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Inde, Corée du Sud : la France à l’offensive dans le domaine des sous-marins nucléaires

La Ministre des Armées françaises, Florence Parly, est en deplacement en Inde cette fin de semaine pour y rencontrer son homologue indien Shri Rajnath Singh, ainsi que d’autres officiels de New Delhi, afin d’aborder plusieurs sujets dans le domaine de la coopération stratégique et industrielle entre les deux pays, partenaires et alliés de longue date. Outre la question d’une éventuelle commande supplémentaire d’avions Rafale, de la coopération dans le domaine des hélicoptères avec un ligne de mire un possible contrait pour équiper les Gardes Cotes indiens d’hélicoptères Caracal, et les questions de coopération stratégique dans le théâtre Pacifique bousculé ces derniers mois tant par la Chine que par la nouvelle alliance Aukus rassemblant Etats-Unis, Royaume-Uni et Australie, la Ministre française aurait également pour mandat de discuter avec son homologue indien d’une possible coopération entre les deux pays dans le domaine des sous-marins nucléaires d’attaque, et même d’une possible exportation du Barracuda, le plus moderne des sous-marins nucléaire d’attaque français. Dans le même temps, à quelques 4000 km de là, d’autres négociations seraient en cours entre la France et cette fois les autorités sud-coréennes, afin de permettre à Seoul de doter son nouveau sous-marins à propulsion AIP KSS-III d’une chaufferie nucléaire de facture locale. De toute évidence, les autorités françaises, ainsi que Naval Group, sont à l’offensive dans le domaine de l’exportation des sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire.

Le pitoyable épisode de l’annulation du contrat Australien pour la conception de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle Shortfin Barracuda par le français Naval Group, et leur remplacement par 8 sous-marins nucléaire d’attaque américains ou britanniques au modèle et au calendrier encore indéterminés, avait fait, en septembre dernier, couler beaucoup d’encre. Pour certains analystes, il s’agissait même d’un coup critique pour Naval Group, qui appelait à une réorganisation du secteur de la production de sous-marins militaires en Europe. Il se pourrait bien, cependant, que les effets de cette annulation, et de la décision américano-britannique d’accepter la vente à l’exportation de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie, aient créé un contexte extrêmement favorable pour le groupe naval français, susceptible de s’imposer sur ce marché émergent mais très prometteur.

Les 12 shortfin barruda de Naval Group pour la Marine Australienne modifieront le rapport de force dans le Pacifique Analyses Défense | Australie | Brésil
L’annulation des 12 Shortfin Barracuda par Canberra pourrait être une opportunité unique pour Naval Group

En effet, en autorisant l’exportation de sous-marins à propulsion nucléaire, Joe Biden, Boris Johnson et Scott Morrison ont ouvert une porte jusque là gardée fermement close par les 5 membres du Conseil de Sécurité des Nations Unis, dépositaires de cette technologie très particulière. Au travers d’un argumentaire très contestable et de l’exploitation d’une faille béante dans le Traité de Non Prolifération, les 3 pays ont justifié de cette évolution brisant 40 années d’entente cordiale dans ce domaine, et ouvrant désormais la voie aux autres pays disposant de ce savoir faire, la Russie, la Chine et la France, pour proposer la conception de sous-marins à propulsion nucléaire sur le marché de l’exportation.

La technologie de la propulsion nucléaire offre de nombreux avantages pour un sous-marin, qu’il soit d’attaque, c’est à dire conçu pour détruire les navires et sous-marins adverses, ou lanceur d’engin, c’est à dire portant les missiles balistiques de la dissuasion nucléaire. Contrairement à ce qui est parfois avancé, elle ne rend pas les sous-marins plus discrets, au sens de plus silencieux, ce serait même l’inverse, puisqu’un sous-marins sur batteries n’émet aucun bruit parasite contrairement à ceux émis par la chaufferie nucléaire. En revanche, un sous-marin à propulsion nucléaire dispose d’une source d’énergie très importante et quasi-illimitée, permettant au navire d’évoluer à grande vitesse sur de très longue période de temps, et ce sans devoir refaire surface. Un sous-marin conventionnel, quant à lui, ne dispose que de l’énergie emmagasinée dans ses batteries, de sorte qu’il peut soit aller vite, soit rester en plongée longtemps (de plusieurs jours à plusieurs semaines pour les systèmes AIP les plus performants), mais pas les deux. Il est ainsi commun de dire qu’un sous-marin nucléaire peut faire tout ce que peut faire un sous-marin conventionnel, mais que l’inverse n’est pas vrai. Et plus le théâtre d’opération est étendu, comme dans le cas du théâtre pacifique ou indien, plus la propulsion nucléaire se justifie pour les marines devant y opérer.

Suffren soleil Analyses Défense | Australie | Brésil
Les SNA de la classe Suffren offrent aujourd’hui un niveau de performances au moins identique à celui offert par les Virginia et Astute anglo-saxons

La France avait déjà fait, en 2008, un premier pas dans ce sens, mais de manière maitrisée et modérée, avec le contrat signé avec le Brésil portant sur la fabrication de 4 sous-marins conventionnels de type Scorpene avec d’importants transferts de technologies, ainsi qu’une prestation d’accompagnement de l’industrie brésilienne pour concevoir le premier sous-marin nucléaire d’attaque de fabrication locale basé sur un réacteur nucléaire brésilien. Ici, la France n’exporte pas précisément la technologie des sous-marins nucléaires vers le Brésil, mais accompagne les ingénieurs brésiliens dans cette démarche, sans jamais transférer de technologies nucléaire. La Russie avait également fait une tentative de contournement dans ce dossier, en louant par deux fois un sous-marin nucléaire d’attaque à la Marine Indienne, location accompagnée d’importants garde-fous en matière d’accès aux technologies nucléaires, ainsi qu’à l’utilisation possible que la Marine Indienne pouvait faire de ce navire baptisé INS Charkra. Mais jamais aucun pays n’avait, avant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, entrepris d’exporter purement et simplement un ou plusieurs sous-marins nucléaire d’attaque.

En brisant ce tabou, les 3 pays anglo-saxons ont donc ouvert la voie aux autres pays disposant de cette technologie. Et dans ce domaine, la France et son industriel Naval Group, disposent d’atouts déterminants pour s’imposer sur ce marché. Ainsi les sous-marins nucléaires américains et britanniques emploient comme carburant un combustible nucléaire enrichi à 90%, soit le niveau d’enrichissement des armes nucléaires les plus puissantes, alors que les sous-marins russes emploient quant-à-eux un combustible enrichi entre 25 et 60% selon les modèles. Dans les deux cas, ces niveaux dépassent le seuil de 20% défini dans le cadre du traité de non-prolifération pour caractériser un combustible nucléaire à usage militaire, donc propre à concevoir une arme nucléaire, avec toutes les contraintes qui y sont liées pour respecter la législation internationale.

Rool Out Virginia Shipyard Analyses Défense | Australie | Brésil
Les SNA de la classe Virginia coute 2,5 fois plus cher à la construction que les Suffren français

La France, pour sa part, emploie pour ses réacteurs nucléaires navals qui propulsent ses sous-marins mais également le porte-avions Charles de Gaulle, du combustible enrichi à seulement 6%, cette caractéristique offrant de nombreux avantages et atouts dans le domaine de l’exportation de sous-marins à propulsion nucléaire. En premier lieu, ce combustible faiblement enrichi est identique à celui employé par les centrales nucléaires électriques civiles, et à ce titre, il est aisément produit et accessible par les pays disposant d’un programme nucléaire civil, comme c’est le cas de l’Inde (qui dispose également d’un programme nucléaire militaire), de la Corée du Sud et du Brésil, mais également d’une trentaines d’autres pays qui en sont ou en seront dotés dans les années à venir. Même pour les pays ne disposant pas de centrales nucléaires civiles, l’acquisition de combustible nucléaire faiblement enrichi sur la scène internationale est largement plus aisée que lorsqu’il s’agit de combustible enrichi à plus de 20%, dont la vente est sensée être interdite sur la scène internationale, au delta prêt de la faille exploitée dans le cadre du contrat Australien.

En outre, les sous-marins nucléaires français comme le modèle Barracuda qui a donné naissance à la classe Suffren, ont un second argument de poids pour s’imposer sur la scène internationale : un prix défiant toute concurrence. En effet, la Marine Nationale achète ses SNA de la classe Suffren autour de 1 Md€ par navire, contre 1,7 Md£ pour les SNA de la classe Astute de la Royal Navy, et 3,5 Md$ pour les SNA de la classe Virginia de l’US Navy. Or, du point de vue des performances, de la discrétion acoustique, ou des systèmes embarqués, le Suffren n’a strictement rien à envier à ses homologues anglo-saxons, si ce n’est éventuellement les tubes lance-missiles verticaux qui équipent les Virginia américains, alors que les Suffren français doivent lancer leurs missiles de croisière MdCN par les tubes lance-torpilles.

suffren et duguay trouin Cherbourg Analyses Défense | Australie | Brésil
Le site de Cherbourg de Naval Group produit les sous-marins de la classe Suffren pour la Marine Nationale

Enfin, et contrairement aux industries britanniques et américaines, l’Industrie sous-marine française a conservé et développé son savoir-faire en matière de pilotage de contrats à l’exportation, grâce aux 14 sous-marins de type Scorpene vendus au Chili, à la Malaisie, au Brésil et à l’Inde ces 20 dernières années. Or, dans un contexte concurrentiel, l’expérience des marchés exports, des transferts de technologies, et de l’accompagnent industriel acquis par Naval Group, y compris dans le dossier Australien, est extrêmement précieuse pour éviter les écueils auxquels sont confrontés ces programmes industriels particulièrement complexes, long et couteux, prenant effet le plus souvent sur plusieurs mandatures politiques voire plusieurs alternances démocratiques.

En réalité, sur la scène internationale, Naval Group a devant lui un marché émergent qu’il peut aborder avec confiance de part ses atouts, que ce soit face aux éventuelles offres américaines et britanniques dont on sait les limites, mais également face aux offres russes certes économiquement performantes avec par exemple le project 885M Iassen vendu à 850 m$ à la Marine Russe, mais dont on connait les problèmes de qualité, ou face à une offre chinoise encore de trop immature pour représenter une réelle alternative. Il n’y a donc rien d’étonnant à ces que les équipes de Naval Group et du Ministère des Armées fassent aujourd’hui le travail de positionnement indispensable pour aborder ce marché dans de bonnes conditions, et commencent à aborder des aspects très concrets avec leurs homologues sur la scène internationale.

Sous marin russe de la classe Iassen Analyses Défense | Australie | Brésil
Les sous-marins nucléaire d’attaque lance-missiles russes de la classe Iassen pourraient eux-aussi trouver des opportunités sur le marché de l’exportation sur l’industrie navale russe parvient à régler ses problèmes de qualité

Reste que cette opportunité unique pour le groupe français est également à double tranchant. Si Naval Group parvient à s’imposer de manière concrète sur ce marché, il s’assurera d’une place prépondérante sur le marché export des sous-marins pour de nombreuses décennies, tant vers la sphère occidentale que non alignée. Une telle prise de position pourrait également éliminer plusieurs concurrents émergents, comme Navantia et son S80, puisque le besoin d’un sous-marin conventionnel océanique sera de fait obsolète. En revanche, si le groupe français n’arrive pas à s’imposer face, par exemple, à des offres anglo-saxonnes très agressives, il risque de voir s’étioler ses parts de marché pourtant indispensables au maintien de la compétence industrielle sous-marine en France, et ce d’autant que, pour l’heure, le groupe n’a annoncé aucun programme ferme pour prendre la suite du Scorpene dans le domaine des sous-marins côtiers.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, les planètes semblent belle et bien alignée pour le groupe français, avec un marché ouvert et en demande grâce à la manoeuvre américaine en Australie, une offre compétitive tant du point de vue technologique que budgétaire, et une certaine réaction d’orgueil suite à l’épisode australien de la part de l’industrie de Défense nationale, mais également des services plénipotentiaires de l’Etat, et ce alors que le Suffren, premier navire de la classe éponyme, entre en service au sein de la Marine Nationale, et pourra de fait faire office de produit d’appel pour les délégations étrangères. Pour peu que Naval Group parvienne à mettre en place une stratégie de communication performante, une opportunité historique s’offre désormais à lui dans les mois et années à venir.

4 modèles budgétaires soutenables pour la modernisation et l’extension des armées

Dans un environnement médiatique étonnamment discret, plusieurs crises majeures pouvant potentiellement évoluer en conflit armé entre grandes puissances se déroulent simultanément sur la planète, qu’il s’agisse de la crise entre l’Ukraine et la Russie impliquant potentiellement l’OTAN, de celle entre Israel et l’Iran au sujet du programme nucléaire de ce dernier, ou de la crise entre Pékin et Taïwan, chacune d’elle porte les prémices d’un conflit international de grande envergure pouvant impliquer l’Europe, et la France en particulier. Dans ce contexte, il apparait que les moyens dont disposent aujourd’hui les Armées françaises sont insuffisants quantitativement, et inadaptés qualitativement pour y faire face. En effet, le modèle actuel des Armées a été défini sur la base de paradigmes de paix globale et de crises distantes de basse intensité, auxquelles la France entendait répondre par un Corps Expéditionnaire projetable, tout en assurant sa sécurité propre par la dissuasion nucléaire.

