Alors que la ministre des armées française Florence Parly multiplie les declarations sur un éventuel plan de relance de l’industrie de Défense dans le pays, nombre d’analystes estiment que les déficits publics pour 2020, comme pour les années à venir, vont contraindre chaque gouvernement à réduire l’ensemble de leurs investissements non prioritaires, y compris ceux en matière de Défense.
Que ce soit en Europe, aux Etats-Unis ou en Asie, la majorité des gouvernements ont accepté de faire plonger leurs deficits publics pour tenter de sauver ce qui peut l’être de leurs économies. En Europe, à l’instar de la crise financière de 2008, les Etats ainsi que les instances européennes ont accepté de se porter caution à une série de prêts à taux d’intérêt très réduits, afin de permettre aux entreprises de se refinancer et éviter le dépôt de bilan. Dans le même temps, les Etats européens ont pris à leur charge une partie significative de la masse salariale globale de leurs concitoyens avec des mesures de chômage partiel, toujours afin de préserver les entreprises et leur permettre d’éviter le défaut de paiement pendant la crise. Aux Etats-Unis, la reserve fédérale a accordé 2300 Md$ de prêts aux entreprises et particuliers, alors que le gouvernement ne cesse d’annoncer des plans d’investissements pour tenter de maintenir l’économie à flot. Malgré cela, ce sont plus de 25 millions d’américains qui ont perdu leur emploi sur les 3 premières semaines du confinement.
Toutes ces mesures ont un prix, et même un prix important. Ainsi, aux Etats-Unis, le CFRB pour Committee for a Responsible Federal Budget, a publié le 13 avril un rapport estimant que le budget fédéral américain allait quadrupler sur 2020, et créer un deficit public de 3,200 Md$, soit plus de 18% du PIB, alors que dans le même, ce dernier allait se contracter d’au moins 5%. La situation est la même en Europe, ou même l’Allemagne anticipe un important déficit public et une contraction de son PIB de plus de 10% sur l’année. Qui plus est, ces dépenses exceptionnelles ne vont pas disparaitre avec 2020, et devront en partie être prorogées en 2021 et 2022, si tant est qu’un vaccin efficace soit disponible d’ici là.
Pour faire face à ces dépenses exceptionnelles, et tenter de réduire l’augmentation de l’endettement à long terme des Etats, les gouvernements occidentaux vont, selon de nombreux analystes, être contraints de réduire la dépense publique non essentielle, ou tout de moins de la ventiler différemment. Et parmi l’ensemble des secteurs susceptibles de subir le contre-coup de ces mesures, l’industrie de Défense semble faire l’unanimité chez les analystes, mais également dans une part importante des opinions publiques. Il est vrais qu’entre perdre son emploi et préserver les investissements en matière d’équipements de défense, le choix est très souvent vite fait pour la majorité des personnes. Qui plus est, cette même opinion publique, surtout dans certains pays européens comme la France, l’Italie ou l’Espagne, demande en priorité la reprise des investissement dans le domaine de la santé et de son industrie, au détriment de l’investissement de défense.

La crise Covid19 touche également d’autres pays, et notamment la Russie, qui subit simultanément une baisse spectaculaire de ses revenus issus de la vente de Gaz et de pétrole, alors que le prix du baril de pétrole brut est passé, en 4 mois, de 55 $ à seulement 15$, excédant les couts d’extraction du pétrole sibérien. Les revenus pétroliers sont la principale source de revenue de l’état fédéral russe, qui va rapidement faire face à une crise de liquidités qui induira, très probablement, une nouvelle crise économique et sociale dans le pays déjà éprouvé par la crise de 2014 consécutive aux sanctions occidentales après l’annexion de la Crimée.
Or, la Russie est aujourd’hui le principal sujet de preoccupation en Europe, et son réarmement rapide depuis 2010 est à l’origine de l’augmentation des budgets de défense depuis 2014. Si celle-ci venait à diminuer drastiquement ses investissements de défense, comme ce fut le cas suite à la dissolution de l’Union Soviétique, tout en faisant face à la diminution inéluctable des commandes d’exportation consécutive de la crise économique mondiale liée au Covid19, la menace russe elle même pourrait bien diminuer rapidement.

Cependant, ce qui est vrais pour la Russie et l’Europe, l’est beaucoup moins pour les Etats-Unis et la Chine. En effet, Pékin a, semble-t-il, réussi à contrôler pour l’heure la diffusion du virus au niveau de la province de Hubeï, avec un impact économique et humain de fait plus limité que dans les pays occidentaux. En outre, ayant fait face au virus plus tôt, le pays semble désormais avoir sous contrôle la pandémie, avec un nombre très limité de nouveaux cas et de décès consécutifs à l’infection Covid19, tout au moins si l’on en croit le discours officiel. Il est en revanche incontestable que le pays fera face à des conséquences économiques et sociales bien plus restreinte face à l’épidémie que les pays occidentaux.
Pékin semble déterminé à profiter de cette situation pour accroitre son influence et sa puissance militaire. En effet, les autorités chinoises multiplient les annonces concernant l’efficacité de son industrie de défense et de ses forces armées, ne manquant pas d’en souligner les différences avec celles de son adversaire américain. Toutefois, il est aujourd’hui difficile d’évaluer les conséquences à moyen terme de la crise actuelle sur la production industrielle effective chinoise, dont une grande partie est destinée à l’exportation, alors que ses principaux clients, les européens comme les américains, vont sans le moindre doute réduire sensiblement leurs importations.
Les bourses mondiales semblent anticiper la baisse des dépenses de défense occidentales. En effet, alors que la majorité des titres boursiers ont connu une hausse sensible et continue pour revenir à 75 ou 80% de leur cotation d’avant la chute spectaculaire de début mars ayant entrainé parfois des replis de plus de 70% des titres cotés, les cotations d’une majorité des entreprises occidentales de défense sont, quand à elles, restées à un niveau de décote particulièrement élevé, allant de 35% pour Dassault Aviation, Thales ou Raytheon, à plus de 50% pour Airbus, Boeing ou Rheinmetall. Seul un nombre limité d’entreprises ont réussi à se préserver de cette chute, dont Lockheed Martin et Northrop Grumman, dont la décote se limite à 25% depuis début mars, ces dernières s’appuyant sur des contrats stratégiques pour les forces armées américaines comme ceux liés au chasseur F35 et au bombardier stratégique B21.
La baisse considérée inéluctable des crédits d’équipements des armées occidentales va, très probablement, sévèrement frapper les industries de défense occidentales tant sur leurs marchés domestiques qu’à l’exportation. Or, s’il ne faut que quelques mois pour perdre les savoir-faire d’une entreprise de défense, il faudrait de nombreuses années pour espérer les reconstituer, si tant est que cela soit possible. De fait, si la casse industrielle et technologique sera inévitable à l’échelle mondiale, les pays qui parviendront à maintenir ces compétences, soit en soutenant leur industrie par de la dette publique, soit en s’appuyant sur de nouveaux mécanismes de financement, verront leur position industrielle et géopolitique se renforcer à la sortie de cette crise.










