industriels vont devoir déployer des infrastructures, former des personnels et produire à un rythme soutenu, et surtout avec un volume important.

Un danger pour l’industrie de défense et sa pérennité

Or, les équipements produits auront une durée de vie de 30, parfois 35 et même 40 ans pour certains, alors qu’ils auront été tous produits simultanément en 15 ans de temps.

De fait, l’industrie polonaise devrait se retrouver, d’ici à une quinzaine ou une vingtaine d’années, face à déficit d’activité critique, sauf à trouver des clients à l’exportation, alors qu’au même moment, des équipements de nouvelle génération, issus des programmes européens ou américains, entreront en service et fermeront donc le marché aux offres polonaises.

À cette échéance, les capacités industrielles déployées à grand renfort d’investissements massifs risquent fort de se trouver face à un problème existentiel, ce alors qu’il est très peu probable que Varsovie puisse augmenter une nouvelle fois le format de ses armées pour donner l’activité nécessaire à son industrie pour boucler sur le remplacement des équipements en service, d’ici à 2050/2055.

Pire, si tous les équipements ont été acquis et livrés au même moment, et si leurs durées de vie opérationnelles sont proches, il sera nécessaire de les remplacer simultanément dans 30 à 35 ans, créant de fait un phénomène de vagues auto-entretenues bien difficile à neutraliser dans les décennies à venir.

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Les équipements modernes qui entrent en service aujourd’hui au sein des armées, comme le VCI KF41 Lynx au sein des armées hongroises, resteront en service au moins 30 ans.

Au-delà des aspects industriels, l’entrée en service d’un nouvel équipement majeur entraine systématiquement une baisse du potentiel militaire temporaire, le temps pour les unités de se transformer sur les nouveaux équipements, ainsi que de se l’approprier, mais également de mettre en œuvre efficacement les doctrines et les flux permettant leur emploi opérationnel.

En effet, les armées polonaises vont devoir se transformer simultanément sur la presque totalité de leurs nouveaux équipements, et seront donc, pour une période de 10 à 15 ans, bien moins efficaces et réactives qu’elles ne devraient l’être.

Là encore, ce phénomène tendrait à être reproduit par les vagues auto-entretenues, amenant les armées polonaises à être pleinement opérationnelles les 2/3 du temps, mais très largement handicapées 1/3 du temps, qui plus de manière prévisible.

On pourrait croire que le cas polonais est exceptionnel. Pourtant, il ne l’est pas. Ainsi, la plupart des pays d’Europe de l’Est ont entrepris de moderniser leurs forces terrestres et aériennes sur un calendrier proche de celui visé par Varsovie, engendrant les mêmes phénomènes.

En outre, ils les déportent partiellement sur les industries d’Europe de l’Ouest comme l’Allemagne ou la France, ainsi qu’aux Etats-Unis auxquels ils achètent les matériels, et qui font face de fait à une hausse rapide de l’activité, mais non lissée dans la durée.

Qui touche aussi les BITD européennes

Les Armées et industries d’Europe de l’Ouest sont également exposées à ce risque. Ainsi, les trois grandes Marines méditerranéennes, l’Italie, la France et l’Espagne, et leurs industriels Fincantieri, Naval Group et Navantia, auront entièrement renouvelé leurs flottes de grands navires de surface combattants d’ici à 2030, alors que leur remplacement n’interviendra pas avant 2040.

De fait, après avoir activement produit les F110, FDI et PPA actuelles, ces chantiers navals majeurs n’auront que le programme European Patrol Corvette pour maintenir leur activité pendant plus de 10 ans, et dépendront donc tous 3 de manière critique des compétitions d’exportation auxquelles participeront également les nouveaux venus Coréens, Chinois, Indiens, mais aussi américains avec les frégates Constellation.

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En 2030, Naval group comme Fincantieri et Navantia dépendront majoritairement d’éventuels succès à l’exportation pour maintenir leur capacité de production dans le domaine des grandes unités de combat de surface, et ce, pendant une dizaine d’années.

Naturellement, ce ne sont pas tant les décisions des gouvernants actuels, même s’ils manquent de toute évidence de vision à moyen terme, qui visent avant tout répondre à l’urgence, que les bien trop faibles niveaux des investissements ces 25 dernières années, qui ont engendré la présente situation.

Toutefois, il est probable que ce seront les pays et les BITD qui parviendront à planifier dans la durée le renouvellement de leur parc sur un cycle générationnel complet, qui traverseront le mieux cet épisode potentiellement très déstabilisant. Deux solutions s’offrent alors aux gouvernants pour y répondre au mieux.

La première consiste à parier sur les délais qui seront nécessaires à la Russie, mais également aux autres menaces pour constituer ou reconstituer une menace suffisante pouvant représenter une opportunité politique, ainsi que sur le poids dissuasif des alliés pour contenir la menace sur cette période.

