Le Rafale M1, premier appareil du programme a destination de l’aéronautique navale française, est aujourd’hui au coeur des attentions pour Dassault Aviation et l’ensemble de la Team Rafale. En effet, c’est cet aéronef qui a été envoyé le 6 janvier sur la base aéronavale indienne de Goa pour faire la demonstration de sa capacité à être mis en oeuvre à partir d’une plate-forme de type Ski-Jump, et non d’un porte-avions doté de catapultes. Ces essais, dont le premier a eu lieu ce matin et s’est déroulé de manière nominale, s’étaleront jusqu’au début du mois de février et permettront de valider non seulement la capacité de l’appareil à prendre l’air à partir de ce tremplin, mais également de valider les performances de celui-ci dans cette configuration, notamment en terme de capacité d’emport en matière de carburant et d’armement, les deux influençant simultanément la masse au décollage et les trainés que le Rafale et ses deux turboréacteurs M88 devront compenser pour décoller.
Le concurrent du Rafale dans cette compétition qui porte sur 36 à 57 aéronefs destinés à opérer à partir des deux porte-avions dotés de tremplin de la Marine Indienne, l’INS Vikramaditya actuellement en service et l’INS Vikrant qui termine ses essais opérationnels, n’est autre que le F/A-18 E/F Super Hornet de l’américain Boeing, qui devra, quant à lui, passer par la même phase de test que le Rafale à Goa au cours du mois de mars. Dans cette compétition déterminante pour les deux constructeurs, le Rafale français dispose de plusieurs atouts très importants, 5 au total, susceptibles de convaincre New Delhi et la Marine Indienne face aux nombreux arguments et aux pressions exercées par Washington pour privilégier son propre appareil.
1- Des dimensions réduites aux conséquences importantes
Le premier atout du Rafale dans cette compétition ne sont autres que ses dimensions réduites, en particulier face au Super Hornet. Avec une longueur de 15,27 m pour une envergure de 10,86 mètres, le Rafale est en effet 3 mètres moins long et 3 mètres plus étroit que le Super Hornet, ses 18,62 mètres de long et son envergure de 13,62 m. Surtout, il est de dimensions inférieures à celle du Mig-29K, long de 17,3 mètres et d’une envergure de 12 mètres, l’appareil qui équipe aujourd’hui les flottilles de combat de l’aéronavale indienne, et autours desquels les porte-avions indiens ont été conçus. Les conséquences de ces dimensions réduites de l’avion français sont en effet très importantes pour la Marine Indienne, puisque celui-ci ne nécessitera aucune adaptation des infrastructures existantes pour être déployé à bord des porte-avions existants, en particulier concernant les deux ascenseurs permettant de transférer les appareils du pont d’envol vers les hangars. Or, il semble que de part sa longueur, le Super Hornet imposerait, pour sa part, des modifications sensibles de ces infrastructures, entrainant surcouts, immobilisation des navires et délais supplémentaires.

D’autre part, ces dimensions réduites permettront aux Porte-avions indiens d’embarquer plus de Rafale que de Super Hornet. Ainsi, l’INS Vikramaditya ne pourra accueillir et mettre en oeuvre que 10 ou 11 Super Hornet dans le meilleur des cas, contre 14 Rafale. Or, la puissance opérationnelle d’un porte-avions, sa capacité à se défendre et à frapper, dépend directement du nombre d’aéronefs qu’il est capable de mettre en oeuvre, et une différence de 30 à 40% de format pour la chasse embarquée à bord constitue naturellement un enjeu de taille, surtout face aux bâtiments chinois qui, eux, embarquent une vingtaine de J-15. A noter que selon la presse indienne, le Rafale serait également compatible avec les miroirs d’appontage et les brins d’arrêt des porte-avions indiens, contrairement au Super Hornet.
