L’Inde cédera dans quinze jours l’INS Sindhuvir (1988 – 2019), sous-marin du projet 877EKM, à la marine de la Birmanie ou Myanmar (Tatmadaw Yay). L’obtention d’une première capacité sous-marine n’est pas seulement une réponse spécifique au Bangladesh et ses premiers sous-marin; c’est également l’une des dernières manifestations du premier cycle de puissance sous-marine ou « course au sous-marin » initiée en Asie du Sud-Est par le Việt Nam (1997) et la Malaisie (2002).
Le nouveau moteur du Su-57 n’est pas encore disponible
Parmi les nombreuses innovations portées par le programme de chasseur de nouvelle génération russe Su-57, le nouveau turboréacteur désigné temporairement par le code Izdeliye 30 (object 30), aura probablement été le plus complexe. Il faut dire que les ambitions portées par ce programme sont à l’échelle de celles du Su-57 lui-même !
Si le premier vol du premier T50, les démonstrateurs du programme Su57, est intervenu en 2010, la première apparition du turboréacteur Izdeliye 30 ne date que du 5 décembre 2017, et encore, n’équipait-il qu’une des deux cellules moteur d’un des démonstrateurs. En effet, l’ensemble du programme Su-57 a été développé sur la base d’un autre moteur, le Izdeliye 117, un moteur de la famille AL41 de NPO Saturn qui propulse le Su35s, et prochainement les Su30SM modernisés. Si ce moteur offre des performances remarquables, comme une poussée à sec de 9 tonnes et de 14,5 tonnes avec post-combustion, et un flux vectoriel offrant une excellente manoeuvrabilité à l’aéronef, il n’en demeure pas moins d’une conception « ancienne » et typiquement russe avec, par exemple, une durée de vie relativement courte de 6000 heures de vol.
Le nouveau moteur Izdeliye 30 a pour objectif de rompre avec la conception traditionnelle des turboréacteurs russes, en offrant une durée de vie bien supérieure (sans que l’on sache exactement de combien), la capacité de re-capitaliser un moteur sans devoir le changer (une caractéristique purement occidentale aujourd’hui), un pilotage entièrement numérique connecté au calculateur de vol. Mais les fondamentaux n’ont pas pour autant été négligés, avec un poussée à sec de plus de 10 tonnes et de plus de 17 tonnes en post-combustion. En outre, sa consommation de carburant aurait été réduite de 30%, la gestion de la poussée vectorielle aurait été optimisée par la commande numérique, et le moteur permettrait un vol en super-croisière au Su-57, c’est à dire un vol supersonique sans utiliser la post-combustion très gourmande en carburant. A noter que cette dernière caractéristique, initialement intégrée dans la « définition » de la 5ème génération d’avions de combat, a mystérieusement disparu lorsqu’il devint évident que le F35 n’en serait pas doté, contrairement au F22, au Typhoon, au Gripen E/F ou au Rafale.
Désormais, le moteur serait suffisamment fiable pour entamer une nouvelle campagne de test, et aurait déjà effectué 16 vols pour tester divers configurations et domaines de vol, notamment le fonctionnement sous g négatifs et l’optimisation de la souris, selon Anatoly Serdyukov, le directeur industriel aéronautique de Rostec, le géant russe de l’armement. Reste qu’on ignore encore quand sera effectivement disponible le nouveau moteur du motoriste NPO Saturn. Alors qu’il devait équiper les appareils de pré-série dont la livraison du premier exemplaire doit intervenir d’ici quelques jours, ces derniers seront donc toujours équipés de turboréacteurs 117S, comme les prototypes, ne permettant pas d’ouvrir intégralement le domaine de vol de l’appareil.

Cet exemple illustre bien la difficulté et la technicité que représente la conception d’un moteur haute-performance pour propulser un avion de combat, même pour des entreprises très expérimentées dans le domaine. Il n’existe que 5 entreprises ayant cette capacité aujourd’hui : les américains Général Electrique et Pratt & Whitney, le britannique Rolls-Royce, le russe NPO Saturn et le français Safran. La Chine investit une énergie considérable pour acquérir ce savoir-faire spécifique, qui lui permettrait de rejoindre vraiment la club des grandes nations aéronautiques.
L’US Army veut un TITAN pour gérer les flots d’informations digitales sur le champs de bataille
L’information digitale est devenue une composante essentielle à l’engagement d’une force armée moderne, à l’instar des munitions, du carburant, et des systèmes de soutien (artillerie, génie, appuis aérien ..). Mais à mesure que le besoin devenait croissant, et que la technologie progressait, les sources d’information se multiplièrent, comme le nombre de point d’accès à ces informations. De fait, aujourd’hui, il est impossible d’accéder à l’ensemble des informations effectivement disponibles sur un théâtre d’opérations, tant les systèmes sont complexes et n’ont pas été conçus pour communiquer ensemble.
