jeudi, décembre 4, 2025
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Après le Puma, la disponibilité des canons automoteurs Pzh2000 handicape la Bundeswehr

L’industrie de défense allemande n’est guère à la fête ces derniers jours. En effet, depuis les déclarations du commandant de la 10ème division blindée de la Bundeswehr au sujet du comportement catastrophique de 18 véhicules de combat d’infanterie Puma lors d’un récent exercice, les actions des principaux acteurs industriels germains ont connu une chute sensible, -5,5% pour Krauss Maffei Wegman, et -10,5% pour Rheinmetall, les deux principaux industriels engagés dans la conception et la fabrication du Puma. Et l’annonce faite hier par la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, au sujet de la suspension des acquisitions de Puma par la Bundeswehr jusqu’à nouvel ordre, n’aura certainement pas aidé à stabiliser la situation, même si l’essentielle de la chute en bourse est intervenu à partir du 16 décembre à la parution de l’article au sujet du Puma dans la presse allemande, et que la décision du ministère de la défense n’a été annoncée qu’hier, le 20 décembre.

Pour autant, la série noire pour les blindés allemands ne semble pas vouloir prendre fin. Dans un article publié par le quotidien Bild, citant un rapport confidentiel de la Bundeswehr, indique qu’aujourd’hui, seul un tiers des 105 canons automoteurs Pzh2000 en service au sein de la Bundeswehr sont effectivement opérationnels, une trentaine étant en maintenance programmée chez l’industriel, et une autre trentaine étant considérée par les artilleurs allemands comme incapable de participer à une action opérationnelle. Or, le Pzh2000 est le seul système d’artillerie à moyenne portée en service au sein des forces allemandes, aux cotés d’une trentaine de lance-roquettes multiples MARS et de 80 mortiers tractés de 120 mm. A titre de comparaison, en France, la disponibilité des VBCI est supérieure à 60%, celle du Leclerc à 85%. Quant à celle du CAESAR, elle est supérieure à 80% à périmètre équivalent à celui de la Bundeswehr, mais est sensiblement inférieure du fait de l’utilisation intense de ces matériels faite lors de plusieurs opérations extérieures.

Les faibles disponibilité et fiabilité des VCI Puma de la BundesWehr sont davantage liées à des défauts de conception qu’à des problèmes de procédure de maintenance comme par le passé

Ces annonces à répétition concernant la disponibilité des équipements allemands ne sont pas sans rappeler la situation toute aussi catastrophique décrite en 2018 par un rapport du Bundestag avec par exemple 39 avions Typhoon sur 128 opérationnels, 16 CH-53 sur 72, 14 Tigre sur 62, 105 Leopard 2 sur 224, 212 Marder sur 380 ou encore 5 frégates sur 13, et 0 sous-marins Type 212 sur 6. Toutefois, en 2018, les procédures de maintenance de la Bundeswehr, et les contraintes budgétaires et législatives imposées par les autorités allemandes, étaient alors les principales causes avancées pour expliquer es disponibilités catastrophiques ne permettant à la Bundeswehr que de déployer, dans le meilleur des cas, qu’une brigade d’infanterie motorisée, deux escadrons de chasse ou encore une flottille de seulement 2 ou 3 frégates au profit de l’OTAN sous un délais de 30 jours le cas échéant. Et pour être parfaitement clair, à cette date, l’immense majorité des forces armées européennes, y compris en France et en Grande-Bretagne, souffraient des mêmes maux, sans atteindre des telles extrémités toutefois.

Si le manque de crédits ces dernières années, et des contraintes législatives toujours contraignantes, expliquent aujourd’hui encore en partie la mauvaise disponibilité des équipements de la Bundeswehr, même si celle-ci s’est améliorée depuis 2018 pour beaucoup de matériels, les mises en cause concernant le VCI Puma, et indirectement le canon automoteur Pzh2000, semblent prendre racines sur des causes plus techniques et technologiques, et de fait autrement plus complexes à résoudre. Ainsi, le manque de fiabilité constaté des 18 véhicules de combat d’infanterie Puma de la 10ème Panzer, n’est pas lié à un défaut de maintenance, mais à des faiblesses structurelles du blindé, surtout lorsque ceux-ci sont employés de manière intensive et sur des terrains contraignants. Et si le Pzh2000 s’est montré efficace en Ukraine, il a également démontré une usure rapide en cas d’utilisation intensive, tout au moins en comparaison des M109, Krab et CAESAR également employés par les forces ukrainiennes.

La disponibilité des CAESAR français est aujourd’hui lourdement handicapée par l’envoi de 18 canons en Ukraine (sur 77 en parc) et par l’utilisation intensive faite de ces équipements en Afrique et au Moyen-orient ces dernières années.

Ce manque de fiabilité et de résistance évident des nouveaux blindés allemands, intervient probablement au pire moment pour les deux grands industriels. Pour KMW, l’annonce de la suspension de la livraison des Puma est évidement un coup dur, celle-ci constituant, avec la modernisation des Leopard 2 et la co-production des Boxer, une grande partie de son activité industrielle du moment. Dans le même temps, cela exclu probablement toutes les chances du Puma de trouver des débouchés à l’export à court terme. La situation n’est guère meilleure pour Rheinmetall, très engagé dans des compétitions aux Etats-Unis et en Australie avec le KF-31/41 Lynx, mais dont l’activité industrielle nette est également réduite, et conditionnée par la production de Puma, de Boxer et de Pzh2000 et par la modernisation des Leopard 2.

Du point de vue européen, ces annonces sont également une mauvaise nouvelle, en altérant l’aura de fiabilité de l’industrie allemande en matière de véhicules blindés, alors que les Etats-Unis, mais surtout la Corée du Sud avec le char K-2 Black Panther, le canon automoteur K-9 Thunder et le véhicule de combat d’infanterie tracté AS-21 Redback, proposent aujourd’hui des solutions d’équipements attrayantes y compris aux autres pays européens en demande de blindés modernes face à la menace russe. Or, les industries française, britanniques ou italiennes sont elles aussi, mais pour des raisons différentes, en mal de proposer des alternatives efficaces, et seul le CV-90 britannico-suédois tient encore la ligne dans le domaine des VCI chenillés. Quant au pari de Rheinmetall avec le Lynx mais également le Panther, il risque fort de pâtir de ces dégradations d’image qui altèrent les acquis du Marder, du Boxer et surtout des Leopard 1 et 2 depuis plusieurs décennies. Reste à voir à quel point cette situation affectera le programme MGCS dans les rapports de force industriel entre Nexter, KMW et Rheinmetall, mais également autour du programme CIFS au destin plus qu’incertain.

Les avions de combat JAS 39 Gripen C/D suédois bientôt modernisés pour atteindre 2035

Dans l’attente de la livraison de l’ensemble des 72 JAS 39 Gripen E/F commandés par la Flygvapnet, Saab va moderniser les Gripen C/D suédois pour en étendre la durée de vie opérationnelle efficace jusqu’en 2035.

En de nombreux aspects, la Suède est un pays unique en matière de défense. Avec une population de seulement 10 millions d’habitants, et un PIB de 620 Md€, 25% de celui de la France et 15% de celui de l’Allemagne, le pays parvient à maintenir des capacités industrielles très avancées en matière de défense, avec notamment l’un des trois principaux bureaux d’étude et chantier naval européens capables de concevoir des sous-marins modernes, ainsi que l’un des rares constructeurs aéronautiques dans le monde ayant l’expérience de la conception d’avions de combat.

C’est ainsi que les Drakken puis les Viggen de la Flygvapnet, l’armée de l’air suédoise, ont efficacement protégé le ciel suédois pendant toute la guerre froide, et furent même exportés notamment vers la Finlande et l’Autriche. En 1988, le constructeur aéronautique suédois SAAB présenta le JAS 39 Gripen lors de son premier vol, un chasseur monomoteur se voulant une alternative directe au F-16 et aux Mirage français, et le digne successeur du JAS-37 Viggen.

Compact avec une longueur de 14 mètres pour 8,5 mètres d’envergure, et léger avec une masse à vide de seulement 5 tonnes, le Gripen s’imposa rapidement comme un des trois membres de la célèbre famille des Eurocanards, avec le Typhoon d’Eurofighter et le Rafale de Dassault.

Offrant des performances supérieures à celles du F-16 C/D de l’époque, le Gripen remporta plusieurs succès à l’exportation, étant notamment choisi par la République Tchèque et la Hongrie en Europe, ainsi que la Thaïlande et l’Afrique du Sud dans le monde, alors que le Rafale ne s’exportait pas, et qu’au-delà des marchés captifs initiaux comme l’Arabie Saoudite, le Typhoon lui aussi peinait à trouver des débouchés sur la scène internationale.

Le premier Gripen A fut livré à la Flygvapnet en 1996, mais il devint rapidement évident que l’appareil devait être modernisé pour demeurer compétitif sur la scène internationale et efficace face à l’arrivée de nouveaux chasseurs comme le Su-30SM russe. C’est ainsi qu’en 2006 fut livré le premier Gripen C, disposant d’une avionique modernisée, de capacités d’emport d’armement étendues ainsi que d’une perche de ravitaillement en vol.

Le JAS 39 Gripen a été le premier appareil de la génération des Eurocanards à entrer en service en 1996

À ce jour, la Flygvapnet aligne 71 Gripen C monoplaces, ainsi que 23 Gripen D biplaces employés pour les missions de transformation, mais dotés, eux aussi, de l’ensemble des capacités opérationnelles de la version monoplace.

En 2016, elle commanda par ailleurs 60 JAS 39 Gripen E, une version évoluée de l’appareil dotée d’une avionique entièrement renouvelée avec notamment un radar AESA et une suite de défense intégrée, d’un nouveau turboréacteur F414 permettant à l’appareil de maintenir une supercroisière, et de nombreux armements de nouvelle génération, dont le missile air-air à longue portée Meteor.

