Cela faisait 13 ans, depuis 2008, que les autorités pakistanaises étudiaient la possibilité d’acquérir une flotte de chasseur monomoteurs J-10 auprés de Pékin, et de nombreuses rumeurs ont annoncé la commande comme imminente à plusieurs reprises. C’est désormais choses faites, puisque celles-ci ont confirmé avoir signé un contrat pour acquérir 25 J-10CE, version export du J-10C en service au sein des forces aériennes de l’Armée Populaire de Libération, afin d’équiper deux escadrons de 12 appareils. Si le montant du contrat n’est pas mentionné, son calendrier, lui, semble particulièrement court, puisqu’il est question de presenter le nouvel appareil lors des célébrations du jour de la République, le 23 mars, l’une des deux fêtes nationales du pays, hypothèse accréditée par des observations sur le site de production de l’avionneur Chengdu qui fabrique le chasseur chinois. Au delà des questions de posture traditionnelles dans l’opposition indo-pakistanaise, l’arrivée de ces chasseurs va sensiblement bouleverser l’équilibre des forces dans cette région du monde déjà marquée par d’importantes tensions entre puissances nucléaires.
Une réponse à l’arrivée des Rafale indiens
Il ne fait aucun doute, et c’est par ailleurs ouvertement annoncé par les autorités pakistanaises elles-mêmes, que l’acquisition de ces 25 chasseurs pour les forces aériennes pakistanaises constitue une réponse à l’entrée en service des 36 avions Rafale acquis par l’Inde auprés de la France. En effet, le chasseur chinois dispose de nombreuses caractéristiques qui, sans égaler les performances de l’avion français, en font un adversaire autrement plus sérieux que les F-16 et JF-17 actuellement en service au sein des forces aériennes Pakistanaises. Outre son radar AESA, le J-10CE peut en effet mettre en oeuvre des munitions modernes, comme le missile PL-10 à guidage infrarouge bien plus performant que son prédécesseur, le PL-8, et surtout le missile à longue portée PL-15E, version export du PL-15, donné pour avoir une portée de l’ordre de 150 km, en faisant une réponse directe au Meteor et aux Mica/NG mis en oeuvre par les Rafale indiens.

Pour autant, selon les informations disponibles en occident, le PL-15 n’égale pas le Meteor, puisque le missile chinois est avant conçu pour éliminer des cibles imposantes à grande distance, comme des avions ravitailleurs ou des avions radar, là ou le missile européen peut, quant à lui, prendre à parti d’agiles chasseurs, même à grande distance. Il n’en demeure pas moins vrai que ces nouveaux missiles, servis par le nouvel appareil, représenteront une menace importante pour le dispositif aérien indien faisant face au Pakistan, notamment contre les appareils les plus anciens des forces aériennes indiennes comme les Jaguar, voire les Su-30MKI. Or, si les Rafale indiens sont effectivement en mesure de prendre l’ascendant sur les J-10CE pakistanais, et si les mirage 2000 peuvent faire jeu égal avec ces appareils, ceux-ci sont peu nombreux au sein des forces aériennes indiennes, trop peu nombreux pour couvrir simultanément le front pakistanais et chinois, entrainant une évolution sensible du rapport de force régional.
Caractéristiques et performances du J-10C
Conçu dans les années 90 par l’avionneur Chengdu, le J-10 Dragon Vigoureux, a effectué son premier vol en 1998, et est entré en service en 2002. Chasseur monomoteur de superposé aérienne, il a évolué, au fil des versions, vers un appareil polyvalent parfaitement capable, qui a notamment démontré ses capacités face aux Gripen thaïlandais lors d’exercices entre les forces aériennes des deux pays. La version la plus évoluée, désignée J-10C, est entrée en service en 2018, et se caractérise par une avionique des plus modernes avec notamment un radar AESA et un IRST, et la capacité à mettre en oeuvre des munitions avancées comme les nouveaux missiles air-air PL-10 et PL-15.

