jeudi, décembre 4, 2025
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Après Londres et Berlin, Tokyo et Rome temporisent leurs ambitions budgétaires de Défense

Lors des premiers mois ayant suivi le début de l’offensive russe en Ukraine, de nombreux pays, en Europe comme ailleurs, annoncèrent d’importantes augmentations concernant leur effort de défense, afin de faire face à la réorganisation de la menace et de la géopolitique mondiale. Ainsi, dès le 27 février, le Chancelier allemand Olaf Scholz annonçait devant le Bundestag la mise en oeuvre d’une enveloppe de 100 Md€ pour financer les dossiers d’équipements critiques de la Bundeswehr, ainsi que la hausse rapide de l’effort de défense allemand pour atteindre, et même dépasser, les 2% de PIB. Suite à quoi, de nombreux autres pays, jusque là rétifs à accroitre leur effort de défense, s’engagèrent eux aussi dans une telle dynamique, des Pays-bas à l’Espagne, en passant par la Belgique et l’Italie. Outre Manche, le Secrétaire à la Défense Ben Wallace annonça même qu’il entendait porter le budget de la défense britannique à 3% du PIB et 100 Md£.

Depuis, de l’eau est passée sous les ponts semble-t-il, car beaucoup de gouvernements ont entrepris de temporiser les annonces faites au printemps 2022. Il est vrai que, depuis, les forces Ukrainiennes ont non seulement résisté à l’offensive russe, mais également considérablement érodé le potentiel militaire conventionnel du Kremlin, au point que désormais, l’ogre russe que l’on pensait capable de s’emparer de la Pologne en 4 jours seulement, apparait beaucoup moins impressionnant et menaçant, au delà de la dimension stratégique qui demeure plus que problématique. De fait, à Berlin, les annonces les plus récentes laissent entendre que si le gouvernement vise toujours à faire croitre l’effort de défense à 2% du PIB, cet objectif sera atteint sur un calendrier beaucoup plus étendu qu’initialement envisagé. D’ailleurs, le budget 2023 des armées allemandes sera très proche de celui de 2022, soit 1,6% du PIB.

trieste italie Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
L’Italie a doublé sont budget d’acquisition des équipements de défense entre 2020 et 2022, passant de 2,1 à 4,5 Md€ par an, notamment pour financer le renouvellement de la flotte et des forces aériennes. Toutefois, en 2023, ce budget restera inchangé.

A Londres, le changement de gouvernement, et les importantes difficultés économiques auxquels l’administration de Rishi Sunak doit faire face, ont entrainé l’abandon pur et simple des ambitions avancées par Ben Wallace quelques mois plus tôt, même si ce dernier a conservé son ministère dans le nouveau gouvernement. Fini donc l’objectif d’un effort de défense à 3% du PIB et à plus de 100 Md£, Londres s’est engagée, par la voix du ministre des finances Jeremy Hunt, à conserver l’effort de défense britannique « au dessus des 2% » conformément aux engagements de l’OTAN. Il en va désormais de même pour l’Italie, qui avait annoncé en avril une augmentation du budget défense de 12 Md€ d’ici 2028 pour atteindre le seuil des 2% requis, mais dont le budget 2023 en préparation ne prévoit aucune augmentation du budget consacré aux armées ou aux acquisitions, et un effort de défense qui demeurera autour de 1,5%.

Au delà de la sphère européenne, le Japon avait, lui aussi, annoncé son intention de considérablement augmenter son effort de défense dans les années à venir. Il ne s’agissait pas, pour Tokyo, de répondre précisément à la menace russe, même si les tensions restent importantes avec Moscou au sujet des iles Kouriles, mais de faire face à la menace croissante que représente l’Armée Populaire de Libération chinoise, ses forces aériennes et sa marine, ainsi que de répondre à la menace balistique nord-coréenne démultipliée par les récentes avancées technologiques de Pyongyang dans ce domaine. Pour le premier ministre nippon, Fumio Kishida, il devenait alors impératif de briser de plafond de verre d’un effort de défense capé à 1% du PIB japonais, même s’il représente tout de même 50 Md$ classant le pays dans le TOP 10 des pays investissants de le plus dans leur défense.

Maya destroyer lancement Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Les forces d’autodéfense nippones, avec un budget annuel de 50 Md$, disposent de capacités avancées notamment dans le domaine naval et aérien, avec 250 avions de chasse et 35 destroyers et frégates, dont 8 destroyers Aegis lourds comme ici le destroyer Maya.

Ainsi, le premier ministre japonais avait laissé entendre qu’il entendait désormais, comme l’avait recommandé son propre parti il y a quelques mois, amener l’effort de défense nippon à 2% du PIB, soit un budget de 100 Md$, ce qui classerait le Japon sur la 4ème marche du podium mondial après les Etats-unis (820 Md$), la Chine (265 Md$) et la Russie qui prévoit de presque doubler son budget défense en 2023 en passant de 65 à 125 Md$. Toutefois, il semble bien que l’ambition de Fumio Kishida sera bien difficile à mettre en oeuvre. En effet, de nombreuses voix, y compris au sein du Parti Libéral Démocrate du premier ministre, s’inquiètent du financement des quelques 50 Md$ par an que coutera une telle ambition, alors que l’opinion publique nippone semble opposée à une augmentation des impôts et taxes, et que d’éventuelles économies budgétaires ne permettraient pas d’atteindre un tel montant.

Au final, il ne reste guère que les pays les plus exposés, en Europe de l’Est et du Nord comme la Pologne, les Pays Baltes ou scandinaves, et en Asie la Corée du sud face à la Corée du Nord, et Taïwan face à la menace chinoise, pour ne pas remettre en question la trajectoire budgétaire annoncée ces derniers mois. Une fois l’émotion passée, ou tout au moins atténuée, les gouvernements européens comme nippon se sont heurtés à la mise en application des promesses faites quelques mois plus tôt, et qui, de toute évidence, répondaient à des considérations émotionnelles voire politiques à court terme, et non à l’analyse méthodique et planifiée qu’impose un tel exercice de planification. Pour autant, si les annonces initiales pouvaient laisser perplexe quant à leur applicabilité à court terme, les objectifs annoncés alors, pour la plupart, répondaient effectivement à une lecture cohérente de l’évolution de la menace, et donc aux besoins de crédits supplémentaires pour les armées allemandes, britanniques, italiennes ou japonaises. D’une manière ou d’une autre, il faudra donc bien, pour ces pays, comme pour ceux qui les entourent, trouver une trajectoire permettant d’atteindre les objectifs fixés, faute de quoi tous devront faire encore davantage reposer leur défense sur la seule protection américaine, qui ne peut être partout à la fois.

Porte-avions NG, SCAF, MGCS … : La France a-t-elle visé trop haut ?

Il y a tout juste deux ans, la Ministre des Armées, Florence Parly, officialisait l’entame des travaux d’études pour la construction d’un nouveau porte-avions destiné à remplacer le Charles de Gaulle à partir de 2038.

Depuis, de nombreuses informations ont filtré quant à ce programme, qui devrait être, comme le Charles de Gaulle, à propulsion nucléaire, et atteindre les 75.000 tonnes de déplacement, notamment pour pouvoir mettre en œuvre les nouvelles catapultes électromagnétiques de 90 mètres nécessaires pour lancer le nouveau Next Génération Fighter du programme SCAF, lui-même beaucoup plus imposant que le Rafale M.

De manière fort prévisible, les couts de conception et de fabrication du navire ont, eux aussi, connu une augmentation très importante vis-à-vis des 2 Md€ qu’avait couté le Charles de Gaulle construit dans les années 90.

En effet, alors qu’initialement le nouveau porte-avions était estimé entre 5 et 6 Md€, il serait désormais question d’un cout de conception et de construction autour de 8 Md€, voire davantage. Et dans le cadre de la préparation de la prochaine Loi de Programmation Militaire 2024-3020, qui sera pourtant doté d’environs 400 Md€, soit 100 Md€ de plus que la précédente, ce cout pose un problème…

De fait, qu’il s’agisse du programme PANG de porte-avions de nouvelle génération, le programme SCAF d’avion de combat de 6ᵉ génération, le programme MGCS de char de combat du futur, ainsi que le programme SNLE3G de sous-marin nucléaire lanceur d’engins de 3ᵉ générations indispensable a la dissuasion française, tous promettent d’être particulièrement gourmands en crédits, au point de venir handicaper la reconstruction de certaines capacités des armées, comme dans le cas de la force blindée lourde, ou de l’artillerie à longue portée.

Le fait est, qu’il s’agisse de SCAF, de MGCS ou de PANG, il apparait que chacun de ces programmes vise à développer des matériels beaucoup plus imposants et onéreux que ceux qu’ils remplaceront, non seulement du fait de l’augmentation des couts technologiques et de l’inflation, mais également du fait d’ambitions beaucoup plus élevées, rapprochant la production industrielle de défense française des équipements produits par les États-Unis, et s’éloignant de fait de ce qui fit, traditionnellement, le succès opérationnel, mais également commercial des équipements de défense français depuis les années 60.

À l'instar du porte-avions NG, le programme MGCS promet d'être gourmand en crédit consommé, même s'il doit être réalisé en coopération avec l'Allemagne
À l’instar du porte-avions NG, le programme MGCS promet d’être gourmand en crédit consommé, même s’il doit être réalisé en coopération avec l’Allemagne

En effet, si la France consacrait plus de 4% de son Produit Intérieur Brut à son effort de défense au début des années 60, l’économie française se relevait à peine des stigmates de la seconde guerre mondiale, obligeant le pays à se montrer inventif pour concevoir des équipements performants et attractifs, mais beaucoup moins onéreux que les systèmes d’arme américains qui s’imposaient sur le marché.

C’est ainsi que l’avionneur français Dassault Aviation conçut le Mirage III, un chasseur intercepteur moitié moins lourd que l’imposant F-4 Phantom II, surpassant dans presque tous les domaines le F-104, tout en étant sensiblement moins cher que ces deux appareils.

Dans le même temps, en s’appuyant sur le succès de l’AMX-13, AMX conçu le char moyen AMX-30 de 36 tonnes, lorsque les États-Unis produisaient le M-60 de plus de 52 tonnes. Quant aux deux porte-avions français, le Clemenceau et le Foch, ils dépassaient à peine de 32.000 tonnes à pleine charge pour une longueur de 265 m, là où les Forrestal américains flirtaient avec les 80.000 tonnes pour 326 mètres de long.

Bien évidemment, les équipements français de l’époque ne rivalisaient pas pleinement avec leurs équivalents américains, le Phantom ayant une allonge et une capacité d’emport sensiblement supérieure à celles du Mirage III, le M60 étant bien mieux blindé que l’AMX30, et le Forrestal pouvant accueillir deux fois plus d’appareils, souvent plus lourds, que les porte-avions français.

