jeudi, décembre 4, 2025
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Les sanctions contre la Turquie ont disparu de la nouvelle loi budgétaire défense américaine pour 2023

Depuis 2020, suite à la livraison de systèmes S-400 auprès de la Russie, le Congrès américain intégrait systématiquement aux lois encadrant les dépenses annuelles de défense américaines, l’interdiction faite à l’exécutif de lever les sanctions technologiques imposées à Ankara. Il s’agissait, alors, de limiter les capacités de contournement du véto posé par le Congrès par l’administration Trump, assez rétive dans ce domaine, et plutôt encline à plus de souplesse vis-à-vis de la Turquie et de son président R.T Erdogan. La même disposition fut intégrée à la National Defense Authorization Act 2022, alors que la nouvelle administration de Joe Biden, elle aussi, souhaitait la levée partielle des sanctions contre Ankara, en particulier pour ce qui concernait l’acquisition de 40 nouveaux F-16 V et de 80 kits pour convertir une partie des F-16 Block 52 des forces aériennes turques vers ce standard, au plus grand déplaisir de R.T Erdogan qui menaça à plusieurs reprises de se tourner vers d’autres partenaires, la Russie étant régulièrement citée à ce sujet.

L’offensive russe contre l’Ukraine à partir du mois de février 2022, a cependant considérablement changé la donne dans ce domaine. Non pas, d’ailleurs, qu’Ankara ait modifié sa posture très ambiguë vis-à-vis de Moscou, soutenant militairement l’Ukraine d’une part en livrant des drones et des blindés, mais servant également de moyen de contournement des sanctions occidentales pour Moscou, que ce soit pour l’exportation des hydrocarbures que pour l’approvisionnement de certaines technologies critiques, notamment en matière de de semi-conducteurs. Ni que le président Erdogan ait assoupli ses ambitions, dans le Caucase, en Syrie et en Irak face aux Kurdes, ou encore en Mer Egée, face à la Grèce et Chypre. Mais de toute évidence, certains arguments ont porté au Capitole, puisque comme s’en félicite la presse turque aujourd’hui, les clauses faisant référence aux sanctions technologiques américaines ont disparu du nouvel NDAA qui fait l’objet d’un accord bipartisan, et qui doit rapidement être voté par le congrès américain.

F16block70 greece Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
La Grèce a commandé 84 kits affinée moderniser une partie de sa flotte de F-16 au standard F-16V

Si la disparition de ces restrictions permettra à l’exécutif américain d’entamer des négociations avec Ankara pour répondre aux demandes des armées et industriels turcs, en particulier pour ce qui concerne la modernisation de la flotte de chasse, cela ne constitue en revanche en aucune manière une levée stricte des sanctions. En effet, les autorisations d’exportation d’armement et de technologies de défense américaines demeurent la prérogative stricte du Congrès, et rien ne dit que celui ici validera les demandes d’Ankara, en particulier à court terme. Il s’agit, en revanche, d’une plus grande souplesse offerte aux négociateurs américains, pour entamer les discussions avec leurs homologues à ce sujet, notamment pour obtenir certaines concessions strictes de la part d’Ankara, par exemple quant à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, ou concernant la mise en oeuvre de la batterie S-400 acquise par Ankara et livrée en 2020 par la Russie.

Rappelons en effet qu’en juin 2023 auront lieux les prochaines élections présidentielles et législatives en Turquie, et que contrairement aux élections précédentes, la victoire du Parti de la Justice et du Développement (AKP ) de R.T Erdogan est loin d’être acquise, alors que le pays rencontre d’immenses difficultés économiques avec, entre autre, une inflation à plus de 80% sur les 12 derniers mois. Ainsi, dans les sondages d’opinion, le maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu du parti Républicain du peuple (CHP) et d’obédience kémaliste, fait souvent jeu égal avec Erdogan et l’AKP, que ce soit pour les élections présidentielles ou législatives. En excluant les sanctions américaines du NDAA, le Congrès se réserve donc la possibilité, le cas échéant, d’accélérer les négociations avec Ankara sur ces sujets, en particulier si les résultats des urnes sont perçues comme plus favorables par Washington. Reste cependant que si Erdogan est mis en difficulté dans les sondages aujourd’hui, c’est avant tout lié à ses échecs économiques, et non par rejet de la politique étrangère du président. Ainsi, même si un changement de majorité et de gouvernement intervenait à l’issu des élections, rien ne garantit que les postures internationales du pays, notamment face aux kurdes syriens et irakiens, dans le Caucase face à l’Arménie ou en Mer Egée face à la Grèce, soient appelées à évoluer positivement.

TFX Prototype assembly line Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
L’assouplissement de la posture US vis-à-vis des exportations de technologies de défense vers la Turquie, amener probablement certains pays européens, comme la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne à faire de même, permettant à l’industrie de défense turque de palier certaines impasses technologiques, comme pour ce qui concerne la motorisation de l’avion de combat TFX

Pourtant, on peut objectivement s’interroger sur l’intérêt, pour les Etats-Unis comme pour l’OTAN, de s’appuyer sur une puissance militaire turque sur-dimensionnée dans le contexte actuel. Le rôle de la Turquie était stratégique lors de la guerre froide, notamment pour contenir les possibilités d’action soviétiques et du pacte de Varsovie sur le flanc sud européen, dans le Caucase et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, toutefois, la carte géopolitique a radicalement évolué, les anciens pays du bloc soviétique en Europe ayant rejoint l’OTAN, la Syrie ayant perdu l’essentiel de ses forces militaires, et la Russie ayant, elle aussi, été considérablement et durablement affaiblie du point de vue conventionnel et en Mer Noire. Dans ces conditions, les possibilités de manoeuvre et de nuisance de la Russie, celles que la Turquie était sensée contenir, ont presque toutes disparues ou ont été considérablement amoindries, alors même que le bloc militaire européen s’est, quant à lui, renforcé par l’adhésion de nouveaux pays à l’UE comme à l’OTAN.

Dans ces conditions, on peut raisonnablement s’interroger quant aux objectifs réels visés par les autorités turques dans l’important effort de modernisation des forces armées entrepris depuis 2015, et donc sur la pertinence de conférer, par des licences d’exportation technologiques en matière de technologies de défense, à Ankara un potentiel militaire sur-dimensionné vis-à-vis de la réalité de la menace régionale présente net à venir ? En supprimant les sanctions technologiques contre Ankara pour le NDAA 2023, le Congrès américain risque en effet, d’alimenter les appétits expansionnistes d’une l’opinion publique turque exacerbée par un discours nationaliste porté à la fois par l’AKP et le CHP, d’autant que de nombreux pays européens calquent leur politique étrangère dans ce domaine sur le modèle américain, en particulier pour ce qui concerne le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, 3 pays qui ont d’importants intérêts industriels de défense en Turquie. Il est probable, dès lors, que le sujet sera scruté avec grande attention par de nombreux pays frontaliers de la Turquie, comme la Grèce, l’Arménie et l’Irak, qui tous redoutent à raison l’accroissement des capacités militaires du pays.

L’US Army choisit le Bell V-280 Valor à rotors basculants pour remplacer ses Black Hawk

Augmenter la capacité de transport tactique de 50%, tout en allant deux fois plus vite et deux fois plus loin qu’un hélicoptère UH-60 Black-Hawk, tel est le cahier des charges plus qu’ambitieux du programme Futur Long Range Assault Aircraft, ou FLRAA, un des piliers du programme Futur Vertical Lift visant à remplacer, à partir de la seconde partie de la décennie en cours, pas moins de 4000 voilures tournantes en service au sein de l’US Army, allant du OH-58 Kiowa de reconnaissance (retiré du service en 2014) à l’hélicoptère lourd CH-47 Chinook, en passant par l’hélicoptère d’attaque AH-64 Apache et l’hélicoptère de manoeuvre UH-60 Black Hawk. Le programme FLRAA est le premier à ouvrir le bal, avec l’annonce faite hier par l’US Army du choix du V-280 Valor présenté par Bell et Textron, et au détriment du SB1 Défiant présenté par Sikorsky et Boeing.

Comme on peut s’y attendre, le V280 est un appareil de tous les superlatifs. Si sa cellule longue de 15 mètres est proche de celle du Black Hawk, le nouvel appareil n’a aucun rapport avec son prédécesseur, grâce notamment à ses deux rotors basculant de 10,7 mètres de diamètre propulsés par deux turbopropulseurs AE 1107F délivrant chacun 5000 cv. Ainsi paré, le Valor atteint une vitesse de croisière de 280 noeuds, soit 520 km, et peut transporter 14 militaires en arme à 1000 km de distance, avant de revenir à sa base. La conjonction de l’allonge et de la vitesse du V-280 est au coeur de la vision de l’US Army concernant l’aérocombat dans les années à venir, pour être en mesure d’évoluer à proximité des espaces aériens contestés par la défense aérienne adverse.

MV 22 OSPREY Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Ancêtre du V280, le V22 Osprey s’appuie cependant sur une technologie de rotors basculants très différente et beaucoup plus complexe à mettre en oeuvre et à contrôler.