Ce sera précisément le rôle du Tactical Intelligence Targeting Access Node, ou TITAN, un véhicule blindé conçu pour recevoir, traiter et distribuer l’ensemble de ces informations dans un système d’information formaté vers les unités combattantes et les Etats-Majors. Concrètement, le TITAN aura plusieurs missions :
- recevoir et stocker l’ensemble des informations disponibles concernant le théâtre d’opération. Ceci inclut les radars de surveillance du champs de bataille, les systèmes d’écoute électronique, les informations en provenance des unités déployées, celles acquises par les drones de surveillance et drones tactiques, les systèmes aériens (F35, SIGINT etc.), les satellites militaires et civils.
- Fusionner, hiérarchiser, analyser et consolider ces informations dans un format et une interface unique pour un accès normé, rapide et simplifié
- Distribuer ces informations formatées sur le système d’information du futur Battle Management Command and Communication, définissant le standard d’échange et d’accès aux informations de l’US Army, et le format d’échange des données avec les autres systèmes, qu’ils soient nationaux (US Navy, Air Force) ou alliés (OTAN).
Pour faire face à un tel flot d’informations, le TITAN se devra d’être à la fois évolutif et scalaire, de sorte à pouvoir intégrer les nouvelles technologies de traitement de l’information, comme les nouvelles sources d’information qui ne manqueront pas d’arriver sous peu, ainsi que les équipements destinés à augmenter la capacité de stockage, traitement et distribution des informations. En ce sens, le TITAN sera un élément clé du programme Futur Long-Range Precision Fire, l’une des principales briques du super-programme « Big 6 », lancé pour assurer la supériorité technologique et opérationnelle de l’US Army sur le champs de bataille dans les décennies à venir.
Reste que concevoir et fabriquer un tel véhicule blindé est loin d’être simple, tant les problèmes sont nombreux. En premier lieu, il devra disposer d’une capacité de production électrique très importante, bien au delà de ce que peut produire un véhicule blindé traditionnel. A l’instar du programme destiné à concevoir un système de défense anti-aérien Laser à haute énergie américain, l’utilisation d’une turbine combinée à des batteries hautes capacités dédiés à cette seule fonction apparait comme une solution. Mais cette solution prend beaucoup de place, et consomme beaucoup de carburant pour fonctionner en continu. De même, outre la protection contre les munitions légères et les éclats d’obus, le TITAN devra également être protégé contre les rayonnements électromagnétiques, et notamment contre les armes à impulsion Electro-magnétique capables d’endommager tous les circuits électroniques dans un rayon de quelques centaines de mètres. Il devra également assurer le refroidissement des systèmes électroniques, et de la cabine abritant les opérateurs, créant un important dégagement de chaleur autour du véhicule, en faisant, dès lors, une cible bien visible pour tous les systèmes infra-rouges de l’adversaire. Enfin, et ce sera probablement le plus grand des challenges, il faudra rassembler l’ensemble de ces éléments dans un véhicule blindé, par nature plus petit qu’un aéronef ou un navire de combat.
Par ailleurs, à l’instar des avions d’alerte aérienne avancée (Awacs) ou de renseignement et d’écoute électronique (SIGINT), les TITAN sont destinés à devenir des pièces maitresses du dispositif américain sur le champs de bataille, et donc des cibles privilégiées pour l’adversaire, qui ne manquera pas de concevoir des équipements et des tactiques pour les éliminer dès les premières minutes de l’engagement. De fait, l’US Army devra disposer d’un nombre important de ces systèmes fonctionnant en partage et réplication de charge, de sorte à maintenir la disponibilité du service même en cas d’une importante attrition.
Le besoin traité par le programme TITAN existe en Europe comme aux Etats-Unis. On peut dès lors s’attendre à ce qu’un programme similaire apparaisse, soit dans le cadre de la coopération permanente structurée européenne, soit dans le cadre des programmes franco-allemands comme le Main Ground Combat System de chars de nouvelle génération, ou le CIFS concernant les systèmes d’artillerie.
La sincérité des Revues stratégiques mise en cause par le Chef d’Etat-Major britannique
Le Général Nick Carter, Chef d’Etat-Major des armées britanniques, a appelé à plus de sincérité dans la conception des documents servant de base à l’action politique en matière de Défense, alors qu’il s’exprimait face au Royal United Defense Institute, ce 6 novembre. En particulier, il entend que ces documents éminemment politiques soient exacts quand à l’état de préparation réel des forces, leurs capacités à être déployées objectivement évaluées, comme l’évolution des forces dans le monde auxquelles les forces britanniques pourraient se retrouver confrontées.