Pour autant, en arbitrant de telle manière, les armées françaises disposaient de matériels entièrement nationaux offrant des capacités opérationnelles très significatives et disponibles en quantité suffisante pour avoir un poids sensible sur la scène internationale.

En outre, en jouant la contre-programmation, les industriels français remportaient de nombreux succès à l’exportation, parfaitement représentés par la famille Mirage qui fut, du point de vue des Américains eux-mêmes, une réelle menace pour l’industrie US à l’exportation.

Carriers Charles de Gaulle R91 Harry S. Truman CVN 75 and Cavour 550 underway in 2013 Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense

Les programmes lancés dans les années 70 et 80 restaient encore imprégnés de ces paradigmes, avec d’importants succès dans le domaine des avions de combat avec les Mirage F1 et Mirage 2000, dans le domaine des blindés légers avec le très innovant VAB, ou dans le domaine des navires de combat avec les Frégates Légères Furtives ainsi que dans celui des hélicoptères avec les familles franco-britanniques Gazelle, Puma et Lynx, et les importants succès des familles Dauphin et Écureuil.

Même les programmes des années 90, comme le PAN Charles de Gaulle, le Rafale, l’hélicoptère de combat Tigre ou le char Leclerc, restaient marqués par des dimensions limitées, et des prix se voulant attractifs (pour peu que le plan de production fut respecté, ce qui ne fut pas le cas).

En revanche, les programmes actuellement en cours de conception, comme SCAF, MGCS ou PANG, marquent un changement de paradigmes profond dans ce domaine. Ainsi, le NGF du SCAF promet de devenir un chasseur de la classe des 30 tonnes, si l’on en juge par la différence de dimension avec le Rafale de 24 tonnes, soit une masse comparable aux autres chasseurs lourds tels le F-15EX, le Su-57 et le F-22, là où le Rafale évolue dans la catégorie du F-18, et le Mirage 2000 dans celle du F-16.

De même, du fait de son rapprochement avec l’Allemagne, le MGCS promet de concevoir un char imposant et onéreux, se rapprochant davantage du Leopard 2 et de l’Abrams (même si la masse est devenue un enjeu critique désormais) que du Leclerc.

Quant au PANG, ses dimensions amenant à un déplacement de 75.000 tonnes, 66% plus important que les 45.000 tonnes du Charles de Gaulle, sont imposées précisément par la masse et les dimensions du NGF, mais également par l’ambition de disposer d’un groupe aérien de 30 aéronefs.

CAESAR Ukraine e1655123372240 Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense

Il existe pourtant, y compris récemment, des exemples particulièrement démonstratifs quant aux capacités dont disposent encore les ingénieurs français pour concevoir des équipements innovants, économiques, très efficaces et rencontrant un important succès sur la scène internationale comme sur les champs de bataille, dès lors que Paris n’essaie pas de courir après les concepts américains.

Ainsi, le canon CAESAR de 155 mm, engagé avec succès en Ukraine depuis plusieurs mois, fut conçu en prenant le contre-pied de l’approche américaine ou allemande de l’artillerie automotrice, permettant de concevoir un système presque trois fois moins chers que les M109 américain ou que le Pzh2000 allemand, et pourtant tout aussi mobile, efficace et survivable (certains diront même davantage) que ces systèmes.

On peut s’attendre à ce que les blindés légers de la bulle SCORPION, les Jaguar, Griffon et Serval, fassent de même, étant à la fois peu onéreux et performants. Pareillement dans le domaine de la missilerie, le MICA qui équipe les Rafale et Mirage français, coute deux fois moins cher que l’AIM-120 américain, pour des performances au moins égales à celui-ci.

Une question se pose donc désormais, alors que le retour conjoint de l’inflation et des menaces militaires, viennent menacer l’exécution des programmes de défense prévus : qu’il s’agisse du SCAF, du MGCS et, par transitivité, du PANG, la France n’a-t-elle pas visé trop haut en termes de capacités, pour se doter d’équipements équivalents à ceux en préparation ou en service outre-atlantique, sans avoir les ressources budgétaires pour assumer de telles ambitions ?

En outre, en cherchant à concevoir un F-15 plutôt qu’un Mirage 2000, un Abrams plutôt qu’un Leclerc, et un Nimitz plutôt qu’un Charles de Gaulle, la France ne va-t-elle pas se priver de son marché traditionnel à l’exportation pour son industrie de défense, mais également de la masse indispensable à ses armées pour peser sur la scène internationale, avec le risque de réitérer les désastreux arbitrages dynamiques qui fusillèrent de nombreux programmes comme l’hélicoptère Tigre (passé de 230 exemplaires à 18 m€ à 67 exemplaires à 35 m€) ou les frégates FREMM (passées de 17 frégates à 450 m€ à 8 frégates à 750 m€).

Et alors que les tensions internationales se multiplient et que les risques de conflits majeurs explosent, ne faut-il pas, à nouveau, revenir à des ambitions moindres pour s’appuyer sur l’esprit d’innovation des ingénieurs et des miliaires français, afin de préserver l’efficacité des armées et la pérennité de l’industrie de défense ?

Le nouveau sous-marin Taïwanais sera lancé en septembre 2023

Depuis la normalisation des relations entre l’occident et Pékin à partir de 1995, l’ile de Taïwan, autonome depuis 1949, et revendiquée par la République Populaire de Chine depuis cette date, rencontra des difficultés croissantes pour moderniser son outil de défense. En effet, les autorités chinoises surent parfaitement manier une très alléchante carotte, le potentiel économique chinois pour les entreprises occidentales, et un puissant bâton, la détérioration immédiate et sévère des relations diplomatiques et économiques, si un de ses partenaires occidentaux venait à intervenir dans la modernisation des armées taïwanaises. Cette stratégie s’avéra d’une extraordinaire efficacité, tous les partenaires traditionnels de Taiwan en matière de défense, dont la France qui vendit à l’ile des frégates et des mirage 2000 au début des années 90, tournèrent le dos à Taipei, au point qu’au milieu des années 2000, plus aucune pays européen n’acceptait de collaborer avec la nouvelle démocratie Taiwanaise sur des sujet de défense, alors qu’ils multipliaient les contrats défenses avec Pékin, à peine 15 ans après le massacre de la place Tien an men.

Même les Etats-Unis, pourtant partenaire traditionnellement impliqué dans la défense de l’ile, refusait alors de montrer de trop son soutien à Taipei, de peur de subir l’opprobre de Pékin. Sur toute cette période, l’ile autonome développa activement deux industries critiques pour sa défense face aux revendications chinoises, une industrie de défense de plus en plus performante pour satisfaire à nombre des besoins de son armées, et une très puissante industrie de conception et surtout de production de semi-conducteurs, au point de contrôler entre 40 et 90% du marché mondial désormais selon les secteurs. La situation évolua au début des années 2010, lorsque Pékin, devenu plus confiant dans son armée et dans son industrie de défense aillant par ailleurs largement profité de transferts de technologies européens et américains (et d’un espionnage industriel et scientifique très actif), commença à déployer de nouvelles bases militaires en Mer de Chine du Sud, une zone maritime revendiquée de longue date par les autorités chinoises selon la règle des « 9 traits ».

Taiwan to launch next year upgrade program of its Chien Lung class submarines 925 001 Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense

Dans le même temps, les revendications de Pékin concernant Taiwan devinrent de plus en plus pressantes, amenant les autorités de l’ile à accroitre leur propre effort de défense, et à entreprendre de moderniser ses forces armées. Le durcissement très net des relations commerciales et diplomatiques entre Washington et Pékin sous l’administration Trump, permit à Taipei de commander certains des matériels critiques qui lui faisaient défaut, comme des chars lourds Abrams, des avions F-16V, ou des missiles anti-navires Harpoon. En outre, le Congrès américain adoucit ses positions concernant l’exportation de certaines technologies critiques, comme dans le domaine des radars et sonars à bord de corvettes et frégates taïwanaises. Mais alors que la flotte chinoise ne cesse de croitre et de se moderniser, au point de venir tangenter la puissance navale américaine dans certains domaines, la défense de l’ile dans l’hypothèse d’une action amphibie menée par l’Armée Populaire de Libération, repose de plus en plus sur les capacités sous-marines de l’ile.

Résoudre ce problème était loin d’être simple pour Taipei. En effet, si les Etats-Unis pouvaient épauler l’industrie navale taïwanaise dans certains domaines comme celui des sonars ou des armes embarquées, les chantiers navals américains n’ont plus conçu de sous-marins à propulsion conventionnelle depuis plus de 60 ans, et l’essentiel des compétences dans ce domaine se trouvent désormais en Europe, ceux-là même qui sont les plus frileux à défier Pékin pour soutenir Taiwan. D’intenses négociations ont alors eut lieu en grand secret à l’automne 2019 en Europe entre les acteurs industriels et étatiques européens d’un coté, et les ingénieurs et négociateurs taïwanais soutenus par les Etats-Unis de l’autre, de sorte à permettre à Taiwan de s’appuyer sur des transferts de technologies limités mais cruciaux pour la conception de son programme de sous-marin d’attaque, sans que les Européens puissent être directement mis en cause par Pékin. Le fait est, ni la nature ni même la conclusion de ces négociations n’ont jamais été rendus publics.

Y8 ASW China Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
La flotte de patrouille maritime de la Marine Chinoise, ici un Y-8Q, ne cesse de croitre en volume et en intensité d’emploi. La plupart des incursions journalières des forces aériennes chinoises dans la zone d’identification aérienne taïwanaise est accompagné d’un Y-8Q ou d’un XJ-200 de patrouille maritime.

Pour autant, celles-ci furent incontestablement fructueuses, puisqu’en novembre 2020, la construction du premier sous-marin de facture locale fut entreprise, après avoir construit un chantier naval entièrement dédié à cette production par CSBC Corporation. On en sait un peu plus désormais au sujet de ce programme, alors que le lancement du premier navire classé comme prototype par les autorités taïwanaises, interviendra au mois de septembre 2023. Ainsi, selon le site d’information Liberty Times, les nouveaux sous-marins atteindront une longueur de 73 mètres pour un diamètre de 8 mètres et une hauteur de 18 mètres, kiosque compris. Le tonnage annoncé par le site de 3000 tonnes est, quant à lui, contestable à la vue des dimensions avancées, qui correspondent davantage à un sous-marin entre 2000 et 2500 tonnes, ce qui était d’ailleurs le tonnage annoncé initialement. Le navire disposera d’une croix de saint andré et de barres de plongée montées sur le kiosque, et pourra emporter 18 torpilles américaines Mk48 ainsi que 4 missiles antinavires Harpoon.