Aujourd’hui, cependant, ce format et cette doctrine ne sont plus adaptés, et les armées françaises, comme l’ensemble de leurs alliées occidentales, doivent entreprendre une profonde mutation pour être en mesure de révéler le défi imposé par des pays comme la Russie, la Chine mais aussi des nations intermédiaires lourdement armées comme l’Iran ou la Turquie, afin de garantir la sécurité de ses ressortissants, l’intégrité de son territoire et la préservation de ses intérêts. Les besoins dans ce domaine sont immenses, tant pour l’Armée de terre, la Marine nationale, l’Armée de l’Air et de l’Espace, et même pour faire évoluer l’industrie de défense nationale. Or, dans le présent contexte économique et social, il peut sembler difficile, voire impossible, de produire les efforts budgétaires nécessaires pour répondre en temps et en heures aux besoins réels des armées, du moins est-ce la perception généralement admise, ceci expliquant la forte résistance constatée par les instances politiques et économiques dans ce domaine. Et même si les conséquences d’une crise en Ukraine sur l’économie et les équilibres sociaux et societaux en Europe seraient autrement plus importantes que les investissements requis pour l’endiguer, la doxa politique semble tenir ferme, préférant assumer le risque exogène que d’endosser la responsabilité de l’action déterminée.

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Les forces armées russes disposent désormais de moyens opérationnels considérables susceptibles de surpasser les défenses que peuvent déployer les pays européens, même dans un effort de défense collective coordonnée par l’OTAN ou l’UE

Pourtant, il existe, aujourd’hui, plusieurs modèles qui permettraient de libérer les investissements requis , tout du moins pour ce qui concerne la modernisation des armées, tout en respectant les contraintes budgétaires existantes, et en particulier la nécessité de ne pas creuser les déficits publics. Ces modèles, au nombre de 4 avec le principe de Valorisation Positive de l’Effort de Défense, le Tampon Opérationnel, le Socle Défense et le Plan de Recapitalisation Défense européen, offrent chacun leurs propres avantages et leurs propres contraintes, mais tous permettraient aujourd’hui de répondre aux enjeux aussi bien technologiques qu’industriels pour renforcer les forces armées nationales, et donc la sécurité du pays comme celle de ses voisins.

1- Le principe de Valorisation Positive de l’effort de Défense

Le premier modèle est également le plus simple et le moins contraignant à mettre en oeuvre. Le principe de Valorisation Positive de l’Effort de Défense, également appelé Défense à Valorisation Positive, repose sur l’efficacité sociale et budgétaire de l’investissement de l’Etat dans les industries de défense, tout en créant un cycle budgétaire vertueux au sein même du budget de l’Etat. De manière synthétique, chaque million d’euro investis par l’Etat dans l’industrie de défense nationale va générer 25 emplois pendant un an, emplois qui généreront quant à eux, de manière synthétiques, 0,6 m€ de recettes fiscales et sociales, et 0,45 m€ d’économies sociales, toutes s’imputant au budget de l’Etat. Au total, donc, le million investi va générer 1,05 m€ de retour budgétaire pour l’Etat, soit plus qu’il n’en coute. En prenant en considération les volumes moyens d’exportation, le nombre des emplois créés ou maintenus sur une année atteint les 37, et le retour budgétaire plafonne à 1,6 m€, par m€ investis.

Pourquoi, dans ces conditions, l’Etat ne se précipite-t-il pas pour investir dans ce domaine, d’autant q’il a l’assurance de ne pas créer de dettes souveraines supplémentaires, et qu’il va créer, au passage, 37 emplois par million d’euro investis par an, soit le triple de l’efficacité moyenne constatée des actions économiques de l’Etat ? La réponse est à la fois simple et complexe. En effet, les mécanismes budgétaires ne permettent pas, aujourd’hui, à l’Etat de mettre une partie de ses investissements dans une bulle économique auto-entretenue, équilibrée par les recettes qu’elles pourraient générées. Pour les tenants de la rigueur budgétaire, cette même conception d’un investissement economique sectorisé auto-porteur tient de l’hérésie budgétaire. En outre, la mise en oeuvre des mécanismes permettant de lisser les recettes et économies budgétaires nécessiterait plusieurs années, pendant lesquels l’Etat devra en partie couvrir certains déficits pour financer la phase de croissance. Enfin, cette approche est contraire aux règles comptables imposées par les instances européennes, notamment dans le cadre de l’Euro.

Atelier Rafale Analyses Défense | Australie | Brésil
L’industrie de défense française engendre un retour budgétaire supérieur à 100% vis-à-vis des investissements consentis pour l’Etat français

De fait, bien qu’elle soit économiquement très simple à mettre en oeuvre, le principe de Valorisation Positive de l’effort de Défense est en soit un acte éminemment politique, et non technique. Il suppose une volonté forte de l’exécutif dans ce domaine, pour justifier face à une opinion publique le plus souvent très mal informée aussi bien des enjeux sécuritaires qu’industriels dans ce domaine, un fléchage volontaire des investissements vers les industries de défense. En revanche, pour peu que les conditions soient requises, il s’agit incontestablement d’une stratégie politique très efficace, tant du point de vue economique que social, et surtout pour redonner aux armées les moyens, dans la durée, d’assurer leurs missions.

2- Le Tampon opérationnel

Si la Valorisation Positive est avant tout une approche politique, le Tampon Opérationnel, lui, est une approche purement technique. Son mécanisme n’est guère compliqué, puisqu’il s’agit de financer des équipements surnuméraires au sein des armées, susceptibles d’être exportés dans des délais courts et à tarifs préférentiels vers des clients internationaux. Il trouve sa justification dans l’évolution rapide de la situation sécuritaire internationale, celle-ci créant bien souvent un caractère d’urgence dans l’exécution des contrats de défense internationaux, bien peu compatibles avec la réalité industrielle. Pour y palier, le Tampon Opérationnel propose de créer une structure ad-hoc qui financerait la livraison d’équipements susceptibles de trouver preneurs à court ou moyen terme sur la scène internationale, et qui les louerait, dans le temps intermédiaire, aux Armées françaises, qui bénéficieraient alors d’un parc ou d’une flotte plus étendue de leurs équipements, permettant une meilleure prise en compte des besoins opérationnels.

VBCI Mali Analyses Défense | Australie | Brésil
Le Tampon opérationnel permet d’accroître le nombre d’équipements dont disposent les armées françaises à chaque instant, en anticipant le marché export d’occasion, sur un modèle économique autoporteur budgétairement parlant

Puisqu’il s’agit d’une société indépendante qui assurerait l’acquisition et le portage budgétaire des équipements, l’Etat français, de son coté, n’aurait qu’à s’acquitter de loyers d’utilisation, ce qui exclurait mécaniquement l’investissement initial du calcul de la dette souveraine et des déficits publics, sous reserve du respect de certaines règles européennes, et représenterait donc une solution parfaitement adaptée au contexte budgétaire actuel. En outre, en cas de conflit ou d’attrition, l’Etat peut décider de convertir son contrat de location en contrat d’acquisition, dans un contexte budgétaire entièrement redéfini. Enfin, cette approche peut permettre aux Armées de ne plus avoir à financer la modernisation de leurs flottes, puisque celle-ci est cycliquement reversées à l’exportation avant que l’échéance de modernisation n’arrive (elle serait alors à la charge du client international), alors que les Armées françaises, elles, recevraient des équipements neufs équipés au dernier standard en compensation.

Fondamentalement, le Tampon Opérationnel fonctionne donc comme une pile FIFO (First In First Out), à savoir que les materiels exportés sont les materiels les plus anciens, et sont remplacés par des materiels neufs et modernisés. En revanche, sa mise en oeuvre est complexe, puisqu’il est nécessaire de mettre en place une société d’investissement en charge de porter les acquisitions, et de trouver les capacités de financements nécessaires pour celle-ci, ce qui n’est pas des plus simples eu égard à la réticence de plus en plus forte des milieux financiers envers le domaine de La Défense. En outre, elle ne s’applique pas à tous les équipements, puisque ceux-ci doivent répondre à un besoin avéré sur la scène internationale, ainsi qu’à une autorisation d’exportation de la part des autorités françaises. Enfin, il faut que l’ensemble des acteurs impliqués agissent en harmonie, de sorte à créer un flux efficace, et non de manière autonome en rompant cette même fluidité.

3- Le Socle Défense

Le Socle Défense représente, en quelques sorte, la synthèse de la valorisation Positive de l’Effort de Défense, et de l’architecture du Tampon Opérationnel, puisqu’il s’agit de transposer le principe de société de financement et d’investissement directement au coeur de l’effort national de défense. Dans ce modèle, l’Etat n’est plus le propriétaire de ses équipements, mais il en est le dépositaire, sous la forme de contrats de leasing d’une durée calculée selon le rythme générationnel technologique en cours. Contrairement au Tampon Opérationnel, le Socle Défense ne fait face à aucune difficulté de financement, puisqu’il s’appuie pour cela sur des produits d’épargne d’Etat spécialement conçus à cet effet, en partie défiscalisés, et proposés directement aux français, de sorte à ce que ces derniers soient eux-mêmes les nu-propriétaires des équipements des armées. Ces dernières n’ont, alors, plus qu’à louer les équipements sur la durée de leur cycle générationnel avant d’être remplacé, au bout de 15 à 20 ans, par des materiels de nouvelle génération, alors que les anciens materiels sont, quant à eux, proposés sur le marché des équipements de défense d’occasion, soit en leasing, soit à l’achat, sur la scène internationale.

FREMM Mistral Analyses Défense | Australie | Brésil
Le Socle Défense permettrait de doubler les investissements dédiés aux programmes majeurs et à la R&D en France dans un relais de 5 ans, sans impacter l’équilibre des finances publiques.

Pour l’état, en revanche, les intérêts sont innombrables. En effet, non seulement peut-il exclure une majeure partie des investissements en R&D et en production en matière d’équipements de défense de ses investissements directs, mais il bénéficie, sur la phase de mise en place, d’un retour budgétaire très largement supérieur à ses propres investissements, et ce durant toute la phase de déploiement du premier cycle générationnel. Il peut donc non seulement financer la modernisation des armées, mais également une augmentation de format nécessaire, tout en enregistrant des retours budgétaires très supérieurs aux investissements. Même à terme du cycle, une fois l’équilibre atteint entre format, materiels et investissements, les surcouts pour le budget de l’Etat seront largement compensés par l’augmentation de l’activité industrielle, en particulier grâce à une présence très dynamique sur la marché de l’occasion associée au principe de Valorisation Positive.

Le Socle Défense est incontestablement une approche complexe, en rupture complète avec le pilotage traditionnel de l’effort de défense et des programmes industriels qui s’y attachent. En revanche, c’est également le modèle le plus efficace, tant pour accroitre les capacités militaires défensives des armées françaises, que pour faire de l’Industrie de défense nationale un moteur dynamique de l’économie et de la recherche technologique du pays, bien au delà de son niveau actuel. Il représente également un formidable outil d’aménagement du territoire et, cerise sur le gâteau, il peut se décliner, par la suite, en une version européenne ou tout du moins multinationale, en intégrant des partenaires dans un modèle permettant d’équilibrer simplement et efficacement les investissements d’état, et les recettes budgétaires dérivées, sans devoir passer par de complexes partages industriels souvent contre-productifs.

4- Le Plan de Recapitalisation Défense Européen

Dernière solution permettant d’accroitre les investissements industriels de défense, le Plan de recapitalisation défense européen repose, quant à lui, non pas sur une vision nationale, mais européenne de la problématique. A l’instar du Plan de Relance Covid, il propose de consacrer un budget d’investissement européen à la modernisation des équipements de défense des Armées du vieux continent, de sorte à leur permettre de rapidement répondre au défi posé en particulier par la montée en puissance des moyens militaires de la Russie. Mais là ou le Plan de Relance Covid repose avant tout sur une approche Keynésienne de l’économie, la vision Défense, basée sur l’application du principe de Valorisation Positive de l’Effort de Défense, permet d’imaginer un mécanisme ayant un cycle particulièrement court au niveau de la sphère économique européenne, pour peu que les investissements financés soient fléchés vers des équipements conçus et produits sur le sol européen.

RAfale grece Analyses Défense | Australie | Brésil
En transposant le modèle à l’échelle européenne, il est possible de permettre à des pays ayant peu de ressources budgétaires d’accroitre leurs capacités pour acquérir des équipements de défense performants et européens, afin d’accroitre la sécurité collective, et sans impact négatif sur les finances publiques des états eux mêmes

De manière synthétique, il s’agit de transposer le principe economique à l’échelle européenne, avec un financement obtenu par de la dette mutualisée, et un remboursement fléché non pas sur les pays acquéreurs, mais producteurs. En d’autres termes, ce sont les recettes budgétaires et sociales liées à l’exécution des contrats d’armement passés entre européens qui remboursent la plus grande partie de l’investissement européen, et non le pays acquéreur, qui lui ne porte qu’une part limitée des investissements. Cette approche, contre-intuitive, repose sur la dissociation de la chaine de valeur economique liée à l’investissement, et celle de son usage opérationnel et sécuritaire. Elle permettrait notamment à des pays ayant des capacités d’investissement plus limités, mais des moyens importants en terme de ressources humaines par exemple, d’accroître le format et les performances de leurs armées au profit de la sécurité collective, sans devoir un supporter l’intégralité du cout économique. A l’inverse, les producteurs de systèmes d’armes bénéficient quant à eux d’un marché bien plus étendu et captif, mais voient leurs recettes budgétaires liées à cette croissance en partie captées par le remboursement de la dette mutualisée.

