La Marine Nationale va bientôt recevoir les premiers éléments du programme SLAM-F pour Système de Lutte Anti-Mines du Futur, destinés à remplacer les chasseurs de mines de la classe Eridan dans les années à venir.
Durant la Guerre Froide, les Marines occidentales disposaient d’une impressionnante capacité de lutte contre les mines navales, marquée en particulier par le prolifique programme de Chasseur de Mines Tripartites qui permit à la France, la Belgique et les Pays-Bas de s’équiper de 35 navires de haute technologie particulièrement performants entrés en service entre 1981 et 1990.
En 2010, dans le cadre des accords de Lancaster House, la France et la Grande-Bretagne s’engagèrent à concevoir conjointement le programme Maritime Mine Counter Measures, ou MMCM, afin de développer les nouvelles capacités de lutte contre les mines sous-marines à horizon 2030.
En France, ce programme fut désigné par l’acronyme (attention, il y en aura beaucoup …) SLAM-F, pour Système de Lutte Anti-Mines du Futur, et divisé en 3 étapes : une étape de conception et de prototype de 2015 à 2022, une étape de capacité opérationnelle initiale de 2022 à 2025, puis une étape de montée en puissance jusqu’en 2028, voire 2030.
C’est précisément la fin de cette première étape débutée en 2015 que vient de marquer la livraison annoncée du premier prototype du SLAM-F développé par Thales à la Direction Général de l’Armement de Brest, ou plutôt du Module de Lutte Contre les Mines, ou MLCM, qui avait été qualifié en juin 2020, et qui connu une intensive campagne d’essai depuis cette date. Ce module se compose d’un navire de surface autonome, lui-même mettant en service un sonar remorqué, des drones sous-marins autonomes et un robot téléopéré pour détecter puis neutraliser les mines navales.
Les chasseurs de mines Tripartite de la classe Eridan forment aujourd’hui l’ossature de la capacité de guerre des mines de la Marine Nationale
Les MLCM, ainsi que les drones qu’ils mettront en œuvre, seront contrôlés par liaison cryptée, soit à partir d’un des futurs Bâtiments de Guerre des Mines, ou BGDM, dont la première unité destinée à remplacer les chasseurs de mines Tripartite encore en service, verra sa construction débutée en 2024, soit directement par un poste de commandement de la Marine Nationale basé à terre par saison satellite.
En effet, le MLCM et toute sa panoplie de drones, pourra se voir transporter par voie aérienne, notamment par avion A-400M, ceci permettant un déploiement très rapide des moyens anti-mines pour les armées françaises, et ce, partout sur la planète, avec un préavis exceptionnellement court.
Au cours de la Loi de Programmation Militaire en cours et se terminant en 2025, la Marine nationale devait recevoir deux Bâtiments de Guerre des Mines, ainsi que 4 MLCM, pour objectif final de disposer d’au moins 4 de ces navires, et 8 MLCM en 2030, alors que 5 Chasseurs de Mines Tripartite de la classe Eridan resteraient en service.
Mais il est probable que ce nombre sera revu à la hausse lors de la prochaine loi de Programmation, la Marine Nationale estimant son besoin à 6 bâtiments et 10 à 12 MLCM d’ici à 2030 afin de répondre aux besoins opérationnels croissants, soit une flotte équivalente à celle des Marines belges et néerlandaises, qui ont confié à Naval Group et ECA la conception et la fabrication de 12 navires de guerre des mines, six par marine, sur un modèle opérationnel et technologique proche de celui du programme SLAM-F.
En dépit des progrès réalisés en matière de système de détection, les mines navales et sous-marines continuent de représenter une menace bien réelle, aussi bien pour les navires de commerce que pour les bâtiments militaires. Ainsi, l’une des missions prioritaires du nouveau système SLAM-F sera de garantir la sécurité des sous-marines nucléaires lanceur d’engins de la composante sous-marine de la dissuasion nationale, et joueront donc un rôle déterminant dans la sécurité du pays.
Le programme SLAM-F aura notamment pour mission de garantir la sécurité des SNLE français lors des manoeuvres à proximité de leur port d’attache de l’ile Longue, en rade de Brest.
En outre, ils garantiront l’accès aux ports et arsenaux français, en Métropole comme en outre-mer, ainsi que la sécurité des grands axes de transit maritimes, de sorte à préserver les lignes commerciales comme la sécurité des navires de la Marine Nationale. Ils pourront, enfin, participer, comme le font régulièrement les chasseurs de mines de la classe Eridan, à des actions de déminage dans un cadre international, comme ce fut le cas dans le Golfe Persique et le Detroit d’Ormuz.
Alors que le développement des mines sous-marines a connu, ces dernières années, une accélération technologique sensible, particulièrement du fait de l’arrivée massive de la robotique et de l’Intelligence artificielle, les technologies développées dans le cadre du programme SLAM-F pourront également générer un intérêt certain sur la scène internationale, et ce, d’autant que très peu d’offres similaires sont en cours de conception dans le monde.
On pense en particulier à des pays comme la Grèce, mais aussi l’Égypte, le Qatar ou les Émirats Arabes Unis, voire l’Arabie saoudite, particulièrement exposés à ce type de risque sur leurs cotes face à la Turquie ou l’Iran, tout comme les pays baltes ou les pays scandinaves en Mer Baltique, ou la Roumanie et la Bulgarie en Mer Noire face à la stratégie russe de déni d’accès.
On le comprend, le programme SLAM-F, s’il n’a pas l’aura médiatique de certains programmes majeurs comme les Frégates de Défense et d’Intervention, ou les sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Suffren, n’en constitue pas moins une composante clé pour l’avenir des capacités défensives navales françaises, tout comme pour son industrie navale de défense. À ce titre, il mériterait probablement une désignation moins barbare que la suite d’acronymes qui le compose aujourd’hui, et qui rend toute communication à son sujet aussi indigeste que décourageante, même pour les plus initiés.
Depuis le milieux des années 2010, chaque nouvelle loi de financement du Pentagone donne lieu à un bras de fer entre l’US Air Force et le Congrès américain, au sujet du retrait accéléré d’appareils jugés inadaptés aux besoins opérationnels modernes, de sorte à libérer des moyens budgétaires et humains pour accueillir de nouveaux équipements, et en particulier le F-35A Lighting II et le futur NGAD, destiné ç remplacer les F-22 d’ici la fin de la décennie. Et chaque année, un avion concentre cette opposition, le A-10 Thunderbolt II, le mythique avion d’appuis feu à basse altitude, qui fut conçu pour éliminer les colonnes de chars soviétiques en Europe centrale dans les années 70, et qui fit merveille lors des opérations militaires des années 2000 et 2010, en particulier en Irak et en Afghanistan. Cette année n’aura pas fait exception, alors que la loi de financement vient d’être amendée par la Chambre des Représentants.