Il s’agit, de cette manière, d’encadrer une montée en puissance linéarisée et ainsi préserver l’intégrité de son industrie de défense et de ses armées, pour éviter de s’engager dans le phénomène de vague. C’est, de toute évidence, la posture choisie par Paris dans le cadre de la LPM 2024-2030.

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Le report du programme de char MGCS risque de venir menacer l’activité industrielle planifiée de la BITD terrestre française, lorsque les livraisons du programme SCORPION auront pris fin en 2035

La seconde option, beaucoup plus originale, consisterait à ramener le cycle de vie des équipements au sein des armées de 30 à 15 ans. En procédant de cette manière, le renouvellement des équipements en service débuterait précisément lorsque les derniers équipements de la génération précédente auront fini d’être livrés.

Toutefois, pour rendre un tel modèle soutenable, avec des équipements conçus pour avoir une durée de vie de 30 ans, il est nécessaire de pouvoir s’appuyer sur un vaste réseau au sein des armées mondiales, notamment les moins biens dotés, de sorte à proposer les équipements sortant sur le marché des équipements d’occasion.

Est-ce le plan visé par Varsovie ? Difficile à dire, d’autant que les équipements qui seront produits seront fortement empreints d’une conception spécialisée pour le théâtre centre-européen.

Conclusion

Dans tous les cas, la déferlante d’annonces et d’ambitions en matière d’équipement et de capacités militaires à laquelle nous assistons depuis plus d’un an maintenant, si elle semble justifiée et indispensable, n’en est pas moins porteuse de difficultés importantes à venir, pouvant potentiellement mettre à genoux une bonne partie de l’industrie de défense européenne dans les 15 à 20 années à venir.

Et ce seront sans le moindre doute les pays et industriels qui sauront le mieux anticiper cette menace qui sortiront effectivement grandis de la reconstruction industrielle et capacitaire des armées européennes entamée au lendemain du 24 février 2022.

Après l’US Navy, les Marines américains se tournent vers les munitions rôdeuses pour le théâtre Pacifique

Il y a quelques jours à peine, l’US Navy annonçait une commande record de 1 Md$ pour faire l’acquisition de munitions rôdeuses, parfois appelées improprement drones kamikaze, dans le cadre d’un programme marqué su sceau du secret. Il s’agit, pour la marine américaine, de se doter de moyens à longue portée susceptibles de répondre aux évolutions dans le domaine de l’interdiction d’accès, avec des batteries anti-aériennes et anti-navires de plus en plus performantes, mobiles et discrètes, rendant les frappes aériennes et navales beaucoup plus difficiles et risquées.

De toute évidence, les mêmes causes entrainent les mêmes conséquences. En effet, c’est désormais au tour de l’US Marines Corps d’annoncer son intention de mettre en oeuvre une vaste flotte de munitions vagabondes susceptibles d’évoluer en essaim dans le cadre de sa réorganisation Force Design 2030, visant à adapter sa structure et sa doctrine aux engagements distribués modernes, en particulier sur le théâtre Pacifique qui, aujourd’hui, concentre toutes les attentions de son Etat-major.

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Plus précisément, en avance de la doctrine Joint-All Domain Command and Control qui représente le pilier de l’évolution en cours au sein des armées américaines, l’US Marines Corps s’appuie désormais sur les Expeditionary Advanced Base Operations (EABO), une capacité projetée disposant de l’ensemble des moyens de déni d’accès et de frappe pour contrôler un espace maritime, aérien et terrestre, tout en ayant une structure suffisamment légère pour conserver une mobilité certaine.

Quoiqu’il en soit, outre les systèmes anti-aériens, anti-missiles, anti-navires et d’artillerie à moyenne et longue portée, ainsi que les capacités aériennes fournies par les avions de combat F-35B à décollage et atterrissage vertical ou court et les hélicoptères Osprey, King Stallion, Viper et Venom, le Corps veut désormais se doter de systèmes de munitions vagabondes à longue portée, conçus pour évoluer en essaim, afin de renforcer voire de suppléer les capacités de son artillerie et de son aviation.

Les munitions actuellement testées par l’USMC permettent d’atteindre des cibles à 100 km, avec pour objectif d’amener cette portée à plusieurs centaines de kilomètres dans les années à venir. Surtout, le Corps veut s’équiper de munitions économiques et rapides à produire, et relativement simples à mettre en oeuvre, de sorte à pouvoir effectivement accroitre sensiblement sa puissance de feu sur un calendrier resserré, sans venir nuire aux autres programmes d’équipements sur un budget déjà sous tension.

