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Quelles conséquences de l’acquisition de 25 chasseurs J-10CE chinois par le Pakistan ?

Cela faisait 13 ans, depuis 2008, que les autorités pakistanaises étudiaient la possibilité d’acquérir une flotte de chasseur monomoteurs J-10 auprés de Pékin, et de nombreuses rumeurs ont annoncé la commande comme imminente à plusieurs reprises. C’est désormais choses faites, puisque celles-ci ont confirmé avoir signé un contrat pour acquérir 25 J-10CE, version export du J-10C en service au sein des forces aériennes de l’Armée Populaire de Libération, afin d’équiper deux escadrons de 12 appareils. Si le montant du contrat n’est pas mentionné, son calendrier, lui, semble particulièrement court, puisqu’il est question de presenter le nouvel appareil lors des célébrations du jour de la République, le 23 mars, l’une des deux fêtes nationales du pays, hypothèse accréditée par des observations sur le site de production de l’avionneur Chengdu qui fabrique le chasseur chinois. Au delà des questions de posture traditionnelles dans l’opposition indo-pakistanaise, l’arrivée de ces chasseurs va sensiblement bouleverser l’équilibre des forces dans cette région du monde déjà marquée par d’importantes tensions entre puissances nucléaires.

Une réponse à l’arrivée des Rafale indiens

Il ne fait aucun doute, et c’est par ailleurs ouvertement annoncé par les autorités pakistanaises elles-mêmes, que l’acquisition de ces 25 chasseurs pour les forces aériennes pakistanaises constitue une réponse à l’entrée en service des 36 avions Rafale acquis par l’Inde auprés de la France. En effet, le chasseur chinois dispose de nombreuses caractéristiques qui, sans égaler les performances de l’avion français, en font un adversaire autrement plus sérieux que les F-16 et JF-17 actuellement en service au sein des forces aériennes Pakistanaises. Outre son radar AESA, le J-10CE peut en effet mettre en oeuvre des munitions modernes, comme le missile PL-10 à guidage infrarouge bien plus performant que son prédécesseur, le PL-8, et surtout le missile à longue portée PL-15E, version export du PL-15, donné pour avoir une portée de l’ordre de 150 km, en faisant une réponse directe au Meteor et aux Mica/NG mis en oeuvre par les Rafale indiens.

J10C pl10 PL15 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
l’une des caractéristiques les plus remarquables du J-10CE est sa capacité mettre en oeuvre les nouveaux missiles air-air chinois PL-10 (pylônes extérieurs) à guidage infrarouge, et PL-15 (pylônes intérieurs) à longue portée

Pour autant, selon les informations disponibles en occident, le PL-15 n’égale pas le Meteor, puisque le missile chinois est avant conçu pour éliminer des cibles imposantes à grande distance, comme des avions ravitailleurs ou des avions radar, là ou le missile européen peut, quant à lui, prendre à parti d’agiles chasseurs, même à grande distance. Il n’en demeure pas moins vrai que ces nouveaux missiles, servis par le nouvel appareil, représenteront une menace importante pour le dispositif aérien indien faisant face au Pakistan, notamment contre les appareils les plus anciens des forces aériennes indiennes comme les Jaguar, voire les Su-30MKI. Or, si les Rafale indiens sont effectivement en mesure de prendre l’ascendant sur les J-10CE pakistanais, et si les mirage 2000 peuvent faire jeu égal avec ces appareils, ceux-ci sont peu nombreux au sein des forces aériennes indiennes, trop peu nombreux pour couvrir simultanément le front pakistanais et chinois, entrainant une évolution sensible du rapport de force régional.

Caractéristiques et performances du J-10C

Conçu dans les années 90 par l’avionneur Chengdu, le J-10 Dragon Vigoureux, a effectué son premier vol en 1998, et est entré en service en 2002. Chasseur monomoteur de superposé aérienne, il a évolué, au fil des versions, vers un appareil polyvalent parfaitement capable, qui a notamment démontré ses capacités face aux Gripen thaïlandais lors d’exercices entre les forces aériennes des deux pays. La version la plus évoluée, désignée J-10C, est entrée en service en 2018, et se caractérise par une avionique des plus modernes avec notamment un radar AESA et un IRST, et la capacité à mettre en oeuvre des munitions avancées comme les nouveaux missiles air-air PL-10 et PL-15.

J 10 bomb Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Bien que polyvalent, le J-10C est avant tout un appareil de supériorité aérienne. De fait, les clichés le montrant équipés de munitions air-sol, comme ici ces bombes gravitationnelles d’exercices, sont relativement rares

Long de 16 mètres pour une envergure de 9,25m, l’appareil affiche une masse à vide de 9,7 tonnes, et une masse maximale au décollage de 19 tonnes, ce qui le place à la limite entre les chasseurs monomoteurs légers comme le JF-17, et les chasseurs moyens comme le Rafale. Initialement propulsé par un turboréacteur Saturn AL-31FN de facture russe offrant une poussée de 8 tonnes à sec, et de 13 tonnes avec post-combustion, les derniers modèles sont désormais équipés du nouveau turboréacteur chinois WS-10B d’une poussée accrue de l’ordre de 10%, lui offrant un excellent rapport poussée-poids et des performances élevées, avec une vitesse maximale de Mach 2,1 et un plafond de 17.000m. En revanche, ses capacités d’emport, notamment de carburant, sont limitées, réduisant son rayon d’action opérationnel à 900 km hors ravitaillement en vol.

En matière d’armement, le J-10C peut mettre en oeuvre, outre les missiles air-air des cités, des bombes guidées de différent types, ainsi que des missiles anti-navires YJ-91, en emportant un pod de désignation CM-802AKG, avec 11 points d’attache extérieurs repartis sous la voilure et le fuselage, permettant d’emporter jusqu’à 5,6 tonnes de charges externes. Il dispose également d’un canon de 23 mm. En revanche, le J-10C souffre d’une faiblesse importante, à savoir que ses capacités d’emport d’armement se réduisent rapidement dès lors que l’appareil emporte des réservoirs extérieurs, héritage de la fonction air-air initiale de l’appareil. Le J-10 n’avait jusqu’ici jamais été exporté par la Chine, et la vente de l’appareil au Pakistan pourrait marquer un changement de posture de Pékin dans ce domaine, notamment pour répondre aux attentes de certaines forces aériennes pour lesquelles le JF-17, plus léger, ne répond pas aux attentes.

Les forces aériennes indienne sous pression à court terme

Si l’arrivée annoncée de J-10CE au sein des forces aériennes Pakistanaises est, en soit, un problème de taille pour l’Indian Air Force, le calendrier particulièrement court des livraisons que laisse entrevoir la communication pakistanaise pourrait mettre sous pression la défense indienne à court terme. En effet, New Delhi a depuis plusieurs années reporté la commande d’un nouveau lot de Rafale réclamée à corps et à crie par l’Indian Air Force, précisément pour faire face à ce type d’hypothèse. Les 36 Rafale qui doivent servir au sein des forces aériennes indiennes suffisent en effet à peine à contenir la menace chinoise sur les hauts plateaux tibétains, pour ne pas devoir se repartir entre les fronts pakistanais et himalayens. D’autre part, les nouveaux Tejas qui entrent en service au sein de l’IAF, ni les Mig-29 récemment commandés, ne représentent une alternative aux capacités offertes par le Rafale. Enfin, l’arrivée des J-10CE et de leurs missiles à longue portée PL-15 menacera directement la faible flotte d’avions ravitailleurs indiens, là encore handicapant la capacité de réponse des Rafale qui doivent s’appuyer sur cette capacité pour protéger simultanément les deux fronts.

DA Rafale IAF Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
En dépit de leurs indiscutables performances, les 36 Rafale indiens n’ont pas le don d’ubiquité, et ne peuvent être simultanément sur le front pakistanais et chinois

On peut donc s’attendre, dans les mois, voire les semaines à venir, à ce que les autorités indiennes prennent elles aussi des mesures pour contenir cette nouvelle menace, par exemple en accélérant les négociations au sujet d’un second lot de Rafale, ou en accélérant le déroulement de la compétition MMRCA-2 portant sur la construction (locale) de 114 chasseurs modernes en Inde. Cependant, eut égard au calendrier raccourcie présenté par Islamabad et Pékin pour la livraison des J-10CE, on peut raisonnablement penser qu’une acquisition rapide d’un nouveau lot de Rafale assemblés en France représenterait la meilleure des solutions pour New Delhi, alors que de nombreux rapports font états d’un renforcement significatif des forces chinoises sur ou à proximité du plateau contesté du Ladakh.

Conclusion

D’une manière ou d’une autre, l’annonce faite de l’entrée en service prochaine de 2 nouveaux escadrons de J-10CE au sein des forces aériennes Pakistanaises va amener New Delhi à modifier son propre calendrier et sa stratégie défensive. Même si les Dragons Vigoureux n’ont pas les capacités pour prendre l’ascendant sur les Rafale indiens, ils obligeront New Delhi à repartir ses forces actuelles sur deux fronts, ouvrant des opportunités d’action pour Pékin comme pour Islamabad. En outre, on peut penser qu’à l’instar des pilotes turcs, les pilotes pakistanais auront eut eux-aussi la possibilité d’évaluer le Rafale au travers des exercices conjoints organisés avec l’allié Qatari, et donc de se préparer au mieux à se confronter à l’appareil de facture française, éliminant de nombreuses inconnues se voulant dissuasives de l’équation.

Rafale Mirage2000 qatar Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
A l’instar des pilotes turcs, les pilotes pakistanais ont pu se familiariser avec les performances des Rafale et Mirage 2000 quatari lors d’exercices tripartites organisés par Doha, Ankara et Islamabad

Il semble donc indispensable désormais pour New Delhi d’accroitre dans les plus brefs délais sa propre flotte d’avions de combat modernes, de sorte à maintenir un rapport de force suffisamment dissuasif face à Pékin et Islamabad, y compris dans l’hypothèse d’une action coordonnées entre les deux pays. Pour cela, la commande d’un nouveau lot de Rafale apparait être probablement la solution la plus efficace, puisque l’appareil est déjà en service au sein de l’IAF, et que les infrastructures de maintenance sont adaptées pour les recevoir et les mettre en oeuvre. Si jusqu’à présent le gouvernement du premier ministre Modi s’était montré discret quant aux négociations en cours avec Paris dans ce dossier, après les accusations portées par l’opposition sur le contrat initial lors de la campagne législative de 2019, l’arrivée des nouveaux chasseurs pakistanais pourrait bien éclaircir le paysage politique indien pour permettre à cette nouvelle commande de prendre forme à court terme.