Selon cette loi, qui doit encore être votée par le Sénat, l’US Air Force recevra bel et bien 48 F-35A comme demandé, ainsi que 17 F-15EX, ainsi que les avions de transport C-130J, les ravitailleurs KC-46 ou encore les T-7A Red Hawks demandés. En outre, elle pourra retirer du service pas moins de 160 appareils jugés trop anciens pour représenter une plus-value significative face à la Chine, parmi lesquels 47 F-16C/D, 48 F-15C/D, quatre avions de surveillance électroniques E-8J JSTARS ainsi que 20 drones HALE RQ-4 Global Hawk block 30, auxquels s’ajouteront 18 avions ravitailleurs KC-135 et 14 KC-10, ainsi que 13 avions de transport C-130H. On notera au passage que l’US Air Force va retirer du service 95 chasseurs et qu’elle n’en admettra que 65 pour les remplacer, soit l’équivalent d’un escadron perdu en 2022. En revanche, et comme précédemment face à une US Air Force quelque peu résignée, la demande de l’US Air Force de retirer du service 42 A-10 Thunderbolt a été, une nouvelle fois, rejetée, sous la pression d’un fort lobby de représentants et de sénateurs impliqués autour de la base aérienne de Davis Monthan en Arizona, ou sont postés les Thunderbolt II.
Le F-35A présenté comme le remplaçant, entre autre, du A10, ne dispose ni de la puissance de feu, ni de la résistance suffisante pour mener des missions d’appui feu rapproché, et doit dès lors mener ses frappes à moyenne altitude et distance de sécurité.
Pour l’US Air Force, le A-10 ne peut plus désormais jouer un rôle significatif dans un combat de haute intensité, surtout s’il devait intervenir face à une force militaire évoluée comme l’Armée Populaire de Libération. L’appareil est en effet, jugé trop lent et pas assez furtif pou pouvoir évoluer dans un espace aérien contesté face à des défenses anti-aériennes denses. En outre, conçu initialement pour être engagé sur le théâtre européen, son rayon d’action de combat de 500 km pour les missions d’appui feu et sa vitesse de croisière de seulement 300 noeuds, le rendent peu adapté sur un théâtre d’opération étendu comme dans le Pacifique. Enfin, l’âge avancé de l’appareil entré en service il y a maintenant plus de 40 ans, induit des couts de maintenance de plus en plus élevés, alors que ses capacités d’évolution, notamment en terme d’avionique et de systèmes de communication, sont de plus en plus restreintes alors que les 4 Armées américaines évoluent à grande enjambées vers la doctrine de combat collaboratif Joint All-Domain Command et Controle, qui suppose une pleine et entière capacité coopérative de l’ensemble des unités et des équipements présents sur et autour du champs de bataille.
Pour les membres du Congrès en faveur de la prolongation de l’appareil, la vision est évidemment toute autre. Au delà des facteurs purement économiques et sociaux qui découleraient de la mise à la retraite du A-10, les parlementaires américains mettent en avant plusieurs points non négligeables, en premier lieu desquels les demandes insistantes de l’US Army pour que l’appareil reste en service. En effet, pour des conflits de basse intensité, comme c’était le cas en Afghanistan, en Irak, et comme il peut encore s’en produire de part le monde, le A-10 offre des capacités opérationnelles sans commune mesure avec celles proposées par le F-35A sensé le remplacer. Ainsi, il peut rester au dessus du champs de bataille à basse vitesse et faible altitude pendant prés de 2 heures, et plus s’il dispose d’une capacité de ravitaillement en vol, tout en emportant jusqu’à 18 bombes mk82 de 250 kg ou missiles air-sol Maverik. En outre, il dispose d’une puissance de feu sans équivalent avec son fameux canon de 30 mm Avenger alimenté à 1.174 coups. C’est la raison pour laquelle, durant les deux guerres du Golfe, les demandes d’appui aérien émanant d’unités de l’US Army réclamaient à 70% spécifiquement l’intervention de A-10.
Avec 1174 obus à disposition, le canon de 30mm Avenger du A10 constitue une arme redoutable contre les blindés, positions fortifiées et les unités d’infanterie adverse, pour peu qu’il puisse évoluer dans l’espace aérien au dessus du champs de bataille.
Or, ni le F-16, ni le F-15E, et encore moins le F-35A, ne disposent de telles capacités, et en particulier d’une telle puissance de feu disponible pour soutenir un engagement terrestre. En outre, la plupart du temps, ces appareils évoluent à moyenne altitude pour éviter d’être pris à parti par des canons de DCA ou des missiles MANPAD, ainsi que pour économiser leur carburant, ce qui rend la précision du soutien aérien moindre, le pilote n’ayant pas la possibilité de comprendre précisément la dynamique de l’engagement en cours. Le A-10 est à ce point jugé encore utile par l’US Army que certains avaient émis l’hypothèse de décharger l’US Air Force de cette mission, et de mettre elle-même en oeuvre la flotte de A-10 pour répondre à ces propres besoins. Malheureusement pour elle, il se joue dans un tel dossier des aspects de périmètres exclusifs de mission auxquels l’US Air Force n’était strictement pas prête à renoncer, sachant que des 4 armées américaines, l’US Army est la seule à ne pas avoir la possibilité de disposer de ses propres jet de combat.
Les deux argumentaires ont, de toute évidence, leurs points valides. Mais au delà des postures et perspectives différenciées des deux camps, ce bras de fer met surtout en évidence la faiblesse conceptuelle du programme F-35, non pas en tant qu’appareil, mais en tant qu’avion susceptible de remplacer tous les appareils de l’US Air Force, à l’exception du F-22 dans la mission de supériorité aérienne, ainsi que de plusieurs programmes occidentaux en cours ou à venir, basés eux aussi sur l’extrême polyvalence des plate-formes. En effet, en dépit de ses qualités en matière de senseurs et de furtivité, le F-35A ne pourra jamais apporté un appui feu aussi significatif que celui qui était fourni par le A-10 au dessus du champs de bataille. Non seulement n’a-t-il ni la capacité d’emport, ni l’autonomie suffisante pour le faire, mais même en dépit de sa furtivité, son profil de vol à moyenne altitude lié à sa configuration monomoteur, sa fragilité structurelle et sa manoeuvrabilité médiocre à basse vitesse, l’obligeront à évoluer à distance de sécurité des systèmes sol-air à courte et moyenne portée.
Le drone furtif « bon marché » représente probablement aujourd’hui la meilleure option pour remplacer les capacités opérationnelles qui seront perdues avec le retrait du A-10, pour peu qu’il ait été spécifiquement conçu pour cette mission, et dispose effectivement de la puissance de feu et de l’autonomie requise pour cette mission
Rappelons en effet que la furtivité du F-35 n’est en rien absolue, et quelle ne permet que de s’approcher plus prêt d’un radar sans se faire repérer. Toutefois, sous la barre des 20 à 30 km pour les systèmes les plus courants, le F-35 sera effectivement détecté, et potentiellement engagé. Or, évoluer à basse altitude et à faible vitesse, pour profiter du masquage terrain, pour un appareil monomoteur peu ou pas blindé comme le F-35A, n’est pas envisageable non plus, tant il deviendrait vulnérable aux canons de DCA adverses, ceux-là même contre lesquels le blindage du A-10 avait justement été dimensionné. Le F-35A va donc devoir assurer sa mission de soutien aux forces combattantes, non pas de manière rapprochée, mais de manière distante, utilisant pour cela des armes dites stand-off, c’est à dire larguées à distance de sécurité, armes qui sont, soit dit en passant, beaucoup plus chères et longues à produire que les classiques missiles Maverik, roquettes Hydra, bombes Mk82 et surtout les très économiques obus du puissant canon Avenger. Enfin, cette capacité de soutien distant n’est possible que si les forces aériennes et terrestres engagées sont effectivement en mesure de communiquer, et donc se sont imposées sur le spectre électromagnétique, ce qui est loin d’être garantie.
