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Le Top 5 des armements les plus performants en Ukraine

Depuis le début de l’agression russe le 24 février, l’Ukraine est devenue, à son corps défendant, la plus grande plate-forme d’expérimentation des systèmes d’armes tant russes qu’ukrainiens et occidentaux, après 30 années de conflits larvés et asymétriques n’ayant pas permis d’analyses comparées objectives. Parmi ces systèmes, certains ont fait la démonstration de leur efficacité, au point de devenir célèbre y compris auprès du grand public. Mais quels sont les 5 systèmes d’armes qui se sont le plus distingués depuis le début de ce conflit, au point de faire évoluer certaines conceptions longtemps élevées au rang de dogme dans les armées occidentales et mondiales ?

5 – Le drone TB2 Bayraktar : Turquie

Le drone Moyenne Altitude Longue Endurance ou MALE est devenu, depuis une trentaine d’année, une composante clé de l’action militaire moderne. Toutefois, sa faible vitesse, sa mauvaise manoeuvrabilité et l’absence de furtivité laissait penser que s’ils se montrèrent efficaces et même redoutables lors des conflits dits de basse intensité, face à des forces insurrectionnelles faiblement dotées en systèmes anti-aériens, ils seraient bien trop vulnérables pour être employés dans le cadre d’un conflit de haute intensité. Et les nombreuses pertes de drones de ce type, qu’ils soient américains, chinois ou turcs, lors de la guerre civile libyenne mais également en Syrie, semblaient attester l’hypothèse. Pourtant, le drone MALE léger TB2 Bayraktar, fer de lance de la société turque Baykar, a joué à plusieurs reprises un rôle décisif dans ce conflit, que ce fut en harcelant la colonne russe qui se dirigeait vers Kyiv au début de conflit à l’aide de munitions légères et en guidant les frappes de l’artillerie ukrainienne, mais également en localisant et leurrant le croiseur Moskva, ce qui permit aux missiles antinavires Neptune de frapper et couler le navire amiral de la flotte de la mer noire russe.

Fondamentalement, les réserves quant à la vulnérabilité des drones MALE en environnement contesté ont elles aussi été confirmées lors de conflit, et la flotte de TB2 ukrainien a payé au prix fort ses confrontations avec la défense anti-aérienne russe, une fois celle-ci mise en place. Au point que désormais, le drone turc n’est presque plus utilisé à proximité de la ligne d’engagement ni dans des opérations offensives, les ukrainiens lui préférant des drones plus légers, moins onéreux et plus difficiles à engager pour les missions de reconnaissance et de guidage de l’artillerie. Toutefois, il est incontestable que le TB2 a joué un rôle décisif dans les premiers mois de cette guerre, même s’il a depuis marqué ses limites. Il a d’ailleurs convaincu sur la scène internationale, pas moins de 27 pays ayant acquis ou passé commande du système turc selon Baykar.

4- Le canon anti-aérien Gepard : Allemagne

A la fin des années 60, la Bundeswehr entreprit de se doter d’un canon automoteur à vocation anti-aérienne, afin de renforcer la protection rapprochée de ses unités blindées et mécanisées face aux avions de chasse et hélicoptères soviétiques. C’est ainsi que naquit le Flakpanzer Gepard, qui porte sur un châssis de char Leopard une tourelle armée de deux canons Oerlikon de 35mm à grande cadence de tir dirigés par un radar Doppler Pulsé en bande S, un radar de conduite de tir en bande Ku, ainsi que d’un système de visée électo-optique, lui conférant des capacités d’engagement et de détection étendues, y compris contre des cibles lentes ou de faible dimension, et dans un environnement de guerre électronique. Au fil des années, cependant, l’arrivée massive des munitions aériennes de précision, permettant aux avions de combat de les larguer à haute altitude en dehors de l’enveloppe de tir de l’artillerie, mais également des munitions stand-off, c’est à dire lancées à distance de sécurité, amenèrent les armées à délaisser les systèmes anti-aériens basés sur de l’artillerie sol-air, pour les remplacer par des missiles capables d’atteindre des cibles à plus haute altitude, et à plus grande distance. Au début du conflit ukrainien, les systèmes anti-aériens comme le Gepard semblaient bel et bien appartenir au passé.

Depuis, à l’instar du TB2 ou Javelin, le Gepard est devenu un des symboles de la résistance ukrainienne, même si seule une trentaine de ces systèmes a été livrée à Kyiv par Rheinmetall, et que Berlin peine à fournir à son allié les obus de 35 mm nécessaires, face au refus de la Suisse de céder ses stocks de munition afin de ne pas être impliquée dans ce conflit face à la Russie. En effet, le Gepard s’est avéré l’un des systèmes les plus performants pour intercepter les missiles de croisière russes, mais surtout pour détruire les drones à longue portée Geranium II, qui ne sont autre que des drones suicides Shahed 136 acquis auprès de l’Iran. Non seulement le Gepard est capable de détecter, de poursuivre et de détruire les Geranium passant à moins de 3 km, mais il ne lui faut que quelques dizaines d’obus de 35 mm pour détruire sa cible, donc un cout compatible avec le prix de la cible estimé à 20.000 $, là ou le moindre missile anti-aérien léger dépasse les 300.000 $. Alors que la menace des munitions rôdeuses à longue portée est appelée à s’étendre (voir ci-dessous), il est probable que le succès des Gepard en Ukraine favorisera le retour en grâce de l’artillerie anti-aérienne, tout au moins dans l’attente des systèmes à énergie dirigée.

3- Le canon CAESAR : France

A partir du début des années 70, et la multiplication des radars de contre-batterie capables de calculer le point d’origine d’une frappe d’artillerie de sorte à diriger une frappe de riposte, les systèmes d’artillerie tractés traditionnels ont rapidement cédés leur place, dans la plupart des grandes armées mondiales, à des canons automoteurs sous blindage, capables de se mettre en batterie rapidement, de lever la batterie après le feu tout aussi rapidement, et de protéger les véhicules et les équipages des shrapnels d’artillerie s’ils venaient à subir un tir. C’est ainsi qu’apparurent des systèmes comme le M108 américain, le 2S3 Akatsya soviétique ou encore l’AuF1 français. Et si, après l’effondrement du bloc soviétique, les parcs d’artillerie mondiaux ont été considérablement réduits, les canons automoteurs chenillés sous blindages continuèrent de représenter l’essentiel des forces, épaulés par des canons tractés plus légers, mais également beaucoup plus vulnérables, et donc moins nombreux dans les armées modernes. De fait, la solution imaginée par GIAT industrie (devenu depuis Nexter) au début des années 90, prenait à contre-pieds l’ensemble des doctrines ayant court à cette époque.

En effet, plutôt que de parier sur le blindage et sur une plate-forme chenillée, les ingénieurs et militaires français conçurent un système à la fois léger, très mobile mais doté d’une excellente précision et d’une grande puissance de feu, en montant un canon de 155mm et 52 calibres doté d’un système de chargement semi-automatique sur un camion 6×6, et ne disposant pour seule protection que d’une cabine protégée contre les munitions légères. En revanche, le nouveau système était doté d’une excellente mobilité et d’un système de conduite de tir très efficace et précis, permettant la mise en batterie, le tir de 6 obus et la levée de la batterie en moins de 3 minutes. Le CAmion Equipé d’un Système d’ARtillerie, ou CAESAR, a rapidement montré son efficacité aux mains des artilleurs français, au moyen-orient comme en Afrique, notamment grâce à une mobilité et une précision sans pareil, permettant même de mener des raids d’artillerie dans la profondeur du dispositif adverse. Mais à l’instar du TB2, on pouvait s’interroger sur l’adéquation du système avec la réalité d’un engagement de haute intensité, notamment du fait de son faible blindage, et de l’absence de chenille.

En ce sens, les 18 CAESAR envoyés par Paris en Ukraine, ont non seulement démontré l’efficacité du système dans un conflit de haute intensité, mais ont également montré toute la pertinence des paradigmes mis en oeuvre par les ingénieurs français dans la conception du système 30 ans plus tôt. Ainsi, alors qu’au moins 22 canons tractés M777A2 livrés par les américains ont été détruits au combat, tout comme 2 M109 et 5 Krab polonais, tous deux sous blindages et équipés de chenilles, un seul des 18 CAESAR a été endommagé au combat sans qu’il fut détruit ou abandonné, et le canon français s’est rapidement taillé une réputation exemplaire auprès des mitaines ukrainiens. De toute évidence, le pari de GIAT, privilégiant la mobilité et la rapidité au blindage, et la légèreté aux chenilles, s’est avéré plus que payant, y compris en environnement de haute intensité et sur terrain difficile. Le succès est d’autant plus important que le CAESAR, plus léger et moins complexe à produire, peut être vendu à 5 m€ l’unité, contre plus de 15 m€ pour ses concurrents comme le M109 Paladin ou le Pzh2000 allemand.

2- Le lance-roquettes à longue portée HIMARS : Etats-Unis

En bien des aspects, le M142 HIMARS pour High Mobility Artillery Rocket System, de l’américain Lockheed-Martin, est le pendant du CAESAR dans le domaine des lance-roquettes multiples. Comme le système français, il a pris une certaine distance avec les paradigmes hérités de la guerre froide, ceux -là même qui donnèrent naissance au M270 des années 80 reposant sur un châssis chenillé lourd et sous blindage. Toutefois, si monter un canon de 155mm sur un camion était clairement innovant en 1994, faire de même avec un lance-roquette multiple l’était beaucoup moins, y compris en 2005 lorsque les premiers HIMARS furent livrés à l’US Army. En effet, la plupart des LRM soviétiques puis russes, s’appuient sur cette configuration depuis la seconde guerre mondiale et les fameux orgues de staline. Et aujourd’hui, les BM-21 Grad, BM-27 Ouragan ou le BM-30 Smerch, reposent tous sur cette configuration.

Pourtant, c’est bel et bien l’arrivée des premiers HIMARS livrés par les Etats-Unis aux forces ukrainiennes, qui joua un rôle déterminant dans le renversement du rapport de force intervenu cet été, alors même que les armées de Kyiv comme de Moscou disposaient déjà, en nombre important, des systèmes Grad, Ouragan et Smerch, sensés avoir des performances comparables, sur le papier tout du moins. En effet, ce n’est pas tant la portée de l’HIMARS, ni sa précision, et pas davantage que la qualité des renseignements US qui existait avant leur arrivée en Ukraine, qui peuvent expliquer le rôle crucial des HIMARS, mais leurs capacités à intégrer l’ensemble de ces facteurs très rapidement, pour se saisir des moindres opportunités pour frapper les points d’appuis des armées russes dans la profondeur de leur dispositif, avec un préavis extrêmement court. Associés au système de communication et de commandement performant mis en oeuvre par les forces ukrainiennes, les HIMARS ont ainsi été capables d’exploiter les moindres faiblesses du dispositif russe, bien au delà des capacités offertes par les systèmes analogues déjà en service de part et d’autre de la ligne de front.

A l’instar du TB2 ou du CAESAR, les succès du HIMARS en Ukraine n’ont pas laissé indifférentes les armées mondiales, et plusieurs d’entre elles, notamment en Europe, ont annoncé depuis leur intention de se doter de ce système, ou de systèmes équivalent comme le K239 Chunmoo sud-coréen commandé par la Pologne. Même la très conservatrice Armée de Terre française a annoncé, récemment, qu’elle entendait se doter rapidement de ce type d’équipement afin de remplacer ses Lance-Roquettes Unitaires en limite d’âge et trop peu nombreux, le système HIMARS étant considéré comme le choix le plus probable de Paris en l’absence de solution nationale ou européenne de même acabit.

1 – Le drone à longue portée Shahed 136 : Iran

Les munitions rôdeuses, parfois appelées drone suicide, avaient déjà, par le passé, fait la démonstration de leur efficacité sur plusieurs champs de bataille, notamment en 2020 lors du conflit dans le Haut-Karabach. Cependant, celles-ci avaient été alors employées très majoritairement à des fins tactiques, afin de détruire l’artillerie et la défense anti-aérienne adverse, ainsi que pour harceler les unités sur la ligne d’engagement, notamment en détruisant les fortifications ennemies. L’arrivée du drone Shahed 136 dans le conflit ukrainien a, quant à lui, marqué une profonde évolution dans l’utilisation de ce type d’armes, qui est désormais employée non par pour frapper des objectifs militaires proches, mais des infrastructures et des cibles civiles sur l’ensemble du territoire ukrainien. Traditionnellement, cette mission est confiée aux missiles de croisière et missiles balistiques, ainsi qu’à l’aviation de chasse, comme ce fut par exemple le cas lors des deux guerres contre l’Irak. Mais face à une défense anti-aérienne ukrainienne résiliante et efficace, ces frappes de missiles russes eurent et continuent d’avoir des effets sensibles mais limités, alors que chaque missile Kh-101 ou Kalibr coute entre 1 et 3 m$ à produire pour l’industrie russe déjà sous tension.