Le ministère des Armées juge le principe d’un Rafale de Guerre Électronique inutile

En juin 2021, le député UDI de Seine-Saint-Denis et membre de la commission Défense de l’Assemblée Nationale, J.C. Lagarde, avait interrogé, s’appuyant sur un article publié sur Meta-Défense, le ministère des Armées sur la pertinence de developper une version du Rafale dédiée aux missions de guerre électronique, à l’instar de ce qui fut fait, par exemple, avec le E/A-18G Growler de l’US Navy a partir du F/A-18F Super Hornet.

Selon les arguments avancés, un Rafale « spécialisé » dans cette mission de guerre électronique, permettrait d’accroitre les capacités des forces aériennes françaises pour supprimer les défenses anti-aériennes adverses, et ainsi garantir, dans la durée, les capacités des forces aériennes et aéronavales françaises à évoluer au dessus d’un espace fortement contesté.

Le ministère des Armées a publié une réponse à cette question qui, bien que pas surprenante quant à sa finalité, pose de réelles questions sur la façon dont celui-ci envisage l’emploi des Armées françaises dans les années à venir.

Un Rafale de guerre électronique, un appareil pour répondre à l’évolution des menaces sol-air modernes

Rappelons, rapidement, de quoi il était question dans ce dossier. Face à la montée en puissance des capacités de défense anti-aérienne d’adversaires majeurs comme la Russie, il semblait pertinent de developper simultanément un pod de brouillage et de guerre cyber aéroporté, une munition anti-radiation destinée à éliminer les radars adverses, et éventuellement de modifier une cellule Rafale pour en faire une version dédiée, à l’instar du Growler américain ou du J-16D chinois, de sorte à permettre de prendre l’ascendant sur l’adversaire dans le spectre électromagnétique et cyber dans un espace aérien donné.

EA18G Growler Us Navy Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
L’E/A-18G Growler de l’US Navy est l’appareil spécialisé dans la Guerre Électronique/Cyber de l’US Navy, et la suppression des défenses anti-aériennes de l’adversaire

Cette approche permettait non seulement d’accroitre la protection de l’aéronef, lui-même, mais également celle des autres appareils alliés évoluant autour de lui et, le cas échéant, d’entamer significativement les moyens de l’adversaire.

Pour le ministère des Armées, un Rafale de guerre électronique n’est pas nécessaire aujourd’hui

Sans surprise, donc, le ministère des Armées estime que le développement d’un tel appareil n’est pas nécessaire. Pour justifier de cette absence de besoin, cependant, celui-ci présente des arguments forts peu convaincants, dont le fait que dans ses futures versions, le Rafale sera bien plus interconnecté, et qu’elles disposeront de moyens d’auto-protection accrus.

En outre, le ministère précise que l’intervention des armées françaises ne devra se considérer à l’avenir que dans un cadre de coalition et de coopération. Enfin, l’interconnexion des systèmes de défense adverses les rendra bien plus résilients, nécessitant des réponses multiples pour en affaiblir les capacités. Et de conclure que ces différents arguments permettraient d’écarter le besoin d’un appareil dédié aux missions de guerre électronique, ce qui, reconnaissons-le, a de quoi laisser pantois.

Les arguments avancés par le ministère des Armées contre un Rafale de guerre électronique sont pour le moins… étonnants

En effet, chacun des arguments pris individuellement va précisément dans le sens inverse de la conclusion avancée. Ainsi, si le Rafale disposera effectivement de capacités d’auto-protection renforcées par la mise à jour de SPECTRA, il est absurde d’imaginer que ce système sera en mesure de faire face, à lui seul, à une défense antiaérienne intégrée multicouche moderne comme celle mise en œuvre par la Russie, qui justement est conçue pour saturer ces types de systèmes.

L’omniprésence croissante de la défense antiaérienne au sein des armées modernes

Dès lors, à moins de réduire la menace elle-même, il sera impossible à un Rafale d’évoluer dans un tel environnement, et encore moins de permettre à d’autres appareils de la faire. Or, quoi de plus efficace pour cela qu’un appareil doté de puissant brouilleurs mixtes de guerre électronique et cyber, et de munitions anti-radiation ?

C’est d’ailleurs précisément la raison qui amena l’US Navy (EA18G), mais également les forces aériennes et aéronavales chinoises (J-16D et J-15D), à developper des avions dédiés à cette mission, et les autres forces aériennes à privilégier des appareils furtifs de sorte à réduire le risque pour les avions et leurs équipages.

Shenyang J 16D Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Le J-16D est le pendant chinois du Growler américain

Or, non seulement Spectra a ses limites, tout comme le Spartan du Typhoon ou l’EPAWSS du F-15EX, mais le Rafale ne dispose d’aucune arme anti-radiation pour éliminer ces menaces, ce qui serait une composante clé d’un Rafale de Guerre électronique, contrairement aux Typhoon allemands et britanniques qui sont, eux, équipés de ce type de munition.

L’absence de munitions anti-radiations représente un handicap majeur pour les forces aériennes françaises

Dans ce domaine, la communication du ministère des Armées laisse à penser que les armées françaises pourraient faire appel à d’autres systèmes d’armes. On pense naturellement au missile de croisière SCALP EG et à son pendant naval MdCN.

Malheureusement, avec seulement 100 SCALP EG modernisés prévus par la LPM en cours, les capacités de l’Armée de l’Air et de la Marine nationale pour éliminer avec ces munitions les défenses anti-aériennes adverses dans un conflit de haute intensité, face à un adversaire technologiquement avancé, sont plus que limitées, et ce d’autant que ces systèmes seront vraisemblablement employés pour frapper des cibles de plus haute valeur, comme les postes de commandement et nœuds de communication.

En outre, il semble important de rappeler que désormais, la limite entre la notion de guerre cyber et de guerre électronique tend à se confondre. Ainsi, le nouveau pod de brouillage AN/ALQ-249 qui remplacera l’AN/ALQ-99 à bord des EA-18G de l’US Navy, seront simultanément des pods de brouillage pour la guerre électronique, et des pods de guerre cyber, précisément pour tenter de mettre à mal les systèmes numériques de l’adversaire.

De fait, la présence d’un appareil dédié à cette mission et équipé de ces pods mixtes semble, tant pour l’US Navy que les forces aériennes et aéronavales chinoises, indispensables à la conduite d’opération de haute intensité. Dans ce domaine, le Congrès Américain a, lui aussi, appelé l’US Air Force à se douter à nouveau de ce type de moyens, précisément pour les mêmes raisons, sachant que la protection offerte par la furtivité ou les systèmes d’auto protection sera vite insuffisante face aux progrès des systèmes adverses russes ou chinois.

Mirage 2000D Mirage 2000C Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Si le Rafale dispose du système Spectra pour se protéger, ce n’est pas le cas des Mirage 2000D, qui représentent 1/3 de la flotte de chasse tactique de l’Armée de l’Air et de l’espace

S’en remettre à ses alliés, est-ce vraiment en accord avec la doctrine d’entrée en premier ?

Reste enfin l’hypothèse interarmées, à savoir s’appuyer sur les capacités des armées alliées, qui elles n’auront pas fait l’impasse sur de telles capacités. C’est, en effet, une possibilité, mais elle est loin d’être conforme à la tradition française, et surtout avec la doctrine d’entrer en premier, ce qui sous-entend que les armées françaises doivent avoir la capacité d’effectuer ces premières en mission en parfaite autonomie.

En outre, les expériences récentes ont montré que, dans l’immense majorité des cas, nos alliés européens sont en général plus que rétifs à accompagner la France lors de ses interventions militaires. Rappelons également que si Paris juge cette capacité inutile, Berlin, de son côté, a choisi d’acquérir 15 EA-18G Growler auprès de Boeing pour remplacer ses Tornado ECR, précisément pour assurer ces missions.

Quant aux autres forces aériennes européennes, elles ont pour la plupart choisi le F-35A, un appareil dont la principale capacité est la suppression des défenses adverses, en s’appuyant simultanément sur sa furtivité avancée en secteur frontal et sur son propre système de guerre électronique. Force est de constater que, pour les alliés de la France, le besoin dans ce domaine reste des plus importants.

Cette approche, déjà largement critiquée par de nombreux spécialistes de la question, ne permet en outre pas de protéger d’autres appareils qui ne disposeraient pas de tels systèmes, comme les F-16 alliés, ou les Mirage 2000D qui représenteront pourtant 1/3 des forces de chasse de l’Armée de l’Air pour la décennie en cours.

Or, ces appareils plus anciens s’avèreraient déterminant face à un adversaire de premier plan, comme la Russie, qui dispose de nombreux atouts en matière de puissance de feu terrestre, sans que l’on vienne à se priver d’un tiers des forces aériennes disponibles.

La drone de combat Neuron lors dun vol dessais avec un Rafale Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Jusqu’en 2016, l’élimination des menaces anti-aériennes devait être confiée au programme FCAS franco-britannique, dont le drone Neuron était le démonstrateur coté français. Aprés l’annulation de celui-ci par Londres, Paris n’a pas jugé pertinent de poursuivre dans ce domaine, sans pour autant doter le Rafale de capacités étendues dans ce domaine.

Un mauvais service à rendre aux industries aéronautiques de défense françaises

De fait, les arguments avancés par le ministère des Armées sont bien peu convaincants, d’autant que de l’avis des opérationnels eux-mêmes, un tel appareil aurait plus que sa place dans l’arsenal militaire de l’Armée de l’Air, ainsi que de l’aéronavale, si tant est que la France souhaite conserver, en effet, ses moyens d’agir.

En outre, ce n’est certainement pas rendre service à l’industrie aéronautique française que d’écarter un tel programme, qui aurait permis à Dassault d’étoffer sa gamme, y compris vers ses clients Rafale existants, pour qui une telle capacité serait des plus appréciées, que ce soit en Grèce, en Inde, aux Émirats Arabes Unis ou dans les autres pays.

Cela pourrait même amener d’autres pays à considérer de manière différente l’offre Rafale face au F-35A américain, d’autant que contrairement à la furtivité passive, la furtivité active, autre nom donné à la Guerre Électronique, est évolutive sur la base d’une même cellule.