Le choix du V-280 face au Défiant n’est, en soit, guère une surprise. En effet, lors des phases de conception du prototype et d’évaluation, l’appareil de Bell s’est montré régulièrement beaucoup plus avancé que son concurrent, qui rencontra de nombreuses difficultés techniques engendrant des délais supplémentaires de mise au point. Ainsi, alors que les deux commandes furent signifiées simultanément en 2013, le V-280 effectua son premier vol le 17 décembre 2017, là ou le SB1 Défiant ne décolla pour la première que le 21 mars 2019, 14 mois plus tard, alors même que le Valor avait déjà exécuté l’essentiel de ses vols d’essais, et avait déjà atteint la vitesse de 520 km/h en janvier 2019. Qui plus est, alors que le Valor enregistra plus de 160 heures de vol lors de la première année de ses essais, le Défiant plafonna, sur la même durée, sous la barre des 40 heures de vol.

D’autres facteurs ont probablement influencé la décision de l’US Army. Ainsi, si le V-280 souffre, comme le V-22 avant lui, d’une importante empreinte au sol, avec une largeur de 25 mètres rotors déployés, il permet une manoeuvre d’embarquement et de débarquement au sol très rapide, en l’absence de rotor propulsif ou contrarotatif, et du fait de la garde au sol très importante de ses rotors, tournants à plus de 6 mètres du sol. En outre, le Defiant souffre, avec son rotor propulsif, d’une garde au sol très réduite, ce qui peut poser de nombreux problèmes pour un appareil destiné à se poser régulièrement en terrain difficile, comme ce sera le cas pour le remplaçant du Black Hawk. Notons également que Sikorsky propose, dans le cadre du programme FARA destiné à remplacer les OH-58 et une partie des AH64, le Raider X s’appuyant sur la même configuration que le Defiant, qui offre des performances sensiblement supérieures à celle de son concurrent, le Bell 360 invictus qui s’appuie sur une configuration classique. On peut penser, dès lors, que l’US Army et le Pentagone privilégient le Raider de Sikorsky dans le cadre du programme FARA, et le Valor de Bell dans le cadre du programme FLRAA, de sorte à équilibrer les investissements des l’outil industriel américain, tout en développant deux solutions technologiques efficaces d’hélicoptères à grande vitesse.

raider X sikorsky Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le Raider X de Sikorsky, s’appuyant sur la même configuration de rotors contrarotatifs et d’hélice propulsive, aura peut-être plus de chance face au Bell 360 Invictus pour le programme FARA, que le SB1 Defiant face au V280 pour le programme FLRAA.

Le choix du V280 pour l’US Army marque également le grand retour de Bell Aircraft sur le marché des hélicoptères militaires à forte diffusion, après la période faste des années 60 et 70 avec l’UH1 Iroquois et le Cobra, et surtout une période de vache maigre entre 1990 et aujourd’hui, avec pour seul grand programme, le V22 Osprey à rotors basculant du Corps de Marines. En effet, à ce jour, le Black Hawk et ses différentes versions sont en service au sein d’une trentaine de forces armées, pour une production dépassant les 4000 exemplaires. Et si l’US Army envisage de remplacer les quelques 2000 Black Hawk en service par le V280, il est probable que de nombreux opérateurs de l’UH-60 se tourneront également vers ce modèle quant il s’agira de remplacer leurs appareils. D’ailleurs, suite à l’annonce de l’US Army hier soir, le cours de bourse de Textron, maison mère de Bell, s’est valorisé de 8%, et ce même si Sikorsky (Lockheed-Martin) et Boeing n’ont pas pour l’heure annoncé s’ils entendaient contester ou non l’arbitrage rendu, ce qui est largement possible pour un contrat représentant, dans son ensemble, 70 Md$ sur 40 ans.

Reste qu’avec l’annonce du vainqueur de la compétition FLRAA, les Etats-unis donnent également le départ d’une nouvelle génération d’hélicoptères militaires, offrant des performances sans commune mesure avec les appareils qu’ils remplaceront. Et il est probable que d’ici une dizaine d’années, les perspectives commerciales pour les hélicoptères de manoeuvre traditionnels, comme l’EH101 ou le NH90, seront très limitées. Fort heureusement, Airbus Hélicoptère développe, de son coté, un concept d’hélicoptère à haute vitesse très prometteur, le Racer, susceptible non seulement de tenir la dragée haute au nouveaux appareils américains, mais également de s’imposer face à eux, grâce à une architecture à la fois ingénieuse et économique, réduisant considérablement les couts de production comme de maintenance d’un tel appareil. Espérons que les autorités en Europe, sauront prendre la mesure de la compétition qui s’annonce, et soutiendront effectivement comme il se doit et dans les temps requis ce programme.

RACER Airbus Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le Racer d’Airbus hélicoptère offre une solution simple, économique et élégante pour concevoir des hélicoptères à hautes performances

La défense anti-aérienne russe prise en defaut par les drones ukrainiens

Les deux frappes successives menées par des drones ukrainiens contre deux bases aériennes russes accueillant des bombardiers stratégiques ou à long rayon d’action, ont très largement été commentées dans les médias. Au delà de l’évident succès des ukrainiens, qui ont endommagé au moins deux appareils, un bombardier stratégique Tu-95 sur la base d’Engels-2, et un bombardier à long rayon d’action Tu-22M3 sur la base de Dyagilevo, ceux-ci sont également parvenus à mener des frappes d’une remarquable précision à l’aide de drones transformés en missiles de croisière de facture locale, et ce sans utiliser de systèmes d’arme occidentaux. Surtout, ces deux frappes, comme celle d’aujourd’hui contre un dépôt de carburant d’aviation dans la région de Kursk, ont montré les limites de la défense anti-aérienne russe, souvent présentée avant le conflit comme à ce point efficace qu’elle pouvait entièrement verrouiller l’espace aérien du pays.

Pour mener leurs frappes, les ukrainiens ont exploité plusieurs faiblesses du dispositif russe. En premier lieu, celles-ci ont été menées, semble-t-il, par des drones de reconnaissance Tu-141 Strizh modifiés par les ingénieurs ukrainiens depuis 2014. Ce drone de 15 mètres pour une masse de 6 tonnes, est propulsé par un turboréacteur Tumansky KR-17A conférant une poussée de 2,5 tonnes, permettant à l’appareil d’atteindre une vitesse de croisière subsonique élevée de l’ordre de 1000 Km/h, sur une distance d’un millier de kilomètres. Initialement destiné à mener des opérations de reconnaissance à moyenne altitude, les Tu-141 ukrainiens auraient été modifiés pour pouvoir suivre une navigation à basse altitude, sous la barre des 1000 mètres, de sorte à évoluer sous le planché de détection des systèmes anti-aériens à longue portée russes comme les S-300 et S-400. Les équipements de reconnaissance ont, quant à eux, été remplacés par une charge militaire de puissance inconnue, que l’on peut estimer à plusieurs dizaines de kilogrammes d’explosifs à en juger par les dégâts.

TU141 Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Depuis 2014, les ingénieurs ukrainiens ont modifié des drones de reconnaissance Tu-141 pour en faire des missiles de croisière évoluant à basse altitude et haute vitesse.

Pour expliquer la précision des deux frappes ukrainiennes, deux hypothèses peuvent être avancées. D’une part, le Tu-141 a pu être équipé d’un système de localisation GPS de sorte à frapper des cibles fixes, comme c’est le cas aujourd’hui contre le dépôt de carburant de Koursk. Toutefois, dans le cas de Engels et de Dyagilevo, par deux fois, il semble que le missile ait frappé à proximité d’un camion de carburant proche d’un avion, ce qui semble très improbable sans un guidage terminal, par exemple à l’aide d’un faisceau laser mis en oeuvre à l’aide d’un drone léger par des forces spéciales évoluant à proximité, une technologie déjà mise en oeuvre sur d’autres missiles ukrainiens comme le missile antichars Skif en service depuis 2011. Mais le plus grand tour de force des frappes ukrainiennes aura été, sans le moindre doute, d’être parvenu à mettre en défaut la puissante défense anti-aérienne russe, pour frapper des bases aériennes à très haute valeur stratégique à plusieurs centaines de kilomètres des frontières ukrainiennes, comme Engels qui abrite l’essentiel de la flotte de bombardier stratégique russe.

Comme c’est souvent le cas, la perception publique et médiatique de cette défense anti-aérienne, et de ses faiblesses, diffèrent de la réalité. Ainsi, en employant un système évoluant à basse altitude, à vitesse subsonique élevée, et en s’appuyant sur de probables renseignements précis quant aux positions des batteries S-400 et S-300 russes, les ukrainiens ont pu définir une trajectoire pour leurs drones-missiles évitant les zones de détection de ces systèmes en profitant du relief, tout en contournant les systèmes à plus courte portée comme les systèmes Buk et Tor, sensés précisément combler les défaillances des systèmes à longue portée à basse et très basse altitude. Toutefois, eu égard à l’immensité de la zone à défendre, les armées russes ne disposent tout simplement pas du nombre de systèmes à moyenne et courte portée pour opacifier l’ensemble de la ligne de pénétration. Conscient de cette faiblesses d’autant qu’ils mettent en oeuvre des systèmes similaires, les ukrainiens ont su pleinement exploiter cette faiblesse pour franchir le rideau défensif anti-aérien russe déployé le long de la frontière ukrainienne et de la mer d’Azov.

Beriev A50 Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le belief A-50 Mainstay permet de détecter les menaces évoluant à basse altitude échappant aux défenses anti-aériennes terrestres. La Russie ne disposant que de 16 de ces appareils, elle ne peut maintenir un dispositif efficace le long de la frontière ukrainienne et de la Mer d’Azov dans la durée.