Au Royaume-Unis comme en France et dans une majorité de pays occidentaux, les gouvernements ordonnent la rédaction de revues stratégiques et de Livres Blancs pour articuler l’action politique, et les arbitrages qui seront fait concernant les armées, leurs formats et leurs équipements, dans les années à venir. Mais à Londres comme à Paris, cet exercice a, petit à petit, était dévoyé de sa fonction première qui est de confronter une evaluation objective des moyens disponibles, aux moyens nécessaires pour faire face aux différents scénarios envisagés et hiérarchisés dans ces études. En effet, aujourd’hui, les gouvernements, souvent nouvellement élus, arrivent la plupart du temps avec « la solution », à savoir l’investissement accordé aux armées, avant d’entamer l’analyse, et imposent de fait un biais très dommageable à la valeur de ces documents, ainsi qu’a la pertinence de la réponse qui est apportée dans les arbitrages politiques concernant l’effort de Défense. Ceci expliquant en grande partie l’état de délitement des armées européennes aujourd’hui.
Ainsi, en France, l’exercice traditionnel repose sur la rédaction d’un Livre Blanc sur La Défense et la Sécurité Nationale, le dernier ayant été rédigé en 2013, et appliqué en 2014. Ce LBDSN 2013 ne déroge pas, pas plus que les précédents, à l’inversion de protocole précédemment exposée : Commandé par le président Hollande peu après son élection, il avait pour fonction de justifier la poursuite des économies faites sur le budget des armées. Et pour y parvenir, le format des armées, et des grands moyens à leurs dispositions, prônés par ce document, reposait sur une analyse particulièrement optimiste de l’évolution des tensions militaires et sécuritaires dans le Monde. Pourtant, en 2013, plusieurs indices majeurs permettaient d’anticiper les événements des années à venir, comme l’augmentation rapide du budget des armées en Russie et en Chine, le nombre de programmes de recherche et développement d’équipements de Défense dans ces pays, les projections économiques et technologiques les concernants (surtout la Chine), ainsi que le glissement lent mais notable du discours de leurs dirigeants vers plus de défiance vis-à-vis de l’occident. L’anticipation du retour du terrorisme islamiste au Moyen-Orient et en Europe était également possible, en observant les évolutions politiques et religieuses en Irak, en Egypte, et dans de nombreux pays de la région sud saharienne.
Mais l’ensemble de ces éléments furent ignorés ou minimisés dans la rédaction du LBDSN français en 2013, qui s’avéra dès lors obsolète à peine fut-il publié et présenté au président français au printemps 2014, c’est à dire après l’annexion de la Crimée par les forces spéciales russes et les interventions françaises au Mali (opération Serval) et en Centre-Afrique (opération Sangaris). Malgré cela, il continua de servir de Bible pour l’évolution des armées françaises, et il faudra attendre les attentats terroristes de 2015 à Paris, revendiqués par l’Etat Islamiques, pour que la déflation des effectifs engagées soient suspendue. Entre temps, la Russie entraina le Donbass dans un conflit sécessionniste avec Kiev, les tensions entre la Russie et l’OTAN, notamment autour des pays Baltes, s’accentuèrent, et la Chine entama la revendication ferme de la mer de Chine, passant de l’évocation de la règle des 9 traits à la construction de bases sur des récifs artificiels dans la zone. Pourtant, là encore, le LBDSN 2013 resta la seule référence employée, comme ce fut le cas jusqu’à l’élection du président Macron en 2017.

Si ce dernier affichait des ambitions plus importantes concernant l’investissement de Défense, il appliqua la même méthode que ses prédécesseurs, avec une solution édictée avant d’avoir l’analyse. En effet, Emmanuel Macron commanda une revue stratégique à peine fut-il nommé président de la République, en y imposant toutefois 2 restrictions : le respect du format du LBDSN 2013, et des investissements respectants ses engagements de campagne, à savoir atteindre les 2% de PIB concernant l’effort de Défense en 2025, conformément aux engagements de la France au sein de l’OTAN. De fait, le Revue Stratégique 2017, si elle apporte quelques éclaircissements sur des dossiers à évolution rapide, comme le Cyber ou le Spatial, n’était pas autorisée à décrire clairement l’état dans lesquels se trouvaient les armées françaises, ni l’évolution réelle des menaces.