Malheureusement, dans ce dossier comme dans de nombreux autres, le ministère des Armées applique une doctrine inflexible, à savoir appliquer la LPM, toute la LPM, mais rien que la LPM, en voulant se convaincre que les mesures prises, certes indispensables pour stopper l’effondrement capacitaires des armées françaises, et une communication bien pesée, suffiront à convaincre de leurs capacités à répondre aux enjeux de défense à venir, notamment dans le désormais très à la mode thème de la Haute Intensité.

Le Rafale M en bonne position pour équiper la Marine indienne

A partir du 6 janvier 2022, un Rafale M de la Marine Nationale effectuera les tests de qualification quant à l’utilisation d’un Ski Jump, dans le cadre de la compétition qui l’oppose au F/A 18 E/F Super Hornet pour équiper les porte-avions de la Marine Indienne. Ces essais, qui se dérouleront au sein de la base aéronavale de Goa ou se trouve la plate-forme Ski Jump où fut notamment testé le Tejas indien, seront suivis, au mois de février, par des essais similaires concernant le Super Hornet américain, même si celui-ci avait déjà démontré sa capacité à prendre l’air à partir de ce type d’installation en décembre 2020 sur le site de Patuxent River, dans le Maryland. Toutefois, une fois que le Rafale M aura réussi ces essais, et rien ne permet de douter que ce ne sera pas le cas puisque toutes les simulations faites par Dassault Aviation ont montré la parfaite capacité du chasseur français à opérer à partir d’une telle plate-forme, celui-ci sera en situation de force dans cette compétition qui porte sur un nombre allant de 36 à 57 avions de combat pour l’aéronautique navale indienne.

En effet, l’avion français jouit de nombreux atouts sur son concurrent américain, en premier lieu desquels ses dimensions plus restreintes, permettant d’intégrer l’appareil aux porte-avions déjà en service au sein de la Marine Indienne, l’INS Vikramaditya et surtout l’INS Vikrant qui doit entrer en service au cours de cette année, sans devoir procéder à de couteuses adaptations des bâtiments eux-mêmes. Ainsi, le Rafale et ses 15,2 mètres de longs pour 10,8 mètres d’envergure, a une empreinte inférieure à celle des Mig-29 déjà en service dans la Marine indienne, longs de 16 mètres pour une envergure de 12 mètres, là ou le Super Hornet est long de 18,3 mètres pour une envergure de 13,3 mètres, ce qui s’avère supérieur aux dimensions des ascenseurs en service sur les porte-avions indiens, d’une longueur donnée pour être inférieure à 17 mètres.. Dès lors, de nombreuses installations de bord des porte-avions indiens, conçues pour accueillir les Mig-29K, sont sous-dimensionnées pour accueillir l’avion américain, et devront être modifiées pour pouvoir le recevoir, entrainant des couts importants, mais également une immobilisation pesante en ces temps de tension face à la Chine et au Pakistan.

A MiG 29K performs a touch and go landing on INS Vikramaditya during Narendra Modis visit Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Les porte-avions indiens ont été conçus pour mettre en oeuvre le chasseur russe Mig-29K, un appareil bien moins imposant que le Super Hornet de Boeing. Le Rafale français, en revanche, est plus compacte que l’avion russe, et ne nécessiterait donc pas d’adaptation structurelle des porte-avions indiens pour être embarqué.

En outre, le Rafale M offre des performances supérieures à celle de son concurrent, qu’il s’agisse de son rayon d’action ou de sa capacité d’emport, et ne dispose d’aucune faiblesse particulière face au Super Hornet dans les autres domaines. Ainsi, dans sa configuration de lutte anti-aérienne, le Rafale peut décoller avec deux réservoirs supplémentaires, 2 missiles Meteor à très longue portée, 2 missiles Mica (NG) de moyenne portée à guidage radar et 2 missiles Mica à guidage infrarouge pour son autodéfense. Or, le Super Hornet ne dispose d’aucun système d’arme offrant des performances supérieures, qu’il s’agisse de l’AIM9X Sidewinder à guidage infrarouge face au Mica NG IR, à l’AIM-120 à moyenne portée, ou du futur AIM-260 sensé faire jeu égal avec le Meteor européen. Il en va de même dans le domaine des missiles anti-navires, des missiles de croisière ou des bombes de précision, les deux appareils disposant de systèmes aux performances très proches les uns des autres.

Autre atout de taille, les succès commerciaux enregistrés par le Rafale en 2021, avec 146 appareils commandés par 4 clients, cumulés aux quelques 80 appareils qui doivent encore être livrés aux armées françaises, permettent à Dassault Aviation de sécuriser la ligne de production de son fleuron pour une dizaine d’années, tout en conservant une marge de progression de production pour 120 appareils supplémentaires. De son coté, le Super Hornet de Boeing sort d’une année noire, avec les échecs successifs en Suisse, en Finlande et au Canada, trois pays qui employaient jusqu’ici le F/A-18 Hornet, et qui ont préféré se tourner vers le F-35A. Dès lors, le carnet de commande de la ligne d’assemblage de Boeing à Saint-Louis ne tient aujourd’hui que par le soutien du Congrès américain qui a imposé à l’US Navy l’acquisition de 12 Super Hornet en 2022, alors que celle-ci voulait mettre fin à l’achat de cet appareil, et avec l’espoir de plus en plus menacé que l’Allemagne honorera bien sa décision de commander 30 Super Hornet et 15 Growler pour remplacer une partie de ses Tornado. D’une manière ou d’une autre, ces deux contrats ne permettront à la ligne d’assemblage du Super Hornet de subsister que 4 ans dans le meilleur des cas, avant de devoir fermer faute d’activité.

super hornet boeing 2 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
2021 fut une année noire pour le Super Hornet, sorti des compétitions canadiennes, finlandaises et suisses, alors que ces 3 pays employaient jusqu’ici le F/A 18 Hornet

Au delà de ces aspects, le Rafale peut s’appuyer sur un autre atout de taille dans cette compétition, puisque l’Indian Air Force met déjà en oeuvre deux escadrons équipés de l’avion français, et dispose d’une plate-forme de maintenance dédiée permettant d’entretenir une flotte pouvant atteindre les 150 appareils. Même si l’aéronavale indienne prévoit de s’appuyer sur ses propres infrastructures de maintenance, cet existant offre une très grande souplesse pour accueillir le nouvel appareil en son sein. Ainsi, selon le site d’information Hindustan Times, New Delhi envisagerait de louer 6 Rafale M à la France, et ce dés 2022, afin de pouvoir équiper son nouveau porte-avions INS Vikrant dès son entrée en service. Même s’il convient de toujours prendre avec précaution les déclarations de la presse indienne, souvent prompt à la sur-interprétation, cette possibilité n’est pas exclue, précisément du fait de l’existence de cette plateforme de maintenance de l’Indian Air Force dédiée à l’appareil. Evidemment, si la Marine Indienne venait à louer ne serait-ce que 6 appareils à la France comme solution d’attente, les chances qu’elle vienne à choisir le Rafale plutôt que le Super Hornet à terme seraient encore accrues.

La location de ces 6 appareils serait toutefois difficile à mettre en oeuvre coté français. En effet, il est exclut que ceux-ci puissent être ajoutés au planning de production 2022, déjà sous tension avec les commandes françaises, grecques et égyptiennes, hormis si 6 appareils initialement fléchés vers l’Armée de l’air française venaient finalement à être livrés en version Marine à l’Inde. Dans ce cas, non seulement l’Armée de l’Air verrait son parc Rafale une nouvelle fois entamé, une épreuve difficile après les ponctions grecques et croates non encore compensées, mais s’agissant de version Marine, leur location serait incontestablement complexe pour la France, alors que le parc de la Marine Nationale est déjà à son format nominal prévu par le Livre Blanc. Prélever 6 appareils sur ce même parc de la chasse embarquée serait également difficile pour la Marine, même si celle-ci a vu, ces derniers mois, sa flotte s’accroitre avec la modernisation et le retour au service des Rafale F1 jusqu’ici sous cocon en attendant leur modernisation.

un avion rafale s apprete a atterrir sur le pont du porte avions charless de gaulle le 9 mai 2019 dans l ocean indien au large de goa 6178270 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
La Marine Nationale a récupéré les Rafale F1 sous cocon une fois ceux-ci portés au standard F3/R, lui permettant de disposer de l’intégralité de son parc théorique.

En revanche, si tant est que l’opération soit planifiée et sécurisée par une commande rapide de nouveaux appareils pour la Marine Nationale en compensation des appareils prélevés dans le cadre de la location, celle-ci pourrait permettre de remplacer les appareils les plus anciens dont le potentiel commence à atteindre ses limites, sujet d’inquiétude récemment évoqué par le Chef d’Etat-Major de la Marine Nationale lui-même. Il serait ainsi possible d’optimiser au mieux la gestion du parc de la chasse embarquée française sur la durée, avec une nuisance minime pour les armées elles-mêmes, et un bénéfice évident à terme, comme c’est aujourd’hui le cas avec les Rafale vendus d’occasion à la Grèce et la Croatie. Dans tous les cas, pour l’heure, et en l’absence de confirmation officielle et de plus d’informations, il est de rigueur de se montrer des plus prudents quant à cette hypothèse.

Reste qu’avec l’augmentation des commandes à l’exportation, et le dynamisme que celles-ci ont insufflé à la chaine de production du Rafale, il semble pertinent pour Dassault Aviation, ainsi que pour les autorités françaises, de s’appuyer sur des modèles d’exportation moins traditionnels comme la location ou la vente d’occasion, pour soutenir cette activité commerciale et industrielle. En effet, en positionnant astucieusement le curseur industriel via la commande publique, et en s’appuyant sur une prise de risque maitrisée quant aux volumes commandés et aux perspectives d’exportation via ces modèles de commercialisation alternatifs, il serait possible de garantir une activité industrielle suffisamment soutenue sur une durée suffisamment longue pour engendrer des effets sensibles sur les couts de production, et donc sur la compétitivité nationale et internationale de l’appareil, y compris face à des modèles positionnés en amont comme el F16V ou le Gripen, le tout en permettant aux armées françaises d’accroitre leurs propres parcs dans un contexte de tensions internationales croissantes. De ce point de vue, après les ventes d’occasion aux forces aériennes grecques et croates, la location d’appareils à la Marine Indienne pourrait effectivement sensiblement étoffer l’offre commerciale autour de l’appareil, et ainsi étendre son attractivité sur la scène internationale.

Une nouvelle version du chasseur embarqué lourd chinois J-15 bientôt en service ?