Pour palier cette faiblesse connue des états-majors russes, les forces de Moscou devaient s’appuyer sur des moyens de détection aéroportés, comme le Beriev A-50, l’équivalent du E3 Sentry de l’OTAN. Evoluant à haute altitude et doté d’un puissant radar capable de suivre jusqu’à 150 cibles dans un rayon de 250 km, l’A-50 est sensé diriger la flotte de chasse russe pour mener les interceptions contre les appareils et missiles ayant franchit le rideau défensif anti-aérien initial. En outre, par son altitude, celui-ci est parfaitement adapté pour détecter des aéronefs ou des missiles évoluant à basse altitude. Malheureusement pour les russes, les forces aériennes ne disposent que de 16 de ces appareils, dont seulement 8 ou 9 sont effectivement en posture opérationnelle. En outre, la flotte de ravitaillement en vol se limite à 20 Il-78, ne permettant pas aux forces aériennes de maintenir un dispositif de surveillance aérienne permanent sur l’ensemble de la frontière ukrainienne, longue de presque 1600 km, pas même d’en couvrir la moitié dans la durée.

La plus grande surprise, dans le succès de ces frappes, ne réside toutefois ni dans les failles des systèmes anti-aériens à longue et moyenne portée russes le long de la ligne de pénétration, ni même dans la faiblesse de la force d’interception aérienne des forces aériennes, mais bel et bien l’absence de systèmes anti-aériens et anti-missiles à courte et très courte portée autour des bases de Engels et de Dyagilevo, comme le Pantsir S1 ou le TOR M2. Le manque d’efficacité des systèmes à longue portée, comme le S-400, contre des cibles évoluant à faible altitude, a en effet été plusieurs fois démontré ces dernières années, y compris sur la base russe de Hmeimim en Syrie, ou lors des frappes occidentales contre le dispositif chimique du régime de Bashar Al Assad. De même, le pendant américain du S-400, le système Patriot, a lui aussi été mis en défaut contre ce type de menaces, en particulier lors de l’attaque d’un terminal pétrolier saoudien en 2019.

Le systeme Pantsir S1 russe assure une protection rapprochee anti aerienne anti missile et anti drones des sites sensibles Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le système anti-aérien à courte portée Pantsir S1 a été conçu pour palier les défaillances du S-400 à courte portée et basse altitude. Il semble qu’aucun de ces systèmes n’était déployé autour de la base de Engels.

Or, si le site stratégique de Engels-2 est bel et bien protégé par une batterie complète S-400, il semble qu’aucun système à très courte portée, Pantisr ou Tor, n’ait été mis en oeuvre pour contrer l’attaque du drone ukrainien, comme le montre les videos de surveillance publiées sur internet, qui ne montre aucun tir de missile sol-air ou d’obus traçant en amont de la frappe. Il est vrai que le S-400 dispose, en son sein, de missiles anti-aériens et anti-missiles à courte portée, comme le 9M96, conçus spécifiquement pour contrer ce type de menace terminale, comme c’est le cas, par exemple, de l’Aster 15 pour les batteries franco-italiennes SAMP/T Mamba. Mais ces missiles ne peuvent contrer que des menaces detectées par la chaine radar S-400, raison pour laquelle des systèmes complémentaires sont fréquemment déployés. L’absence d’utilisation, voire de déploiement, de ces systèmes antiaériens à courte portée, montre que les armées russes n’anticipaient pas une telle attaque, mais également qu’en dépit d’un arsenal impressionnant, celles-ci peinent à couvrir efficacement l’ensemble des cibles à fort potentiel, y compris les sites stratégiques, d’autant qu’une grande partie de ces systèmes sont déployés en Ukraine et le long des frontières.

Au final, c’est bien là la plus grande contrainte à laquelle les forces russes doivent faire face, sans pouvoir y répondre efficacement. Avec un territoire de 17 millions de km2, et plus de 20.000 km de frontières terrestres, ainsi que 37.000 km de côtes, il est impossible pour un pays de 145 millions d’habitants avec un PIB, de seulement 1800 Md$, d’opacifier efficacement ses frontières et son espace aérien, pas même 10% de celui-ci avec les moyens dont elles disposent effectivement. Au delà des équipements nécessaires pour y parvenir, il faudrait aux armées russes des ressources humaines qu’elle serait incapable de mobiliser et d’entrainer dans de bonnes conditions, pour mettre en oeuvre et entretenir une telle panoplie d’équipements de haute technologie. C’est donc bien une faiblesse structurelle impossible à combler, et non une défaillance conjoncturelle ou une faiblesse technologique des systèmes antiaériens eux-mêmes, qui est à l’origine de cette faiblesse exploitée très judicieusement par les ukrainiens hier et aujourd’hui, et qui démontre, une nouvelle fois, que l’image de puissance mise en scène par le pouvoir russe tant à destination de sa propre opinion publique que des observateurs internationaux, est loin d’être représentative de la réalité.

Merci à Olivier Dujardin pour avoir participé à cet article.

La Grande-Bretagne n’aurait pas les moyens de ses ambitions de défense

Ces derniers mois, les autorités britanniques ont fait montre d’importantes ambitions de défense, que certains qualifiaient d’exemplaires.. Ainsi, en septembre, avant le départ de Boris Johnson du 10 Downing Street, le secrétaire à la défense Ben Wallace annonçait fièrement qu’il entendait amener l’effort de défense britannique à 100 md£ d’ici la fin de la décennie, et de le maintenir à 3% du PIB.

Il fallait d’ailleurs au moins cela pour financer l’ensemble des programmes promis par le gouvernement britannique, qu’il s’agisse de l’avion de combat Tempest, des frégates Type 31 et Type 32, de la nouvelle classe de sous-marins nucléaire Dreadnought ou du remplacement des hélicoptères de manoeuvre Puma, sans parler de la modernisation du corps blindé avec le très contesté programme Ajax.

Depuis l’arrivée de Rishi Sunak à la tête du pays, une vague de réalisme économique semble déferler sur les ministères britanniques y compris sur le ministère de la défense, toujours aux mains de Ben Wallace.

Ainsi, il y a quelques semaines le ministre des finances jeremy Hunt, a annoncé que Londres respecterait ses engagements et maintiendrait son effort de défense au delà 2% du PIB. (br)Exit donc les 3% annoncés en septembre, et avec eux, une grande partie des programmes annoncés jusqu’ici, annulés, réduits ou, au mieux, reportés à une date indéfinie.

C’est ainsi que le programme de frégate Type 32, sensé compenser la perte de capacités anti-sous-marines de la flotte de surface de la Royal Navy, ne sera pas lancé avant plusieurs années, probablement pas avant la fin de cette décennie. Les avions de transport stratégiques supplémentaires A400M attendus par la Royal Air Force, sont quant à eux purement et simplement abandonnés.

Quant au programme Ajax, il demeure une énigme, les correctifs apportés pour résoudre les problèmes de vibration et de bruits n’étant pas, à ce jour satisfaisant, alors que ni Lockheed-martin, ni le ministère de la défense britannique, ne veut être à l’origine de l’annulation du contrat.

Londres peine à trouver les financements pour ses ambitions de défense
La commande de 8 A400M supplémentaires pour la Royal Air Force a été annulée par Londres, jugeant l’opération impossible à financer dans le contexte actuel

Quoiqu’il en soit, il existe, outre -manche, un organisme indépendant destiné à la vérification des comptes publics, le National Audit Office ou NAO, équivalent de la Cours de Comptes en France.

Et les conclusion de son dernier rapport au sujet de la soutenabilité budgétaire des programmes de défense engagés par le gouvernement britannique, s’avèrent particulièrement sévères et sans appel : il est impossible, dans la trajectoire budgétaire actuelle, pour le ministère de la défense britannique de financer l’ensemble des programmes en cours par le plan d’équipement 2022-2032, l’équivalent d’un Loi de Programmation Militaire en France.

Et d’ajouter que « ce plan d’équipement est à ce point dysfonctionnel, qu’il se positionne comme une référence mondiale pour prendre des crédits, et les bruler ».

Pour arriver à cette conclusion cinglante, le NOA a étudié les quelques 1800 projets d’équipements et d’infrastructures listés dans le Plan d’équipement 2022-2032, pour en déterminer l’applicabilité et surtout la sincérité budgétaire. Et c’est bien là, semble-t-il, que le bas blesse.

En effet, de nombreux programmes auraient été artificiellement réorganisés de sorte à respecter les contraintes budgétaires globales, par exemple en en excluant certains couts ou certains aspects, qui pourtant s’appliqueront bien au budget du ministère de la Défense. De fait, beaucoup de programmes, tels que listés, sont présentés avec des budgets pour le moins fantaisistes, obligeant par la suite à de violentes corrections pour parvenir à faire entrer des triangles dans des carrés.

C’est ainsi, par exemple, que le programme d’avion de veille aérienne E-7 Wedgetail, initialement financé à hauteur de 2 md£ pour 5 appareils, a du être ramené à seulement 3 appareils, non sans avancer, un temps, que cette réduction permettait de ramener les dépenses à 1.55 Md£, pour au final couter entre 2,6 et 2,8 Md£.

RAAF E 7A Wedgetail Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Alors que la RAF devait initialement recevoir 5 E7 Wedgetail pour 2 Md£, elle n’en recevra au final que 3, pour 2,6 à 2,8 Md£

Le rapport du NOA a ainsi identifié un écart prévisible de 6 Md£ par an entre la planification budgétaire des programmes d’équipement et d’infrastructure, et la réalité probable de leur exécution, et ce sans prendre en compte les effets pourtant très sensibles de l’inflation dans les années à venir.

