D’après le Secrétaire à la Défense britannique Ben Wallace, la prochaine revue stratégique de défense (l’équivalent du Livre Blanc de la Défense français) pourrait être « dure à avaler » pour les militaires britanniques. Prévue pour mettre à jour la vision stratégique du Royaume-Uni post-Brexit, cette revue intégrée a été retardée en raison de l’épidémie de Covid-19. Or, les conséquences de la pandémie sur les affaires militaires britanniques et sur l’économie mondiale devraient se ressentir cruellement sur les futurs choix militaires, industriels et diplomatiques du Royaume-Uni.
Depuis près de trente ans, la publication des revues stratégiques britanniques s’accompagne généralement d’une véritable appréhension de la part des forces armées, qui voient systématiquement leurs moyens réduits depuis la fin de la Guerre Froide. Suite aux lourdes factures des guerres d’Afghanistan et d’Irak, la Strategic Defence and Security Review de 2010 avait ainsi entrainé l’abandon des capacités de patrouille maritime pour la Royal Air Force, une réduction drastique des capacités de combat de la British Army, mais aussi le retrait immédiat des avions de combat Harrier et de leurs porte-avions. Des décisions symboliques qui grandement limité les capacités d’action britanniques à peine quelques mois plus tard, lors de l’intervention militaire en Libye.

Avec la SDSR 2015, l’hémorragie semblait enfin s’arrêter, avec un début de reconstruction des capacités perdues, via l’achat d’avions de patrouille P-8 Poseidon, le lancement des deux nouveaux porte-avions de la classe Queen Elizabeth ou encore d’un nouveau programme de frégates légères Type 31. Malheureusement, la reconstitution de capacités militaires prend considérablement plus de temps que leur mise en retraite anticipée, si bien que la plupart des programmes lancés à partir de 2015 sont encore bien loin d’avoir portés leurs fruits. D’autant plus que des pans entiers de la défense britannique n’ont pas bénéficié des largesses de la SDR 2015, notamment dans l’industrie terrestre, et qu’il manque toujours à l’heure actuelle entre 3 et 13 milliards £ au programme d’équipement des armées britanniques.
Et, entre temps, le retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne dans des conditions qui restent à définir a encore rajouté de la complexité et de l’incertitude sur de nombreux programmes menés conjointement avec des partenaires européens. Dans un tel contexte, la revue intégrée de 2020 était attendue avec ferveur. Si l’on parle désormais de revue « intégrée », c’est parce que les questions liées à la politique étrangère et au développement international du Royaume-Uni post-Brexit devraient être également abordées par le document, en plus des traditionnelles questions de défense et de sécurité.
Jusqu’à ces derniers mois, les principaux sujets d’inquiétudes autour de cette revue portaient logiquement sur la situation financière et les positionnement diplomatique du Royaume-Uni sorti de l’Union Européenne. Les conséquences économiques à long terme du Brexit sont en effet impossibles à anticiper, et la posture britannique vis-à-vis de l’industrie de défense européenne dépendra pour beaucoup de la manière dont se déroulera la période de transition (qui pourra être prolongée jusqu’en 2022). Si des annonces étaient attendues au sujet d’investissements dans l’industrie nationale (notamment aéronautique et navale), il était peu probable de voir les efforts de reconstruction entrepris en 2015 poursuivis après 2020. Pour le plus grand malheur de la British Army, qui n’est désormais plus que l’ombre d’elle-même.
Avec l’épidémie de Covid-19 et les récentes déclaration de Ben Wallace, il semble désormais impossible d’espérer un retour des investissements massifs dans la défense britannique. Cependant, les difficultés financières ne seront qu’un des défis à relever dans les prochaines années, d’après le Secrétaire à la Défense. Devant le Parliamentary Defence Committee réunie dans une session virtuelle, ben Wallace a ainsi déclaré que « ce ne sera pas qu’une question de sommes d’argent, mais de changement culturel ».

Dans une Europe post-Bexit et dans un monde post-Covid, le Royaume-Uni va en effet devoir faire des choix en matière d’alliances, notamment vis-à-vis de l’Europe et des USA. La question de la stratégie des moyens sera également essentielle. Comme en 2010, des composantes entières des armées britanniques pourront donc disparaître en fonction des réorientations diplomatiques du pays.
Enfin, la question du renforcement de la base industrielle de défense nationale pourra devenir centrale dans les mois à venir. Pour le moment, le Royaume-Uni n’a pas pour habitude d’investir dans des programmes de défense simplement pour maintenir à flot son industrie, contrairement à la France ou à l’Italie par exemple. Au lieu de chercher à maîtriser parfaitement tous les secteurs de souveraineté industrielle, la politique britannique vise plutôt à rendre son industrie essentielle dans de nombreux secteurs, quitte à se contenter d’un rôle de sous-traitant. Les industriels britanniques, notamment BAE Systems, sont ainsi très bien implantés en Europe et aux USA, mais également en Asie.
Malheureusement, cette diversité des investissements britanniques implique également une plus grande fragilité face aux crises mondiales. En effet, même si le Royaume-Uni réussi à sortir de la crise sanitaire, sa chaîne logistique comme la santé financière de ses industriels de défense dépendra de l’évolution de l’épidémie ailleurs dans le monde, notamment aux USA et en Asie. De plus, la crise économique qui s’annonce pour les prochaines années devrait largement impacter les programmes de coopération internationale des grands groupes britanniques, comme Rolls Royce et BAE.

Dans un tel contexte, il serait politiquement tentant de recentrer les achats de défenses autour de productions purement nationales. Cela permettrait de redynamiser des secteurs industriels en crise, tout en étant moins dépendants des décisions politiques et des investissements étrangers. Dans le monde nouveau qui nous attend après la crise du Covid, certains programmes non-essentiels pourraient ainsi être chamboulés ou annulés, notamment le programme franco-britannique de missile FC/ASW.
Le maintien du programme d’avion de combat Tempest dans sa configuration actuelle pourrait également s’avérer particulièrement coûteux, alors même que plusieurs capacités de la British Army ou de la Royal Air Force ont des besoins urgents en financement. Alors même que le Royaume-Uni est déjà investi dans le F-35 américain, quelle place pourrait occuper le Tempest en pleine crise économique ? Observera-t-on un rapprochement entre le Tempest britannique et les programmes d’avions de combat de 6e génération de l’US Air Force ? Ou bien au contraire un rapprochement au niveau Européen entre le SCAF et le Tempest, comme nous l’avions déjà évoqué ?
Des débuts de réponses seront apportées dans la revue intégrée initialement prévue pour le mois de juillet. Etant donné les circonstances, la publication de cette revue n’est plus attendue avant la fin de l’année, voire le début de l’année prochaine. Le temps pour les ministères de la défense et des affaires étrangères de réévaluer les changements profonds que traverse le monde aujourd’hui, et leurs conséquences sur le Royaume-Uni.