Comme prévu, le système de combat comme la suite sonar du navire seront fournis par les Etats-Unis. En revanche, on ignore tout du système de propulsion retenu, même s’il est probable qu’il s’agisse soit d’un système anaérobie AIP ou de batteries Lithium-Ion, de sorte à conférer aux navires une autonomie en plongée étendue alors que le théâtre naval autour de Taiwan en cas de conflit avec la Chine, promet une exceptionnelle densité de moyens aériens et navals rendant toute obligation de surface (pour recharger les batteries enfin faisant tourner les moteurs diesel) hautement dangereuse. On peut s’étonner, également, que Taiwan n’ait pas cherché à se doter de la technologie des Systèmes de Lancement verticaux équipant les SNA américains de la classe Virginia, pour mettre en oeuvre des missiles de croisière ou des missiles balistiques, et ainsi disposer d’une capacité de frappe secondaire contre la Chine, celle-ci venant à lancer une offensive massive sur l’ile.

Virginia Block V avec le Virginia Playload Module VPM Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Il est étonnant que les nouveaux sous-marins taïwanais n’aient pas été dotés de VLS pour conférer à l’ile une capacité de frappe en second, comme c’est le cas de la Corée du Sud avec les sous-marins Dosan Aah Changho.

Reste qu’à l’instar des réticences européennes et américaines à livrer des systèmes d’arme modernes à l’Ukraine en amont du conflit avec la Russie, on peut se demander si les réticences européennes, mais également japonaises, sud-coréennes et australiennes, pour soutenir plus activement la défense de Taiwan, ne repose pas sur le refus de voir l’évidence, à savoir qu’une offensive de l’APL contre Taiwan semble désormais inévitable moyen terme, et que dans une telle hypothèse, les occidentaux devront, comme c’est le cas avec la Russie, rapidement et considérablement réduire leurs échanges économiques avec la Chine. Comme la crainte de voir Moscou riposter par des contraintes sur les exportations énergétiques avait mener les européens à l’impuissance pour éviter le drame ukrainien, ainsi que ses conséquences sur l’économie du vieux continent, la peur de faire face à des mesures de rétorsion économique chinoises paralyse les européens, qui dans le même temps, ne soutienne pas la démocratie taïwanaise, ni n’entreprennent de se désengager de l’économie chinoise. « L’homme apprend de ses erreurs, le sage de celles de autres » dit un proverbe japonais. En Europe, de toute évidence, personne n’apprend …

La Pologne est-elle le cheval de Troie de l’industrie défense sud-coréenne en Europe ?

Après avoir tenté de séduire plusieurs pays européens ainsi que les Etats-Unis afin de developper l’industrie de défense polonaise sans grand succès, Varsovie s’est tournée, en septembre 2020, vers l’une des Base Industrielle Technologique de Défense (BITD) émergente les plus dynamiques ces dernières années, la Corée du Sud. Il s’agissait initialement pour le ministère de la défense polonaise de trouver une alternative moins onéreuse et susceptible d’être livrée plus rapidement que les 250 chars M1A2 Abrams commandés quelques mois auparavant pour remplacer autant de chars T-72 hérités de l’époque soviétique, et depuis envoyés en Ukraine. Dans ce domaine, le char de combat K2 Black Panther avait de nombreux arguments à faire valoir, étant à la fois performants, parfaitement moderne et moitié moins cher que ses homologues occidentaux Abrams et Leopard 2. Qui plus est, celui-ci pouvait être livré beaucoup plus rapidement aux armées polonaises que les chars allemands ou américains.

Il fallut presque deux années pour que Varsovie et Séoul s’entendent sur le sujet, mais également sur une collaboration industrielle défense considérablement étendue. Ainsi, si 180 chars K2 et 212 canons automoteurs K9A1 commandés par la Pologne seront effectivement construits en Corée du Sud et livrés entre 2022 et 2026, 820 autres chars K2 dans une version polonaise optimisée K2PL, ainsi que 460 canons automoteurs K9, et un nombre encore indéterminé de lance-roquettes multiples K239 parmi les 300 commandés par Varsovie, seront assemblés directement en Pologne entre 2026 et 2032. Une coopération similaire semble émerger au sujet de l’aviation de chasse, Varsovie ayant commandé 48 chasseurs légers FA-50 qui seront assemblés en Coréen du sud, pour une livraison qui débutera en 2023, tout en négociation un partenariat avec KAI pour produire localement le nouveau chasseur KF21 Boramae avant la fin de la décennie.

KF21 Boramae first flight Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Des discussions auraient été entamées entre Varsovie et Séoul au sujet du chasseur KF-21 Boramae

Les commandes polonaises de matériels sud-coréens, soit 13,5 Md€, permettent déjà aux entreprises de défense du pays d’enregistrer une progression spectaculaire de leurs chiffres d’affaire annuel. Elle permettront également à la Pologne de considérablement developper sa propre industrie de défense, le pays ayant déjà engagé d’importants investissements dans ce domaine depuis 2015, en particulier du fait de nombreux transferts de technologies qui permettront à Varsovie non seulement de produire et entretenir ses propres équipements de défense, mais également de les proposer à ses voisins européens, alors que le K2 comme le K9, le K239 et le futur KF21, offrent tous un rapport performances-prix très attractif face aux offres européennes et américaines. En bien des aspects, donc, Varsovie peut être vue comme un cheval de Troie sud-coréen en Europe vis-à-vis des industries de défense européennes, et de nombreuses voix s’élèvent déjà pour critiquer les choix « non-européens » de la Pologne en matière de défense. Comme souvent, une analyse plus approfondie du contexte et des enjeux montre une situation bien plus nuancée qu’il n’y parait.

En premier lieu, la Pologne est loin d’être le premier pays en Europe à signer d’importants contrats de production de matériels de défense non européen, afin de developper sa propre industrie de défense, et d’entrer dans la compétition européenne des équipements de défense. C’est notamment une pratique récurent de la part de Rome, que ce soit dans le domaine des hélicoptères militaires et civils comme dans celui des avions de chasse, les F-35 destinés aux forces aériennes européennes étant le plus souvent assemblés en Italie. Pour les officiels italiens, cette approche ne pose aucun problème, y compris lorsque parallèlement, le pays participe à des initiatives européennes sensées précisément produire des équipements dénués de contrôle d’exportation ou d’utilisation américain, comme dans le cas du programme Futur Vertical Lift ou du propulseur du drone européen RPAS Euromale.

Eurodrone en vol Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
L’eurodrone RPAS sera propulsé par deux turbopropulseurs de facture italienne mais de conception américaine

Rome n’est pas une exception en Europe, beaucoup de pays ayant appliqué une stratégie similaire, à l’exception notable de la France. Ainsi, les allemands ont préféré s’appuyer sur l’israélien Rafael et son missile antichar SPIKE plutôt que sur le traditionnel partenariat franco-allemand Euromissile pour concevoir l’EuroSpike, exporté depuis à une dizaine de pays européens. Plus récemment, Berlin a entrepris de s’appuyer sur une approche similaire pour créer l’EuroArrow en charge de produire et de vendre en Europe le système anti-balistique exoatmosphérique israélien Arrow 3, alors même que plusieurs initiatives européennes, auxquelles participent d’ailleurs l’Allemagne, visent précisément à developper ce type de capacités, tout en étendant le partenariat avec Raytheon au sujet du Patriot PAC3 pour l’interception ando-atmosphérique, alors que le système américain est le concurrent direct de l’Aster Block 1 NT su système franco-italien SAMP/T Mamba. L’Espagne, quant à elle, s’est considérablement appuyée sur les technologies américaines pour developper sa nouvelle gamme de frégates et de sous-marins, eux-aussi proposés à l’exportation y compris en Europe. Il est de fait difficile de reprocher à Varsovie de faire ce que de nombreux autres pays européens, y compris les plus importants, ont fait depuis de nombreuses années, et continuent de faire aujourd’hui.

En outre, pendant plusieurs années, avant de se tourner définitivement vers Séoul, Varsovie avait tenté de rejoindre certains grands programmes de défense européens, comme le programme de char de nouvelle génération franco-allemand MGCS, et le programme d’avion de combat du futur SCAF. A chaque fois, français et allemands ont fait savoir à Varsovie que son intérêt pour les promet était bien noté, mais que l’extension de la coopération industrielle à d’autres partenaires européens ne pourrait intervenir qu’une fois les phases de R&D terminées. De même, Varsovie avait également entrepris de négocier avec certains pays européens, dont l’Allemagne, des alternatives pour moderniser ses forces armées et étendre ses propres capacités industrielles de défense. Ces négociations n’ont toutefois jamais abouti, tant du fait de certaines exigences polonaises inacceptables pour les européens que de réels problématiques de couts et de délais de livraison pour les matériels européens face à leurs équivalents sud-coréens. Rappelons ainsi qu’un char K2 coutera environs 5 m€ et un canon automoteur K9 6 m€ aux finances publiques polonaises, là ou le Leopard 2 (seul char européen en production) coute désormais presque 15 m€ l’unité, tout comme le Pzh2000, proche en terme de performances et de capacités du K9.

K9 artillery Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
le canon automoteur de 155mm K-9 Thunder offre des performances comparables à celles du Pzh2000 allemand, mais coute moins de deux fois moins cher que ce dernier.

Dernier point d’importance à prendre en considération dans la démarche polonaise, son calendrier répond bien davantage à des exigences et contraintes électorales, qu’à la volonté de construire une industrie de défense pérennisée. Ainsi, l’ensemble des chars K2, mais également des canons automoteurs K9, des K239 et des nouveaux VCI polonais, devront être construits entre 2026 et 2032. Cela suppose des infrastructures importantes dimensionnées pour soutenir une telle cadence de production supérieure à 300 blindés chenillés par an, ainsi que de mobiliser une importante main d’oeuvre pour les mettre en oeuvre. En revanche, il semble très improbable que de nouvelles commandes nationales puissent être lancées au delà de 2032, les armées polonaises disposant alors d’une densité de chars, d’artillerie et de blindés lourds très importante en comparaison de leurs ressources humaines, ou tout simplement des autres pays de l’OTAN, y compris les Etats-Unis. Qui plus est, il est très improbable que Varsovie puisse s’appuyer sur le marché export européen pour garantir la pérennité de telles infrastructures durant les 20 années nécessaires à l’émergence d’un nouveau besoin pour les armées polonaises, d’autant qu’après 2035, de nouveaux équipements américains et européens, dont le programme MGCS, arriveront sur le marché.