Ce constat obligera le Ministère de la Défense britannique, selon le NOA, à réviser en permanence l’exécution de sa planification, entrainent d’importants surcouts et une efficacité très détériorée des investissements, pour au final venir nuire à l’efficacité même de l’outil militaire britannique.

Il est d’autant plus critique que les perspectives économiques en Grande-Bretagne pour les années à venir sont loin d’inspirer un optimise débordant, et que le nouveau gouvernement, Rishi Sunak et Jeremy Hunt en tête, semblent bien déterminé à remettre de l’ordre dans les annonces chaotiques faites par leurs prédécesseurs ces dernières années, ne laissant que peu d’espoir aux armées de voir leur budget croitre de manière significative dans les années à venir.

La fusion des programmes Tempest et F-X a-t-elle convaincu l’Allemagne de relancer le SCAF ?

Il y a quelques jours, Dassault Aviation confirmait que les négociations avec Airbus DS au sujet du partage industriel autour du programme SCAF avaient bel et bien abouti, et que le programme était désormais prêt à entamer la phase 1B de conception du démonstrateur. Si cette annonce fut comme il se doit saluée par Paris, Berlin et Madrid, elle résulte d’un évident assouplissement des positions allemandes, qui ont soudainement accepté les lignes rouges tracées par Dassault Aviation, notamment en terme de pilotage du premier pilier, celui qui doit précisément concevoir l’avion de combat NGF et ses commandes de vol. De prime abord, on pouvait penser que les pressions politiques exercées par les deux gouvernements, et les agences de l’armement des deux cotés du Rhin, étaient à l’origine de cette évolution. Mais l’actualité récente fait émerger une autre hypothèse, loin d’être dénuée de sens.

En effet, depuis plusieurs mois, Londres et Rome avaient entrepris un important effort en vue de rapprocher le programmes FCAS et l’avion de combat Tempest, pendant du SCAF et du NGF, du programme F-X développé par le Japon. Déjà, des accords avaient été conclus il y a quelques mois au sujet du propulseur de l’avion nippon, qui devait emprunter le turboréacteur développé par Rolls-Royce pour le Tempest, ainsi que pour d’autres ponts technologiques entre les deux programmes. Mais depuis quelques semaines, une nouvelle hypothèse émergea pour se faire de plus en plus pressante, la fusion des deux programmes faisant du F-X japonais et du Tempest italo-britannique le même appareil. Et alors que Paris, Berlin et Madrid annonçaient l’accord permettant au SCAF de redémarrer, Londres, Rome et Tokyo ont annoncé, le même jour, qu’un accord serait prochainement signé, possiblement cette semaine, pour la fusion des deux programmes FCAS et F-X.

F X Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Les programmes F-X japonais et FCAS rassemblant la Grande-Bretagne et l’Italie vont bientôt fusionner

Or, depuis l’annonce presque simultanée du lancement des programmes SCAF et FCAS en 2017, de nombreuses voix, que ce soit au sein de la Luftwaffe comme du Bundestag, se sont élevées pour regretter que le programme ne soit commun, voire pour un nouveau partenariat avec la Grande-Bretagne et l’Italie, comme ce fut le cas pour le Tornado et le Typhoon, plutôt qu’avec la France. Cette hypothèse était systématiquement officiellement écartée par les autorités allemandes, Berlin ne souhaitant pas construire son nouvel appareil avec Londres suite au Brexit, mais même au plus haut niveau de l’état, l’hypothèse d’un basculement de Berlin vers le programme italo-britannique était régulièrement évoquée, si le programme SCAF avec la France venait à péricliter. En d’autres termes, pour Berlin, le FCAS était un plan B parfait vis-à-vis du SCAF, et permettait aux entreprises allemandes d’être en position de force lors des négociations face à leurs homologues françaises.

Ce rapport de force était d’autant plus efficace que selon de nombreux experts, Londres fesait face à d’importantes difficultés de financement du programme FCAS et du chasseur Tempest, alors que ses deux partenaires, l’Italie et la Suède, étaient loin d’être d’importants pourvoyeurs de crédits. De fait, au Bundestag comme chez Airbus DS, on était persuadé qu’en cas de besoin, il serait relativement aisé de rejoindre le programme FCAS, du fait des capacités de financement de l’Allemagne. Le choix fait par Berlin, et qui sera probablement également annoncé par Madrid dans les prochains mois, en faveur de l’acquisition du F-35 américain, renforçait cette perception, la Luftwaffe se dotant d’une flotte de chasse similaire à celle de la Royal Air Force et des forces aériennes italiennes, avec des F-35 côtoyant des Typhoon destinés à être remplacés par un appareil de nouvelle génération.

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les programmes SCAF et FCAS visent à developper un système de systèmes étendant l’ensemble des capacités opérationnelles de la force aérienne de chasse

L’arrivée du Japon et la fusion des programmes FCAS et Tempest change radicalement la donne dans ce domaine. En effet, avec un PIB de plus de 5.000 Md$ et un effort de défense qui sera amené dans les années à venir à 2% du PIB, Tokyo se positionne très précisément comme une alternative à l’Allemagne, au point que désormais, les programmes FCAS et SCAF se trouvent d’une extraordinaire symétrie avec chacun un partenaire à forte capacité d’investissement mais incapable de concevoir un avion de combat, le Japon et l’Allemagne, un partenaire ayant les compétences technologiques mais ne disposant des crédits suffisants pour developper le programme, la France et la Grande-Bretagne, et un partenaire technologique et investisseur secondaire, l’Italie et l’Espagne. Mieux, en terme de soutenabilité, le programme FCAS-FX peut s’appuyer désormais sur des bases budgétaires sensiblement supérieures aux SCAF, le Japon, la Grande-Bretagne et l’Italie ayant respectivement un PIB supérieur à l’Allemagne, la France et l’Espagne.

En d’autres termes, avec l’arrivée du Japon, l’Allemagne a perdu son plan B tant du point de vue technologique qu’opérationnel, Londres, Rome et Tokyo n’ayant désormais plus grand intérêt à conférer aux industries allemandes un partage industriel favorable, même en dépit des capacités d’investissement de l’économie allemande. Il en va de même du programme NGAD américain, un moment évoqué comme un possible plan B par les autorités allemandes, le programme américain étant déjà bien avancé, et probablement pas ouvert à la coopération internationale. Quant à l’hypothèse d’un développement autonome d’un avion de combat propre, hypothèse avancée par Dassault Aviation pour la France en cas d’échec du SCAF, elle représente une prise de risque probablement trop importante pour Berlin et Airbus DS, d’autant que certaines technologies clés, comme la conception de turboréacteurs, échappe totalement à l’industrie allemande. On peut d’ailleurs penser que les ouvertures faites il y a quelques semaines par Airbus DS envers l’industrie aéronautique sud-coréenne, pour coopérer sur l’exportation en Europe du FA-50 et peut-être du KF-21, ont également été induites par la redéfinition des rapports de force aéronautiques liée à la fusion prochaine des programmes britanniques et japonais, même si l’industrie sud-coréenne souffre, elle aussi, de certaines carences technologiques, là encore dans le domaine des propulseurs.

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Le partenariat proposé par Airbus DS à KAI pourrait être une réaction à l’arrivée du Japon au sein du programme FCAS, de sorte à offrir à Berlin une éventuelle porte de sortie en cas d’échec du programme SCAF

Quoiqu’il en soit, il semble bien que la simultanéité entre les annonces du rapprochement des programmes Tempest et F-X, de l’ouverture de discussion entre Airbus DS et KAI, et de la reprise prochaine des travaux de développement autour du programme SCAF et de l’avion NGF, soit bien plus qu’une simple coïncidence de calendrier. On peut raisonnablement penser, en effet, que le changement de posture radical d’Airbus DS et plus généralement de Berlin au sujet du programme SCAF, soit avant tout la conséquence de l’effondrement des options de bascule sur lesquelles l’Allemagne avait construit le rapport de force avec la France et Dassault Aviation. En tout cas, une telle hypothèse fait sans le moindre doute plus de sens qu’un simple soudain revirement des positions allemandes du fait des capacités de persuasion des autorités françaises à ce sujet.

Faut-il developper un second programme de chasseur avec certains pays du Golfe ?

Après des mois de tensions, les programmes de coopération industrielle de défense franco-allemands sont sortis de l’impasse la semaine dernière, avec deux accords concernant le programme SCAF d’avions de combat de nouvelle génération, et MGCS de blindés lourds du futur. Selon les communiqués publiés, il semble que les principaux points de friction aient effectivement été résolus, en grande partie du fait d’un assouplissement des positions allemandes face aux lignes rouges des industriels français. A ce titre, une récente interview de Ralf Ketzel, le Pdg de Krauss Maffei Wegman, donne un contexte précieux quant aux difficultés rencontrées au sein du programme MGCS du fait de l’arrivée de Rheinmetall dans le programme, et surtout de la position du groupe de Düsseldorf vis-à-vis du programme, jugé pour le moins contre-productif par le patron de KMW. Quoiqu’il en soit, désormais, ces deux programmes semblent bel et bien à nouveau sur des bases solides permettant d’avancer efficacement.