Long de 16 mètres pour une envergure de 9,25m, l’appareil affiche une masse à vide de 9,7 tonnes, et une masse maximale au décollage de 19 tonnes, ce qui le place à la limite entre les chasseurs monomoteurs légers comme le JF-17, et les chasseurs moyens comme le Rafale. Initialement propulsé par un turboréacteur Saturn AL-31FN de facture russe offrant une poussée de 8 tonnes à sec, et de 13 tonnes avec post-combustion, les derniers modèles sont désormais équipés du nouveau turboréacteur chinois WS-10B d’une poussée accrue de l’ordre de 10%, lui offrant un excellent rapport poussée-poids et des performances élevées, avec une vitesse maximale de Mach 2,1 et un plafond de 17.000m. En revanche, ses capacités d’emport, notamment de carburant, sont limitées, réduisant son rayon d’action opérationnel à 900 km hors ravitaillement en vol.
En matière d’armement, le J-10C peut mettre en oeuvre, outre les missiles air-air des cités, des bombes guidées de différent types, ainsi que des missiles anti-navires YJ-91, en emportant un pod de désignation CM-802AKG, avec 11 points d’attache extérieurs repartis sous la voilure et le fuselage, permettant d’emporter jusqu’à 5,6 tonnes de charges externes. Il dispose également d’un canon de 23 mm. En revanche, le J-10C souffre d’une faiblesse importante, à savoir que ses capacités d’emport d’armement se réduisent rapidement dès lors que l’appareil emporte des réservoirs extérieurs, héritage de la fonction air-air initiale de l’appareil. Le J-10 n’avait jusqu’ici jamais été exporté par la Chine, et la vente de l’appareil au Pakistan pourrait marquer un changement de posture de Pékin dans ce domaine, notamment pour répondre aux attentes de certaines forces aériennes pour lesquelles le JF-17, plus léger, ne répond pas aux attentes.
Les forces aériennes indienne sous pression à court terme
Si l’arrivée annoncée de J-10CE au sein des forces aériennes Pakistanaises est, en soit, un problème de taille pour l’Indian Air Force, le calendrier particulièrement court des livraisons que laisse entrevoir la communication pakistanaise pourrait mettre sous pression la défense indienne à court terme. En effet, New Delhi a depuis plusieurs années reporté la commande d’un nouveau lot de Rafale réclamée à corps et à crie par l’Indian Air Force, précisément pour faire face à ce type d’hypothèse. Les 36 Rafale qui doivent servir au sein des forces aériennes indiennes suffisent en effet à peine à contenir la menace chinoise sur les hauts plateaux tibétains, pour ne pas devoir se repartir entre les fronts pakistanais et himalayens. D’autre part, les nouveaux Tejas qui entrent en service au sein de l’IAF, ni les Mig-29 récemment commandés, ne représentent une alternative aux capacités offertes par le Rafale. Enfin, l’arrivée des J-10CE et de leurs missiles à longue portée PL-15 menacera directement la faible flotte d’avions ravitailleurs indiens, là encore handicapant la capacité de réponse des Rafale qui doivent s’appuyer sur cette capacité pour protéger simultanément les deux fronts.

On peut donc s’attendre, dans les mois, voire les semaines à venir, à ce que les autorités indiennes prennent elles aussi des mesures pour contenir cette nouvelle menace, par exemple en accélérant les négociations au sujet d’un second lot de Rafale, ou en accélérant le déroulement de la compétition MMRCA-2 portant sur la construction (locale) de 114 chasseurs modernes en Inde. Cependant, eut égard au calendrier raccourcie présenté par Islamabad et Pékin pour la livraison des J-10CE, on peut raisonnablement penser qu’une acquisition rapide d’un nouveau lot de Rafale assemblés en France représenterait la meilleure des solutions pour New Delhi, alors que de nombreux rapports font états d’un renforcement significatif des forces chinoises sur ou à proximité du plateau contesté du Ladakh.
Conclusion
D’une manière ou d’une autre, l’annonce faite de l’entrée en service prochaine de 2 nouveaux escadrons de J-10CE au sein des forces aériennes Pakistanaises va amener New Delhi à modifier son propre calendrier et sa stratégie défensive. Même si les Dragons Vigoureux n’ont pas les capacités pour prendre l’ascendant sur les Rafale indiens, ils obligeront New Delhi à repartir ses forces actuelles sur deux fronts, ouvrant des opportunités d’action pour Pékin comme pour Islamabad. En outre, on peut penser qu’à l’instar des pilotes turcs, les pilotes pakistanais auront eut eux-aussi la possibilité d’évaluer le Rafale au travers des exercices conjoints organisés avec l’allié Qatari, et donc de se préparer au mieux à se confronter à l’appareil de facture française, éliminant de nombreuses inconnues se voulant dissuasives de l’équation.

Il semble donc indispensable désormais pour New Delhi d’accroitre dans les plus brefs délais sa propre flotte d’avions de combat modernes, de sorte à maintenir un rapport de force suffisamment dissuasif face à Pékin et Islamabad, y compris dans l’hypothèse d’une action coordonnées entre les deux pays. Pour cela, la commande d’un nouveau lot de Rafale apparait être probablement la solution la plus efficace, puisque l’appareil est déjà en service au sein de l’IAF, et que les infrastructures de maintenance sont adaptées pour les recevoir et les mettre en oeuvre. Si jusqu’à présent le gouvernement du premier ministre Modi s’était montré discret quant aux négociations en cours avec Paris dans ce dossier, après les accusations portées par l’opposition sur le contrat initial lors de la campagne législative de 2019, l’arrivée des nouveaux chasseurs pakistanais pourrait bien éclaircir le paysage politique indien pour permettre à cette nouvelle commande de prendre forme à court terme.



