Si les autorités polonaises visaient effectivement à developper une industrie de défense performante et durable, il est très probable qu’un échéancier autrement plus étalé aurait été mis en oeuvre, de sorte à ce que la commande nationale puisse en permanence soutenir l’activité minimale de l’infrastructure déployée, tout en conservant des capacités de production vers l’exportation. En concentrant toutes les nouvelles acquisitions sur une durée de seulement 10 années, Varsovie répond donc en effet aux attentes et inquiétudes de l’opinion publique polonaise, alors que des élections législatives disputées se tiendront en 2023, mais ne déploie nullement une stratégie industrielle efficace dans la durée. Il s’agit, pour les autorités du pays, d’exploiter au mieux un contexte géopolitique à court terme, alors que la demande en matière de blindés et d’avions de combat économique pourrait croitre dans les années à venir du fait des tensions avec la Russie, tout en flattant la fibre nationaliste polonaise, sachant parfaitement qu’il ne pourrait s’agir que d’une stratégie « One Shoot ».

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Le MGCS, comme le SCAF, tend à concevoir un système de combat très évolué et performant. Mais sera-t-il à la portée financière des pays d’Europe de l’Est qui sont en première ligne face à la Russie, ou de la Grèce face à la Turquie ?

De fait, alors que le partenariat entre Varsovie et Séoul risque de capter, dans la décennie en cours, certains marchés exports visés par les entreprises de défense européenne, il est peu probable que cette concurrence polonaise soit appelée à perdurer au delà de 2035, en particulier une fois les équipements de nouvelle génération entreront en service, comme SCAF ou MGCS, offrant des performances et des capacités largement supérieures à celles des équipements sud-coréens produits en Pologne. Dans l’intervalle, le fait que de nouvelles capacités de production industrielle de défense soit disponibles en Pologne, permettra à certains membres de l’Union Européenne ou de l’OTAN de durcir et moderniser leurs capacités militaires, et ce à des tarifs accessibles, alors qu’il n’existe ni n’existera pas de solutions européennes comparables sur cette période.

Reste que cette conclusion optimiste masque une réalité préoccupante, car les nouveaux équipements en cours de conception en Europe n’arriveront qu’à la fin de la prochaine décennie, et seront très probablement onéreux, au delà des bourses de nombreux pays européens. Si, dans ce contexte, les grands acteurs de la BITD européennes n’entreprennent pas de developper, conjointement à leurs F-15 (MGCS, SCAF, FCAS ..), un F-16 économique à la portée de tous, il ne faudra pas s’étonner que ces derniers se tournent vers d’autres solutions plus accessibles, comme c’est déjà le cas de la Pologne avec les K2, les K9 et les FA-50… Ainsi, la Pologne est peut-être d’un certain point de vue le Cheval de Troie de Séoul en Europe pour les équipements de défense, mais le bois et les plans pour construire le dit cheval aura été fourni par les européens eux-mêmes.

L’Iran devrait recevoir en 2023 des chasseurs russes Su-35s selon le Pentagone

Au début des années 70, l’Iran était considérée comme l’un des plus précieux alliés des Etats-Unis au Moyen-Orient afin de contrôler la menace soviétique ainsi que la montée en puissance des forces armées Irakiennes largement soutenues et équipées par Moscou. En 1972, le président R.Nixon autorisa ainsi la vente à Téhéran d’un des avions de combat les plus évolués de l’arsenal américain, le F-14 Tomcat, ainsi que du tout nouveau missile AIM-54 Phoenix à guidage radar actif capable d’atteindre des cibles aériennes jusqu’à 130 km, afin de contrer l’arriver des nouveaux Mig-25 au sein des forces aériennes irakiennes. Lorsque le régime du Sha fut renversé par la révolution islamique en 1979, les forces aériennes iraniennes alignaient une formidable flotte de chasse avec 80 F-14 Tomcat, plus de 220 F-4 Phantom 2 et 130 F-5 Freedom Fighter. Mais la crise des otages de l’ambassade américaine de Téhéran convainquit Washington d’imposer des sanctions très strictes contre le pays, annulant au passage les commandes de 160 F-16 et 230 F-18 signées peu de temps avant l’effondrement du régime par Mohhamad Reza Sha.

Les opportunités pour Téhéran d’acquérir de nouveaux appareils étaient alors très limitées, l’Union Soviétique et la France soutenant activement l’Irak Baassiste, la Grande-Bretagne étant alignée sur Washington, et Pékin n’ayant pas, à cette époque, d’offre export structurée. De fait, pendant toute la guerre contre l’Irak, de 1980 à 1988, les forces aériennes iraniennes durent fonctionner en autarcie complète, non sans succès face aux MIG, Sukhoi et Mirage irakiens. Toutefois, à la fin de cette guerre, du fait de l’attrition au combat mais également du cannibalisme des appareils en l’absence de pièces, la flotte de chasse iranienne avait diminué de moitié, et faisait face à d’immenses difficultés en matière de disponibilité, alors que les sanctions occidentales et soviétiques continuaient de s’appliquer. Téhéran parvint à acquérir, au début des années 90 suite à la première du Golfe, de nouveaux chasseurs, 40 Mig-29 auprès de Moscou ainsi que 24 J-7 chinois, alors qu’une quarantaine de Su-22 et une vingtaine de Mirage F1 irakiens vinrent se réfugier en Iran pour échapper à la campagne aérienne alliée contre Bagdad.

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Les forces aériennes iraniennes disposeraient encore d’une vingtaine de F-14 Tomcat en état de voler, ainsi que de quelques missiles AIM-54A Phoenix, même si les capacités de ce missile révolutionnaire au début des années 70, sont désormais beaucoup moins impressionnantes.

Depuis, l’inventaire théorique de la flotte de chasse iranienne n’a presque pas évolué, si ce n’est en raison de l’attrition liée aux accidents, au vieillissement de la flotte et aux difficultés de maintenance. A partir de 2006, suite à la reprise des travaux d’enrichissement d’uranium par Téhéran, de très sévères sanctions furent imposées contre le pays par le Conseil de Sécurité des Nations Unis, privant ses forces aériennes de toute possibilité de modernisation, y compris auprès de Moscou ou Pékin. En outre, si l’industrie de défense iranienne fit d’importants progrès ces dernières années dans certains domaines, comme concernant les drones, les missiles balistiques et les défenses anti-aériennes, la conception d’un avion de chasse moderne efficace demeure hors de portée, en dépit des tentatives peu concluantes de l’avionneur HESA avec les chasseurs légers Saeqeh et Kowsar dérivés du F-5. Mais les choses pourraient bien être appelées à changer dans les mois à venir. En effet, selon le Pentagone, l’Iran aurait détaché en Russie pilotes et équipes de maintenance pour se former sur le Su-35s, le chasseur le plus évolué au sein des forces aériennes russes, et pourrait percevoir dès 2023 une vingtaine d’appareils pour renforcer et moderniser ses forces aériennes.

Il s’agirait de prime abord pour Moscou, de consolider les relations avec Téhéran, alors que l’Iran est aujourd’hui l’un des très rares pays à accepter de livrer des armements aux forces armées russes engagées en Ukraine, en l’occurrence des munitions rôdeuses à longue portée ainsi que semble-t-il, des missiles balistiques, en livrant à Téhéran les 24 Su-35s en version export initialement commandés par Le Caire et déjà produits (photo en illustration principale), mais dont la livraison fut annulée par les autorités égyptiennes probablement du fait de pressions américaines et de menaces de sanctions économiques contre l’Egypte. Selon les officiels américains, la formation des pilotes et des techniciens iraniens aurait débuté au printemps de cette année, et les appareils pourraient rejoindre les forces aériennes dés l’année prochaine.

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La mission principale du Su-35s est la supériorité aérienne, mais l’appareil peut emporter une vaste panoplie de munitions air-sol ou air-surface.

L’arrivée de 24 Su-35s iranien sur le théâtre moyen-oriental ne représente pas, de prime abord, un bouleversement sensible des rapports de force régionaux. Toutefois, dans le présent contexte de tensions, notamment avec Israel et les monarchies Golfe, ces chasseurs beaucoup plus modernes et puissants que les appareils actuellement en service en Iran, pourraient offrir à Téhéran de nouvelles capacités opérationnelles significatives, selon les munitions qui seront ou pas livrées conjointement aux appareils. En effet, si le Su-35s n’est pas en mesure de procurer un avantage décisif face aux chasseurs modernes en service en Israel, en Arabie Saoudite ou aux Emirats Arabes Unis, il n’en demeure pas moins un chasseur disposant d’une avionique moderne, d’un radar performant, d’une importante allonge et surtout de la capacités à mettre en oeuvre de nombreuses munitions air-air, air-sol et air-surface.

Ainsi, si Moscou venait à livrer, conjointement aux Su-35, des missiles air-air à très longue portée R-37M, conçus pour atteindre des cibles aériennes jusqu’à 400 km, les forces aériennes iraniennes auraient la possibilité de repousser de plusieurs centaines de kilomètres d’éventuels appareils de soutiens tels des avions ravitailleurs ou d’alerte aérienne avancée, suffisamment pour contrarier significativement d’éventuelles frappes préventives israéliennes contre les infrastructures nucléaires iraniennes. De même, si les Su-35 iraniens venaient à être équipés de missiles anti-navires comme le Kh-35 ou le 3M-54A, ils seraient en mesure de considérablement étendre le périmètre de nuisance navale de Téhéran dans le Golfe Persique comme le Golfe d’Oman. Il en irait de même si les appareils venaient à être équipés de missiles de croisière comme le 3M-14 dont la portée déjà conséquente viendrait s’ajouter à l’allonge du chasseur lourd russe.

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Le Su-35s peut mettre en oeuvre le missile air-air à très longue portée R-37M qui représenterait une menace significative pour les appareils de soutien comme les avions ravitailleurs ou de détection aérienne avancée.

Enfin, et surtout, le Su-35s pourrait représenter un vecteur de choix pour transporter une éventuelle bombe nucléaire iranienne, y compris jusqu’en Israel. Rappelons en effet que selon de nombreuses sources, Téhéran disposerait désormais des capacités suffisantes pour produire au besoin, sur des délais estimés à quelques semaines, les quantités de matière fissible de qualité militaire nécessaires pour construire une arme nucléaire de faible puissance. Si Téhéran dispose de nombreux vecteurs balistiques de courte et moyenne portée, y compris de modèles pouvant atteindre Israel, le pays n’est pas en mesure, à ce jour, de miniaturiser suffisamment une arme nucléaire pour prendre place à bord d’un de ces missiles. En revanche, on peut penser que le pays serait en mesure de concevoir une bombe gravitationnelle nucléaire pouvant être mise en oeuvre par un chasseur lourd, comme le Su-35s, qui précisément dispose de l’allonge nécessaire pour frapper le territoire israélien sans ravitaillement en vol.