Le premier exemplaire fut livré en 2021. Les Gripen C/D devaient, quant à eux, quitter le service à partir de 2025. Mais le durcissement de la menace en Europe amena Stockholm à réviser sa planification, et à décider de prolonger les 60 Gripen jusqu’en 2035, date à laquelle les appareils devraient pouvoir être remplacés par le successeur du Gripen en cours de conception.

C’est afin de répondre à ce besoin que les autorités suédoises ont signifié, le 16 décembre, un contrat de 3,5 Milliards de Couronnes, soit 320 m€, pour la modernisation des 60 Gripen C de sorte à en étendre la durée de vie opérationnelle jusqu’en 2035.

Pour l’heure, les informations publiées quant aux modernisations qui seront apportées aux appareils de la Flygvapnet sont pour le moins parcellaires. Selon Saab, il s’agirait de doter l’appareil d’un nouveau moteur, d’une avionique modernisée et de la capacité à mettre en œuvre de nouveaux armements et équipements.

Toutefois, avec une enveloppe de moins de 6 m€ par appareil, il est peu probable que de quelconques modernisations radicales, qui auraient par exemple permis aux Gripen C de se rapprocher du Gripen E, puissent être entreprises.

En revanche, il est probable que les capacités d’engagement coopératif entre les deux modèles de chasseur seront renforcées, faisant ainsi du Gripen C un excellent appareil de soutien du Gripen E, mieux dotés en senseurs et capacités de guerre électronique.

Le Gripen E dispose de capacités très étendues, y compris en matière d’emport d’armement et de guerre électronique

Reste qu’en 2030, la Flygvapnet alignera 60 Gripen E, autant de Gripen C, et peut-être une vingtaine de Gripen D, soit 140 avions de combat modernes, alors que le Gripen E n’a que très peu à envier aux chasseurs les plus évolués du moment.

Ramené à la population du pays, c’est trois fois le format des forces aériennes françaises, aéronautique navale incluse, et six fois le format de la Luftwaffe, ce qui en dit long sur la culture défense de ce pays scandinave qui, pourtant, n’est guère porté sur la projection de puissance, et qui s’apprête à rejoindre l’OTAN.

Pour autant, il sera probablement très difficile pour Stockholm de développer seul un successeur au Gripen, d’autant que le partenariat avec la Grande-Bretagne dans le cadre du programme FCAS semble avoir été mise en sommeil.

En effet, les efforts budgétaires nécessaires à la conception d’un avion de nouvelle génération, dépassent de beaucoup ceux qui furent à l’origine du Gripen, et amortir un tel développement sur un parc prévisible d’une centaine d’appareils apparait hors de portée des finances suédoises, d’autant que le Gripen E/F a subi de sévères échecs à l’exportation ces dernières années.

Pour autant, développer un successeur au Gripen, et par transitivité au F-16 ou au Mirage 2000, serait de l’intérêt d’une majorité de pays européens, dont peu d’entre eux seront effectivement capables d’acquérir des appareils aussi imposants et onéreux que le NGF du programme SCAF ou que le Tempest britannique.

Pour l’industrie aéronautique française, mais également pour d’autres BITD aéronautique en souffrance comme la Grèce, le Portugal, la République Tchèque, la Roumanie et même l’Ukraine, un tel programme, envisagé sous la forme d’une coopération européenne, aurait dès lors beaucoup d’intérêts, d’autant qu’au-delà du partage des couts de développement et d’une base de production initiale étendue.

Il pourrait avoir un attrait majeur sur la scène internationale, qui plus est en s’appuyant sur l’excellent réseau développé par Dassault Aviation autour des Mirage, eux aussi des chasseurs compacts, performants et économiques. Faute de quoi, il ne faudra guère s’étonner de voir l’immense majorité des forces aériennes européennes ne s’appuyer dans les années à venir que sur le F-35A américain, avec l’ensemble des conséquences que l’on connait à ce sujet.

La Bundeswehr désespère du manque de fiabilité de ses nouveaux VCI Puma

Au début des années 1970, l’Armée de terre allemande perçut l’un des meilleurs véhicules de combat d’Infanterie de la fin de la guerre froide, le Marder. Capable de transporter 6 soldats en arme, le blindé chenillé était bien protégé, résistant aux tirs de canons de 25 mm à 200m, disposait d’une bonne mobilité avec un moteur diesel de 600 cv pour une masse de 29 tonnes soit un rapport puissance-poids de 20 cv par tonne, et très bien armé avec un auto canon de 20mm alimenté à 1250 coups, une mitrailleuse de 7,62mm G3 ainsi qu’un système de lancement MILAN, le missile antichar franco-allemand capable de détruire alors n’importe quel blindé à plus de 2 km de distance. Outre des performances remarquables qui ne cédèrent qu’au M2 Bradley en occident, le Marder fut surtout livré à plus de 2100 exemplaires à la Bundeswehr, qui disposait alors du plus puissant corps blindé en Europe occidentale avec notamment 1500 chars de combat Leopard.

La procédure visant à remplacer les Marder allemands débuta en 1994, et fut pour le moins chaotique, avec l’abandon rapide du projet Marder 2 dans le cadre du programme Neue Gepanzerte Plattformen en 2001, pour donner naissance au Puma dans le cadre du programme neuer Schützenpanzer en 2002. Toutefois, la conception du Puma, développé par Krauss Maffei Wegman et Rheinmetall, fut pour le moins difficile, notamment du fait des grandes ambitions technologiques du programme. Mieux armé que le Marder avec un canon de 30mm, une mitrailleuse 5.56mm et un lance-missile anti-char SPIKE LR d’une portée de 4 km, il est également mieux protégé avec un blindage composite et des systèmes de protection passifs et actifs, tout en transportant, comme son prédécesseur, 6 soldats en arme. Le blindé bénéficie en outre d’une vétronique de nouvelle génération, ainsi que de systèmes de communication et de commandement avancés, tout en conservant un rapport puissance-poids de 19 cv par tonne pour une grande mobilité. Il est en outre aerotransportable par avion A400M.

Fiable, bien protégé et puissamment armé, le Marder était incontestablement l’un des meilleurs VCI lorsqu’il entra en service au sein de la Bundeswehr au début des années 70.

Sur le papier, donc, le Puma, commandé à 350 exemplaires pour un prix unitaire record de 17 millions d’euro, représente le parfait successeur du Marder pour la Bundeswehr. Malheureusement, depuis son entrée en service en 2015, le blindé a surtout fait la démonstration, à plusieurs reprises, de son manque de fiabilité. Raisons pour lesquels il ne fut effectivement admis au service actif qu’en 2021, et qu’il se vit attribuer le bien peu flatteur sobriquet de Pannenpanzer, le Panzer de la panne. Et les conclusions d’un récent exercice mené par 18 Puma de la Bundeswehr est sans appel alors que, pour le major-général Ruprecht von Butler, commandant la 10ème division blindée allemande, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un « échec total ».

Le fait est, après quelques jours d’exercices seulement, seuls 2 des 18 blindés engagés étaient encore en service pour participer à l’exercice de tir, qu’ils ne purent mener ni l’un ni l’autre en raison de défaillances électroniques et électriques. Pour le commandant de la 10eme Panzer, il n’est donc pas question que le Puma puisse armer, comme cela était prévu jusqu’ici, la force de réaction rapide de l’OTAN en Avril 2023, obligeant la division allemande à s’appuyer sur ses Marder encore en service, et datant, rappelons le, de 1975 pour les plus récents, pour assurer ce rôle. Selon l’officier général allemand, les défauts apparus lors de l’exercice n’étaient pas inconnus, mais il ne s’étaient jamais révélés avec une telle intensité et à une telle fréquence, probablement du fait que le blindé n’avait principalement été testé jusqu’ici que dans des environnements peu contraignants, dans le grandes plaines du nord de l’Allemagne.

Le KF-41 Lynx de Rheinmetall entend s’emparer du marché libéré par les contre-performances du Puma

Une chose est certaine, au delà des contraintes opérationnelles sur la Bundeswehr qui ne semble pas prête de pouvoir devenir le pivot de la défense européenne comme le souhaite Olaf Scholz, les déboires du Puma altère, sur la scène internationale, l’image de qualité dont est parée l’industrie de l’armement allemande, en particulier dans le domaine des véhicules blindés suite à l’immense succès du Leopard et surtout du Leopard 2. Ainsi, le Puma n’a pour l’heure jamais été retenu lors de compétition d’exportation, souvent battu par des modèles moins onéreux, plus rustiques mais aussi beaucoup plus fiables comme le CV90 ou l’AS21. C’est également sur les déboires du programme Puma que Rheinmetall a pu bâtir son offre autour du KF-31/41 Lynx, retenu par la Hongrie et en compétition en Australie et aux Etats-Unis, notamment face à l’AS21 Redback sud-coréen. Rappelons toutefois qu’en dépit de l’image que tente de construire Rheinmetall autour de son Lynx, celui-ci n’est pas non plus exempt de défauts, comme une tourelle manquant de précision et un tarif relativement élevé, ce qui lui valut d’être éliminé au profit du CV90 Mk IV par la Slovaquie.

On ne peut qu’espérer que les enseignements liés au programme Puma, mais également au programme Lynx, seront pris en compte par le programme MGCS franco-allemand visant à concevoir le futur remplaçant du char Leclerc et du char Leopard 2. De toute évidence, la débauche de technologies ne fait guère bon ménage avec les conditions rustiques et difficiles dans lesquels sont appelés à évoluer les véhicules blindés, au point de constituer non pas un couteux avantage, mais un handicape opérationnel sévère dès lors que les blindés sont employés dans de rudes conditions. Il est d’ailleurs probable que ces mêmes contraintes ont été au coeur de l’important retard pris par le programme de char de combat de nouvelle génération russe T-14 Armata, mais également ceux des véhicules de combat d’infanterie T-15, Kurganet 25 et Boomerang, tous désormais à l’arrêt au profit de solutions technologiques plus rustiques comme les évolutions des T-72, T-80 et T-90, ainsi que des VCI BMP-2, cela même avant l’offensive contre l’Ukraine.