2- Des performances potentiellement plus élevées
Si le Super-Hornet est plus imposant que le Rafale, il est également plus lourd, avec une masse à vide de 14,5 tonnes contre 10,2 tonnes pour l’avion français. La surface alaire des deux appareils est relativement proche, avec 45,7 m2 pour le Rafale contre 46,5 m2 pour le Super-Hornet. Pour se propulser, le F/A 18 E/F emporte deux réacteurs F414 de General Electrique développant chacun 63,2 KN à sec, et 97,9 KN avec Post Combustion, là ou les deux M88 du Rafale ne développent que 50 KN à sec et 75 KN avec post-combustion. Pour autant, la capacité d’emport de carburant et d’armement du Super-Hornet, 15 tonnes pour une masse maximale au décollage de 29,5 tonnes, est strictement identique à celle du Rafale avec une masse max au décollage de 25 tonnes.
On comprend de ces données que si le Super Hornet dispose de moteurs plus puissants, la poussée supplémentaire fournie par ceux-ci sert avant tout à compenser les 4,3 tonnes de masse à vide supplémentaire de l’appareil face au Rafale. En outre, ce regain de pousse est surtout sensible avec Post-combustion, puisqu’il n’est que de 2 tonnes sans celle-ci. De fait, à charge embarquée égale, le Super Hornet consomme beaucoup plus d’énergie pour tenir l’air que le Rafale, 20% d’énergie en plus, ce qui en réduit sensiblement l’autonomie de vol, à carburant embarqué identique. De plus, il est plus que probable que la charge transportable maximale du Super Hornet en configuration Ski-Jump sera inférieure à celle du Rafale, qui dispose de deux atouts dans ce domaine, une charge alaire inférieure de prés de 25% à vide, et des plans canards capables d’optimiser l’écoulement des filets d’air à basse vitesse pour une portance optimisée. Bien évidemment, tous ces éléments devront être validés lors des essais réalisés en Inde.
Mais il est plus que probable que, dans ces conditions, les performances du Rafale face au Super Hornet seront entre 15 et 25% supérieures à celles de son concurrent américain, sur la base d’une mise en oeuvre à partir d’un Ski-Jump. Ainsi, selon les quelques bribes d’information qui ont filtré dans la presse indienne, le Rafale serait en mesure de prendre l’air avec le plein de carburant interne et 4,5 tonnes de chargement externes, à partir d’un tremplin, avec une masse maximale au décollage de l’ordre de 19,5 à 20 tonnes, soit une masse suffisante pour la configuration air-air supersonique avec 2 bidons de 1200 litres, 2 Meteor, 2 Mica EM et 2 Mica IR, mais aussi en configuration frappe avec 2 missiles Scalp, 1 bidon central de 2000 litres, 2 Mica EM et 2 Mica IR, et même en configuration nounou avec 1 bidon de 2000 litres et 2 bidons de 1200 litres. En d’autres termes, le Rafale offrirait des capacités opérationnelles sur Tremplin proches de celles offertes sur catapultes.
3- Le parc Rafale de l’Indian Air Force
Les forces aériennes indiennes ont passé commande de 36 avions Rafale en 2016, et ces appareils sont presque tous livrés désormais. Or, cette commande a une influence considérable sur de nombreux aspects concernant la compétition en cours pour l’aéronautique navale. En premier lieu, les Rafale livrés à l’IAF ont déjà été adaptés aux besoins spécifiques des forces aériennes indiennes, que ce soit en terme de capacités opérationnelles, notamment pour coopérer avec les autres appareils mis en service dans cette force, et en particulier les Su-30MKI et Mig-29 de facture russe. Or, il est plus que probable que les besoins de l’aéronavale indienne soient, dans ce domaine, très proches si pas identiques à ceux de l’IAF. Dès lors, la longue et couteuse procédure d’adaptation de l’aéronef aux besoins indiens sera largement réduite pour le Rafale.