Dès lors, le problème auquel font face aujourd’hui l’US Air Force et l’US Army, n’est pas lié à la vétusté du A-10, mais à l’absence de remplaçant sur ce créneau précis de l’appui feu rapproché pour soutenir les forces au plus prêt de l’engagement, avec un appareil, piloté ou non, conçu pour survivre dans un espace aérien contesté tout en apportant un regain de puissance de feu comparable à celui du Thunderbolt II. Ce besoin est d’autant plus critique pour les forces armées américaines, que la puissance aérienne est aujourd’hui déterminante pour neutraliser le gradient négatif de puissance de feu dans le domaine des armements terrestres, en particulier face à la Russie, qui dispose d’une densité bien plus importante que celle de l’US Army en matière de systèmes d’artillerie, de lance-roquettes multiples mais également de blindés armés, et ce d’autant que les A-10 représentaient, durant la guerre froide, un atout opérationnel majeur non seulement pour les unités de l’US Army, mais pour toutes les forces de l’OTAN.
La commande de 80 avions Rafale signée vendredi dernier par les Emirats Arabes Unis a profondément boulversé la dynamique industrielle autour de l’avion de combat français, en sécurisant la pérennité et la production de la ligne d’assemblage sur les dix années à venir, et en mettant sur un pied d’égalité le Rafale et le F35, Abu Dabi ayant confirmé qu’il était toujours déterminer à acquérir les 50 avions de combat américains auprés de Lockheed-Martin pour évoluer aux cotés du nouvel avion français. Mais cette commande met également sous pression plusieurs partenaires de la France, qui avaient signifié une intention potentielle de commande de l’appareil, alors que la ligne de production de Merignac passera dans les mois à venir un à rythme de production de 3 avions par mois, considérée comme la limite haute de celle-ci. En effet, plusieurs pays, comme le Qatar, l’Égypte, l’Inde ou l’Indonésie, sont actuellement en pour-parler avec Dassault Aviation, la Team Rafale et les services de l’Etat français, pour d’éventuelles commandes supplémentaires.
Le Qatar fut le second client à commander l’avion de combat français en 2015, peu après l’Egypte. Les 24 appareils commandés initialement furent complétés en 2017 par la levée d’une option pour 12 appareils supplémentaires, ainsi que la modernisation au standard F3R de l’ensemble de la flotte. A cette occasion, Doha prit également une nouvelle option, cette fois sur 36 appareils supplémentaires. Dans le même temps, le petit état gazier commanda 24 Eurofighter Typhoon et 36 F-15QA pour compléter sa flotte de chasse, ce qui laissait alors peu d’espoir à la France de voir cette option se réaliser. La situation est désormais toute autre avec la commande des 80 Rafale Emirati, Abu Dabi étant le principal concurrent géopolitique de Doha dans le Golfe Persique. De fait, Doha pourrait être rapidement tenté de passer une commande supplémentaire en levant l’option de 36 appareils au standard F4, de sorte à aligner 72 Rafale dans une flotte de 132 avions de combat modernes, soit autant que les 130 Rafale et F35 visés par les EAU.
Le Qatar a toujours une option sur 36 Rafale supplémentaires, option qui pourrait être lever sur l’autel de la compétition que se livrent Doha et Abu Dabi dans le Golfe Persique
Pour Le Caire, l’intérêt concernant le standard F4 avait été clairement annoncé alors même que le pays commandait 30 Rafale supplémentaires au printemps dernier, avec l’objectif annoncé d’opérer à terme une flotte de 80 appareils de ce type. Pour les forces aériennes égyptiennes, qui mettent également en oeuvre des F-16 américains mais aussi des Mig-29 et des Su-35 russes, l’intérêt du Rafale est double. En premier lieu, il permet de communiquer aussi bien avec des plate-formes américaines qu’avec des plate-formes russes, la France étant moins rigide que les Etats-Unis dans ce domaine. En second lieu, du fait de l’acquisition de materiels russes, et notamment de chasseurs Su-35 et Mig-29, Le Caire se sait pertinemment exclue de la possibilité d’acquérir à court ou moyen terme le F-35 américain, et le Rafale, dans sa version F4, offre précisément des capacités comparables à celle de l’avion américain.
L’Inde est également l’un des prospects les plus sérieux pour Dassault Aviation, et ce à plusieurs niveaux. En premier lieu, les forces aériennes indiennes pressent New Delhi de commander en urgence un second lot de 36 Rafale, afin de compléter les deux escadrons en cours de formation avec les 36 premiers appareils commandés, et dont la livraison est presque intégralement effectuée. En effet, ces appareils constituent désormais un outil critique aux mains des Forces aériennes Indiennes, pour tenir en respect leurs homologues chinoises et pakistanaises qui, elles aussi, se modernisent à grandes enjambées, avec l’arrivée d’appareils très modernes comme le J-20 ou le JF-17 BlockIII. Dans le même temps, l’avion français est engagé dans une compétition face au Super Hornet américain pour équiper les futurs porte-avions indiens, tout en participant à la compétition MMRCA 2 qui porte sur l’acquisition de 114 appareils légers ou moyens en production locale.
L’Indian Air Force ne cesse de réclamer une seconde commande de 36 Rafale afin de renforcer ses capacités face aux forces aériennes pakistanaises et chinoises.
Or, dans le cas de l’Inde, le Rafale dispose de nombreux atouts sur ses concurrents américains ou européens. En premier lieu, la première commande de 36 appareils intégrait la construction d’un vaste site de maintenance permettant de soutenir une flotte de plus de 150 avions Rafale si besoin. En outre, contrairement au F-16(21), Gripen E et autre F-15EX, le Rafale a déjà été porté aux standards indiens, notamment pour mettre en oeuvre des armements et des équipements spécifiques à l’IAF. Ces deux facteurs concourent à rendre le Rafale économiquement plus compétitif que ses concurrents potentiels. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, en Inde, comme en Egypte ou en Grèce, le Rafale jouit d’une image exceptionnelle auprès de l’opinion publique, et l’annonce de commandes supplémentaires serait incontestablement accueillie très positivement par celle-ci.
L’Indonésie, elle aussi, est en négociation avec la France pour acquérir 36 avions Rafale, dans un effort visant à porter les forces aériennes indonésiennes à 170 appareils d’ici 2030. Si, un temps, l’annonce d’une commande venue de Jakarta était annoncée comme prochaine, il semble désormais que les négociations aient pris une trajectoire plus lente, voire plus difficile, et ce d’autant que le pays a signé un partenariat naval ambitieux avec l’Italie, en acquérant 6 frégates FREMM, sans que la France n’ait eu vent de ces négociations. Il est vrai qu’à l’instar de l’Inde, les négociations en matière de contrats d’armement avec Jakarta sont réputés difficiles, les russes ayant put en faire l’experience avec la commande de 12 chasseurs Su-35 toujours à l’arrêt depuis 5 ans maintenant.