La Loi de Programmation Militaire qui s’en suivit respectait, de fait, les engagements d’augmentation du budget des armées pris lors de la campagne présidentielle, à savoir +1,7 Md€ par an à partir de 2019 jusqu’en 2023, puis +3 Md€ jusqu’en 2025. Mais le format des forces, comme par exemple l’objectif de 200 chars de combat, de 15 frégates de premier rang, ou de 225 avions de chasse, définis par le Livre blanc en 2013, restaient, eux inchangés, alors que dans le même temps, les forces russes passaient de 900 à 2700 chars de combat et en perçoivent plus de 150 supplémentaires chaque année, et la Chine de 25 frégates et destroyers à 85, produisant tous les 2 ans et demi l’équivalent de la flotte combattante de la Marine nationale.

On le voit, l’appel du chef d’Etat-major des armées britannique pour plus de sincérité dans les revues stratégiques et autres Livres blancs, s’applique également à la France, comme à l’ensemble des pays européens. D’ailleurs, depuis quelques mois, on constate que l’ensemble des chefs d’Etat-Major français alertent sur le format trop restreint des forces et des moyens pour être en mesure de répondre à l’ensemble des engagements auxquels ils doivent faire face, ainsi qu’à la détérioration rapide de la situation sécuritaire internationale, y compris en Europe. Le Politique va devoir cesser d’utiliser l’alibi des Revues Stratégiques pour justifier ses arbitrages.
Les documents de bases, comme les RS et LBDSN, doivent être rédigés en toute indépendance par un collège d’experts, associant militaires, parlementaires et personnalités légitimes pour y participer (universitaires, économistes, spécialistes reconnus), et disposer de mécanismes pour justifier leur mise à jour lorsque la situation l’impose. Le gouvernement devra alors répondre aux constats de la Revue Stratégiques, et/ou aux recommandations du Livre Blanc, en les transposant en Loi de Programmation Militaire, constituant dés lors la réponse politique à une analyse objective, et engageant la responsabilité de ces mêmes politiques si cette réponse venaient à s’avérer insuffisante face à l’avenir prévisible. Pas sûr, toutefois, que cette approche, reposant sur le bon sens, soit un jour mise en oeuvre par un quelconque gouvernement…
L’OTAN face à ses contradictions
Quelques jours avant le 70e sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui s’est tenu à Londres du 3 au 4 décembre 2019, Emmanuel Macron s’était félicité d’avoir réveillé l’Alliance atlantique. Bien qu’irritant nombre d’Alliés, les propos du président français ont eu le mérite d’étaler au grand jour les dissonances stratégiques et de susciter un débat plus profond sur le bien-fondé de l’Alliance. Mais au regard des mots forts et des désaccords évidents qui ont émaillé le sommet de Londres, l’adoption d’une déclaration commune affirmant « la solidarité, l’unité et la cohésion » peine à convaincre.
La déclaration finale a ménagé toutes les susceptibilités : réaffirmation de la mission nucléaire de l’OTAN, reconnaissance de l’Espace en tant que milieu opératif de l’Alliance, dénonciation des « actions agressives » de la Russie, condamnation du terrorisme « sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations », recours à un conseil de sages et d’experts pour mener une « réflexion prospective visant à renforcer la dimension politique de l’OTAN ». Un communiqué contentant toutes les préoccupations donc, sous couvert d’une unité généralisée, mais l’Alliance est-elle parvenue à conjurer sa « mort cérébrale » ?
METTRE FIN AUX ATERMOIEMENTS DE L’ALLIANCE
Cela fait plus de vingt ans qu’elle répète sans conviction, à chacun de ses sommets, qu’elle se réforme et s’oriente vers de nouvelles missions et de nouveaux objectifs stratégiques. Force est de constater que les désaccords ne datent pas d’hier : la campagne du Kosovo (1998-1999), puis l’intervention américaine en Irak (2003), furent révélatrices aussi bien des divergences stratégiques et politiques que des déséquilibres capacitaires entre les Alliés. Le président Macron n’est certainement pas le premier à attirer l’attention sur les défaillances de l’OTAN, la seule différence étant aujourd’hui que cette dernière est confrontée à des défis existentiels bien plus profonds qu’elle ne laisse paraître.
