L’information avait été analysée en détail le mois dernier par le site Naval News, toujours très bien informé : dans le cadre de la modernisation de ses frégates Kang Ding (version locale des Lafayette françaises), la marine taïwanaise prévoie de mettre à niveau les lance-leurre DAGAIE MK2 d’origine française. Comme toujours, la possibilité d’une vente d’armement à Taïwan a entrainé de vives protestations de la part de Pékin.
Aux dernières nouvelles, cependant, la France aurait rejeté les exhortations chinoises, rappelant que la modernisation des lance-leurres DAGAIE ne déroge pas à la posture diplomatique française fixée dans le cadre de la déclaration franco-chinoise de 1994. Après avoir multiplier les déploiements navals dans le détroit de Formose, Paris envoie aujourd’hui un nouveau signal diplomatique fort en direction de Taïwan.
Pour autant, entre Paris et Taipei, on est encore bien loin aujourd’hui de la lune de miel du début des années 1990, quand la France a livré à Taïwan les six frégates furtives de type Lafayette ainsi que soixante chasseurs Mirage 2000-5, alors considérés comme les meilleurs intercepteurs de la région. Au cours des trois dernières décennies, Pékin est devenu un partenaire économique majeur pour les pays européens, notamment la France. En cas de vente importante d’armement à Taïwan, Pékin serait ainsi en mesure d’exercer d’importantes représailles commerciales, si bien que seusl les Etats-Unis disposent aujourd’hui de la puissance diplomatique, commerciale et militaire nécessaire pour couvrir les besoins taïwanais.
Si les frégates taïwanaises sont basées sur un design français, leur système de combat est principalement américain, et incorpore de plus en plus d’équipements de conception locale. La cohabitation de ces différents systèmes a pu poser quelques problèmes techniques au fil des années.
Néanmoins, les programmes de modernisation, surtout sur des équipements annexes, laissent une certaine marge de manœuvre à d’autres pays vendeurs, pour peu que Taipei accepte de faire appel à eux. Dans le cas de la France, la situation s’est globalement dégradé ces dernières années en raison d’un manque de dialogue et de cultures opérationnelles distinctes. Le cas des Mirage 2000-5 est en cela exemplaire : longtemps perçu comme le meilleur avion de la flotte taïwanaise, ces chasseurs souffrent aujourd’hui d’une mauvaise disponibilité. Leur modernisation en profondeur ne pourra sans doute pas être réalisée par l’industrie taïwanaise, trop habituée aux technologies et procédures d’origine américaine. De plus, côté français, les scandales politiques qui ont éclaté suite à la vente des frégates et Mirage rend quasiment impossible tout nouveau contrat majeur avec Taïwan.
Ainsi, pour la modernisation des six frégates de la classe Kang Ding, l’implication française devrait être minimale. Les chantiers navals locaux sont en mesure de réaliser l’entretien des coques, tandis que les capteurs et armements principaux pourront être réalisés par des industriels locaux. Toutefois, la France dispose encore d’une formidable expertise en matière d’autoprotection navale grâce au groupe Lacroix, qui conçoit et fabrique la plupart des leurres français (aussi bien pour les armements aériens, navals et terrestres).
La modernisation des systèmes DAGAIE sera confiée au groupe DCI, financé principalement par l’Etat français. Mais d’après des sources concordantes, c’est bien Lacroix qui devrait fournir les kits de modernisation ainsi que les nouvelles munitions des lance-leurre. En effet, depuis quelques années, Lacroix propose à l’exportation une toute nouvelle famille de leurres de très haute performance basés sur le concept de séduction centroïde.
Aujourd’hui, la plupart des systèmes de leurres navals sont encore équipés de chaffs et de flares conçus pour complexifier la désignation d’objectif en diluant l’échos radar ou l’empreinte infrarouge du navire au milieu des leurres : on parle alors du concept de distraction. Cependant, les autodirecteurs des missiles modernes utilisent des radars millimétriques et des systèmes d’imagerie infrarouge capables bien souvent de discriminer les leurres d’une véritable cible de surface.
Les leurres conçus par Lacroix sont parmi les plus sophistiqués du marché
Constatant les limites du leurrage par distraction, Lacroix a entrepris la conception de leurres de nouvelle génération qui ne cherchent plus à distraire le missile de sa cible principale mais à lui présenter une cible plus attirante disposant de toutes les caractéristiques d’un navire de surface. Désigné sous le terme de séduction centroïde, cette méthode ne se repose plus sur la dispersion de lamelles métalliques (les chaffs) ou de leurres infra-rouges aveuglants (les flares), mais sur des systèmes complexes qui sont mis en œuvre en prenant en compte la signature du navire, sa position et les conditions atmosphériques ambiantes. Ainsi, les frégates taïwanaises de la classe Kang Ding pourraient comprendre différents nouveaux types de leurres de la gamme SEACLAD de Lacroix, même si le détail de la configuration optée par Taïwan reste confidentiel :
SEALEM : conçu pour leurrer les missiles à guidage radar, le SEALEM ne repose pas sur des chaffs mais sur des réflecteurs radars suspendus à des parachutes et capables d’imiter la signature radar d’une frégate. Ils sont même capables de mimer les fluctuations de la surface équivalente radar pour tromper les analyseurs de spectre intégrés dans les missiles modernes.
SEALIR : conçu à partir de poudres et de composés chimiques spécifiquement développés par Lacroix, les leurres SEALIR sont capables de reproduire à la fois les longueurs d’onde exactes et la forme générale du navire du combat qu’ils protègent. Utilisé conjointement au SEALEM, le SEALIR permet également de contrer les missiles dotés d’autodirecteurs radar+IR.
SEAMOSC : solution de masquage par fumigènes, SEAMOSC permet d’offrir un camouflage optique mais aussi de protéger contre les armes à désignation laser. Une solution idéale pour le combat littoral, même si tout porte à croire que Taïwan privilégiera en priorité les solutions de protection contre les missiles antinavires à guidage radar, voire infrarouge, étant donné l’arsenal déployé par la marine populaire de Chine.
Toute la gamme SEACLAD Lacroix peut être déployée à partir de solutions mortier ou roquettes. Le système DAGAIE Mk2 emploie actuellement ces deux types de solutions de lancement, ce qui permet à la fois de déployer des leurres à longue distance pour faire de la distraction, et des mortiers à courte portée pour réaliser de la séduction.
Ainsi équipées, les frégates taïwanaises disposeront de l’une des meilleures suites d’autoprotection au monde. Néanmoins, la protection opérationnelle des six frégates Kang Ding dépendra également de leur suite de guerre électronique et de la modernisation de leur système de défense anti-aérienne par l’industrie locale taïwanaise.
Depuis plusieurs mois déjà, nous sommes revenu en détail sur les bouleversements induits par de l’épidémie de Covid-19 sur le secteur de la défense, que ce soit en perturbant les plannings opérationnels, en menaçant les investissements de défense, en conduisant à l’annulation des grands salons internationaux ou encore en impactant directement le personnel militaire. Mais l’épidémie a également interrompu une bonne partie des activités industrielles du secteur de la défense, au point de retarder certaines livraisons de matériel, mais aussi la conduite d’un certain nombre d’appels d’offres.
En début de semaine, on apprenait ainsi que la Royal Canadian Air Force (Aviation Royale Canadienne) annonçait qu’elle reportait d’au moins un mois le début de la compétition visant à remplacer ses chasseurs CF-188, désignation locale du F/A-18 Hornet de Boeing. Initialement, les différents candidats avaient jusqu’à la fin du mois de juin pour soumettre leur proposition dans le cadre du Future Fighter Capability Project. Désormais, la date limite est fixée au 31 juillet.
En 2018, alors qu’environ 80 CF-188 restaient en service, le Canada a acheté une vingtaine de F/A-18 Hornet d’occasion auprès de l’Australie afin de maintenir sa capacité opérationnelle en attendant l’arrivée d’un remplaçant
D’après les sources canadiennes, ce report aurait été décidé suite à la demande de plusieurs candidats potentiels. En effet, si les activités de production industrielles des différents avionneurs ont été bien plus touchées par l’épidémie que les activités tertiaires, ces dernières n’ont pas été épargnées pour autant. Les mesures de distanciation sociale et les limitations de déplacement ont ralenti une partie significative de l’activité des équipes techniques et commerciales. De plus, si le télétravail depuis le domicile permet de réaliser un nombre important de tâches courantes, il n’offre pas le même niveau de sécurité et discrétion qu’une réunion en tête à tête dans un lieu sécurisé. Or, les offres remises par les industriels dans le cadre des appels d’offres comprennent un nombre important de données sensibles voire classifiées.
Enfin, ce délai devrait également permettre aux différents compétiteurs de réévaluer leur offre, le cas échéant, en fonction de leurs nouvelles évaluations prospectives internes. En quelques mois, la situation économique mondiale a été bouleversée du tout au tout, et la situation sera sans doute particulièrement critique pour les industriels de la défense. Pour l’ensemble des candidats à la compétition canadienne, la pandémie de Covid-19 a surgit alors même qu’une partie des difficultés industrielles et commerciales rencontrées ces dernières années commençaient enfin à se résoudre.