De fait, si les futurs Su-35s iraniens ne vont pas changer radicalement le rapport de force de ce théâtre, ils seront en mesure, en revanche, d’en transformer la physionomie, et donc d’attiser les tensions, ce d’autant que Jerusalem a déjà à plusieurs annoncé que les forces aériennes israéliennes s’entrainaient activement pour mener, au besoin, des frappes aériennes à très longue distance, ce que l’on sait signifier des frappes préventives sur les installations nucléaires et balistiques iraniennes. La réalité de l’évolution de la menace dépendra, dans les faits, davantage de la nature et du nombre de munitions livrées conjointement aux chasseurs lourds par Moscou, que des avions de combat eux-mêmes. Reste que dans le présent contexte, l’arrivée de ces appareils au sein des forces aériennes iraniennes, va incontestablement faire croitre les tensions régionales, et les risques qu’une étincelle vienne embraser l’ensemble de ce théâtre d’autant plus critique aujourd’hui pour les économies européennes et asiatiques, que les acquisitions d’hydrocarbures auprès de la Russie ont été considérablement réduites suite à l’offensive contre l’Ukraine. De là à penser qu’il s’agit d’une manoeuvre russe précisément destinée à cela …

L’Argentine abandonne son intention d’acquérir de nouveaux avions de chasse

Au début de la guerre des Malouines, les forces aériennes et aéronavales argentines alignaient 240 appareils, dont plus d’une centaine de chasseurs modernes Mirage IIIE, Dagger, Skyhawk et Super Etendard, soit l’une des plus puissantes flottes de chasse d’Amérique du Sud. Si 35 chasseurs furent perdus lors du conflit, le lent déclin des forces aériennes argentines entamé depuis la fin du conflit eut de nombreuses causes, dont la fin des ambitions militaires de Buenos Aires avec le renversement de la dictature du général Leopoldo Galtieri suite à la défaite des Malouines, des crises économiques à répétition qui frappèrent le pays depuis, ainsi que l’embargo sévère imposé par la Grande-Bretagne sur la vente d’appareils occidentaux. De fait, aujourd’hui, les forces aériennes argentines ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles furent au début des années 80, avec une vingtaine de A-4AR Fightinghawk et moins d’une dizaine d’avions d’entrainement Pampa 3 en service, et plus aucun chasseur supersonique pour un pays 2,8 millions de km2 bordé de 6000 km de cotes et 10.000 km de frontières terrestres.

Depuis plusieurs années, les autorités argentines tentaient d’acquérir de nouveaux chasseurs modernes, pour prendre le relais des Skyhawk qui ont été déjà poussés bien au delà de leur potentiel de vol planifié. En dépit des difficultés économiques qu’a rencontré le pays suite à la crise de 2001puis celle de 2013, plusieurs alternatives furent étudiées, dont le Kfir C7 israélien, le F-16 C/D américain, le Tejas indien et le FA-50 sud-coréen. Toutefois, comme c’est systématiquement le cas depuis 1982, la Grande-Bretagne imposa, à chaque fois, son veto sur l’exportation des sièges éjectables Martin-Baker, menant la plupart des négociations dans une impasse, en dehors du F-16 qui peut être équipé du siège éjectable américain ACES II. Mais les discussions les plus prometteuses semblaient porter sur l’acquisition de FC-1 chinois, également connu sous la référence JF-17 au Pakistan, certaines informations indiquant même que des équipes argentines s’étaient rendues au Pakistan pour évaluer l’appareil qui peut recevoir aussi bien un siège éjectable britannique que chinois.

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Les Etats-Unis proposaient le F-16 C/D à l’Argentine, considéré comme le plus sérieux concurrent du JF-17 sino-pakistanais (en illustration d’accueil)

Pour beaucoup de commentateurs spécialisés argentins, la décision d’acquérir un lot de nouveaux chasseurs, le FC-1 et le F-16 étant le plus souvent cités, devait intervenir rapidement, d’autant qu’une ligne de crédits spécifique de 600 m$ était apparu dans la planification budgétaire argentine. Les espoirs ont été vertement douchés le 7 décembre par un tweet publié par le président argentin Alberto Fernandez Prensa, et dans une interview vidéo donnée au Financial Times. En effet, pour le chef de l’état argentin, « l’Argentine doit consacrer ses ressources à des choses plus importantes que l’achat d’avions militaires aujourd’hui« , et d’ajouter « Nous sommes sur un continent très inégal, où il n’y a pas de guerre« , et de conclure « Pour nous, il y a d’autres priorités que d’acheter des armes« . De fait, le programme d’acquisition de nouveaux avions de chasse est purement et simplement annulé, pas même suspendu, et il est probable que d’autres programmes d’acquisition ou de modernisation des équipements des armées argentines seront, eux aussi, reportés voire annulés.

Le revirement du président Fernandez est une surprise, mais doit s’inscrire, pour être compris, dans le contexte politique du pays, alors que des élections générales interviendront le 29 octobre 2023, et que l’opposition est régulièrement donnée gagnante lors des sondages. Plutôt que de s’appuyer sur le nationalisme argentin, le président Fernandez entend en effet mettre en avant les bons résultats enregistrés par l’économie argentine sous son mandat débuté en 2019, avec notamment une croissance à plus de 15%, un chômage passé sous la barre des 10% et une dette souveraine qui a baissé de presque 8% sur l’année 2022, après une année 2021 déjà en forte croissance. Dans ce contexte, et après la très difficile crise de 2001 puis celle de 2013 qui vit le PIB argentin se déprécier de 40% en 5 ans, la décision du président Fernandez de sacrifier la modernisation des armées en l’absence de menace visible, au profit de l’économie du pays, pourrait bien être un pari politique payant.

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Les forces aériennes argentines mettent en oeuvre une vingtaine de chasseur bombardier subsoniques A)4AR Fightinghawk

Reste que l’annulation du programme condamnera probablement les dernières capacités de chasse des forces aériennes argentines, qui ne pourront continuer longtemps à faire voler leurs A-4AR Fightinghawk souvent plus vieux que les parents, voire que les grand-parents des pilotes qui y prennent place. Pourtant, si effectivement Buenos Aires ne fait face à aucune menace directe aujourd’hui, le pays n’en a pas moins une position stratégique pour le contrôle de l’Atlantique sud, ainsi que sur le continent sud-américain. Même si le different avec Londres au sujet des Malouines reste vivace dans le pays, il conviendrait, alors que la géopolitique mondiale est en pleine recomposition, de trouver des approches permettant à Buenos Aires de retrouver sa place, y compris du point de vue militaire, dans le bloc occidental, faute de quoi, le pays pourrait bien se laisser séduire par les odalisques économiques et géopolitiques chinoises, avec des conséquences importantes sur l’équilibre des forces en Amérique du Sud. A ce sujet, l’annulation du programme de chasse argentin, qui semblait se tourner vers le FC-1 chinois, apparait aujourd’hui comme une dernière opportunité pour permettre aux occidentaux de réagir.

La nouvelle doctrine nord-coréenne accroit considérablement le risque nucléaire dans la péninsule

La Corée du Nord est devenue, en 2006, le 9ème pays à disposer d’armes nucléaires, après l’explosion de sa première bombe A le 9 octobre. Pour Pyongyang, il s’agissait alors de répondre à la menace perçue posée par les Etats-Unis et les tensions répétées avec son voisin sud-coréen, mais également d’alimenter très efficacement la propagande du régime vis-à-vis d’une population très éprouvée par des décennies d’extreme pauvreté.

En outre, si le régime nord-coréen savait pouvoir s’appuyer sur Pékin et Moscou pendant la guerre froide, l’effondrement soviétique au début des années 90, et le rapprochement économique alors marqué entre la Chine et l’Occident engagé à partir du milieux de la décennie précédente, convainquirent Kim Jong Il de la nécessité de se doter d’une telle arme, même au risque de détériorer les relations avec ses deux alliés, qui d’ailleurs approuvèrent les nombreuses sanctions décrétées par le Conseil de Sécurité des Nations Unis suites aux essais nucléaires nord-coréens.

Pour autant, la doctrine nord-coréenne élaborée par Kim Jong il, se voulait avant tout défensive, avec deux cadres d’emploi strictes : une attaque nucléaire contre la Corée du Nord, ou une attaque conventionnelle visant directement le régime et ses dirigeants.

A aucun moment, dans cette doctrine, l’emploi de l’arme nucléaire en première intention n’était évoqué, ni même considéré. Il est vrai qu’au delà des aspects politiques, les armes nucléaires aux mains de Pyongyang étaient alors très volumineuses, et leur utilisation ne pouvait se concevoir à l’échelon tactique.

Depuis l’arrivée de Kim Jong Un, fils et héritier de Kim Jung Il, à la tête du pays en 2011, un très important effort fut entrepris par le régime précisément pour miniaturiser les têtes nucléaires nord-coréennes, mais également pour developper de nouveaux vecteurs, qu’il s’agisse de missiles balistiques ou de missiles de croisière, beaucoup plus évolués que ceux qu’ils remplacent.

Et de fait, désormais, Pyongyang dispose de missiles tactiques capables de transporter des charges nucléaires plus compactes, ainsi que de nouveaux missiles intercontinentaux ou à changement de milieux, modifiant considérablement le rapport de force dans la Péninsule coréenne, mais également sur l’ensemble du théâtre Pacifique.

la doctrine nord-coréenne repose sur l'utilisation préventive d'armes nucléaires
La Corée du nord a développé, ces dernières années, des missiles balistiques avancés, comme le Hwasong-8, un missile hypersonique antinavire présenté pour la première fois le 28 septembre 2021

Dans le même temps, une nouvelle doctrine émergea ces dernières années dans les propos du dirigeant nord coréen, mais également dans ceux de sa soeur et héritière potentielle, Kim Yo-Jong, envisageant et théorisant l’utilisation d’armes nucléaires tactiques pour frapper la Corée du Sud, ses forces armées et ses infrastructures, et ce en première intention.

En d’autres termes, Pyongyang considère désormais légitime et potentiellement efficace d’utiliser des armes nucléaires tactiques contre son voisin pour s’assurer d’une victoire militaire afin, par exemple, de réunifier la péninsule, ce d’autant que le pays dispose maintenant de missiles balistiques intercontinentaux capables d’atteindre les Etats-Unis, une arme suffisante pour tenir à distance Washington, ses armées et ses forces nucléaires, dans une telle hypothèse.

Cette nouvelle configuration représente, pour de nombreux spécialistes du sujet, un contexte de tensions extrêmes avec des risques très importants que le seuil nucléaire puisse être franchi en Corée dans les années à venir.

Paradoxalement, cette situation est, en partie, la conséquence même des sanctions internationales prises contre Pyongyang, mais également du développement économique et technologique foudroyant de la Corée du Sud.

En effet, à l’issue de la guerre de Corée, au début des années 50, les deux pays étaient économiquement et humainement exsangues, et s’appuyaient chacun sur leurs alliés, chinois et soviétiques pour Pyongyang, américains pour Séoul, pour équiper leurs forces armées respectives, dans un équilibre certes instable, mais effectif.