Le Shahed 136 iranien, lui, ne coute que 20.000 $ l’unité, tout en permettant d’atteindre des cibles à prés de 2500 km, et de lui infliger de sévères dommages avec une charge militaire de 40kg. En outre, part sa vitesse réduite, sa fiable signature radar et thermique, et son profil de vol atypique à basse altitude, le drone est à la fois difficile à détecter et à intercepter, y compris pour des systèmes anti-aériens évolués, alors que les missiles employés pour une telle interception coûtent entre 10 fois et 30 fois le prix de la cible visée. Paradoxalement, le Shahed 136, comme tous les drones de sa famille, est loin d’être très évolué, ceci expliquant son prix de revient très faible. Mais leur nombre et leur portée, permettent aux planificateurs russes d’attaquer simultanément et sous plusieurs angles une même cible même défendue, ceci expliquant à la fois le succès de cette munition depuis son introduction dans ce conflit, et la volonté de Moscou de se doter d’une capacité de production propre, quitte à céder 24 de ses précieux Su-35ES à Téhéran pour cela.

Avec le Shahed 136, les munitions rôdeuses sont donc entrées dans le domaine des armes stratégiques. En dépit de leur faible charge militaire, elles sont capables de détruire les infrastructures d’un pays sans qu’il soit, aujourd’hui, possible d’y répondre efficacement. En effet, pour le prix d’un unique missile de croisière, soit 2 m$, il est possible de mettre en oeuvre une centaine de ces drones. Et pour 2 Md€, soit le prix d’un unique destroyer Arleigh Burke armé de 24 missiles de croisière Tomahawk, il est potentiellement possible de lancer 100.000 de ces drones armés de 40 kg de charge explosive sur un pays, de quoi neutraliser avec une grande efficacité la presque totalité de ses infrastructures critiques. Les parades existent, comme les canons d’artillerie anti-aériens, les armes à énergie dirigée ou encore les systèmes de brouillage GPS/GLONASS nécessaires à la navigation du système. Pour autant, du fait de leur grande autonomie, il serait nécessaire de protéger soit l’ensemble des sites, soit l’ensemble des points d’accès, avec suffisamment de moyens pour contrer une attaque saturante, ce qui, au final, couterait considérablement plus cher que les 2 Md$ investis par l’adversaire pour créer la menace. En ce sens, le Shahed 136 redéfinit à lui seul une part non négligeable du rapport de force stratégique mondial.

Conclusion

La guerre en Ukraine étant la premier conflit de haute intensité post-guerre froide, il est naturel qu’il fasse émerger de nombreux nouveaux systèmes, que ce soit pour en apprécier les qualités ou pour en constater les insuffisances. Au delà des 5 équipements présentés ici, d’autres équipements ont fait la preuve de leur efficacité, voire ont ouvert la voie vers de nouvelles tactiques. C’est notamment le cas des drones navals employés par l’Ukraine pour attaquer la base navale de Sebastopol en Octobre puis celle de Novorossiysk un mois plus tard, ou du missile anti-navire ukrainien Neptune qui permit de couler le croiseur Moskva. De même, les munitions légères, comme les missiles anti-aériens portables Stinger, Mistral ou l’excellent Grom polonais, et les missiles antichars Javelin, Stugna-P et Milan, ont été au coeur de la résistance ukrainienne les premiers mois de la guerre, et continuent de jouer un rôle critique pour contenir la puissance blindée et aérienne russe.

Comme tout exercice de ce type, la liste présentée ici est emprunte d’une certaine subjectivité, ne serait-ce que du fait que les informations qui parviennent en occident remontent principalement au travers du spectre ukrainien, et que la communication internationale russe est à ce point peu fiable qu’il est difficile de lui prêter un quelconque crédit. Il apparait cependant, et en dépit de la subjectivité de la liste, que tous ces équipements brillent par certaines qualités communes, en particulier celle d’être relativement légers et surtout économiques. Alors que l’ensemble des Etats-majors et ministères de la défense en Europe planchent aujourd’hui sur le format et les équipements de leurs armées dans les années à venir, notamment pour faire face à l’hypothèse des conflits de haute intensité, il semble pertinent de prendre en compte cette observation, alors que la tendance, ces 30 dernières années, était à l’inverse de se tourner vers des équipements toujours plus lourds, plus technologiques et plus onéreux.

La Pologne commande 2 satellites d’observation militaires à la France

Depuis de nombreuses années, les relations entre Paris et Varsovie étaient difficiles, pour ne pas dire exécrables, les pays ayant d’importants griefs à faire valoir contre l’autre. Après que la Pologne eut préféré les F-16 C/D américains aux Mirage 2000-5 proposés par la France en 2008 en dépit d’une offre très agressive de Dassault Aviation, ce qui entraina la fermeture la la ligne d’assemblage de l’appareil français, puis l’annulation spectaculaire de la commande de 50 hélicoptères de manoeuvre Caracal par Varsovie en 2016, la France durcit considérablement ses relations avec la Pologne, en particulier du fait que le pays privilégiait systématiquement depuis l’arrivée au pouvoir du président Andrzej Duda et du parti nationaliste Loi et Justice, alors que dans le même temps, Varsovie bénéficiait d’importantes subventions économiques européennes. Les Polonais, quant à eux, reprochaient à la France, mais également à l’Allemagne, leurs positions jugées bien trop conciliantes vis-à-vis de la Russie, et la sous-estimation chronique de Paris et Berlin concernant la menace que représentait la modernisation des armées de Moscou, alors que la France, traumatisée par les attentats de 2013 et 2015, focalisait son attention sur la menace terroriste au Moyen-Orient et en Afrique.

De fait, pendant longtemps, tout opposait en Europe comme sur les questions de défense, les deux pays, dont les chefs d’état respectifs ne manquaient jamais de tacler l’autre à la moindre occasion. Si l’agression non provoquée Russe contre l’Ukraine donna finalement raison aux inquiétudes polonaises mais également baltes, il devint évident, au fil du temps, pour Varsovie comme pour Tallin, Riga et Vilnius, qu’il était nécessaire de compter avec la France et son industrie de défense unique en Europe pour soutenir l’Ukraine comme pour contenir la menace russe. C’est ainsi qu’après le Danemark et la République Tchèque, La Lituanie commanda au français Nexter 18 canons CAESAR par ailleurs très performants en Ukraine. La Pologne, pour sa part, brilla par son soutien massif à l’Ukraine, le pays ayant livré plusieurs centaines de chars et véhicules de combat d’infanterie, ainsi que des systèmes d’artillerie autotractés Krab aux forces ukrainiens, et de nombreuses pièces détachées pour les Mig-29 de Kyiv. En revanche, rien n’indiquait que Varsovie puisse changer de posture vis-à-vis des industries de défense françaises, régulièrement black-listées des compétitions d’armement polonaises.

L’annulation en 2016 du contrat portant sur la construction locale de 50 hélicoptères H225M Caracal pour les forces armées polonaises avait profondément dégradé les relations entre Paris et Varsovie.

De fait, l’annonce faite hier par Sebastien Lecornu, le Ministre des Armées français en visite à Varsovie sur sa route vers Kyiv, et son homologue polonais Mariusz Błaszczak, avait de quoi surprendre même les mieux informés des journalistes spécialisés Défense. En effet, les deux hommes ont annoncé la commande par Varsovie de 2 nouveaux satellites d’observation militaires qui seront produits par Airbus DS, et dotés d’une précision électro-optique de 30 cm, ainsi que d’une station de contrôle sol basée en Pologne, pour un montant de 575 m€. Il s’agit ni plus ni moins que de la première commande majeure polonaise à l’industrie de défense française depuis celle des 50 hélicoptères Caracal signée en juillet 2015, puis annulée une année plus tard.

Il est encore trop tôt pour conclure d’un changement de posture dans les relations franco-polonaises. Toutefois, il s’agit, incontestablement, d’un signe des plus encourageant, qui pourrait ouvrir la voie vers la normalisation de la coopération entre les deux pays, notamment en terme de défense. Or, il s’avère que les armées polonaises en devenir, qui s’appuieront notamment sur une très importante puissance conventionnelle terrestre alignant plus de 1000 chars de combat, 1000 véhicules de combat d’infanterie lourds, presque 700 canons automoteurs de 155 mm et 500 lance-roquettes à longue portée, seront parfaitement complémentaires, sur le terrain, des capacités offertes par les armées françaises alignant des forces terrestres plus légères mais également très mobiles, une importante capacité d’aérocombat, la plus importante flotte de chasse et de soutien en Europe, une puissance navale et sous-marine de premier plan, et d’importants moyens de renseignement et de communication, notamment dans le domaine spatial.

Les 18 CAESAR livrés par la France à l’Ukraine jouent un rôle important dans la résistance des armées de Kyiv face à la puissance de feu russe. at

En d’autres termes, et sans que cela ne fut probablement planifié, il s’avère que les forces armées des deux pays, se complètent très efficacement, et ce dans tous les domaines, y compris dans celui de la dissuasion et de la défense anti-missile. Et si ces deux pays venaient à mettre de cotés leurs griefs réciproques, ils seraient alors en mesure de concevoir un outil de défense très efficace à relativement court terme, aussi bien pour contenir la menace conventionnelle russe en Europe de l’Est, que pour soutenir l’Ukraine dans son combat, et éventuellement pour peser sur d’autres théâtres, comme dans le Bosphore. On ne peut qu’espérer que les deux pays persévéreront dans la brèche ouverte par Mariusz Błaszczak et Sebastien Lecornu hier, au bénéfice de la défense de l’Europe et de ses alliés.

Face à la Chine, Taïwan redimensionne son armée en amenant la conscription à une année

Il est tentant de faire un parallèle entre la situation de l’Ukraine précédant le déclenchement de l' »Opération Militaire Spéciale » russe le 24 février, et la présente situation de Taïwan vivant sous la menace de plus en plus pressante d’une intervention militaire chinoise. En effet, dans les deux cas, ces pays démocratiques font face à des régimes autoritaires disposant de moyens militaires considérables, alors qu’en l’absence de traité d’alliance ferme et du fait d’une complaisance certaine de l’Occident vis-à-vis de Pékin et Moscou sur fond d’intérêts économiques, ils peinent à moderniser leurs armées. Très peu de pays occidentaux en dehors des Etats-Unis, ont ou avaient la volonté de défier la Chine ou la Russie en vendant des systèmes d’armes à l’Ukraine ou à Taiwan, au risque de déclencher l’ire et d’importantes mesures coercitives économiques de Pékin comme de Moscou. De fait, comme pour les armées ukrainiennes au 24 février, les armées Taïwanaises semblent insuffisamment préparées et surtout sous-équipées pour faire face à la menace, avec une majorité de matériels d’ancienne génération souvent obsolètes sur un champs de bataille moderne.

Pour répondre à ce défi, Kyiv comme Taïpei développèrent une industrie de défense nationale, le premier en se basant sur les acquis de l’industrie de défense soviétique, le second sur une économie florissante et un important potentiel technologique. Et l’un comme l’autre ont pu developper des équipements performants, certains basés sur des plate-formes anciennes comme le char ukrainien T-64M et son pendant taïwanais M60A3 TTS, ainsi que des systèmes entièrement nouveaux, comme le missile Neptune ukrainien ou le chasseur AIDC F-CK-1 Ching-Kuo taïwanais. Pour autant, l’un comme l’autre dépendent aujourd’hui comme hier, principalement sur le bon vouloir des grandes puissances militaires occidentales pour les équiper de matériels modernes susceptibles effectivement de tenir en respect, voire de repousser la menace. Mais il est un domaine pour lequel les armées taïwanaises affichent un très important retard sur leurs homologues ukrainiennes aujourd’hui, celui des effectifs et de la préparation opérationnelle.