Le BMP-2, ici en version BMP-2M, est moins évolué que le Puma, mais il est également considérablement moins cher.

Au delà des contraintes sur la fiabilité et l’autonomie de combat, se pose également l’épineuse question du prix, un Puma coutant, dans sa configuration S1, le prix d’un char de combat Leopard 2A7+, mais également celui de 8 véhicules de combat d’infanterie BMP-2 russes, certes moins performants car conçu dans les années 80, mais tout de même armés d’un canon de 30mm, d’une mitrailleuse 7,62mm et d’un lance-missile Konkurs, et transportant 7 soldats d’infanterie. Il apparait évident qu’au delà d’un certain point, la plus value technologique escomptée ne compense plus du tout l’impact sur le tarif, donc sur le nombre de véhicules disponibles, ceci influençant non seulement la puissance de feu ou le nombre et la mobilité des troupes d’infanterie disponibles, mais également la résilience à l’attrition, un facteur que l’on sait déterminant en cas de guerre de haute intensité.

Quelle alternative en France pour le Porte-avions de Nouvelle Génération ?

Depuis plusieurs jours, un bruit de fond se fait de plus en plus audible dans l’ecosphére défense française : face aux contraintes budgétaires encadrant la prochaine Loi de Programmation Militaire en cours de préparation, le programme de Porte-Avions de Nouvelle Génération, ou PANG, qui fut pourtant la star incontestée du salon Euronaval 2022 il y a quelques semaines, serait menacé. Même avec une hausse budgétaire sensible, avec 100 Md€ de plus entre 2024 et 2030 vis-à-vis de la période 2018-2025, autour de 400 Md€ soit 57 Md€ par an en moyenne, les ressources disponibles ne seraient en effet pas suffisantes pour financer l’extension des forces avec notamment le recrutement de 40 à 60.000 réservistes supplémentaires, le financement des programmes en cours (SNA Suffren, FDI, Rafale F4/F5, Hélicoptères H160M Guépard, programme SCORPION, CAESAR NG etc..), et le développement de nouveaux programmes, comme le remplaçant SNLE 3G des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe le Triomphant, l’avion de combat SCAF développé conjointement avec l’Allemagne et l’Espagne, ou encore le programme de char de combat de nouvelle génération franco-allemand MGCS.

Avec un cout de développement qui atteindrait voir dépasserait désormais le 8 Md€, qui serait au moins pour moitié consommé sur la LPM à venir, le financement du PANG tel qu’envisagé aujourd’hui obligerait à des arbitrages difficiles concernant d’autres programmes majeurs, et le ministre des Armées, Sebastien Lecornu, a laissé entendre qu’une réflexion était désormais menée non seulement pour évaluer un éventuel report du programme, mais également de l’annuler purement et simplement, pour être, ou pas, remplacé par une solution alternative. Dans cet article, nous étudierons les 4 alternatives possibles : le renoncement au porte-avions pour la Marine nationale, le report du programme, la conception d’un porte-avions nucléaire moins imposant ou d’un ou plusieurs porte-avions légers hybrides.

Renoncer à la puissance du porte-avions serait une erreur historique

A chaque fois que l’hypothèse de la construction d’un porte-avions est abordée en France, il existe des voix pour mettre en doute l’efficacité de ce type de navire. Pour ses détracteurs, le porte-avions serait aujourd’hui un outil obsolète, trop cher pour son efficacité effective, privant d’autres forces de moyens supplémentaires capables, eux aussi, de frapper à longue distance. Il serait surtout désormais trop vulnérable pour évoluer dans un contexte de guerre moderne. Si certains de ces arguments peuvent être entendus, en particulier concernant la privation de crédits pour d’autres besoins, les arguments avancés concernant le manque d’efficacité ou la supposée vulnérabilité du porte-avions n’ont pas plus de poids, aujourd’hui, qu’ils n’en avaient à chaque fois qu’ils furent avancés par le passé : dans les années 50 suite à l’arrivée de l’arme nucléaire, la guerre de Corée puis du Vietnam montrèrent à quel point ce type de navire était critique; dans les années 70 et 80 avec l’arrivée des bombardiers soviétiques à long rayon d’action armés de missiles anti-navires très performants, contre lesquels le couple F-14 Tomcat / missile air-air AIM-54A Phoenix et le système anti-aérien AEGIS furent développés, et dans l’actualité récente, alors que les Etats-Unis reviennent à une flotte de 11 porte-avions lourds et développent le concept de Lightning Carrier, que la Chine déploie d’immenses efforts pour se doter rapidement d’une flotte de porte-avions lourds, et que plusieurs pays, comme l’Italie, le Japon, l’Inde ou la Corée du Sud, produisent eux-aussi d’importants efforts pour s’en doter.

Le PANG fut la star incontestée du salon Euronaval 2022. Ici, l’Amiral Vandier présente le navire au Ministère des Armées Sebastien Lecornu et au DGA Emmanuel Chiva

Pour paraphraser le Chef d’Etat-Major de la Marine nationale face aux députés français, si le porte-avions était dépassé, trop vulnérable ou inefficace, la majorité des grandes marines mondiales ne produiraient pas de tels efforts pour s’en doter ou pour renforcer leurs flottes. Dans ce domaine, la France fait office d’exception mondiale, étant le seul pays, en dehors des Etats-Unis, a être doté d’un porte-avions à propulsion nucléaire et équipé de catapultes, un avantage considérable du point de vue opérationnel vis-à-vis des porte-aéronefs qui en sont dépourvus, notamment en permettant aux chasseurs de prendre l’air avec un armement et une quantité de carburant maximale, mais également en permettant à certains appareils, comme l’avion de veille aérienne avancée E-2 Hawkeye, d’accompagner le groupe aérien embarqué. Au delà des moyens eux-mêmes, la Marine Nationale dispose des compétences héritées de dizaines d’années d’effort et d’utilisation opérationnelle, pour mettre en oeuvre cet outil. L’en priver, même temporairement, engendrerait une perte de compétence qui prendrait de nombreuses années à récupérer, comme ce fut le cas pour le britannique.

C’est précisément ces compétences, et cet outil, qui aujourd’hui constitue l’une des plus importantes valeur ajoutée des armées françaises, en particulier en Europe et au sein de l’OTAN, et qui, au même titre que ses sous-marins à propulsion nucléaire, et ses composantes sous-marines, aériennes et aéronavales de dissuasion, constituent la légitimité internationale du pays, notamment concernant son siège de membre permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unis. En d’autres termes, renoncer à la composante chasse embarquée de l’aéronavale française, serait un renoncement stratégique aux conséquences très importantes sur la scène internationale, mais également sur l’attractivité de la France comme partenaire de Défense et comme fournisseur d’équipement militaire.

Report du PANG et extension du Charles de Gaulle

Au delà d’un renoncement inenvisageable au porte-avions français, l’alternative la plus simple, de prime abord, ne serait autre que le décalage du programme de quelques années, de sorte en particulier à ce que les investissements requis pour reconstruire les Armées françaises pour répondre au défi de la haute intensité, ne soient pas contraints par le développement du navire. Une telle hypothèse n’est toutefois pas dénuée de risques, et même de risques élevées. En premier lieu, pour y parvenir, il serait indispensable de prolonger la vie opérationnelle du Charles de Gaulle de quelques années. Lancé en 1994 et admis au service en 2001, le navire n’aura en effet « que » 37 ans de service en 2038, alors que, par exemple, le porte-avions à propulsion nucléaire Nimitz, premier navire de la classe éponyme, est toujours en service après 48 ans de service, et que l’USS Enterprise, premier porte-avions nucléaire américain, est resté en service 51 ans, et servit en tant que porte-avions de réserve encore 6 ans après cela.

La France est aujourd’hui le seul pays, en dehors des Etats-Unis, à mettre en oeuvre un porte-avions à propulsion nucléaire et doté de catapultes, une capacité enviée de nombreux pays.

Pour autant, à ce jour, les ingénieurs de Naval Group, de la DGA et de Framatome, sont dans l’incapacité de déterminer si le Charles de Gaulle pourrait voir sa vie opérationnelle étendue. En effet, cette extension de service est contrainte par l’état d’usure du réacteur et de la cuve de confinement, et ne pourra être confirmée, ou infirmée, de manière définitive, qu’au début de la prochaine de décennie. On comprend dès lors que cette solution ferait courir un risque bien réel pour le maintien des compétences opérationnelles de l’aéronavale française, car il serait très difficile, pour ne pas dire impossible, de concevoir et construire un successeur au Charles de Gaulle capable de prendre le service en 2038 à compter de 2030, si l’extension de vie venait à ne pouvoir s’effectuer. En outre, et c’est loin d’être anecdotique, l’historique récente des programmes industriels de défense montre qu’une majorité de programmes ayant été « reportés », a fini, quelques années plus tard, par être tout simplement annulée. De fait, le report de la conception et construction du successeur du Charles de Gaulle, en tablant sur l’extension de vie du navire, représenterait un risque inacceptable pour cette capacité, et ne peut être envisagée, tout de moins de cette manière.

Peut-on réduire les dimensions du PANG pour le rendre plus économique ?

