Alors que les États-Unis sont désormais au cœur de l’épidémie mondiale de coronavirus, de nombreux experts américains tentent d’envisager l’avenir du pays, notamment en matière de défense. Or, la plupart d’entre eux s’accordent à dire que le Département de la Défense (DoD) américain pourrait bien subir des coupes budgétaires sévères dans les prochaines années, comme nous l’avions évoqué récemment.
Ces analyses contrastent avec la situation actuelle, où le gouvernement fédéral injecte au contraire plusieurs milliards de dollars dans les industries de défense afin de stimuler ce secteur économique particulièrement stratégique. Cependant, alors que le déficit fédéral américain dépasse les 4000 milliards de dollars, tout laisse à penser que cette situation ne pourra pas durer. Que ce soit pour des raisons financières ou politiques, la défense américaine n’aura sans doute pas d’autres choix que de consentir à de nouvelles coupes budgétaires. Le cas échéant, cela pourrait alors entrainer d’autres pays alliés des USA à les suivre dans cette voie de la rigueur budgétaire, notamment en Europe.
Comme partout ailleurs dans le monde, les USA sont aujourd’hui durement touchés par la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19, mais connaissent également un ralentissement économique historique encore aggravé par la chute des prix du pétrole. En raison de leur système de protection sociale minimaliste, les Etats-Unis affrontent ainsi frontalement cette double crise, et mettrons sans doute plusieurs années avec de retrouver les taux de chômage et le niveau des exportations du début de l’année. Pire encore, le déficit budgétaire pour l’année fiscale 2020 atteint désormais 4000 milliards de dollars et continue de se creuser au fur et à mesure que l’Etat fédéral apporte son aide dans la gestion de la crise actuelle. Pour rappel, en octobre dernier, le déficit de 2019 atteignait 1000 milliards de dollars, ce qui avait déjà inquiété de nombreux observateurs financiers qui craignaient que ne soit dépassé le record de 2010. Alors en plein cœur de la crise financière débutée en 2008, le déficit atteignait alors 1500 milliards $ par an. Pour 2020 et 2021, il était initialement attendu que le déficit s’établisse autour de 1000 milliards $, bien loin des 4000 milliards $ désormais projetés.
L’augmentation historique du déficit va donc logiquement accroître la dette du pays. Comme bien souvent, les conséquences exactes de la crise dépendront alors de différents éléments, dont des facteurs politiques. Notamment le résultat des prochaines élections présidentielles et législatives de novembre. Comme le rappelle Tod Harrison, spécialiste du budget du DoD au Center for Strategic and International Security (CSIS), les membres du Congrès très conservateurs au sujet des questions fiscales pourraient bien insister pour pousser à une réduction de la dette américaine. Ce qui, historiquement, passe par une réduction des dépenses militaires qui constituent selon les années le premier ou deuxième poste de dépenses de l’administration fédérale. Si rien n’est encore acté, et que de nombreuses voix s’élèvent pour préserver ce pan de l’économie américaine, la menace est tout de même prise très au sérieux.
Pour le moment, le département de la défense profite au contraire d’un accroissement de son budget, plusieurs milliards de dollars de crédits supplémentaires ayant été accordés afin de soutenir l’industrie de défense, mais également de couvrir les dépenses liées aux services de santé, à la Garde Nationale ou à la Réserve mobilisés dans le cadre de la pandémie. Au-delà des besoins immédiats, les armées américaines pourraient ainsi commencer à piocher dans leur liste de vœux non-financés publiée parallèlement au budget prévisionnel du Pentagone. De quoi imaginer que l’industrie de défense puisse être utilisée pour soutenir la relance de l’économie, comme cela a été proposé en France par la Ministre des Armées.
Cette hypothèse est cependant peu probable, puisqu’elle impliquerait de soutenir l’économie réelle par l’accroissement du déficit et de la dette, ce qui paraît inacceptable d’un point de vue politique. A l’inverse, dans un contexte de restriction budgétaire imposé par le Congrès, le gouvernement fédéral pourrait bien n’avoir pas d’autre choix que de réduire ses dépenses de défense. D’une part, il s’agit d’un poste de dépense particulièrement important, couvrant entre 3 et 4% du PIB, selon que l’on prenne en compte ou non les coûts liés aux vétérans. D’autre part, alors que de nombreux américains ne disposent toujours pas d’une couverture santé permettant un accès aux soins médicaux, il pourrait être politiquement extrêmement périlleux d’épargner le Département de la Défense à l’heure même où le pays se remettra d’une crise sanitaire historique.
Dans le meilleur des cas, comme le rappellent les experts, le DoD pourrait espérer maintenir son budget au niveau actuel. Mais, même alors, il deviendra sans doute impossible de finaliser la transition entamée depuis quelques années. En effet, après deux décennies de conflits asymétriques, les forces armées américaines sont en train de se réorganiser et de se rééquiper afin de se tenir prêtes à affronter un ennemi de premier rang, comme la Chine ou la Russie. Or, ces vingt dernières années, ces deux pays ont entrepris de développer des systèmes d’arme basés sur des technologies nouvelles (systèmes A2/AD, missiles hypersoniques, etc.) que les USA ne savent ni contrer ni reproduire massivement, faute d’investissement dans ces domaines. En cela, la crise économique actuelle arrive probablement au pire moment, quelques années seulement avant que les programmes de R&D américains ne permettent au Pentagone de disposer de ses nouveaux équipements.
Au-delà des frontières américaines, les coupes budgétaires du DoD pourraient avoir un impact sérieux sur les pays européens de l’OTAN. En effet, au sein de l’Alliance Atlantique, les efforts de dépense sont calculés par rapport au PIB. Ainsi, il est demandé à ce que chaque pays dépense 2% de son PIB dans sa défense, sans qu’aucune mesure contraignante ne soit mise en place pour les pays ne souhaitant pas ou ne pouvant pas respecter ce seuil. Pour autant, la question reste au centre de tous les débats et a même servi à Donald Trump de moyen de pression sur ses alliés. Malheureusement, dans un contexte de récession voire de dépression économique, même un maintien relatif à 2% du PIB pourrait correspondre à une baisse de budget et de moyens dans l’absolu, pour peu que le PIB baisse lui-même d’année en année.
De plus, si le DoD venait à voir son budget réduit, de nombreux autres pays européens y verraient un signal politique, et auraient alors tendance à stopper également leurs efforts de défense entrepris notamment depuis l’annexion de la Crimée en 2014. En Europe, comme aux Etats-Unis, il reste encore très difficile politiquement d’expliquer le bien-fondé d’une défense, l’importance des dépenses publiques dans le maintien de l’activité économique, mais aussi la réalité de l’émergence de certaines menaces en Europe de l’Est et en Asie. En Europe de l’Ouest, beaucoup de choses vont donc dépendre des décisions qui seront prises aux USA mais aussi en Russie, où la crise pourrait contraindre à réduire également les dépenses de défense, réduisant d’autant la menace que représente le pays sur la sécurité de l’Europe.













