En 2012, en raison des accords de désarmements signés entre les USA et la Russie, l’USAF retirait du service son missile nucléaire le plus moderne mais également le plus complexe et coûteux à l’entretien : l’AGM-129 ACM. Aujourd’hui encore, à l’exception des bombes nucléaires non-guidées emportées par les chasseurs américains et le bombardiers furtif B-2A, les seuls missiles de croisière nucléaires de l’USAF sont les AGM-86 ALCM embarqués exclusivement à bord du vénérable B-52H.
La situation des forces aériennes stratégiques américaines devrait toutefois rapidement évoluer dans les années à venir. D’une part, l’US Air Force devrait commencer à percevoir ses nouveaux bombardiers furtifs B-21 Raider dès le milieu de la décennie, permettant ainsi de remplacer progressivement les B-1B Lancer à bout de souffle mais aussi les B-2A Spirit, toujours vaillants mais bien trop chers à l’emploi. D’autre part, et avant même que le Raider ne soit pleinement opérationnel, l’armée de l’air américaine devrait mettre en service un tout nouveau missile de croisière nucléaire, attendu pour la deuxième moitié de la décennie 2020.

Visant au remplacement de l’AGM-86 ALCM, ce nouveau missile est pour l’instant appelé sobrement LRSO, pour Long Range Stand-Off Weapon (arme de longue portée tirée à distance de sécurité). Dans sa version opérationnelle, il devrait cependant porter la désignation AGM-180 ou AGM-181, les deux nomenclatures ayant été réservées pour les prototypes du futur missile. En effet, jusqu’à aujourd’hui, le programme prévoyait que deux constructeurs développeraient parallèlement leur version du LRSO : Raytheon et Lockheed Martin. Les deux constructeurs ont été désignés en 2017 pour concevoir le successeur de l’AGM-86, et l’USAF aurait dû sélectionner le design d’un des deux industriels en 2022 afin de poursuivre le développement du programme.
Vendredi dernier, toutefois, l’USAF a annoncé qu’elle poursuivrait désormais le programme LRSO avec un unique fournisseur, à savoir Raytheon. Si la communication du Pentagone se veut rassurante vis-à-vis de Lockheed Martin, qui devrait rester impliqué d’une manière ou d’une autre dans le programme LRSO, il s’agit toutefois d’un coup dur pour la firme de Bethesda. Pour la plupart des observateurs, la décision de l’US Air Force était inattendue et en rupture complète avec l’historique plutôt calme du programme LRSO. Cependant, cette décision anticipée de la part de l’USAF est sans doute révélatrice d’un certain sentiment d’urgence qui circule désormais dans les couloirs du Pentagone au sujet des capacités stratégiques américaines.

Jusqu’à présent, le programme LRSO avait tout d’un long fleuve –très– tranquille. Prévu dès 2012, au moment du retrait des AGM-129, le LRSO a été à de maintes reprises retardé ou ralenti. En effet, l’AGM-86 qu’il doit remplacer est un missile qui donne entière satisfaction. Stable, robuste, facile à entretenir, il pourra continuer d’armer le B-52H jusqu’en 2030 sans difficulté. Cependant, ces dernières années, le contexte géostratégique s’est rapidement dégradé, au point de mettre en avant les faiblesses du couple B-52H/AGM-86 ALCM.
En effet, si l’ALCM est un excellent missile, il ne dispose pas de la furtivité accrue ou de la gigantesque autonomie de l’AGM-129 parti à la retraite anticipée. Pire encore, l’ALCM n’est embarqué qu’à bord des B-52H Stratofortress, des bombardiers fiables et économiques à l’emploi mais qui n’ont ni la furtivité du B-2A ni les capacités de pénétration du B-1B Lancer. Or, dès l’origine, le LRSO était prévu pour pouvoir être embarquer à bord de différents modèles de bombardiers, notamment le B-52H, le futur B-21 Raider et même le B-2 pour ses dernières années de service. En raison des accords de désarmements, les Lancer restent aujourd’hui privés de capacités nucléaires, même si rien n’empêcherait l’intégration du LRSO sur cet avion si une décision politique était prise en ce sens.
En raison de l’évolution des tensions entre Washington et Pékin, mais aussi entre les Etats-Unis et la Russie sur fond d’abrogation de traités de désarmement, une accélération du programme LRSO peut sans doute se justifier d’un point de vue stratégique. L’heure est en effet à la relance des programmes d’armement nucléaires et stratégiques. En poursuivant le programme avec un seul fournisseur, l’USAF prend cependant quelques risques. En effet, elle ne pourra pas négocier ses contrats dans des conditions aussi avantageuses que dans une situation de concurrence. De plus, en cas de gros problème sur le design de Raytheon, il n’existera aucune solution de repli. A l’inverse, négocier avec un unique fournisseur devrait permettre un dialogue plus franc et rapide, et un meilleur contrôle sur le déroulé du programme.
Dans de telles conditions, confier le LRSO à Raytheon apparaît sans doute comme un choix logique. L’entreprise est en effet réputée pour la qualité de ses missiles de croisière, ayant notamment conçu l’AGM-129, l’AGM-154 JSOW mais aussi les célèbres missiles Tomahawk. De plus, le choix de Raytheon pourrait également correspondre à une volonté de dilluer les investissements au sein de l’industrie américaine de défense. En effet, pour le moment, Lockheed Martin est le principal fournisseur désigné pour les différents programmes de missiles hypersoniques de l’USAF.

De plus, la question du remplacement de la version conventionnelle de l’AGM-86 CALCM n’est toujours pas réglée, alors même qu’elle est au coeur des stratégies de contournement des systèmes de déni d’accès russes et chinois. Initialement, il était prévu que le LRSO puisse être équipé d’une charge nucléaire ou conventionnelle, comme l’ALCM/CALCM avant lui. Cependant, cette question avait soulevé une levée de bouclier de la part de l’opposition parlementaire qui y voyait un risque d’escalade en cas de conflit, l’adversaire n’ayant aucun moyen de savoir s’il est ciblé par un missile conventionnel ou nucléaire.
Si le LRSO devait rester une arme purement nucléaire, la frappe conventionnelle à très longue distance serait probablement assurée par une nouvelle variante à la portée encore accrue du JASSM-ER, un missile de croisière fourni par Lockheed Martin. En sélectionnant très tôt Raytheon pour le LRSO, qu’il soit purement nucléaire ou pas, l’USAF s’assure ainsi une certaine diversité de fournisseurs, tout en sécurisant autant que possible le développement de ses capacités stratégiques.

