Le Canada est un membre a part entière du programme JSF F-35. Ottawa a déjà déboursé un demi milliard $ dans ce projet, permettant aux industriels canadiens de récupérer une partie de la production mondiale de l’appareil. Malgré tout, les coûts d’entretien exorbitants de l’appareil ont poussé le Canada à lancer un appel d’offre ouvert.
Ces dernières années, Lockheed Martin avait accumulé les succès commerciaux autour de son F-16V et de son F-35, qui devrait être proposé au Canada dans une version légèrement adaptée du F-35A. Lockheed commençait même l’année avec de bonnes nouvelles sur le plan industriel, puisque le prix unitaire du F-35A passait enfin sous la barre symbolique des 80 millions$. Cependant, le bras de fer diplomatique entre Washington et Ankara avait conduit à l’annulation de la vente de F-35 en Turquie au début de l’année. Lockheed Martin perdait alors le deuxième plus gros client à l’exportation pour le F-35, mais également un fournisseur important de composants essentiels. La redistribution de la charge industrielle turque a d’ailleurs contribué à faire remonter le coût unitaire du F-35, et les problèmes logistiques se multiplient désormais pour Lockheed Martin, dont les sous-traitants affrontent de plein fouet la crise sanitaire et économique qui frappe à nouveau le secteur aéronautique.
Boeing, qui propose au Canada son Super Hornet Block III, la situation ne pourrait sans doute pas être plus catastrophique. Si son ravitailleur KC-46 multiplie les déboires techniques et opérationnels depuis des années, comme nous n’avons pas manqué de le rapporter, l’avionneur de Chicago semblait progressivement renforcer sa présence auprès du Pentagone avec le drone naval MQ-25 Stingray, le nouvel avion d’entrainement T-7 Red Hawk et une nouvelle version du vénérable Eagle, le F-15EX. Malheureusement, tant dans le domaine spatial que civil, Boeing multiplie les échecs, le double crash mortel du 737MAX et l’interdiction de vol de ce best-seller relevant véritablement de la catastrophe industrielle, que la pandémie de coronavirus ne fait qu’accentuer.
Boeing et Saab se sont associé pour concevoir et produire le T-7A Red Hawk, le nouvel avion d’entrainement avancé américain. Les commandes aéronautiques civiles et militaires devraient cependant se réduire considérablement dans les années à venir, augmentant la pression sur des industriels déjà en crise.
Enfin, seul candidat non-américain de la compétition canadienne, le Suédois Saab propose son Gripen E/F, l’appareil low-cost de la compétition, mais qui n’a rien à envier à ses cousins américains en matière de systèmes embarqués (voir notre dossier au sujet du Gripen NG). Comme nous avions pu l’évoqué dans un précédent article, les chances du Gripen au Canada sont maigres, le Français Dassault Aviation et l’Eurofighter européen s’étant déjà retiré de cette compétition considérée comme taillée sur mesure pour les candidats américains. Pour le moment, Saab semble encore tirer son épingle du jeu. Véritable miraculé sur la scène industrielle européenne, le petit avionneur suédois rencontre de beaux succès avec son avion radar GlobalEye, mais aussi en participant au programme Red Hawk aux côtés de Boeing. Pourtant, la branche aviation de Saab est menacée depuis plusieurs années, et elle pourrait bien souffrir durement du nouveau contexte ultra-compétitif qui s’annonce dans les années à venir.
En effet, alors qu’une crise économique sans précédent semble s’annoncer pour les années à venir, il ne fait aucun doute qu’une grande partie des achats de défense seront annulés ou retardés indéfiniment. On pense notamment à l’Inde, à l’Amérique du Sud mais aussi à l’Europe de l’Est, où Saab, Boeing et Lockheed Martin avaient de grandes ambitions. Non seulement le marché devrait se contracter, mais de nouveaux compétiteurs devraient émergés, notamment les industriels pakistanais et chinois capables de proposer des avions de combat bon marché.
A n’en pas douter, les nouveaux appels d’offre se feront de plus en plus rare, alors même que les constructeurs auront de plus en plus besoin de l’exportation pour assurer leur charge industrielle. Chaque compétition, y compris celle qui se déroule actuellement au Canada mais aussi en Suisse et en Finlande, sera alors véritablement acharnée, et imposera aux candidats de réduire leurs marges, de prendre des risques et de séduire par tous les moyens. Bien plus que le maintien de l’activité industrielle à court terme, il s’agira pour certains industriels de véritablement sécuriser leur avenir à long terme.
Le Typhoon et le Rafale ne sont plus candidats à l’appel d’offre canadien. Si Dassault doit encore livrer plusieurs Rafale en France, en Inde et au Qatar, les opportunités commerciales devraient se réduire dans les prochaines années, rendant d’autant plus cruciale la participation aux appels d’offres suisses et finlandais
Au final, en retardant de quelques semaines ou de quelques mois sa compétition, Ottawa pourrait bien faire une très bonne affaire, en bénéficiant d’offres commerciales bien plus avantageuses que celles qui auraient pu lui être proposées en début d’année. Reste cependant à s’assurer de la solidité financière et industrielle des candidats, ce qui pourrait bien profiter à Lockheed Martin qui doit encore fournir près de 2000 avions de combat aux forces américaines.
Mise à jour : au moment où nous écrivons ces lignes, nous apprenons que l’appel d’offre suisse pour le remplacement des F-18 Hornet de la Confédération Helvétique a également été reporté de trois mois, pour les mêmes raisons qu’au Canada. Les compétiteurs auront alors jusqu’au mois de Novembre pour remettre leur dossier. La compétition suisse voit également s’affronter le Super Hornet de Boeing et le F-35 de Lockheed Martin, mais Saab a été évincé l’année dernière. Y figure également l’Eurofighter Typhoon européen ainsi que le Rafale français, favoris de la compétition. Si le carnet de commande de Dassault Aviation permet d’assurer encore quelques années de production pour le Rafale, les opportunités à l’exportation notamment en Asie (commande indienne supplémentaire, Malaisie, Indonésie, etc.) vont considérablement se réduire dans les mois qui viennent, rendant d’autant plus stratégique la compétition suisse !
A priori, il n’y a aucun rapport entre le déploiement d’un réseau civil de télécommunication 5G et les accords de défense entre deux partenaires historiques comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Pourtant, dans un climat de guerre commerciale entre les USA et la Chine, l’administration Trump ne manque pas de faire pression sur son plus proche allié aussi bien que sur ses ennemis potentiels.
Comme le rapporte le Telegraph, un certain nombre de Sénateurs américains souhaiteraient introduire dans le NDAA (National Defense Authorization Act) une clause interdisant le stationnement d’avions sur des bases d’un pays hôte faisait appel à des contractant à risque pour ses réseaux 5G et 6G. Comprendre par-là que ces membres Républicain du Congrès souhaitent légalement interdire le déploiement de moyens militaires dans des pays faisant spécifiquement appel à Huawei ou ZTE pour concevoir leurs réseaux 5G et Wifi.
Si la guerre commerciale entre Huawei et Google a été largement traitée dans la presse généraliste, en raison de son impact concret sur les utilisateurs de produits Huawei, l’évincement de Huawei et ZTC aux USA a eu aussi de lourdes conséquences dans le secteur de la défense.
En théorie, une telle interdiction se justifierait par le risque sécuritaire que pourrait représenter la mise en place d’un réseau 5G par une entreprise chinoise comme Huawei, déjà épinglée à de multiples reprises par les services de renseignement américains et par la Maison Blanche elle-même. La crainte des Américains serait de voir le gouvernement chinois infiltrer les réseaux de communication britanniques par l’entremise de Huawei. Selon son implication dans le développement de la 5G britannique, Huawei aurait alors la possibilité d’établir des portes dérobées ou des chevaux de Troie dans le réseau 5G qui, s’il est avant tout civil, sert également de support à de nombreuses communications militaires britanniques, américaines et OTAN sur le territoire du Royaume-Uni (voir notre article dédié à la 5G dans la défense pour plus d’information).
Pour Washington, la situation est d’autant plus préoccupante que le Royaume-Uni est la plaque tournante de ses opérations de renseignement sur le continent européen. En effet, Londres fait partie du réseau de renseignement Five Eyes, qui comprend les USA, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. L’année dernière, les Five Eyes avaient accepté d’exclure Huawei de leurs réseaux de communication les plus sensibles, ce qui avait poussé Londres à réduire l’implication de la firme chinoise dans son infrastructure 5G à des éléments non-sensibles.
Cependant, les échanges d’informations sensibles entre ces cinq pays sont facilités et accélérées, et les membres du réseau disposent d’un certain droit d’accès à leur territoire respectif pour des opérations de renseignement. Concrètement, les USA déploient très régulièrement sur le sol britannique des avions de renseignement U-2S Dragon Lady, ainsi que des avions d’écoute électronique RC-135 Rivet Joint. Or, Washington ne partage pas le même avis que Londres sur ce qui constitue les parties « sensibles » d’un réseau 5G et ne souhaite pas faire prendre de risque à ses avions. Si Londres poursuit sa coopération avec Huawei sur la question de la 5G, les Rivet Joint américains pourraient donc être les premiers avions à quitter le Royaume-Uni, même sans modification de la loi NDAA.
Donald Trump est réputé pour ses méthodes de négociations agressives, la communication de la Maison Blanche s’arrangeant toujours pour présenter ses initiatives comme des succès stratégiques. Malheureusement, les pressions exercées sur les plus fidèles alliés des USA pourraient bien s’avérer très néfastes à long terme, en encourageant la création d’environnement technologiques globaux excluant de facto les Etats-Unis.