C’est dans ce contexte qu’intervient un article publié par la Tribune ce jour, au sujet de possibles opportunités exprimées par l’Arabie Saoudite pour acquérir un nombre important d’avions Rafale à la France. Selon l’article, citant des sources concordantes proches du dossier, si les relations entre le prince saoudien Mohammed bin Salman et le président français Emmanuel Macron sont loin d’être au beau fixe, ce qui explique peut-être l’arbitrage en faveur de l’espagnol Navantia au sujet des nouvelles frégates saoudiennes, le Royaume n’en est pas moins intéressé par une perspective de coopération avancée avec la France, en particulier dans le domaine des avions de combat. Pour Ryad, en effet, le Rafale présente un double intérêt, au delà du fait d’être un appareil très performant et fiable, celui d’être à la fois dépourvu de technologies américaines et de technologies allemandes, alors que les autorités saoudiennes redoutent un durcissement des positions de Berlin en matière d’exportation de technologies de défense, et un désengagement progressif américain du Golfe.

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Le NGF du programme SCAF sera un appareil sensiblement plus lourd et imposant que le Rafale ou le Typhoon

Quoiqu’il en soit, au delà de possibles discussions autour de l’acquisition d’un vaste flotte de Rafale, il serait question de 100 à 200 appareils, Ryad se serait également positionné vis-à-vis de Paris comme un partenaire potentiel pour le programme SCAF, si la coopération avec l’Allemagne venait à péricliter. Pour Ryad, il s’agirait à la fois de developper ses capacités opérationnelles alors que rien n’indique que Washington entende, dans un avenir relativement proche, autoriser l’exportation d’avions de combat de nouvelle génération comme le F-35A et encore moins comme le NGAD vers l’Arabie Saoudite, mais également de developper sa propre industrie et donc son autonomie stratégique. Bien évidemment, l’hypothèse d’un échec de SCAF s’est considérablement éloignée depuis quelques jours. Pour autant, la porte ouverte par les négociateurs saoudiens mériterait une attention soutenue de la part de Paris, de sorte à concevoir un second appareil, complémentaire du NGF du SCAF, avec Ryad et probablement Abu Dabi.

Bien évidemment, il ne s’agirait pas, pour la France, de developper simultanément deux programmes similaires, ce qui résulterait au final à une débauche de moyens bien peu efficace. Pour autant, le programme SCAF vise à developper un appareil relativement lourd, si l’on en juge par les visuels publiés à ce jour par Dassault et Airbus, et par les annonces faites notamment par Berlin qui souhaite précisément un avion plus lourd que le Typhoon ou le Rafale. Par conséquent, et comme nous l’avons déjà abordé à plusieurs reprises, le SCAF et son avion de combat, le NGF, seront sans le moindre doute très onéreux, aussi bien à l’achat qu’à la mise en oeuvre, le mettant à la portée que des bourses les mieux remplies, comme ce sera également le cas du NGAD et du F/A-XX américains. De fait, un marché important, celui portant sur un appareil plus léger de 8 à 10 tonnes que le NGF, soit une masse maximale au décollage de 20 à 22 tonnes, restera non pourvu ni par les Etats-Unis, ni par les grands projets européens SCAF et FCAS.

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Le NGAD américain, successeur du F-22, sera a la fois très onéreux, et très peu exporté

Le développement d’un tel appareil par un partenariat entre Paris et Ryad pourrait attirer d’autres acteurs, en particulier les Emirats Arabes Unis, plus important client à l’exportation du Rafale français avec 80 appareils, précisément après que les Etats-Unis aient rechigné à exporter le F-35A, alors que le pays avait pendant plusieurs années négocié avec Moscou pour le développement d’un chasseur léger conjoint, et qu’il devra remplacer sa flotte de F-16 d’ici une quinzaine d’années. De même, l’Egypte, le second plus important client export du Rafale avec 54 appareils, fournit également d’importants efforts pour developper son industrie de défense et son autonomie stratégique, et devra de la même manière remplacer ses quelques 218 F-16 dans les années à venir. Ces deux pays, par ailleurs proches de Ryad, pourraient ainsi activement participer au financement et au développement d’un programme de chasseur moyen autour d’un pilier franco-saoudien.

La France y trouverait, également, un important intérêt. En premier lieu, disposer de deux modèles d’appareils pour une flotte de chasse est un précieux avantage en matière de résilience, mais également de souplesse opérationnelle, en permettant de déployer les appareils les mieux adaptés aux besoins de la missions. C’est notamment le cas aujourd’hui avec les Mirage 2000-5 et D, sensiblement plus économiques à mettre en oeuvre que les Rafale, et qui offrent à l’Armée de l’Air et de l’Espace non seulement une masse plus importante, mais aussi une flexibilité opérationnelle très utile notamment en Afrique. En outre, au travers d’un second programme, l’Industrie française pourrait maintenir certaines capacités et savoir-faire menacés par le partage industriel autour du programme SCAF, comme dans le domaine de la guerre électronique, des radars et des missiles, ainsi que de developper des compétences nouvelles de manière autonome, comme dans le cas du cloud de combat.

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Le Su-75 Checkmate présenté par la Russie en 2021, était conçu pour séduire certains pays, dont les Emirats Arabes Unis

Un second programme, plus léger et donc plus économique, permettrait également à l’industrie française de disposer d’une panoplie d’offres étoffée dans le domaine des exportations, y compris en Europe, de nombreux pays n’ayant pas les ressources pour mettre en oeuvre un appareil et un système aussi onéreux que le futur NGF, en particulier en Europe du Sud et de l’Est. Il permettrait également de barrer le marché à certaines offres émergentes, qu’il s’agisse des appareils chinois en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient, ou des programmes sud-coréens KF-21 Boramae et TFX dans la sphère non alignée et occidentale, y compris en Europe. Or, si ces programmes venaient à rencontrer le succès à l’exportation, il ne fait guère de doutes que la Corée du Sud et/ou la Turquie deviendraient d’importants compétiteurs dans les années à venir, au point de venir menacer la pérennité à terme de l’industrie aéronautique de défense française.

Reste, évidemment, la question de la soutenabilité de l’effort budgétaire, alors que la France va déjà devoir produire un important effort pour les programmes SCAF et MGCS, ainsi que pour la modernisation et l’extension des forces armées face à l’évolution de la menace. Il semble impossible pour la France de s’impliquer dans un second programme de ce type, tout au moins au niveau de l’investissement consenti pour SCAF. Toutefois, en prenant en compte le retour budgétaire stricte pour l’Etat de l’investissement dans l’industrie de défense française, en s’appuyant sur des partenaires comme l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et l’Egypte, et en prenant en considération les recettes fiscales et sociales consécutives d’une possible importante nouvelle commande de Rafale à venir, un plan de financement soutenable et raisonnable pourrait être conçu, sans venir menacer les finances ou les déficits publics, quitte à s’appuyer, pour ce programme, sur des modes de financement innovants différents des approches traditionnelles.

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Le KF21 Boramae sud-coréen constitue aujourd’hui une alternative crédible pour les pays désireux, dans les années à venir, de remplacer leur flotte de F-16, de Mig-29 voire de Mirage-2000.

On le voit, si de prime abord l’hypothèse du développement d’un second programme d’avion de combat de nouvelle génération en partenariat avec l’Arabie Saoudite semble tenir du fantasme, une approche constructive et méthodique de la problématique permet d’en tracer un contour réaliste et applicable. En outre, alors que le marché international de l’aéronautique militaire est en pleine mutation, avec l’émergence de nouveaux acteurs comme la Chine, la Corée du Sud et la Turquie, une telle approche permettrait à l’industrie française de renforcer ses positions et ses parts de marché, et de préserver et étendre ses compétences technologiques au profit de la souveraineté et de l’autonomie stratégique du pays. Dans tous les cas, il semble plus que pertinent pour la France de se saisir des ouvertures faites par les négociateurs saoudiens, ne serait-ce que pour approfondir le sujet, et les garder à distance d’offres concurrentes.

Naval Group va-t-il revenir dans la compétition indienne de sous-marins P75i ?

En 1997, New Delhi officialisa la commande de 6 sous-marins à propulsion conventionnelle issus du modèle Scorpene de DCNS, devenu depuis Naval Group. Le premier submersible, l’INS Kalvari qui donnera son nom à la classe à venir, entra en service en 2017, apportant un plus-value opérationnelle considérable à la Marine Indienne. En 2014, les autorités indiennes entreprirent de lancer un nouveau programme, là encore pour 6 sous-marins d’attaque, mais équipés cette fois d’un système de propulsion aérobie, ou AIP pour Air Indépendant Propulsion. Après une première demande d’information en 2014, puis une seconde en 2017, 5 bureaux d’étude furent retenus pour participer à la compétition : l’allemand TKMS avec le Type 214, l’espagnol Navantia avec le S-80, le sud-coréen DSME avec le Dosan Aah Changho, le russe Rubin avec la classe Lada et le français Naval Group avec une variation du Barracuda.

Cependant, rapidement, les exigences du cahier des charges indiens, et notamment l’obligation faite au système AIP devant équiper les navires d’être d’ores et déjà en service, amènent TKMS, Navantia, Rubin et Naval Group à jeter l’éponge, ne laissant que le sud-coréen Daewoo Shilling and Maritime Service en lice. Cette situation de compétition à compétiteur unique étant bien peu satisfaisante pour New Delhi, les autorités indiennes annoncèrent la prochaine révision du cahier des charges, de sorte à permettre à d’autres industriels de rejoindre la compétition, et reporta la limite de dépôt des offres à décembre 2022. Pour l’heure, toutefois, rien n’indiquait que Naval Group entendait à nouveau rejoindre la compétition, ce d’autant qu’aucun Barracuda n’est en construction, en dehors des versions à propulsion nucléaire de la classe Suffren.