Depuis 2015, les conscrits ukrainiens avaient pour la plupart effectué un passage par la ligne de front dans le Donbass face aux séparatistes russes.

En effet, suite aux revers enregistrés dans le Donbass en 2014 et 2015 face aux unités de ligne russes, Kyiv mit en oeuvre une stratégie très efficace pour developper rapidement une capacité de mobilisation à la fois efficace et aguerrie, au travers d’une conscription stricte de 12 à 18 mois, et d’un passage de quelques semaines à quelques mois de chaque conscrit sur la ligne de front dans la guerre larvée que se livraient ukrainiens et russes dans le Donbass depuis. En outre, les autorités militaires et politiques ukrainiennes développèrent de nombreuses brigades territoriales, composées d’anciens réservistes et de volontaires, capables d’être mobilisées rapidement en cas d’agression, en particulier pour renforcer la défense des grands centres urbains. De fait, dès le début de l’agression russe, Kyiv était en mesure de mobiliser rapidement un grand nombre de combattants, pour partie disposant d’un entrainement efficace et même d’une réelle expérience du combat, dans des structures proches de celles des armées occidentales disposant d’un important corps de sous-officiers et d’officiers expérimentés. Bien évidement, l’immense majorité de ces unités constituées à la hâte ne disposaient au début du conflit que d’un faible armement, souvent obsolète, les rendants incapables de mener des opérations offensives ou des manoeuvres quelconques. Toutefois, en assurant le durcissement de la défense des centres urbains, et en libérant de cette mission les unités de ligne de l’Armée Ukrainienne mieux équipées, ces unités contribuèrent efficacement à stopper l’avancée russe contre Kyiv, Kherson ou encore Mykolaiev.

C’est précisément pour atteindre une capacité de réponse similaire que les autorités taïwanaises lancèrent la doctrine All-Out Defense en 2021, programme qui entra en service officiellement au 1er janvier 2022. En effet, jusqu’ici, la défense de l’ile autonome reposait depuis 2011 sur une force armée professionnelle de 165.000 hommes, alors que la conscription d’une année avait été ramenée à 4 mois afin de donner aux appelés une instruction militaire de base pour rejoindre la réserve forte de 1,6 millions d’hommes. L’objectif de ce programme est proche de celui poursuivit par Kyiv depuis 2016, à savoir de disposer d’une capacité de mobilisation globale importante sur l’ensemble du territoire, avec des unités de défense territoriale capables d’épauler les unités d’active pour repousser une éventuelle attaque chinoise. Pour autant, le manque d’épaisseur des armées taïwanaises, mais également la faiblesse de l’instruction militaire dans le cadre des 4 mois de conscription, ne permettaient de toute évidence pas aux autorités civiles et militaires de developper une stratégie défensive suffisamment dimensionnée pour dissuader Pékin. C’est pour cette raison que la président Tsai Ing-wen, a annoncé ce mardi le retour à une conscription de 1 année, comme c’était le cas avant 2011.

Le F-CK-1 est un chasseur moyen bimoteur développé avec le concours des Etats-Unis

Le retour a une telle durée de conscription va profondément faire évoluer, à partir de 2024, le volume défensif taïwanais. En effet, alors que les quelques 100.000 conscrits annuels n’étaient pas pris en compte dans le format des armées, tout en représentant une contrainte d’encadrement et de formation pour celles-ci, ils rejoindront désormais les unités militaires, faisant bondir le format des armées de 165.000 à probablement 250.000 d’ici 2025. Au delà de la période de conscription, les réservistes taïwanais devront satisfaire à un entrainement annuel de deux semaines pour préserver leurs acquis, de sorte à disposer effectivement, à terme, d’une capacité de mobilisation efficace significative et dissuasive pour Taipei.

Reste que cette annonce pourrait bien avoir davantage une dimension politique que militaire. En effet, l’augmentation des effectifs que représente l’augmentation du temps de conscription, n’a de véritable intérêt que si elle s’accompagne d’un important effort pour doter les armées taïwanaises, et en particulier l’Armée de Terre et el Corps des Marines, de nouveaux équipements. A ce jour, celle-ci aligne principalement des équipements américains modernisés datant des années 60, alors que son industrie de défense s’est, quant à elle, principalement concentrée sur les dimensions aéronautiques et navales, au détriment des armements terrestres. Ainsi, si Taiwan a effectivement commandé aux Etats-Unis 108 chars américains Abrams M1A2 SEPV3, l’essentiel de son corps de bataille blindé est composé aujourd’hui de 450 M60A3 datant des années 60, et d’autant de CM-11 qui ne sont autre que des chassis de M48 Patton montés d’une tourelle de M60. Et si son artillerie aligne 220 M109 A3/A5 datant des années 80, elle s’appuie surtout sur des canons tractés beaucoup plus anciens comme le M59 Long Tom de 155mm et le M101 de 105mm, tous deux datant de la seconde guerre mondiale.

L’artillerie Taïwanaise repose encore beaucoup sur les pièces issues de la seconde guerre mondiale, comme le M59 et le M101.

Or, rien n’atteste à ce jour que les Etats-Unis, et encore moins d’autres pays producteurs de ce type de matériels, soient effectivement prêts à soutenir Taipei en lui fournissant les chars de combat, les véhicules de combat d’Infanterie ou encore les systèmes d’artillerie modernes, pourtant indispensables pour espérer dissuader Pékin de mener a terme don projet d’invasion. Et il est très improbable que la production industrielle locale taïwanaise soit capable de produire les équipements requis sans l’aide de ces pays occidentaux, surtout dans les délais imposés par la montée en puissance des capacités militaires chinoises. De fait, plus que jamais, la dissuasion taïwanaise reposera sur ses capacités à repousser un éventuel assaut aéronaval chinois avant que les troupes chinoises puissent mettre le pied sur l’ile, ainsi que sur la promesse d’une intervention, là encore aéronavale, américaine en soutien de l’ile, plutôt que sur un durcissement efficace des capacités défensives de l’ile.

De fait, si l’annonce de la présidente Tsai Ing-wen va incontestablement flatter la fibre patriotique des taïwanais, ses effets sur les capacités de l’ile à dissuader l’Armée Populaire de Libération seront, au mieux, négligeables, tout au moins tant que l’embargo de fait imposé par les occidentaux sur les équipements de défense vers Taïwan ne sera pas levé. Pour autant, si pour une majorité de pays européens, les risques de sévères sanctions économiques chinoises surpassent très nettement les bénéfices potentiels d’une levée de l’embargo sur les équipements de défense vers Taïwan. Toutefois, on peut se demander pour un pays comme la France disposant d’une industrie de défense complète et performante, et sachant qu’en cas d’invasion chinoise de Taïwan, il sera nécessaire de prendre une grande distance, y compris économiquement, avec la Chine de Pékin, s’il n’est pas préférable aujourd’hui de se tourner pleinement vers Taipei, en développant un partenariat économique et industriel solide tout en renforçant de manière significative la résilience de l’ile. Une chose est certaine, la question se pose désormais, d’autant plus que l’exemple russe a démontré que la stratégie de la RealPolitik tant vantée par l’Allemagne, n’a au final permis de prévenir ni l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ni ses conséquences économiques sur l’Occident.

La commande des Rafale Colombiens pourrait intervenir avant la fin de l’année 2022

Il y a moins d’une semaine, nous énumérions dans un article les futurs contrats potentiels du Rafale pour l’année 2023. Parmi les 6 pays cités, la Colombie était alors celui qui présentait les délais probables les plus courts, alors que les forces aériennes du pays avaient annoncé que l’avion français répondait au mieux à leurs besoins face au F-16V américain et au JAS-39 Gripen E/F suédois, et que les autorités colombiennes devaient annoncer la sélection du vainqueur de cette compétition au cours du mois de janvier 2023. Depuis, les choses se sont semble-t-il emballées à Bogota. Quelques heures seulement après la parution de cet article, le site espagnol infodefensa.com, toujours fiable et très bien informé notamment en Amérique du Sud, annonçait en effet que le Rafale avait été sélectionné par Bogota, que les autorités colombiennes entraient en négociation avec Dassault Aviation, et qu’une délégation colombienne était attendue en France dans les jours ou semaines à venir, afin de préparer la mise en oeuvre du contrat.

Il n’aura visiblement pas fallu beaucoup de temps aux négociateurs colombiens et français pour s’entendre, preuve que l’offre française était particulièrement bien conçue. En effet, hier 26 décembre, ce même site publiait un article annonçait que le contrat entre la Colombie et Dassault serait signé cette semaine, soit avant la fin de l’année. Si la commande globale colombienne porte bien sur 16 appareils avec une enveloppe de presque 3 Md$, la première commande, celle qui sera signée cette semaine, ne portera que sur 3 ou 4 appareils qui seront livrés en 2025, ainsi que sur les services et équipements associés, comme le simulateur, la formation des personnels et l’adaptation de l’appareil aux besoins de l’armée de l’air Colombienne, pour un montant annoncé de 678 millions de dollar, soit 640 m€.

Avec le Rafale, les forces aériennes colombiennes seront dotées du chasseur le plus performant du théâtre sud-américain, et pourront tenir en respect certains voisins turbulents, notamment les forces aériennes bolivariennes du Vénézuela qui alignent une vingtaine de Su-30MK2 russes aux cotés d’autant de F-16 A/B et d’une poignée de F-5. La décision de Bogota en faveur du Rafale pourrait à ce titre faire tache d’huile en Amérique du sud, alors que les forces aériennes équatoriennes vont devoir remplacer leurs Cheetah C sud-africains (copie du Mirage III), et que le Pérou va lui aussi devoir remplacer ses MiG-29, Su-25 et sa douzaine de Mirage 2000. Le succès de Dassault en Colombie, mais surtout la qualité de l’offre proposée aux autorités colombiennes, pourraient amener ces pays à se rapprocher du constructeur français dans les mois et années à venir, d’autant que les 3 pays appliquent une stratégie commune sur la scène internationale, en ayant notamment signé un accord commercial avec l’UE en 2013 (Colombie, Pérou) auquel s’est joint l’Equateur en 2017.

Après la Croatie et l’Indonésie, la Colombie est le 3ème client du Rafale ne venant pas de l’eco-sphère traditionnelle de Dassault Aviation, alors que l’Égypte, le Qatar, l’Inde, la Grèce et les Emirats Arabes Unis ont tous mis en oeuvre au moins deux générations d’avions de combat français avant celui-ci. Il s’agit là, incontestablement, d’un grand succès pour l’avionneur français, capable non seulement de produire un appareil de combat attractif et performant, mais également de trouver les arguments décisifs pour entrer sur des marchés que l’on sait très concurrentiels et profondément marqués par une certaine forme de conservatisme. Avec la commande Colombienne, en outre, le Rafale atteint un score d’exportation de 300 aéronefs vers 8 clients internationaux, dépassant pour la première fois les 286 avions exportés là encore vers 8 clients pour le Mirage 2000.

Au delà de cet indéniable succès, l’avionneur français aura également fait la preuve de la pertinence de son appréciation du marché présent et en devenir, alors qu’il y a à peine un peu plus de 10 ans, l’opinion générale, par ailleurs largement reprise par la majorité de la classe politique et dirigeante, était que le Rafale était à la fois trop cher, trop lourd et trop complexe pour s’exporter. Aujourd’hui, le Rafale s’impose non seulement dans des compétitions dédiées à des chasseurs moyens face au Typhoon et au Super Hornet, mais également face à des appareils plus légers et monomoteurs comme le Gripen et le F-16, alors que pour plusieurs de ses clients, le Rafale est précisément destiné à remplacer le Mirage 2000, lui aussi plus léger. De fait, le constructeur, et avec lui l’ensemble de la BITD aéronautique française, ont su voir l’évolution lente en cours menant au remplacement des chasseurs légers non pas par des appareils de même classe, mais par des chasseurs moyens, alors que le créneau traditionnellement rempli par ces appareils moins onéreux, semble de plus en plus destiné à être comblé par des drones de combat. A ce titre, l’absence de programmes visant à concevoir des chasseurs monomoteurs légers de nouvelle génération, en Europe comme aux Etats-Unis, en Russie ou en Chine, semble bien marquer le glissement de gamme en cours, celui que précisément Dassault Aviation a su anticiper avec le Rafale.