Comme pour le chasseur de supériorité aérienne J-11 qui fut dérivé du Su-27, ou le chasseur bombardier J-16 dérivé du Su-30, le chasseur embarqué standard de l’aéronavale chinoise, le J-15, résulte d’une rétro-ingénierie d’un chasseur russe de la famille des Flanker, en l’occurence un Su-33 acquis auprés de l’Ukraine lorsque Pékin fit l’acquisition de la coque du porte-avions Varyag, laissé en friche dans les chantiers navals ukrainiens après l’implosion de l’Union Soviétique. Mais contrairement au J-11B, et surtout au J-16, le J-15 n’avait subit que peu de modernisation dans le processus de conversion, et souffrait de plusieurs défauts qui frappaient déjà son grand-frère soviétique, notamment un manque de fiabilité ayant entrainé de nombreux accidents. Pour autant, et en dépit de l’arrivée prochaine du chasseur furtif embarqué de nouvelle génération désigné pour l’heure sous le terme J-35, la Marine Chinoise continue de faire confiance à son chasseur bombardier lourd pour équiper ses porte-avions, qu’il s’agisse des 2 navires dotés de tremplins déjà en service, ou des futurs porte-avions dotés de catapultes Type 003, dont le lancement de la première unité devrait intervenir dans les prochaines semaines.

Pour cela, la Marine Chinoise a entrepris de concevoir une nouvelle version de son appareil, désigné à ce jour sous le code non officiel de J-15T, un appareil plus moderne et surtout capable d’employer les puissantes catapultes du futur porte-avions chinois pour décoller du pont d’envol à pleine charge. On savait toutefois bien peu de chose jusqu’à présent sur ce nouvel appareil, mais une photo récemment publiée sur les reseaux sociaux chinois montrant le chasseur tracté sur un taxiway, permet d’observer plusieurs changements importants. Eu égard à l’angle de la photo, et à la présence d’un tracteur devant l’avion, seuls quelques éléments sont visibles, comme de nouveaux pylônes en bout d’aile identiques à ceux du J-16 et permettant de fait d’embarquer le nouveau missile air-air à courte portée PL-10 bien plus performant que son ancêtre le PL-8, un nouveau capteur frontal infrarouge IRST, ainsi qu’un cône radar transformé, laissant supposer la présence d’un nouveau radar, très probablement doté d’une antenne AESA, comme tous les autres avions modernes chinois du J-10 au J-20.

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Le cliché du J-15T sur le taxiway publié sur les RS chinois

Il est interessant de constater que la Marine Chinoise fait le choix d’une flotte composée de deux modèles d’avions de combat pour ses porte-avions lourds, le J-35 furtif d’un coté, et le J-15T de l’autre. Ce dernier étant plus lourd, il disposera a priori d’une capacité d’emport supérieure et d’une allongée étendue par rapport au J-35, et jouera probablement le rôle de « camion de munitions » au profit des appareils furtifs, tout en restant à distance de sécurité puisque le J-15 n’est ni furtif, ni même discret. En outre, une version de guerre électronique, comparable au J-16D des forces aériennes chinoises, et pour l’heure baptisée J-15D, est également à l’essais, afin de conférer au groupe aérien embarqué des performances comparables à celles du GAE américain à bord des porte-avions de la classe Nimitz. Enfin, de nombreuses indications amènent à penser que les porte-avions chinois mettront également en oeuvre des drones de combat furtif de la famille du GJ-11, pour compléter la panoplie offensive du navire.

Sur le papier, donc, et d’ici l’entrée en service d’ici 2024 du premier porte-avions Type 003 et de ses nouveaux appareils de combat J-35, J-15T/D, GJ-11 et KJ-600 de veille aérienne, celui-ci disposera d’un potentiel opérationnel aéronaval n’ayant rien à envier à celui des porte-avions américains. Reste à déterminer le temps qui sera nécessaire aux marins chinois pour apprendre à mettre en oeuvre efficacement un tel outil, d’une complexité extraordinaire, qui plus est dans un contexte de compétition croissance avec le plus expérimentée des forces navales du moment, l’US Navy. Deux écoles s’affrontent sur cette question, entre ceux qui estiment qu’il sera nécessaire de plusieurs années, voire d’une décennie pour que la Marine Chinoise parviennent à employer efficacement cet outil, et ceux qui estiment que ce délais pourrait être beaucoup plus court, sur la base de la montée en puissance qui semble parfaitement maitrisée de la Marine Chinoise dans d’autres domaines, comme celui des sous-marins ou des navires de combat de surface. Une chose est certaine, le jour ou les Forces Navales de l’Armée Populaire de Libération s’estimeront parfaitement prêtes à défier l’US Navy, il est plus que probable qu’elles le feront clairement savoir …

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Le J-35 sera la pièce maitresse du groupe aérien embarqué à bord des porte-avions Type 003 et ultérieurs de la Marine chinoise

Les technologies Défense qui ont fait l’actualité en 2021

En dépit de la crise liée à la pandémie de Covid-19, l’actualité en 2021 fut souvent marquée par certaines technologies de défense, dans un contexte géopolitique de tensions croissantes et de crises critiques. De l’annulation surprise australienne de la commande des sous-marins à propulsion conventionnelle de facture française pour se tourner vers des sous-marins nucléaires d’attaque américano-britanniques, aux missiles hypersoniques; des drones sous-marins au nouveau système de bombardement orbital fractionné chinois; ces technologies de défense, longtemps passées au second plan de la scène médiatique mondiale, se sont retrouvées à faire l’actualité, et parfois les gros titres durant cette année. Dans cet article en deux parties, nous présenterons les technologies ayant le plus marquées l’année 2021 dans le domaine de la Défense, pour en comprendre les enjeux et les applications.

1- Les Sous-Marins à propulsion nucléaire

L’annulation du contrat australien pour la conception et la fabrication de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle de type Shortfin Barracuda du français Naval Group, fut incontestablement le plus marquant des événements relatifs à la sphère défense en France cette année. Mais le choix de Canberra de se tourner vers des sous-marins à propulsion nucléaire de facture américaine ou britannique fut quant à lui le plus important événement sur la scène mondiale en 2021. En effet, pour la première fois, le tabou résultant d’un accord tacite entre les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, de vendre des sous-marins à propulsion nucléaire à une nation tiers était taillé en brèche par la décision de Joe Biden, Boris Johnson et le premier ministre Australien Scott Morrison. Et avec elle, une porte s’ouvrait sur la scène internationale pour de nombreux pays désireux, eux aussi, de s’équiper de ce type de navire offrant des performances uniques, car disposant d’une source d’énergie très importante et presque illimitée.

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le modele de sous-marins américain de la classe Virginia est aujourd’hui présent comme le plus probablement retenu par Canberra pour son programme de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire

Depuis, si le programme australien lui-même est de plus en plus sous le feu des critiques, y compris en Australie, du fait des surcouts et des délais très importants, de toute évidence, non maitrisés à ce jour par le gouvernement australien, plusieurs pays se sont engouffrés dans la brèche ouverte par Joe Biden et ses deux acolytes, en se tournant notamment vers la France, qui dispose de technologies et de savoir-faire très adaptées pour se saisir de ce marché émergent. Reste que l’exemple donné par Canberra dans ce dossier laissera incontestablement des marques, car au delà de la Corée du Sud, de l’Inde ou du Brésil, d’autres pays pourraient chercher eux aussi à ce doter de cette capacité, en se tournant vers des partenaires moins regardants dans ce domaine, créant un emballement qui pourrait sonner le glas des efforts internationaux dans le domaine de la non-prolifération.

On peut dès lors se demander à quel point la décision américaine dans ce dossier avait été murement réfléchie, et si l’ensemble des conséquences incontestablement négatives qui en découleront furent évaluées avant de s’engager dans un tel projet aux dangers multiples, y compris pour l’Australie elle-même qui pourrait bien se voir priver de flotte sous-marine efficace pendant une dizaine d’année avant de recevoir ses premiers sous-marins nucléaires « au delà de 2040 » dans le meilleur des cas, et ce alors que les perspectives de conflits dans le Pacifique s’inscrivirent sur un calendrier bien plus ramassé.

2- Les Missiles Hypersoniques

En 2019, alors qu’il répondait aux questions des parlementaires français, le chef d’état-major de la Marine Nationale, l’Amiral Prazuck, estimait que les annonces concernant les armes anti-navires hypersoniques chinoises et russes ne devaient pas alarmer plus que de raison la représentation nationale. Selon lui, les contraintes liées à ces missiles dépassant la vitesse de Mach 5, notamment dans le domaine thermique et électromagnétique, interdisait l’emploi de systèmes de guidage qui permettraient de frapper des navires à la mer et en deplacement. Seulement 2 années plus tard, aiguillonnée par les avancées majeures venues de Russie avec les missiles 9-S-7760 Kinzhal déjà en service, et 3M22 Tzircon anti-navires qui entreront en service en 2022, la conception de missiles hypersoniques est devenue la priorité de la plupart des grandes armées mondiales, y compris, et surtout, outre atlantique, ou pas moins de 5 programmes sont en cours dans ce domaine concomitamment, avec pour objectif une entrée en service à partir de 2024.

test du tzirkon 3M22 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
La Russie a multiplié les tests de son missile 3M22 Tzirkon en 2021, à partir de la frégate Admiral Gorshkov comme du sous-marin de type iassen Severodvinsk

Il faut dire que les missiles hypersoniques, notamment dans le domaine des armes anti-navires, posent de sérieux problèmes aux marines occidentales, puisqu’aucun des systèmes anti-aériens et anti-missiles actuellement en service, ou proche de l’êtrei, ne peuvent espérer intercepter un tel vecteur. En outre, de part cette extraordinaire vitesse qui parfois dépasse les 8000 km/h, soit plus de 2 km à la seconde, les délais entre la détection et l’impact pour espérer mettre en oeuvre une quelconque contre-mesure sont considérablement réduits. D’autre part, les délais de vol étant très courts, les chances de pouvoir échapper à un tir par la manoeuvre ou la vitesse entre le moment de la détection et l’arrivée du missile sont également fortement diminuées. Enfin, au delà de la charge militaire transportée par ces armes, qui peut être parfois nucléaire dans le cas du Kinzhal russe ou du DF-26 chinois, l’énergie cinétique dégagée à l’impact du missile sur sa cible est le plus souvent suffisante pour disloquer la cible, sauf dans le cas de très grands navires comme les porte-avions.

le module hypersonique du DF17 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Le missile hypersonique DF-17 chinois a été présenté pour la première lors de la parade de 2019 célébrant les 70 ans de la création de l’APL.