Mais si les Sénateurs Républicains obtiennent gain de cause, alors c’est l’ensemble des moyens aériens américains au Royaume-Uni qui pourraient être rapatriés. Cela concerne plusieurs escadrons de chasseurs F-15C et F-15E, des ravitailleurs KC-135R et des aéronefs des forces spéciales. De plus, cela pourrait retarder ou annuler le déploiement prévu de 48 chasseurs F-35 de l’US Air Force, prévus pour être basés au Royaume-Uni sur la base de Lakenheath. Enfin, une telle décision américaine pourrait conduire à l’annulation du déploiement de F-35B de l’US Marines Corps à bord du porte-avions HMS Queen Elizabeth, prévu pour l’année prochaine. D’après The Telegraph, un rapport remis à la Maison Blanche va même jusqu’à envisager le retrait de 10.000 troupes américaines basées au Royaume-Uni, qu’elles aient ou non un rapport avec les moyens aériens de recueil de renseignement de l’US Air Force.
En tout état de cause, il semble évident que la tentative de modification du NDAA par le Sénat américain est avant tout un moyen de pression diplomatique exercé sur Londres, bien plus qu’une véritable mesure de protection pour les forces américaines. Si le risque en matière de renseignement est réel, il peut cependant être contourné par la mise en place de protocoles de communication annexes purement militaires. Ces derniers seraient sans aucun doute coûteux et complexes à mettre en place, mais cela représenterait un coût financier bien moins important que le coût stratégique d’un retrait américain du Royaume-Uni.
En effet, la menace américaine est à double tranchant. Contrairement à ce que la rhétorique de Donald Trump laisse penser depuis son arrivée à la Maison Blanche, les bases américaines outre-mer servent avant tout à assurer la supériorité stratégique américaine partout dans le monde, leur rôle protecteur vis-à-vis des pays hôtes devant au contraire être largement minimisé. En cas de retrait du Royaume-Uni, Londres perdrait une partie de son parapluie défensif, mais cesserait également d’être une cible pour les adversaires des USA en cas de conflit limité. A l’inverse, Washington y perdrait son point d’appui tactique et logistique principal en Europe et dans l’Est de l’Atlantique.
En 2021, le 617 Squadron de la RAF ne disposera pas d’assez de F-35B pour armer pleinement le HMS Queen Elizabeth. Il est donc prévu de compléter la dotation du porte-avions britannique avec des avions de l’US Marines Corps. De quoi offrir un moyen de pression supplémentaire au gouvernement américain.
Pour l’heure, il semble donc que les pressions américaines sur Londres servent surtout à étouffer Huawei et à empêcher les entreprises chinoises de développer leur marché maintenant qu’elles sont interdites d’activité sur le sol américain. Il s’agit donc, purement et simplement, d’un conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis, et Washington entend bien pousser ses alliés à choisir leur camp. Déjà, le Canada et l’Australie semblent s’être inclinés devant les demandes américaines, mais le Royaume-Uni résiste encore. Il faut dire que Huawei dispose de réelles compétences technologiques sur la question, et que le déploiement des réseaux 5G reste largement soutenu par les populations, partout dans le monde.
Face aux critiques internes, Londres a déjà consenti à accorder un statut minoritaire à Huawei dans la conception du réseau 5G. Mais de plus en plus de membres du Parti Conservateur, à Londres, font pression sur le Premier Ministre Boris Johnson afin d’interdire l’implication de Huawei et d’autres compagnies « à risque » à partir de 2022. Si l’affaire est loin d’être prioritaire en ce moment pour le grand public, il y a cependant fort à parier que Londres mettra tout en œuvre pour ne pas fâcher l’Oncle Sam. Dans les années à venir, la défense britannique risque d’être durement touchée par la crise économique et la sortie de l’Union Européenne, et tout moyen de défense supplémentaire (y compris américain) sera bon à prendre. Mais l’affaire pourrait cependant prendre un peu de temps à être réglée, ce qui pourrait effectivement mettre à mal le déploiement d’avions américains sur le HMS Queen Elizabeth, dont le pont d’envol est décidément bien vide ces derniers mois.
Le 8 mai 2020, deux avions convertibles V-22 Osprey de la force d’autodéfense terrestre japonaise (JGSDF – Japan Ground Self-Defense Force) sont arrivés pour la première fois sur le sol japonais. Un navire civil de transport de véhicule a en effet déchargé les deux aéronefs, rotors et voilures repliés, sur un quai à proximité de la base militaire d’Iwakuni. Cette arrivée sur le sol japonais se déroule près de trois ans après la livraison des premiers appareils à la JGSDF. Jusqu’à présent, des difficultés politiques et administratives japonaises avaient obligé les appareils à rester stationner sur le sol américain.
Premier et pour le moment seul client à l’exportation de l’Osprey, le Japon devrait exploiter pleinement le potentiel de ses V-22 dans les années à venir. Mis en œuvre par la force terrestre, les Osprey devraient permettre de soutenir le déploiement de la nouvelle brigade amphibie japonaise. Créée en 2018 sur le modèle de l’US Marines Corps, cette unité d’élite aura pour mission principale de défendre les îles et îlots japonais.
V-22 Osprey japonais lors de son déchargement au Japon. Les deux premiers appareils sont arrivés à bord d’un navire roulier civil.
Ces îles s’étendent en effet jusqu’aux portes de Taïwan et permettent de contrôler l’accès libre au Pacifique, ce qui en fait une cible prioritaire pour les forces armées chinoises en cas de conflit avec Taïwan, même si le Japon n’était pas de facto une cible principale de Pékin. Grâce à ses V-22 Osprey, la brigade amphibie de la JGSDF sera ainsi en mesure de se déployer rapidement et à longue distance, que ce soit depuis une base terrestre comme celle d’Okinawa, ou depuis un des quatre porte-hélicoptères de classe Izumo ou Hyūga de la JMSDF. Bien que les Osprey apparaissent comme des vecteurs essentiels pour la stratégie militaire japonaise en Mer de Chine orientale, leur acquisition et leur mise en œuvre a été particulièrement mouvementée.
En 2014, le ministère de la défense japonais évoque sa volonté d’acquérir 17 V-22B Osprey, dans un standard très proche du MV-22 Block C de l’US Marines Corps. Une première commande ferme pour cinq premiers appareils est passée en 2015, et le premier appareil est livré par Bell/Boeing en 2017. A ce moment-là, il est encore prévu de baser les 17 appareils prévus sur la base de Saga, à proximité de la future Amphibious Rapid Deployment Brigade. Cependant, après plusieurs accidents impliquant des MV-22 américains basés au Japon ou déployés dans le Pacifique, un véritable scandale politique entoura la mise en œuvre des Osprey japonais, certaines municipalités craignant que des crashs menacent la sécurité de leurs citoyens.
Après plusieurs années passées sur le sol américain, les cinq premiers Osprey japonais semblent enfin être autorisés à opérer depuis le territoire japonais. Pour le moment, face à l’opposition politique dans la région de Nagasaki, où se situe la base de Saga, les appareils seront donc basés sur le Camp Kisarazu au Sud-Est de Tokyo. Ils y côtoieront les hélicoptères japonais de la 1st Helicopter Brigade, mais aussi l’unité de maintenance américaine des Osprey de l’USMC et de l’US Air Force. Pour les forces d’autodéfense japonaises, les premières années d’exploitation de l’Osprey pourraient donc être cruciales, surtout après la perte récente d’un des premiers F-35 assemblé au Japon.
Si l’exploitation des premiers Osprey se passe bien, la JGSDF devrait rapidement commander des Osprey supplémentaires, au-delà du besoin initial pour 17 aéronefs. En effet, le Japon cherche à se doter depuis plusieurs années de moyens adaptés à l’infiltration et l’exfiltration de commandos, notamment pour pouvoir intervenir librement et rapidement en cas de prise d’otages. Le CV-22B exploité par l’US Air Force au profit des forces spéciales américaines apparaît alors comme une solution idéale, pour peu que l’opposition politique autour de l’acquisition des premiers V-22B se calme. A plus long terme, si la volonté japonaise de convertir ses deux porte-hélicoptères Izumo en porte-avions se confirme, l’utilisation de Osprey pourrait se généraliser afin de soutenir les opérations aéronavales japonaises.
Les V-22 japonais volent déjà aux USA depuis quelques années. La date du premier vol au Japon reste encore inconnue, l’épidémie de coronavirus réduisant les possibilités de déployer des techniciens entre les USA et le Japon.
Sur le plan technique, les V-22 japonais seront extrêmement proches des MV-22B Osprey de l’US Marines Corps. Capables de décoller et atterrir verticalement à la manière d’un hélicoptère, leurs rotors basculent durant le vol pour leur offrir la vitesse et l’autonomie d’un avion-cargo conventionnel. Disposant d’une grande capacité d’emport et d’un rayon d’action trois à quatre fois plus important que celui d’un hélicoptère lourd, les Osprey japonais semblent reprendre le système d’autoprotection, les capteurs électro-optiques et la perche de ravitaillement des appareils des Marines américains. Au combat, leur capacité d’emport en soute est d’environ 9 tonnes de matériel, ou 20 à 30 troupes avec leur matériel.