Plus d’informations sur les futurs super Destroyers anti-missiles japonais

En décembre 2020, Tokyo annonçait la conception de deux nouveaux destroyers équipés de la technologie anti-aérienne et anti-missile américaine AEGIS. Mais contrairement aux 4 destroyers de la classe Kongo, ainsi qu’aux deux destroyers de la classe Atago et les deux de la classe Maya qui en dérivent, les nouveaux navires n’auront pas pour mission de soutenir la puissance navale nippone, mais de protéger les iles japonaises de la menace croissante posée par les missiles balistiques nord-coréens et chinois. Initialement, Tokyo entendait s’appuyer sur la technologie AEGIS-Ashore, déjà en service en Roumanie et en Pologne, permettant de déployer un radar AN/SPY-1 et des missiles anti-balistiques exo-atmosphériques SM-3 capables de contrer des missiles balistiques de longue portée. Toutefois, les riverains du site choisi par les forces d’autodéfense nippones, protestèrent vivement, d’autant que les risques de retombées de morceaux de missiles à proximité des zones d’habitation étaient sensibles.

Quoiqu’il en soit, après avoir annulé le programme AEGIS Ashore, Tokyo dut se tourner vers une autre alternative pour contrer la menace désormais importante posée par les nouveaux missiles balistiques nord-coréens. Pour y répondre, les forces d’autodéfense nippones proposèrent de concevoir deux nouveaux destroyers équipés de la technologie AEGIS, mais dédiés à cette mission, de sorte à libérer les 8 autres destroyers plus polyvalent de cette tache stratégique mais contraignante. En effet, pour effectuer cette tache spécifique, il eut fallu construire bien plus que deux destroyers de la classe Kongo ou dérivés, des navires plus polyvalents mais ne disposant ni de la puissance de feu anti-balistique ni de l’autonomie à la mer suffisante pour garantir plus de 180 jours de mission opérationnelle par an.

Les forces navales d’autodéfense nippones alignent 8 grands destroyers AEGIS comparables aux destroyers Arleigh Burke de l’US Navy, et disposant de capacités anti-balistiques grâce aux missiles SM-3 emportés.

On en sait désormais plus sur la configuration retenue pour les futurs Aegis System-Equipped Vessel ou ASEV. Ainsi, les navires seront beaucoup plus imposants que les destroyers nippons actuels, avec une longueur de 210 mètres contre 170 mètres pour la classe Maya, un maitre bau de 40 mètres contre 22 mètres, et un déplacement de presque 20.000 tonnes, contre 10.500 tonnes. Outre le système AEGIS, et le radar SPY-7 optimisé pour la determination balistique, 6 systèmes lance-missiles verticaux soit 48 silos, seront installés sur la plage avant, et 4 VLS soit 32 silos derrières les cheminées, soit un total de 80 silos verticaux. Ceux-ci accueilleront des missiles polyvalent anti-balistiques SM-6 capables de contrer les missiles à trajectoire semi-balistique et les missiles hypersoniques, des missiles anti-balistiques exo-atmosphériques SM-3 pour intercepter les missiles à longue portée ayant une apogée au delà de l’atmosphère, ainsi que des missiles anti-navires et de croisière à longue portée Type 12 mod, probablement en application de la nouvelle doctrine de seconde frappe nippone.

En revanche, les navires seront dénués de certaines capacités, n’ayant ni torpilles ni même artillerie navale à leur bord. Il est vrai que la mission spécifique de ces destroyers les amène à évoluer à proximité des côtes japonaises, leur permettant de s’appuyer sur les capacités littorales des forces d’autodéfense nippones pour assurer leur protection. En revanche, tout sera fait pour donner aux navires une autonomie à la mer exceptionnelle, l’équipage de seulement 110 officiers et marins jouissant d’un confort exceptionnel pour un navire de combat, avec notamment une cabine individuelle pour chaque membre. En temps normal, chacun des deux destroyers devra assurer sa mission de protection pendant au moins 183 jours par an, soit environ 200 jours de mer, et davantage si l’un des navires devait subir des réparations ou des modernisations, même si les 8 destroyers Aegis peuvent, le cas échéant, assurer l’interim pendant un certain temps, sans pour autant disposer des mêmes capacités spécifiques.

Essais d’un missile tactique balistique du 14 janvier 2022 – En 2022, La Coréen du Nord a procédé à 83 tirs de missiles balistiques.

On peut se demander, à ce sujet, si le format retenu par Tokyo, soit 2 navires, n’est pas trop optimiste pour une mission aussi stratégique ? Ainsi, pour disposer en permanence d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la Mer, le pilier de la dissuasion française et britannique, la Marine Nationale et la Royal Navy alignent chacune 4 SNLE des classes Triomphant et Vanguard, chaque navire assurant des missions de 3 mois. Un tel format est jugé le format minimum nécessaire pour garantir la mission de dissuasion, avec un navire à la mer, un navire en alerte 24 heures, un navire à l’entrainement et un navire en maintenance, chaque bâtiment étant par ailleurs armé de 2 équipages. Ce format permet non seulement de garantir la présence d’un navire à la mer, mais de palier différents risques comme la compromission / destruction d’un navire au combat ou par accident, l’indisponibilité d’un équipage (un virus par exemple, mais pas uniquement), tout en permettant de moderniser et d’entretenir la flotte, et d’entrainer efficacement les équipages. En outre, si les frégates françaises étaient coutumières de déploiement au delà des 180 jours de mer par an dans les années 80 et 90, la Marine nationale a produit depuis d’importants efforts pour réduire cette pression opérationnelle désastreuse pour la motivation des équipages, entrainant une grande instabilité familiale et au final, rendant la gestion des ressources humaines très difficile.

Si les contraintes liées à la flotte sous-marine sont plus importantes que celles d’un destroyer lourd conçu pour la « croisière » et évoluant à proximité des côtes nippones, il n’en demeure pas moins vrai qu’un troisième destroyer ASEV semble indispensable pour assumer sereinement la mission qui leur sera confiée, sans user outre mesure les équipages, et en se préservant des risques inhérents à cette mission par nature hautement stratégique. On peut penser que l’absence de culture stratégique des forces d’autodéfense mais surtout des autorités nippones, a influencé le format actuellement visé. Pour autant, alors que le budget défense japonais est appelé à croitre, tout comme les menaces balistiques et hypersoniques venues de Corée du Nord, mais également de Chine et de Russie, on peut s’attendre à ce que Tokyo rectifie rapidement le tir, et qu’au moins 1, plus probablement 2 navires supplémentaires de ce type seront commandés dans un avenir relativement proche.

Après l’Iran, la Russie va-t-elle aussi moderniser les armées nord-coréennes ?

Depuis le cessez-le-feu de Panmunjeom signé le 27 juillet 1953, la péninsule coréenne est restée l’un des points de tension les plus intenses de la planète. La nucléarisation de Pyongyang, à partir du premier essai réussi d’une arme nucléaire nord-coréenne le 9 octobre 2006, puis d’une première bombe à hydrogène en janvier 2016, a considérablement fait évoluer le statut de ce conflit gelé mais non terminé en l’absence d’armistice officielle. Toutefois, si les armées nord-coréennes alignent des forces considérables, avec prés de 1,3 millions d’hommes sous les drapeaux, 600.000 réservistes, plus de 4000 chars, 2500 véhicules blindés, 8000 systèmes d’artillerie ou encore 500 avions de combat, ainsi qu’une force de missiles balistiques et de croisière estimée à plus de 3000 vecteurs, celle-ci est presque exclusivement composée d’équipements obsolètes datant des années 60 ou 70, et faiblement modernisés depuis du fait des sanctions internationales appliquées depuis plus de 3 décennies au pays, y compris par Pékin et Moscou.

Ces dernières semaines, toutefois, plusieurs informations, certes difficiles à vérifier de manière indépendante mais crédibles, font état de la possible livraison de munitions et d’équipements militaires par Pyongyang vers Moscou afin de soutenir l’effort militaire en Ukraine. Il s’agirait, pour l’essentiel, de munitions d’artillerie comme des obus de 122 et de 152 mm, ainsi que des roquettes de 122mm pour les systèmes Grad et de 220 mm pour les systèmes Ouragan, tous deux employés par les lance-roquettes multiples nord-coréens. La consommation de munitions est en effet un important problème pour les deux camps qui s’opposent dans ce conflit, les ukrainiens ayant par exemple une consommation mensuelle d’obus de 155mm de prés de 40.000 unités, là ou l’ensemble de la production de munitions de ce type en Europe n’excède pas les 32.000 pièces. Si les stocks d’avant guerre russes étaient considérables dans ce domaine, la consommation de munitions de l’artillerie russe excéderait, selon les observateurs, celle des ukrainiens dans un rapport de 1 pour 5 voire 1 pour 10, en particulier pour compenser le manque de précision de l’artillerie russe, de sorte que, là encore, les capacités de production de l’industrie russe ne sont pas suffisantes pour compenser la consommation opérationnelle des forces.

Les armées nord-coréennes mettent en oeuvre un grand nombre de LRM M1985/1991, des productions locales de copies chinoises des systèmes Grad russes

Si Moscou a cherché dès le début du conflit, comme l’Ukraine d’ailleurs, des partenaires internationaux pouvant transférer équipements et munitions, les efforts des négociateurs russes ont le plus souvent été stériles, et seuls 3 pays ont effectivement répondu favorablement aux demandes répétées du Kremlin : la Biélorussie, l’Iran et la Corée du Nord. Pour Minsk, il s’agissait avant tout de préserver la protection russe, seule garante du régime du président Loukashenko. Pour Téhéran, le soutien appuyé à l’effort de guerre russe, il est vrai considérable avec la livraison de milliers de drones munitions Shahed et, semble-t-il, prochainement de missiles balistiques, s’est accompagnée d’accords critiques sur la modernisation des forces armées iraniennes sous sanction depuis plusieurs décennies, et comme les armées nord-coréennes, très majoritairement obsolètes en dehors de certaines capacités comme les missiles. Ainsi, plusieurs sources convergentes indiquent que les 24 Su-35ES construits initialement pour l’Egypte mais dont la livraison a été annulée, pourraient prochainement être livrés à Téhéran alors que pilotes et techniciens de maintenance iraniens seraient déjà formés en Russie. De même, il serait question pour l’Iran de moderniser ses forces navales en acquérant des navires de factures russes, avec dans les deux cas, une redéfinition sensible du rapport de force sur le théâtre moyen-oriental.

Or, le cas de l’Iran sur la scène internationale est très proche de celui de la Corée du Nord, les deux pays étant non seulement sous sanctions américaines et occidentales, mais également sous sanctions et surveillance du conseil de Sécurité des Nations Unis, donc avec l’aval de Pékin et de Moscou. En d’autres termes, en acquérant armes et munitions auprès de l’Iran, et surtout en vendant des équipements de défense comme des avions de combat ou des navires militaires, la Russie va à l’encontre de sanctions qu’elle a elle-même voté, et qu’elle a appliqué pendant de nombreuses années. Protégée dans tous les cas par son droit de veto comme Membre Permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unis, et alors que le pays fait déjà face à de nombreuses sanctions occidentales, il est vrai que les risques pour Moscou concernant la livraison de systèmes d’armes à l’Iran sont limités, alors que les bénéfices potentiels, au delà des munitions livrées par Téhéran, peuvent être significatifs, surtout si ces nouveaux armements venaient à entrainer des tensions sévères voire un conflit au Moyen-Orient, avec le risque de bloquer potentiellement la fourniture de 30% des hydrocarbures mondiaux.