Car d’après le secrétaire général Jens Stoltenberg, l’organisation n’est pas en crise. Et pourtant, que faut-il penser des manquements dysfonctionnels de son organisation face à l’offensive turque et au volte-face de Washington sur le dossier syrien ? Que dire des alliés européens qui confondent l’Alliance et la protection bienveillante américaine ? Ou bien encore des menaces de Washington à l’encontre des Européens afin que ceux-ci s’investissent de manière plus active dans leur propre défense mais que cette implication se fasse au bénéfice des industriels américains ? Force est de reconnaître que l’OTAN ne peut plus fonctionner sur les bases qui sont les siennes. Le retrait graduel américain du leadership occidental est d’ores-et-déjà acté et quand bien même le futur locataire de la Maison Blanche serait d’obédience démocrate, la ligne amorcée par Barack Obama et consolidée sous Donald Trump ne serait connaître une quelconque inflexion. Pourtant, nombre de nos alliés – si ce n’est l’entièreté – se refusent à faire le deuil des Américains et entretiennent de fait une profonde méfiance à l’encontre de la France qu’ils soupçonnent de vouloir placer le continent sous sa tutelle.
CLARIFIER LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES
Il convient de souligner que ce n’est pas moins l’OTAN qui est au cœur du problème que la relation entre l’Europe et les Etats-Unis. Jusqu’à présent, les Européens ont tenté de répondre à l’évolution des priorités stratégiques américaines comme s’il ne s’agissait que de nouvelles conditions pour maintenir l’ancien contrat transatlantique. Or, le pivot américain qui assure la sécurité et la défense de l’Europe occidentale a sensiblement évolué depuis la fin de la Guerre Froide. L’océan Pacifique est devenu un espace stratégique de premier ordre pour des Etats-Unis qui ont amorcé leur pivotement stratégique sous l’ère Obama, créant de fait un sérieux doute quant à la solidarité américaine en cas d’attaques sur le sol européen.
Et pourtant, le statu quo adopté par nombre de nos Alliés demeure inchangé, particulièrement pour ceux qui continuent à entretenir cette nostalgie secrète du temps où l’Europe s’abritait confortablement sous un parapluie américain peu coûteux. Ainsi, il n’est pas surprenant de constater l’isolement du locataire de l’Elysée lorsque ce dernier pointe du doigt l’ambiguïté de son homologue américain et ses conséquences sur l’architecture de sécurité européenne. Pour autant, l’unilatéralité des Américains dans les décisions prises en matière sécuritaire souligne un peu plus le désintérêt stratégique de Washington pour l’Europe car elle porte directement atteinte aux intérêts de sécurité des Européens mais également au dialogue transatlantique sur ces questions. Outre les atteintes faites au bien-fondé de l’article 5 – celui de la clause d’assistance mutuelle – c’est également l’article 4 qui prévoit que « les parties se consulteront chaque fois que l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée » qui est égratigné à son tour.
METTRE UN TERME À LA POLITIQUE DE LA PORTE-OUVERTE ET RENOUER AVEC LA RUSSIE
Ainsi, souffrant d’un manque de cohésion et de confiance certain, il semble n’y avoir rien de bon à élargir continuellement la table à des nations qui n’ont rien à apporter sur le plan stratégique et militaire. Quelle contribution de sécurité des Etats comme le Monténégro – un pays dont le budget de Défense atteint péniblement 100 millions d’euros – peut-il apporter à l’OTAN ? La même question peut se transposer aux cas albanais et macédonien dont les forces armées recouvrent un spectre capacitaire très limité si ce n’est dérisoire. Il n’existe aucun argument valable à l’adhésion de ces pays, si c’est n’est l’augmentation de la pression artérielle du locataire du Kremlin.
La proposition française d’assainir l’architecture de sécurité européenne en renouant un dialogue permanent avec la Russie est une proposition intéressante, susceptible d’apaiser les tensions qui minent l’environnement sécuritaire du continent depuis plus d’une décennie. Mais rallier les partenaires européens à cette vue est certainement le défi le plus ardu à relever pour Emmanuel Macron car il ne doit pas pour autant négliger le ressenti de ces pays vis-à-vis de la menace russe. A cet égard, le véto opposé par la France à l’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord à l’OTAN a vexé nombre de capitales dans la région, un acte perçu comme une énième expression du scepticisme historique de la France à l’endroit des Etats anciennement communistes. Dans les faits, ce refus recouvre une réalité tout autre : l’élargissement de l’Alliance a causé bien plus de problèmes qu’il n’en a résolu.

En effet, en choisissant d’intégrer de nouveaux alliés sans armée ni moyens, l’Alliance n’a fait que creuser un peu plus le fossé entre les moyens et les objectifs poursuivis jusqu’à en flouter la finalité stratégique. En 1957, Lord Ismay, alors premier secrétaire général de l’organisation, expliquait que l’OTAN avait pour vocation de « garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur, et les Allemands en bas ». Or, à la chute de l’URSS, la formule ne fonctionnait plus et l’OTAN s’est lancée en quête d’une nouvelle raison d’être et elle a substitué le néant doctrinal au processus d’élargissement, sans pour autant redéfinir sa mission. Sans le vouloir, elle a alimenté cette nouvelle confrontation avec Moscou justifiant de facto le prolongement de son existence.