Le développement économique très rapide de la Corée du Sud à partir des années 80, permit aux armées sud-coréennes de se doter d’équipements de plus en plus performants, alors que les armées nord coréennes, malgré leur imposante supériorité numérique, restaient figées, technologiquement, dans les années 80, avec l’arrêt du soutien soviétique et la baisse du soutien chinois.

Le durcissement des sanctions internationales autour du programme nucléaire militaire de Pyongyang, accentua ce gradient technologique et donc la vulnérabilité croissante des armées nord-coréennes conventionnelles face à celles de la Corée du Sud.

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Les forces aériennes nord-coréennes ne disposent que de 35 Mig-29, l’appareil est le plus moderne en service en Coréen du Nord.

Pour un régime dictatorial par nature paranoïaque, il s’agissait d’une menace inacceptable, et la seule façon d’y répondre, eu égard des capacités économiques et technologiques du pays, reposait précisément sur le renforcement des capacités de frappe nucléaire.

C’est ainsi que depuis son arrivée au pouvoir, Kim Jong Un a considérablement accru les efforts du pays aussi bien pour developper de nouveaux vecteurs performants, y compris des missiles à trajectoire semi-balistique ou hypersonique, et des missiles à très longue portée, capables de frapper, au besoin la côte ouest américaine, ainsi que les têtes nucléaires adaptées à ce type de vecteur.

Rappelons en effet que si le pays dispose d’une cinquantaine de têtes nucléaires, et procéda à pas moins de 83 tirs de missiles balistiques sur la seule année 2022, ses forces aériennes reposent aujourd’hui très majoritairement sur des chasseurs chinois F-5 (Mig-17), F-7 (MIG-19) et F-9 (MIG-21), ainsi que de Su-25 et MIG-23, soit des aéronefs conçus dans les années 50 ou 60. Sa force blindée s’appuie, elle, sur plus de 3000 chars Chonma-ho, mais ceux-ci sont dérivés du T-62 soviétique entré en service au milieux des années 60.

Même le nouveau modèle de sous-marin de la classe Sinpo, qui mettra en oeuvre les missiles balistiques à changement de milieu Pukkuksong, est basé sur le modèle soviétique Projet 633 (Classification OTAN Romeo), conçu au début des années 50, et dont le premier navire est entré en service au sein de la marine soviétique en 1957.

De fait, en dehors de l’avantage numérique avec 1.300.000 hommes sous les drapeau contre 625.000 militaires et conscrits en Corée du Sud, Pyongyang n’a désormais plus guère d’atouts à faire valoir du point de vue conventionnel, Séoul ayant fourni un effort très important ces 30 dernières années pour se doter d’une puissance militaire moderne et efficace, mais également d’une industrie de défense produisant désormais des équipements très performants, comme le char K-2, le canon automoteur K9, le véhicule de combat d’infanterie AS-21, l’avion de combat KF-21 ou encore les sous-marins Dosan Anh Changho, tous considérablement supérieurs aux équipements des armées nord-coréennes.

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L’industrie de défense sud-coréenne produit désormais des équipements d’excellente qualité, comme le char de combat K-2 Black Panther

A ce titre, si le recours à l’arme nucléaire tactique est désormais intégré à la doctrine de Pyongyang, Séoul s’est doté, de son coté, d’une nouvelle doctrine destinée précisément à contenir cette menace.

Dite « Doctrine 3 axes », celle-ci s’appuie précisément sur les performances supérieures des armées sud-coréennes, pour frapper et détruire les armes nucléaires nord-coréennes (1er axe) avant que celles-ci ne puissent être lancées, et ce dès lors que Séoul aurait acquis la certitude de Pyongyang s’apprêterait à en faire usage. Les vecteurs nord-coréens ayant échappé aux frappes préventives de Séoul doivent alors être interceptés et détruits par la défense anti-aérienne et anti-missile sud-coréenne (2nd axe), avant qu’ils n’atteignent leurs cibles.

Enfin, les forces sud-coréennes s’appuieront sur les capacités militaires supérieures pour détruire les armées nord-coréennes et les sites stratégiques du pays (3ème axe). Cette doctrine, qui n’est pas encore pleinement mise en oeuvre, permet notamment à Séoul de s’affranchir du parapluie nucléaire américain, et de disposer d’une capacité de dissuasion efficace face à Pyongyang, même si elle ne repose que sur des armes conventionnelles.

Reste que, pour Pyongyang comme pour Séoul, les deux nouvelles doctrines s’appuient avant tout sur le principe des frappes préventives pour être efficace, ce qui, de toute évidence, contribue à créer un climat de tension particulièrement intense, et à accroitre le risque d’embrasement de la péninsule.

Le risque est d’autant plus important que l’influence russe et chinoise sur Pyongyang a diminué, et que d’autres théâtres sous tension, comme en Europe au sujet de l’Ukraine, ou dans le Pacifique autour du Taïwan, peuvent créer des opportunités perçues par les dirigeants nord-coréens.

Le fait est, alors qu’elle n’est que rarement évoquée dans les médias, la péninsule coréenne est, aujourd’hui, l’un des théâtres les plus sous tension de la planète, et probablement celui sur lequel le risque nucléaire est le plus important.

Le Rafale M a la préférence de la Marine Indienne face au Super Hornet

Si Dassault Aviation et la Team Rafale ont connu deux années fastes en 2021 et 2022 en matière d’exportation, avec la vente de presque 180 avions Rafale neufs à la Grèce, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis et l’Indonésie, plusieurs autres négociations sont régulièrement évoquées comme avancées proche d’une conclusion, avec par exemple la Serbie et l’Irak. Mais le plus important potentiel d’exportation de l’avion français dans les mois et années à venir, repose sur l’Inde, avec la compétition MMRCA 2 pour 57 ou 114 avions pour l’Indian Air Force, ainsi que la compétition qui oppose depuis prés de 2 ans la version navale de l’appareil, le Rafale M, au F/A-18 E/F Super Hornet de Boeing, pour équiper les porte-avions de la Marine Indienne. Cette compétition porte sur 26 appareils devant servir de solution intérimaire dans l’attente de l’entrée en service du Twin-Engined Deck Based Fighter, ou TEDBF, un programme mené par l’agence indienne de l’armement DRDO pour concevoir et construire un chasseur moyen embarqué moderne de facture nationale d’ici la fin de la décennie.

Pour départager les deux appareils, la Marine Indienne a mené une méticuleuse campagne d’essais, afin d’évaluer les performances du Rafale M comme du Super Hornet, en particulier pour déterminer leurs capacités à être efficacement mis en oeuvre à partir d’un porte-avions STOBAR, c’est à dire ne disposant pas de catapultes comme les navires américains et français, mais d’un tremplin ou Skijump, comme c’est aujourd’hui le cas de l’INS Vikramaditya, et du nouveau porte-avions INS Vikrant. Les quelques clichés publiés par la presse indienne au sujet de ces essais qui se sont tenus sur la base aéronavale de Goa, avaient montré que le Rafale M se satisfaisait très bien de ce dispositif, et pouvait même prendre l’air dans une configuration proche de celle employée à bord du Charles de Gaulle. Depuis, les Etats-Unis et Boeing n’avaient pas ménagé leurs efforts pour tenter d’influencer l’opinion publique indienne, avec d’importantes campagnes de presse ventant les mérites de son appareil, là ou Dassault Aviation était resté, à son habitude, particulièrement discret.

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Le Rafale a montré d’importantes capacités d’emport lors des essais sur la base aéronavale de Goa, en prenant l’air à partir d’un Skijump d’essais en configuration lourde, avec un missile AM39 exocet, deux bidons subsoniques de 2000 litres, deux Mica EM et deux Mica IR, soit une configuration identique à celle mise en oeuvre à bord de Charles de Gaulle pour les missions anti-surface.

Le rapport concluant cette campagne d’essais a été transmise aux autorités indiennes il y a peu, et selon la presse indienne, les résultats sont sans appels : Pour la Marine Indienne, le Rafale M répond mieux à ses besoins que le Super Hornet, l’appareil français ayant été jugé « plus apte à satisfaire les exigences opérationnelles et les critères de la Marine Indienne », ouvrant la voix à un arbitrage final des autorités indiennes, désormais très probablement en faveur du chasseur embarqué français. Cela représenterait également un important succès pour Dassault Aviation, qui n’a jamais à ce jour exporté d’avion de combat naval destiné à opérer à partir d’un porte-avions, alors que le dernier chasseur naval conventionnel occidental exporté pour cette mission n’était autre que le F-4 Phantom 2, le marché ayant été capté, ces 5 dernières décennies, par des chasseurs à décollage et atterrissage court ou vertical, le Harrier/Sea Harrier et le F-35B.

Si l’évaluation technique et opérationnelle joue un rôle déterminant dans cette compétition, elle n’en est pas le seul critère. Or, les autres critères, qu’il s’agisse des aspects budgétaires, de maintenance et d’évolution, ainsi que de délais de livraison et de mise en oeuvre, étaient déjà en faveur du Rafale. L’appareil est en effet en service au sein des forces aériennes indiennes, celles-ci disposant d’importantes infrastructures de maintenance et de formation, alors que les Rafale indiens ont déjà été adaptés aux exigences opérationnelles de l’IAF, proches de celles de la Marine Indienne, notamment en terme de munitions. En outre, alors que la ligne de production du Super Hornet est proche de la fermeture, et que l’US Navy prévoit de retirer l’appareil du service d’ici 2040, la ligne de production Rafale peut s’appuyer sur une activité soutenue pour les dix à quinze années à venir, alors que l’avion continuera d’être modernisé au travers de nouveaux standards F4, F5 et F6, pendant encore une trentaine d’années, pour les besoins des forces aériennes françaises comme pour les opérateurs internationaux de l’appareil.

FA18ESuper Hornet Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Avec un carnet de commande très réduit et aucune perspective nouvelle d’exportation, l’espérance de vie industrielle du Super Hornet de Boeing est désormais très réduite

De fait, les chances de succès du Rafale M dans cette compétition sont désormais très importantes, sauf revirement politique de dernière minute. En outre, le succès du Rafale M au sein de la Marine indienne, agira probablement comme un facteur de poids pour ce qui concerne d’éventuelles nouvelles commandes pour l’Indian Air Force, qui fait face à une réduction importante du nombre d’escadron de chasse avec le retrait des MiG-21 et 27, et celui à venir des Jaguar et des Mirage 2000. En effet, une flotte partagée entre la Marine et l’Armée de l’Air permettrait d’atténuer, pour chaque force, les couts de modernisation, de maintenance et de formation, et donc sa soutenabilité, comme c’est notamment le cas en France. Enfin, alors que l’IAF envisage de diminuer le volume du contrat MMRCA 2, l’ajout des 26 appareils de la Marine pourrait permettre de dépasser le seuil requis pour déployer une ligne d’assemblage de l’appareil en Inde, à destination des deux forces armées, un argument de poids pour la politique Make in India poursuivie par le premier Ministre Narendra Modi.