Dans les années à venir, les forces japonaises devraient connaître une véritable révolution opérationnelle en matière de combat interarmées. Depuis 2016, le pays a en effet abandonné l’ambition purement pacifiste de sa politique étrangère, et donc la doctrine purement défensive de ses forces armées. Pour Tokyo, ce revirement stratégique inédit depuis la Seconde Guerre mondiale vise à répondre activement au réarmement chinois et nord-coréen, mais aussi à disposer de moyens de lutte anti-terroriste à large échelle, notamment pour éviter que ne se reproduise la dramatique prise d’otages de 2013 en Algérie. Dans les faits, cela devrait se traduire par une montée en puissance des capacités aéronavales japonaises, avec le renforcement des porte-avions et porte-hélicoptères et donc des appareils STOVL pouvant y être déployés, en l’occurrence le V-22 de transport et le F-35B de combat.
Le Département d’Etat américain a autorisé la modernisation de la flotte d’hélicoptères Apache égyptiens au standard AH-64E Apache Guardian. L’accord de Foreign Military Sale (FMS) porte sur 43 cellules et leurs équipements associés, soit la totalité de la flotte d’AH-64D Apache actuellement opérés par l’armée de l’air égyptienne. Le montant de l’accord est évalué à 2,3 milliards de dollars. Comme toujours, avec les FMS, il ne s’agit cependant que d’autorisations d’exportation, et pas d’un contrat définitif. Les termes de ce dernier restent en effet à négocier, et pourraient concerner un nombre plus restreint d’hélicoptère ou encore un stock moins important de pièces détachées. Il pourrait également être accompagné d’un second contrat portant sur l’armement des appareils. Même si a priori les Boeing AH-64E reprendront l’armement de base des AH-64D actuellement en service en Egypte, le Apache Guardian reste taillé sur mesure pour le tir de roquettes à guidage laser APKWS.
Le doute persiste également sur les capteurs qui seront intégrés aux AH-64E égyptiens. En effet, les 35 AH-64A modernisés au standard AH-64D à partir de 2003 ne sont pas dotés du radar Longbow, que Washington avait refusé d’exporter à l’époque. Pour le moment, l’intégration du radar amélioré du Apache Guardian ne semble pas évoqué par le MoD, mais si son exportation pourrait être autorisée ultérieurement. Dans tous les cas, le radar Longbow reste optionnel sur l’hélicoptère Apache. S’il offre de meilleures capacités pour les attaques anti-chars ou anti-navires saturantes, il n’a que peu d’intérêt pour les opérations de soutien aérien et de lutte anti-insurrectionnelle.
Apache Guardian équipé d’un radar Longbow au-dessus du rotor principal. Son capteur principal reste la suite électro-optique placée dans le nez.
Cette décision de moderniser tout ou partie de la flotte des hélicoptères de combat égyptien intervient alors que le pays continue d’affronter une insurrection dans le Sinaï et d’importants problèmes sécuritaires à la frontière libyenne. De plus, l’Egypte manque toujours d’hélicoptères adaptés pour les opérations maritimes. En effet, le Caire avait racheté en 2015 les deux porte-hélicoptères de fabrication française initialement prévus pour la Russie. Cette vente devait s’accompagner d’une acquisition d’hélicoptères de combat russes optimisés pour une utilisation sur les navires amphibies.
Dans les faits, toutefois, les 46 Ka-52 Alligator achetés en 2015 ne sont pas spécifiquement adapté à un usage naval. Si les Alligator et Apache égyptiens ont déjà été vus à bord des porte-hélicoptères de la marine, ils supportent mal l’environnement marin. Pire encore, les Ka-52 sembleraient enchaîner les problèmes techniques, l’avionique et les moteurs ayant du mal à supporter le climat égyptien.
A l’inverse, les hélicoptères AH-64 égyptiens donnent de très bons résultats depuis le milieu des années 1990. La version Apache Guardian est, en théorie, bien mieux adaptée à l’environnement maritime que la variante AH-64D précédente. Reste à voir si la modernisation choisie par l’Egypte intégrera les modifications nécessaires pour permettre d’exploiter pleinement le potentiel de ces appareils à bord des deux porte-hélicoptères du pays.
La production des 66 nouveaux chasseurs F-16V Viper de Lockheed Martin à destination de Taïwan a débuté à la fin du mois d’avril. Le 28 avril 2020, le Département de la Défense américain a en effet annoncé que le contrat de production de nouveaux réacteurs General Electric F110-GE-129 à destination de Taïwan avait été activé. Ces derniers sont destinés avant tout à équiper les F-16V construits dans les nouvelles usines de Lockheed Martin à Greenville, en Caroline du Sud, même s’ils pourraient intégrer ultérieurement une partie des F-16A/B d’ancienne génération déjà convertis au standard F-16V au complexe Shalu d’AIDC à Taichung.
Cette annonce semble marquer la fin du long feuilleton de la modernisation de la force aérienne taïwanaise. Pourtant, à l’heure où les relations entre Pékin et Taipei sont au plus mal, la force aérienne taïwanaise semble se retrouver dans une situation particulièrement paradoxale. En effet, dans les années à venir, Taïwan disposera de la force aérienne la plus moderne de son histoire. Et, dans le même temps, jamais son désavantage stratégique n’aura été aussi flagrant.
En théorie, le F-16V dispose d’une impressionnante capacité d’emport en missiles longue portée AMRAAM. Taïwan reste cependant très limitée dans ce domaine, Washington ne livrant les précieux missiles qu’au compte goutte.
Jusqu’au début des années 1990, la Chine continentale ne représente pas une menace militaire majeure pour l’armée de l’air taïwanaise. En effet, Pékin aligne principalement de vieux chasseurs F-7 dérivés du vénérable MiG-21, largement à la portée des chasseurs F-5 et F-104 mis en œuvre par Taipei. Les choses changent cependant rapidement au tout début des années 1990, alors que la République Populaire de Chine met en service des chasseurs-bombardiers JH-7 et surtout les redoutables chasseurs lourds Su-27 Flanker d’origine russe.
Anticipant l’arrivée de nouveaux avions chinois, Taïwan entreprend dès les années 1980 d’acheter de nouveaux avions américains en remplacement de ses F-5 Tiger. Mais, en 1984, l’administration américaine, alors très pointilleuse sur l’exportation de technologies de pointe, refuse la vente de F-16 et de chasseurs légers F-20. Cela pousse alors Taïwan à développer son propre chasseur léger, le Ching Kuo, qui constitue encore une des pièces maîtresse de son arsenal tactique. Suite à la répression des manifestations de la place Tian’anmen, cependant, les restrictions américaines sur les exportations vers Taïwan sont levées. En 1992, Taïwan passe donc commande pour 150 F-16A/B équipés pour le combat diurne et la frappe au sol, ainsi que pour 60 chasseurs de supériorité aérienne français Mirage 2000-5.
Les F-16 taïwanais sont adaptés au tir de missiles Harpoon. La version F-16V devrait accroître les capacités de frappe air-sol et air-mer taiwanaises
Depuis cette époque, toutefois, aucun gros contrat d’armement n’a pu être signé au profit de la force aérienne taïwanaise. En effet, depuis la fin des années 1990, Pékin est devenu un partenaire économique privilégié pour l’Europe et les Etats-Unis, détrônant alors Taïwan sur le plan commercial. Dans un tel contexte, ni Paris ni Londres ne dispose du poids diplomatique permettant de soutenir massivement Taïwan sans crainte de représailles de la part de Pékin. Même Washington, qui multiplie les bras de fer avec Pékin depuis la Troisième crise du Détroit de Taïwan (1995-1996), tente de ménager la susceptibilité de la Chine en limitant autant que possible les exportations de nouveaux avions de combat à Taïwan.
En 2011, alors que Taipei réclame à nouveau l’autorisation d’acheter 66 nouveaux F-16C/D, un accord est finalement négocié avec Lockheed-Martin et le Département d’Etat américain : en lieu et place de F-16C/D neufs, Taïwan reçoit l’autorisation de moderniser sa flotte de F-16A/B existants au standard Viper, nettement plus avancé que le F-16C.
Comme Singapour, Taïwan aimerait se doter de F-35B capables d’opérer sur l’île sans les besoins d’une piste d’aviation complète. Washington reste cependant très frileux à l’idée d’exporter le fleuron de sa technologie à une force aérienne très exposée à l’espionnage chinois.
Parallèlement, Taipei continue toutefois de réclamer de nouveaux avions, ses besoins étant alors gigantesque. En effet, sa flotte de F-5 Tiger est à bout de souffle et ne constitue guère plus qu’une force d’autodéfense à courte portée, et la plupart d’entre eux devraient être remplacés par le T-5 Brave Eagle développé localement. Pire encore, alors que les 60 Mirage 2000-5 ont longtemps été considérés comme les meilleurs appareils taïwanais, ils souffrent aujourd’hui d’une usure et d’une corrosion accélérée, la faute à des déploiements réguliers sur des îles exposées à de très rudes conditions climatiques.