En d’autres termes, avec une portée de plusieurs centaines à plusieurs milliers de kilomètres, les missiles hypersoniques apparaissent, pour un temps au moins, les maitres du champs de bataille aéronaval, ainsi que l’arme de prédilection des frappes préventives. Pour y répondre, les occidentaux ont lancé deux types de programmes. En premier lieu, ils entreprirent de se doter eux-aussi de missiles équivalents, dans une logique de dissuasion réciproque. D’autre part, plusieurs programmes ont été lancés en vue de se doter de capacités d’interception anti-missiles susceptibles de détruire ces menaces en vol avant qu’elles n’atteignent leurs cibles, comme dans le cas du programme TWISTER européen. Reste que, pour au moins quelques années, Moscou et Pékin disposeront à compter de 2022, de la capacité de repousser les forces navales occidentales au delà d’un périmètre élargi, sans que celles-ci n’aient capacité à s’en préserver. Il s’agit, sans le moindre doute, d’un avantage tactique majeur concédé par les occidentaux à leurs deux grands rivaux géopolitiques, qui risque fort d’avoir des conséquences importantes dans les années à venir.

3- La competition F-35 vs Rafale

Depuis une dizaine d’années, les compétitions dans le domaine des avions de combat au sein de la sphère occidentale élargie, se résumaient à un plébiscite du F-35 de Lockheed-Martin, les autres concurrents, qu’il s’agisse du Boeing Super Hornet, du Gripen suédois, de l’Eurofighter Typhoon et du Rafale français, étant en règle générale condamnées à se saisir des quelques miettes laissées par l’entreprise américaine, et le departement d’Etat américain. Cette année vit toutefois les événements évoluer d’une toute autre manière. En effet, pour la première fois, les prises de commande à l’exportation du Rafale de Dassault Aviation ont dépassé, avec 146 appareils en 5 contrats, celles du F-35 américain qui n’en totalise que 100 sur deux contrats. Il est vrai que, dans les deux cas du succès du F-35 en Suisse et en Finlande, l’appareil américain s’est imposé face au Rafale et aux 3 autres concurrents, alors que les contrats Rafale ont tous été signés lors d’accord directs entre Etats. Mais il n’empêche que cette année, et pour la première fois depuis bien longtemps, ce n’est pas le F-35 qui s’impose dans le palmarès des exportations d’avions de combat sur la planète.

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En 2021, le Rafale vire devant le F-35 en matière de prise de commande à l’exportation.

Le succès du Rafale, après plusieurs années de difficiles remises en question notamment au début des années 2010, résulte de plusieurs facteurs concomitants. En premier lieu, l’avion français arrive désormais à un haut niveau de maturité technologique, et sa prochaine version F4 se verra dotée de capacités et de performances jusqu’ici réservées aux avions dits de 5ème génération, notamment en matière de combat coopératif et de fusion de données. En outre, celui-ci est proposée de manière bien moins contraignante que le F-35 américain ne l’est, notamment pour ce qui concerne les choix technologiques imposés aux pays clients. C’est ainsi que les exigences américaines concernant l’abandon de l’arbitrage par Abu Dabi en faveur du chinois Huaiwei pour le déploiement de la 5G dans le pays, ont en partie engendré la suspension des discussion concernant l’acquisition de 50 F-35A, alors que dans le même temps, l’Emirat commandait 80 avions Rafale.

Mais c’est incontestablement le durcissement des tensions internationales dans le monde qui accéléra l’attrait pour le Rafale Français, un appareil qui a démontré à maintes reprises non seulement ses performances et sa polyvalence, mais également sa grande disponibilité, des critères clés dans un contexte de tension, comme en Inde, aux EAU ou en Grèce. En revanche, cette situation ne semble pas avoir profité aux 3 autres concurrents malheureux, qui n’ont pas aligné la moindre commande export cette année, au point d’en venir menacer la pérennité même de la ligne de production et d’assemblage Boeing du Super-Hornet à Saint-Louis, dans le Missouri. On peut d’ailleurs s’attendre à ce que 2022 soit, si pas du même accabi, en tout cas sur la même lancée pour les deux avions phares occidentaux, avant l’arrivée de nouveaux concurrents comme le nouveau très prometteur Su-75 checkmate russe et le plus hypothétique Boromae sud-coréen.

4- Le système Hard-kill Trophy

Le système de protection actif de blindés Trophy, développe par la société Rafael, est en service au sein des forces armées israéliennes depuis 2011, et avait rapidement démontré son efficacité au combat dès son entré en service. Dans le même temps, plusieurs sociétés européennes et américaines, dont le français Thales, avaient eux aussi développés des concepts équivalents, mais faute d’avoir été suivies par leurs ministères de tutelle, ces programmes furent remisés durant la première moitié des années 2010. A cette époque, non seulement doutait-on de l’intérêt opérationnel des blindés, et en particulier des chars lourds, dans les futurs conflits que l’on voyait essentiellement asymétriques et anti-insurrectionnels, mais les efforts de defense des pays occidentaux étaient sous contraintes budgétaires fortes, obligeant à des arbitrages « de survie » et non « de modernisation ». Avec la presentation officielle du T-14 Armata russe et de son système actif Afghanit, puis celui de l’Arena-M pour protéger les blindés russes de génération antérieure, l’intérêt pour les blindés comme pour les systèmes de protection actif marqua une nette accélération dans la seconde moitié de la décennie.

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La Bundeswehr a commandé une trentaine de système hard-kill Trophy à l’israélien Rafael pour en équiper certains de ses chars lourds Leopard 2A7

Ainsi, des pays comme la Chine, la Corée du Sud, ou encore la Turquie décidèrent d’équiper leurs nouveaux programmes de char de systèmes Hard-Kill de facture locale, en plus des systèmes soft-kill déjà en service. A la différence d’un système soft-kill qui tente de brouiller ou de leurrer les systèmes de visée adverses pour empêcher le tir, les systèmes Hard-Kill comme le Trophy ou l’Afghanit détectent le projectile menaçant puis l’interceptent à distance de sécurité à l’aide de munitions dédiées, empêchant ainsi la destruction du blindé. Depuis l’entrée en service du Trophy, aucun char Merkava Mk IV de l’Armée Israélienne ou de véhicule de Combat d’Infanterie Namer qui en furent dotés ne fut perdu au combat, alors même que le Trophy détruisit plusieurs centaines de roquettes et missiles visant les blindés israéliens.

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Les systèmes hard-kill détruisent les projectiles menaçants avant qu’ils ne puissent frapper le blindé cible

Cet impressionnant palmarès, et une procédure d’évaluation stricte menée localement, convainquirent l’US Army d’acquérir plusieurs centaines de systèmes pour protéger ses chars M1A2 Abrams, ainsi que de système Iron Fist du concurrent israélien Elbit pour les VCI M2/M3 Brandley, dans l’attente de solutions nationales. En 2021, ce furent au tour des armées allemandes et britanniques de se prononcer pour l’acquisition du Trophy, respectivement pour protéger leurs Leopard 2A7 et leurs Challenger 3, version hautement modernisée des Challenger 2 actuellement en service. La Pologne serait allé aussi en négociation avec Rafael pour doter ses 250 nouveaux M1A2C du Trophy, ce qui en ferait la force blindée lourde la plus puissante et la mieux protégée en Europe. En revanche, l’ajout de systèmes Hard-Kill, qu’il s’agisse d’un équipement importé comme el Trophy, ou d’un système de facture nationale, n’a pas été retenu par l’Armée de terre pour la modernisation de ses Leclerc au standard MLU Scorpion. Il s’agit là, incontestablement, d’une erreur de la part des planificateurs français.

5- Loyal Wingmen et drones de combat de nouvelle génération

Alors que les européens en sont toujours à se concerter au sujet de la motorisation du drone Euromale, un grand nombre de pays se sont, quant à eux, engagés dans la conception de drones de combat de nouvelle génération, et en particulier du concept de Loyal Wingmen. Destiné à accompagner les avions de combat en mission, les Loyal Wingmen sont des drones de combat affichants des performances comparables à celles des avions qu’ils accompagnent, et peuvent emporter des senseurs voire de l’armement supplémentaire au profit de l’appareil piloté, qui en assume le controle et la conduite de mission. De nombreux programmes sont en cours, aux Etats-Unis dans le cadre du programme Skyborg avec le Kratos Valkyrie et le GA Avenger, en Australie avec la programme « loyal Wingmen » développe conjointement avec Boeing (en illustration principale de l’article), en Russie avec le S70 Okhotnik B, en Chine avec le GJ-11, tous répondant au même cahier des charges, mais en apportant des réponses propres. Ainsi, le S70 russe est particulièrement imposant avec une masse au décollage de 20 tonnes et un rayon d’action de 4000 km, pour accompagner les chasseurs lourds comme le Su-57 dans leurs missions. A contrario, les Valkyrie et Avenger américains sont des drones plus légers, de portée moindre puisque le F-35 a lui-même un rayon d’action restreint, mais avec un cout unitaire faible de seulement quelques millions de $, permettant d’en accepter la destruction si nécessaire.

Le drone Skybord de Boeing dans le programme loyal wingman Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
le XQ-58A Valkyrie de la société Kratos est l’un des trois drones retenus dans le cadre du programme Skyborg de l’US Air Force. Il préfigure un drone léger potentiellement sacrifiable mais offrant des performances compatibles avec la mission de le Loyal Wingmen

Mais le domaine des drones de combat de nouvelle génération ne se limite pas aux seuls programmes de type Loyal Wingmen. Ainsi, aux Etats-Unis, deux programmes développés par l’US Air Force sous le sceau du secret pourraient prochainement être rendus publics, le RQ-180, un drone furtif dédié aux missions de reconnaissance à très haute altitude, et le SR-72, un drone capable d’atteindre des vitesses très élevées supérieures à Mach 3, et doté potentiellement d’une soute à munition, en faisant le parfait équipier des futurs bombardiers stratégiques B-21. A l’opposé du spectre, le turc Baykar a entrepris de developper un drone de combat à haute performance héritier du TB2 Bayraktar, et donc disponible à un cout unitaire particulièrement attractif. L’US Navy continue pour sa part de developper son drone MQ-25 Stingray pour assurer la fonction de ravitailleur en vol et de reconnaissance ISR au profit de la flotte. Au Royaume Uni, le programme Vixen de la Royal Navy a pour objet d’accroitre les capacités de ses 2 porte-avions, notamment en offrant des capacités de veille aérienne et de renseignement. En Europe, enfin, les deux programmes de chasseurs de nouvelle génération, le SCAF franco-germano-espagnol et les FCAS italo-britannique, développent des drones aéroportés désignés sous le terme Remote Carrier.