Bien évidemment, cette approche est en rupture complète avec la manière dont fonctionnent aujourd’hui les instances européennes. Il s’agit donc d’un modèle très hypothétique, et très difficile à mettre en oeuvre. Mais il dispose d’une force propre, celle d’être potentiellement scalaire, c’est à dire qu’il peut se construire initialement sur un nombre réduit de participants, puis d’intégrer dynamiquement de nouveaux acteurs une fois qu’ils auront été convaincus de l’efficacité du modèle. De part sa nature, il permet en outre de résoudre une part importante des problèmes souvent contraignants de compensations économiques, d’offset et de partage industriel entre clients et pays d’origine des technologies de défense, en transposant ces équilibres sur des aspects purement budgétaires. Enfin, il peut s’étendre à d’autres sphères de souveraineté, comme par exemple en matière d’énergie, de transport, voire de produits pharmaceutiques.

Conclusion

On le comprend, les difficultés budgétaires souvent évoquées par les instances politiques concernant l’investissement de défense, sont loin d’être une fatalité inéluctable. Il existe en effet non pas une, mais plusieurs solutions, selon le biais, l’ambition et l’échelle de l’objectif à atteindre, toutes permettant d’accroitre sensiblement, dans des délais courts, et de manière responsable et soutenable, les moyens alloués pour la modernisation et même l’extension de format des armées. Le sujet est encore, en France comme ailleurs, largement ignoré des politiques, y compris en période de campagne électorale, comme il l’est des opinions publiques elles-mêmes, en dehors de certains cercles restreints de spécialistes, ou de pays vivants sous une pression sécuritaire particulière, comme la Grèce, les Pays Baltes ou la Pologne.

Reste qu’avec l’emballement des crises internationales déjà constaté, et qui ne manquera pas de s’accroitre dans les semaines et les mois à venir, il est probable que le sujet d’imposera de lui même, une fois l’omerta médiatique dépassée. Il faudra donc aux leaders politiques nationaux comme européens se pencher sur des solutions efficaces et réalistes, autre que de simples pirouettes diplomatiques, pour contenir effectivement ces menaces, faute de quoi, les conséquences économiques et sociales de cette politique de l’autruche pratiquée avec brio en Europe depuis une dizaine d’années, cessera de faire illusion, et viendra frapper directement les européens eux-mêmes, peut-être sous la forme de plusieurs millions de réfugiés ukrainiens fuyants les combats dans leur pays. Il est donc plus que temps de se poser les questions longtemps reportées, et surtout d’y trouver des réponses nouvelles, même s’il faut pour cela bousculer certaines habitudes politiques et budgétaires.

Les Emirats Arabes Unis suspendent les négociations concernant l’achat de F-35

Alors en pleine campagne électorale pour sa ré-élection à la Maison Blanche, Donald Trump marqua un grand coup à l’été 2020 en annonçant la signature d’un accord de paix entre les Emirats Arabes Unis et Israel, accord qui fut rapidement rejoint par d’autres monarchies sunnites du Golfe dans un effort de normalisation des relations avec l’Etat Hébreux après plusieurs décennies de tensions sur fond de cause Palestinienne. Si les points de convergence étaient nombreux, notamment au sujet du risque potentiel posé par le programme nucléaire iranien, les Emirats Arabes Unis en profitèrent pour négocier avec Donald Trump la vente de technologies de Défense jusqu’ici réservées aux alliés du premier cercle des Etats-Unis, comme les membres de l’OTAN ou des Five Eyes. La défaite électorale de Donald Trump n’entama pas sa determination à aller au bout de ce très important contrat de presque 20 Md$, incluant 50 F-35A, 9 systèmes de drones MQ-9B Guardian, ainsi qu’un important stock de munitions.

L’accord présidentiel fut apposé par Donald Trump à seulement quelques heures de son départ de la Maison Blanche, et ce en dépit de nombreuses réserves émises par le Congrès, et par son futur remplaçant, Joe Biden. En partie influencé par la ferme opposition des militaires israélien quant à doter une nation arabe des mêmes technologies que celles sensées assurées la protection de l’Etat Hébreux, mais également circonspect face aux acquisitions récentes de technologies de défense russes et chinoises par Abu Dabi, Joe Biden suspendit l’accord présidentiel à peine deux semaines après son investiture, sous couvert d’un besoin accru d’information sur les conséquences potentielles de cette vente, y compris en ce qui concerne l’intervention au Yemen. Depuis, la situation semblait quelque peu figée, puisqu’aucune avancée significative n’avait été annoncée depuis plusieurs mois.

Donald Trump army Analyses Défense | Australie | Brésil

En début de semaine, toutefois, les autorités émiriennes ont semble-t-il perdu patience, puisqu’elles ont adressé à leurs homologues américaines une lettre les informant de la suspension des négociations concernant ce contrat majeur, y compris les 50 F-35A et les 9 systèmes de drones MQ-9 Guardian. Précisant que les négociations pouvaient reprendre à tout moment, Abu Dabi justifie cette décision sur le fait que les exigences américaines en matière d’environnement technologique et, d’une certaine manière, d’alignement géopolitique, n’étaient plus en adéquation avec les attentes du pays. Loin d’être une simple tentative de négociation musclée, cette nouvelle prise de position des EAU peut potentiellement redéfinir la posture stratégique du pays, et affaiblir sensiblement la position des Etats-Unis dans le Golfe, raison pour laquelle elle suscite un tel émoi outre-atlantique.

Contrairement à la Turquie, les EAU n’ont pas annoncé d’intention directe pour se doter de materiels militaires de facture russe visés par la législation CAATSA, comme le système S-400 ou le chasseur Su-35. En revanche, le pays entretient depuis de nombreuses années des relations directes avec Moscou et Pékin, ayant acquis des systèmes anti-aériens Pantsir et des missiles anti-chars au premier, et des drones MALE Wing long au second. En outre, Abu Dabi et Moscou collabore depuis plusieurs années dans une joint-venture visant à developper un chasseur léger commun. Il n’y avait, à ce titre, rien d’étonnant à ce que les EAU furent au coeur de la campagne de communication du russe Rostec concernant son futur Su-75 Checkmate. En outre, au delà des questions de défense, Abu Dabi collabore également avec Pékin dans le projet des nouvelles routes de la Soie, et avait sélectionné les entreprises chinoises pour déployer l’infrastructure 5G du pays.

Rafale mig29 egypte Analyses Défense | Australie | Brésil
Contrairement aux Etats-Unis, la France n’a pas imposé de conditions particulières en matière d’équipement de défense aux Emirats Arabes Unis ou à l’Egypte pour la vente de ses Rafale.

Ces précisément ces points, ainsi que les réticences israéliennes, qui amenèrent Washington à bloquer les négociations pendant une année au sujet de la vente de ces technologies de défense considérées comme critiques. Pour la Maison Blanche et le Congrès, les infrastructures déployées dans le pays par la Russie et la Chine pourraient servir à récolter des informations sensibles concernant ces materiels, menaçant donc leur efficacité globale sur toute la planète. En particulier, Washington entendait qu’Abu Dabi renonce à confier au chinois Huawei le déploiement du réseau 5G du pays, ainsi qu’à acquérir de nouveaux armements en Russie ou en Chine, pour autoriser la vente de F-35 et de drones. D’ailleurs, suite à l’annonce de la suspension des négociations par Abu Dabi, les autorités américaines ont immédiatement communiqué sur le fait que les règles imposées à Abu Dabi étaient strictement les mêmes que celle imposées à l’ensemble des clients des Etats-Unis pour des materiels sensibles, affirmation au sujet de laquelle il est permis d’avoir quelques réserves.

Entre temps, Abu Dabi et Paris sont parvenus à un accord visant à acquérir 80 avions Rafale au standard F4 ainsi que des hélicoptères Caracal et un stock de munitions, le tout pour 17 Md€ soit autant que le contrat américain. On ignore si ce contrat aura servi de déclencheur pour les autorités émiriennes, mais l’on peut penser que la proximité des deux annonces n’est certainement pas fortuite, et ce d’autant que la France n’a pas requis de renoncement particulier d’Abu Dabi face à la Chine ou la Russie ni dans le domaine Défense, ni dans les domaines connexes. Rappelons que cette position plus nuancée de la France au Moyen-Orient était delà à l’origine de la nouvelle commande de Rafale par l’Egypte, précisément parce que les avions français pouvait coopérer autant avec les F-16 et mirage 2000 de facture occidentale mis en oeuvre par les forces aériennes égyptiennes, qu’avec leurs Mig-29 et Su-35 récemment acquis auprés de Moscou.

checkmate Su7510 Analyses Défense | Australie | Brésil
Rostec a déployé un important dispositif marketing pour faire du nouveau Checkmate la star incontesté du Dubaï Air Show de cette année, avec en ligne de mire une possible coopération avec les EAU dans ce programme

En outre, l’annonce intervient après le Dubaï Air Show, alors que le Rostec n’a pas ménagé ses efforts pour capter l’attention des autorités émiriennes au sujet de son Su-75 Checkmate, que le Russe verrait volontiers construit en collaboration avec les Emirats Arabes Unis. Or, eu égard aux performances annoncées par Rostec au sujet de son nouvel appareil, mais également de son prix, et considérant les performances qui seront celles des Rafale F4 déjà commandés, un appareil comme le F35, par ailleurs on le sait très onéreux et sous controle stricte d’utilisation par les Etats-Unis, peut désormais apparaitre comme moins attractif qu’une flotte composée de Rafale F4 et de Su-75 Checkmate, tout en étant moins onéreuse, et en offrant, tout au moins pour la partie russe, des compensations industrielles et technologiques très supérieures à celles proposées par Washington.

Pour autant, il ne s’agit certainement pas d’une rupture de ban de la part des EAU, qui resteront très probablement de proches alliés des Etats-Unis si une telle hypothèse venait à voir le jour, tant l’économie et la posture internationale de cette monarchie du Golfe est plus en accord avec la sphère occidentale qu’avec celle proposée par la Russie ou la Chine. En revanche, et à l’instar de l’Inde ou de l’Indonésie, il est possible que cette décision annonce un glissement des EAU, et possiblement de plusieurs de ces monarchies sunnites, vers une posture moins alignée, plus équilibrée entre le bloc occidental et sino-russe, et peut-être même plus autonome dans sa posture internationale, ceci pouvant mener à terme à l’émergence d’une union des Monarchies Sunnites plus autonome du point de vue économique comme sur la scène internationale.

Wing Long EAU Abattu Analyses Défense | Australie | Brésil
Les EAU engagèrent plusieurs de leurs drones Wing Loong II de facture chinoise lors du conflit en Libye, dont plusieurs ont été abattu par les défenses anti-aériennes de l’adversaire soutenu par le Qatar et la Turquie.

On le comprend, l’annonce de la suspension des négociations concernant l’acquisition des F-35A et des MQ-9B par les Emirats Arabes Unis, n’intervient pas dans un contexte isolé, et de fait, elle sous-tend des conséquences potentiellement importantes en matière de stratégie occidentale au Moyen-Orient, en particulier pour les Etats-Unis. Ceci explique les nombreuses inquiétudes relevées depuis hiers à ce sujet dans la presse spécialisée outre-Atlantique, et les nombreuses questions que cette nouvelle posture soulèvent désormais. Reste à voir, maintenant, quelles seront les réponses effectives apportées par les Etats-Unis et la Maison Blanche aux griefs avancés par Abu Dabi, et si celles-ci seront de nature à convaincre les autorités émiriennes de revenir à la table des négociations. Toutefois, la posture choisie par Abu Dabi, très offensive, met clairement dans l’embarra Washington, qui y voit son aura d’allier central du Moyen-Orient remise en cause par l’un des plus importants acteurs de ce théâtre.

Comme dans le dossier des nouveaux F-16 demandés par la Turquie, il n’y a, ici, aucune solution n’offre de porte sortie satisfaisante pour l’administration Biden, qui devra soit abaisser son niveau d’exigence pour répondre aux exigences émiriennes, au risque probable de voir le Congrès s’opposer à cette exportation, soit de rester ferme sur ses positions, en espérant une peu probable marche arrière d’Abu Dabi. Dans les deux cas, on peut imaginer que dans le même temps, les autorités émiriennes auront entrepris d’entamer des négociations avec la Russie pour une éventuelle solution alternative sur base de Su-75, comme elles le firent par anticipation avec la France au sujet des Rafale. Comme nous l’avions écrit il y a une année à l’annonce de ce contrat, c’est donc bien une planche particulièrement savonnée que Donald Trump laissa à son successeur avec ce dossier, qui offre bien peu d’options de sortie satisfaisante pour l’administration US.

Le drone de combat russe S-70 Okhotnik-B sera plus furtif qu’anticipé

Contrairement aux forces aériennes européennes qui prévoient de s’appuyer, dans les décennies à venir, sur des chasseurs pilotés et éventuellement sur des drones aéroportés Remote Carrier pour les missions de chasse et d’attaque, la Russie a fait le choix de developper, aux cotés de ses avions de combat Su-57 et Su-75 de nouvelle génération et des drones aéroportés Grom, un drone de combat lourd destiné à prendre une place prépondérante dans l’inventaire aérien, en remplaçant une partie des chasseurs et avions d’attaque légers, comme le Mig-29 et le Su-25. Ce drone, désigné S-70 Okhotnik B (chasseur en russe), a été dévoilé pour la première fois lors des essais de roulage et de vol en 2019. Mais sa forme, et notamment son imposant réacteur emprunté au Su-30, laissait planer certains doutes quant à sa réelle discrétion, même si les industriels russes avaient insisté sur le caractère temporaire de cette architecture.