Pour Taïwan, la modernisation des anciens F-16 au standard Viper n’est pas suffisant pour combler la réduction inévitable du format de sa flotte, alors même que Pékin aligne de l’autre côté du Détroit de Formose plusieurs centaines de chasseurs modernes J-10, des chasseurs lourds J-11 et même des chasseurs furtifs J-20. Dès 2011, c’est donc le F-35B à décollage vertical qui est réclamé par Taipei, pour une utilisation terrestre similaire à celle recherchée par Singapour. L’affaire donne lieu à de vifs échanges entre Taipei et Washington, qui finit par proposer un compromis. En plus de la modernisation d’une centaine de F-16 existants, les USA s’engagent à livrer 66 F-16V neufs.
Si le F-16V n’offre pas la furtivité du F-35 plus récent, ni la puissance de détection du F-16E vendu –bien plus cher– aux Emirats Arabes Unis, il présente tout de même de nombreuses caractéristiques des avions de nouvelle génération. Comme nous l’avions déjà décrit, cela passe par l’intégration de liaisons de données à haut débit, d’un radar AESA de dernière génération APG-83 SABR et d’un nouveau cockpit articulé autour d’un large écran tactile, comme sur le F-35.
Les Mirage 2000 taïwanais évoluent dans des conditions environnementales très rudes. Les techniques de maintenance de la force aérienne taïwanaise, calquées sur celles du F-16, auraient également aggraver certains problèmes de corrosion.
Enfin, les nouveaux appareils sont équipés du moteur F110-GE-129, plus puissant et plus fiable que les F100-PW-220 qui équipe les F-16 convertis en standard Viper à Taïwan. Le choix de cette nouvelle motorisation viendra sans doute compliquer la logistique de la force aérienne taïwanaise, mais cela semble répondre avant tout à une logique économique de la part du Pentagone qui souhaite désormais proposer une seule et unique version du F-16 dans le cadre des contrats FMS. Une partie des F-16 rénovés pourrait toutefois être ultérieurement modifiée pour l’emport de F110, mais cela demandera de modifier l’entrée d’air des appareils.
Dans les années à venir, la force aérienne taïwanaise devrait donc se reposer massivement sur sa flotte de F-16 composée d’avions neufs et d’appareils rénovés, légèrement moins performants pour l’interception mais tout aussi capables pour la frappe au sol ou la lutte anti-navire. La force de frappe légère devrait continuer à se reposer sur les Ching Kuo modernisés et sera épaulée par les nouveaux T-5 Brave Eagle, qui serviront à l’entrainement avancé des pilotes et probablement comme ultime ligne de défense à courte portée après le retrait des F-5. Ainsi, seul l’avenir des Mirage 2000-5 reste incertain. Aux dernières nouvelles, les nouveaux F-16V ne devraient pas servir à remplacer le chasseur d’origine française. Mais ce dernier aurait souffert d’une maintenance mal adaptée au milieu salin, et ne serait pas aussi facile à moderniser par l’industrie taïwanaise, plus habituée à travailler sur des designs d’origine américaine. Leur retrait anticipé pourrait donc avoir lieu dans les années à venir faute de modernisation.
Le 8 mai, Boeing a publié une vidéo montrant la sortie d’usine du premier F/A-18F Super Hornet Block III. Présentant de nombreuses évolutions techniques, le Block III devrait succéder dès la fin de l’année au Super Hornet Block II, dont les derniers exemplaires ont été livrés à l’US Navy le 17 avril dernier.
Cet avion est le premier de deux Super Hornet Block III destinés à effectuer des essais en vol au profit de l’US Navy. Il recevra ainsi progressivement l’ensemble des équipements propres au standard Block III, permettant aux premiers avions pleinement équipés d’être livrés dans les mois à venir. Par rapport au Block II, qui équipe massivement les escadrons de l’US Navy, le Block III devrait présenter de très nombreuses améliorations en matière de connectivité, de capteurs, d’interface et d’autonomie.
Le premier Super Hornet Block III lors de sa sortie d’usine. Les Super Hornet Block II disposaient d’une durée de vie de 6000 heures de vol, portée à 7500 heures par un programme de remise à niveau. Le Block III dispose d’une durée de vie supérieure à 9000 heures de vol, aussi bien pour les avions neufs que pour les Block II qui seront remis à niveau.
En premier lieu, Boeing aurait effectué des améliorations de la cellule, et notamment des revêtements externes, afin d’améliorer la furtivité de l’appareil. De base, la surface équivalente radar (SER, ou RCS en Anglais) du Super Hornet est déjà considérablement plus faible que celle d’un avion de génération précédente comme le F-14 Tomcat ou le Hornet de base. Sans être un avion réellement furtif, le Super Hornet Block III devrait rester difficile à détecter à longue distance. De plus, sa discrétion accrue devrait faciliter le travail des avions de brouillage EA-18G Growler (dérivés du Super Hornet) lorsqu’ils devront camoufler un raid de l’US Navy aux yeux des radars adverses.
Les principaux changements du Block III concernent néanmoins l’avionique de l’avion. Ainsi, ce nouveau standard va enfin intégrer nativement une liaison de données satellitaire, même si le SATCOM était initialement prévu pour les derniers avions du Block II. Une nouvelle liaison de données rapide est également prévue, la Tactical Targeting Network Technology. Cette TTNT, déjà intégrée sur les Growler les plus récents, permettra de partager de données voix et vidéo le long de larges réseaux tactiques résistants au brouillage adverse. Enfin, le Block III va recevoir le nouveau calculateur DTP-N, également introduits précédemment sur la flotte de Growler. Conçus pour améliorer la fusion de donnée dans un contexte tactique hyper-connecté, ces ordinateurs de bord devraient offrir au Super Hornet un excellent potentiel d’évolution, notamment pour permettre aux équipages de prendre le contrôle à distance de drones ou de Loyal Wingmen, comme Boeing le propose d’ailleurs en Australie.
Le large écran tactile s’impose peu à peu comme un nouveau standard d’affichage dans les chasseurs américains, malgré les réserves de certains spécialistes de l’ergonomie. Les F/A-18F disposeront de cet affichage en place avant et en place arrière.
Pour gérer cette avionique de nouvelle génération, Boeing a intégré dans le cockpit du Super Hornet Block III un nouvel écran multi-fonction de très grande dimension. Si les grands écrans tactiles ne font pas toujours l’unanimité, y compris au sein de l’US Navy, ils semblent désormais s’être imposés dans les productions aéronautiques américaines. On les retrouve ainsi à bord des F-35 et F-16V de Lockheed Martin, mais également à bord des dernières productions de Boeing, comme les F-15QA et EX, l’avion d’entrainement T-7 Red Hawk et, donc, le Super Hornet Block III.
Extérieurement, toutefois, le Block III se distinguera du Block II par le biais de deux équipements amovibles qui devraient cependant intégrer quasiment en permanence les escadrons de Super Hornet. En premier lieu, les nouveaux venus dans la flotte de l’US Navy devraient embarquer sous le ventre un réservoir de carburant modifié intégrant, dans sa partie avant, un capteur infrarouge à longue distance, l’IRST Block II, que nous avions détaillé dans un précédent article. Couplé à la nouvelle connectivité du Super Hornet, cet IRST devrait offrir à l’US Navy une véritable capacité de détection passive à longue distance contre des cibles furtives.
Les CFT ont été testés en vol sur le démonstrateur Advanced Hornet. Certaines innovations proposées par Boeing, comme la soute à armement externe vue ici sous le ventre de l’avion, ne devraient pas voir le jour sur les avions opérationnels.
En second lieu, les Super Hornet Block III seront conçus pour pouvoir embarquer sur le dos des réservoirs de carburants conformes, ou CFT (Conformal Fuel Tanks). Ces derniers permettront d’augmenter l’autonomie en vol et de réduire la nécessité d’emporter des réservoirs largables sous voilure. L’autonomie du Super Hornet a toujours été un problème particulièrement épineux pour l’US Navy. En effet, les F/A-18E Super Hornet ont été conçus comme une version agrandie et à plus longue endurance du F/A-18C Hornet. Malheureusement, des problèmes aérodynamiques ont contraint les ingénieurs de Boeing à décaler de leur axe les pylônes d’emport de voilure, ce qui augmente considérablement la trainée de l’appareil et donc sa consommation en carburant lorsqu’il embarque des charges sous voilure (notamment des réservoirs externes). De plus, le réservoir externe sous l’aile gauche est très souvent débarqué, puisque sa présence empêche d’exploiter pleinement le champ de vision du pod de désignation laser placé contre l’entrée d’air gauche.
Autant d’éléments qui ne permettent pas au Super Hornet Block II, dans la pratique, de disposer d’un rayon d’action véritablement plus important que celui du Hornet classique. Avec l’arrivée des CFT, le Super Hornet devrait enfin disposer d’un rayon d’action réellement étendu, même en l’absence de réservoir sous l’aile gauche, et malgré la capacité d’emport en carburant réduite du réservoir ventral lorsqu’il est équipé de l’IRST. Ensemble, CFT et IRST devraient permettre aux avions de l’US Navy d’opérer de plus loin, et d’affronter des menaces furtives sans se dévoiler par leurs propres émissions radar. Le Super Hornet Block III pourra alors intervenir sur des conflits de haute intensité modernes, notamment face à la Chine, avec le soutien des F-35C furtifs et des nouveaux drones ravitailleurs MQ-25 Stingray.
Le Block III est aujourd’hui proposé à l’exportation à tous les prospects du Super Hornet, notamment le Canada, la Finlande, l’Inde et l’Allemagne.