Une autre alternative pourrait être de concevoir et construire un porte-avions moins ambitieux, et donc moins lourd, pour en réduire les couts. Après tout, les deux porte-avions britanniques de la classe Queen Elizabeth n’auront couté, conception et construction comprises, que 7,8 Md£, soit le prix d’un unique PANG. Cette solution peut sembler séduisante, si ce n’est qu’elle serait très difficile à mettre en oeuvre. En effet, les dimensions du projet actuel, soit une longueur de 305 mètres (PAN Charles de Gaulle 262 mètres) et un déplacement de 75.000 tonnes (contre 45.000 tonnes pour le Charles de Gaulle), ne sont pas la conséquence d’une folie des grandeurs de l’amirauté française ou de Naval Group. Le navire est conçu pour mettre en oeuvre la version navale du Next génération Fighter, l’avion de combat du programme SCAF, et celui-ci sera beaucoup plus imposant, et lourd, que ne l’est aujourd’hui le Rafale M. De fait, pour accueillir et mettre en oeuvre 30 appareils, comme c’est le cas aujourd’hui du Charles de Gaulle en capacité maximale, le PANG se doit d’être beaucoup plus imposant que son prédécesseur.

Les nouveaux porte-avions britanniques de 65.000 tonnes HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales n’auront couté que 7,8 Md£ aux contribuables outre-manche

D’autre part, le NGF étant beaucoup plus lourd que le Rafale M, probablement au delà de 30 tonnes contre 24 tonnes, il devra employer une catapulte plus puissante, et plus longue, pour prendre l’air. C’est le rôle des catapultes électromagnétiques de 90 mètres dont la France négocie l’acquisition auprès des Etats-Unis, et qui couteront, à elles seules, 25 % du prix du navire. De fait, les 42 mètres de plus du PANG vis-à-vis du Charles de Gaulle, résultent en grande partie du passage de catapultes de 60 mètres à des catapultes de 90 mètres, alors que l’espace du hangar est lui conditionné par l’empreinte au sol supérieure du NGF. En d’autres termes, il serait très difficile de tenter de concevoir un porte-avions destiné à mettre en oeuvre le NGF, sur des dimensions plus réduites que celles envisagées aujourd’hui. Qui plus est, l’économie alors réalisée serait minimale, alors qu’il sera toujours nécessaire d’embarquer les mêmes systèmes de commandement, de défense et de maintenance aéronautique, et surtout que le nombre et la longueur des catapultes ne peuvent être réduits.

Vers un porte-avions léger hybride ?

Force est de constater que, jusqu’à présent, les alternatives envisagées sont loin d’être concluantes, et qu’aucune solution triviale ne semble pertinente ou applicable. Ceci explique très probablement le dilemme auquel font face les planificateurs du Ministère des Armées aujourd’hui. La solution pourrait venir d’un changement d’approche de la problématique Chasse Embarquée, comme le firent les britanniques au début des années 70 avec les porte-avions légers de la classe Invincible. Mais une telle alternative nécessiterait un renoncement initial, à savoir d’embarquer le futur avion de combat du programme SCAF à bord du ou des futurs porte-avions français. En effet, comme évoqué précédemment, les principales contraintes liées à la conception d’un successeur au Charles de Gaulle, sont liées aux caractéristiques du NGF, lui même contraint par les besoins exprimés par l’Allemagne pour concevoir un chasseur plus lourd que le Typhoon. Dans le même temps, de l’avis même de Dassault Aviation, le Rafale, et par voie de conséquence sa version Marine, continuera d’être en service jusqu’en 2070, et ce de manière efficace, soit sur l’immense majorité de la vie opérationnelle du navire.

Le Rafale M restera opérationnel et efficace jusqu’en 2070 selon Dassault, notamment grâce aux standards de modernisation successifs.

Or, dès lors que la contrainte du NGF est levée, de nombreuses solutions économiques apparaissent, comme la conception d’un porte-avions léger hybride, c’est à dire employant simultanément les capacités du Rafale M à employer un SkiJump à haute charge, comme démontré en Inde lors des essais de Goa, et une unique catapulte pour déployer les aéronefs ne pouvant exploiter le Skijump, comme l’E2D Hawkeye, voire d’éventuels drones lourds. Un tel navire, qui pourrait dés lors se satisfaire d’une catapulte de 60 mètres plus économique, pourrait conserver les dimensions globales du Charles du Gaulle, et une propulsion nucléaire comparable plus économique que celle nécessaire pour le PANG, produisant au final un navire qui pourrait s’avérer sensiblement moins cher que le projet actuel. Le report, dans une telle approche, concernerait la conception d’un véritable remplaçant au Rafale, à savoir un chasseur moyen de 24 tonnes max, adapté à l’utilisation de Skijump, et sensiblement moins cher que ne le sera le NGF, qui plus est en exploitant les technologies développées pour ce programme.

La mise en oeuvre d’un avion de veille aérienne avancée E-2C hawkeye requiert un porte-avions doté de catapultes.

Un tel navire aurait un autre atout à faire valoir. Si sa conception astucieuse permettait de proposer un navire sous la barre des 4 md€, soit le prix des HMS Queen Elizabeth, la France disposerait d’une offre particulièrement attractive sur la scène internationale pour les pays souhaitant se doter d’une composante de chasse embarquée performante, d’autant que l’ensemble des composants, y compris le chasseur embarqué Rafale M dans ses versions F4 ou ultérieures, seraient également produits donc arbitrés par Paris. En d’autres termes, alors que le PANG dans sa forme actuel n’aurait presque aucune chance d’être exporté, un Porte-avions léger de nouvelle génération, qu’il soit à propulsion nucléaire ou à propulsion électrique intégrée, répondrait à d’évidents besoins sur la scène internationale, y compris, peut-être, lors de sa phase de conception, de sorte à réduire le poids budgétaire du développement sur la LPM. Enfin, une telle approche offrirait des perspectives de planification considérablement simplifiées, puisqu’au delà des couts de conception eux-mêmes, la construction du navire serait bien moins onéreuse sur la LPM, alors que la construction d’un sister ship, là encore bien moins onéreux que ne peut l’être le PANG, pourrait aisément être envisagée par la suite au delà de la LPM, conférant à l’aéronautique navale la permanence opérationnelle qu’elle a perdu depuis le retrait du Clemenceau en 1997.

Conclusion

De toute évidence, en dehors d’une décision politique ferme privilégiant la conception et la construction du PANG au détriment d’autres capacités, la Marine nationale et le Ministère des Armées font face à un choix difficile : Ils peuvent avoir un maintient efficace de la composante chasse embarquée, ou ils peuvent avoir une version navale du NGF du programme SCAF. En revanche, il semble bien qu’il sera difficile d’avoir les deux. Pour autant, ce choix n’est cornélien qu’en apparence. En effet, exclure la composante embarquée du SCAF ne constitue pas nécessairement un renoncement capacitaire pour la France, qui plus est si ce renoncement s’accompagne d’une flotte de porte-avions à deux navires plutôt qu’un. En outre, il est probable que l’abandon de cette exigence par la France serait plus que bienvenue à Berlin et Madrid, pour qui elle constituait l’un des principaux sujets de tension avec Paris au sujet du SCAF. Enfin, en se tournant vers une solution de porte-avions hybride, la France se positionnerait sur un marché émergent prometteur, tout en créant un cadre permettant, à partir de 2040, de concevoir un nouvel avion de combat plus léger et plus économique que le SCAF, qui se positionnerait comme le véritable successeur du Rafale vis-à-vis de nombreux pays pour qui le remplacement des F-16, Rafale et Typhoon et même F-35 s’avérera un casse tête budgétaire sans solution.

Ce sont les dimensions et la masse du NGF du programme SCAF qui imposent les dimensions actuelles du PANG, et donc qui influencent son prix.

Comme abordé dans un précédent article, la France a tout intérêt, aujourd’hui, à revenir aux paradigmes qui étaient les siens dans les années 60, 70 et 80, en privilégiant la conception d’équipements plus légers et plus économiques que ceux proposés par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, de sorte à répondre à des besoins de plus en plus négligés par les programmes en cours des deux cotés de l’Atlantique, ainsi qu’aux problématiques de masse des armées françaises. Reste à voir si les dirigeants et décideurs français sauront se défaire des schémas actuels, pour revenir à des approches plus audacieuses qui firent le succès des armées et équipements français pendant de nombreuses années.

Après les Su-35s, l’Iran s’intéresserait aux navires de combat russes

Les informations au sujet d’un accord de défense étendu entre Téhéran et Moscou ne cessent d’apparaitre ces derniers jours, en particulier pour ce qui concerne l’acquisition de pas moins de 20.000 drones et missiles balistiques de conception iranienne par la Russie afin de renforcer les capacités de frappe contre l’Ukraine et ses infrastructures. Dans le même temps, Téhéran aurait obtenu de son désormais partenaire et allié, des accords concernant l’acquisition de matériels militaires très évolués, comme les 24 Su-35s initialement construits pour l’Egypte, mais jamais livrés. L’isolement croissant des deux pays sur l’échiquier mondial constitue en effet un cadre particulièrement propice pour un rapprochement entre ces deux puissances régionales, par ailleurs toutes deux soumises à de sévères sanctions occidentales et internationales.

Cette coopération pourrait bien largement excéder le cadre de l’acquisition d’un escadron d’avion de chasse moderne Su-35s. En effet, selon plusieurs sources israéliennes concordantes citées par le site Breaking Defense, il semblerait que Téhéran se soit rapproché de Moscou afin d’acquérir de nouveaux navires de combat, la construction navale russe ayant fait d’immenses progrès qualitatifs et productifs ces dernières années. Selon le site américain, il serait question, pour l’Iran, de commander des navires militaires de modèles indéterminés qui seraient construits directement par les chantiers navals russes, et non au travers d’un transfert de technologies, navires qui emporteraient, en revanche, des missiles et des drones iraniens, tout du moins pour les domaines pour lesquels l’offre iranienne est performante.