Des clichés montrant la nouvelle version du drone effectuant ses premiers essais de roulage la semaine dernière sur le site de Novosibirsk, mirent fin à ces spéculations, en montrant une entrée d’air et une tuyère d’éjection des gaz du turboréacteur entièrement redessinées, de sorte à accroitre simultanément la furtivité radar mais aussi infra-rouge du second prototype, qui doit entamer, dans les semaines à venir, une phase de test y compris en vol. Ainsi paré, l’Okhotnik B long de 14 mètres pour 19 mètres d’envergure, et dont la masse maximale au décollage atteint les 20 tonnes, soit celle d’un chasseur moyen, pourra effectuer des frappes en profondeur dans le dispositif adverse, mais également coopérer avec les chasseurs pilotés, notamment le Su-57 qui pourra, à lui seul, contrôler 4 de ces drones, et ce d’ici la fin de la décennie.

S70 OkhotnikB Back Analyses Défense | Australie | Brésil
Sur cette photo, on remarque la tuyère d’éjection redessinée pour atténuer le rayonnement infrarouge du drone Okhotnik B

L’Okhotnik B ne se rapproche pas d’un chasseur uniquement par ses dimensions et sa masse, il en a également les performances, avec une vitesse de croisière subsonique élevée, et surtout un impressionnant rayon d’action de plus de 3500 km, et deux soutes d’armement conçues pour accueillir les mêmes munitions que celles du Su-57 et du futur Su-75, qui pourra notamment accueillir la version aéroportée du missile anti-navire hypersonique Tzirkon, le Larchinka-MD, tout comme le missile Gremlin, ou GZUR, version compacte du missile hypersonique Kinzhal. La conjonction de drones à la discrétion radar et infrarouge optimisées, et de missiles hypersoniques anti-navires et air-sol, va conférer aux forces aériennes russes un avantage tactique non négligeable, et ce dans des délais relativement courts ne permettant pas aux forces aériennes européennes de s’en prémunir efficacement à court terme.

De fait, avec le S-70, l’industrie aéronautique russe reprend clairement une position dominante dans le domaine des drones de combat, malgré un certain retard initial face notamment à la Chine et aux Etats-Unis. Le drone doit en effet atteindre ses premières capacités opérationnelles d’ici le milieu de la décennie, date à laquelle il doit commencer à être livré aux forces aériennes russes, concomitamment aux Su-57 qui en assureront le controle. Il s’agit d’un calendrier similaire à celui du MQ-25 Stingray de l’US Navy, mais également du GJ-11 chinois, chacun étant cependant spécialisé dans des missions différentes. En revanche, le contraste est pour le moins saisissant avec les efforts fournis dans ce domaine par l’industrie européenne qui ne développe à ce jour aucun programme comparable à ceux des 3 super-puissances mondiales, et qui d’ici 2027, parviendra juste à fournir les premiers systèmes Euromale, un drone MALE qui semble avoir une génération de retard sur les modèles américains, russes et chinois qui entreront en service au même moment,.

Su 57 et S70 Okhotnik B Analyses Défense | Australie | Brésil
Remarquez la bien peu discrète tuyère du turboréacteur AL31 employé sur le premier prototype du S70

On peut se demander combien de temps encore les Européens, y compris la France, continueront de concevoir leurs programmes de modernisation de leurs outils de défense sur la base de besoins industriels et économiques, et sans tenir compte de l’évolution très rapide des capacités militaires dont dispose et disposera la Russie, tant du point vue quantitatif que qualitatif. Armata, Tzirkon, Su-57, Okhotnik B, S-500 .. autant de systèmes qui n’ont aucun équivalent ni aucune parade en Europe ni même outre-atlantique pour la plupart, et qui doivent entrer en service dans les quelques années à venir, laissant plus que jamais les européens à la merci du Kremlin, et du bon vouloir de la Maison Blanche pour assurer leur défense. N’est-il pas temps désormais de privilégier la Défense de l’Europe et des Européens, plutôt que de courir après une très hypothétique Europe de la Défense ?

L’Industrie aéronautique française peut-elle rebondir sur le succès du F-35 en Europe ?

En fin de semaine dernière, et comme anticipé, les autorités finlandaises ont annoncé avoir sélectionné le chasseur américain F-35A pour succéder à aux F-18 au sein de ses forces aériennes, à l’issu de la compétition HX qui aura vu se confronter une nouvelle fois le chasseur américain aux autres modèles occidentaux, F/A 18 E/F Super Hornet, Gripen, Rafale et Typhoon. Comme en Suisse, les conclusions présentées par les autorités finlandaises sont sans appel, le F-35 apparaissant supérieur aux autres concurrents dans tous les domaines, y compris dans le domaine de la soutenabilité budgétaire. Et comme en Suisse, de nombreuses voix s’élèvent désormais pour remettre en question les valeurs numériques retenues dans le cadre de cette evaluation, et qui ne correspondent pas à celles constatées par d’autres pays mettant déjà en oeuvre le chasseur furtif de Lockheed-Martin, Norvège en tête.

Reste qu’aujourd’hui, le raz-de-marré du F-35 en Europe est pour ainsi dire absolu, l’appareil s’étant imposé dans toutes les compétitions auxquels il a participé depuis une dizaine d’années, et ayant désormais été choisi par pas moins de 8 pays européens : Belgique, Danemark, Finlande, Italie, Grande-Bretagne, Pays-bas, Pologne et Suisse, alors que l’Espagne, la Grèce et la République Tchèque sont désormais dans le viseur des commerciaux américains. On voit également réapparaître avec insistance l’hypothèse d’annuler la future commande de F/A 18 E/F Super Hornet et de EA-18G Growler pour remplacer les Tornado de la Luftwaffe, au profit de l’avion super-star de l’industrie américaine.

Les similitudes entre les programmes F-35 et F-104

On peut naturellement pester sans fin sur les pressions venues des Etats-Unis voire de l’OTAN elle-même pour promouvoir le F-35, sur le manque de sincérité des chiffres avancés par Lockheed-Martin dans les compétitions, ou sur le manque de sens « européen » des européens eux-mêmes. Mais ces débats et ces arguments sont stériles, et ne font que desservir l’image de l’industrie aéronautique française sur la scène internationale. En revanche, considérant les faiblesses objectives et reconnues du F-35A, ainsi que les besoins croissants en matière de moyens aériens pour les armées européennes comme dans le Monde, il est possible, avec un minimum d’anticipation et de volonté, de faire de cette apparente débâcle de l’industrie aéronautique européenne sur son propre sol, une force et même un promontoire afin de préparer l’inévitable phase 2 qui se dessine dans ce dossier, et sont tout semble indiquer qu’elle sera proche de celle que connurent les européens à la fin des années 60 et au début des années 70 avec le F-104 Starfighter, lui aussi de Lockheed-Martin.

F104 Germany Analyses Défense | Australie | Brésil
Si le F-104 était un intercepteur passable, sa conversion en chasseur bombardier pour la Luftwaffe fut un désastre

En effet, les points de comparaison entre les deux programmes sont très nombreux, au point d’en être, d’une certaine matière troublant. Comme dans le cas du F-104 qui sacrifia tout dans sa conception pour obtenir la meilleure vitesse et la meilleure vitesse ascensionnelle possible, le F-35 a pour sa part sacrifié de nombreux aspects de l’avion de combat au bénéfice de la furtivité, et de la capacité de traitement de ses senseurs. Ainsi, les deux appareils ont une manœuvrabilité limitée, une capacité d’emport relativement faible, un rayon d’action réduit d’autant qu’ils ne peuvent emporter de réservoirs supplémentaires largables. Tous deux répondent parfaitement à un besoin, l’un pour l’interception, l’autre pour la suppression des défenses aériennes, mais ont été présentés comme des appareils polyvalents capables d’assurer l’ensemble des missions de combat. Enfin, tous deux ont un cout de possession élevé, supérieur à celui des appareils du moment, sans apporter de plus-value déterminante vérifiée.

Les réserves de l’US Air Force

Ainsi, en 1965, après plusieurs échecs retentissants dans le sud-est asiatique, l’US Air Force décida de retirer son joyaux du théâtre vietnamien après que l’appareil fut surpassé par les Mig-17 et la DCA nord vietnamienne, en faisant l’un des rares intercepteurs à avoir enregistré plus de défaites que de victoires en combat aérien dans le monde. Bien que le F-35A n’ait pour l’heure pas donné de telles raisons de mettre en doute ses performances sur le plan opérationnel, plusieurs éléments laissent à penser que la trajectoire pourrait être la même. Ainsi, l’US Air Force ne cesse, depuis plusieurs mois, de mettre en avant l’opportunité de developper dans le cadre du programme NGAD qui doit permettre de concevoir le remplaçant du F-22 d’ici 2030, un second appareil, léger, destiné à remplacer le F-16 avec des performances et des couts de possession plus en adéquation avec ses besoins et ses moyens dans les années à venir.

F 22 to Lakenheath top Analyses Défense | Australie | Brésil
Selon l’US Air Force, en matière de supériorité aérienne, il faut 4 F-35A pour faire le travail d’un unique F-22

En effet, si le F-35A a indiscutablement des arguments à faire valoir pour la éliminer les défenses anti-aériennes adverses, en tout cas pour le moment, et pour épauler les forces au sol en environnement contesté, ses performances sont insuffisantes pour les besoins de la supériorité aérienne face aux nouveaux appareils russes ou chinois, notamment en terme de vitesse et de manoeuvrabilité, ceci faisant dire que, dans ce domaine, il faut 4 F-35A pour effectuer la mission d’un unique F-22. Il en va de même pour les forces aériennes israéliennes, qui loin de renoncer à leurs F-15 pour cette mission, préfèrent spécialiser le F-35i dans les missions d’attaque, et acquérir de nouveaux F-15 modernisés pour les missions de supériorité aérienne. Cette réalité va rapidement s’imposer à de nombreux utilisateurs exclusifs du F-35A, qui verront les capacités de défense et de suprématie de leurs forces aériennes largement handicapées par les performances réelles comparées. Ce constat sera très probablement exacerbé par les tensions croissantes qui se développent entre les pays européens et la Russie, alors que dans le même temps, l’industrie russe développe des appareils qui semblent à la fois performants, polyvalents et économiques.

Le besoin d’un supplétif au F-35 à moyen terme en Europe

De fait, dans les 10 années qui viennent, il est plus que probable que la plupart des pays ayant fait le choix du F-35A, chercheront à accroitre leurs capacités aériennes, avec un appareil effectivement plus performant et susceptible de tenir la ligne face aux Su-57 et autres Su-75 russes, voire à certains modèles chinois qui ne manqueront pas d’être exportés dans le monde. Comme ce fut le cas avec le F-4 Phantom II puis le F-16, les F-35A déjà acquis évolueront alors probablement aux cotés de ces autres appareils, afin de conférer à ces forces aériennes les capacités globales dont elles se seront elles-mêmes privées en choisissant l’avion de Lockheed-Martin. En outre, en dépit de ses points forts actuels, le F-35 repose sur une architecture figée et peu évolutive, puisque conditionnée par le besoin absolu de furtivité au détriment des autres capacités.

F35 netherlands Analyses Défense | Australie | Brésil
Le F-35A et ses 25 tonnes au décollage se rapproche bien davantage d’un appareil moyen comme le F-105 Thunderchief que d’un chasseur léger comme le F-16 qu’il est sensé remplacer en Europe

Or, plus l’appareil de Lockheed sera déployé en Europe, plus ses adversaires potentiels, et notamment la Russie, auront intérêt à déployer des capacités spécialement conçues pour en contrer les aspects, comme par exemple en multipliant le nombre de radar basse fréquence ou passif, en améliorant les performances des IRST de leurs avions de combat, et en développant des capacités de frappes à moyenne portée destinées à repousser les F-35 au delà de leur rayon d’action opérationnel, tout en éliminant les appareils de soutien indispensables à leur mise en oeuvre. En d’autres termes, plus l’appareil sera présent en Europe, plus il sera simple pour la Russie de s’en prémunir.

Ces précisément ce besoin probable à moyen terme qui se dessine désormais, qui peut représenter une opportunité de choix pour l’industrie aéronautique française, si tant est qu’elle sache s’en saisir. En effet, de toutes les industries aéronautiques européennes, l’industrie française est la plus à même de fournir une alternative adaptée en temps et en heure pour ce besoin. Il ne pourra cependant ni s’agit du Rafale, qui sera alors déjà trop ancien pour convaincre les forces aériennes européennes, et ce d’autant que l’avion français n’arrive déjà pas à convaincre aujourd’hui face au F-35, ni du SCAF, qui sera un appareil trop imposant et trop onéreux, nonobstant le problème de calendrier, pour représenter une alternative pour ces pays. En revanche, si l’industrie aéronautique française, pourquoi pas avec la participation de l’industrie suédoise, venait à concevoir un chasseur monomoteur corrigeant les défauts de conception du F-35, et offrant les performances voulues à un tarif acceptable, nul doute que l’appareil rencontrerait un vif intérêt, en Europe comme dans le monde. Il s’agirait, dans ce cas précis, de concevoir non pas le pendant du F-35, mais le remplaçant naturel du Mirage 2000 et du Gripen, dans une optique comparable à celle du programme Su-75 Checkmate russe.