En outre, l’IAF dispose d’une infrastructure de maintenance dimensionnée pour entretenir jusqu’à 150 Rafale. S’il est probable que celle-ci commandera de nouveaux appareils pour compléter son parc, soit dans le cadre de commandes entre états, soit dans celui de la compétition MMRCA 2, ces infrastructures pourront permettre à la Marine Indienne et l’IAF de mutualiser nombre des besoins de maintenance, comme c’est aujourd’hui le cas en France entre la Marine Nationale et l’Armée de l’Air et de l’Espace. Par ailleurs, ce parc existant permettrait de mutualiser les couts d’évolution vers du futurs standards des deux flottes, voire d’atteindre un volume suffisant pour que celles-ci soient réalisées en Inde par l’industrie nationale. Enfin, les couts de qualification de nouveaux armements et équipements pourront, eux aussi, être partagés entre les deux forces. Les bénéfices dans ce domaine pourraient également s’étendre aux besoins de formation des équipages et des équipes techniques, là encore de manière similaire à ce qui est appliqué en France, dans le domaine des stocks de pièces détachées, et dans la coopération opérationnelle entre les deux forces, en particulier à partir du standard F4 qui intègre des capacités de communication et de coopération avancées entre les appareils.
4- Des délais potentiellement courts
Ces différents atouts influences de manière sensible les délais potentiels de mise en oeuvre de la capacité Rafale pour la Marine Indienne. En effet, si celle-ci n’a pas besoin d’adapter l’appareil à ses besoins, de modifier ses navires pour les recevoir, si elle dispose d’infrastructures de maintenance déjà opérationnelles et de capacités de formation nationales pour ses équipages et personnels de maintenance, les délais de mise en oeuvre du Rafale pour la Marine Indienne seront potentiellement très réduits, et conditionnés par la seule disponibilité dans les lignes de production de Dassault Aviation. On comprend également, dans ces conditions, pourquoi et comment l’hypothèse d’une possible location de 6 appareils auprés de la France, de sorte à armer immédiatement l’INS Vikrant de cette capacité dès son entrée en service, a été évoquée dans la presse indienne, alors qu’une telle option est impossible avec le Super Hornet.

Ces délais courts représentent un enjeu de taille pour New Delhi, qui fait face simultanément à la montée en puissance des tensions et des moyens militaires déployés de ses deux adversaires potentiels, la Chine à l’est avec des tensions importantes sur les hauts-plateaux du Ladakh et dans le Golfe du Bengale, et le Pakistan avec un renforcement des moyens aériens, navals et terrestres sans équivalents depuis deux décennies pour Islamabad, et notamment l’acquisition de nouvelles frégates (Type 054AP), de nouvelles Corvettes (Ada) et de nouveaux sous-marins (Type 039B) en moins de 5 ans. De toute évidence, il est urgent pour la Marine Indienne de disposer de ses deux porte-avions à plein potentiel au plus tôt, avec des appareils capables de s’imposer face au J-15 chinois ou aux F-16, JF-17 et bientôt J-10C pakistanais, ce dont les Mig-29K actuellement en service sont incapables.
5- Un prix global sensiblement inférieur pour une flotte plus évolutive
Naturellement, tous ces atouts influencent grandement le prix global de la transaction. Car si le Rafale et le Super Hornet sont proposés à des tarifs sensiblement identiques, de l’ordre de 100m$ par appareil en condition de vol, et si, sur le papier, les deux aéronefs ont des performances proches les unes des autres, l’absence de contraintes de mise en oeuvre pour l’avion français influencera considérablement le prix final, avec des écarts probables de plusieurs centaines de millions de $, voire de plusieurs milliards. Le simple fait de pouvoir s’appuyer sur le standard défini par l’IAF réduirait, à lui seul, la facture de manière sensible, alors que la mutualisation potentielle des infrastructures de maintenance permettraient des économies aussi bien dans la mise en place que dans la durée pour l’aéronavale indienne.