L’arrivée de Su-35s au sein des forces aériennes iraniennes offrirait à Téhéran de nouvelles capacités opérationnelles décisives, comme la possibilité de détruire à longue distance d’éventuels avions ravitailleurs et de soutien, ou celle d’atteindre l’espace aérien israélien pour délivrer une munition que des missiles balistiques ne pourraient transporter…

La livraison potentielle de navires militaires russes à l’Iran, que ce soit à la Marine iranienne ou aux forces navales des gardiens de la Révolution, pourrait considérablement faire évoluer le rapport de force qui détermine le statu quo dans le Golfe Persique et dans le Golfe d’Oman. Aujourd’hui, la Marine iranienne n’aligne en effet que 7 frégates légères et 3 corvettes, ainsi que 3 sous-marins de type Kilo généralement considérés comme incapables de mener des opérations militaires. L’essentiel de ses capacités offensives navales repose sur une flotte de vedettes légères lance-missiles et de patrouilleurs rapides capables de mettre en oeuvre des drones aériens et navals mais dénués de capacités hauturières, ainsi que sur de nombreuses batteries de défense côtière équipées de missiles Kowsar, Nasr-1, Noor ou autres, couvrant une large bande jusqu’à 150 km des côtes.

De fait, l’offre navale russe serait en mesure de répondre à de nombreux besoins de la Marine iranienne, avec notamment les frégates Admiral Grigorovich et frégates légères Gepard dédiées à l’export, les corvettes 20380 Steregushchiy, les corvettes légères 22800 Karakurt ou les patrouilleurs 22160 Vasily Bykov, chaque navire pouvant répondre à des besoins opérationnels importants, en particulier dans le Golfe Persique. Mais la plus grande menace serait indiscutablement, pour les voisins de Téhéran, que la Marine iranienne parvienne à acquérir de nouveaux sous-marins russes, qu’ils soient neufs ou d’occasion, en particulier les sous-marins à propulsion conventionnelle du projet 636.3 désignés par l’OTAN comme Improved Kilo, déjà en service dans les flottes du Pacifique et de la Mer Noire. Ces navires sont en effet réputés performants, discrets et très bien armés notamment, en version export, avec des missiles anti-navires à changement de milieux 3M-54E Club-S et des missiles de croisière 3M-14E, tous deux de la famille Kalibr, des torpilles lourdes anti-navires et anti-sous-marines, des mines sous-marines ainsi que des missiles anti-aériens d’autodéfense de la famille Igla.

les sous-marins 636 Improved Kilo peuvent mettre en oeuvre des missiles de croisière à changement de milieux Club-S (Kalibr) lancés en plongée à partir des tubes lance-torpilles.

Or, à ce jour, aucune des marines bordant le Golfe Persique ne dispose de sous-marins d’attaque opérationnels, et les capacités de lutte anti-sous-marine des frégates et corvettes saoudiennes, qatari ou émirati ont souvent été sous-dimensionnées face aux capacités anti-aériennes et anti-navires, en l’absence de menace sous-marine régionale effective. En d’autres termes, pour peu que Téhéran parvienne à acquérir des sous-marins conventionnels russes, le rapport de force naval dans le Golfe persique pourrait s’en trouver boulversé au point d’ouvrir de sérieuses opportunités pour Téhéran afin d’entreprendre des actions militaires contre certains de ses voisins, ou contre leurs capacités navales, qu’elles soient militaires ou civiles, avec en perspective une menace critique sur la source d’approvisionnement désormais critique en hydrocarbures pour l’Europe. Et si, plutôt que des sous-marins neufs, Moscou vendait des sous-marins d’occasion prélevés sur ses flottes, y compris des modèles plus anciens comme les 877 Kilo, il serait alors très difficiles pour les riverains du Golfe Persique, de répondre dans les temps à un tel bouleversement des capacités militaires iraniennes.

C’est précisément cet aspect qui rend l’ensemble du rapprochement militaire entre Téhéran et Moscou des plus problématiques. En effet, au delà du partenariat voire de l’alliance militaire elle-même entre les deux pays, offrir de nouvelles capacités militaires aux armées iraniennes représente désormais un intérêt majeur pour la Russie, en particulier dans son bras de fer de plus en plus tendu avec les Etats-Unis et l’Europe autour de l’agression de l’Ukraine. Ainsi, la fermeture du détroit d’Ormuz réduirait de plus de 30% les exportations mondiales d’hydrocarbures, alors même que l’Europe s’est déjà engagée dans une diminution rapide et drastique de sa dépendance au gaz et pétrole russes qui représentaient, en 2021, 25% de sa consommation de pétrole et 45% de sa consommation de gaz naturel et de charbon. Dès lors, donner à l’Iran des capacités militaires étendues, au travers de nouveaux avions de chasse comme le Su-35s, de nouvelles frégates et corvettes, et potentiellement de nouveaux sous-marins, pourrait conduire à une crise majeure régionale, soit du fait de l’intervention d’Israel face au renforcement aérien iranien, soit à l’initiative de Téhéran dans le Golfe Persique.

A l’instar de la majorité des unités de surface majeures apprêtant aux flottes des pays du Golfe Persique, les corvettes de la classe Doha sont dépourvues de capacités de lutte anti-sous-marine.

Dans une telle hypothèse, l’Europe serait énergiquement sans solution alternative pour palier la défaillance conjointe de la Russie et du Moyen-Orient pour alimenter son économie, entrainant de fait soit une intervention militaire occidentale contre l’Iran, mobilisant de très importants moyens qui ne pourraient plus, alors, être employés au soutien de l’Ukraine, soit l’abandon par les Européens de l’Ukraine pour renouer avec les hydrocarbures russes, et dans les deux cas, des conséquences de prime abord dès plus positives pour le Kremlin afin de venir à bout de la résistance ukrainienne et ainsi, peut-être, préserver son régime. Dans tous les cas, le rapprochement militaire entre les deux pays, engagé depuis quelques mois, est potentiellement porteur de déstabilisations majeures bien au delà du conflit ukrainien. Il convient donc de surveiller avec grande attention ces négociations, et probablement d’en anticiper les conséquences, peut-être en renforçant immédiatement les accords de défense avec les pays potentiellement directement menacés comme, pour la France, les Emirats Arabes Unis, l’Irak et l’Arabie Saoudite.

Le parlement japonais valide la nouvelle Stratégie Nationale de Sécurité visant un effort de 2% du PIB en 2027

A l’instar de la Loi de Programmation Militaire en France, La Stratégie nationale de sécurité nippone encadre l’effort de défense du pays sur une échelle pluriannuelle de 5 ans. Et comme pour la LPM, le document recouvre à la fois les aspects budgétaires, capacitaires, technologiques et même doctrinaux qui seront mis en oeuvre sur le quinquennat à venir. Traditionnellement, cet exercice, par ailleurs fortement contraint par la constitution nippone et en particulier son article 9 qui limite les prérogatives des forces d’autodéfense japonaises et lui interdit toute autre action que défensive, ne faisait pas l’objet d’âpres discussions au parlement, même si, sous la conduite de Shinzo Abe, certaines digressions furent consenties à la posture défensive traditionnelle nippone, comme par exemple la transformation des deux destroyers porte-hélicoptères de la classe Izumo en porte-aéronefs armés de chasseurs F-35B, une première pour la flotte nippone depuis la capitulation du 2 septembre 1945.

La nouvelle Stratégie Nationale de Sécurité, ou SNS, qui couvre la période 2023 à 2027, a été autrement plus débattue par la classe politique nippone, et par les parlementaires en particulier. En effet, répondant à l’ambition affichée par le premier ministre Fumio Kishida depuis son élection il y a un an, celle-ci constitue, en plusieurs aspects, une révolution capacitaire et doctrinale pour la défense nippone. Ainsi, elle prévoit des moyens largement accrus pour les forces nippones, avec un budget global sur 5 ans de 43.000 Milliards de Yens, soit 315 Md€, une dépense annuelle moyenne de 63 Md€ par an. Mais, comme ce fut le cas pour le budget des armées françaises lors de la LPM en cours, cette hausse ne sera immédiate mais croissante sur l’ensemble de la période, de sorte à atteindre, en 2027, un effort de défense annuel de 2% du PIB du pays, soit 100 Md€ par an, plaçant Tokyo au pied du podium mondial après les Etats-Unis (853 Md$ en 2023), la Chine (245 Md$ en 2023) et la Russie (125 Md$ en 2023).

Ls deux destroyers porte-hélicoptères de la classe Izumo sont en cours de transformation pour devenir des porte-aéronefs légers capables de mettre en oeuvre l’avion de combat F-35B Lighting II à décollage et atterrissage vertical ou court

Du point de vue doctrinal, la SNS 2023-2027 est en profonde rupture avec la posture traditionnelle de Tokyo dans ce domaine. En premier lieu, celle-ci autorise, pour la première fois, les forces d’autodéfense nippones (FADN) à disposer et employer des capacités de riposte capables de frapper le territoire d’un éventuel agresseur, dans le but annoncé, mais contestable, d’accroitre le caractère dissuasif des FADN. De sorte à respecter le cadre de l’article 9 de la constitution, l’usage de cette capacité de frappe de riposte a été strictement encadrée dans le texte, les forces d’autodéfense ne pouvant riposter que contre des cibles militaires, ayant ou allant frapper le territoire nippon, et ce de manière strictement proportionnée à la réalité de la menace ainsi qu’aux besoins opérationnels. En outre, le recours au principe de frappes préventives, comme c’est le cas par exemple de la Corée du Sud avec la doctrine 3 Axes, est strictement proscrit.

En second lieu, la SNS étend considérablement le cadre des coopérations et des engagements coopératifs avec les alliés de Tokyo, en particulier avec les Etats-Unis, même lorsque la finalité opérationnelle de l’allié est offensive, et non strictement défensive du point de vue du territoire japonais. Cette évolution subtile permet donc aux forces d’autodéfense nippones de collaborer avec les forces américaines et alliées, y compris pour prévenir ou contrer une tentative d’invasion de Taïwan par exemple, sans pour autant pouvoir participer aux frappes offensives elles-mêmes. A ce titre, la République Populaire de Chine est identifié dans le document, non pas comme une menace tel que le souhaitait Fumio Kishida initialement, mais comme « le plus grand défi stratégique » du Japon, alors que la Corée du Nord est considérée comme « plus menaçante que jamais », et que la Russie induit  » de sérieuses interrogations sécuritaires ». Enfin, la question des exportations d’équipements de défense est également bousculée par la nouvelle Stratégie Nationale de Sécurité, celle-ci prévoyant de les developper ainsi que les coopérations industrielles et technologiques de défense, tout en définissant un cadre stricte pour border ces deux aspects particulièrement sensibles tant pour la classe politique que pour l’opinion publique nippone.