FCAS remote carriers mock up at Paris Air Show 2019 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
En Europe, la notion de Remote Carrier, des drones aéroportés évoluants aux cotés des avions de combat pilotés, à été préférée à celle de Loyal Wingmen, plus lourd et plus onéreux.

Bien que le mouvement apparaissent désormais inéluctable, les marines turques, russes et chinoises envisageant même de concevoir des navires porte-drones plutôt que porte-hélicoptères ou porte-aéronefs, certains pays, comme l’Allemagne, restent aujourd’hui enfermés dans des considérations morales dérivées d’un débat stérile et fantasmé sur les « robots tueurs », à savoir la delegation de la décision de l’action létale à une intelligence non humaine (artificielle), menaçant le developpement de ces systèmes pourtant indispensables dans la compétition géostratégique qui s’annonce. En outre, comme dans le domaine des systèmes Hard-Kill, les entreprises européennes avaient une avance significative dans le domaine des drones de combat de nouvelle génération il y a une dizaine d’années, avec les programmes Neuron ou Taranis, mais comme précédemment, ces programmes ont été laissés en friche sur des considérations d’urgence budgétaire, alors même qu’aujourd’hui encore, ils pourraient contribuer à sensiblement rétablir le rapport de force, en particulier face à la puissance militaire russe.

La piste indonésienne refait surface pour le Rafale de Dassault

Plusieurs fois annoncée comme proche, il semblerait qu’une première commande d’avions de combat Rafale soit en de bonne voie avant la fin de l’année en Indonésie. C’est en tout cas ce qui remonte des investigations menées par le journaliste spécialisés Défense Michel Cabirol du site économique La Tribune, et qui pourrait même avoir lieu avant la fin de l’année 2021. Il ne s’agirait pas, cette fois, d’une commande majeure pour une quarantaine d’appareil comme évoqué précédemment, Jakarta n’ayant tout simplement pas les ressources pour financer un tel programme. En revanche, il resterait sur le budget 2021 des ressources de l’ordre de 600 m$ dans les caisses du Ministère de La Défense indonésien, qui semble enclin à déclencher une première commande pour 6 avions français, voire pour 12 en anticipant un budget équivalent pour l’année 2022.

De prime abord, cette commande potentielle peut apparaitre faible, et même négligeable en comparaison des 24 Rafale grecs, des 30 appareils égyptiens et surtout des 80 avions de combat français commandés par les Emirats Arabes Unis, en plus des 12 Rafale d’occasion acquis par la Croatie cette année. Pour autant, elle est loin d’être regardée avec dédain par Dassault Aviation et l’ensemble de la team Rafale, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, il est très peu probable que Jakarta se contente, à terme, d’une flotte aussi restreinte, et une commande de seulement 6 ou 12 appareils représenterait donc un pari important sur l’avenir pour l’industrie française, d’autant que les tensions, dans cette partie du monde, vont de toute évidence aller croissantes, et que les forces aériennes indonésiennes vont avoir rapidement besoin de croitre en capacité comme en volume dans les années à venir, notamment face à Pékin.

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Comme le Qatar, 5 des 6 clients export du Rafale emploie actuellement le Mirage 2000

En second lieu, l’Indonésie constituerait une nouvelle référence de premier plan pour l’industrie française aéronautique militaire, alors que, contrairement aux autres clients exports du Rafale exception faite de la Croatie, tous étaient déjà client de cette industrie, et avaient acheté précédemment des Mirage 2000. Dans ces conditions, mettre un pied, fut-il de taille prébubaire, dans la flotte aérienne indonésienne, constitue un objectif stratégique à terme pour l’industrie française, et Dassault aviation en particulier, d’autant que d’ici une dizaine d’années, selon les projections, le PIB de Jakarta sera parmi les 10 plus importants de la planète, et qu’il devrait largement dépasser celui de la France à horizon 2050. En d’autres termes, comme ils le firent avec les forces aériennes du Qatar et des EAU dans les années 80, Dassault parie sur la fidélité de ses clients aéronautique ainsi que sur leur potentiel de croissance dans les années à venir. Et force est de constater que, dans ce domaine, l’avionneur français à particulièrement bien placé ses pions, avec l’Inde qui sera la troisième puissance économique mondiale à partir de 2030, ou l’Égypte dont le PIB viendra talonner celui de la France en 2050.

La vente de Rafale à l’Indonésie viendrait donc parfaitement compléter ce tableau, et préparer dans le même temps le marché export pour le futur SCAF, ou tout autre appareil qui viendra prendre la relève du fleuron de l’aéronautique nationale d’ici 2040. Reste que, si les décisions peuvent être prises à très court terme par Jakarta comme l’a montré la commande surprise des 6 frégates FREMM auprés de l’Italie cette année, le pays est également coutumié des pas de coté et des faux départs. Il faut donc faire preuve de patience et de discernement dans ce dossier, d’autant que par deux fois déjà, la signature d’un contrat à ce sujet avait été présentée comme imminente par ces même sources, et que d’autres avant la France, dont la Russie et la Corée du Sud, ont également subi cette douche écossaise aromatisées aux huiles (de palme) indonésiennes.

Su27SKM indonesie Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
La première priorité pour Jakarta est de remplacer ses Su-27 arrivés à bout de potentiel

Les nouvelles frégates FDI de la Marine Nationale moins bien armées qu’espéré

La cérémonie de la pose de la quille de la première des Frégate de Défense et d’Intervention, ou FDI, de la Marine Nationale, s’est tenue ce 16 décembre sur le site de Naval Group de Lorient. Baptisée Amiral Ronarc’h, cette première frégate d’une classe éponyme de 5 navires qui entreront en service entre 2025 et 2030, jaugera de 4500 tonnes pour 122m de long, sera l’un des piliers du renouveau de la flotte de surface de la Marine Nationale. Et si celle-ci embarquera de nombreuses capacités inédites pour la marine française, comme le radar à antenne active plaque Seafire 500 de Thales qui offre des performances inégalées dans son domaine, et des capacités de guerre électronique et cyber très avancées, la nouvelle frégate, comme ses 4 sister-ships, ne faillira pas à une tradition bien ancrée au sein de la Marine Nationale depuis les Frégates Légères Furtives de la classe Lafayette, avec un armement embarqué sensiblement inférieur à celui escompté.

En effet, si la FDI embarquera bel et bien un canon de 76mm, 8 missiles anti-navires MM40 Block 3C Exocet, et 2 tubes lance-torpilles pour torpille anti-sous-marine Mu90, sa défense anti-aérienne ne reposera, comme pour les FREMM de la classe Aquitaine, que sur 16 missiles Aster 15 et 30. Il n’est en effet plus question, désormais, d’aligner les frégates françaises sur le modèle vendu à la Grèce, qui disposera lui de 4 systèmes Sylver 50 permettant d’embarquer 32 de ces missiles, et encore moins d’y intégrer un système de défense antimissile rapproché CIWS, qu’il s’agisse du SeaRam américain qui équipera les frégates grecques, ou d’un autre modèle. L’hypothèse d’aligner l’armement des FDI sur celui des FREMM, en les dotant de 2 systèmes Sylver 70 permettant d’embarquer 16 missiles de croisière MdCN, a également été écarté, ne laissant ces frégates, qui auront couté la bagatelle de 800 m€ pièce, avec seulement 16 missiles Aster et la possibilité d’ajouter 2 systèmes Sylver complémentaires par la suite, un jour, peut-être …

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Les FDI grecques emporteront 32 missiles anti-aériens Aster ainsi q’un système CIWS SeaRAM. Est-ce à dire que les navires de la Marine Nationale seront potentiellement moins exposés que ceux des forces navales Helléniques ?

Cette décision, prise sur des bases purement budgétaires afin de ne pas accroitre le prix du programme, est largement critiquable. En effet, non seulement les crises et tensions aujourd’hui sont à la fois bien plus nombreuses et bien plus intenses, avec la participation de pays ayant des moyens militaires leur permettant aisément de saturer les défenses d’une frégate ne disposant que de 16 missiles anti-aériens, mais elles ont également une dynamique extrêmement rapide, comme l’ont montré les crises taïwanaises, ukrainiennes et même turco-grecques. Dans ces conditions, qui peut penser qu’il puisse être utile de réserver des espaces permettant d’incorporer des silos de missiles supplémentaires à un navire, sachant que si le besoin se faisait sentir avec suffisamment de préavis, cela nécessiterait plusieurs mois d’immobilisation pour le dit bâtiment ? En outre, quel est l’intérêt de doter la FDI du meilleur radar du moment, en particulier pour la détection d’avions de combat et de missiles, si le navire lui-même ne dispose pas des moyens de neutraliser ses menaces avec un nombre minimum de vecteurs ?