Pour le moment, l’US Navy a commandé 78 Super Hornet Block III neufs, avec une entrée en service prévue pour 2021, et les 28 appareils commandés par le Koweit devraient également inclure une partie des équipements du Block III. De plus, une partie des 540 Super Hornet Block II déjà en service dans la Navy pourraient être modernisés au standard Block III. Enfin, l’US Navy n’exclue pas la possibilité d’intégrer certains des équipements du Block III sur sa flotte de Growler, notamment les réservoirs conformes et la nouvelle interface du cockpit. A plus long terme, Boeing travaille également avec l’US Navy et le motoriste General Electric pour proposer des réacteurs plus puissants et plus économes sur le Super Hornet et le Growler. Cela permettrait d’offrir plus de capacité d’emport et d’autonomie aux chasseurs, mais également plus de puissance électrique pour les Growler de brouillage électronique.
Cet ensemble de modernisations n’est pas sans rappeler les programmes européens de mise à niveau des flottes de chasseurs, notamment le Rafale français porté au standard F4, ou le Gripen E/F suédois. Systématiquement, il s’agit d’améliorer les capteurs et la capacité de communication en réseau de chasseurs existants afin de leur permettre de contrer les chasseurs furtifs plus récents mais aussi considérablement plus chers.
Décidément, le programme d’acquisition d’avions d’attaque légers pour l’US Air Force ne manque pas de rebondissement. Ainsi, alors qu’elle a annulé son programme LAAR (Light/Attack Armed Reconnaissance), l’USAF devrait tout de même recevoir un petit nombre de AT-6 Texan II et de A-29 Super Tucano pour procéder à des essais dans les prochains mois. Parallèlement, le projet d’acquisition d’avions d’attaque légers a été repris en main par le commandement des forces spéciales américaines (USSOCOM) dans le cadre du programme Armed Overwatch.
Le Bronco II dispose d’une aile à flèche légèrement inversée, d’un propulseur arrière et d’un empennage bipoutre. Cette configuration devrait lui offrir une bonne maniabilité à basse altitude lors des passes de tir.
Ces vingt dernières années, les forces aériennes américaines et occidentales se sont largement focalisées autour de la question du soutien aérien rapproché (Close Air Support, ou CAS). Les chasseurs, les avions d’attaque et même les bombardiers lourds ont été progressivement optimisés pour intervenir dans des conflits hybrides. Parallèlement, l’idée d’acquérir de nouveaux avions spécialement dédiés à cette tâche s’était progressivement imposée au sein de l’armée de l’air américaine.
Toutefois, avec la récente montée en puissance des forces armées russes et chinoises, l’US Air Force opère désormais un nouveau changement de cap, en focalisant ses efforts sur l’acquisition d’avions aptes à combattre dans un conflit de haute intensité : F-35, F-15X, B-21 Raider, etc. Les besoins en missions CAS n’ont pas pour autant disparues, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Si l’US Army et l’US Marines Corps réduisent progressivement leur présence dans ces zones, l’USSOCOM y restera sans doute très présent dans la décennie à venir.
le A-29 Super Tucano a été largement exporté. S’il ne dispose que de quatre points d’emport sous voilure, contre six pour la plupart de ses concurrents, il dispose cependant de deux mitrailleuses intégrées dans les ailes. On le voit ici doté de blindages additionnels pour protéger l’équipage.
Afin de disposer d’une couverture aérienne adaptée à ses besoins en matière de mobilité, de logistique et de discrétion, le SOCOM souhaiterait disposer de ses propres avions. Ces derniers continueraient à être mis en œuvre par l’US Air Force, mais seront intégrés dans des escadrons intégrés à l’USSOCOM. Les lourds et coûteux A-10, F-15 et F-16 seraient alors remplacés par des avions légers, plus lents mais plus maniables à basse altitude, bien plus économique à opérer, et pouvant être déployés à partir de terrains rudimentaires au plus près des zones de conflit.
Pendant longtemps, la solution idéale semblait donc être un avion d’entrainement à turbopropulseur converti pour l’emport de mitrailleuses, de roquettes et de missiles à guidage laser. Le Textron AT-6B Wolverine (dérivé du Pilatus PC-9 suisse) et le Sierra Nevada/Embraer A-29 Super Tucano ont donc longtemps été considérés comme les seuls concurrents sérieux pour le programme Armed Overwatch. Désormais, il semble qu’il faudra également compter avec le Bronco II, un appareil particulièrement novateur qui a de sérieux arguments, mais également de très gros défauts.
Le AT-6B Wolverine a été récemment exporté en Tunisie, et tente toujours de séduire l’USAF et les forces spéciales américaines.
L’origine du Bronco II remonte au programme AHRLAC (Advanced High Performance Reconnaissance Light Aircraft) conçu par les sociétés sud-africaines Paramount et Aerosud, et dont le premier vol remonte à 2014. Alors que l’avion attend encore son client de lancement, il a été renommé en 2018 Bronco II, dans le but évident de conquérir le marché américain. En effet, le dernier avion turbopropulsé conçu spécifiquement pour la mission CAS était le légendaire OV-10 Bronco, qui a été utilisé par les Marines, l’US Air Force et la Navy de la guerre du Vietnam jusqu’à la guerre du Golfe. Au début des années 2010, un petit nombre d’appareils avait même été remis en services et modernisés afin de permettre à l’USSSOCOM de tester ce type d’appareils au combat !
Comme l’ancien OV-10, le nouveau Bronco II se distingue des avions d’entrainement modifiés par sa formule parfaitement adaptée à la mission CAS. Ainsi, le cockpit offre une excellente visibilité latérale et vers le bas. La voilure haute et l’hélice propulsive contribuent aussi à largement élargir le champ visuel des pilotes. Six points d’emports sont disponibles sous les ailes, et une soute modulaire se situe derrière les pilotes. Cette dernière permet d’embarquer différents types de capteurs optroniques ou radar, des modules de guerre électronique ou du cargo. Enfin, l’avion peut être rapidement démonté et intégré dans un conteneur de transport permettant de l’embarquer à l’intérieur d’un C-130, l’avion de transport de référence du SOCOM.
Le Bronco reste encore utilisé par quelques agences civiles et opérateurs privés. Quelques appareils de la Nasa avaient été reconvertis en avions de combat et testés au Moyen-Orient par l’USSOCOM. On reconnaît la similitude de silhouette entre le OV-10 et le nouveau Bronco II.
Sur le papier, le Bronco II se présente donc comme une solution pratiquement idéale, reprenant la formule économique des avions d’entrainement monomoteurs légers (l’avion fait moins de quatre tonnes à pleine charge) avec une configuration générale optimisée pour le soutien aux opérations spéciales. Malheureusement, l’offre de Leidos ne dispose pas du soutien politique et industriel de Sierra Nevada ou de Textron.
Au début de l’année 2019, le programme était même stoppé par la maison mère de Paramount en raison d’un manque d’investissement. L’activité commerciale autour du Bronco II / AHRLAC a cependant repris en octobre dernier, suite à l’arrivée de nouveaux investisseurs. Néanmoins, aussi intéressant que puisse être le petit avion sud-africain, il est peu probable que le Pentagone accorde sa confiance à une société aussi fragile sur le plan financier. Pour l’heure, Armed Overwatch prévoit l’acquisition de 75 appareils, mais l’USAF et l’USSOCOM pourraient avoir besoin de commander ultérieurement d’autres appareils, et auront besoin d’un soutien industriel sur plusieurs décennies pour la maintenance des appareils. Ce qu’est loin de pouvoir assurer Leidos et ses partenaires américains.
De plus, dans le contexte économique actuel, il est plus que probable que les investissements dans la défense américaine se feront plus rares, et que les entreprises historiquement américaines seront nécessairement privilégiées. Cela limitera donc certainement les partenariats internationaux dans les prochaines années. Le Wolverine et le Super Tucano devraient donc rester les favoris de la compétition Armed Overwatch pour le moment. Ce qui est ironique étant donné que leur conception provient respectivement de Suisse et du Brésil. Néanmoins, Textron et Sierra Nevada sont aujourd’hui des entreprises aéronautiques incontournables aux USA. Ce dont ne peut pas se targuer Leidos, et de loin.
Le ministère de la défense israélien a passé commande pour un nombre non dévoilé de munitions vagabondes (loitering weapons) de type Spike FireFly, optimisées pour le combat rapproché. Particulièrement léger, le FireFly aura la possibilité d’être utilisé à a fois pour de la frappe de précision et pour de la reconnaissance, combinant les fonctions de munition vagabonde et de drone léger en fonction de la charge utile embarqué.
Nul donc que cet usage mixte ne fera que renforcer la confusion entre drones et munitions vagabondes, ces dernières étant souvent décrites comme des drones suicides ou des drones kamikazes. Pourtant, si les munitions vagabondes modernes doivent effectivement beaucoup aux avancées technologiques du secteur des drones, elles constituent désormais une classe de munitions à part, que le FireFly vient compléter dans le bas du spectre.
En effet, le FireFly développé conjointement par le ministère de la défense israélien et Rafael Advanced Defense Systems est une munition de très petit calibre. L’engin ne pèse en effet que trois kilogrammes, et est transporté dans un conteneur de seulement 8cm de diamètre et 40cm de long. Sa charge utile se compose de 350 grammes d’explosifs à fragmentation, mais peut être remplacée rapidement par une batterie supplémentaire.