La Grèce a laissé entendre qu’une nouvelle commande de Rafale n’était pas exclue à l’avenir, même si pour l’heure les capacités budgétaires du pays ne permettent pas d’aller au delà des 24 appareils dejà commandés.
Enfin, la Grèce a laissé également entendre qu’une nouvelle commande de Rafale français n’était pas à exclure, en parallèle d’une commande de F-35 américains. Mais celle-ci ne pourra intervenir que dans un avenir relativement lointain, Athènes s’étant déjà engagée lourdement sur le plan budgétaire avec l’acquisition de 24 Rafale et de 3 frégates FDI, ainsi que la modernisation de 80 de ses F-16 au standard Block 70 Viper, et étant actuellement engagé dans des négociations au sujet de corvettes Gowind 2500. En outre, au delà de ses composantes navales et aériennes, les forces armées grecques doivent également désormais financer la modernisation de son parc de blindés médians, soit prés de 2500 véhicules allant de VCI au blindé léger.
D’autres pays ont été désignés comme de potentiels partenaires de la France au sujet du Rafale, comme c’est le cas de l’Irak mais aussi de l’Ukraine. Pour ces pays, comme pour d’autres pays d’Europe de l’Est, d’Asie et d’Amérique du Sud, la solution pourrait venir du modèle mis en oeuvre avec la Grèce et la Croatie, sur la base d’avions d’occasion prélevés sur le parc de l’Armée de l’Air voire de la Marine Nationale, et remplacés par des appareils neufs sur un standard supérieur. Au delà de la perte capacitaire temporaire que de tels contrats peuvent engendrer, cette approche est économiquement positive tant pour l’industrie de défense que pour le budget de l’Etat, tout en permettant aux forces armées nationales de disposer d’appareils neufs, et potentiellement plus aptes à évoluer vers des standards supérieurs, au delà du standard F4.2. En outre, cela permet d’étendre le parc d’utilisateurs de l’avion français, ce qui engendre une activité industrielle récurrente significative avec 100 emplois directs, indirects et induits par avion exporté, et une fidélisation des forces aériennes vers les équipements français. Rappelons en effet que sur les 6 clients exports à ce jour du Rafale, 5 étaient des clients du Mirage 2000.
La prochaine LPM pourrait voir le format de l’Armée de l’Air et de l’Espace, et potentiellement celui de la chasse embarquée de la Marine Nationale, augmenter pour répondre aux nouvelles exigences sécuritaires mondiales
Pour tous ces clients potentiels, une course contre la montre s’est désormais engagée de sorte à bloquer les créneaux de production restant sur la ligne de Mérignac, soit un total de 120 appareils à produire sur les 10 années à venir. Il semble en effet hautement improbable qu’une production locale soit envisagée pour des volumes allant d’une douzaine à une quarantaine d’appareils maximum, de même qu’il serait nécessaire de cumuler au moins 200 à 250 nouvelles commandes sur 10 ans pour justifier de la mise en oeuvre d’une seconde ligne de production. En dehors du contrat MMRCA 2 indien très spécifique, les places sont désormais comptés pour les futurs clients du Rafale, et ce d’autant que la France elle même pourrait être amenée à augmenter le volume de ses propres commandes à partir de 2025, et l’arrivée d’une nouvelle Loi de Programmation Militaire s’appuyant sur un probable nouveau Livre Blanc, faisant fi des formats actuels issus d’une période sécuritaire révolue.
Reste que cette situation est également à double tranchant. En effet, les autres acteurs internationaux, comme Eurofighter et Saab en Europe, ou Boeing aux Etats-Unis, souffrent quant à eux d’un déficit de production, et pourraient dès lors tenter le tout pour le tout pour venir s’emparer de parts de marchés initialement destinées à l’avion français, sachant précisément où venir frapper et avec quels arguments pour tenter d’infléchir les positions des dirigeants de chacun de ces pays. Une chose est certaine, les équipes de négociateurs commerciaux de Dassault Aviation et de la team Rafale, déjà très sollicitées en 2021, vont probablement connaitre une année 2022 tout aussi intense. On ne peut que leur souhaiter le même succès que pour l’année qui se termine !
Si la Marine chinoise est désormais solide en matière de flotte de surface, avec dans les tous prochains mois une flotte composée de 5 croiseurs Type 055 et de 25 destroyers Type 052D en ligne, plus un centaine de frégates et corvettes, elle reste sous la menace des sous-marins américains mais également japonais, sud-coréens voire australiens (dans un avenir lointain, très lointain…), comme l’a montré l’accident de l’USS Connecticut en mer de Chine il y a deux mois. Bien que des mesures à moyen terme aient été prises, comme par exemple l’arrivée progressive des nouveaux sous-marins Type 039C ou le possible remplacement des 20 premières corvettes Type 056 par un modèle aux performances de détection anti-sous-marine accrues, le besoin de renforcer la Défense anti-sous-marine en Mer de Chine du sud et dans la passe Taïwan est quant à lui présent, et requiert des mesures immédiates.
C’est probablement dans cette optique que les forces aéronavales chinoises ont procédé la semaine dernière à un exercice de largage de mines navales à l’aide de leur nouveaux bombardiers à long rayon d’action H-6J, lors d’un exercice combinant minage et bombardement conventionnel, selon le site d’état GlobalTimes.cn citant un reportage de la 7ème chaine de télévision chinoise, consacrée aux forces armées. De toutes les méthodes de lutte anti-sous-marine, le minage des accès navals est incontestablement celle qui peut potentiellement poser le plus de problèmes aux sous-marins américains et alliés. Par nature passive, les mines sous-marines sont très difficiles à localiser pour un submersible en plongée tentant de rester le plus discret possible. En revanche, elles ne sont efficaces que sur des zones de passage relativement étroites et à faible profondeur, comme dans les détroits.
Selon les observations, au moins deux sous-marins Type 039C, disposant d’un kiosque aux formes caractéristiques, seraient à la mer à ce jour
Reste que, eu égard à la géographie particulière de la Mer de Chine du Sud, et du Detroit de Taiwan, cette méthode, certes quelque peu archaïque, peut se révéler très efficace pour tenir à distance les sous-marins occidentaux, en fermant certains détroits clés notamment ceux donnant accès à la Mer de Sulu le long des cotes philippine, voire en bloquant certains passages entre les iles japonaises d’Okinawa et d’Amami-Oshima, permettant à la Marine chinoise de concentrer ses moyens de surface, sous-marins et aériens de lutte anti-sous-marine sur les espaces restants, sans devoir se disperser outre mesure. Une telle solution peut également être envisagée pour rapidement miner les cotes orientales de Taïwan si l’ile venait à être capturée par les forces chinoises, de sorte à empêcher une contre-offensive amphibie alliée.