Un programme français ou européen, mais différent du SCAF

Un tel programme, qui ne serait autre que la réponse au chasseur léger développé par les Etats-Unis dans le cadre du programme NGAD, et qui sera lui aussi très probablement proposé en complément du F-35 aux forces aériennes européennes, peut en effet federer en Europe, si pas les grandes nations traditionnelles comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie en recherche d’appareils plus lourds, en tout cas des pays comme la Suède, la Belgique, le Danemark mais aussi la Grèce, le Portugal et la majorité des anciens pays de l’Est, qui peinent aujourd’hui à trouver une réponse satisfaisante pour remplacer leurs appareils, dans une enveloppe budgétaire contrainte, et face à un adversaire potentiel dont les moyens militaires ne cessent de croitre.

Rafale Alpes Analyses Défense | Australie | Brésil
Malgré ses qualités indéniables, le Rafale est trop lourd et trop ancien pour représenter une alternative crédible aux besoins créés par l’arrivée du F-35 dans les 10 années à venir en Europe

De fait, en rassemblant ces partenaires européens autour d’un programme conçu spécifiquement pour répondre à des besoins opérationnels précis, en tenant compte des contraintes budgétaires et économiques de chacun, l’industrie française pourrait recoller avec son marché traditionnel, celui-là même qui fit son succès dans les années 60 à 80 avec la famille des mirage, des appareils légers, économiques et très performants, conçus sur des paradigmes différents de ceux sur lesquels les grands avionneurs américains travaillaient eux-mêmes, avec des moyens autrement plus importants. On peut d’ailleurs se demander s’il est pertinent, comme dans le cas du programme SCAF, pour l’industrie française et européenne, de tenter de developper un appareil se rapprochant des paradigmes américains, alors même que leurs moyens sont bien plus importants, tout comme leurs besoins.

Pragmatisme et opportunisme

On le comprend, le succès du F-35A en Europe aujourd’hui ouvrira, en toute probabilité, des opportunités importantes à moyen terme pour l’avionneur qui saura anticiper ce besoin, et faire preuve de la determination nécessaire pour y répondre. Il s’agit en effet, d’une opportunité unique pour l’industrie européenne, et française en particulier, de reprendre la position qui était la sienne avant l’arrivée du F-16, un appareil précisément conçu comme un chasseur européen (français), en total rupture avec les paradigmes traditionnels américains des années 60 et 70. Avec le F-35, l’industrie américaine s’est éloignée de ce concept, pour revenir à un modèle qui n’est pas sans rappeler le F-105 Thunderchief, ou le F-104 Starfighter, bien davantage que le léger et agile F-16, laissant une nouvelle fois un espace important dans lequel l’industrie française, et son experience unique dans le domaine des chasseurs monomoteurs légers à haute performance, pourrait s’engouffrer avec succès, comme c’est déjà de la Russie avec le Su-75 Checkmate, qui ne cherche rien de moins que de reproduire le succès du Mig-21.

mirage3 Analyses Défense | Australie | Brésil
Rapide, léger, performant et économique : voilà les qualités qui firent le succès du Mirage III et de ses successeurs, face à des chasseurs américains plus lourds et beaucoup plus onéreux à l’achat comme à la mise en oeuvre

Il y a désormais deux attitudes possibles pour la France et son Industrie de Défense aéronautique. La première consiste à se saisir de cette opportunité unique pour reprendre à moyen terme la position qu’elle avait sur la scène internationale dans le domaine des avions de combat à la fin des années 60 et au début des années 70, avant l’arrivée du F-16. Cela demande courage, volonté, determination, tant du point de vue industriel que politique. L’autre alternative, consiste à rester figer dans la posture actuelle, en misant sur un appareil certes très performant mais déjà de 20 ans de service, et sur un programme hypothétique à long court en partenariat avec l’Allemagne, visant à developper un chasseur lourd sans avoir les moyens ni le besoin des Etats-Unis dans ce domaine. L’une de ces trajectoire est basée sur le pragmatisme, l’autre sur le renoncement teinté d’idéologie. A vous de décider laquelle et laquelle …

Les Mirage 2000-9 des EAU intéressent le Maroc et l’Egypte

Il est des signes qui ne trompent pas. A peine une semaine après que l’annonce a faite de la commande de 80 Rafale par les forces aériennes des Emirats Arabes Unis, que la soixantaine de mirage 2000-9 acquis à la fin des années 90 par le pays, et qui doivent précisément être remplacés par les Rafale commandés, auraient déjà trouvé preneur. En effet, selon plusieurs sources d’information, il apparait que l’Egypte, mais également le Maroc, se seraient rapprochés d’Abu Dabi en vue d’acquérir ces avions de chasse qui disposent encore d’un potentiel opérationnel remarquable. Si la demande du Caire n’est pas surprenante, les forces aériennes égyptiennes mettant déjà en oeuvre une vingtaine de Mirage 2000, et disposant donc des compétences et des infrastructures pour mettre en oeuvre les nouveaux appareils par ailleurs bien plus modernes que ceux dont elle dispose aujourd’hui, il en va tout autrement de Rabat, qui n’a jamais possédé ce modèle d’avions de combat.

Selon les informations disponibles, les Emirats Arabes Unis envisageraient de « prêter », ou peut être louer, 34 Mirage-2000-9 aux forces aériennes marocaines, pour épauler la cinquantaine de F-16 et la trentaine de mirage F1 modernisés actuellement en service, dans un contexte particulièrement tendu tant à la frontière algérienne à l’est, que dans le Sahara Occidental au Sud. L’arrivée des 34 chasseurs émirati permettrait à Rabat d’équilibrer le rapport de force avec son voisin algérien, qui dispose, entre autre, d’une cinquantaine de Mig-29 et d’une soixantaine de Su-30, ainsi que de 13 Mig-25, et qui aurait commandé à Moscou de nouveaux chasseurs-bombardiers modernes comme le Su-34. Reste que le « prêt » d’appareils aussi complexes et performants que les Mirage 2000-9 ne peut s’imaginer sans une importante composante de formation et de logistique, d’autant que Rabat ne dispose pas à ce jour des moyens pour entretenir une telle flotte, et que l’arrivée d’un nouvel appareil de ce type s’accompagne en règle général d’un important dispositif de soutien. On peut donc supposer qu’au delà des appareils eux-mêmes, Abu Dabi entend s’impliquer dans la Défense du royaume marocain face à l’Algérie, ce qui n’ira pas sans créer certaines tensions.

f16 maroc Analyses Défense | Australie | Brésil
La force aérienne marocaine s’appuie principalement sur la cinquantaine de F-16 acquise auprés des Etats-Unis, une force insuffisante face à la puissance aérienne algérienne le cas échéant.

On peut supposer également que ce prêt se fasse avec l’assentiment de Paris, et peut être son soutien, dans le but de renforcer les liens parfois distendu entre la France et le Royaume Marocain. A ce titre, l’annonce de la possible acquisition par les forces aériennes Marocaines d’une douzaine d’hélicoptères de transport français H225M Caracal peut apparaitre comme un signe allant dans ce sens, sans que la France n’apparaisse ouvertement intervenir aux cotés de son allié en Afrique du Nord. Si l’annonce se confirme, les Armées Marocaines disposeront alors de capacités de manoeuvre aéromobiles étendues, grâce notamment à l’allonge du Caracal très supérieure à celle des Puma actuellement en service.

Reste que ces deux annonces tendent à démontrer l’appétence certaine du marché pour un appareil performant et economique, comme peut l’être le Mirage 2000, mais aussi le F-16. Concernant ce dernier, ce sont les autorités roumaines qui ont adressé la semaine dernière une demande d’information à Oslo en vue d’acquérir une trentaine de F-16 d’occasion des Forces Aériennes Royales Norvégiennes, ces dernières les retirants du service pour les remplacer par des F-35A. Dans ces dossiers, c’est autant le prix attractif des avions d’occasion que la capacité à entrer en possession des appareils rapidement qui semblent déterminante, comme ce fut également le cas dans le dossier Rafale en Grèce. Il semble donc pertinent, pour la France, de prendre en considération ces paramètres pour se montrer opportuniste sur le marché international, d’autant que, comme le montre les clients du Rafale qui avaient auparavant à 80% acquis le Mirage 2000, l’antériorité dans ce domaine est un facteur critique.

Caracal H225M Airbus Helicopters Analyses Défense | Australie | Brésil
l’Arrivée de Caracal au sein des forces aériennes marocaines renforcerait considérablement les capacités d’aérocombat des armées marocaines

De fait, plutôt que de mettre à mal les capacités opérationnelles des Armées en prélevant sur leur parc déjà étriqué des appareils d’occasion pour s’adjuger des marchés internationaux, il pourrait être pertinent de mettre en oeuvre un « tampon » permettant de compenser par anticipation les sorties de materiels vendus sur le second marché, tout en se montrant particulièrement incisif commercialement sur la scène internationale. Cette approche, déjà développée dans cet article, s’avèrerait performante pour l’Industrie de défense comme pour les Armées, mais également dans le domaine des relations internationales, sans pour autant nécessiter d’effort budgétaire particulier, selon la manière dont l’offre est articulée. Ainsi mise en oeuvre, une offre étendue basée sur des Rafale d’occasion pourrait constituer une alternative à l’absence de chasseurs légers et économiques, au moins pour un temps, dans le catalogue des industriels français.

SMX31, Racer, Scarabée : Ces programmes industriels ultra-innovants de défense français non financés

Dans le domaine de l’industrie de défense, la France a souvent démontré sa capacité à developper des équipements très performants et parfois en avance de plusieurs années sur leurs concurrents internationaux. Mais si certains succès sont indéniables, comme le furent les Frégates Légères Furtives ou les véhicules blindés VAB, tous deux en avance sur la perception même du besoin lorsqu’ils apparurent, il est également arrivé, bien souvent, que des programmes très performants et en avance sur leur temps furent ignorés des autorités françaises, laissant filer des atouts technologiques cruciaux dont certains concurrents ne manquèrent pas de s’emparer. C’est ainsi que la France passa à coté de la tuyère orientable qui sera utilisée pour developper le fameux chasseur à décollage et atterrissage vertical Harrier britannique, et qui fut développée par l’ingénieur français Michel Wibault, contraint de proposer sa solution outre-manche après qu’elle fut rejetée par les autorités françaises.

Alors que les tensions internationales vont croissantes, et que la demande en système d’armement modernes et susceptibles d’apporter une plus-value opérationnelle significative est très importante, l’industrie de défense française dispose aujourd’hui plusieurs programmes à la fois très innovants et au potentiel opérationnel incontestable, tant pour les armées françaises que pour les clients à l’exportation de l’industrie française. Ces programmes restent pourtant ignorés des arbitrages budgétaires du Ministère des Armées et de la DGA, alors même qu’ils pourraient se montrer déterminants tant du point de vue opérationnel que pour l’avenir et la pérennité de l’industrie de défense nationale. Dans cet article en deux parties, nous présenterons certains de ces programmes les plus prometteurs, révélateurs des capacités d’innovation de l’industrie de défense française, qui répondent simultanément à des besoins nationaux et internationaux, et qui, en ce sens, mériteraient d’être pris en compte par les autorités françaises.

Sous-marin conventionnel de nouvelle génération SMX31 (Naval Group)

Au delà du pathétique épisode australien, qui aujourd’hui commence à poser plus de questions qu’il n’était sensé apporter de réponses à Canberra, le groupe naval militaire français Naval Group est aujourd’hui un des rares spécialistes reconnus sur la scène internationale capable de concevoir et de fabriquer tout à la fois des sous-marins à propulsion nucléaire comme les SNA de la classe Suffren, et des sous-marins à propulsion conventionnelle comme les Scorpene et le Shortfin Barracuda. C’est en outre le seul industriel sur la planète à réussir l’exploit d’exporter des sous-marins à propulsion conventionnelle, en l’occurence 14 sous-marins de type Scorpene vendus au Chili, à la Malaisie, à l’Inde et au Brésil ces 20 dernières années, alors même que la Marine Nationale française ne met en oeuvre que des sous-marins à propulsion nucléaire. Mais cet exploit commercial comme industriel met également le groupe français en situation de fragilité, puisque contrairement à l’Allemagne, la Suède, la Russie ou encore la Corée du Sud et le Japon, Naval Group ne peut s’appuyer sur des programmes nationaux pour enrichir et faire évoluer sa gamme de sous-marins à propulsion conventionnelle, alors même qu’ils représentent plus de 50% de ses exportations.

Vue dartiste du demonstrateur SMX31 de Naval Group Analyses Défense | Australie | Brésil
Le SMX31 présente par Naval Group offre une conception radicalement nouvelle dans le domaine de sous-marins à propulsion conventionnelle de petit et moyen tonnage

Si le Scorpene a largement fait ses preuves, et que le Shortfin barracuda, avorté en Australie, n’en représente pas moins une solution unique de sous-marin conventionnel à capacité océanique, le groupe français se doit de préparer la relève dans les années à venir, pour tenter de rester performant sur ce marché hautement concurrentiel. C’est ainsi qu’il développa le concept SMX-31, un sous-marin à propulsion conventionnelle révolutionnaire en bien des aspects, et susceptible de le placer au sommet de la hiérarchie mondiale dans ce domaine pour plusieurs années, voire décennies, si tant est qu’il puisse voir le jour. En effet, ce sous-marin de 3000 tonnes est un concentré de nouvelles technologies qui représente l’aboutissement de l’ensemble des savoir-faire et des expériences acquises par le groupe français dans ce domaine.Capable de maintenir, grâce à ses batteries de nouvelle génération et son système propulsif innovant, une vitesse de croisière de 6 noeuds pendant plusieurs semaines en plongée, il sera capable de mettre en oeuvre un impressionnant panel d’armements et d’équipements de combat, allant de la torpille au missile de croisière à changement de milieux, en passant par des mines sous-marines et des drones de différents type, avec un équipage de seulement 15 hommes, dans des conditions de discrétion acoustique et d’engagement collaboratif très avancées.