Le Japon a signé avec la Grande-Bretagne et l’Italie la fusion des programmes Tempest et F-X pour developper un avion et un système de combat de nouvelle génération

On notera que si la SNS constitue une évolution radicale pour la législation nippone, les autorités du pays avaient largement anticipé sa publication, que ce soit en annonçant le développement d’une nouvelle version du missile anti-navire Type 12 à la portée étendue au delà de 1000 km, l’acquisition de missiles de croisière Tomahawk y compris dans la version à changement de milieux, en signant la fusion des programmes d’avions de combat F-X nippon et FCAS italo-britannique ou en ouvrant la voie, il y a quelques jours, à un rapprochement avec l’alliance AUKUS. En outre, il apparait que l’objectif d’un effort de défense à 2% du PIB en 2027, soit 100 Md$, et un investissement annuel moyen de « seulement » 63 Md$ par an sur la période, indique que l’augmentation de l’effort de défense ne sera pas linéaire mais géométrique, et que les principales hausses interviendront en 2026 et 2027. Le contenu de la SNS dévoilée cette semaine ne fait donc qu’adapter le cadre législatif japonais à l’ensemble des annonces faites précédemment par le gouvernement à ce sujet.

Reste qu’au delà de ces aspects législatifs et des objectifs capacitaires et budgétaires définis par la Stratégie Nationale de Sécurité 2023-2027, il sera difficile, pour les autorités japonaises, de s’y conformer sur une échelle de temps aussi limitée. Comme nous l’avions déjà abordé, la hausse de l’effort de défense à 2% du PIB est notamment remise en question non seulement par l’opposition parlementaire, mais également par certains des alliés du Premier Ministre, en refusant des hausses de taxes d’une part, et en mettant en doute que les économies budgétaires annoncées soient suffisantes pour dégager presque 1% de PIB en 5 ans seulement à cette fin. D’autre part, le format des forces d’autodéfense est sévèrement contrait par la démographie du pays qui, avec un âge médian venant flirter avec les 50 ans, ne dispose pas, à proprement parler, d’importantes ressources humaines dans ce domaine, d’autant que dans le même temps, le vieillissement de la population accroit la pression économique sur les jeunes générations pour préserver le modèle social nippon.

La flotte chinoise croit à un rythme très soutenu. Aujourd’hui, pas moins de 7 destroyers Type 052DL et au moins 3 frégates Type 054A/B sont à différents stades de finition dans les deux principaux chantiers navals chinois.

Pour répondre à ces défis d’une grande difficulté, Fumio Kishida et le Parti Libéral Démocrate (PLD) peuvent toutefois s’appuyer sur deux atouts importants, une majorité absolue du PLD au parlement nippon avec 260 sièges, auxquels s’ajoutent les 32 députés du parti conservateur Komeito alliés du PLD, sur 465, et sur un calendrier électoral favorable, les prochaines élections générales n’ayant lieu que le 30 octobre 2025 ( d’ou l’augmentation majorée de l’effort de défense en 2026 et 2027). Ils auront toutefois fort à faire pour respecter la trajectoire annoncée, d’autant que dans le même temps, Pékin comme Pyongyang vont poursuivre leurs efforts pour renforcer leurs moyens militaires respectifs, et donc pour faire peser une menace croissante du Tokyo, dans l’espoir, certes très improbable, d’amener le Japon à se désolidariser des Etats-Unis, en particulier autour du cas taïwanais.

Patriot, Leopard 2, Leclerc.. : Pourquoi les occidentaux doivent-ils monter en gamme au sujet des armes livrées à l’Ukraine ?

Depuis que l’offensive russe contre l’Ukraine a débuté, le 24 février, un bras de fer tendu a opposé les soutiens les plus actifs de Kyiv, comme la Pologne, les pays Baltes ou la République Tchèque, aux plus circonspects, comme l’Allemagne, l’Italie ou la France, pour ce qui concerne le type de matériels qui pouvaient être envoyé par l’Occident aux armées ukrainiennes. Dans ce domaine, et quel que put être les positions de chacun, ce furent les Etats-Unis, et eux seuls, qui donnèrent le La concernant la nature des équipements pouvant être effectivement envoyés par les membres de l’OTAN, pour faire face aux armées russes. Il s’agissait initialement, pour Washington, de contrôler autant que possible une extension du conflit, ce qui provoqua, à plusieurs reprises, des frictions entre certains membres de l’alliance, comme lorsque Varsovie proposa d’envoyer ses Mig-29 sur une base américaine, pour qu’ils puissent être envoyés par la suite en Ukraine, ce que Washington refusa tout net.

La stratégie établie par les Etats-Unis et l’OTAN ne manquait pas de pertinence. Afin de limiter les risques de voir le conflit déborder des frontières ukrainiennes, mais surtout de faciliter le soutien et la formation des militaires ukrainiens, il fut décidé, au delà des équipements légers et pourtant forts efficaces comme les missiles antichars Javelin ou les missiles anti-aériens Stinger et Grom, de permettre aux pays ayant appartenu au Pacte de Varsovie de transférer leurs équipements lourds, comme les chars T-72, les véhicules de combat d’infanterie BMP-1 et 2, les canons automoteurs 2S3 ou les systèmes anti-aériens S-300, Buk et Tor, des équipements déjà en service au sein des armées ukrainiennes, et donc aisément pris en mains par les combattants. En outres, ces pays pouvaient transférer d’importants stocks de munitions pour ces équipements, d’autant que les Etats-Unis, mais également l’Allemagne et d’autres membres de l’OTAN, compensaient en parti ces transferts de matériels lourds comme de munitions par des équipements occidentaux, comme le char Leopard 2 ou le véhicules de combat d’infanterie Marder.

L’arrivée au printemps de systèmes d’artillerie modernes au sein des armées ukrainiennes, comme le Caesar, ou l’HiMARS, influença sensiblement l’évolution du rapport de force sur le terrain

Après quelques mois de guerre, face à la raréfaction des systèmes d’artillerie d’ex-union soviétique au sein de l’OTAN, Washington autorisa l’envoi de nouveaux systèmes, de facture occidentale cette fois, mais en quantité limitée. C’est ainsi qu’entrèrent en service les canons CAESAR français, Pzh2000 allemands, Krab Polonais, ou encore le désormais célèbre système lance-roquette HIMARS américain, des équipements qui permirent aux ukrainiens de prendre l’ascendant dans les duels d’artillerie avec les armées russes et de détruire une grande partie de leurs lignes d’approvisionnement, et ainsi de mener plusieurs contre-attaques couronnées de succès dans l’Oblast de Luhansk et celui de Kherson. Pour autant, en dépit des réserves occidentales répétées depuis le début du conflit concernant la livraison d’armements plus lourds à l’Ukraine, il semble bien qu’une évolution sensible soit en cours dans ce domaine, comme le montre l’annonce faite par Washington concernant l’envoi prochain de batteries de missiles anti-aériens et anti-balistiques à longue portée Patriot, suivi par une annonce similaire venant de Paris et de Rome concernant des systèmes SAMP/T Mamba tout aussi performants, ainsi que les échos de plus en plus audibles concernant de possibles accords concernant la livraison de chars lourds comme l’Abrams américain, le Leopard 2 allemand, ou encore le Leclerc français.

En effet, l’Ukraine dépend presque exclusivement désormais des livraisons d’armes occidentales pour maintenir ses capacités de combat et de manoeuvre, les infrastructures industrielles du pays ayant été sévèrement endommagées par les bombardements répétés russes, la main d’œuvre qualifiée ayant été pour l’essentielle mobilisée et l’énergie et les lignes d’approvisionnement venant à manquer. Dans le même temps, et en dépit d’évidentes difficultés au début du conflit pour remplacer les composants occidentaux employés dans la conception des systèmes d’armes, l’industrie de défense russe a su, ces derniers mois, retrouver certaines capacités de production, lui permettant aujourd’hui, par exemple, de livrer 40 à 50 chars de combat modernisés par mois, essentiellement des T-72B3M et des T-80BVM ainsi que quelques T-90M, et plus de quarante missiles de croisière neufs, pour ne citer que quelques indicateurs significatifs. Dans les mois à venir, il est probable que cette cadence soit appelée à croitre, même s’il s’agira pour l’essentiel de matériels plus anciens remis en état, comme le char T-62M qui sera produit à raison de 800 unités par an sur deux nouveaux sites industriels.

Après avoir été presque mise à l’arrêt au début du conflit par manque de composants, l’usine de char Uralvagonzavod de Nijni Taguil sort désormais une quarantaine de chars modernisés par mois, comme le T-72B3M, le T-80BVM ou le T90M

Dans le même temps, les réserves de matériels venant d’ex-Union Soviétique disponibles en Europe de l’Est, ou auprès de certains pays alliés comme le Maroc, tendent à se tarir, au point qu’il sera bientôt impossible de compenser les pertes matérielles ukrainiennes par des équipements similaires, là ou la Russie, dont les infrastructures industrielles sont certes handicapées, mais non immobilisées, semble en mesure de compenser les siennes, voire de recapitaliser certaines unités. De fait, et comme ce fut déjà le cas en Avril concernant les systèmes d’artillerie, puis en septembre concernant les systèmes anti-aériens à courte et moyenne portée, ou il y a quelques heures concernant les systèmes anti-aériens à longue portée, il faut s’attendre, dans les jours ou semaines à venir, à ce que les Etats-Unis et les alliés de l’OTAN franchissent un nouveau palier dans le soutien accordé aux armées ukrainiennes, en transférant des blindés lourds comme des chars Abrams, Leopard 2 et Leclerc, probablement accompagnés de véhicules de combat d’infanterie comme le Bradley, le Marder ou le VBCI, de sorte à compenser les pertes de T-64, T-72 et BMP 1 et 2 ukrainiens, en l’absence de matériels équivalents d’origine soviétique disponibles parmi les alliés.