Le succès du Rafale M en Inde pourrait, par ailleurs, ouvrir de nouvelles perspectives pour l’avion français à l’exportation. En effet, jusqu’à présent, l’ensemble des forces navales souhaitant s’équiper d’une capacité aéronavale de chasse embarquée se tournait, en l’absence de porte-avions équipé de catapultes, soit vers le F-35B américain, soit vers le MIG-29K russe, le premier étant particulièrement onéreux et accompagné d’importantes contraintes d’exportation, le second ayant des performances limitées, notamment en terme de capacité d’emport et de rayon d’action. L’arrivé du Rafale M pour les porte-avions équipés de brins d’arrêt et d’un tremplin, avec des performances très avancées aussi bien terme de capacités d’emport, de rayon d’action que de vitesse, et de technologies embarquées très performantes, pourrait rapidement amener d’autres pays à s’intéresser à l’avion français.

IAC1 INS Vikrant Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
lancé en 2013, l’INS Vikrant a été livré à la Marine Indienne au moins de Juillet 2022, et admis au service en Septembre. C’est le premier porte-avions de conception et de construction entièrement indienne.

Pour le Super Hornet de Boeing, en revanche, cette annonce sonne très probablement le glas de la production, l’US Navy ayant déjà annoncé qu’elle ne souhaitait plus commander d’appareils supplémentaires pour concentrer ses moyens sur l’achat de F-35C et la conception du F/A-XX, le remplaçant de nouvelle génération du F/A-18, qui doit entrer en service d’ici la fin de la prochaine décennie. En l’absence de nouvelles perspectives d’exportation, il est peu probable que le Congrès, qui depuis 2 ans imposait à l’US Navy de commander une dizaine de Super Hornet chaque année pour préserver la ligne d’assemblage de Saint-Louis, maintienne cet effort, ce qui signerait la fin de la production de l’appareil.

Reste que, comme l’a montré l’exemple suisse, il ne faut jamais crier victoire dans ce domaine avant que les annonces officielles de soient faites, surtout lorsque le concurrent est américain. Il faudra donc patienter jusqu’à l’annonce de l’arbitrage définitif de New Delhi, pour savoir lequel des deux appareils entre le Rafale M et le Super Hornet, évoluera sur le pont des porte-avions indiens. Celle-ci pourrait désormais intervenir rapidement, d’autant que le second porte-avions indien, l’INS Vikrant, est entré en service en septembre de cet année, et qu’il soit atteindre sa pleine capacité opérationnelle d’ici le milieu de l’année 2023. A ce sujet, il fut évoqué dans la presse spécialisé, que la France pourrait céder quelques Rafale M F3R de la Marine nationale, probablement parmi les premiers appareils à être entré en service en 2000, pour faciliter la transition et l’entrainement es équipages et équipes techniques indiennes, notamment à bord du Vikrant. Il faudra encore un peu de patience pour être fixé sur l’ensemble de ces sujets.

Le concept de porte-avions léger Lightning-Carrier a été jugé concluant par l’US Navy lors des essais

Le concept de porte-avions léger reprend des couleurs avec le programme Lightning-Carrier au sein de l’US Navy pour faire face à la montée en puissance de la Marine chinoise.

Au plus fort de l’effort américain pour la reconquête des iles du Pacifique, l’US Navy alignait une vingtaine de porte-avions lourds de la classe Essex, ces navires constituant le corps de bataille naval américain pour contrer et détruire la puissante flotte nippone.

Pourtant, une grande partie des missions de l’aéronavale américaine, dans le Pacifique comme dans l’Atlantique, qu’il s’agisse de l’escorte des convois navals ou d’appuyer les forces amphibies lors des assauts, fut menée à partir des 9 porte-avions légers de la classe Independence et des 50 porte-avions d’escorte de la classe Casablanca.

Longs de 190 mètres pour un déplacement en charge de 15.000 tonnes, les porte-avions légers de la classe Independence mettaient en œuvre 35 appareils Hellcat et Avenger, contre 28 pour les porte-avions d’escorte de 10.000 tonnes de la classe Casablanca, afin de tenir en respect les menaces aériennes, navales et sous-marines visant les convois ou les forces débarquées.

Le porte-avions léger joua un rôle important durant la seconde guerre mondiale
Les porte-avions d’escorte de la classe Casablanca (ici l’USS Guadalcanal) jouèrent un rôle décisif dans la campagne du Pacifique, mais également dans l’escorte des convois dans l’Atlantique

Avec l’arrivée des premiers jets embarqués à la fin des années 40, les dimensions des porte-avions furent rapidement revues à la hausse, passant de 250m et 30.000 tonnes pour la classe Essex, à 300 mètres et 55.000 tonnes pour les porte-avions lourds de la classe Midway.

L’évolution du porte-avions léger et moyen lors de la guerre froide

Quant aux porte-avions légers ou d’escorte, ils quittèrent le service, incapables qu’ils étaient d’accueillir efficacement, du fait de leur tonnage limité, les nouveaux appareils. Dans les années 60, l’US Navy s’était définitivement débarrassée de ce type de navire pour se doter exclusivement de porte-avions lourds.

La France et la Grande-Bretagne, pour leur part, développèrent des modèles de porte-avions moyens aux dimensions plus réduites que les navires américains, mais capables de mettre en œuvre des chasseurs embarqués modernes, avec les classes Clemenceau et Hermes, des navires de 35.000 tonnes et de 270 mètres.

Le Porte avions Clemenceau emportant des Super Etendrad Alizes et Etendrad IV escorte par la FAA Cassard Allemagne | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
avec un déplacement de seulement 32.000 tonnes, le Clemenceau était moitié moins lourd que ses contemporains de l’US Navy. C’est toujours le cas aujourd’hui avec le Charles de Gaulle et ses 45.000 tonnes, face aux 90.000 tonnes des Nimitz.

Alors que les avions de combat embarqués devenaient, aux fils des années, de plus en plus lourds et performants, le concept de porte-avions léger semblait anachronique au début des années 70, tout du moins jusqu’à l’émergence du couple formé par les porte-avions britanniques de la classe Invincible et du Sea Harrier, la version navale embarquée du chasseur à décollage et atterrissage court et vertical de Hawker Siddeley, couple qui démontra son efficacité lors de la guerre des Malouines en 1982.

Longs d’à peine 207 mètres pour un déplacement de 20.000 tonnes, les porte-avions de la classe Invincible remirent le concept de porte-avions léger au gout du jour, et inspirèrent de nombreuses forces navales qui entreprirent de se doter d’une chasse embarquée en s’appuyant sur les mêmes paradigmes.

Dans le même temps, en s’inspirant du Skijump développé par les Britanniques, les Soviétiques développèrent un modèle de porte-avions de taille intermédiaire dépourvu de catapultes, mais équipé de brins d’arrêt, la classe Kuznetzov, et s’appuyant sur des avions de combat classiques disposant d’un excellent rapport poussé poids au décollage, tels les Mig-29 et les Su-33.

L’arrivée du Harrier puis du F-35B Lighting II

Ces deux approches sont aujourd’hui largement employées, que ce soit par les marines occidentales en s’appuyant sur le Harrier et désormais le F-35B, ou par les marines russes, chinoises et indiennes avec des approches dérivées du Kuznetzov.

Il en fut de même pour l’US Navy et surtout l’US Marines Corps qui, depuis le milieu des années 80, mettaient en œuvre des chasseurs McDonnell Douglas AV-8B Harrier II à bord des porte-hélicoptères d’assaut des classes Tarawa et Iwo Jima.

Chaque porte-hélicoptères d’assaut alignait alors 8 à 10 chasseurs aux cotés des hélicoptères d’assaut et d’attaque, avec mission de protéger et soutenir les forces amphibies débarquées.

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Les porte-avions nucléaires lourds de la classe Nimitz de l’US Navy peuvent mettre en œuvre jusqu’à 85 appareils dont une soixantaine d’avions de chasse, l’équivalent d’une escadre de chasse.

La mission de porte-avions, elle, était strictement dévolue aux porte-avions lourds, et en particulier aux porte-avions nucléaires de la classe Nimitz long de 330 mètres pour 90.000 tonnes en charge, capables de mettre en œuvre tous les appareils embarqués de l’US Navy, dont près de 60 chasseurs Hornet, Tomcat et Corsair II.

Eu égard à la configuration des théâtres d’opération lors de la guerre froide, la flotte de porte-avions lourds de l’US Navy, forte de 12 navires, était jugée suffisante pour contenir l’ensemble des menaces.

L’émergence, ces dernières années, de la très puissante force navale chinoise, a radicalement changé cette perception, et alors que l’US Navy envisageait il y a quelques années encore de réduire sa flotte de porte-avions lourds à 8 unités, elle est revenue, il y a juste une année, dans sa planification, à 11 puis 12 navires de ce type.

Le concept du Lightning-Carrier de la classe America

Dans le même temps, elle s’est attachée à étudier la possibilité de transformer une partie de ses porte-hélicoptères d’assaut en porte-avions légers, en s’appuyant sur les capacités des nouveaux LHA de la classe America, et surtout sur les performances du F-35B Lighting II du corps des Marines, pour concevoir le concept de « Lighting Carrier« .

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Contrairement aux porte-avions britanniques ou italiens, les LHA de la classe America sont dépourvus de Skijump, et n’ont pas été conçus pour soutenir une activité aérienne intense

Longs de presque 260 mètres pour un déplacement de 45.000 tonnes, les LHA de la classe America n’ont guère à voir, dans leurs dimensions, avec les porte-avions légers de la seconde guerre mondiale, ni même avec les porte-avions de la classe Invincible britannique des années 70.

Si les navires ont été conçus avant tout pour mener des assauts aéro-amphibies, ils peuvent également mettre en œuvre, en configuration classique, une dizaine de F-35B, le nouveau chasseur de Lockheed Martin, leur conférant une grande polyvalence en termes de mission aérienne, allant de la défense aérienne aux frappes vers la terre, en passant par les missions anti-surface.

En outre, grâce à ses capteurs performants et ses moyens de communication avancés, le F-35B offre des capacités démultipliées en termes de contrôle de l’espace aérien et du champ de bataille vis-à-vis du Harrier II qu’il remplace, pouvant même, si besoin, se passer d’un avion d’alerte aérienne avancée comme l’E-2 Hawkeye.