Quel intérêt pour les Armées françaises ?

Aux dires de l’Etat-Major de la Marine Nationale, il serait aujourd’hui préférable pour elle d’acquérir 2 SNA supplémentaires de la classe Suffren, que de financer la conception de 4 nouveaux sous-marins à propulsion conventionnelle, comme le SMX-31. Cette posture n’a rien de nouveau, puisqu’il s’agit simplement ici de concentrer les capacités d’investissement étriquées dont elle dispose vers des équipements offrants le potentiel global immédiat le plus élevé. Ce même raisonnement faisait dire aux Amiraux commandant la Force d’Action Navale et l’Aéronautique Navale au début des années 90, qu’il était préférable d’acquérir des F/A 18 américains d’occasion pour remplacer les Crusader et les Super Etendard, plutôt que de financer le programme Rafale. Force est de constater qu’aujourd’hui, les Rafale volent et évoluent toujours, y compris pour les premiers F1 livrés en 2000, alors que le F/A 18 est retiré du service partout dans le monde. Il en va ici du même raisonnement, puisque les capacités offertes par un SMX-31 pour la Marine Nationale sont, dans une perspective globale, bien plus interessantes que la simple augmentation de la flotte de Suffren, par ailleurs nécessaire.

Suffren Submarine SSN SNA Marine Nationale 1 Analyses Défense | Australie | Brésil
Le SMX31 ne peut se substituer aux SNA de la classe Suffren. En revanche il peut effectuer de nombreuses missions qui seront confiées à ce sous-marin pour une empreinte budgétaire et humaine bien plus légère, permettant une montée en puissance autrement plus souple de la Marine Nationale

En effet, de part ses capacités, sa grande discrétion, mais surtout son empreinte humaine très réduite avec un équipage de seulement 15 membres, qui plus est sans compétence nucléaire, le SMX-31 offrirait une souplesse en matière de monter en puissance bien plus importante que celle offerte par les SNA, en particulier pour assurer certaines missions comme la sécurisation des ports et arsenaux, en particulier l’entrée/sortie des SNLE et des unités navales majeures, mais aussi des missions de renseignement et de déni d’accès, qu’il s’agisse d’opérer en mer fermée comme en Méditerranée, ou pour protéger les espaces maritimes ultra-marins, aujourd’hui singulièrement exposés. Car s’il est vrai qu’un SMX-31 ne pourra pas effectuer certaines missions confiées aux SNA, il est également vrai que le SNA est en bien des aspects sur-qualifié et donc très coûteux pour de nombreuses missions qu’il effectue aujourd’hui, missions qui pourraient être confiées à des unités plus légères et moins onéreuses comme un sous-marin à propulsion conventionnelle à faible empreinte. Le même raisonnement s’applique d’ailleurs dans le domaine des unités de surface, une flottille de corvettes bien armées ayant sans le moindre doute une grande utilité pour gérer la montée en gamme de la Marine Nationale.

Quel est le marché potentiel à l’exportation ?

Outre un intérêt domestique évident, le SMX-31 pourrait constituer le fer de lance de l’offre sous-marine de Naval Group dans les 2 ou 3 décennies à venir, en prenant de court l’ensemble des constructeurs mondiaux tant il se positionne en amont des programmes actuellement en cours, ou sur les planches à dessin des industriels concurrents. Or, avec la démocratisation des systèmes anti-navires à longue portée, et parfois hypersoniques, les besoins en matière de capacités sous-marines des marines mondiales vont aller croissant dans les années à venir, en partie vers des capacités océaniques couvertes par les SNA Suffren et les Shortfin Barracuda, mais également vers des capacités côtières et/ou défensives, pour lesquels le nouveau concept de Naval Group offrirait des performances sans concurrence et un rapport performances-prix inégalé. Alors que la construction de sous-marins destinés à l’exportation représente une activité stratégique pour la pérennité du groupe naval français, le SMX-31 serait indubitablement un atout de taille pour se confronter à ce marché dans les années à venir.

A26 Analyses Défense | Australie | Brésil
Le modèle A26 suédois préfigure les sous-marins à propulsion conventionnelle de nouvelle génération, mais reste en retrait au regard des innovations proposées par le SMX31

A l’inverse, sans ce nouveau modèle très innovant, Naval Group sera contraint de proposer, comme il le fait aujourd’hui, des Scorpene aux capacités étendues, lui même dérivé de l’Agosta, qui risquent fort au fil des années de voir leur attractivité s’étioler face aux nouveaux modèles comme le Type 212 NG allemand, le A26 suédois et surtout le Taigei japonais et Dosan Ahn-cho sud-coréen, ces deux pays opérant la plus grande flotte de sous-marins à propulsion conventionnelle en occident. Or, si Naval Group venait à se voir priver du marché export de sous-marins, cela pourrait mettre en péril la pérennité même de l’activité sous-marine du groupe, que l’on sait ö combien indispensable à la mise en oeuvre de la dissuasion nationale française, la Marine Nationale à elle seule n’ayant pas capacité à alimenter en activité un tel secteur industriel sur son cycle générationnel de 30 ans. En outre, en dehors des contrats d’états, le groupe français ne peut compter que sur ses actionnaires, Thales et l’Etat français, et sur ses propres bénéfices, pour envisager de developper des équipements innovant en fonds propres, ce qui représente à chaque fois un risque non négligeable, d’autant que l’Etat français n’est pas enclin à soutenir ce type d’initiative, comme nous le verront au fil de cet article.

Hélicoptère à haute performance Racer (Airbus Helicopters)

Depuis l’avènement du Bell V-22 Osprey, puis le lancement du programme Futur Vertical Lift, l’industrie américaine semble faire cavalier seule depuis deux décennies dans le domaine des hélicoptères militaires à haute performance. Les deux grands groupes américains, Bell et Sikorsky, se livrent en effet une compétition féroce dans ce domaine, qu’il s’agisse de remplacer les UH-60 Black Hawk du programme FLRAA, ou les OH-58 Kiowa et une partie des Ah-64 apache pour le programme FARA, avec des appareils capables de maintenir une vitesse de croisière de plus de 200 voire 250 noeuds, et des capacités d’évolution et d’accélération sans commune mesure avec les voilures tournantes actuelles. Dans ce domaine, l’hélicopteriste européen Airbus Helicopters a pourtant conçu une technologie d’une élégante simplicité mais qui fait jeu égale avec les solutions américaines en matière de performances : le Racer.

RACER Airbus Analyses Défense | Australie | Brésil
Le Racer d’Airbus Hélicopters offrent une solution efficace et élégante aux besoins de performances accrues des voilures tournantes

Dérivé du démonstrateur X3, les développeurs du Racer ont remplacé le pas cyclique de l’hélicoptère, le traditionnel fenestron que l’on retrouve sur beaucoup d’hélicoptères français, par deux nacelles munies d’une hélice propulsive, assurant simultanément la fonction d’anti-couple pour neutraliser le couple du rotor principal, et une fonction propulsive comme pour le Sikorsky Raider-X du programme FARA. Mais contrairement à ce dernier, qui nécessite l’utilisation d’un rotor contra-rotatif lourd et complexe, ou du V280 Valor de Bell qui s’appuie sur la technologie des rotors basculants tout aussi ardue, la solution proposée par Airbus est à la fois simple, fiable, robuste et économique, puisque l’énergie qui alimente les deux nacelles propulsives est directement prélevée sur la ou les turbines de l’hélicoptère à l’instar des rotors anti-couples, sans pièces mobiles ou moteurs supplémentaires, sources de complications et de surcouts. En d’autres termes, dans le domaine des hélicoptères à haute performance, la solution préconisée par le Racer d’Airbus Helicopters est sans conteste la plus performante, en particulier du point de vue opérationnel, pour les besoins des armées.

Quel intérêt pour les Armées françaises ?

L’intérêt pour les Armées françaises de disposer d’un hélicoptère à haute performance est identique à celui recherché par l’US Army avec le programme FVL. Avec les progrès enregistré ces dernières années par l’artillerie et la missilerie moderne, les actions d’aérocombat doivent désormais prendre leur appui à des distances bien plus importantes de la zone d’engagement que ce n’était le cas il y a encore peu de temps. Or, plus un appareil ira vite, plus il sera mesure d’effectuer des rotations entre la zone d’engagement et la zone d’appui, et donc plus il sera possible, avec un nombre d’appareils donné, de renforcer rapidement les capacités d’une force au combat. En outre, plus l’hélicoptère sera rapide, moins il passera de temps à proximité d’éventuelles capacités anti-aériennes adverses, et donc moins il sera exposé. Cette réalité vaut également pour les actions à la mer, notamment dans les domaines de la lutte anti-navire ou anti-sous-marine, soumis aux mêmes contraintes.

SB1 Defiant a rotor contrarotatif Analyses Défense | Australie | Brésil
les solutions technologiques retenues par les avionneurs américains dans le cadre du programme FVL dont loin d’être aussi compétitives que celle développée par Airbus Helicopters avec le racer

En outre, et contrairement aux technologies employées par les avionneurs américains dans le cadre du programme FVL, celle employée autour du démonstrateur Racer est transposable à tous les types d’hélicoptères, y compris des appareils légers. On en peut en effet pas imaginer un hélicoptère léger équipé de rotors basculant comme le V280, raison pour laquelle Bell a présenté une configuration classique optimisée dans le cadre du programme FARA, mais dont les performances seront moindre avec une vitesse de croisière de seulement 185 neuds et non 220 comme le Défiant de Sikorsky. De même, avec son rotor contrarotatif et son hélice propulsive, de même Sykrosky Defiant aura une empreinte logistique et budgétaire bien plus importante à celle d’un Racer, le rendant peu adapté à la conception d’hélicoptères légers, par nature économiques à l’usage. Or, les hélicoptères légers jouent eux aussi un rôle crucial au sein des armées françaises, comme le montre les attentes non feinte des 3 armées concernant les premières livraisons du H160M Guépard du programme HIL.

Quel est le marché potentiel à l’exportation ?

Comme pour le SMX-31, le potentiel à l’exportation du RACER, ou plutôt d’appareils militaires employant cette technologie, serait considérable, d’autant plus qu’il serait disponible rapidement, avant ou en même temps que les modèles américains issus du programme FVL, de sorte à ne pas rater le marché initial déjà largement défriché par les Etats-Unis. En effet, cette technologie permet de concevoir des appareils plus simples, plus légers, plus faciles à entretenir et mettre en oeuvre, et plus économiques à performances égales que ceux des avionneurs américains. De fait, à l’instar de l’écureuil ou du Dauphin à leur sortie, le Racer n’aurait tout simplement pas de concurrence efficace sur son créneau, ni en Europe, ni outre Atlantique, et pas davantage en Russie ou en Chine. Pour peu que les Armées françaises fassent le parie de developper des versions militaires dédiées de cette famille d’appareils, le succès à l’exportation serait garanti et très probablement massif, et ce pendant de nombreuses années, tant il sera difficile de trouver, pour les avionneurs concurrents, une solution aussi performante.

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Contrairement aux solutions américaines, la technologie Racer peut être envisagée sur des voilures tournantes moyennes ou légères, qui continueront de constituer une part importante de la flotte des armées françaises

Cette solution technologique permettrait en outre à l’industrie aéronautique française d’anticiper l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché mondial des hélicoptères militaires et civils, comme la Corée du Sud, l’Inde ou la Turquie, avec des offres très performantes sur le plan économique, mais largement en deçà concernant les performances. Elle pourrait ainsi conserver ses parts de marchés, en dépit de l’arriver de ces nouveaux acteurs, provoquant de fait des difficultés accrues pour ces nouveaux venus pour s’imposer et donc se pérenniser sur ce marché.

Véhicule Blindé léger Scarabée (Arquus)

On le sait, l’industrie de défense française s’est faite une spécialité du developpement des véhicules blindés légers et moyens, très mobiles et économiques. Dans ce domaine, Arquus, ex-Renault Defense/ Panhard, peut s’enorgueillir de plusieurs réussites de taille, comme le célèbre Véhicule de l’Avant Blindée, ou VAB, qui transporta le combattant français pendant prés de 4 décennies, mais aussi l’ERC-90 Sagaie, qui a montré ses capacités opérationnelles en opérations exterieures depuis de nombreuses années. C’est également la société Panhard qui développa le Véhicule Blindé Leger, ou VBL, qui équipe les armées françaises, et qui assure aussi bien les missions de reconnaissance que de liaison et d’aide à l’engagement pour l’Armée de terre sur tous les théâtres extérieurs depuis 30 ans. C’est précisément dans le but de remplacer ce VBL qu’Arquus a développé, en fonds propres, le Scarabée, un véhicule blinder léger de nouvelle génération qui n’a guère à envier à la plus performante des Batmobile.