Au delà du prix d’acquisition, le Rafale offre enfin un dernier atout de taille face au Super Hornet, à savoir son carnet de commande et sa pérennité. En effet, la ligne d’assemblage du F/A-18 E/F est désormais condamnée à plus ou moins court terme, d’autant plus court que l‘Allemagne envisage à nouveau de se tourner vers le F-35A et vers une version ECR du Typhoon plutôt que d’acquérir 30 Super Hornet et 15 Growler, et que le Congrès ne parviendra pas à imposer à l’US Navy d’acquérir à nouveau en 2023, 12 appareils pour maintenir cette ligne de production, comme ce fut le cas en 2022. De fait, la compétition indienne représente, en quelques sortes, le chant du signe pour ce modèle, qui sera remplacé lors de la prochaine décennie à bord des parte-avions américains par le F-35C et le futur F/A-XX. En revanche, le carnet de commande du Rafale, fort des 142 commandes exports enregistrées en 2021, et les quelques 80 appareils minimum restant à commander pour les forces aériennes françaises au cours de la décennie en court, garantissent la pérennité de la ligne de production, mais également la solidité du plan d’évolution des standards de l’appareil, déjà fixé pour les 20 années à venir.
En d’autres termes, le Rafale offre non seulement une meilleure pérennité et une plus grande sécurité pour l’investissement indien, mais il offre également une plus grande souplesse, permettant par exemple à la Marine Indienne de ne commander que 24 ou 36 appareils initialement, tout en sachant qu’elle pourra effectivement commander les 20 ou 30 appareils manquants d’ici quelques années, y compris en production locale si tant est que le Rafale remporte la compétition MMRCA 2. Cette possibilité est exclue pour le F/A-18 E/F, puisque la ligne de production de de l’appareil fermera de toute évidence à l’issue de l’exécution de ce dernier contrat, si tant est qu’il lui soit attribue, et que Boeing a présenté le F-15EX et non le Super Hornet dans la compétition MMRCA2.
Conclusion
On le voit, le Rafale est incontestablement en position de force dans la compétition en cours pour équiper les porte-avions de la Marine Indienne. Il doit, certes, confirmer certains aspects théoriques lors des essais qui ont lieus actuellement à Goa, mais tout porte à penser qu’en dehors d’une très mauvaise, et très improbable, surprise lors de ceux-ci, il devrait logiquement s’imposer dans cette compétition. Car l’avion français dispose d’un dernier atout dans sa manche en Inde, et non des moindres dans la plus grande démocratie du monde, à savoir un réel engouement populaire, particulièrement sensible depuis son entrée en service, aussi bien dans la presse indienne que dans les commentaires laissés par les indiens eux-mêmes sur les forums et reseaux sociaux. Dans ce domaine, le fait qu’Islamabad ait annoncé la commande de 25 J-10CE auprés de Pékin, précisément pour tenter de contenir le rapport de force imposé par l’arrivée des Rafale au sein de l’IAF, concoure également à cette adhésion populaire indienne massive.
Reste qu’en Inde, rien n’est acquis jusqu’à la signature effective du contrat, le paiement de l’acompte, et même la livraison des materiels. D’autres facteurs peuvent ainsi être mis en avant par Washington, comme une meilleure interopérabilité avec les appareils de l’US Air Force et surtout de l’US Navy déployés dans le Pacifique, ou des arguments plus pernicieux, comme la menace d’activer les sanctions CAATSA à la suite de l’achat de régiments S-400 par New Delhi auprés de Moscou. Ce ne serait pas, en effet, la première fois que les autorités américaines joueraient le tout pour le tout pour s’imposer dans de tels marchés, d’autant que l’Inde est un allié indispensable pour Washington afin d’espérer contenir la montée en puissance chinoise dans le Pacifique et l’Océan Indien, et que plus New Delhi mettra en oeuvre de materiels américains, plus la Maison Blanche aura d’influence sur la politique indienne. Les atouts indéniables du Rafale seront-ils suffisants pour contre-carrer les ambitions US ? Seul l’avenir nous le dira …



