Une réponse aux besoins de l’US Navy

Alors que les besoins potentiels de l’US Navy sur le théâtre indo-Pacifique ne cessaient de croitre, l’utilisation des LHA de la classe America comme porte-avions légers pouvait sembler aller de soi.

Pourtant, de profondes réticences subsistaient au sein de l’état-major de l’US Navy, loin d’être convaincu de la pertinence de l’approche. Il fallut le retour d’expérience des escadrons de F-35B du Marines Corps à bord des porte-avions britanniques pour adoucir les positions des plus rétifs, et en mars 2022, il fut décidé de procéder à une expérimentation de ce type à bord de l’USS Tripoli, le second navire de la classe America.

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Le F-35B offre un regain de capacités important vis-à-vis du Harrier II qu’il remplace au sein de l’US Marines Corps

À partir du mois d’avril 2022, le navire américain devait embarquer entre 14 et 18 Lighting II lors de son déploiement dans le Pacifique, pour assurer la fonction de porte-avions léger. Et de toute évidence, les résultats ont été concluants.

En effet, à l’occasion d’un événement organisé par l’US Naval Institute, le vice-amiral Karl Thomas, qui commande la 7ᵉ flotte américaine, s’est montré des plus élogieux concernant les performances et résultats obtenus par l’USS Tripoli et ses 14 F-35B lors de ces essais.

Sans entrer dans les détails, l’officier général américain a ainsi indiqué que le couple LHA-F-35B s’était montré à la fois performant et réactif dans de nombreux domaines, en particulier par la versatilité de ce couple, tant pour assurer les missions de projection de puissance que pour renforcer les postures défensives et offensives de la flotte.

Surtout, alors que la classe America n’a pas été conçue pour soutenir une activité aérienne de chasse soutenue, avec notamment seulement 2 spots pouvant accueillir les F-35B, et l’absence de Skijump, l’amiral Thomas a estimé, lors de cette conférence, que le potentiel opérationnel du navire et de sa chasse embarquée, s’avérait en fait supérieur à celui des porte-avions chinois Liaoning et Shandong et des J-15 qu’ils mettent en oeuvre.

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Au delà des deux premières unités de la classe, les LHA de la classe America pourront mettre en oeuvre des aéroglisseurs d’assaut de type LCAC grâce a un radier

Un avenir encore incertain

Reste à voir, désormais, comment l’US Navy exploitera, ou non, les enseignements de cette campagne expérimentale, d’autant qu’elle ne fait plus, désormais, face à la menace de voir sa flotte de porte-avions lourds réduite sur fond de coupes budgétaires.

En outre, si l’USS Tripoli, comme l’USS America avant lui, sont optimisés pour la mise en œuvre d’aéronefs, les neuf autres LHA de la classe qui doivent suivre seront, quant à eux, équipés d’un radier et optimisés pour l’assaut amphibie afin de remplacer les LHA de la classe Tarawa, ce qui en diminuera la capacité d’emport aérien.

On peut dès lors s’interroger sur la possibilité d’employer effectivement cette flotte de manière homogène pour, à la demande, en faire un « Lightning Carrier », tout au moins au-delà des deux premières unités.

Enfin, la flotte de F-35B de l’US Marines Corps, soit 353 appareils, a été dimensionnée pour équiper les navires d’assaut et les bases aériennes projetées pour assurer les missions strictes du corps, et non pour déborder, vers des missions qui reviennent, traditionnellement, à l’US Navy.

Face au conservatisme traditionnel de celle-ci, ainsi qu’aux contraintes budgétaires et de ressources humaines qui s’appliquent aussi bien à l’US Navy qu’à l’US Marines Corps, il est probable que le « Lighting Carrier » demeurera une simple expérimentation, ou qu’il ne répondra qu’à un usage exceptionnel et limité. En revanche, il inspirera très certainement d’autres forces armées, en Europe comme en Asie, qui, elles aussi, prennent conscience du potentiel d’un tel outil militaire.

Les sanctions contre la Turquie ont disparu de la nouvelle loi budgétaire défense américaine pour 2023

Depuis 2020, suite à la livraison de systèmes S-400 auprès de la Russie, le Congrès américain intégrait systématiquement aux lois encadrant les dépenses annuelles de défense américaines, l’interdiction faite à l’exécutif de lever les sanctions technologiques imposées à Ankara. Il s’agissait, alors, de limiter les capacités de contournement du véto posé par le Congrès par l’administration Trump, assez rétive dans ce domaine, et plutôt encline à plus de souplesse vis-à-vis de la Turquie et de son président R.T Erdogan. La même disposition fut intégrée à la National Defense Authorization Act 2022, alors que la nouvelle administration de Joe Biden, elle aussi, souhaitait la levée partielle des sanctions contre Ankara, en particulier pour ce qui concernait l’acquisition de 40 nouveaux F-16 V et de 80 kits pour convertir une partie des F-16 Block 52 des forces aériennes turques vers ce standard, au plus grand déplaisir de R.T Erdogan qui menaça à plusieurs reprises de se tourner vers d’autres partenaires, la Russie étant régulièrement citée à ce sujet.

L’offensive russe contre l’Ukraine à partir du mois de février 2022, a cependant considérablement changé la donne dans ce domaine. Non pas, d’ailleurs, qu’Ankara ait modifié sa posture très ambiguë vis-à-vis de Moscou, soutenant militairement l’Ukraine d’une part en livrant des drones et des blindés, mais servant également de moyen de contournement des sanctions occidentales pour Moscou, que ce soit pour l’exportation des hydrocarbures que pour l’approvisionnement de certaines technologies critiques, notamment en matière de de semi-conducteurs. Ni que le président Erdogan ait assoupli ses ambitions, dans le Caucase, en Syrie et en Irak face aux Kurdes, ou encore en Mer Egée, face à la Grèce et Chypre. Mais de toute évidence, certains arguments ont porté au Capitole, puisque comme s’en félicite la presse turque aujourd’hui, les clauses faisant référence aux sanctions technologiques américaines ont disparu du nouvel NDAA qui fait l’objet d’un accord bipartisan, et qui doit rapidement être voté par le congrès américain.

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La Grèce a commandé 84 kits affinée moderniser une partie de sa flotte de F-16 au standard F-16V

Si la disparition de ces restrictions permettra à l’exécutif américain d’entamer des négociations avec Ankara pour répondre aux demandes des armées et industriels turcs, en particulier pour ce qui concerne la modernisation de la flotte de chasse, cela ne constitue en revanche en aucune manière une levée stricte des sanctions. En effet, les autorisations d’exportation d’armement et de technologies de défense américaines demeurent la prérogative stricte du Congrès, et rien ne dit que celui ici validera les demandes d’Ankara, en particulier à court terme. Il s’agit, en revanche, d’une plus grande souplesse offerte aux négociateurs américains, pour entamer les discussions avec leurs homologues à ce sujet, notamment pour obtenir certaines concessions strictes de la part d’Ankara, par exemple quant à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, ou concernant la mise en oeuvre de la batterie S-400 acquise par Ankara et livrée en 2020 par la Russie.

Rappelons en effet qu’en juin 2023 auront lieux les prochaines élections présidentielles et législatives en Turquie, et que contrairement aux élections précédentes, la victoire du Parti de la Justice et du Développement (AKP ) de R.T Erdogan est loin d’être acquise, alors que le pays rencontre d’immenses difficultés économiques avec, entre autre, une inflation à plus de 80% sur les 12 derniers mois. Ainsi, dans les sondages d’opinion, le maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu du parti Républicain du peuple (CHP) et d’obédience kémaliste, fait souvent jeu égal avec Erdogan et l’AKP, que ce soit pour les élections présidentielles ou législatives. En excluant les sanctions américaines du NDAA, le Congrès se réserve donc la possibilité, le cas échéant, d’accélérer les négociations avec Ankara sur ces sujets, en particulier si les résultats des urnes sont perçues comme plus favorables par Washington. Reste cependant que si Erdogan est mis en difficulté dans les sondages aujourd’hui, c’est avant tout lié à ses échecs économiques, et non par rejet de la politique étrangère du président. Ainsi, même si un changement de majorité et de gouvernement intervenait à l’issu des élections, rien ne garantit que les postures internationales du pays, notamment face aux kurdes syriens et irakiens, dans le Caucase face à l’Arménie ou en Mer Egée face à la Grèce, soient appelées à évoluer positivement.

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L’assouplissement de la posture US vis-à-vis des exportations de technologies de défense vers la Turquie, amener probablement certains pays européens, comme la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne à faire de même, permettant à l’industrie de défense turque de palier certaines impasses technologiques, comme pour ce qui concerne la motorisation de l’avion de combat TFX

Pourtant, on peut objectivement s’interroger sur l’intérêt, pour les Etats-Unis comme pour l’OTAN, de s’appuyer sur une puissance militaire turque sur-dimensionnée dans le contexte actuel. Le rôle de la Turquie était stratégique lors de la guerre froide, notamment pour contenir les possibilités d’action soviétiques et du pacte de Varsovie sur le flanc sud européen, dans le Caucase et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, toutefois, la carte géopolitique a radicalement évolué, les anciens pays du bloc soviétique en Europe ayant rejoint l’OTAN, la Syrie ayant perdu l’essentiel de ses forces militaires, et la Russie ayant, elle aussi, été considérablement et durablement affaiblie du point de vue conventionnel et en Mer Noire. Dans ces conditions, les possibilités de manoeuvre et de nuisance de la Russie, celles que la Turquie était sensée contenir, ont presque toutes disparues ou ont été considérablement amoindries, alors même que le bloc militaire européen s’est, quant à lui, renforcé par l’adhésion de nouveaux pays à l’UE comme à l’OTAN.

Dans ces conditions, on peut raisonnablement s’interroger quant aux objectifs réels visés par les autorités turques dans l’important effort de modernisation des forces armées entrepris depuis 2015, et donc sur la pertinence de conférer, par des licences d’exportation technologiques en matière de technologies de défense, à Ankara un potentiel militaire sur-dimensionné vis-à-vis de la réalité de la menace régionale présente net à venir ? En supprimant les sanctions technologiques contre Ankara pour le NDAA 2023, le Congrès américain risque en effet, d’alimenter les appétits expansionnistes d’une l’opinion publique turque exacerbée par un discours nationaliste porté à la fois par l’AKP et le CHP, d’autant que de nombreux pays européens calquent leur politique étrangère dans ce domaine sur le modèle américain, en particulier pour ce qui concerne le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, 3 pays qui ont d’importants intérêts industriels de défense en Turquie. Il est probable, dès lors, que le sujet sera scruté avec grande attention par de nombreux pays frontaliers de la Turquie, comme la Grèce, l’Arménie et l’Irak, qui tous redoutent à raison l’accroissement des capacités militaires du pays.