Pour Bertrand Badie, professeur émérite des universités à l’IEP de Paris, l’OTAN est devenue « une sorte d’alliance mêlant intérêts divers, identité confuse et valeurs floues » et à Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, de souligner que « les Européens s’en remettent toujours à d’autres pour assurer leur défense ». Ces constats sont justes, si ce n’est clairvoyants, notamment à la lumière de la mort tragique de treize soldats français, pertes qui nous pousse à questionner, une fois de plus, la place des Européens dans leur propre défense : ont-ils pleinement conscience de ce qui se joue aux périphéries de l’Europe ? Au regard de la solitude française dans une région au combien stratégique pour l’Europe, la dichotomie entre les intérêts de sécurité de nos alliés et la réalité du terrain instaure un doute profond sur la propension des Alliés à faire table rase de ce que François Mitterrand nommait très justement en 1991 : la « Sainte-Alliance ».
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Axel Trinquier – Questions de défense européenne
Marina militare : réflexions quant à l’intégration du missile anti-aérien CAMM-ER à bord des PPA Light et des PP(X)
Le missile anti-aérien CAMM-ER vient de réussir avec succès une année 2019 consacrée à un ensemble d’essais dont des tirs. La décision de la commission de défense de la Chambre des députés du Parlement italien d’approuver le décret portant l’achèvement du développement de ce missile avec une ligne budgétaire de 95 millions d’euros le 14 novembre 2019, laisse entrevoir son admission au service actif en 2024. La Marina militare se révèle intéressée pour ajouter cette munition aux ASTER 15 et 30 pour équiper les Pattugliatori Polivalenti d’Altura (PPA) Light et les corvettes du programme PP(X).
Pourquoi V. Poutine propose-t-il la reconduction immédiate du traité New Start ?
A l’occasion d’une rencontre consacrée à La Défense, le Président Poutine a indiqué qu’il était prêt à signer la prorogation intégrale et sans négociation du traité sur les armes nucléaires New Start, qui doit arriver à échéance en 2021. Signé en 2010 et ratifié en 2011, le traité New Start impose à la Russie et aux Etats-Unis de ne pas disposer de plus de 800 vecteurs stratégiques (missiles à capacité nucléaire) dont 700 peuvent être déployés, et 1550 têtes nucléaires déployées par chacun des deux pays. Héritier des traités Salt (1972), Start (1993), INF (1987) et Open Sky (1992), il fut mis en oeuvre pour limiter la course aux armements nucléaires, et garantir une capacité de vérification bilatérale entre les deux grandes puissances nucléaires.
L’inéluctable déclassement russe est engagé
On peut s’étonner de voir la Russie de Vladimir Poutine aussi déterminée à maintenir les traités signés par le passé, alors que le pays est en partie responsable de la dégradation de la situation internationale et des relations entre la Russie et l’occident, après l’annexion de la Crimée et l’intervention dans le Donbass, en 2014, et surtout du fait de la reconstruction très rapide de l’outil militaire du pays. A l’inverse, les Etats-Unis, très prompts à se parer de nombreuses vertus parfois puritaines, semblent aujourd’hui déterminés à mettre fin à ces traités, comme ce fut le cas en 2018 avec le traité INF, et comme c’est le cas aujourd’hui avec le traité Open Sky.

En réalité, le président russe est parfaitement conscient de l’inévitable déclassement auquel la Russie s’expose dans les années à venir, et de la montée en force d’un modèle bi-polaire autour des Etats-Unis et de la Chine. En effet, la patrie de Tolstoy souffrent de deux handicaps déterminants : sa démographie, et son économie. Ainsi, dans les 30 années à venir, la population russe est, selon de nombreuses projections, condamnée à perdre jusqu’à 10 millions de ses habitants, du fait du vieillissement de la population, de la faible natalité, et de l’immigration d’une partie des élites. En outre, les projections économiques, que l’on sait toutefois peu fiables, convergent vers une croissance faible en Russie dans les années à venir, avec une croissance moyenne comprise entre 0,5 et 1%, alors même que l’inflation se stabilisera autours de 4%, et que la dette publique augmentera en moyenne entre 1,5 et 2% du PIB par an. Dans le même temps, la Chine va maintenir une croissance démographique controlée mais positive, et une croissance économique entre 3 et 5%, là ou les Etats-Unis vont continuer à voir leur population augmenter, notamment grâce à l’immigration d’Amérique centrale, et sa croissance évoluer autour des 2%.