Reste que l’arrivée de chars lourds et de VCI occidentaux sur le théâtre ukrainien n’ira pas sans poser de très nombreux problèmes, y compris aux ukrainiens eux-mêmes. En effet, ces équipements, même s’il ne s’agira probablement pas des versions les plus modernes, sont sensiblement plus complexes à mettre en oeuvre et à maintenir que ne peuvent l’être les blindés soviétiques. Ainsi, la formation des équipages, mais également des personnels de maintenance, et la mise en place des flux logistiques indispensables nécessiteront de nombreuses semaines, voire des mois d’entrainement et de mise en place. En outre, si les équipements technologiquement avancés livrés jusqu’à présent étaient tous destinés à opérer à une certaine distance des lignes russes, les chars de combat ou les VCI, eux, opèrent directement sur la ligne de contact, avec le risque bien réel de tomber aux mains de l’adversaire, comme ce fut tant le fois le cas pour des systèmes hautement confidentiels russes endommagés ou abandonnés par leurs équipages et récupérés par les ukrainiens depuis le début du conflit. Or, si les occidentaux ne se soucient guère de voir un M113 ou un VAB tomber aux mains de russes, il en irait probablement tout autrement concernant un Leopard 2A4, un Abrams M1A1 ou un Leclerc, tant ces blindés portent encore en eux certains secrets technologiques importants.

L’arrivée de nouveaux chars occidentaux modernes, comme le Leopard 2A4, pourrait donner aux ukrainiens un atout significatif pour mener des offensives efficaces contre les lignes russes.

On le voit, bien au delà de la crainte de voir le conflit s’étendre du fait des livraisons de certains systèmes d’armes avancés à l’Ukraine par l’occident, ce sont avant tout de bien réelles contraintes logistiques, de formation et de mise en oeuvre qui expliquent le manque apparent d’empressement des occidentaux dans ce domaine. Toutefois, du fait de l’évolution de la guerre, il ne fait désormais guère de doutes qu’il sera indispensable, à relativement court terme, pour les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou encore la France, de franchir cette nouvelle étape en livrant certains systèmes de combat lourds comme des chars, afin de permettre aux ukrainiens de conserver l’initiative, ou tout simplement pour résister à la remontée en puissance russe suite à la réorganisation de son industrie de défense. Reste à voir si les militaires ukrainiens feront bon usage de ces nouveaux systèmes d’arme, considérablement plus performants que leurs homologues russes, mais également considérablement plus complexes, même si de telles réserves avaient également été avancées par le passé, notamment concernant les systèmes d’artillerie il y a quelques mois, et surtout comment ces équipements pourront influencer le rapport de force sur le terrain.

Le Japon va doter ses sous-marins de systèmes de lancement vertical de missiles de croisière

De part sa position géographique, et ses liens très étroits avec les Etats-Unis, notamment en matière de défense, le Japon est aujourd’hui en première ligne si un conflit venait à éclater entre la République Populaire de Chine et les Etats-Unis, probablement au sujet de Taïwan. Si, durant toute la guerre froide, Tokyo assura un important soutien aux forces américaines déployées dans le Pacifique et notamment en Asie du Sud-Est, tout en participant à contenir la menace soviétique sur ce théâtre, le pays fut relativement épargné, en comparaison des pays occidentaux en Europe, et ses forces d’auto-défense ont été dimensionnées et conçues uniquement dans un but défensif, la constitution du pays interdisant toute autre action militaire. Depuis une quinzaine d’années, cependant, le théâtre indo-pacifique a fait l’objet d’une intensification rapide et sensible des tensions, notamment du fait de la modernisation à marche forcée de l’Armée Populaire de Libération chinoise, y compris dans le domaine naval, alors que la Marine chinoise est passée, en quelques années, d’une force de défense littorale à une force navale de haute capable de rivaliser avec la puissante US Navy.

Parmi les sujets de grande inquiétude pour les forces d’autodéfenses nippones, figure le risque bien réel de potentielles frappes préventives massives lancées par l’APL contre le Japon et ses forces armées, de sorte à priver le pays de ses capacités de défense et de riposte. Si les accords de défense avec les Etats-Unis sont sensés préserver Tokyo d’une telle hypothèse, les autorités nippones entendent, depuis quelques années, donner à ses forces d’autodéfense des moyens plus étendus pour contenir de telles frappes, avec par exemple la construction des 8 destroyers équipés du système anti-aérien et anti-balistique AEGIS, en développant de nouvelles capacités de protection comme des armes à énergie dirigée ou un canon électrique de type railgun, ainsi qu’en modifiant les deux destroyers porte-hélicoptères de la classe Izumo pour en faire des porte-avions légers pouvant accueillir une douzaine de F-35B Lightning II. En outre, Tokyo a entrepris la conception de deux super-destroyers destinés exclusivement à la défense anti-missile, remplaçant le système AEGIS Ashore initialement prévu pour cette mission.

Les sous-marins japonais de la classe Taigei ont les dimensions requises pour accueillir des VLS

Pour autant, l’ensemble de ces systèmes se veulent avant tout défensifs, et en tant que tel, ne participent par à dissuader un assaillant potentiel, comprendre la Chine ou la Corée du Nord, sauf à s’en remettre aux Etats-Unis pour cela. Et si les relations entre Tokyo et Washington ne souffrent d’aucune tension aujourd’hui, les autorités nippones se rappellent que ce ne fut pas le cas en 2017 et 2018, avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, avant que le Japon ne décide de commander une centaine de F-35 A et B supplémentaires. Il n’est donc guère surprenant que, dans le cadre de la préparation du budget 2023, et après avoir annoncé il y a quelques semaine son intention d’armer ses sous-marins de missiles de croisière à changement de milieu, Tokyo ait annoncé qu’il entendait doter certains de ses sous-marins de systèmes de lancement vertical de missiles de croisière, conférant à la flotte nippone des capacités de seconde frappe qui, même sans être nucléaire, peuvent s’avérer potentiellement dévastatrices contre les centres de commandement voire les infrastructures politiques ou stratégique d’un assaillant potentiel.

Très peu de détails ont été donnés lors de cette annonce, si ce n’est que le système mettra en oeuvre la nouvelle version du missile Type 12 en cours de développement, et dont la portée sera étendue à 1000 km, ainsi que des missiles « étrangers », le missile de croisière américain Tomahawk ayant été cité. Le modèle et le nombre de sous-marins qui recevront ce type de Vertical launching System, ou VLS, n’a pas non plus été indiqué, pas davantage que le type et le nombre de VLS installé sur les submersibles nippons. On pense toutefois que les nouveaux sous-marins de la classe Taigei, un navire de 83 mètres de long et de 9 mètres de large, semblent tout indiqués pour recevoir les nouveaux VLS, à l’instar des sous-marins sud-coréens de la classe Dosan Aah Changho de 83,5 mètres de long pour 9,6 mètres de maitre-bau (plus grande largeur du navire), qui emporte lui aussi 10 cellules K-VLS de lancement vertical pouvant accueillir des missiles balistiques Hyunmoo 4-4 ou des missiles de croisière Chonryong.

Les sous-marins sud-coréens de la classe Dosan Aah Changho accueillent un VLS à 10 cellules pouvant mettre en oeuvre des missiles balistiques ou de croisière

Reste que si Séoul a équipé ses nouveaux sous-marins de VLS, ce n’est pas tant pour se doter d’une capacité de seconde frappe conventionnelle et ainsi dissuader Pyongyang, que pour mettre en oeuvre des capacités de frappe préventive contre les sites de lancement de missiles et de commandement nord-coréens avant que ceux-ci ne puissent lancer leurs missiles, en application de la doctrine 3 axes déjà évoquée sur ce site. Or, si cette doctrine sud-coréenne, qui repose sur le décapitation préventive des capacités de frappe nord-coréennes avant qu’elles ne soient employées, peut être envisagée du fait du nombre limité de têtes nucléaires et de sites de dispersion sur le territoire nord-coréen, elle s’avère inapplicable face à un adversaire comme la Chine, qui dispose de forces autrement plus importantes et d’une profondeur stratégique sans commune mesure. En d’autres termes, même en équipant les 8 sous-marins de la classe Taigei de 8 cellules pour missiles de croisière, la force de seconde frappe alors disponible, avec 6 sous-marins à la mer, n’excèderait pas la cinquantaine de missiles, dont une grande partie pourrait être interceptée par la défense anti-aérienne chinoise.

Dès lors, cette capacité n’aura qu’une faible influence dans le rapport de force face à la Chine, bien loin, à titre de comparaison, de l’efficacité attendue des sous-marins sud-coréens équipés eux aussi de VLS, sauf à équiper les missiles nippons de capacités de destruction autrement plus importantes que les charges conventionnelles actuellement prévues. En revanche, les missiles comme le Type 12 ayant également des capacités anti-navires avancées, ils pourraient conférer à la flotte sous-marine nippone des capacités de frappe de saturation contre les navires adverses qu’il serait, le cas échéant, bien difficile de contrer. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un atout stratégique en devenir dans les mains de Tokyo, mais il serait, dans le présent contexte, dommage de se priver de telles capacités.