Une grande partie de la flotte de chasse nord-coréenne est équipée de chasseurs obsolètes, comme ces J-6, copies chinoises du MiG-19 entré en service en Union Soviétique en 1955

Si elle n’est pas similaire, la situation avec la Corée du nord est toutefois comparable à celle de l’Iran. Ainsi, comme les forces aériennes de Téhéran, l’aviation nord-coréennes met en oeuvre des appareils anciens, principalement des copies chinoises du MiG-17, MiG-21-19 et MIG-21, des appareils conçus dans les années 50 et 60, les chasseurs les plus modernes étant représentés par deux escadrons de Su-25 (35 appareils) et autant de MiG-29, par ailleurs très peu modernisés et loins des standards en service par exemple au sein des forces aériennes russes. Il en va de même de la force blindée nord-coréenne, qui aligne majoritairement des copies locales du T-62 et du T-55 soviétiques. Face à cela, les forces sud-coréennes, épaulées de 60.000 militaires américains, alignent des équipements très modernes, comme le char de bataille K2 Thunder et le canon automoteur de 155 mm K9 Thunder acquis récemment par la Pologne, ou les F-35A, F-16C/D et F-15K qui équipent les forces aériennes de Séoul. Moins nombreuses et dépourvues de capacités de frappe nucléaire, les forces armées sud-coréennes maintiennent le statu quo dans la péninsule du fait de ce gradient technologique très marqué, lui permettant de mettre en oeuvre une doctrine dissuasive dite « 3 axes », déjà abordée ici.

Dans ce contexte, la livraison par Moscou de matériels militaires plus modernes, qu’il s’agisse de blindés comme le char T-72B3M ou T-90M, d’avions de combat comme le Mig-29K/M, le Su-30SM ou le Su-35ES, voire le bombardier Su-34, ou de navires de combat et surtout de sous-marins comme les 636.3 Improved Kilo, pourrait considérablement faire évoluer le rapport de force sur la péninsule, et donc mettre en danger le statu quo qui permit de tenir les deux belligérants de part et d’autres du 38ème parallèle depuis 1953. Et comme au Moyen-Orient, une telle déstabilisation obligerait les occidentaux, Etats-Unis en tête, à redéployer forces et capacités de soutien au détriment immédiat de l’Ukraine et de ses capacités de résistance. Même si la livraison potentielle de tels équipements ne pourraient être envisagée à court terme, l’essentiel de la production industrielle présente russe étant consacrée au soutien de l’agression en Ukraine, sa seule annonce pourrait sévèrement accroitre les tensions régionales, et enhardir Pyongyang qui, de toute évidence à plus de 80 tirs de missiles en 2022, n’a guère besoin de cela en ce moment.

Parmi les appareils qui pourraient rapidement être livrés à la Corée du Nord, le Mig-29K/M est un appareil agile disposant d’une avionique moderne et capable de mettre en oeuvre des munitions évoluées. Cet appareil a été acquis par l’Egypte, l’Inde et l’Algérie.

Reste qu’en Coréen du Nord, contrairement à l’Ukraine, un autre acteur pourrait jouer les éléments modérateurs, ou au contraire aggravant. En effet, pour la Chine, une déstabilisation du statu quo coréen aura nécessairement un impact majeur sur sa propre stratégie régionale, qu’il s’agisse de ses ambitions dans l’Himalaya face à l’Inde, ou de l’annexion programmée de l’ile de Taiwan. Tout dépendra de l’adéquation du calendrier russe avec son propre calendrier militaire. Trop en amont, une crise coréenne pourrait stimuler encore davantage le renforcement de la présence militaire américaine et alliée sur le théâtre régional, et donc entraver les ambitions de Pékin. En revanche, si les deux calendriers sont alignés, cela obligerait les Etats-Unis et les forces occidentales à intervenir simultanément sur plusieurs crises, réduisant de fait les forces potentiellement attribuées à la défense de Taïwan.

Le pire des scénarios seraient, bien évidement, que les 3 crises, au Moyen-Orient autour de Téhéran, de Taiwan autour de Pékin et de la péninsule Coréenne autour de Pyongyang, interviennent simultanément alors que la guerre en Ukraine serait encore active, ce qui créerait incontestablement une impasse capacitaire pour les alliés, incapables d’intervenir efficacement avec des forces suffisantes sur les 4 théâtres, alors que la seule guerre en Ukraine suffit à mettre sous tension l’ensemble de l’industrie de défense occidentale aujourd’hui. Toute la question, désormais, est de savoir à quel point in tel scénario n’existe que dans les hypothèses les plus catastrophistes des analystes défense, ou si il décrit la stratégie poursuivie par Moscou aujourd’hui, en se rapprochant de Téhéran et de Pyongyang.

Les chasseurs « légers » sont-ils appelés à disparaitre ?

C’est désormais officiel, le Rafale a la préférence des autorités colombiennes pour remplacer sa flotte de chasse armée aujourd’hui de chasseurs israéliens Kfir. S’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une commande de 16 nouveaux appareils, la Colombie est désormais en négociation exclusive avec Dassault Aviation et les autorités françaises pour donner corps à celle-ci, après avoir publiquement estimé que le Rafale était « la meilleure option pour le pays en termes de prix, d’efficacité et d’opérabilité », tout en étant 30% moins cher à l’usage que le Kfir actuellement en service. Avec ce succès probable, le Rafale dépasserait le nombre d’avions exporté pour le Mirage 2000 avec 300 appareils contre 286, dans 8 pays pour chaque appareil. Pour autant, ce succès en devenir est interessant bien au delà des aspects industriels, technologiques ou même politiques en permettant à Dassault de reprendre pied en Amérique du Sud. En effet, l’avion français s’est imposé, une nouvelle fois, face aux deux chasseurs monomoteurs « légers » du marché occidental, le JAS-39 Gripen E/F suédois, et le F-16 Block 70/72+ Viper américain.

Ce n’est pas la première fois que le Rafale coiffe au poteau ces deux appareils, pourtant plus économiques à l’achat et donc sensément plus attractifs pour les forces aériennes moyennes, comme dans le cas de la Colombie. En 2021, en effet, les autorités Croates ont préféré le Rafale F3R à ces deux appareils, en dépit d’une offre basée sur des appareils d’occasion français, face au F-16V de Lockheed-Martin et au Gripen C/D suédois, Saab ayant préféré présenter cette version moins évoluée mais également moins onéreuse pour emporter l’argument du prix. Dans le même domaine, l’Indian Air Force a fait pression pour transformer le contrat MMCA 2, qui devait initialement porter sur des chasseurs monomoteurs pour remplacer le MiG-21 Bison, afin de l’ouvrir à des chasseurs dits « moyens », comme le Rafale mais également le Typhoon, permettant même à des chasseurs lourds, comme le F-15 et le Su-35, d’y prendre part. Et cette compétition qui devait se résumer à une opposition entre le Gripen et le F-21, un F-16V renommé pour des questions d’accord industriel pré-existant, oppose désormais des appareils très différents en terme de performances mais également de prix.

Malgré ses qualités, le Gripen E suédois ne parvient pas à s’imposer comme le successeur naturel du F-16

Dans ce contexte, on peut se demander si le concept de chasseur léger comme le F-16, le Mig-21 ou la famille des Mirage, qui précisément visait à produire des avions de combat à hautes performances mais économiques, permettant à une majorité de forces aériennes de s’en équiper en nombre suffisant, n’est pas appelé à disparaitre, au profit d’une nouvelle génération d’appareils plus lourds, plus onéreux mais également plus performants et plus surs, et offrants de capacités opérationnelles sensiblement supérieures comme peut l’être le Rafale français ?

Cette question n’est pas, à proprement parler, récente. Ainsi, dans les années 70 et 80, plusieurs forces aériennes se tournèrent vers des appareils désignés comme chasseurs moyens, bimoteurs et offrant des capacités sensiblement plus importantes notamment en terme de rayon d’action ou de capacités d’emport d’armement, plutôt que vers l’offre traditionnelle de chasseurs monomoteurs à hautes performances, alors focalisée en occident sur le F-16 américain et la famille des Mirage français. L’Espagne, l’Australie, le Canada, la Suisse mais également la Finlande, se tournèrent vers le F/-18 Hornet, un appareil 30% plus lourd que le F-16 ou le Mirage-2000, mais équipé de 2 turboréacteurs et d’une allonge 30% plus importante. Plus onéreux, le Hornet était également plus polyvalent, et surtout plus sûr que les chasseurs monomoteurs du moment. Toutefois, dans le même temps, les exportations de chasseurs monomoteurs, F-16 et Mirage 2000, constituaient toujours le coeur du marché aéronautique international, alors que les chasseurs lourds, F-15 américains ou Su-27/30 russes, étaient réservés aux forces aériennes les mieux dotées budgétairement.

Le F-16V continue de convaincre certaines forces aériennes, mais le chasseur de Lockheed-Martin n’est plus en tête des exportations mondiales depuis plusieurs années

Le F-16 et le nouveau Gripen suédois continuèrent de représenter l’essentiel des acquisitions en matière d’e’avion de combat dans le monde jusqu’en 2010, lorsque le F-35 puis le Rafale, et dans une moindre mesure le Typhoon, commencèrent à leur voler la vedette. Bien que monomoteur, le F-35 de Lockheed-Martin n’est en effet en rien un chasseur léger, avec une masse à vide de plus de 13 tonnes contre 6,8 tonnes pour le Gripen C, et une masse maximale au décollage de presque 30 tonnes, contre 14 tonnes pour le Gripen C, 18 tonnes pour le Mirage 2000 et 19 tonnes pour le F-16 C, et même 24 tonnes pour le Rafale ou le Typhoon. De fait, entre 2015 et aujourd’hui, les acquisitions de chasseurs légers, comme le F-16 et le Gripen, n’ont représenté que 20% des acquisitions internationales dans le monde, l’immense majorité ayant été représentée par le millier de F-35A/B et les 300 Rafale commandés sur cette période.

Il y a, de toute évidence, différents facteurs à l’oeuvre ici, en premier lieu desquels le soutien considérable apporté par l’US Air Force, le Pentagone et le Département d’Etat Américain pour imposer le F-35A comme le chasseur standard du bloc occidental, tout au moins pour les forces aériennes qui pouvaient se l’offrir, et qui étaient autorisées à le faire. En effet, si le prix d’acquisition de l’appareil peut paraitre accessible, de l’ordre aujourd’hui de 90 m$ pour les F-35A des tranches 13 et 14, soit le même prix qu’un Rafale, il est accompagné de coûts de mise en oeuvre très importants, de l’ordre de 42.000 $ par heure de vol selon le dernier rapport du GAO, la cours des comptes américaine, 12.000 $ de plus que le Super Hornet, et probablement deux fois plus cher à périmètre équivalent que le Rafale C F3R. En outre, l’acquisition du F-35 s’accompagne d’une techno-sphère stricte imposée par Lockheed-Martin, ne laissant que très peu de latitude aux forces aériennes clientes pour se tourner vers des prestataires locaux, y compris pour des capacités induites comme la guerre cyber ou la protection contre les drones. Ceci a notamment fortement contrarié la BITD allemande suite à ‘l’acquisition des 35 F-35A pour remplacer les Tornado de la Luftwaffe assurant la mission de partage nucléaire de l’OTAN.

Bien que monomoteur, le F-35A est un chasseur imposant avec une masse à vide de plus de 13 tonnes et une masse maximale au décollage de presque 30 tonnes.

Pour autant, la presque totalité des opérateurs de F-16 ou de F-18 appartenant à l’OTAN ou au premier cercle d’alliance avec les Etats-Unis, s’est tournée vers le F-35A américain, au grand damn de Saab et de son nouveau Gripen E/F conçu précisément pour remplacer le F-16 Block 50/52. Quant aux autres, ils se sont tournés, en grande majorité, vers le Rafale français, le Typhoon européen et dans une moindre mesure, vers le Super Hornet. Et si le F-16V continue d’enregistrer des commandes, il s’agit le plus souvent de pays ne pouvant acquérir le F-35A pour des raisons de couts, mais qui privilégient les appareils américains pour des raisons politiques ou stratégiques, ne laissant aucune chance au Gripen de s’imposer.

Dans tous les cas, il apparait que le chasseur léger, qui avait pourtant représenté le corps de bataille des forces aériennes durant la guerre froide, et même un peu au delà, ne fait plus recette. Au delà de l’échec désormais flagrant du Gripen E/F sur la scène internationale, le programme Su-75 Checkmate russe, et le MiG-35 avant lui, n’auront jamais dépassé le stade de la maquette ou du prototype, et seul le J-10C chinois semble encore avoir un certain marché potentiel adressable. Quant au JF-17 sino-pakistanais, le FA-50 sud-coréen ou même le Tejas indien, ils évoluent davantage dans la catégorie des avions d’entrainement et d’attaque dotés de capacités avancées, que dans celle des avions monomoteurs à haute performances à laquelle appartiennent F-16, Gripen et Mirage 2000, et leur impact sur le marché est notable mais non structurant.