En revanche, la mise en oeuvre d’une telle stratégie suppose d’avoir auparavant obtenu la supériorité aérienne totale sur l’espace aérien concerné, ainsi que la suppression de l’ensemble des défenses anti-aériennes de l’adversaire. En effet, le largage de mines sous-marines suppose que l’aéronef évolue prés de la surface, à vitesse relativement lente, en faisant une cible de choix pour la chasse ou la défense anti-aérienne adverse le cas échéant. Reste que le fait que les forces aéronavales s’entraînent ouvertement à ce type de manoeuvre, et en font même la promotion publique, apparait incontestablement comme un message adressé à l’US Navy ainsi qu’à ses alliés, pour mettre en garde contre la présence potentielle de ce type de mines désormais en mer de Chine du Sud. Nul doute que ce message aura été entendu à Washington, la perte d’un sous-marin nucléaire occidental détruit par une mine sous-marine chinoise constituant, en ces temps de tension, un casus belli potentiel entre les deux super puissances.
La compétition HX, qui vise à remplacer les F-18 finlandais au cours de la présente décennie, arrive à son terme, et l’appareil sélectionné doit être annoncé dans les jours ou les semaines à venir. Contrairement à de nombreuses autres compétitions récentes, les 5 avionneurs en lice, Boeing avec son F/A 18 E/F Super Hornet, Dassault Aviation avec le Rafale, Eurofighter avec le Typhoon, Lockheed-Martin avec le F-35A et Saab avec le Gripen E/F, ont poursuivi leurs efforts jusqu’à la fin de la compétition, sans jeter l’éponge face à un appel d’offre tronqué en faveur du F-35A, comme ce fut le cas en Belgique ou au Canada. En dépit de cela, il semble bien que la conclusion de cet appel d’offre soit le même que pour toutes les autres compétitions récentes du bloc occidental, et que le F-35A soit appelé à s’imposer une nouvelle fois en terre européenne.
C’est en tout cas ce que croit savoir le site iltalehti.fi, sur la base de plusieurs sources certes anonymes mais donnant toutes les mêmes informations. Ainsi, selon ces informations, le F-35A serait sorti effectivement vainqueur de la compétition, et une recommandation en faveur de l’appareil américain a été transmise aux autorités finlandaises pour qu’elles puissent rendre un arbitrage avant noel. Il semblerait que les performances du F-35A ait convaincu les arbitres finlandais, ainsi que la garantie de voir l’appareil rester en service, et être régulièrement mis à jour, et ce jusqu’en 2060, du fait du jeune âge relatif de cet aéronef en comparaison de ses concurrents. En outre, il semble que les couts d’exploitation du F-35A aient été jugés soutenables par Helsinki, puisqu’inférieur à 4 m€ par an et par appareil, soit la limite imposée par l’appel d’offre finlandais qui ne voulait pas dépenser plus de 10% de son budget défense de temps de paix, soit 260 m€, pour mettre en oeuvre sa flotte.
Les F-18 Hornet finlandais auront donné entière satisfaction aux forces aériennes du pays, depuis leur entrée en service en 1998
S’il reste encore une très hypothèque et infime chance de voir les autorités finlandaises se tourner vers une solution européenne, tout porte à croire que la messe est désormais dite dans le grand nord, et que la Finlande viendra grossir les rangs des utilisateurs de F-35. Il s’agira sans le moindre doute d’un nouveau succès pour Lockheed-Martin qui continue de remporter toutes les compétitions auxquelles l’avion participe, ne laissant aucune chance à ses concurrents américains et européens de s’imposer dès lors qu’il entre en scène. Mais ce nouvel échec du Typhoon, Gripen, Super Hornet et Rafale, aura des conséquences bien différentes selon les constructeurs…
Pour Dassault Aviation, qui vient de signer une année record avec plus de 140 Rafale exportés dont un contrat de 80 appareils aux Emirats Arabes Unis, les effets seront négligeables du point de vue industriel, et ce d’autant que le constructeur français savait qu’il avait peu d’espoir de s’imposer dans cette compétition. Il en va de même pour Airbus DS et son Eurofighter Typhoon, qui mise désormais sur ses partenaires historiques pour assurer la pérennité de sa production, et en particulier sur l’Espagne et l’Allemagne, deux pays ou l’hypothèse de voir surgir le F-35 commence à peser sur l’avenir de l’avion européen. En revanche, pour Saab et son Gripen E/F de nouvelle génération, il s’agit incontestablement d’une grande déception, Stockholm ayant tout misé sur cette dernière compétition pour exporter son nouveau chasseur, sachant qu’il reste engagé face au F-35 au Canada, sans que personne n’estime qu’il ait vraiment ses chances par ailleurs. Pris en tenaille entre le F-16 Viper d’un coté, et les Rafale d’occasion de l’autre, sur ses traditionnels marchés de flottes réduites en Europe et ailleurs, Saab commence à voir le ciel s’assombrir et les perspectives de faire de son Gripen NG un succès international sur les traces de son prédécesseur, s’éloigner à grand pas.
Après la Suisse, le Canada et l’Espagne, la Finlande est le quatrième opérateur de Hornet à tourner le dos au Super Hornet de Boeing.
Mais le coup le plus dur ira sans nul doute à Boeing et son Super Hornet, ayant vu en une seule année, 4 de ses principaux prospects et utilisateurs du F-18 Hornet, se tourner vers le F-35A de Boeing, ou envisager de le faire. Après la désillusion suisse, ce fut au tour de l’Espagne d’annoncer qu’elle ne considérerait que le F-35A/B et le Typhoon pour remplacer sa flotte de Hornet, puis du Canada d’exclure l’appareil de la compétition, pour une offre qui ne répondrait pas aux attentes d’Ottawa. Avec l’échec finlandais, un théâtre pourtant qui convenait bien à l’appareil de Boeing, d’autant que les Hornet avaient donné pleine et entière satisfaction aux forces aériennes du pays, l’avenir du Super Hornet et de sa ligne de production semble désormais plus que compromise, sachant qu’il ne reste désormais guère que l’espoir de voir Berlin effectivement commander les 45 appareils annoncés, et la compétition face au Rafale pour les 57 chasseurs embarqués indiens, pour sauver l’avion américain.
Reste qu’une question se pose au sujet du dossier finlandais. Non pas concernant le choix final du F-35, chose pour le moins attendue, et donc sans surprise, mais sur la fuite de cette décision vers la presse finnoise, qui intervient, chose extraordinaire, seulement 2 jours après que Paris et Abu Dabi aient signé un très important contrat au sujet du Rafale. En effet, jusqu’à présent, les autorités finlandaises avaient pris grand soin de garantir la parfaite maitrise de cette compétition, et de son intégrité, et les fuites potentielles avaient été particulièrement bien contrôlées. Certes, l’annonce finale est proche, mais le fait que la fuite intervienne à peine de jour après la signature du contrat historique du Rafale français, ne laisse que peu de place au doute. Il est des lors plus que probable que celle-ci ait été pilotée de sorte à éviter que l’opinion publique finlandaise ne s’interroge de trop au sujet de l’avion français, ou, pire, que Paris vienne à Helsinki avec une offre de dernière minute susceptible de bouleverser les arbitrages, sur la base de possibles économies d’échelles liées au nouveau planning de production du Rafale. La question est d’autant plus incisive qu’il existe, au sein du gouvernement finlandais, des courants en faveur du choix d’un avion européen, et non d’un avion américain, et que le contrat Emirats pourrait bien donner des ailes à ces partisans d’une position plus européenne de l’arbitrage d’Helsinki.