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De part sa conception, le Scarabée d’Arquus offre une mobilité sans équivalent dans le domaine des blindés légers

Avec un moteur hybride de 330 Cv pour une masse au combat de 9 tonnes, le Scarabée propose en effet un ahurissant rapport puissance/poids de 38 CV lui conférant une mobilité sans équivalent aussi bien sur route qu’en terrain accidenté, notamment à son train propulsif à la direction indépendante lui permettant de se déplacer en crabe. Lourdement blindé pour un véhicule de cette masse, il peut en outre recevoir un armement conséquent, allant de la mitrailleuse lourde de 12,7 mm au canon de 40mm, ainsi que la capacité de mettre en oeuvre des missiles anti-chars ou anti-aériens. Il est conçu pour l’engagement collaboratif, et peut embarqueré tous les équipements nécessaires à cette fonction, comme par exemple ceux apprêtant à la bulle Scorpion de l’Armée de Terre. Enfin, il intègre des capacités de combat autonome, permettant à son équipage de le piloter à distance, par exemple pour reconnaitre une zone à risque, en profitant de sa grande discrétion en propulsion électrique.

Quel intérêt pour les Armées françaises ?

L’Armée de terre française devant remplacer à court terme sa flotte de VBL, on aurait pu croire que le Scarabée eut été une opportunité de choix. Malheureusement, ce dernier souffre des défauts de ses qualités, à savoir d’un cout élevé, le prix d’un VBMR soit 1 m€ dans sa configuration à propulsion hybride selon Arquus. En outre, une grande partie des VBL actuellement en service et qui doivent être remplacés n’auraient que peu d’intérêt pour cette débauche de puissance et de capacités offerte par le Scarabée, et ce d’autant que, comme toujours, de nombreux autres programmes doivent être financés simultanément dans le cadre de la modernisation de l’Armée de terre. Pour autant, il serait fort dommage, et probablement absurde, de ne pas prendre en considération les capacités uniques offertes par ce véhicule pour certaines missions spécifiques, notamment pour les unités de reconnaissance et de combat appelées à intervenir potentiellement en zone d’engagement de haute intensité, pour lequel le Scarabée est taillé.

VBL Analyses Défense | Australie | Brésil
Le remplacement des VBL de l’Armée de Terre peut être l’occasion de commander en petite série le Scarabée afin d’équiper les unités les plus exposées, pour lesquelles les plus-value du blindé d’Arquus seraient les plus significatives.

De fait, ici, ce n’est pas en tant que compétiteur du programme VBAE (Véhicule Blinde d’Aide à l’Engagement) devant remplacer les vénérables VBL que le Scarabée aurait le plus d’intérêt pour l’Armée de Terre, mais comme nouvelle capacité complémentaire, venant s’intercaler aux cotés des EBRC et des VBMR Serval, pour des missions spécifiques en zone à risque, là ou le blindé aurait la plus grande valeur ajoutée, et ce d’autant qu’il peut jouer un rôle déterminant dans de nombreux domaines, là ou le remplaçant du VBAE sera trop léger, insuffisamment mobile et protégé, et les VBMR et EBRC trop lourds. En outre, et c’est loin d’être négligeable, Arquus présente le Scarabée non pas comme un démonstrateur technologique, mais comme un prototype, ce qui signifie qu’il serait potentiellement possible d’en faire l’acquisition sur étagère, et non de devoir passer par la fastidieuse et onéreuse phase de conception, ceci étant particulièrement adapté pour les besoins potentiels en petite série de l’Armée de terre vis-à-vis de ce véhicule aux performances uniques.

Quel est le marché potentiel à l’exportation ?

Selon Arquus, plusieurs armées étrangères ont d’ores et déjà signifié leur intérêt pour ce blindé. Mais comme souvent, elles attendent que les Armées françaises en fassent l’acquisition pour elles-mêmes s’en équiper, ne serait-ce que pour garantir la pérennité du programme sur l’ensemble de la durée de vie du véhicule. En effet, lorsque les Armées françaises font l’acquisition d’un équipement, elle garantissent de fait la disponibilité des pièces détachées indispensables à sa maintenance, mais également l’évolutivité du matériel sur toute sa durée de vie, ce que par défaut, un industriel seul ne peut pas garantir. D’autre part, plus l’équipement est onéreux et intègre des composants technologiques avancés, plus le soutien du pays d’origine est jugé indispensable par les clients potentiels.

Conclusion

Le SMX31, le Racer et le Scarabée ont en commun qu’ils proposent tous les 3 des capacités opérationnelles en rupture avec celles actuellement en service au sein des armées françaises comme de part le monde, et qu’ils sont tous 3 en avance sur les projets les plus avancés en cours de developpement dans le même domaine sur la planète. En outre, ils offrent des perspectives commerciales importantes à l’exportation, susceptibles de plus que compenser les investissements que pourraient faire l’Etat ou les Armées pour en assurer le developpement, et donc la pérennité. Bien évidemment, le principal frein au developpement de ces programmes aujourd’hui est budgétaire, les Armées et son Ministère de tutelle devant jongler chaque année avec des ressources insuffisantes pour réponde aux besoins immédiats de ses forces. Ils ne peuvent dès lors déléguer les crédits nécessaires pour developper un nouveau sous-marins conventionnel, un nouvel hélicoptère de transport à haute performance ou faire l’acquisition de deux ou trois centaines de véhicules blindés en avance de phase, sans handicaper certains programmes critiques.

Se pose alors la question du pilotage de l’innovation de défense dans le pays, ainsi que du pilotage industriel par l’Etat de cette industrie stratégique pour le pays. En effet, aujourd’hui, l’Etat et le Ministère des Armées pilotent ce domaine tel « un bon père de famille », en parant au plus pressé, en évitant les ruptures capacitaires, et en respectant son enveloppe budgétaire. Or, avec l’accélération des tensions internationales et du tempo technologique, cette approche pourrait ne plus être satisfaisante, surtout face à des états qui jouent simultanément le rôle de chef de guerre et de capitaine d’industrie, prenant soin d’équilibrer les investissements dans les deux domaines, en particulier dans l’innovation, et montrant une réelle appétence pour soutenir les programmes les plus prometteurs. C’est le cas aujourd’hui de la Russie, qui fait preuve d’un dynamisme très important dans ces domaines et à d’ailleurs démontré une capacité d’innovation très importante ces dernières années, mais également des Etats-Unis qui ont augmenté les investissements en matière de R&D à un montant record de 122 Md$ en 2022, et surtout de la Chine, qui a mis en oeuvre une politique très efficace pour pousser les innovations jusqu’à leur terme, et pour en évaluer le potentiel de manière quasi-systématique. Une chose est certaine, si la France veut conserver sa place sur le marché international des technologies de défense, et ainsi pérenniser sa propre autonomie stratégique, elle devra porter un regard plus attentif sur les propositions faites par ses industriels, au delà des seules attentes immédiates de ses propres armées.

La Turquie s’enfonce dans le déni concernant ses programmes de défense

A force de vouloir jouer sur plusieurs tableaux à la fois, Ankara semble désormais voir les perspectives concernant ses ambitieux programmes de défense se heurter à la réalité des relations internationales. Ainsi, dans le cadre du programme T-FX visant à concevoir un chasseur bombardier de nouvelle génération pour remplacer les F-4 et F-16 les plus anciens, et qui escompte toujours produire un premier prototype d’ici 2023, le directeur des industries de défense turques, Ismail Demir, a annoncé le 4 décembre que le nouvel appareil serait propulsé, dans sa version initiale, par le réacteur F-110 de l’américain General Electric, le réacteur qui équipe notamment le F-16 et le F-15E. Et de préciser que la production du réacteur serait effectuée localement dans le pays sur la base de la ligne industrielle produisant déjà le F-118, variante du F-110 dénuée de post-combustion.

Toutefois, il est très improbable que Washington, et plus particulièrement le Congrès américain, autorise un tel accord entre General Electric et les autorités turques, sachant que la tendance serait plutôt aujourd’hui à une intensification des sanctions dans ce domaine contre Ankara en s’opposant, par exemple, à la vente de nouveaux F-16 et de kit de modernisation de l’appareil aux forces aériennes turques. Rappelons que c’est également le Congrès Américain qui, suite à la mise en service des batteries S-400 acquises par Ankara auprés de la Russie, avait été à la manoeuvre pour forcer l’administration Trump à exclure définitivement la Turquie du programme F-35, ainsi qu’à réduire significativement les exportations de technologies de défense américaines vers l’industrie du pays, en fin d’année 2020, ceci ayant largement handicapé l’exécution de plusieurs programmes majeurs dont précisément le programme T-FX. En outre, Ankara serait en négociation pour acquérir auprés de Moscou un second lot de S-400, provoquant l’ire des parlementaires américains.

TF X Analyses Défense | Australie | Brésil
La maquette grandeur nature du programme T-FX avait fait grande impression lors du salon du Bourget de 2019, tant elle semblait aboutie. Malheureusement, le programme n’a pas résolu certains aspects cruciaux comme la motorisation depuis cette date, et la perspective de voir le prototype faire son premier vol en 2023 semble de plus en plus hypothétique.

Depuis, Ankara multiplie les initiatives et les coups de bluff pour tenter de donner le change sur la scène internationale, que ce soit en se rapprochant de l’ukrainien Motor Sich qui malheureusement ne dispose pas des compétences pour developper un moteur d’avion de combat moderne, de Moscou en laissant supposer un accord de coopération technologique concernant la motorisation du T-FX, annonce immédiatement démentie par les autorités russes elles-mêmes, qui ont fait état de simples discussions préalables, et donc des Etats-Unis, là encore en présentant publiquement des options très hypothétiques comme des faits, et non pour ce qu’elles sont. Quant à l’hypothèse de developper localement un turboréacteur efficace pour un avion de combat moderne, également régulièrement avancée par les autorités turques, elle est encore moins crédible, tant les technologies requises pour un tel developpement nécessitent des décennies de recherche et d’investissement, comme ont pu en faire l’experience les industries et indiennes ces 30 dernières années.

Malheureusement pour les industries de défense turques, qui étaient pourtant parvenues à des réalisations significatives dans plusieurs domaines, comme celui des drones et des missiles, mais également des blindés, des hélicoptères et des navires de surface, elles rencontrent désormais d’importants problèmes d’activité du fait des impasses technologiques non résolues, et par conséquent et de liquidités. Ainsi, le constructeur de blindés BMC, en charge du programme de char de combat Altay, avait annoncé être dans une situation des plus difficiles il y a quelques mois. Il est possible que cela ait amené les autorités turques à précipiter les négociations avec Seoul concernant la solution de motorisation et de transmission du blindé, obligeant à accepter une acquisition sur étagère, et non un transfert de technologie et production locale comme espéré initialement. En outre, même dans cette hypothèse, il reste possible que Washington, voir Berlin à l’origine des technologies employées sur le char K2 sud-coréen, fassent dérailler les accords entre les deux pays.

altay tank Analyses Défense | Australie | Brésil
Le Char de combat Altay fut lui aussi l’une des vedettes du salon Eurosatory 2018, mais là encore, les sanctions européennes dans le domaine des armements terrestres mirent à l’arrêt ce programme depuis plus de 3 ans.

De même, plus récemment, les médias turques se firent l’écho d’un possible rachat d’Aselsan, le spécialiste de l’électronique embarquée du pays, par des investissements venus des EAU. Celle-ci intervient alors que les deux pays tentent un rapprochement aprés plusieurs années de tensions importantes, notamment dans le dossier Libyen, et la visite, il y a de cela 2 semaines, du Sheik Mohammed Bin Zayed à Ankara avec un plan d’investissement de 10 Md$ en Turquie. Toutefois, en l’absence de confirmation officielle de la part des autorités émiriennes, qui jusqu’ici avaient fléché les investissement en Turquie dans des domaines civiles, mais également de la direction d’Aselsan elle-même, il est possible que cette annonce soit, elle-aussi, quelque peu précipitée. De fait, il apparait que les autorités turques semblent s’enfoncer chaque jour davantage dans une forme de déni de la réalité, alors que la dichotomie entre les annonces publiques et les faits dans ce domaine, semble de plus en plus importante tandis que les difficultés rencontrées par Ankara deviennent plus pressantes.

Il s’agit probablement, pour les autorités turques, de manoeuvres visant à tenter de maintenir sous contrôle et de flatter les aspirations nationalistes de l’électorat du Parti de la Justice et du Developpement du Président Erdogan, alors même que celui-ci s’effrite irrémédiablement depuis plusieurs mois dans les sondages d’opinion, sous les effets de la sévère crise economique que rencontre le pays. Dès lors, il est peu probable que les grands programmes de défense turcs, comme l’ambitieux programme T-FX, évoluent positivement dans les mois et années à venir, tout du moins tant que les autorités du pays persévéreront dans leur posture actuelle.

Face à la crise ukrainienne, l’Europe doit-elle lancer un « Plan Marshall » de la Défense ?

Le 5 juin 1947, le secretaire d’Etat américain et héros de la seconde Guerre Mondiale, le général Georges Marshall, annonça la mise en oeuvre d’un plan massif d’aide aux pays européens pour la reconstruction de leur économie, qui restera à la postérité sous le nom de « Plan Marshall ». En seulement 4 ans, ce furent alors 16,5 Md$, soit 10% du PIB des pays européens du bloc occidental de l’époque, qui furent alloués par les Etats-Unis à la reconstruction européenne sous forme de prêts, et qui permirent au vieux continent de se révéler bien plus rapidement des dévastations de la guerre que prévue, en grande partie en finançant des équipements importés des Etats-Unis. Ce programme fut également un des piliers de la construction européenne, en permettant de ne pas reproduire les erreurs des accords de Versailles de la première guerre mondiale faisant porter à l’Allemagne les couts de la reconstruction. 70 années plus tard, l’Union européenne s’est appuyée sur une mécanisme similaire pour atténuer les effets de la crise Covid-19, en allouant à ces membres un montant global 750 Md€ dans un plan de relance économique représentant 5,6% du PIB de l’Union, là encore pour sortir plus rapidement des effets de cette crise.