Le KF-21 boramae sud-coréen évolué lui aussi dans la catégorie des chasseurs moyens

Alors que les programmes d’avions de nouvelle génération actuellement en développement, comme SCAF, Tempest, NGAD ou Su-57, visent tous à developper des appareils lourds ayant une masse maximale au delà de 30 tonnes, on peut se demander si le concept de chasseur léger, tel que définit par le F-16, le Gripen ou le Mirage 2000, n’est pas appelé à disparaitre, et si l’entrée de gamme de l’aviation de combat n’est pas en phase d’évolution vers des chasseurs moyens comme le F-35, le Rafale, le Typhoon, le Super Hornet ou encore le KF-21 Boramae, et si dans les années à venir, ce ne seront pas ces appareils, en dépit de couts plus importants, qui constitueront le corps de bataille des forces aériennes dans le Monde ? Les succès du F-35A mais également du Rafale, y compris pour des forces aériennes moyennes, semble répondre par les faits à cette question.

La planification militaire russe se prépare à une confrontation avec l’OTAN

La nouvelle planification militaire russe met l’accent sur la dissuasion ainsi que sur l’augmentation du format des forces, en vue d’une possible confrontation avec l’OTAN. Toutefois, la manière d’y parvenir est encore floue, alors que les objectifs annoncés sont très ambitieux, peut-être trop pour l’économie du pays.

Comme chaque année, le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et le chef d’état-major des armées russes, le général Valery Gerasimov, ont présenté au président Vladimir Poutine, la synthèse de l’état des forces, ainsi que les axes retenus pour la planification militaire russe à venir.

De manière étonnante, eu égard à l’actualité depuis le 24 février, cet exercice s’est tenu de manière presque traditionnelle cette année. Comme les années précédentes, le discours fait par Sergueï Choïgou fit état de nombreux progrès.

C’est particulièrement le cas de la modernisation des forces stratégiques qui dépassent désormais, selon les abaques du ministère, un taux de modernisation de 91 % pour l’ensemble de la triade nucléaire, ainsi que de l’arrivée au sein des forces de nouveaux équipements, dont un sous-marin nucléaire lanceur d’engin de la classe Boreï-A et un sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Iassen.

Pour autant, les annonces faites cette année, si dans la forme respectaient le cadre défini de cet exercice ces dernières années, présentent une situation et une ambition entièrement nouvelles pour les armées russes.

Une augmentation massive des effectifs annoncée par Sergueï Choïgou

Un unique objectif, présenté par le ministre russe, résume à lui seul le changement d’ambition du Kremlin pour ses armées. Les Armées russes vont, en effet, passer d’un format d’un million d’hommes, hors réserves, à un format de 1,5 million d’hommes, soit une hausse de 50 %.

Pour y parvenir, le ministère de la Défense russe entend étendre le nombre de militaires sous-contrat pour atteindre 695.000, ainsi que la conscription, en passant d’un âge minimum de 18 à 21, et en augmentant l’âge maximal à 30 ans.

En outre, des efforts particuliers seront faits afin de permettre aux conscrits de souscrire un contrat d’engagement, y compris en les dispensant de la période de service nationale, ce qui constitue un argument de poids eu égard aux différences de soldes entre les deux catégories.

Rappelons qu’il y a quelques semaines, le ministère de la Défense russe avait annoncé que le budget de la défense serait porté en 2023 à plus de 4 700 milliards de roubles, soit plus de 75 Md$, en hausse de près de 50 % vis-à-vis de 2021. On peut y voir une relation avec le début de l’effondrement du rouble, qui a perdu 25 % ces dernières semaines.

Les forces stratégiques russes auraient atteint un taux de modernisation de 91,3 % selon le ministre de la Défense russe. Ici, un tir de missile balistique intercontinental RS-24 Yars.

Cette extension des forces va permettre de créer ou de faire évoluer de nombreuses unités, avec la création de trois divisions d’infanterie motorisée dans les oblasts de Kherson et de Zaporozhye, ainsi que d’un corps d’armée en Carélie, la région qui borde la frontière finlandaise.

En outre, sept brigades motorisées des districts ouest, centre, est et de la Flotte du nord, seront transformées en division de fusillés motorisés, alors que deux nouvelles divisions seront créées pour renforcer les troupes d’assaut aéroportées.

Les troupes d’infanterie de Marine seront, quant à elles, réorganisées pour créer cinq nouvelles divisions. Au total, ce seront donc 22 à 25 nouvelles divisions qui seront formées dans les années à venir, sans qu’un planning précis n’ait été présenté lors de la réunion.

Les défaillances constatées en Ukraine intégrées à la planification militaire russe

Les défaillances constatées lors des engagements en Ukraine ont également été analysées, semble-t-il. Ainsi, chaque corps d’armée disposera d’un régiment d’aviation d’attaque et d’un régiment d’aviation de l’armée, c’est-à-dire armé de 80 à 100 hélicoptères de combat, soit la dotation classique qui avait cours dans l’organigramme des armées soviétiques.

Les forces aériennes seront renforcées, notamment en termes d’assaut, avec la création de 7 régiments de bombardiers, sans que l’on sache qu’il s’agira de bombardiers tactiques comme le Su-34, ou de bombardiers à long rayon d’action comme le Tu-22M3.

En outre, un effort important sera consenti dans le domaine de la Communication et du Commandement, ou C2, notamment pour accroitre la réactivité des forces, suite aux dures leçons apprises en Ukraine dans ce domaine.

Enfin, 3 nouvelles usines dédiées à l’entretien et la réparation des matériels seront construites, alors que la poussée industrielle en cours porte principalement sur des équipements rustiques, économiques et efficaces, pouvant être rapidement produits en grand nombre par l’industrie de défense russe.

La planification militaire russe prévoit la création d'une vingtaine de nouvelles divisions, dont les 2/3 seront mécanisées, selon le plan capacitaire présenté par Sergueï Choïgou.
La planification militaire russe prévoit la création d’une vingtaine de nouvelles divisions, dont les 2/3 seront mécanisées, selon le plan capacitaire présenté par Sergueï Choïgou.

L’une des plus grandes défaillances des armées russes au combat en Ukraine, l’absence de corps de sous-officiers expérimentés capable de structurer le commandement et de soutenir la combativité des forces, semble également avoir été prise en compte, sans qu’elle fût directement présentée comme telle dans le discours de Choïgou.

En effet, celui-ci a mis en avant les quelque 250 000 militaires russes ayant reçu une expérience du combat en Ukraine, en précisant qu’un grand nombre avait été décoré et promu.

Dès lors, on peut penser que ces militaires expérimentés vont pouvoir constituer l’ossature de ce corps de sous-officiers qui fit tant défaut aux unités russes depuis le mois février. Dans le même temps, le ministre indique qu’un très important effort a été fait dans le domaine de la médecine militaire en 2022, avec la construction de plusieurs hôpitaux militaires supplémentaires.

Les sujets qui fâchent exclus face à Vladimir Poutine

Comme à l’accoutumée, le discours du ministre de la Défense russe présente une situation exagérément optimiste, notamment en sous-estimant l’état des pertes, ou la destruction de très nombreuses unités russes, notamment les plus expérimentées comme les troupes aéroportées et certaines unités de la Garde.

Les échecs répétés des offensives russes en Ukraine, et le succès des contre-offensives ukrainiennes ces derniers mois, ne sont par ailleurs pas même abordés.

Contrairement aux années précédentes, la production industrielle en matière d’équipement est à peine abordée, si ce n’est dans le domaine de la dissuasion, ou pour indiquer l’entrée en service prochaine du missile anti-navire hypersonique Tzirkon.

La création de divisions motorisées dans les oblasts de Kherson et Zaporozhye, et non en Crimée ou dans l’Oblast de Donetsk, montre également la limite de crédibilité de l’exercice, sachant que ces deux oblats sont aujourd’hui les plus contestés par les forces ukrainiennes.

L’arrivée du missile hypersonique Tzirkon en 2023 a été mise en avant par Sergueï Choïgou

Reste que les annonces faites par Sergueï Choïgou montrent un important changement d’échelle, mais également de paradigme pour les armées russes.

Si jusqu’il y a peu, celles-ci visaient à se rapprocher, dans leur organisation, leur doctrine et leur équipement, des armées occidentales, elles se tournent désormais vers un modèle beaucoup plus inspiré des armées soviétiques, misant sur la masse et la combativité plutôt que sur la technologie pour prendre l’avantage. À ce jour, une seule grande armée mondiale applique encore cette stratégie, la Corée du Nord.

L’OTAN comme principal adversaire de la Russie

Surtout, l’ensemble des annonces faites ne visent non plus à donner aux armées russes la possibilité de s’engager dans un conflit régional limité comme en Ukraine ou en Géorgie, mais bien à se confronter avec l’OTAN, ou tout au moins à maintenir un rapport de force anxiogène avec celle-ci, comme ce fut le cas pendant la guerre froide.

À ce titre, l’OTAN, les Etats-Unis et l’Europe sont explicitement identifiés comme les ennemis de la Russie, et la confrontation avec l’OTAN est désormais le facteur structurel dominant dans l’effort de défense russe présent et à venir.

Pour autant, la Russie n’est pas l’Union Soviétique, et n’en a ni les ressources humaines et économiques, ni la position sur la scène internationale. Il est aussi peu probable qu’en dehors de la dimension stratégique, Moscou puisse effectivement menacer les membres de l’OTAN ou de l’Union européenne de manière conventionnelle, y compris une fois que l’augmentation de format aura eu lieu.

En effet, si Moscou s’est engagé dans le renforcement de ses capacités militaires, c’est également le cas de l’ensemble des pays européens, qui disposent, eux, de capacités technologiques bien plus avancées et d’économies autrement résilientes que la Russie.

De toute évidence, à l’instar de la Corée du Nord, ces annonces visent avant tout à créer une situation de conflit gelé ou de guerre froide avec l’OTAN, afin de mobiliser et de garder sous contrôle l’option publique russe.

Le régime russe n’ayant pas la dimension héréditaire du régime nord-coréen, il est peu probable que cette position survive à Vladimir Poutine. Peut-être n’a-t-elle tout simplement pas vocation à autre chose ?

Quelles sont les opportunités d’exportation pour le Rafale pour 2023 ?

Avec 284 appareils commandés à l’exportation depuis 2015 pour 7 pays, l’avion de combat Rafale, longtemps décrié y compris au plus haut niveau de l’Etat, est désormais considéré comme un immense succès de Dassault Aviation, en venant flirter avec les succès à l’export du Mirage 2000 et ses 286 appareils exportés vers 8 pays. Si les commandes passées ces deux dernières années par l’Egypte (30 appareils), la Grèce (24 appareils dont 12 d’occasion compensés), la Croatie (12 appareils d’occasion compensés), l’Indonésie (42 appareils) et surtout les Emirats Arabes Unis avec 80 appareils pour un contrat record de 13,5 Md€, ont assuré la pérennité et l’activité de la chaine de production de Merignac jusqu’au delà de 2030, d’autant que les forces aériennes françaises attendent pour leur part 81 nouveaux Rafale sur la même période.

Pour autant, la Team Rafale, qui rassemble autour de Dassault Aviation 500 entreprises dont le motoriste Safran, l’électronicien Thales ou encore le missilier MBDA, n’en a pas fini avec les contrats d’exportation, et l’année 2023 pourrait voir certains de ces prospects en cours être convertis en nouveau client et futur opérateur de l’avion français. En effet, de l’Inde à la Serbie, de l’Egypte à la Colombie, de l’Irak et à l’Arabie saoudite, de nombreuses discussions et compétitions plus ou moins proches d’aboutir, portent sur l’acquisition de l’avion français, avec des chances bien réelles que l’arbitrage final et la signature d’un contrat intervienne au cours de l’année 2023. Dans cet article, nous ferons un point sur ces différents prospects, et de leur chance d’aboutir en faveur du Rafale au cours de l’année à venir.