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En 2019, l’US Marines Corps à annoncer renoncer à ses unités de chars lourds pour revenir à sa mission première, l’assaut amphibie

Sous l’impulsion du général Berger, qui en prit les rênes en 2019, l’US Marines Corps a entreprit en effet une profonde transformation pour revenir à ses missions fondamentales, l’assaut amphibie, notamment en remisant ses chars Abrams et une grande partie de ses systèmes d’artillerie lourds M109, de sorte à retrouver la mobilité nécessaire à ce type de mission, sur le constat d’une utilisation probable dans un avenir relativement court dans le pacifique face à la Chine, et non plus en tant que supplétifs de l’US Army en Afghanistan ou en Irak comme lors des 20 dernières années.

De toute évidence, à l’instar de l’US Navy, l’USMC considère qu’aujourd’hui, les munitions vagabondes représentent aujourd’hui une solution crédible et efficace pour venir à bout des systèmes de déni d’accès d’un adversaire symétrique, comme peut l’être la Chine ou la Russie, dont les armées sont réputées pour disposer d’une importante puissance de feu dans ce domaine. Du fait de leur capacité à évoluer en essaim, mais également à être déployées en l’absence d’une connaissance précise de la position des systèmes adverses, les munitions rôdeuses constituent effectivement une alternative potentiellement efficace, même si d’importants progrès technologiques doivent encore intervenir vis-à-vis des Lancet et autres Geranium employés par la Russie aujourd’hui contre l’Ukraine.

Les munitions rôdeuses sont largement employées en Ukraine, comme ici le Lancet-3
D’une masse de 12 kg, le Lancet-3 russe peut évoluer pendant 40 minutes à une vitesse de 100 km/h. Il s’avère efficace en Ukraine mais ne peut s’éloigner au delà de la portée électromagnétique de l’opérateur

En effet, aujourd’hui, les munitions rôdeuses se décomposent en deux familles. La première repose sur une connexion montante et descendantel entre le drone et la station de contrôle, de sorte à donner à l’opérateur la décision d’engagement et de la trajectoire, comme c’est le cas du Lancet russe mais aussi du Swtichblade américain ou du Harop israélien. Les drone peuvent alors patrouiller une zone dans l’attente qu’une cible apparaisse ou ne se révèle, qui doit rester à portée électromagnétique du drone pour pouvoir être contrôlé.

La seconde famille, elle, s’appuie sur une navigation GPS éventuellement complétée par une centrale inertielle pour aller frapper des cibles pré-identifiées, comme c’est le cas des Shahen 136 iraniens ou du Tu-141 mis en oeuvre par l’Ukraine à plusieurs reprises pour frapper des cibles dans la profondeur de l’adversaire.

Le Corps des Marines vise à developper des munitions rôdeuses disposant de la flexibilité opérationnelle des premiers, et de l’endurance et de la portée des seconds, ce qui suppose de disposer de capacités de communication renforcées de sorte à garder les drones sous contrôle, soit par l’intermédiaire d’un relais aérien en altitude, soit en utilisant des liaisons satellites. En outre, il entend donner à ces drones la capacité d’évoluer en essaim, c’est à dire d’agir à plusieurs drones de manière coordonnée, sans qu’il soit nécessaire que chaque drone soit controlé par un opérateur différent, ce qui immobiliserait de nombreuses ressources et saturerait probablement les moyens de communication.

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Les laser à haute énergie et les canons à micron-onde représentent aujourd’hui une réponse appropriée pour contrer la menace émergente des essaims de drones et munitions vagabondes

De fait, les munitions rôdeuses dont l’USMC entend ce doter dans les années à venir, n’auront probablement que très peu à voir, tant en matière de performances que de capacités, avec les drones aujourd’hui employés par les deux belligérants en Ukraine, et avant cela dans le Haut-Karabakh. En revanche, il entend veiller à conserver le principal atout des munitions rôdeuses aujourd’hui, à savoir une munition de mise en oeuvre aisée, pouvant être produite rapidement en grande quantité, et surtout à des couts bien inférieurs à ceux des missiles et roquettes balistiques modernes.

Reste que, comme c’est toujours le cas, l’émergence constatée ou annoncée d’un nouveau système d’arme entraine des recherches pour pouvoir le contrer. Dans les cas des munitions vagabondes, trop peu onéreuses et surtout potentiellement trop nombreux pour être contrées par des missiles, les état-majors aux Etats-Unis comme en Europe, mais également en Chine et en Russie, se tournent vers des armes à énergie dirigée, qu’il s’agisse de laser à haute énergie ou des canons à micro-onde directionnels, répondant précisément à ce besoin en étant capables de détruire des drones pour un cout bien inférieur à celui du drone lui-même.

De fait, l’avantage visé par l’USMC risque d’être transitoire, le temps qui Pékin ne dote les unités terrestres et navales de l’Armée Populaire de Libération de systèmes conçus spécifiquement pour les contrer, même si cette capacité viendra probablement compléter l’inventaire offensif de nombreuses armées dans les années à venir.