Une puissance en trompe l’oeil
Or, si la Russie a pu reconstruire un outil de défense de premier ordre ces 15 dernières années, c’est avant tout en profitant de l’extraordinaire reliquat de l’époque soviétique, et de la période de stagnation en matière de technologies militaires qu’a connu le monde entre 1995 et 2015. De fait, au prix de modernisations bien plus économiques que de concevoir et construire de nouveaux materiels modernes, les armées russes ont pu reconstituer un potentiel militaire important et performant. En outre, grâce à des programmes de défense particulièrement bien menés, et du dynamisme des exportations d’équipements de Défense, le pays a su garantir la pérennité de son industrie, de ses savoir-faire, et de ses armées, pour la nouvelle génération d’équipements qui arrivent aujourd’hui, comme pour l’avion de 5ème génération Su-57, le drone S70 Okhtonik B, le chars T-14 Armata, les sous-marins Yassen et Borei. Dans le même temps, les ingénieurs russes ont répondus aux attentes des stratèges du ministère de La Défense pour concevoir quelques équipements dotés de capacités de ruptures offrant un avantage tactique et stratégique indéniable au pays, comme le missile hypersonique Kinzhal, le missile anti-navire Tzirkon, le système anti-aérien S500, ou le planeur hypersonique Avangard.

Malheureusement, ce contexte exceptionnel qui permit à Moscou de revenir au premier plan de la scène internationale, au même titre que Washington ou Pékin, ne pourra être reproduit dans les années à venir, et Vladimir Poutine le sait très bien. C’est en grande partie ce qui explique la situation actuelle, et l’inversion de paradigmes apparente auquel nous assistons. En soutenant les traités existants, le président russe entend prolonger, plus ou moins artificiellement, le rôle de Moscou sur la scène internationale, alors que Washington constate que ces traités entravent ses moyens d’action pour faire face à la montée en puissance chinoise, considérée désormais, et à juste titre, comme le principal et unique compétiteur réel de la puissance américaine sur la scène internationale. De la même manière, en se rapprochant de Pékin et de son président Xi Jinping, Vladimir Poutine espère profiter d’un regain de perception de puissance à l’échelle mondiale, dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle des européens vis-à-vis des Etats-Unis.
L’Europe, et la France, comme alternative
Alors, la Russie doit-elle choisir entre le déclassement international pur et dure, ou la lente vassalisation vis-à-vis de Pékin ? Pas nécessairement, car il existe une troisième voie, qui apparait bien plus satisfaisante pour Moscou : un rapprochement avec les européens. En effet, dans les projections de l’OCDE, les grands pays européens, que ce soit l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, convergeraient vers une puissance économique sensiblement équilibrée, avec un PIB évoluant entre 5,4 et 6 mille milliard de $ en 2050, là ou la Russie atteindrait les 5,2, les Etats-Unis 35, et la Chine 48.

En se rapprochant de l’Europe, et non de Pékin, Moscou bénéficierait non seulement de la puissance économique des Européens pour dynamiser son économie, et accélérer sa croissance économique, mais également d’une relation équilibrée avec les grandes nations européennes, dans un rapport d’égal à égal. A l’inverse, les Européens bénéficieraient d’un apaisement sensible et rapide des tensions sur les frontières est, et pourront dés lors concentrer leurs efforts dans la course à la puissance entamée par la Chine et les Etats-Unis, au point de pouvoir s’intercaler entre les deux pays en terme de population, de PIB, et donc d’influence à l’échelle mondiale. En outre, et ce n’est pas négligeable, une structure politique à 3 pouvoirs sensiblement équivalent est gage d’une bien plus grande stabilité qu’une bipolarisation du monde.
Conclusion
Ce constat est probablement à l’origine de l’ouverture faite par le président Macron envers la Russie il y a quelques jours, sachant que le sort de la Russie et des Européens sont liés dans un futur relativement proche : faute d’une coopération rapide et ambitieuse, chacun devra se blottir contre le flanc de sa super-puissance de tutelle. De fait, plutôt que de tenter de sauver le traité New Start ou Open Sky avec Washington, qui de toute façon ne représenterait qu’un gain de temps limité pour une trajectoire inchangée, Moscou, comme Paris, seraient avisés de rapidement trouver des points de convergence, et des Quick Win, notamment sur l’Ukraine et sur les sanctions économiques qui handicapent la reprise russe, de sorte à pouvoir entamer une dynamique salvatrice pour les deux pays, ainsi que pour l’Europe.