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L’INS Kalvari est entré en service en décembre 2017

Mais une recente indiscretion faite à la presse indienne semble indiquer que, loin d’avoir jeté l’éponge, Naval Group serait toujours actif dans la compétition P75i, au point de faire valoir certains arguments technologiques exclusifs au delà du programme lui-même. En effet, selon le site idrw.org, Naval Group aurait proposé à l’Inde un transfert de technologie autour du Pump-jet pour le programme de Sous-marin nucléaire d’attaque indien en cours de conception. Le Pump-jet (en illustration principale) est une hélice carénée qui équipe les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe Le Triomphant, et la nouvelle classe de sous-marins nucléaires d’attaque Suffren, permettant aux navires d’évoluer beaucoup plus rapidement sans générer de cavitation autour de l’hélice, et donc de manière beaucoup plus discrète, y compris à grande vitesse.

Cette technologie est déterminante pour les SNA destinés précisément à évoluer à grande vitesse grâce à l’énergie produite par le réacteur nucléaire, alors que des clichés satellites ont montré que la Chine, elle aussi, l’expérimentait. Or, le Pump-jet est l’une des caractéristiques clés du Shortfin Barracuda, celui-là même qui était proposé par Naval Group pour la compétition P-75i, et qui est le seul des compétiteurs à en être équipé. Selon le site indien, Naval Group serait prêt à permettre à l’Inde d’intégrer le Pump-Jet à leur nouvelle classe de SNA, si, et seulement si, New Delhi venait à sélectionner l’offre française dans le cadre de la compétition P-75i. En avançant cet argument, Naval Group pourrait en effet amener New Delhi à réviser ses exigences technologiques autour de ce programme, la technologie Pump-jet étant beaucoup plus confidentielle que celle de la propulsion AIP, ce d’autant que la tendance actuelle tend davantage à se tourner vers des batteries Ion-Lithium que sur des systèmes AIP pour accroitre l’autonomie de plongée des sous-marins à propulsion conventionnelle.

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Les Shortfin Barracuda dérivent de la classe de SNA Suffren qui entre en service au sein de la Marine Nationale

Reste à voir, désormais, à quel point la proposition de Naval Group portera, et si, l’offre présentée par l’industriel français et par Paris, si tant est qu’elle soit effectivement déposée, sera acceptée par les autorités indiennes dans le cadre de la compétition P-75i. Les relations entre Paris et New Delhi sont très bonnes ces derniers mois, avec la livraison des derniers des 36 Rafales commandés en 2017, et l’entrée en service prochaine du 5ème sous-marins de la classe Kalvari, l’INS Vagir. L’un comme l’autre donnent en effet pleine satisfaction aux militaires indiens, et l’hypothèse d’une nouvelle commande de Rafale, que ce soit pour l’Indian Air Force ou pour l’aéronavale indienne, est plus que jamais d’actualité. En outre, les deux pays semblent au diapason politiquement quant à la politique à mener dans la zone indo-pacifique, et multiplient exercices et coopérations dans ce domaine.

SCAF, MGCS : La coopération franco-allemande redémarre sur de bonnes bases sur fond d’inquiétude

Depuis près d’une année, les deux programmes phares de la coopération industrielle franco-allemande de défense, le Système de Combat Aérien du Futur devant remplacer les Rafale et Typhoon, et le Main Ground Combat System pour remplacer les chars Leclerc et Leopard 2, rencontraient d’immenses difficultés autour du partage et de la coopération industrielle entre les acteurs français, Dassault aviation et Nexter, et leurs homologues allemands, Airbus DS et Rheinmetall, mettant les deux initiatives à l’arrêt. Après de nombreux mois de bras de fer et de déclarations tendues, aucun accord ne semblait en vue au début du mois de septembre, chacun campant sur ses positions, et l’échec de ces programmes commença a être très clairement envisagé, tant du point de vue industriel avec le « Plan B » d’Eric Trappier, CEO de Dassault, comme par le Chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre, le général Pierre Schill, avec le prolongement et la modernisation du Leclerc.

Cette situation bloquée et mortifère amena les Ministres de la défense français et allemand à reprendre la main sur les deux programmes à la fin du mois de septembre, pour tenter de sortir le SCAF et le MGCS de l’ornière dans laquelle ils étaient depuis plusieurs mois. Si cette approche permit de faire, selon les déclarations des industriels, quelques progrès, les points de fixation les plus critiques semblaient, quant à eux, tout aussi clivants que précédemment, de sorte que l’espoir de voir les deux programmes aboutir semblait très mince, tout du moins jusqu’il y a une semaine. En effet, le 25 novembre, le site économique La Tribune annonçait qu’un accord avait enfin été trouvé au sujet du programme MGCS, notamment autour des points de blocage qui opposaient l’allemand Rheinmetall et le français Nexter. Dans le même temps, Airbus DS et le ministère allemand de la défense annoncèrent qu’un autre accord avait été trouvé au sujet du premier pilier du programme SCAF, le chasseur NGF, avec Dassault Aviation. Si l’information fut démentie par Dassault quelques heures plus tard, et en dépit d’un second faux départ de la première ministre Élisabeth Borne lors de sa visite à Berlin, la confirmation d’un accord a finalement été publiée par Dassault Aviation hier, ouvrant la voie à l’exécution de la phase 1B du programme pour réaliser l’étude afin de concevoir le démonstrateur du NGF.

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Représentation du char de combat du programme MGCS

Outre la reprise des travaux de conception et de collaboration entre les équipes françaises, allemandes et espagnoles, les accords, tels que décrits dans les communiqués des industriels et les articles de la presse spécialisée, permettent de faire redémarrer la coopération européenne sur de bonnes bases, qui devraient permettre d’avancer efficacement et sereinement sur ces deux programmes pour les années à venir. Toutefois, l’étude de ces accords fait apparaitre un constat des plus surprenants. En effet, il semble bien que les industriels allemands aient accepté les exigences clés de Dassault Aviation et Nexter, sans qu’aucune concession n’apparaisse coté français vis-à-vis des exigences allemandes. De fait, si l’annonce de ces accords a été accueillie avec soulagement et enthousiasme, une certaine circonspection a également fait surface : Pourquoi les allemands ont-ils ainsi cédé, en apparence tout au moins, aux français ?

Disons le clairement, pour l’heure, la réponse à cette question est probablement à ce point confidentielle, qu’elle ne peut être avancée avec une quelconque certitude. Au mieux peut-on faire des hypothèses pour expliquer un tel dénouement. Concernant le programme MGCS, les blocages opposaient exclusivement le français Nexter et l’Allemand Rheinmetall, le troisième industriel Krauss Maffei Wegman, allemand mais partenaire de Nexter au sein de la co-entreprise KNDS, jouant le rôle d’arbitre. Ainsi, les deux groupes s’opposaient sur le pilotage de 4 des 13 Démonstrateurs Technologiques Principaux (Main Technological Demonstrator ou MTD) de la phase d’étude et de conception, en particulier le MTD 2 portant sur l’armement, les munitions et la tourelle, chacun s’estimant le mieux placé pour les mener. Pour sortir de l’impasse, la DGA (Direction générale de l’Armement) française et son homologue allemande, la BWB, ont fait pression sur les deux industriels afin qu’ils acceptent un copilotage de chacun des MTD contestés, avec dans chacun des cas une compétition interne menée au sein de structures ad hoc spécialement conçues pour déterminer le « Best Athlete ».

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Avec le canon de 140 mm ASCALON à munition télescopée, Nexter estime avoir des arguments sérieux pour s’imposer face au canon de 130mm Rh-130 L/52 proposé par Rheinmetall

Or, cette notion de pilotage par l’entreprise disposant de la meilleur expertise, traditionnellement présentée sous le terme de Best Athlète y compris par les dirigeants français, n’est autre que la principale exigence avancée par la France aussi bien pour le programme MGCS que SCAF. De fait, en procédant tel que défini par l’accord franco-allemand, les autorités allemandes, ainsi que Rheinmetall, n’ont rien fait d’autre que d’accepter de céder aux exigences françaises, en y apportant un cadre qui devrait, effectivement, permettre de déterminer le plus objectivement possible qui doit piloter quoi. En d’autres termes, au delà de la mise en musique de cette procédure, rien, dans ce qui a été annoncé, n’est en opposition avec les exigences françaises avancées depuis 2 ans, et qui jusqu’à présent, provoquaient un blocage féroce de la part de Rheinmetall et, en sous-main, du Bundestag.

Il en va, pour le SCAF, exactement de même. En effet, selon le communiqué de presse de Dassault Aviation confirmant la signature de l’accord pour le lancement de la phase 1B, l’avionneur français a obtenu d’Airbus DS le rôle de maitre d’oeuvre et la fonction de pilotage du premier pilier du programme, le chasseur NGF, Airbus DS agissant comme un partenaire, mais nullement comme un co-pilote. En outre, les technologies apportées par Dassault Aviation issues de recherche antérieures au programme SCAF, demeureront la propriété de l’avionneur français (du point de vue de la propriété intellectuelle), les technologies co-developpées au sein du programme étant, quant à elles, co-détenues par l’ensemble des partenaires. Enfin, et même si le sujet dépend avant des instances politiques et du Bundestag, Dassault Aviation a obtenu de ses partenaires industriels l’accord d’exporter sans entrave l’appareil. Là encore, il s’agit très explicitement des points de blocage qui opposaient Dassault et Airbus depuis presque un an, et l’accord ainsi obtenu ne semble faire que très peu de concession aux exigences allemandes.