Ainsi, en configuration d’attaque, le drone dispose d’une autonomie de 15 min, et de 30 min en configuration reconnaissance. Intégré dans le drone, un système électro-optique dérivé de l’autodirecteur du missile Spike permet de naviguer et de repérer une cible de jour comme de nuit, l’image étant retranscrite en direct sur une tablette numérique. La portée opérationnelle du système de commande est de 1500 m en terrain ouvert, et de 500 m en zone urbaine. Le FireFly peut ainsi être transporté, déployé et téléopéré par une seule personne qui n’a pas besoin de formation aéronautique spécifique.
Cette munition vagabonde sera donc principalement utilisée par des unités de fantassins débarqués, mais aussi par les forces spéciales israéliennes. Dotée d’une double batterie, elle permettra de reconnaître le terrain en zones urbaines. Avec une charge militaire, le FireFly pourra attaquer des positions insurgées retranchées, des snipers ou encore des lanceurs de RPG positionnés sur des toits par exemple.
Les systèmes israéliens Harop et Harpy ont été largement exportés dans le monde. Ils restent cependant utilisés le plus souvent à l’échelle du bataillon ou du régiment, là où le FireFly pourra être utilisé en dessous du peloton.
Israël dispose d’une très grande expérience en matière de munitions vagabondes. A l’origine, le concept avait été développé à partir de gros missiles de croisière afin de rechercher, traquer et, le cas échéant, attaquer les radars adverses. Le terme de « drone » suicide était utilisé pour faire référence à la grande autonomie et à la capacité de recherche de cible autonome des munitions, mais le mode de lancement, la charge utile, le format et l’utilisation en faisait réellement des missiles. Durant les années 1980, Northrop a ainsi développé le AGM-136 Tacit Rainbow, un missile vagabond conçu pour détruire les sites de défense aérienne soviétique, avant que le programme ne soit abandonné en 1992.
Confrontés à une menace continue, les Israéliens ont cependant continué le développement de ce type d’engins, avec notamment le système Delilah, une munition vagabonde basée sur un missile de croisière léger. Lancé depuis une batterie au sol ou un avion de combat, ce missile de 190 kg emporte une charge militaire de 30 kg et peut frapper divers types de cibles terrestres et navales.
Une utilisation plus tactique de la munition vagabonde est apparue avec le système israélien IAI Harpy (puis le Harpy 2, ou Harop). Comme le Delilah, le Harpy a été conçu pour la destruction des systèmes de défense aérienne adverses avant d’être adapté pour prendre en compte n’importe quelle cible d’opportunité. Doté d’une charge utile de 20 à 30kg, l’engin est long d’environ 3m et nécessite un véhicule terrestre pour être mis en place. Progressivement, en Israël et ailleurs dans le monde, des engins plus mobiles et plus légers ont été développés, notamment pour pouvoir être utilisés en zones urbaines sans risques de dommages collatéraux. Une joint-venture entre la société indienne Aditya Precitech et l’israélien UVision Air a ainsi créé le système Hero-30, une munition vagabonde de 3 kg dotée d’une charge utile de 500 grammes et d’une portée supérieure à 10km.
Munition Hero israélo-indienne percutant un véhicule. Ce type d’engin permet d’intervenir rapidement à grande distance, mais reste mal adapté à une utilisation urbaine.
Les caractéristiques du Hero-30 semblent ainsi se rapprocher du FireFly, tout en disposant d’un rayon d’action bien supérieur. Cela s’explique par la configuration aérodynamique adoptée par les deux engins. En effet, comme beaucoup de munitions vagabondes actuelles, le Hero-30 est doté d’une voilure repliable, tandis que le FireFly est équipé de rotors, à la manière de certains héli-drones. Cette configuration ne permet pas d’apporter la même autonomie qu’avec une voilure fixe, mais elle permet d’effectuer des vols stationnaires, ou à très faible vitesse, voire même de circuler entre les immeubles et les rues. Contrairement à un système à voilure fixe, le FireFly peut également être mis en œuvre depuis des espaces très restreints.
De fait, le FireFly israélien est véritablement optimisé pour le combat en zone urbaine, notamment dans la bande de Gaza. Les retours d’expérience des combats irakiens et afghans, mais aussi de la lutte contre l’Etat Islamique, ont également été pris en compte afin de pouvoir offrir un outil intéressant à l’exportation. Dans les années à venir, la multiplication de ce type d’engins pourrait encore compliquer la conduite des opérations militaires, aussi bien pour l’infanterie que pour la cavalerie. En effet, doté d’une charge creuse, un drone léger pourrait attaquer un char de combat par le dessus, là où son blindage est le plus léger. Ce type de menaces pourraient cependant être contrées par des systèmes de défense active, voire même par des lasers, mais ces équipements coûtent très cher et restent compliqués à utiliser en zones urbaines.
Le 29 avril dernier, le porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth appareillait de Portsmouth pour une longue campagne d’essais en mer. Auparavant, tout l’équipage a été testé contre le coronavirus, afin d’éviter à la Royal Navy de connaître les mêmes déboires que l’US Navy ou la Marine Nationale. Cette campagne de tests devrait permettre de qualifier le porte-avions pour ses premiers déploiements opérationnels, attendus désormais pour l’année prochaine. Dès 2021, donc, la Royal Navy devrait à nouveau disposer d’une capacité aéronavale, pour la première fois depuis le retrait des avions Harrier en 2010.
Le futur de l’aéronavale britannique se dessine donc autour de ses deux nouveaux porte-avions, le HMS Queen Elizabeth et le HMS Prince of Wales (type CVF), mais aussi du chasseur embarqué à décollage et atterrissage vertical (STOVL), le F-35B. Si cet avion a également été choisi pour équiper le porte-aéronefs italien Cavour, la classe Queen Elizabeth dispose de capacités opérationnelles bien supérieures à celle des bâtiments italiens et espagnols (ou de l’ancienne classe Invincible britannique d’ailleurs). En cela, le Queen Elizabeth et le Prince of Wales se positionnent sur le plan opérationnel comme de « vrais » porte-avions.
Le HMS Prince of Wales est le second porte-avions de la classe Queen Elizabeth. Il a été mis en service en décembre 2019, deux ans après le Queen Elizabeth.
S’ils restent bien loin des super porte-avions américains, les nouveaux porte-avions britanniques présentent toutefois des capacités proches de celle du porte-avions Charles de Gaulle français, qui était jusqu’ici le seul porte-avions européen (dans la définition de l’OTAN). De chaque côté de la Manche, spécialistes et passionnés enchaînent donc les comparaisons plus ou moins amicales entre les deux types de navires. S’il peut être intéressant de comparer les choix effectués en France et au Royaume-Uni, il est néanmoins primordial de ne pas s’attacher uniquement aux compromis techniques faits de part et d’autre. Pour effectuer une comparaison équitable entre le Queen Elizabeth et le Charles de Gaulle, il convient de prendre en compte les différences fortes en matière de doctrine aéronavale, qui conduisent forcément à la réalisation de porte-avions très différents.
Le Queen Elizabeth en chiffres
Les deux CVF sont les plus grands navires de combat jamais construits en Europe, avec une longueur de 284m, une largeur de 73m et un déplacement de 65.000 tonnes. L’équipage de conduite du navire sera assez réduit, avec moins de 700 membres d’équipage. Le Queen Elizabeth pourra cependant embarquer un total de 1600 passagers en incluant le personnel du groupe aérien, les troupes des Royal Marines et de la British Army, les éventuels commandos, etc.
Pour comparaison, le Charles de Gaulle mesure 261m sur 64m, déplaçait 42000 tonnes lors de son lancement. Son équipage se compose de 1200 marins, et le porte-avions peut embarquer plus de 700 personnes supplémentaires pour armer son groupe aérien ou l’état-major embarqué. Un porte-avions de classe Nimitz, quant à lui, mesure 332 m, déplace plus de 100.000 tonnes et embarque près de 6000 personnes, dont 3500 dédiés à la conduite du navire.
Encadré par deux porte-avions américains (USS Stennis et USS Kennedy), le porte-avions nucléaire français Charles de Gaulle précède le porte-hélicoptère HMS Ocean. Jusqu’à présent, la Royal Navy ne disposait que de porte-avions légers, la classe Invincible étant du même format que le HMS Ocean. Le HMS Queen Elizabeth est aujourd’hui à peine plus petit que le CVN-67 Kennedy, à droite sur la photo.
Contrairement au Charles de Gaulle ou aux porte-avions américains, toutefois, la classe Queen Elizabeth ne dispose pas d’une propulsion nucléaire, ce qui augmente les contraintes de ravitaillement en mer. Surtout, son pont d’envol n’est pas équipé de catapultes et de brins d’arrêts mais d’un tremplin, imposant le choix du F-35B comme seul avion de combat compatible.
Jusqu’à présent, les tremplins étaient utilisés dans l’OTAN uniquement sur des porte-aéronefs légers (Light Aircraft Carriers) ou des navires amphibies, afin de leur permettre de mettre en œuvre des avions à décollage et atterrissage vertical Harrier en plus de leur flotte d’hélicoptères. Les porte-avions d’assaut (Strike Carrier) destinés à mener des attaques en profondeur restaient alors équiper de catapultes, aptes à mettre en œuvre des avions de combat lourd et à grand rayon d’action. Cependant, avec la classe Queen Elizabeth, la Royal Navy prend le pari de pouvoir mettre en œuvre des Strike Carriers dépourvus de catapultes.