L’Armée Indienne veut acquérir 200 véhicules de combat d’infanterie
Alors que les tensions avec le Pakistan ne cessent de s’accroitre, l’Armée de terre indienne lance une procédure d’acquisition de 200 véhicules de combat d’infanterie pour « tenir la ligne » face au Pakistan. Ces blindés devront remplacer les véhicules de reconnaissances BRMD de facture russe en service jusqu’à présent, et jugés désormais inadaptés aux besoins de puissance de feu, de protection et de communication des forces indiennes.
Le Cahier des Charges présenté par l’Etat-Major indien impose une mobilité tout terrain élevée, notamment en matière de terrain montagneux, avec la capacité à fonctionner face à d’importantes amplitudes thermiques, de +45° à -0°. Le blindé devra être en mesure de transporter 2 tonnes de charge, incluant l’équipage, les personnels transportés et les munitions. Il devra être aérotransportable par avion C17 ou Il76. L’armement demandé intégré une tourelle munie d’un canon de 30 mm, une mitrailleuse 7,62mm, et deux missiles anti-chars « tir et oublie » d’une portée dépassant les 4 km, et dont les chances de succès dépassent les 90%. En matière de protection, si les exigences en matière de blindage ne sont pas spécifiées, il est précisé que le blindé devra être en mesure de se protéger des missiles et roquettes anti-chars, laissant entendre que le blindé devra être équipé d’un système Hard-kill et Soft-Kill. Enfin, en terme de mobilité, le VCI devra atteindre une vitesse de 80 km/h sur route, et être amphibie.

Parmi les blindés susceptibles de répondre à cette demande, le VBCI 2 de Nexter pourrait être un très bon candidat pour cet appel d’offre. Sa configuration 8×8 offre une excellente mobilité en zone montagneuse, et le blindé a été conçu pour fonctionner à de grandes amplitudes de températures. La tourelle T40, qui équipe l’EBRC Jaguar, dispose du redoutable canon de 40mm T40 franco-britannique, et d’un lance-missile double pour missiles anti-char MMP capable d’atteindre des cibles, même masquées, à plus de 5 km. Il peut transporter 7 soldats en arme, et peut recevoir un système de protection Hard/Soft Kill. En revanche, il ne dispose pas de capacités amphibies autonomes, comme une propulsion par hydrojet, bien que cela soit très probablement envisageable.
La Russie pourrait, elle, proposer le nouveau VPK-7829 Bumerang en version VCI K-17, un blindé de 25 tonnes de nouvelle génération destiné à remplacer les BTR et BRMD dans les forces russes. Dans cette configuration, le Bumerang dispose d’une tourelle Epoch équipée d’un canon 2A42 de 30mm, d’une mitrailleuse de 7,62mm, et d’un lance-missile double mettant en oeuvre le missile anti-char Kornet 9M113M, version tir et oublie du Kornet D. Il peut être équipé de du système de protection actif comme l’Arena-M. Ce blindé 8×8 est propulsé par un moteur de 510 Cv, offrant un rapport Puissance/Poids de 20 Cv/tonne garantissant une excellente mobilité tout-terrain, et une vitesse de pointe de 100 km/h. En outre, il dispose de 2 turbojets pour assurer sa propulsion amphibie.

L’industrie Indienne a également développé un VCI répondant à ce cahier des charges. Conçu par la DRDO et Tata Moteur, le WhAp (en illustration principale de l’article) est un blindé 8×8 de 26 tonnes propulsé par un moteur de 600 cv, et équipé d’une tourelle montée d’un canon de 30 mm, d’une mitrailleuse 7,62 mm, et d’un lance missile double pour missiles AT-4 ou AT-5, de génération plus anciennes que le MMP ou le Kornet-M. Le blindé est destiné à remplacer les BMP-2 en service dans l’armée de terre indienne. Le WhAp aura certainement les faveurs du programme de part son origine indienne, mais son caractère experimental, et le manque de maturité qui l’accompagne, n’en font pas le candidat idéal pour être en première ligne face aux forces pakistanaises.
Si le blindé russe présentent de nombreux atouts incontestables, le VCI de Nexter a montré, depuis le début de la décennie, une fiabilité exemplaire, notamment en opérations extérieurs, sur des théâtres africains particulièrement éprouvants. D’autres modèles seront également probablement proposés, par l’Allemagne, Israël, la Corée du Sud et éventuellement la Turquie, mais la compétition devrait se concentrer autour de ces deux blindés issus des deux principaux partenaires de New Delhi en matière d’équipements de Défense, et du Whap de facture locale. Pour peu que Paris en profite pour commander également un lot de VBCI 2 destiné à renforcer sa composante haute intensité, la France pourrait plus que défendre ses chances dans ce dossier.