Le Congrès américain change la législation pour accroitre la production de munitions

La guerre en Ukraine a fait voler en éclats de nombreuses certitudes au sujet des conflits armés ces derniers mois, qu’il s’agisse notamment de la supériorité supposée des unités formées de professionnels sur des unités de conscrits ou de réservistes, du rôle suprême de l’aviation sur le champs de bataille, ou encore de l’obsolescence supposée du char de combat. L’un des certitudes les plus largement répandues, y compris au plus haut niveau des armées, était qu’un conflit de haute intensité, comme celui qui se déroule aujourd’hui, ne pouvait s’étendre dans la durée, la débauche de puissance de feu et de munitions de précision entrainant nécessairement l’effondrement rapide d’un ou l’autre des belligérants. Après 10 mois de combat d’une intensité oubliée depuis la guerre de Corée, force est de constater que tel n’est pas le cas, et qui si un conflit de haute intensité entraine effectivement une consommation extraordinaire de munitions et de moyens, il peut, de toute évidence, être appelé à s’étendre sur de nombreux mois, voire sur des années.

Cette révélation est venue percuter, ces derniers mois, la programmation militaire de nombreux pays, en particulier ceux qui assurent le soutien logistique et militaire des combattants ukrainiens, en envoyant chaque mois munitions et matériels afin de résister à l’agression russe. Ce soutien, toutefois, a considérablement érodé les stocks de munitions disponibles des armées occidentales, en Europe mais également aux Etats-Unis, au point que le Congrès américain s’est emparé du sujet lors des travaux concernant le budget américain de défense 2023, afin non seulement de résorber les déficits de munitions engendrés par le soutien à l’Ukraine, mais également pour se doter d’une capacité industrielle adaptée à la consommation de munitions en cas de conflit de haute intensité.

Un soldat ukrainien armé d’un missile Stinger- Aout 11, 2022. REUTERS/Anna Kudriavtseva

La mesure la plus visible prise par la Chambre des Représentants, et validée par un vote de 350 contre 80, fut d’augmenter les crédits consacrés à l’achat de nouvelles munitions pour atteindre 8 Md$ en 2023, soit le budget défense d’un pays comme la Finlande, avec une hausse de 2,7 Md€ vis-à-vis du budget initialement prévu pour cela. Mais la plus importante disposition prise par les parlementaires américains n’est pas budgétaire, mais légale. En effet, jusqu’à présent, les acquisitions de munitions étaient traitées annuellement, contrairement aux grands programmes d’armement qui, eux, faisaient l’objet d’une planification pluriannuelle. Pour répondre aux besoins à court terme afin de reconstituer les stocks, mais également pour permettre aux industriels de dimensionner leur outil productif sereinement, les représentants américains ont intégré à la Loi de Finance Défense 2023, un ensemble de mesures assouplissant l’encadrement des acquisitions de munitions, en particulier en autorisant la négociations de contrats pluriannuels dans ce domaine.

Cette nouvelle approche va permettre aux armées américaines de mettre en oeuvre des programmes très ambitieux, permettant d’acquérir jusqu’à 5.100 missiles air-air à courte portée AIM-9X Sidewinder, 2.600 missiles anti-navires Harpon ou encore 17.000 missiles ATACMS pour les systèmes HIMARS. Des le même temps, l’US Army pourra, pour sa part, négocier des contrats pour recevoir jusqu’à 28.000 missiles antichars Javelin, ou encore 5.600 missiles anti-aériens portables Stinger, bien au delà des 5.500 Javelin et 1.400 Stinger envoyés en Ukraine depuis le début du conflit. Les systèmes d’arme sont également concernés par ces capacités élargies de commandes pluriannuelles, avec par exemple la capacité donnée à l’US Army de commander jusqu’à 700 nouveaux systèmes HIMARS au besoin.

L’arrivée d’une vingtaine de système HIMARS en Ukraine a sensiblement modifié le rapport de force face à la Russie, et permit aux Ukrainiens de prendre l’initiative pour mener des opérations offensive dans le nord dans l’Oblast de Luhansk et dans le sud pour libérer Kherson.

Reste que cette approche permettra surtout aux armées américaines de négocier, avec les industriels, des capacités de production permettant précisément de soutenir un engagement majeur de haute intensité, même si celui-ci venait à s’étendre dans la durée. Il est probable, à ce titre, que dans une telle hypothèse, l’industrie américaine devra non seulement soutenir l’activité opérationnelle de ses armées, mais également d’une partie de ses alliés, tant bien peu nombreux sont ceux, en Europe ou dans le Pacifique, qui disposent d’outils industriels dimensionnés pour une telle perspective. A ce titre, il est probable, ou tout au moins souhaitable, qu’une réflexion similaire soit intégrée à la conception de la future Loi de Programmation Française, tant pour, comme aux Etats-Unis, reconstituer et redimensionner les stocks de munitions des armées françaises, que pour soutenir, le cas échéant, l’action d’une partie des alliés européens de la France.

Malgré un essai réussi, l’avenir du missile hypersonique AGM-183A ARRW américain n’est pas garanti

En pleine campagne électorale pour sa réélection au Kremlin, Vladimir Poutine stupéfia le monde de la défense le 1er mars 2018, lorsqu’il annonça, lors d’une interview télévisée, que le missile hypersonique aéroporté Kinzhal était entré en service quelques mois plus tôt au sein des forces aériennes russes. D’une portée de 2000 km, le missile russe, qui peut être mis à oeuvre à partir de l’intercepteur lourd Mig-31K ou du bombardier à long rayon d’action Tu-22M3, suit une trajectoire semi-balistique avec d’importantes capacités d’évolution et une vitesse supérieure à Mach 5, le rendant particulièrement difficile à détecter et intercepter pour les systèmes antibalistiques traditionnels comme le Patriot PAC 3, le THAAD ou l’Aster Block 1. En outre, sa vitesse très élevée réduit considérablement le temps de réaction alors que les capacités de manoeuvres diminuent les chances de déterminer la cible visée. Capable d’emporter une charge conventionnelle de 500 kg ou une charge nucléaire de 100 kt, le Kinzhal constituait dès lors une arme parfaitement adaptée aux frappes préventives ou de décapitations face à l’OTAN, sans même que le vecteur porteur n’ait besoin de quitter l’espace aérien russe.

Au delà de la menace que représentait le nouveau missile russe, qui entraina le lancement de plusieurs programmes y compris en Europe pour détecter et intercepter de telles vecteurs, l’annonce de Vladimir Poutine constituait également une profonde humiliation pour les armées américaines, qui avaient perdu, depuis 30 ans, l’habitude de voir un autre pays disposer de systèmes d’armes dont elles-même étaient privées. Et comme ce fut le cas en 1961 lors de l’annonce du programme Apollo suite aux succès russes dans le domaine spatial, en 1967 lorsque la découverte du MIG-25 soviétique entraina la conception du F-15, et en 1980 lorsque l’entrée en service du croiseur Kirov amena l’US Navy à moderniser et rappeler au service 4 cuirassés de la classe Iowa, les Etats-Unis répondirent avec orgueil et célérité à cette provocation russe, en lançant presque simultanément pas moins de 7 programmes de missiles hypersoniques, selon qu’ils soient à moteur fusée ou à moteur aérobie, lancé d’une plate-forme terrestre, navale ou aérienne, ou développés par l’US Army, l’US Air Force et l’US Navy.

L’annonce de l’entrée en service du Kinzhal en 2018 déclencha une frénésie de programmes hypersoniques dans le monde, en particulier aux Etats-unis

Le programme AGM-183A ARRW pour Air-Launched Rapid Response Weapon, fut l’un d’eux, et comme son nom l’indique, il s’agit d’un missile hypersonique aéroporté composé d’un moteur fusée pour la phase de lancement, de prise d’altitude et de vitesse, ainsi que d’un planeur hypersonique pour la phase de descente et de frappe. Le programme fut lancé en aout 2018, 5 mois seulement après l’annonce de Vladimir Poutine, et vise précisément à concevoir une réponse au Kinzhal russe, dont il partage les performances en terme de vitesse et de portée, et les contraintes de mise en oeuvre, à bord des bombardiers lourds B-52, B-1B et B-2 ou du chasseur lourd F-15E. Il n’aura fallu qu’à peine plus de 4 ans à Lokcheed-Martin et l’US Air Force, pour enregistrer le premier tir intégral réussi ce 9 décembre à partir d’un B-52H du 412ème escadron de Test de la base aérienne d’Edwards en Californie.

Pour autant, le développement de l’AGM-183A ARRW fut loin d’être aisé, et plusieurs échecs lors des essais vinrent entamer la confiance de l’US Air Force , et menacer la poursuite du programme, d’autant que dans le même temps, d’autres programmes de missile hypersonique menés en parallèle enregistraient des succès prometteurs. Ainsi, pour la seule année 2021, 3 essais se conclurent par des échecs, lors du dernier essai du booster en avril, et des second et troisième essais du missile lui même en juillet et décembre. Et si les deux tirs en Mai et Juillet 2021, visant à tester certains composants du missile, se déroulèrent comme prévu, la mauvaise série de 2021 amena le Secrétaire à l’Air Force à prendre certaines réserves quant au programme, notamment en repoussant d’une année la commande initiale de missiles prévue pour 2023, non sans signifier que cette dernière n’était pas pour autant garantie, et que la pertinence et l’efficacité du missile restait encore à établir.

Le succès du premier tir intégral de l’AGM-183A, ce 9 décembre, va probablement redorer le blason du programme à Washington, d’autant que le besoin pour ce type de munition a dépassé désormais le théâtre européen depuis qu’un bombardier H-6K chinois emportant un missile hypersonique aéroporté a fait son apparition lors du salon aéronautique de Zhuhai en novembre 2022. Il est désormais indispensable pour l’US Air Force de disposer au plus vite de missiles aux performances au moins équivalentes à celles des systèmes russes et chinois, et si le succès d’il y a quelques jours venait à se confirmer lors d’essais à venir, il serait fort étonnant qu’elle fasse l’impasse sur cette capacité, tout du moins pas tant que d’autres munitions plus performantes ne soient effectivement disponibles.