La décision de la DGA et du Ministère des Armées est d’autant plus critiquable qu’il semble, selon les informations publiées, que les premières FDI ne seront pas dotées des puissants systèmes de brouillage électronique dont sont équipées les frégates FREMM de la classe Aquitaine, et qui, du point de vu de la Marine Nationale tout au moins, constituent la meilleure défense face à la menace des missiles anti-navires. Dès lors, alors que des pays comme la Russie, mais également la Turquie, déploient d’importants moyens susceptibles de lancer un grand nombre de missiles anti-navires et de drones contre un navire pour saturer ses défenses, la FDI de la Marine Nationale sera, de toute évidence, une proie facile pour ces systèmes, et ne pourra donc pas être déployée de manière isolée tant elle risquerait d’être vulnérable. Dans ces conditions, peut-on vraiment qualifier la FDI de frégate de 1er rang comme c’est le cas aujourd’hui ? Surtout, peut-on justifier de l’annulation des 5 dernières FREMM mieux armées, plus lourdes et moins onéreuses que les 5 FDI qui les auront remplacées ? Car si l’on peut comprendre sans difficulté pour des raisons de souveraineté industrielle, que le programme FDI était indispensable à Naval Group pour alimenter ses Bureaux d’Etude en activité, il est beaucoup plus difficile d’accepter le fait que les nouveaux navires auront des capacités opérationnelles inférieures à celles des FREMM qui leur auront cédé la place ….

fregate fremm alsace Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
la frégate FREMM DA Alsace embarque 32 missiles anti-aériens Aster et des capacités anti-navires et ASM identiques à celle des FDI, pour un prix unitaire égal à celui de la nouvelle frégate

Le F/A-18 E/F Super Hornet s’éloigne encore un peu plus de l’Allemagne

Lorsqu’en mars 2020, Berlin annonçait son intention d’acquérir 45 avions de combat F/A 18 E/F Super Hornet et EA-18G Growler aux cotés de 90 nouveaux Eurofighter Typhoon pour remplacer, entre autres, les Tornado de guerre électronique et ceux dédiés aux missions de partage nucléaire de l’OTAN, les autorités allemandes savaient qu’elle prenait un risque important, en particulier pour ceux qui, après elles, devront mettre en oeuvre ce programme d’acquisition. En effet, le Super Hornet de Boeing, pas davantage que l’Eurofighter Typhoon, n’étaient alors prévus d’être en mesure de recevoir la nouvelle bombe nucléaire gravitationnelle employée par l’OTAN dans ce cadre spécifique, la B-61-Mod12. Afin de respecter ses engagements pris auprés de Paris de ne pas se doter de F-35A pour cette mission, au grand damn des Etats-Unis et de l’OTAN, les autorités allemandes avaient alors fait le pari qu’avec cette commande potentielle, Washington serait contraint d’intégrer le Super Hornet dans le programme de certification de la B-61-12, afin de ne pas perdre son plus précieux allié dans cette mission en europe.

Depuis, beaucoup d’eau a passé sous les ponts, avec la victoire de Joe Biden face à Donald Trump outre-atlantique, et celle de la collation de centre-gauche menée par Olaf Sholtz face à la CDU d’Angela Merkel. Pourtant, pour ce qui est de dossier précis, la situation est aujourd’hui exactement la même qu’elle ne l’était il y a bientôt 2 ans à l’annonce de l’arbitrage allemand en faveur sur Super Hornet. En effet, dans une mise à jour de l’organisme américain pilotant les programmes nucléaires aussi bien civils que militaires publiées en Novembre, la NSSA expose clairement la liste des appareils qui seront effectivement en mesure de transporter la bombe nucléaire modernisée américaine, dont le F-15E, le F-16 C/D, le B-2 Spirit, le F-35 et le B-21 Raider, ainsi que, chose interessante, le Panavia Tornado. En revanche, il n’est nullement fait référence au Super Hornet, ni aujourd’hui, ni à l’avenir.

F 35 dropping dummy B61 12 nuclear bomb Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Le F35 est aujourd’hui l’appareil désigné pour la mise en oeuvre de la B-61Mod12 au sein de l’OTAN

Cette liste d’appareils susceptibles de mettre en oeuvre la munition nucléaire de 75 kt pose donc un important problème à Berlin, qui voit ses espoirs de pouvoir acquérir des Super Hornet pour rester dans le programme de partage nucléaire de l’OTAN sérieusement altérés. En outre, considérant que le F-15E n’est pas proposé à l’exportation, et que Berlin n’envisagera probablement jamais d’acquérir des F-16 pour cette mission, il ne reste guère que deux solutions aux autorités allemandes dans ce dossier, soit prolonger la vie opérationnelle des Tornado, ce qui est hautement improbable, soit se tourner vers l’acquisition d’un flotte de F-35A, comme Washington et Bruxelles ne cessent de faire pression pour que ce soit le cas.

Une telle décision aurait certainement été relativement facile à prendre lorsque Annegret Kramp-Karrenbauer était encore ministre de la Défense outre-rein, eu égard à son tropisme otanien particulièrement marqué. Mais il en va tout autrement de la nouvelle ministre des armées, Christine Lambrecht, comme de la nouvelle chef de la diplomatie allemande, l’écologiste Annalena Baerbock, très influente au sein de la nouvelle coalition, mais également très européenne dans sa vision des questions de défense. Et il ne fait guère de doute que l’annonce faite il y a deux jours par Christine Lambrecht au sujet d’un programme de modernisation très ambitieux des Typhoon allemands s’inscrit précisément dans cette vision, et dans ce dossier.

typhoon ECR 1 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Eurofighter avait proposé une version du Typhoon dédié à la guerre électronique et la suppression des défenses anti-aériennes désigné Typhoon ECR, en amont de l’arbitrage en faveur du Super Hornet et du Growler par Berlin

En effet, en amont de la décision de Berlin en mars 2020, Airbus DS avait présenté plusieurs programmes permettant au Typhoon de prendre la relève des Tornado de la Luftwaffe, que ce soit pour les missions de pénétration ainsi que pour la très difficile mission de suppression des défenses anti-aériennes adverses. Il s’agissait, pour Airbus DS, ni plus ni moins que de concevoir un Typhoon de guerre électronique, pendant de l’EA-18G Growler américain, comme le Tornado l’était vis-à-vis de l’EF-111 et du EA-6 Growler pendant la guerre froide. Et tout porte à croire, dans les divers déclarations faites par les deux femmes les plus influentes de la coalition au pouvoir à Berlin, que celles-ci entendent bien résister aux pressions américaines concernant le F-35A, tout du moins autant que possible, en espérant probablement que Joe Biden fasse preuve de plus de souplesse quant à la possible certification du Typhoon pour mettre en oeuvre la B-61-mod12.

Si cette possible évolution redonnera sans conteste des couleurs à Eurofighter, avec à la clé une commande globale pour la Luftwaffe de plus de 100 appareils, ce qui aura probablement également un effet d’entrainement sur Madrid pour le remplacement de ses Hornet, cette hypothèse risque fort de sonner le glas des espoirs de Boeing de maintenir en activité sa ligne de production de Saint-Louis ou son assemblés les Super Hornet, alors que celle-ci est aujourd’hui maintenue sous respirateur par le seul arbitrage du Congrès qui, contre l’avis de l’US Navy, a commandé 12 nouveaux Super Hornet pour 2022. Après les échecs en Suisse et en Finlande, et l’élimination au Canada, les perspectives de voir le Super Hornet subsister grâce aux contrats exports se verraient réduites à néant par l’abandon de l’Allemagne dans ce dossier, ne laissant guère que la très hypothétique compétition pour l’aéronavale indienne comme alternative, face à un Rafale déjà bien positionné dans le pays.

F35B et Typhoon RAF Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
L’arrivée du F-35A au sein de la Luftwaffe accroitrait encore davantage les points de convergence entre celle-ci et la Royal Air Force, avec le risque de voir Berlin glisser peut à peu vers le programme Tempest

En revanche, et c’est loin d’être exclu, si Washington venait à tenir ferme sur ses positions, en refusant de certifier d’autres appareils que ceux déjà listés dans le document de novembre, Berlin se trouverait alors dans une situation pour le moins délicate, devant arbitrer entre acquérir le F-35A contre son grès pour maintenir sa position dans le partage nucléaire de l’OTAN, avec le risque de menacer le programme européen SCAF voire de forcer un rapprochement de Berlin avec Rome et Londres, qui eux aussi mettent en oeuvre une flotte de Typhoon et de F-35, dans le cadre du programme Tempest; ou privilégier la solution nationale basée sur le Typhoon, et éliminer les bombes nucléaires à double clés du sol allemand, ce qui peut, d’une certaine manière, être perçu comme une baisse d’influence, voir un abandon de souveraineté (tout relatif ..)

Toutefois, si Berlin venait à choisir cette dernière option, ce pourrait être une extraordinaire opportunité pour developper, conjointement avec la France, les briques technologiques permettant de concevoir simultanément un Typhoon et un Rafale dédiés aux missions de guerre électronique et de suppression des défenses adverses. Une telle coopération, qui pourrait fort bien s’intégrer au sein du programme SCAF, l’Espagne elle aussi pouvant y trouver un intérêt, permettrait non seulement de partager les couts en matière de developement, en particulier pour ce qui concerne les nacelles de brouillage et les missiles anti-radiation de nouvelle génération, mais également permettre aux deux appareils de coopérer de manière avancée en situation opérationnelle, un aspect qui peut s’avérer déterminant alors que ni la Luftwaffe, ni l’Armée de l’Air n’auront de toute évidence un grand nombre de ces avions spécialisés.

SCAF 2 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
L’avenir du programme SCAF se joue en parti dans l’arbitrage qui sera mené par la nouvelle équipe dirigeante à Berlin au sujet du remplacement des Tornado de la Luftwaffe

Reste à voir, désormais, quels seront les axes qui seront suivis par la nouvelle équipe dirigeante allemande. Sur la base des premières prises de position depuis son arrivée au pouvoir, notamment concernant la crise ukrainienne et le gazoduc Nordstream 2, il semble que celle-ci ait choisi une posture plus ferme et déterminée que le flou décisionnaire ayant marqué la longue mandature Merkel. Il est vrai qui si celle-ci s’avéra souvent efficace par le passé, l’intensité et la nature des crises et tensions en gestation aujourd’hui s’accommodent mal de cette approche dite de « Soft-Power ». Et il semblerait bien que le nouveau gouvernement allemand en ait pris conscience. De fait, toutes les options sont aujourd’hui sur la table, et l’arbitrage qui sera mené à Berlin dans ce dossier en dira probablement long sur les orientations de la politique de défense mais également internationale du pays dans les années à venir.

La Marine Chinoise aura reçu 8 nouveaux destroyers sur la seule année 2021

On le sait, l’industrie navale militaire chinoise est extrêmement performante depuis plusieurs années. Ainsi, de 2017 à 2020, elle avait permis à la Marine Chinoise d’accepter au service actif pas moins de 21 destroyers, soit trois fois plus de navires de ce type que ceux entrés en service au sein de l’US Navy, de la Marine sud-coréenne, de la Royal Australian Navy et des Forces navales d’auto-défense japonaises sur la même période.

Loin de ralentir le rythme, elle établit un nouveau record en 2021 avec pas moins de 8 destroyers livrés aux Forces Navales de l’Armée Populaire de Libération, ou plus exactement, 3 croiseurs Type 055 et 5 destroyers anti-aériens Type 052DL, deux classes de navire n’ayant strictement rien à envier aux plus puissantes unités navales occidentales.

Il s’agit du plus grand nombre de destroyers jamais livré en une seule année ces 50 dernières années, le précédent record datant de 1994 lorsque l’US Navy perçue simultanément six destroyers de la classe Arleigh Burke.