1 : Inde : 26 Rafale M et 36/57/114 Rafale B/C

Alors que le dernier des 36 Rafale F3R commandés pour les forces aériennes indiennes en 2016 a été livré il y a quelques jours, l’avion de Dassault est engagé dans deux compétitions majeures dans le pays, avec des chances bien réelles de succès à court terme. En premier lieu, la version embarqué de l’appareil, le Rafale M, est donné désormais largement favori de la compétition qui l’oppose au Boeing F/A-18 E/F Super Hornet pour équiper le nouveau porte-avions indien, l’INS Vikrant, alors que les forces navales indiennes ont annoncé très officiellement que le Rafale s’était montré « plus adapté aux besoins » au terme d’une intense campagne d’essais à Goa. Initialement visant une commande de 57 appareils, le besoin indien a été ramené à 26 chasseurs destinés à assurer la transition jusqu’a l’entrée en service du Twin-Engined Deck Based Fighter, ou TEDBF, le nouveau chasseur embarqué en cours de conception par la DRDO, et qui doit entrer en service au début de la prochaine décennie, si tout se passe bien.

Les deux escadrons Rafale de l’IAF assurent un vaste panel de mission, y compris dans le domaine de la dissuasion

Au-delà des besoins de l’Indian Navy, le Rafale est également engagé dans la compétition MMCA 2 pour la fabrication locale de 114 chasseurs moyens, compétition qui fut lancée après l’échec des négociations industrielles autour du programme MMRCA, qui avait déjà vu le Rafale s’imposer. Alors que l’IAF met déjà en oeuvre 36 avions Rafale adaptés à ses propres besoins, et qu’elle dispose d’une infrastructure de maintenance permettant de soutenir plus d’une centaine d’appareils de ce type, le chasseur de Dassault est régulièrement considéré comme le favori de cette compétition qui l’oppose au Typhoon, au Gripen et à une version du F-16 désignée F-21. A ce jour, le périmètre exact de cette compétition reste flou, puisqu’il serait question de ramener la commande à 57 appareils, un nombre sous le seuil de 100 appareils considéré par Dassault comme permettant une facture locale. Pour autant, même si la compétition venait à échapper au Rafale, qu’elle soit annulée ou attribuée à un autre appareil, une nouvelle commande de Rafale B/C pour l’IAF demeurerait d’actualité, alors que des discussions d’état à état entre Paris et New Delhi ont été engagées à ce sujet depuis 2020.

2 : Serbie : 12 Rafale B/C

Depuis plusieurs mois, les autorités Serbes ont engagé une consultation visant à remplacer les quelques 13 MiG-29 encore en service au sein des forces aériennes de Belgrade. Afin de conforter sa candidature à l’Union Européenne, mais également d’éviter les sanctions américaines potentielles liées à l’application de la législation CATSAA, celles-ci se sont détournées de leur partenaire traditionnel russe, en se rapprochant des offres européennes, en l’occurence l’Eurofighter Typhoon et le Dassault Rafale. Selon les informations qui avaient filtrées dans la presse spécialisée à l’été 2022, l’offre française avait la préférence de Belgrade, le ministre de la défense serbe,  Nebojsa Stefanović, avait d’ailleurs fait une visite remarquée au centre de recherche et de développement de Dassault à Saint-Cloud.

Les autorités serbes veulent remplacer leurs 13 MIG-29 encore en service par une douzaine de Rafale B/C

Pour l’heure, les négociations entre la Team Rafale et la Serbie sont couvertes, comme souvent, du sceau de la confidentialité, même si le ministre des Armées Sébastien Lecornu avait déclaré, en juin, qu’il soutiendrait évidemment les contrats potentiels entre l’industrie de défense française et la Serbie. Il était alors question de l’officialisation d’une commande de 12 Rafale B/C par Belgrade avant la fin de l’année. Il est probable que les tensions récentes entre Belgrade et les autorités Kosovares imposent un certain retard dans l’annonce officielle de ce contrat, à moins que d’autres facteurs soient venus entraver ces discussions. Quoiqu’il en soit, si une commande de Rafale par la Serbie devait intervenir, celle-ci serait très probablement annoncée en 2023.

3 : Colombie : 12 à 16 Rafale C

Les autorités colombiennes doivent annoncer, au cours du mois de janvier 2023, quel sera le prochain avion de combat destiné à remplacer les 19 IAI Kfir acquis auprès d’Israël en 1989, à la suite d’une consultation qui oppose le JAS-39 Gripen E/F Suédois, le F-16 Block 70/72 V de l’américain Lockheed-Martin , ainsi que le Rafale français. Si la Team Rafale s’est montrée audacieuse et volontaire dans cette compétition, l’avion français n’en était pas considéré comme le favori, d’autant que les Etats-Unis ont attribué, en juin dernier, le statut d’allié majeur à la Colombie, lui permettant d’accéder à des procédures d’acquisitions simplifiées de matériels militaires, notamment dans le cadre du FMS. La détermination de l’équipe de négociateurs français, qui a su proposer une offre technique et budgétaire attractive pour Bogota, a semble-t-il payé, puisque selon un article publié par le site infodefensa.com, c’est désormais le Rafale qui est considéré comme le favori de la compétition.

Les Kfir colombiens arrivent en limite d’age et Bogota entend les remplacer par un chasseur de génération 4.5

Comme à son habitude, Dassault aviation et les négociateurs français se sont montrés très parcimonieux quant aux informations portant sur ce dossier. Au mieux sait-on qu’il porte sur l’acquisition de 12 à 16 appareils au standard F3(R?), ce qui suppose une livraison rapide, et qu’il est accompagné d’une offre de financement sur 20 années, et d’un engagement d’offset industriels significatifs pour soutenir le développement industriel et économique du pays. Selon le site, une délégation d’officiers et de techniciens colombiens serait d’ailleurs sur le point de se rendre en France. Un succès en Colombie du Rafale marquerait en outre le retour des chasseurs de Dassault en Amérique du sud, après le retrait des Mirage 2000 brésiliens et péruviens, et le retentissant échec des négociations avec le Brésil au sujet du Rafale.

4 : Egypte : 30 Rafale B/C

Client traditionnel de Dassault Aviation depuis les années 70, l’Egypte fut le premier pays à acquérir le Rafale en 2015, mettant fin à une quinzaine d’années de vache maigre et de doute sur le potentiel export du fleuron de l’avionneur français. Le fait est, la commande de 24 Rafale B/C au standard F3 par Le Caire, fut rapidement suivie par une commande similaire de la part de Doha, puis de 36 appareils par New Delhi. De toute évidence, le Rafale avait convaincu les forces aériennes égyptiennes, qui commandèrent en mai 2021 trente nouveaux appareils au standard F3R, ainsi que 2 avions ravitailleurs A330 MRTT, un satellite militaire et la modernisation des 23 appareils précédemment commandés (un appareil aurait été perdu) à ce même standard. Pour les militaires égyptiens, au delà des performances et des capacités opérationnelles de l’appareil, le Rafale disposerait d’un atout unique, celui de pouvoir communiquer aussi bien avec les appareils européens (Mirage 2000), américains (F-16) et russes (MIG-29K), en faisant le pivot indispensable de la force aérienne du pays.

La capacité du Rafale à communiquer aussi bien avec les chasseurs occidentaux que russes est très appréciée des forces aériennes égyptiennes

Ainsi, alors que la commande de 30 Rafale supplémentaires était à peine signée, les autorités égyptiennes avaient indiqué qu’elles s’intéressaient de prés au nouveau standard F4 en cours de conception. Rappelons que le Rafale F4 sera doté de nouvelles capacités de communication et d’engagement coopératif dont une liaison satellite et une fonction de communication directionnelle de faible puissance pour les appareils d’une même patrouille, ainsi que de nouveaux équipements comme la suite de protection SPECTRA NG, le missile air-air MICA NG, et la bombe de 1000 Kg A2SM. Il disposera en outre d’une capacité de fusion de données étendues, et de nouvelles fonctions de maintenance prédictive et de pilotage des turboréacteurs M88. Si la modernisation des 53 Rafale F3R Egyptiens au standard F4.1 est pour ainsi dire acquise, Le Caire avait laissé entendre, lors de la commande des 30 appareils supplémentaires en 2021, que son intention était de porter la flotte Rafale à 80 voire 100 appareils au standard F4. Alors que le plan de charge pour la production de nouveaux Rafale d’ici la fin décennie est déjà bien rempli, on peut s’attendre à ce que Le Caire annonce une nouvelle commande dans les mois à venir une fois le standard F4.2 entièrement développé, de sorte à réserver, au plus tôt, les créneaux de production restants.

5 : Irak : 14 Rafale B/C

Il y a quelques mois, en mai 2022, les autorités irakiennes annoncèrent la commande de 14 Rafale B/C au standard F4 à la France, ainsi que d’autres équipements de défense dont des canons CAESAR, s’appuyant notamment sur un accord avec Paris permettant le paiement d’une partie des équipements par des livraisons d’hydrocarbures irakiens. Il s’agissait, pour les autorités irakiennes, de remplacer une partie des F-16 C/D actuellement en service, et surtout de prendre une certaine distance avec Washington après le départ des forces américaines, notamment en se rapprochant de ses partenaires historiques comme la Russie et la France. Toutefois, les montants annoncés autour de ces contrats, 240 m$, ont rapidement fait peser le doute quant à leur réalité, 14 Rafale F4 étant bien plus proches des 2 Md€ que des 200 m$, et ce d’autant que les autorités françaises, comme les entreprises de défense nationales, si elles n’infirment pas l’existence de négociations avec Bagdad, y compris au sujet de Rafale, n’ont jamais confirmé les déclarations du Ministre de la Défense irakien le 8 mai.

l’arrivée prochaine de Su-35s au sein de forces aériennes iraniennes met davantage de pression sur Bagdad pour moderniser sa flotte de chasse

Désormais, cependant, les influences conjuguées de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, des tensions avec la Turquie qui menace aussi bien la Grèce que le Kurdistan irakien, et la probable montée en puissance des armées iraniennes suite aux accords avec la Russie, pourraient bien permettre à ces discussions d’aboutir rapidement dans les mois à venir. L’Irak se trouve en effet au carrefour des ambitions territoriales d’Ankara comme de Téhéran, tout en possédant les 5ème plus importantes réserves de pétrole de la planète, lui conférant une position stratégique au Moyen-Orient comme sur l’échiquier stratégique énergétique mondial, et un partenaire privilégié pour la France sur ce théâtre, alors que le pays doit faire face à deux menaces significatives simultanées. De quoi trouver la motivation nécessaire pour concrétiser ces négociations à court terme.

6 : Arabie Saoudite : 100 à 200 Rafale B/C

Si l’Arabie Saoudite a été, pendant plusieurs décennies, un client fidèle de l’industrie de défense française, elle ne s’est jamais tournée vers les avions français pour équiper son aviation de chasse, privilégiant les appareils américains et britanniques pour cette mission. En outre, les relations entre Paris et Ryad, et en particulier entre le président Emmanuel Macron et le prince héritier Mohammad Bin Salman, ont été pour le moins tendues ces dernières années, au point que le Royaume s’est par deux fois tourné vers l’Espagnol Navantia et non le français Naval Group pour moderniser sa flotte militaire, chasse réservée des chantiers navals français pendant prés de 30 ans avant cela. Pourtant, un article publié par le site économique la Tribune il y a quelques semaines, laisse entendre que Ryad aurait entamé des discussions informelles avec Paris portant sur l’acquisition d’avions Rafale.

L’Arabie Saoudite aligne plus de 200 F-15E Strike Eagle aux cotés de Typhoon, Tornado et F-15 Eagle

Selon les informations du journaliste toujours très bien informé Michel Cabirol, il s’agirait pour les autorités saoudiennes de moderniser et de renforcer son aviation de chasse avec un appareil fiable et performant, mais surtout dépourvu de technologies américaines ou allemandes, Ryad souhaitant prendre de la distance avec Washington et Berlin, et surtout ne pas dépendre de possibles mesures de rétorsions technologiques pouvant potentiellement priver le pays d’une partie de sa flotte de chasse. Sachant que Ryad ne se tournera pas non plus vers Moscou au risque de déclencher l’ire de Washington et de la législation CATSAA, il ne reste que deux alternatives aux dirigeants saoudiens, la France et son Rafale, et la Chine avec le J-10C ou le J-16, deux appareils sensiblement inférieurs à l’avion français. De fait, si le contexte politique pouvait laisser peser un doute sur la réalité des révélations faites par le journaliste français, le contexte stratégique, lui, abonde en son sens.