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Les études de la phase 1B vont permettre d’affiner considérablement le futur aspect du NGF

De fait, dans un cas comme dans l’autre, il semble que les pressions politiques exercées par les ministères de tutelle comme par les agences de l’armement des deux cotés du Rhin, ont surtout amené les groupes allemands à plus de souplesse. Il est vrai, d’un point de vue objectif, que les positions et exigences françaises étaient, pour les deux programmes, plutôt raisonnables. Ainsi, initialement, le MGCS ne devait être réalisé que la Nexter et KMW, et c’est à la demande du Bundestag que Rheinmetall y fut intégré, créant un déséquilibre évident dans ce programme à l’origine paritaire entre l’industrie française et allemande. L’exigence de Best Athlète sur laquelle se basait la position française, visait précisément à conserver l’équilibre industriel entre les deux pays, sans venir nuire aux performances à venir du système d’arme. De même, pour Dassault Aviation, et pour l’ensemble de la BITD aéronautique de défense française, de nombreux efforts avaient été consentis vis-à-vis de l’Allemagne pour justifier du pilotage du premier pilier NGF. Ainsi, sur les 7 piliers du programme, 4 sont pilotés par des entreprises allemandes, 1 par l’Espagne, 1 par la France (le NGF) et un copiloté par la France et l’Allemagne à parité, en l’occurence le pilier propulseur copiloté par Safran et MTU. De plus, Airbus DS avait déjà obtenu le pilotage du programme Euromale, alors que le pilotage du programme MGCS est, lui aussi, allemand.

De fait, exiger que le pilier NGF soit piloté par Dassault Aviation, par ailleurs le seul avionneur ayant effectivement l’expérience de la conception d’un avion de combat en autonomie, semblait raisonnable, tout comme le refus de transférer à l’industrie allemande la propriété intellectuelle des composants apportés par Dassault Aviation et issus de développements antérieurs. Ce point avait d’ailleurs donné lieux à des déclarations à la limite de la mauvaise foi du coté allemand, le chef de la Luftwaffe ayant par exemple argumenté qu’il n’était pas question pour lui d’accepter « des boites noires technologiques » françaises à bord du NGF, ce à quoi Dassault avait rétorqué qu’il ne s’agissait pas de boites noires, que le contenus et le fonctionnement de ces équipements seraient bien évidemment partagés avec l’Allemagne et l’Espagne, mais que la propriété intellectuelle, elle, demeurait aux mains de Dassault Aviation. Là encore, tout indique dans l’accord présenté par Dassault Aviation hier, que les allemands ont fait marche arrière sur ces exigences, et que les français ont obtenu satisfaction.

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Airbus DS dirige le programme Euromale RPAS

Reste que l’on peu s’interroger sur les raisons ayant amené les industriels allemands à assouplir à ce point leurs positions. Il est vrai que les récentes annonces de Berlin quant à l’exécution des programmes de défense à venir, font peser une menace très sensible sur l’activité aussi bien d’Airbus DS que de Rheinmetall, le premier en voyant la conception du Typhoon ECR annulée au profit de l’ajout de capacités de guerre électronique et de suppression des défenses aux appareils existants, le second alors que rien n’indique que le coup de force du KF-51 Panther ait effectivement séduit le Ministère de la défense allemand. En d’autres termes, l’un comme l’autre ont désormais besoin d’une activité industrielle soutenue pour préserver leurs capacités, activité que les programmes SCAF et MGCS va leur apporter.

On peut également penser que des accords d’activité périphérique ont été conclu entre Paris et Berlin, de sorte à compenser les exigences françaises. Ainsi, ces derniers jours, des fuites dans la presse françaises concernant les arbitrages à venir liés à la prochaine Loi de Programmation Militaire, visaient directement le programme Euromale et l’hélicoptère Tigre III, qui tous deux concernent directement Airbus. On peut également imaginer que Paris aurait pris l’engagement de se tourner vers Airbus pour concevoir le remplaçant de l’avion de patrouille maritime Atlantique 2, que ce soit de manière autonome ou dans le cadre d’un programme MAWS franco-allemand ressuscité, plutôt que le Flacon 10 de Dassault Aviation. Enfin, on ne peut exclure que les accords ainsi obtenus, et qui ne concernent que les phases d’étude, ne soient que des accords temporaires appelés à être à nouveau remis en cause par les industriels allemands d’ici quelques années, ou à l’occasion de la signature des accords concernant les phases suivantes.

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Le programme MGCS ne vise pas qu’à produire un unique char de combat, mais un ensemble de blindés lourds partageant un système de systèmes commun

D’une manière certaine, la présente conclusion heureuse de ces négociations, est favorable aux exigences de l’industrie de défense française, et marque un évident recul des industries allemandes dans le bras de fer qui se tenait jusqu’à présent. Si l’on peut, raisonnablement, se satisfaire de ces accords, et de la reprise des travaux conjoints pour developper les futurs piliers technologique de la défense du vieux continent, il est difficile d’ignorer que de nombreuses zones obscures les entourent, faisant craindre la résurgence de tensions qui s’avèreront une nouvelle fois bloquantes dans les années à venir, alors même que la situation sécuritaire internationale ne sera que très peu permissive dans ce domaine. On ne peut, dès lors, qu’espérer que les accords ainsi négociés l’ont été en toute bonne fois, et qu’aucun calcul politico-industriel à moyen terme n’ait sous-tendu l’apparente souplesse dont ont fait preuve Berlin et les entreprises allemandes.

La version de guerre électronique du Typhoon pour la Luftwaffe bien moins ambitieuse qu’escomptée

En mars de cette année, la chancellerie allemande et le ministère de la défense confirmait la prochaine commande de 35 Avions de combat F-35A de l’américain Lockheed-Martin pour assurer les missions de partage nucléaire dans le cadre de l’OTAN, afin de remplacer les Tornado dédiés à cette mission depuis la fin des années 80 au sein de la Luftwaffe, ainsi qu’une quinzaine de Typhoon, dans une version de guerre électronique et de suppression des défenses anti-aériennes adverses, afin de remplacer les Typhoon ECR encore en service. Cette annonce fut faire dans le cadre de l’enveloppe de 100 Md€ annoncée le 27 février suite à l’offensive russe en Ukraine, et destinée à combler les défaillances les plus critiques de la Bundeswehr. La liste des programmes devant être financés par cette manne budgétaire était impressionnante, allant de la modernisation des véhicules blindés à la mise en place d’un bouclier anti-missile, en passant par des avions de combat, des hélicoptères lourds, des sous-marins et des frégates supplémentaires.

Depuis, le soufflet est quelque peu retombé outre Rhin. D’une part, presque 10 mois après son annonce, aucun des programmes devant être financés par l’enveloppe spéciale, n’a été effectivement lancé, alors que l’augmentation du budget de la défense à plus de 2% du PIB allemand, également annoncée le 27 février, semble devoir s’effectuer sur un délais beaucoup plus long qu’escompté. La liste des programmes devant être financés a, quant à elle, été expurgée de plusieurs d’entre eux, notamment dans le domaine naval, alors que l’inflation et la réalité des couts supérieurs à ceux escomptés initialement, obligent le Ministère de la défense à des arbitrages douloureux. C’est ainsi le cas du fameux Typhoon ECR, devant remplacer les Tornado ECR, pour notamment ouvrir la voie aux F-35A armés de la bombe nucléaire B61 de l’OTAN, en détruisant les défenses anti-aériennes et brouillant les radar de l’adverse.

F35A USAF Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
Les 35 F-35A que Berlin entend commander à Washington ne donneront lieu à aucune compensation industrielle directe, au grand damn de l’industrie aéronautique de défense allemande.

En effet, là où initialement, le programme devait reposer sur une version spécifique du Typhoon et sur des équipements de guerre électronique de nouvelle génération, il s’appuiera, dans les faits, sur les Typhoon existants, et surtout sur des brouilleurs et capacités de guerre électronique déjà disponibles, de sorte à en réduire les couts et les délais de développement. Cette annonce est une importante déception, tant pour la Luftwaffe que pour les industriels allemands, les premiers sachant pertinemment que l’adjonction de brouilleurs et de missiles anti-radiation au Typhoon n’en fera pas un appareil de guerre électronique à proprement parler, les seconds voyant s’envoler des contrats de R&D qui auraient été probablement largement valorisables, notamment sur la scène internationale.

Ainsi, si un chasseur polyvalent, comme le F-16, le Rafale ou le Typhoon, peut emporter des pods de brouillage, et des missiles anti-radars comme l’AGM-88 HARM, et ainsi mener des missions de guerre électronique, les capacités d’un tel appareil sont sans commune mesure avec celles d’un appareil spécialisé, comme l’EA-18 G Growler, dont l’ensemble du système d’arme a été conçu autour de cette mission, avec notamment une puissance électromagnétique de brouillage considérablement plus importante, des capacités de traitement ESM étendues pour identifier les cibles pour ses munitions et ses brouilleurs, et une interface homme machine, avec un équipage double, optimisée pour cette mission.

Tornado allemand equipe du missile HARM Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
La Luftwaffe fit l’acquisition de 35 Tornado ECR dont les premières exemplaires entrèrent en service en 1990.