Malgré ses qualités, le Rafale français ne sera parvenu à s’imposer dans aucune des compétitions face au F-35A américain
En revanche, il est incontestable que ce nouveau succès plus que probable du F-35 en Europe va accroitre la mythologie autour de cet appareil sur la scène internationale, et donc accroitre son attractivité dès lors que les Etats-Unis en autoriseront l’exportation à des pays alliés du second cercle. Ces succès viennent même à influencer l’US Air Force elle-même qui, alors qu’elle était dans une posture agressive afin de réduire le volume de F-35A qu’elle serait amener à commander chaque année pour réduire l’empreinte budgétaire d’exploitation de cette flotte, envisage désormais de retirer du service à court terme des appareils comme le A-10, le F-15 C et E, et même les F-16C les plus anciens, de sorte à libérer des ressources qui seraient comblées par plus de F-35A et de NGAD. Quant à l’hypothèse de remplacer le F-16 par un second appareil issue du programme NGAD, elle semble éliminée du spectre des discussions, tout au moins concernant le débat public.
Quoiqu’il en soit, avec le Canada, la compétition finlandaise constituent les dernières grandes compétitions de remplacement de la flotte de chasse occidentale, pour lesquelles le F-35A fut conçu, et qu’il remporta toute à l’exception, pour l’instant, de l’Allemagne et de l’Espagne. Il est dès lors probable que toute l’attention du departement d’Etat, se portera désormais sur ces deux pays, pour les amener à infléchir leurs positions en faveur du champion américain, et ainsi disposer d’une flotte d’avion de combat homogène en Europe et en Asie, mais également sous controle. Plus que jamais, la France, et dans une moindre mesure la Suède, pourraient faire office d’ilots de résistance face à la main mise américaine en Europe.
L’annonce de la commande exceptionnelle de 80 avions de combat Rafale par les Emirats Arabes Unis fut accueilli, en France, de manière contrastée. Comme c’est devenu désormais la règle à chaque annonce de contrat majeur de défense, un nombre non négligeable de leader politiques mais également d’ONG et de journalistes et éditorialistes, ont remis en cause la pertinence de ce contrat. Il est vrai qu’il ne s’agit pas toujours des mêmes arguments qui sont avancés. Ainsi dans le cas de la Grèce ou de la Croatie, les réserves mises en avant concernaient les capacités de paiement du pays, mais également l’impact sur le parc de l’Armée de l’Air qui se voyait amputé d’une douzaine d’avions Rafale pour chacune de ces commandes, même si, depuis, l’on sait que ces 24 Rafale seront remplacés par des appareils neufs livrés au dernier standard.
Dans le cas de l’Egypte, comme aujourd’hui dans le cas des Emirats Arabes Unis, ce sont des critères moraux qui sont mis en avant, notamment par certains leaders politiques notamment de la Gauche française, parfois avec une diatribe bien peu compatible avec des personnalités se présentant à la Magistrature suprême. Il apparait donc pertinent de poser de manière claire et compréhensible les enjeux qui entourent de tels contrats, tant du point de vue économique et industriel, que du point de vue budgétaire pour les finances publiques, ou selon une perspective technologique et géopolitique. Ce n’est en effet, qu’une fois l’ensemble des aspects consubstantiels à un contrat comme celui passé avec Abu Dabi établi et pondéré, que l’on peut porter un jugement efficace et éclairé.
Près de 40.000 emplois sur 10 ans
Les Emirats Arabes Unis ont donc passé une commande ferme à la France pour 80 Rafale au standard F4, avec une panoplie de services et d’équipements permettant la mise en oeuvre des appareils par les forces aériennes Emiriennes, pour un montant de 16 Md€, dont 2 Md€ pour la seule acquisition d’un stock de missile ai-air MICA NG et de missiles de croisière Black Shaheen. Les livraisons s’étaleront de 2026 à 2031, soit une moyenne d’investissement de 1,6 Md€ par an, et ce pendant 10 ans. De manière très exceptionnelle pour un contrat de cette envergure, celui-ci ne s’accompagne d’aucune obligation de production locale, ou de compensation industrielle. En d’autres termes, les 1,6 Md€ par an pendant 10 ans investis par les EAU dans le cadre de ce contrat, seront intégralement fléchés vers l’industrie de défense française, et son réseau de sous-traitance, lui-aussi national.
Avec le nouveau contrat des EAU, la chaine de production Rafale va passer à 2, puis 3 avions produit chaque mois, amenant à la pérennisation et la création de 40.000 emplois directs, indirects et induits sur 10 ans.
Or, chaque million d’euro dépensésrafale dans cet écosystème industriel de défense français, génère ou préserve 25 emplois pendant une année, dont 10 dans l’industrie de défense elle-même, 8 dans le réseau de sous-traitance, et 7 dans l’économie induite par l’activité générée. Au total, donc, les 1,6 Md€ annuels investis pendant 10 vont générer ou préserver 40.000 emplois sur le sol national, dont 16.000 dans l’industrie de défense elle-même. Dassault Aviation a d’ailleurs déjà annoncé qu’il allait rapidement faire passer la production mensuelle de Rafale de 1 à 2 appareils, puis à 3 dans les années à venir, pour répondre à la demande. Rappelons que 40.000 emplois représentent 40% de l’efficacité constatée du Crédit d’impôts pour la Compétitivité et l’Emploi, ou CICE, mesure phare des années 2015, et qui couta 18 Md€ à l’état pour la seule année 2016 ! C’est également l’ensemble de l’activité salariée privée d’une ville de 140.000 habitants comme Clermont-Ferrand.
La création ou la préservation des emplois liée à ce contrat va également avoir un impact direct sur les finances publiques de l’Etat. En effet, les 40.000 emplois concernés vont générer, en moyenne, 24.000 € de recettes fiscales et sociales dans le pays, soit un total de 960 m€ par an de recettes supplémentaires (fiscales) et de réduction de déficit sociaux, donc de boni budgétaire pour l’Etat qui aujourd’hui compense l’intégralité des déficits sociaux chaque année. A ces 960 m€, s’ajouteront des économies sociales liées au retour à l’emploi d’une part importante des personnels concernés, chacun faisant économiser à l’état, en moyenne 18.000 € par an, soit un total de 720 m€ d’économies sociales, là encore directement imputées au budget de l’état par l’apurement annuel des déficits sociaux. Au total, donc, les 1,6 Md€ par an investis par les Emirats Arabes Unis dans l’industrie de défense nationale vont générer 1,680 Md€ de recettes et d’économies budgétaires à périmètre constant pour l’Etat, et ce sans qu’il soit nécessaire d’investir quoique ce soit en retour, sur le plan économique ou social.