Reste que l’objectif de Ryad dans son approche des autorités françaises, dépasse largement la simple commande de Rafale, même s’il est ici question d’un volume de 100 à 200 appareils, ce qui laisse supposer le remplacement des 62 F-15 et des 81 Tornado encore en service aux cotés de 72 Typhoon et de plus de 200 F-15E Strike Eagle. En effet, les autorités saoudiennes envisageraient également de co-developper avec la France un chasseur de nouvelle génération, si le programme SCAF venait à échouer. Depuis la publication de l’article, Paris, Berlin et Madrid, ainsi que Dassault Aviation et Airbus DS, sont parvenus à un accord permettant le redémarrage du programme SCAF, ce qui n’obère en rien l’intérêt potentiel d’une collaboration avec Ryad et éventuellement d’autres partenaires comme Abu Dabi et Le Caire, afin de co-developper un second appareil complémentaire du NGF.

La Chine propose désormais son chasseur J-10C à l’exportation, y compris aux pays du proche et moyen-orient comme l’Arabie Saoudite et l’Egypte.

En revanche, il est clair que la fenêtre d’opportunités pour la France vis-à-vis de l’Arabie Saoudite sera étroite, et ne dépassera pas l’année 2023. En effet, la Chine, très au fait des tensions entre Ryad, Washington et Berlin, déploie des trésors de persuasion pour amener les deux pays à se rapprocher, dans le domaine civil avec un très important accord signé il y a quelques jours suite à la visite à Ryad du president Xi Jinping pour y rencontrer le prince Mohammed bin Salman avec à la clé un contrat majeur attribué a Huawei pour l’infrastructure 5G et Cloud du Royaume, mais également dans le domaine militaire. Un même effort serait par ailleurs entrepris par Pékin vers Le Caire, la vente de chasseurs chinois J-10C aurait été récemment abordée entre les deux pays. En d’autres termes, si Paris venait à ne pas répondre favorablement aux attentes saoudiennes, il est fort possible que Ryad se tourne, à relativement court terme, vers la Chine

Conclusion

Qu’il s’agisse de nouvelles commandes venant d’opérateurs actuels du Rafale, ou de nouveaux clients se tournant vers l’avion français, l’année 2023 pourrait bien devenir une nouvelle année de succès multiples pour Dassault Aviation et la team Rafale. Il convient, naturellement, de se montrer prudent, et de ne pas anticiper au delà du raisonnable de futurs succès dans ce domaine. Toutefois, en considérant les négociations en cours, et les chances de succès souvent bien réelles du chasseur de Dassault à relativement court terme, il est désormais envisageable que le Rafale puisse faire aussi bien que le Mirage F1 en matière d’exportation, avec ses 470 appareils vendus à 10 pays pour 720 appareils construits. Car outre les 81 appareils en commande pour les forces aériennes françaises et les quelques 24 appareils restant à produire pour atteindre le format visé par le Livre Blanc de 2013, soit 185 Rafale pour l’Armée de l’Air et 42 pour la Marine nationale, il est probable que ce format final soit appelé à évoluer pour atteindre 225 appareils pour l’Armée de l’Air lors de la prochaine Loi de Programmation Militaire, soit une commande d’au moins 40 chasseurs supplémentaires à venir.

Une nouvelle fois, le président R.T Erdogan s’oppose à l’adhésion à l’OTAN de la Suède et la Finlande

Sans grande surprise, le président turc R.T Erdogan a annoncé, vendredi dernier, qu’il s’opposerait à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, ce en dépit des récents efforts produits par Stockholm et Helsinki afin de répondre aux exigences des autorités turques. Comme précédemment, le chef de l’état explique sa décision, qui s’avère bloquante pour l’adhésion des deux pays scandinaves à l’Alliance Atlantique puisque celle-ci requiert l’unanimité des votes, par les politiques suivies par les deux pays en matière d’asile, et particulier pour ce qui concerne certains membres du parti des travailleurs turcs ou désignés comme tel par Ankara, mais également concernant les soutiens du prédicateurs Fethullah Gulen, opposant au président Erdogan, et accusés par les autorités turques d’être à l’origine de la tentative de coup d’état avortée de 2016. Pour le président turc, il s’agirait d’éviter de reproduire la même erreur que lors de l’adhésion de la Grèce à l’alliance Atlantique, obérant au passage que les deux pays ont rejoint l’OTAN conjointement le 18 février 1952, et que la Turquie n’avait alors aucun droit pour s’opposer à l’adhésion d’Athènes.

Pour l’heure, aucune réaction officielle n’a filtré concernant l’annonce faite le président Erdogan vendredi, ni de la part de la Maison Blanche, ni des autres capitales européennes. Toutefois, la Cours Suprême suédoise a rejeté, hiers, la demande d’extradition formulée par Ankara du journaliste Bulent Kenes, ancien rédacteur en chef du quotidien d’opposition Zaman daily, en exile à Stockholm depuis plusieurs années. L’argument avancé par les autorités suédoises au sujet de l’indépendance du système judiciaire suédois, un concept probablement obscure pour le président Erdogan, n’a visiblement pas convaincu les autorités turques, qui ont vivement protesté. Pour autant, il ne fait guère de doute que les autorités suédoises avaient anticipé un tel dénouement, tant la demande d’extradition faite par Ankara contrevenait aux lois suédoises, et qu’il était très peu probable que celle-ci puisse être autorisée par les juges de la Cours Suprême suédoise.

La demande d’extradition du journaliste d’opposition Bulent Kenes a été rejetée par la Cours Suprême suédoise.

Or, le cas de Bulent Kenes est révélateur des réelles ambitions turques. En effet, alors qu’initialement, Ankara avait annoncé qu’elle entendait obtenir plusieurs dizaines d’extraditions de « terroristes » de la part de Stockholm et Helsinki, une seule procédure formelle nominative a été effectivement engagée par les autorités turques, qui plus est vis-à-vis d’un journaliste, sachant très certainement que les chances de succès étaient infimes. En d’autres termes, les arguments avancés par le président Erdogan au sujet du refus de l’adhésion des deux pays scandinaves à l’OTAN, n’avaient dès le départ que très peu de matérialité, et n’étaient, dès lors, que des leurres destinés à voiler les réels objectifs d’Ankara, en particulier au sujet de la levée des sanctions américaines et européennes concernant certaines technologies de défense permettant au pays de poursuivre ses ambitieux programmes d’équipements militaires, mais également pour obtenir une neutralité bienveillante occidentale concernant les ambitions affichées par Erdogan en Syrie, en Irak et dans le Caucase, ainsi qu’une neutralité de fait vis-à-vis des tensions avec Athènes.

Paradoxalement, il semble que plusieurs pays européens soient prêts à soutenir les ambitions turques dans ce domaine. Ainsi, si Berlin a mis sous embargo certains équipements nécessaires à la poursuite du programme de char lourd Altay suite à l’offensive turque contre les kurdes syriens en 2019, elle n’a nullement cessé de fabriquer les 6 sous-marins Type 214 de la classe Reis pour la marine d’Ankara, alors même que ces navires vont incontestablement représenter une menace bien réelle pour la souveraineté grecque. De même, l’Italie a montré, à plusieurs reprises, son intention de reprendre dès que possible la collaboration avec Ankara en matière d’équipement de défense, notamment dans le domaine des hélicoptères militaires, mais également dans celui de la missilerie, en faisant pression sur Paris pour autoriser l’exportation de technologies clés du système sol-air SAMP/T Mamba. La Grande-Bretagne est également très impliquée, en particulier au programme TFX pour lequel BAe et Rolls-Royce sont sur les rangs pour des transferts de technologies clés en matière d’avionique et de turboréacteur, comme dans les programmes de drones turcs, qui bénéficient semble-t-il de l’aide de nombreux ingénieurs britanniques recrutés par Baykar.

L’un des principaux objectifs non avoués du président Erdogan est d’obtenir l’autorisation de Washington pour acquérir 40 chasseurs F-16V et 80 kits pour transformer autant de chasseurs F-16 Block 50+ vers ce standard, alors que la Grèce aligne 80 de ces appareils

Mais l’objectif premier du président Erdogan aujourd’hui demeure sans le moindre doute d’obtenir, contre l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, la levé des sanctions industrielles et technologiques américaines. En effet, la modernisation des forces armées turques repose en grande partie sur l’autorisation américaine jusque là suspendue concernant l’acquisition de 40 nouveaux chasseurs F-16 Block 70/72 Viper bien plus performants que les Block 50+ en service au sein des forces aériennes turques aujourd’hui, mais également de 80 kits permettant de transformer autant de F-16 C/D Block 50+ vers ce dernier standard, ce qui remettrait Ankara à parité face aux 80 F-16V et 24 Rafale F3R grecs. En outre, il est indispensable pour l’industrie de défense turque d’obtenir certains composants américains, notamment dans le domaine des turbines d’hélicoptère et des turboréacteurs, pour poursuivre la conception de certains programmes clés, y compris le programme TFX qui prévoit d’emporter initialement deux turboréacteurs F110 américains.

Reste qu’il demeure peu probable que Washington, et en particulier le Capitole qui contrôle strictement les exportations d’arme et d’équipements de défense américains, ne cède au chantage du président Erdogan, d’autant que ce dernier a réitéré ces derniers jours des menaces très directes contre la Grèce, menaçant même de frapper directement Athènes par une frappe balistique au besoin, donc une cible civile et non militaire, ce qui en dit long sur le personnage et ses dérives. La question est désormais de savoir comment les occidentaux réagiront aux menaces turques, sachant que la Charte Atlantique ne prévoit ni de pouvoir accepter un ou plusieurs nouveaux membres sans un vote à l’unanimité, ni de pouvoir changer la charte elle même sans cette même unanimité, et qu’aucune close d’exclusion, même temporaire, n’est prévue par celle-ci.

la Poursuite du programme TFX est conditionnée par l’autorisation américaine pour employer le réacteur F110, ou par un réacteur alternatif comme l’EJ-200 de Rolls-Royce

Dans les faits, il ne reste désormais que 4 alternatives possibles concernant cette crise. La première, et la plus simple, n’est autre que le retrait des candidatures de Stockholm et Helsinki, pour remplacer celles-ci par des accords de défense multilatéraux ou au sein de l’Union Européenne. Toutefois, après avoir fait acte de candidature en pleine crise avec Moscou, il s’agirait, sans le moindre doute, d’une décision pleine de risque pour les deux pays scandinaves, qui seraient alors des cibles vulnérables pour la Russie, si tant est que celle-ci puisse sortir du bourbier ukrainien avec une armée fonctionnelle, ce qui est loin d’être garanti. La seconde possibilité serait de céder, tout au moins partiellement, aux exigences du président Erdogan. Une telle décision, probablement la plus mauvaise, permettrait à ce dernier de redorer son blason à quelques mois d’élections majeures, tout en le confortant dans ses ambitions, ses décisions et ses dérives bellicistes.

La troisième alternative serait la plus agressive, puisqu’elle s’appuierait sur un durcissement des sanctions économiques et technologiques vis-à-vis de la Turquie, et sur une exclusion de fait du pays de l’alliance, en excluant de participer aux exercices, manoeuvres et projets de l’Alliance auxquels participeraient la Turquie. L’objectif serait alors d’amener Ankara et le président Erdogan à se retirer de l’Alliance, ce qui n’irait pas sans profondément redessiner la carte géopolitique au Moyen-Orient, dans le Caucase, en Méditerranée Orientale et en Mer Noire, avec le risque de voir la Turquie basculer vers la Russie ou la Chine. La dernière solution n’est autre que la patience, et d’attendre les élections générales de juin 2023 en Turquie pour choisir laquelle des 3 solutions appliquées, tout en espérant une alternance démocratique permettant de dénouer la crise.

La France s’est opposée au transfert de technologies du programme franco-européen SAMP/T vers la Turquie.

De toute évidence, aucune de ces solutions n’est satisfaisante, ceci explique très probablement que les capitales occidentales temporisent quant à leur réponse à cette crise qui pourrait entrainer l’implosion même de l’OTAN, alors même que l’Alliance constitue aujourd’hui l’Alfa et l’Oméga de la politique de défense de tous les pays européens, y compris ceux disposant d’une dissuasion nucléaire. On peut se demander, à ce titre, si aujourd’hui, la plus grande menace pour le bloc occidental, ne se trouve pas davantage à Ankara qu’à Moscou ou qu’à Pékin ?