De même, l’intégration de pods de brouillage existants, qu’ils soient allemands comme ceux employés à bord des Tornado, ou de pods de nouvelle génération, peut-être américains ou suédois, ne bénéficiera que très peu à l’industrie aéronautique de défense allemande, qui ne pourra s’appuyer sur ce contrat pour préserver ses savoir-faire dans ce domaine acquis lors du développement du Tornade ECR, alors que la guerre électronique est du ressort de l’espagnol Indra au sein du programme SCAF. En outre, comme dit précédemment, la possibilité espérée de concevoir une nouvelle suite de guerre électronique moderne sur un calendrier resserré aurait probablement abouti, pour l’industrie allemande, à de nombreuses opportunités à l’exportation, alors que ce type de besoin a été largement mis en évidence par la guerre en Ukraine, notamment pour équiper des appareils non-américains.

Cette déception pour l’industrie allemande, s’inscrit par ailleurs dans un bras de fer plus vaste entamé il y a quelques semaines avec le ministère de la Défense, au sujet du programme F-35A. En effet, à ce jour, les autorités allemandes n’ont pas envisagé de demander aux Etats-unis une quelconque forme de compensation industrielle pour l’acquisition des 35 appareils, alors que la plupart des pays européens ayant commandé l’aéronef ont obtenu des formes de compensation industrielle, même ceux n’appartenant pas au programme lui-même. Même l’implication allemande dans la maintenance de la flotte n’a, pour l’heure, pas été intégrée aux discussions en cours, celles-ci ne portant que sur la livraison des appareils. Il est probable que, comme pour les F-35 nippons, il s’agit pour Berlin, en procédant ainsi, de donner quelques gages à Washington pour tenter de ré-équilibrer la balance commerciale avec les Etats-Unis, celle-là même qui mettait en rage l’ancien président Trump. Mais pour les industriels allemands, la pilule est difficile à avaler, d’autant que les Etats-unis seront les principaux bénéficiaires de l’enveloppe de 100 Md$ annoncée en février.

EA 18G at Whidbey April 2007 Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
L’EA-18G Growler n’est pas qu’un F/A-18 F Super Hornet équipé de brouilleurs et de missiles HARM, mais un appareil entièrement pensé autour de la mission SEAD et guerre électronique

Quoiqu’il en soit, la décision de Berlin concernant les ambitions et les performances de ses Typhoon ECR, constitue incontestablement une opportunité pour l’industrie française de se positionner sur ce secteur, en concevant effectivement une version dédiée du Rafale pour les missions de guerre électronique et de suppression des défenses adverses, en faisant le seul concurrent de l’EA-18G américain sur un marché en pleine transformation dans ce domaine. Comme évoqué dans de précédents articles, la France et ses industriels, Dassault Aviation, Thales et MBDA, peuvent en outre s’appuyer, pour un tel développement, sur le succès export du Rafale, vers des clients qui seraient, très certainement, non seulement intéressés par la capacité, mais également, peut-être, pour participer au programme afin d’en réduire les couts et en simplifier le financement. Une chose est certaine, cela ne couterait pas grand chose que de demander à Athènes, Abu Dabi, New Delhi et Le Caire, leur sentiment sur une telle perspective.

La DARPA choisit General Atomics pour concevoir son Ekranoplane de transport Liberty Lifter

En Mai dernier, l’agence de recherche et de développement du Pentagone, la DARPA, annonçait le lancement d’un programme destiné à concevoir un tout nouvel appareil de transport stratégique, basé sur le concept des Ekranoplan. Ces appareils amphibies emploient l’effet de sol, c’est à dire la sur-pression qui se créée entre la voilure et le sol lorsque un aéronef évolue à très basse altitude, pour accroitre leur portance, leur permettant d’emporter des charges très importantes à grande vitesse, tout en consommant moins de carburant. Si la concept avait été étudié dans les années 60 et 70 notamment en Union Soviétique, pour concevoir des aéronefs de frappe navale à longue portée, les technologies alors disponibles n’étaient pas adaptées pour en faire un appareil militaire véritablement opérationnel. Il en va désormais autrement, selon la DARPA, qui entend bien employer ce principe non pas pour concevoir des avions emportant des missiles antinavires, mais pour transporter d’importantes charges logistiques sur de très longues distances, et ce le plus rapidement possible.

En effet, alors que les tensions avec la Chine ne cessent de croître, les Armées américaines anticipent de plus en plus un scénario comparable à la Guerre du Pacifique durant la seconde guerre mondiale, obligeant les forces américaines à se déployer sur une très vaste surface, étirant considérablement ses lignes logistiques, de sorte à empêcher Pékin d’étendre son propre périmètre de défense, notamment dans le sud de l’Ocean Pacifique. En outre, les armées américaines, plus compactes, s’appuient désormais sur la doctrine Joint All-Domain Command and Control, qui suppose une grande mobilité des forces, donc un flux logistique encore plus tendu. Or, le transport stratégique traditionnel, s’appuyant sur des navires capables d’emporter de très importantes cargaisons mais qui sont lents, vulnérables et qui nécessitent des infrastructures portuaires adaptées, et sur le transport aérien stratégique, très rapide mais limité en capacité de transport, et dépendant lui aussi d’infrastructures, ne répond pas à ce besoin en devenir.

A90 Orlyonok WIG Ekranoplan Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
L’ekranoplan A90 Orlyonok soviétique fut conçu dans les années 70 et entra en service en 1979, mais seuls 5 exemplaires furent construits.

C’est là que le programme Liberty Lifter, ainsi nommé en référence au programme de cargo Liberty Ships de la seconde guerre mondiale qui joua un rôle déterminant dans la victoire alliée aussi bien en Europe que dans le Pacifique, intervient. En s’appuyant sur des Ekranoplan ne nécessitant aucune infrastructure particulière pour charger et décharger, si ce n’est une plage et une étendue d’eau suffisante (ce qui ne manque pas dans le Pacifique), et capables de transporter des charges très supérieures à celles de n’importe quel avion de transport stratégique à des vitesses similaires de l’ordre de 600 km/h, l’Agence américaine de R&D entend redonner aux forces américaines un avantage décisif dans cette confrontation probable. A l’issue d’un appel à propositions, procédure classique pour la DARPA, c’est le spécialiste des drones de combat General Atomics, à l’origine notamment des célèbres Predator et Reaper, qui vient d’être sélectionné par l’agence américaine, pour la réalisation d’un démonstrateur technologique, avec un budget somme toute modeste de 8 m$.

Pour l’heure, on ignore quelles seront les performances réelles du futur Ekranoplan, les modélisations dans ce domaine étant peu nombreuses, et c’est précisément le rôle de ce programme de démonstrateur que d’en étudier l’ensemble des paramètres pour en déterminer si, oui ou non, cette approche est réaliste et applicable en l’état de la technologie. D’ailleurs, celui-ci sera mené tambour battant, puisque la DARPA n’a donné qu’une année à General Atomics pour s’exécuter, même s’il est peu probable que le démonstrateur qui sera conçu et construit par l’avionneur atteindra les dimensions visées par la DARPA pour le Liberty Lifter, soit 140 mètres, la longue des Liberty Ship de la seconde guerre mondiale.

FH 97 Drone CASC Alliances militaires | Analyses Défense | Aviation de chasse
En octobre 2021, à l’occasion du salon aéronautique de Zhuhai, le chinois CASC a présenté le drone de combat FH-97 très inspiré du XQ-98 Valkyrie américain, alors que ce dernier est encore à l’état de démonstrateur

Si ce programme atteint ses objectifs, et que l’application de la technologie Ekranoplan est effectivement applicable au transport transport stratégique comme escompté par la DARPA, celui-ci pourrait sensiblement modifier la perception du rapport de force dans le Pacifique dans les décennies à venir. En effet, en permettant de recomposer dynamiquement le déploiement des forces et les flux logistiques de soutien avec un faible préavis et sur des délais raccourcis, les Liberty Lifter permettraient aux forces américaines et alliées non seulement d’exploiter au mieux les faiblesses du dispositif adverse ou d’en bloquer les initiatives, mais il permettrait, également, de réduire considérablement les besoins de prépositionnement des matériels et effectifs, agissant dès lors comme un multiplicateur de forces. En outre, contrairement aux navires logistiques traditionnels, les Liberty Lifter seront beaucoup plus difficiles à localiser et à suivre, y compris par des moyens spatiaux, ainsi qu’à intercepter, domaine qui revient traditionnellement aux sous-marins nucléaires d’attaque face à la flotte de soutien.

Reste que cet avantage ne sera effectif que s’il est, effectivement, asymétrique, et que la Chine ne se soit pas dotée, dans le même temps, de capacités similaires. Or, ces dernières années, Pékin a démontré à de nombreuses occasions les capacités de son industrie de défense à concevoir et produire des équipements inspirés des armements occidentaux mais également russes, et ce très peu de temps après que ceux-ci aient été révélés. En d’autres termes, si les armées américaines venaient effectivement à se doter de ce type d’appareil, il est très probable que, dans un relais très réduit, l’Armée Populaire de Libération viennent elle aussi à les mettre en oeuvre, ce qui annulerait, de fait, l’avantage escompté par la DARPA, sans pour autant remettre en cause la nécessité de poursuivre ce programme, précisément pour ne pas laisser l’APL se doter d’une telle capacité unilatérale. La définition même, s’il était besoin de le préciser, d’une course aux armements débridée et intensive.