Pérennisation de la filière aéronautique défense
Au delà de l’aspect purement économique, ce contrat, associé aux autres prises de commande de cette année avec 24 avions pour la Grèce dont 12 d’occasion compensés par l’acquisition d’appareils neufs par le Ministère des Armées, 12 avions d’occasion acquis par la Croatie avec une commande prévue pour 2022 en compensation pour l’Armée de l’Air, et 30 appareils commandés par l’Egypte, les commandes en cours et à venir de l’Etat soit 28 appareils de la tranche 4T2 livrables à partir de 2022, 24 appareils en compensation des contrats croate et grecs, et 30 appareils de la 5ème tranche livrables entre 2017 et 2030, vont permettre de sécuriser le plan de charge de la ligne d’assemblage Rafale pour les 12 années à venir, à un rythme évoluant entre 2 et 3 appareils produits par mois, selon que nouvelles commandes seront enregistrées, notamment en provenance d’Inde.Ainsi, la chaine de production Rafale est sans conteste la plus pérenne de toutes les chaines de production d’avions de combat en Occident et en Europe, à l’exception bien entendue de la chaine F-35 aux Etats-Unis.
Au delà de la vente des appareils, chaque Rafale rapportera en moyenne 4 m€ par an à l’industrie de défense française, et ce pendant les 30 à 40 de service de chaque appareil.
Mais l’augmentation de la flotte de Rafale sur la scène internationale va également engendrer une activité récurrente significative pour l’industrie française, chaque Rafale rapportant en moyenne 4 m€ par an pour sa mise en oeuvre à l’industrie de défense nationale. Avec 242 appareils exportés ou commandés à ce jour, c’est donc une activité récurrente moyenne de 1 Md€ par an qui se trouve sécurisée pour la filière aéronautique militaire française, soit 10.000 emplois directs et 15.000 emplois indirects et induits, et 1 Md€ de solde budgétaire annuel pour l’Etat français, et ce pendant au moins les 30 prochaines années. En d’autres termes, les recettes de l’Etat pour la seule partie recourent liée à ces contrats d’exportation, suffisent à couvrir les frais d’exploitation d’une flotte de 250 Rafale au sein des armées nationales.
En outre, en augmentant le parc d’avions en service, et de clients internationaux, l’Industrie aéronautique française étend la ventilation probable de ses investissements (et ceux de l’Etat), dans le cadre de la Recherche et du Developpement nécessaires pour maintenir l’avion français à niveau dans la nouvelle course aux armements qui a débuté depuis une dizaine d’années. Dès lors, ce sont toutes les capacités d’innovation et de developpement technologique de cette industrie qui se trouvent sécurisées par ces nouveaux contrats, même en tenant compte des arbitrages défavorables en matière de partage technologique dans le cadre du programme Européen SCAF. Enfin, avec un parc de plus de 450 appareils à terme, sans préjuger de nouvelles commandes, le programme Rafale va pouvoir réorganiser ses structures de couts, et probablement revoir à la baisse les couts de maintenance et d’évolution, de sorte à rendre l’appareil encore plus attractif dans un avenir proche sur la scène internationale.
Le rôle clé de l’exportation pour l’industrie de défense française
Les succès à l’exportation de l’industrie de défense française, comme c’est le cas aujourd’hui aux EAU, sont le plus souvent interprétés comme un accroissement de marge de la part de cette industrie, et de l’Etat français. Or, il n’en est rien, bien au contraire. En effet, ces exportations sont indispensables pour que l’industrie de défense nationale parvienne à developper en autonomie l’ensemble des équipements nécessaires aux armées françaises, et ce sans devoir s’en remettre, comme le font nos voisins et alliés européens, à des équipements importés, de préférence des Etats-Unis. En effet, pour maintenir une capacité globale de production d’équipements performants, l’état français devrait en moyenne dépenser 50% de plus que ses dépenses actuelles, et passer de 12 à 20 Md€ par an. De fait, ces succès à l’exportation ne constituent pas une marge supplémentaire comme il est aisé de le percevoir, mais viennent compenser un déficit d’exploitation chronique de l’ordre de 6 à 8 Md€ par an, pour que l’industrie de Défense nationale maintienne ses capacités au niveau requis par la compétition internationale.
L’industrie de défense française doit exporter 40% de son activité pour être en mesure de préserver son potentiel technologique et militaire global.
Dans ces conditions, on comprend le rôle décisif que peuventt joueur une commande comme celle venue des EAU, mais aussi d’Egypte et précédemment d’Inde, non pas pour augmenter les marges des industriels, mais pour permettre à l’Etat de piloter plus souplement son effort de défense, d’autant que les sujets de dépense ne manquent pas en ce temps de crise Covid. Ces exportations permettent en effet de préserver, mais également de developper, le capital industriel et technologique du pays, et donc concourent directement à préserver l’indépendance technologique et militaire des armées françaises sur la scène internationale, là ou la majorité des européens ne peuvent agir sans l’aval préalable de Washington.
Le puissance géopolitique des exportations d’armement
Car en effet, les exportations d’équipement de défense confèrent, à celui qui exporte, un puissant outil de négociation avec ses clients sur la scène internationale. Et plus les équipements ont une composante technologique importante, comme dans le cas des avions de combat, plus le bras de levier du pays d’origine est important sur son client, qui pourrait le cas échéant rapidement voir sa flotte d’avions de combat clouée au sol par manque de pièces détachées par exemple. Cet état de fait, par ailleurs souvent mis en exergue dans le cas du F-35 américain vis-à-vis des pays européens, constitue un élément clé du rôle géopolitique des exportations d’armement, et ce d’autant que la concurrence internationale est féroce dans ce domaine, la France n’étant pas la seule, loin s’en faut, à vouloir bénéficier de cet outil. Dès lors, lorsque l’on veut être en mesure de contrôler les dérives potentielles d’un pays quelconque, notamment sur la scène internationale, les contrats d’armement préalablement établis, tout comme les accords de défense, constituent une composante clé du rapport de force qui peut s’établir pour amener à un changement de posture.
L’exportation d’équipements de défense de haute technologie est également un outil de négociation pour Paris vis-à-vis de ses partenaires, si le besoin venait à se faire sentir.
Dans le cas des Emirats Arabes Unis, il convient de rappeler que le pays est aujourd’hui un des plus proches alliés de la France dans le Golfe Persique. Les Armées Françaises y disposent, par ailleurs, d’une base aérienne, d’une base navale et d’un régiment de l’Armée de terre, pour un total de 700 militaires déployés en permanence, qui assurent le controle de la sécurité dans le détroit d’Ormuz, et les missions de frappe contre l’Etat Islamique au Levant. En outre, Abu Dabi n’aurait aucun mal à trouver d’autres pays qui accepteraient bien volontiers de lui vendre des dizaines d’avions de combat, y compris en Europe, et ce sans le moindre remords. Il convient donc de pondérer ses positions, y compris concernant des domaines sensibles comme les droits de l’homme, au regard des réalités géopolitiques et stratégiques auxquelles le pays doit faire face. Cette leçon, Emmanuel Macron l’a apprise de manière brutale en 2019 au Caire, lorsqu’après une allusion aux droits de l’homme lors de la visite du président français dans la capitale Egyptien, les autorités égyptiennes ont exclu les entreprises de défense françaises de plusieurs contrats de défense clés, se tournant vers l’Italie et l’Allemagne, ravis de pouvoir y répondre, et engendrant une perte nette pour l’industrie de défense française de 3 à 5 Md€.