Le rythme plus que soutenu des chantiers navals chinois ne semble pas destiné à diminuer dans les mois et années à venir. Ainsi, selon les médias chinois, une nouvelle commande portant sur 8 croiseurs Type 055 et 16 destroyers Type 052DL aurait été signifié en fin d’année aux chantiers navals du pays, de sorte à maintenir le rythme des livraisons actuelles.

En outre, un nouveau lot de frégates Type 054A a également été commandé l’année dernière, et les livraisons ont débuté cette année, alors que 20 corvettes Type 056 en service au sein de la marine chinoise ont été transférées cette fin d’année aux gardes cotes, de sorte à libérer les équipages pour armer les nouveaux bâtiments de haute mer en cours de construction.

La Marine chinoise aurait commandé 16 nouveaux destroyers antiaériens Type 052DL
Les destroyers anti-aérien Type 052DL disposent d’un hangar hélicoptère allongé permettant d’accueillir le nouvel hélicoptère naval Z-20 et d’un nouveau radar de veille aérienne basse fréquence conçu pour détecter les appareils furtifs

Si ce rythme est maintenu jusqu’en 2026, et il n’y a aucune raison de penser que cela ne sera pas le cas, la Marine chinoise disposera alors, en matière de navires de surface combattants, de 16 croiseurs Type 055, de 42 destroyers anti-aériens Type 052 tous types confondus, dont 24 Type 052DL en version allongée, et de 50 frégates Type 054A, soit une force navale sensiblement équivalente à celle dont disposeront l’US Navy et ses alliés australiens, néo-zélandais, japonais et sud-coréens dans le Pacifique.

L’équivalence de force sera également atteinte, ou proche de l’être, dans le domaine des navires amphibies. Il ne restera aux forces navales occidentales guère que leur flotte sous-marine et aéronavale pour garder l’ascendant sur la Marine chinoise, alors même que celle-ci ne représentait pas 1/5ᵉ des forces de ces mêmes alliés en 2000.

Au-delà des capacités industrielles sans équivalent dont dispose Pékin, on constate, et l’épisode du transfert des corvettes Type 056 est là pour le démontrer, que l’expansion de la Marine Chinoise commence à se heurter à d’autres facteurs, en particulier à celui des ressources humaines.

Avec « seulement » 225.000 hommes et femmes dans ses rangs, contre 350.000 pour l’US Navy, la Marine chinoise va rapidement désormais atteindre un plafond de verre en termes de format, non extensible si ce n’est en augmentant les effectifs eux-mêmes, ce qui, pour l’heure, ne semble pas d’actualité pour les autorités chinoises, ou en augmentant radicalement l’automatisation au sein des navires de sorte à en réduire le format des équipages.

Ainsi, un destroyer Type 052D s’appuie encore dur un équipage de 270 marins, là où une frégate FREMM de même tonnage n’en requiert que 130. En outre, l’extrême vélocité avec laquelle les nouvelles unités sont produites, armés en nouveaux systèmes et équipages, laisse planer, notamment pour les experts du Pentagone, un doute certain quant aux capacités de combat réelles dont elles disposent aujourd’hui, et dont elles disposeront durant toute la phase de montée en puissance.

Type054A Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Les frégates de lutte anti-sous-marine Type 054A constituent la colonne vertébrale de la lutte anti-sous-marine de haute mer de la Marine chinoise. Elle disposera de lus de 50 de ces navires à horizon 2027.

Reste que, dans ce domaine, la Marine chinoise a montré, ces dernières années, d’importantes capacités d’adaptation, de progression et de coordination, avec notamment des statistiques d’incidents à la mer comparable à celles de marines très expérimentées comme l’US Navy ou la Royal Navy, et une activité très intense en matière d’exercices, le plus souvent accompagnés de tirs de munitions réelles.

En outre, elle a su très rapidement prendre en compte les contraintes liées à l’emploi de ses porte-avions, mais également de ses nouveaux navires d’assaut, en adaptant la formation de ses équipages et personnels, avec une efficacité remarquable.

Il semble donc raisonnable de ne pas surestimer ce critère dans l’évaluation comparée de la puissance militaire effective de la Marine Chinoise présente et en devenir, et ce, d’autant que tout porte à croire qu’elle est encore loin d’avoir atteint l’ensemble de ses objectifs, que ce soit en termes de format et d’efficacité.

L’Armée chinoise simule un assaut amphibie massif sur l’ile de Hainan, réplique de Taïwan

L’ile chinoise de Hainan, avec ses 34.000 km2 et ses 1.500 km de cotes, est à elle seule une province du pays qui abrite 8 millions d’habitants et dispose de nombreuses infrastructures de défense, notamment la base de sous-marins nucléaires de Longpo à coté de la ville de Yulin, est en bien des aspects, une réplique grandeur nature de l’ile de Taïwan, de ses 36.000 km2 et de ses 1550 km de cotes. De toute évidence, la chose n’a pas échappé aux stratèges de l’Armée Populaire de Libération, qui ont organisé, cette fin de semaine, un immense exercice aéronaval et amphibie, prenant place précisément sur l’ensemble de l’ile Hainan, avec de nombreux exercices d’assaut amphibie et navals selon 3 axes différents incluant des tirs à munition réelle. Le nombre et la nature des forces mobilisées dans cet exercice n’ont pas été communiqués par les autorités chinoises, mais eu égard aux importantes surfaces maritimes interdites à la navigation entre Mercredi et Vendredi, il est probable que celles-ci soient plus que conséquentes.

Cet exercice massif a évidement pour but, au delà de l’entraînement des personnels de l’APL, de faire monter la pression sur les autorités taïwanaises, alors que les frictions entre les deux pays, ainsi qu’avec le camps occidental au sujet de cette crise, ne cessent de croitre. Plus qu’un exercice, il s’agit donc d’une démonstration de forces, elle-même prenant lieu quelques semaines après que les forces aériennes chinoises aient fait la démonstration de leur capacité à déployer des moyens aériens au delà de l’ile de Taïwan, voulant montrer par là qu’elles étaient en mesure de s’opposer à une éventuelle force occidentale venue épauler l’ile indépendante dans l’hypothèse d’un assaut lancé depuis le continent. Elle montre également que la menace d’une intervention militaire contre l’ile de Taiwan ne doit plus s’envisager dans un futur, même proche, mais dans une perception immédiate.

Type 075 LHD Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Avec seulement 2 LHD Type 075 a disposition, la marine chinoise ne dispose pas encore des capacités de projection de puissance adaptées pour mener un assaut massif sur Taiwan, notamment sur la cote orientale de l’ile. Mais elle disposera de 8 de ces bâtiments en 2027.

Cette manoeuvre intervient dans un contexte international plus que problématique pour Washington, déjà très sollicité sur le front européen face aux menaces directes sur l’Ukraine émanant de Moscou, mais également au Moyen-orient, alors que Jerusalem ne cesse de pousser les Etats-Unis à leur donner le feu vert pour mener des frappes contre le programme nucléaire iranien. Or, chacune de ces crises en gestation présente d’importants risques non seulement d’évoluer vers un conflit ouvert entre des puissances militaires importantes, mais également de déborder de leur cadre initial, et donc de nécessiter une intervention directe des forces armées américaines. Pire encore, le risque de voir le déclenchement d’une ces crises entrainer l’une ou les autres, voire les deux, dans son sillage, est loin d’être négligeable, d’autant qu’il correspondrait au scénario du pire pour Washington.

Dans ce contexte, l’exercice de cette semaine mené par les forces armées chinoises, même s’il semble peu probable qu’elles puissent dès à présent mener une opération aéro-amphibie contre Taïwan du fait de certaines lacunes opérationnelles non encore comblées, comme dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, du ravitaillement en vol ou du transport stratégique, contribue à accroitre la pression sur le Pentagone, qui peine désormais à définir une stratégie globale susceptible de contenir simultanément toutes ces menaces. Ceci explique probablement les efforts américains menés pour temporiser simultanément ces 3 fronts, en faisant pression sur l’Ukraine pour céder quelques aspects de souveraineté aux territoires du Donbass d’une part, en refusant à Jerusalem l’accélération du programme de livraison des avions travailleurs KC-46 indispensables pour mener des frappes à longue distance contre l’Iran, et en multipliant les déploiements navals à proximité de Taiwan, de sorte à ne pas laisser d’opportunités directes à Pékin.

F 35I Blue Flag Israel 1 Analyses Défense | Aviation de chasse | Conflit Indo-Pakistanais
Les forces aériennes israéliennes souhaitent accélérer la livraison des avions ravitailleurs KC-46 commandés auprés de Boeing pour disposer des capacités de ravitaillement en vol nécessaires pour mener des frappes sur le sol iranien, en particulier sur les installations nucléaires du pays, et les sites de missiles balistiques.

Reste qu’aucune de ces solutions n’offre de perspectives de sortie à court, moyen ou long terme, et ce d’autant qu’elles ne font qu’accroître, dans les faits, la frustration des belligérants potentiels, voire la défiance envers la solidité de la parole américaine concernant la determination des Etats-Unis à assurer leur protection. Il est, dans ce contexte, aisé de lancer la pierre sur Washington, d’autant qu’en bien des aspects, les autorités américaines ont souvent sur-exploité les leviers conférés par cette protection de fait, en Europe comme au Moyen-Orient et en Asie. Mais il apparait également qu’aujourd’hui, il est impossible que les forces américaines puissent effectivement simultanément protéger ces 3 théâtres de manière efficace avec des forces conventionnelles suffisantes pour dissuader une attaque, et ce d’autant que les efforts menés en Russie, en Chine comme en Iran, tendent à accroitre le gradient de force d’avec leurs voisins, bien plus rapidement que ne peuvent le compenser les efforts de modernisation américains, ne laissant guère à Washington que l’option nucléaire pour espérer contrôler ces crises.

De fait, même si l’exercice mené cette fin de semaine à Hainan par l’Armée Populaire de Libération peut apparaitre lointain, et si les plus cyniques considèreront que c’est avant tout le problème des taïwanais, il impacte directement la sécurité des européens, en forçant les Etats-Unis à diviser leurs points de présence et leurs forces, en deçà d’un seuil potentiellement efficace. Il semble des lors plus que temps que les Européens, mais également l’ensemble de la sphère occidentale, prennent consciences que les crises qui s’articulent aujourd’hui dans le monde redessinent pleinement la géostratégies mondiale, et qu’on le veuille ou non, redéfinissent un contexte d’opposition de bloc proche de celui qui fut au coeur de la Guerre froide.