Dépourvu de catapultes, le Queen Elizabeth utilise toute la longueur de son pont d’envol pour faire décoller ses chasseurs. Cette configuration limite la possibilité de récupérer et lancer simultanément des F-35, mais empêche également de faire décoller en parallèle des avions de combat et des hélicoptères.
S’il est vrai que le F-35B devrait offrir des capacités bien supérieures à celles des Harrier et Sea Harrier, le chasseur STOVL de Lockheed Martin ne possède pas l’autonomie ni la polyvalence du Rafale, du Super Hornet ou même du F-35C compatible avec des catapultes. De plus, le tremplin empêche de mettre en œuvre des avions-radars Hawkeye, et limite le nombre de rotations (cycles de décollages et appontages) pouvant être réalisés dans une journée. Cependant, le F-35B reste capable d’être projeté depuis le porte-avions vers une base à terre faiblement équipée, ce qui est loin d’être anodin après l’expérience de la Guerre des Malouines.
Doctrine d’emploi du porte-avions au Royaume-Uni
A l’origine, les CVF ont été conçus pour reprendre les missions des porte-aéronefs de la classe Invincible, avec des moyens largement étendus : défense aérienne et frappe dans la profondeur par le biais des avions de combat ; lutte anti-sous-marine et veille aérienne par le biais des hélicoptères lourds Merlin. Au milieu des années 2010, la décision a cependant été prise de ne pas remplacer le porte-hélicoptère HMS Ocean, impliquant que les CVF devraient également reprendre à leur compte les missions amphibies de ce dernier.
Dès lors, les deux nouveaux porte-avions devront pouvoir embarquer des troupes des Royal Marines et de la British Army, mais également des hélicoptères de transport Chinook et Wildcat ainsi que des hélicoptères de combat Apache. Seul le HMS Prince of Wales disposera nativement de tous les équipements nécessaires pour le soutien des opérations amphibies, mais le Queen Elizabeth sera probablement modifié en ce sens au fil de ses opérations de maintenance. Sur le plan opérationnel, cela implique cependant une différence radicale vis-à-vis des porte-avions français et américain, puisque les CVF devront être capables de soutenir des opérations littorales en plus de leurs déploiements océaniques.
Par rapport aux navires amphibies américains, les CVF disposent d’un tremplin et d’une longue piste d’envol, ce qui améliore les capacités d’emport et le rayon d’action des F-35B. Néanmoins, ces derniers restent moins performants que les F-35C de l’US Navy, que la Royal Navy n’a pas pu acquérir en raison des coûts de transformation trop élevé pour les deux porte-avions.
France, Royaume-Uni : deux conceptions différentes de l’outil aéronaval
La doctrine d’emploi des porte-avions britanniques devrait donc être bien plus flexible que celle de la Marine Nationale, qui dispose de trois porte-hélicoptères amphibies dédiés aux opérations amphibies en zone littorale. D’une part, les CVF seront particulièrement modulaires. Si leur groupe aérien standard devrait se composer de 24 avions de combat, d’une quinzaine d’hélicoptères navals et terrestres, ils pourront également être utilisés comme de purs porte-avions (avec 36 F-35) ou comme de purs porte-hélicoptères d’assaut (une cinquantaine d’hélicoptères divers).
Les opérations conjointes sont alors au cœur de l’ADN des nouveaux porte-avions britanniques. Dès son premier déploiement en 2021, le HMS Queen Elizabeth pourra embarquer aussi bien des F-35B de la Royal Air Force que ceux de la Royal Navy ou de l’US Marines Corps. Par la suite, outre les hélicoptères Merlin de la Royal Navy, le porte-avions pourra déployer des hélicoptères de manœuvre et de combat de l’Army.
Les Britanniques ont mis au point des techniques d’atterrissage court sur leurs porte-avions. Cela permet d’économiser du carburant par rapport à l’atterrissage vertical, mais nécessite plus de place sur le pont d’envol.
En cela, les CVF sont conçus dès le départ pour être des outils au service d’opérations conjointes britanniques mais aussi des coalitions internationales, notamment dans le cadre de l’OTAN. En France, le Charles de Gaulle est avant tout un outil strictement naval, opérer par la Marine Nationale et embarquant principalement des aéronefs de la Marine Nationale, les hélicoptères de l’Armée de l’Air et de l’Armée de Terre restant extrêmement minoritaires à bord. De même, si le Charles de Gaulle peut opérer des avions de combat de l’US Navy, cela reste très anecdotique, et les Rafale français restent pour l’instant les seuls vecteurs de combat du porte-avions. A l’inverse, les F-35B de l’USMC devraient être vus assez régulièrement à bord des CVF, ce qui pourrait ouvrir la voie à de futures collaborations entre les Marines américains, la Royal Navy et les marines italiennes et espagnoles.
En cela, le Charles de Gaulle est conçu avant tout comme un instrument de souveraineté pouvant être projeté partout dans le monde et capable de délivrer des armes dans la profondeur du territoire ennemi, à l’instar des CVN américains. Contrairement aux CVF britanniques, il dispose pour cela de ses propres avions-ravitailleurs, de capacités de détection et de reconnaissance à longue portée, de missiles de croisière, de missiles antinavires lourds et même d’armes nucléaires. On notera d’ailleurs que, en 2010, la décision avait été prise au Royaume-Uni de terminer la construction des CVF avec des catapultes plutôt qu’un tremplin, afin de leur permettre de déployer des chasseurs à longue endurance et des avions-radars Hawkeye, avant que l’opération ne soit jugée trop coûteuse.
Dans un premier temps, des F-35 des Marines américains devraient compléter l’effectif du Queen Elizabeth. L’intégration d’avions de combat de l’OTAN à bord des larges porte-avions britanniques pourrait en faire des outils de référence pour les coalitions internationales.
Pour autant, les CVF restent également des outils de souveraineté pour le Royaume-Uni, même si Londres et Paris n’ont pas le même rapport à l’indépendance. Ainsi, les capacités amphibies des porte-avions britanniques devraient leur permettre de réaliser rapidement des opérations humanitaires à grande échelle, leur conférant un rôle diplomatique qui repose, en France, sur les porte-hélicoptères amphibies. Mais, surtout, les CVF restent particulièrement bien taillés pour des opérations de type Guerre des Malouines. En cas de nouveau conflit en zone littorale ou insulaire, le Queen Elizabeth pourra ainsi assurer la supériorité aérienne de la flotte tout en portant des coups dans le territoire adverse. Et lorsque la reprise du territoire sera possible, une partie des hélicoptères de combat et des chasseurs STOVL pourront être débarqués à terre, même si aucune piste d’aéroport n’est disponible, afin de soutenir au plus près les opérations des Marines et de l’Army.
Qu’il s’agisse du Charles de Gaulle ou de la classe Queen Elizabeth, ces porte-avions constituent de véritables base aériennes mobiles, capables en théorie d’opérer aussi bien des hélicoptères que des voilures fixes et même des hélicoptères convertibles. Toutefois, là où le Charles de Gaulle s’apparenterait à une base de l’Armée de l’Air mettant en œuvre ses Rafale, le Queen Elizabeth ressemblerait plus à une base opérationnelle avancée (Forward Operating Base) mettant en œuvre à la fois quelques chasseurs, des hélicoptères de manœuvre et de combat, et les troupes terrestres et les commandos nécessaires à la conduite des opérations. Un choix qui offre plus de souplesse et évite d’avoir à faire appel à des porte-hélicoptères amphibies, mais qui limite tout de même la force de frappe disponible simultanément pour la frappe aérienne et pour les opérations amphibies.
Contrairement aux CVF, le Charles de Gaulle peut mettre en oeuvre des avions AEW&C Hawkeye, et peut équiper ses Rafale pour la reconnaissance, le ravitaillement, la frappe anti-navire ou la pénétration (y compris nucléaire). Par contre, dans le cadre d’opérations littorales ou humanitaires, la Marine Nationale a besoin de dépêcher un de ses porte-hélicoptères pour épauler ou remplacer le Charles de Gaulle.
Conclusion
Chaque porte-avions répond à une doctrine propre à chaque marine, et ne peut être analysé ou critiqué sans prendre en compte le contexte opérationnel, et notamment la composition des groupes amphibies de chaque pays, en plus des groupes aéronavals.
Techniquement, le Charles de Gaulle pourrait parfaitement embarquer une cinquantaine d’hélicoptères de manœuvre et d’hélicoptères de combat, tout comme le Queen Elizabeth pourrait n’emporter que des F-35B et des Merlin en configuration de détection aérienne avancée. Dans les faits, il est très peu probable que cela se produise de manière routinière étant donné les différences conceptuelles majeures entre les deux doctrines.
On pourrait par contre critiquer les formats adoptés par chaque pays, avec un unique porte-avions et trois porte-hélicoptères en France et deux porte-avions sans porte-hélicoptères dédiés au Royaume-Uni. Mais il s’agit d’un autre sujet, qui sera sans doute abordé dans le cadre du renouvellement du porte-avions Charles de Gaulle.