Mais il est une autre crise qui se profile aujourd’hui, et qui pour l’heure n’est nullement traitée par les instances européennes. En effet, les tensions croissantes entre Kiev et Moscou, accompagnées d’une mobilisation et d’un déploiement de forces russes aux frontières ukrainiennes, font peser un risque majeur sur la stabilité européenne, tant du point de vue militaire qu’économique et social. En dehors d’une promesse de sanctions sévères venues de la part des Etats-Unis et des Européens, la réponse occidentale à cette offensive russe en Ukraine que certains estiment désormais probable dans les mois, voire les semaines à venir, l’Europe, comme les chancelleries européennes, semblent incapables d’agir et de neutraliser les ambitions du Kremlin.

Les armées européennes face à la puissance militaire russe

Et pour cause ! Outre les réticences bien compréhensibles des dirigeants européens à s’engager dans une escalade militaire et diplomatique face à la Russie, par ailleurs première puissance militaire du Vieux Continent et pourvoyeur stratégique de gaz pour de nombreux pays de l’Union, les pays européens n’ont tout simplement pas la capacité, à eux seuls, de déployer une force armée suffisante en nombre, et en matériel, pour peser dans cette crise. Car face à la menace militaire russe, et le plan de reconstruction des armées de Moscou entamé depuis 2008 après l’intervention en Georgie, et singulièrement accru avec le retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012, les armées européennes, quant à elles, sortent à peine d’une crise capacitaire majeure ayant largement entamée leur potentiels opérationnels. Celle-ci prit ses racines sur deux piliers : l’illusion des « bénéfices de la paix » et de la toute puissance technologique occidentale suite à l’effondrement du bloc soviétique d’une part; et les effets des guerres anti-terroristes ou qualifiées comme telle, en Afghanistan, en Irak ou au Sahel, d’autre part; tous ayant concouru à considérablement éroder les moyens dont disposaient les armées européennes, ainsi que les budgets nécessaires à leur recapitalisation.

zapad2021 sept2021 Analyses Défense | Australie | Brésil
Selon le renseignement américain, 175.000 militaires d’active et 100.000 réservistes seraient en cours de déploiement le long de la frontière ukrainienne par les Armées russes.

Pour l’heure, le plan de relance de l’UE lié à la crise Covid est avant tout fléché vers des actions de relance et de modernisation des économies nationales. A l’exception de rares pays, comme l’Italie, les pays européens ont choisi de ne pas attribuer une partie de ces financements européens à l’effort de défense, et à la modernisation / recapitalisation de leurs armées. Pourtant, en dépit des efforts annoncés depuis 2014 pour augmenter les efforts de défense de chacun des membres de l’OTAN à 2% du PIB, la situation actuelle est sans appel à l’est : alors que, selon le renseignement américain, le dispositif offensif russe tend à se composer de 175.000 militaires d’active, plus de 100 bataillions tactiques de combat et plus de 1000 chars de combat, épaulés par prés de 100.000 réservistes en seconde et troisième ligne, les armées européennes ne pourraient, dans le meilleur des cas, mobiliser d’ici un a deux mois, que 50.000 hommes et 250 à 300 chars de combat, un dispositif bien insuffisant pour dissuader Moscou d’agir.

Dans ces conditions, peut-on imaginer qu’un équivalent du plan de relance européen soit lancer, non pas pour relever l’économie des pays, mais cette fois pour rétablir en urgence le rapport de force à l’Est, et ainsi neutraliser les ambitions et aspirations excessives du Kremlin envers ses voisins ? Jusqu’à présent, l’UE a toujours refusé de conférer un statut particulier aux investissements nationaux en matière de défense, laissant donc à chaque pays la responsabilité de flécher ses propres moyens tout en respectant la règle des 3% de déficit budgétaire. Et pour beaucoup de dirigeants européens, les investissements de défense, notamment pour moderniser et étendre leurs forces, intervenaient en fin de priorité face aux besoins économiques et sociaux.

Le risque migratoire de la crise ukrainienne

Mais aujourd’hui, il est un paramètre qui ne peut plus être ignoré par Bruxelles et les capitales européennes, à savoir le risque d’un afflux massif de réfugiés ukrainiens en Europe en cas d’offensive russe dans le pays. En effet, dans cette hypothèse, il est probable que de très nombreux ukrainiens viennent se presenter aux portes de l’UE, afin de fuir les combats comme la possibilité d’un régime sous tutelle russe. Dans une situation similaire face à l’Etat Islamique, 25% de la population syrienne avait fui le pays, soit 6 à 8 millions de réfugiés en 3 ans repartis dans les camps des pays limitrophes. Cette vague créa même un crise politique et sociale en Europe, alors qu’un seul million de réfugiés syriens avait atteint le vieux continent. Dans le cas de l’Ukraine, le risque migratoire pour l’UE s’élèverait donc, en cas d’attaque russe, et sur le même ratio, entre 10 et 15 millions de réfugiés, que les pays européens auraient bien du mal à refouler à la frontière.

refugies Syriens Analyses Défense | Australie | Brésil
La crise syrienne a jeté 6 à 8 millions de réfugiés syriens sur les routes, soit 35% de la population du pays.

En dehors des crises sociales qu’induiraient un tel flux migratoire, avec de réels risques de voir l’Union européenne se disloquer avec la multiplication des .xit comme ce fut le cas avec la Grande-Bretagne suite à la crise des réfugiés syriens en 2015, cette arrivée massive de réfugiés ukrainiens aurait un cout très élevé pour les pays de l’Union européenne, entre 140 et 200 Md€ par an, chaque réfugié ayant un cout annuel pour l’état qui l’accueille de 14.000 €. De fait, et sachant qu’un plan massif d’assimilation et d’intégration de ces réfugiés prendra au minimum 5 ans, Moscou tient entre ses mains un formidable outil de pression de 700 à 1000 Md€ contre l’UE, sans même tenir compte des risques politiques et sociaux, du fait que les Européens eux-mêmes sont incapables, militairement, de neutraliser la puissance des armées russes aujourd’hui.

Un Plan de recapitalisation Défense européen

On le comprend, dans ces conditions, un plan européen destiné à moderniser et accroitre les capacités défensives immédiates des pays de l’Union, prend tout son sens. En effet, il ne faudrait « que » 400 à 500 Md€ de prêts à faible taux d’intérêt et surtout, exclus de la dette souveraine, pour redonner à ces armées les moyens de neutraliser la puissance militaire russe sur le volet conventionnel. En outre, si ces moyens sont fléchés vers des acquisitions d’équipements de défense, de munitions et d’infrastructure, produits en Europe, et non importés des Etats-Unis, le retour budgétaire pour les états européens eux-mêmes équivaudrait aux montants investis, permettant un remboursement rapide des sommes avancées, tout en créant, au passage, 1 million d’emplois qualifiés dans l’UE, et en renforçant considérablement l’autonomie stratégique industrielle européenne. Le retour budgétaire des sommes allouées à l’accueil des réfugiés serait, quant à lui, au mieux équivalent à celui de l’injection directe d’aides publiques dans l’économie, soit entre 35 et 50% des montants investis selon les pays. De fait, tant du point de vu économique que politique et militaire, la mise en oeuvre d’un plan de relance « défense » européen, offrirait les meilleurs perspectives de succès mais aussi de soutenabilité très importantes, tout en neutralisant la puissance opérationnelle des armées russes, Moscou étant dans l’incapacité de suivre un tel effort sur le plan budgétaire.

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La recapitalisation des forces armées européennes doit s’appuyer sur des équipements existants et disponibles immédiatement, et non sur des programmes à moyens ou longs termes

Bien évidemment, pour être efficace, la mise en oeuvre d’un tel plan se doit de répondre à de nombreux critères, comme un fléchage vers les investissements et non des couts de fonctionnement, un effort soutenu des capitales européennes pour accroitre le format de leurs forces armées, et surtout un critère de temps, le besoin étant à court terme, et non à moyen ou long terme. En outre, il serait probablement nécessaire de se coordonner avec l’OTAN et les Etats-Unis, en permettant à ces derniers, par exemple, de proposer un système de financement équivalent, pour peu que les investissements consentis intègrent un minimum de 50 à 70% de production locale européenne dans la valeur de chaque contrat. Enfin, un tel programme doit s’accompagner d’une solution de financement à destination des industriels eux mêmes, qui devront accroitre leurs capacités industrielles de manière sensible sur des délais courts, et donc avoir accès aux solutions de financement pour y parvenir.

Conclusion

Reste que l’équation économique, politique et sociale, est aujourd’hui sans appel. Si l’Europe continue de faire la politique de l’autruche dans le dossier ukrainien, Moscou pourrait bien disposer d’une arme bien plus redoutable que sa propre force militaire pour disloquer l’Union européenne voire une partie de l’OTAN, et faire plonger la majorité des pays européens dans une crises économique et sociale sans équivalent. Il apparait donc non seulement pertinent ou souhaitable, mais indispensable que les autorités européennes se penchent dans les délais les plus brefs sur le sujet de la recapitalisation militaire à court terme de ses membres, de sorte à répondre aux risques en cours et à venir, quitte à devoir jouer la montre temporairement avec Moscou en cédant sur certaines revendications permettant de contenir le risque immédiat d’offensive sur l’Ukraine.

Plus de détails sur le futur hélicoptère de combat Tigre III européen

Alors que l’on ne sait toujours pas si Berlin fera le choix de préserver et faire évoluer sa flotte d’hélicoptères de combat Tigre, ou de s’équiper d’AH-64 Apache américains, Airbus Hélicoptères a détailler les améliorations qui sont prévues sur le futur standard Tigre III, qui doit permettre à l’appareil de rester en service jusqu’en 2035, et l’arrivé d’un éventuel nouvel hélicoptère de combat européen. Ainsi, cette nouvelle version intégrera une évolution avancée des capacités de gestion de mission, de communication et d’engagement coopératif de l’appareil, avec un cockpit redessiné se rapprochant des Glass Cockpit des appareils de nouvelle génération, des systèmes redondant de géolocalisation satellite GPS et Galileo, un système de communication crypté de nouvelle génération, probablement compatible CONTACT pour la France, ainsi qu’un système de gestion des données tactiques du champs de bataille, permettant notamment au futur appareil de s’intégrèrent dans la bulle SCORPION de l’Armée de Terre.

Mais l’évolution la plus remarquable, pour ce qui concerne les hélicoptères de l’Aviation légère de l’Armée de Terre, sera incontestablement l’arrivée d’un mat optronique surplombant le rotor principal, permettant à l’appareil d’observer le champs de bataille, voire de guider ses munitions, tout en conservant la protection du couvert offert par le relief ou les éléments humains. Il s’agira d’un mat de nouvelle génération, et non du mat employé sur la version UnterstützungsHubschrauber Tiger (hélicoptère de soutien tigre) ou UHT. En outre, l’appareil disposera d’une nouvelle suite d’auto-défense intégrant un détecteur radar et laser, un détecteur de tir de missile, ainsi qu’un lance-leurres Saphir Modernisé de MBDA, permettant à l’appareil d’opérer même dans un espace aérien contesté, et donc en situation de Haute Intensité. Enfin, le Tigre III permettra de contrôler des drones, une capacité désormais indispensable pour l’engagement moderne.

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La version UHT du Tigre en service au sein de la Bundeswehr dispose déjà d’un mat optronique, car conçu en priorité pour intervenir sur le théâtre européen.

En revanche, les nombreux points de divergence qui subsistent entre Paris, Madrid et Berlin, resurgissent dans la présentation faite par Airbus Helicopters. concernant son nouvel appareil. Ainsi, l’intégration de nouveaux missiles est évoquées, sans être détaillée. Pour la France, le nouveau missile antichar devait être issue d’une coopération européenne, et potentiellement reposer sur une version à portée accrue du nouveau MMP de MBDA, en service au sein de l’Armée de terre française. Berlin, de son coté, privilégie la nouvelle version du missile EuroSpike de conception israélienne, mais assemblé en Allemagne. Si tant est que les autorités allemandes decident effectivement de poursuivre le developpement du Tigre, il est dès lors fort probable que, comme pour les versions précédentes, les livraisons finales seront différenciées selon les clients, et non standardisées.

Reste à voir, désormais, dans quel sens soufflera le vent outre-rhin. La nouvelle coalition tripartite étant parvenue à un accord, le nouveau chancelier Allemand Olaf Sholz et son gouvernement ont pris aujourd’hui les rênes du pays. Il faudra donc encore attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant que le nouveau gouvernement se prononce sur ces arbitrages, d’autant que la nouvelle ministre de La Défense, Christine Lambrecht, est une juriste certes expérimentée, mais n’avait jamais jusqu’ici exercé de fonction liée aux questions de défense. En revanche, coté français, la modernisation des 67 Tigre de l’Aviation légère de l’Armée de Terre est attendue avec impatience, d’autant que les appareils sont employés de manière intensive au Sahel, et que les premiers détachements équipés de blindés du programme SCORPION y sont eux aussi déployés.

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La flotte d’hélicoptère Tigre de l’ALAT est fortement sollicitée dans le cadre de l’intervention française au Mali, pour les missions d’escorte et d’appui feu des troupes aéroportées et au sol.