Conclusion
Il est toujours tentant, pour un personnage politique, qui plus est français, de s’arcbouter sur des postures morales, en particulier lorsqu’il s’agit de contrat de défense. Toutefois, il est indispensable de garder à l’esprit que, dans ce domaine, se jouent bien davantage que de simples questions morales, ou même économiques, même si ces dernières sont loin d’être négligeables. Il s’agit, pour un pays comme la France, d’une nécessité stratégique pour maintenir une autonomie technologique de défense nécessaire et suffisante afin d’assurer la sécurité du pays et de ses concitoyens. De même, il s’agit d’un outil d’influence de premier plan sur la scène internationale, d’autant plus efficace que les tensions internationales vont croissantes, pour convaincre nos partenaires de suivre une voie plus en adéquation avec les attentes de Paris. Enfin, il s’agit d’une compétition, dans laquelle la France fait jeu égal dans bien des domaines avec Washington, Moscou et Pékin, et qui confère au pays un poids international bien au delà de son poids economique relatif. Dans tous les cas, il semble évident que chacun de ces dossiers engendre un grand nombre de ramification économiques, géopolitiques et technologiques, qu’il est indispensable de connaitre et de maitriser, avant de porter des jugements parfois dictés par la seule émotion, et bien souvent par un certain opportunisme politique.
Il surclasse ainsi nettement les autres appareils de même catégorie comme l’Eurofighter Typhoon, le Super Hornet ou le Su-35, et même des appareils plus légers de même génération comme le Gripen suédois ou le F-16 Block 70/72+ Viper américain.
Dans le monde, seul le F-35 de Lockheed-Martin, jouissant d’un appui stratégique indéfectible de Washington et d’un budget de R&D 12 fois plus important que celui de l’avion français, fait mieux que le bimoteur français, avec plus de 600 appareils commandés sur la scène internationale.
Pour autant, cette seule année aura vu les commandes de Rafale s’envoler, avec 5 commandes successives venues de 4 pays, pour un total de 146 appareils commandés, soit 60 % des commandes exports totales enregistrées par l’avion français.
Le profil des clients internationaux du Rafale
Ce succès fulgurant et, si pas inattendu, en tout cas fortement espéré, est lié à plusieurs facteurs concomitants, concourant à créer un contexte et une attractivité bien plus importante qu’auparavant du Rafale sur la scène internationale.
En premier lieu, celui-ci est lié à l’aggravation très sensible des tensions internationales, et l’on notera que l’immense majorité des clients du Rafale ont un besoin opérationnel à la fois clair et immédiat, comme c’est le cas de l’Inde face à la Chine et au Pakistan, de la Grèce face à la Turquie, de l’Égypte face à la Libye, au Soudan et la Turquie.
Quant aux Émirats arabes unis, ils doivent faire face à l’Iran et sont engagés dans une compétition intense avec le Qatar, lui-même soutien de la Turquie et en bons termes avec Téhéran.
Sur les six clients internationaux du Rafale, 3 sont en situation de tensions élevées, et deux en situation de tensions moyennes, seule la Croatie étant moins exposée à ses frontières que les cinq autres.
Les Rafale Indiens jouent un rôle central dans la stratégie de New Delhi face à la Chine, ceci laissant supposer d’une commande complémentaire serait possible à court ou moyen terme.
La fidélité des opérateurs de Mirage 2000
On notera également que cinq des clients internationaux s’étant déclarés en faveur du Rafale, utilisaient déjà des avions de combat français, et ce, sur plusieurs générations, et qu’ils mettent en œuvre encore aujourd’hui leurs Mirage 2000, parmi les huit clients exports au total pour le dernier représentant de la famille mirage.
Il existe donc un très important facteur que l’on pourrait qualifier d’atavique dans l’acquisition des avions de combat, non seulement pour le Rafale, mais pour de nombreuses familles d’appareils.
Cette situation n’est pas sans fondement, puisque utiliser un avion de combat importé revient à s’imprégner des doctrines et des procédures de son pays d’origine, tout en développant des liens étroits avec son industrie aéronautique de défense pour la maintenance et l’évolution du parc.
Il est dès lors beaucoup plus simple pour des pilotes et des personnels de maintenance de Mirage 2000 de passer sur Rafale, que pour des personnels habitués aux procédures américaines sur F-16 ou F-18 de faire cette démarche, et inversement.
Si ces deux facteurs ont leur importance dans le présent succès du Rafale, ils n’ont pu se concrétiser que grâce à la perspective de voir arriver le nouveau standard de l’avion français, désigné sous le terme F4.
Depuis son entrée en service au début des années 2000 dans la Marine nationale, le Rafale est passé par de nombreux standards successifs, du F1 naval embarqué spécialisé dans la supériorité aérienne afin de succéder aux vénérables F-8 Crusader, au F-3R actuel, premier standard véritablement omnirôle entré en service en 2018, en passant le F2 spécialisé dans l’attaque pour remplacer les Mirage F-1CT et Jaguar de l’Armée de l’Air, puis le F-3 multimission pour couvrir l’ensemble des besoins des deux forces aériennes.
Une évolution en deux temps : Rafale F4.1 et Rafale F4.2
Le standard F4, quant à lui, entrera en service à partir de 2025, et fera passer le Rafale dans le monde du combat collaboratif et de l’Intelligence Artificielle, ouvrant la voie à des capacités jusqu’ici réservées aux appareils désignés comme étant de la 5ᵉ génération.
Les premiers Rafale F1 de la Marine NAtionale ne disposaient que de capacités de supériorité aérienne. Tous ont évolué vers le standard actuel F-3R
En soi, le Rafale F4 vise des ambitions similaires à celles de nombreuses évolutions d’avions de combat moderne, comme l’Eurofighter Typhoon Block 3C, le Gripen E, le Super Hornet Block III ou le F-15EX. À une différence près, mais elle est de taille : cette évolution était prévue par Dassault Aviation dès la conception de l’appareil, permettant à des appareils de génération antérieure, y compris les Rafale F1 et F2, d’évoluer vers ce nouveau standard.
Cette capacité unique d’évolution du Rafale, sans aucun équivalent aujourd’hui, et largement démontrée au travers des évolutions de l’ensemble de la flotte de Rafale de l’Armée de l’Air et de la Marine Nationale, est incontestablement un facteur clé du présent succès du Rafale aujourd’hui.
Et ce d’autant que ces évolutions ne vont pas s’arrêter au standard F4, même si celui-ci marquera un point tournant clé. En effet, celui-ci est basé non pas sur un, mais sur deux standards différents, le F4.1 ouvert aux appareils déjà en service.
La version F4.2, quant à elle, intégrera certaines modifications structurelles devant permettre les évolutions vers certaines capacités spécifiques au standard F5, notamment dans le domaine de la mission de dissuasion française.
Reste qu’aujourd’hui, un client qui fait le choix du Rafale F3R, sait parfaitement que ses appareils, même acquis d’occasion comme pour la Croatie, pourront évoluer vers les standards F4, F5 et ultérieurs au fil des années, limitant le risque d’obsolescence.
Les points clés du Rafale F4
Le Rafale F4 se caractérise par 5 grands chantiers d’évolution, en cours de réalisation depuis que le contrat de 2 Md€ pour son développement a été signifié par le ministère de La Défense en janvier 2019 :
Modernisation de l’ensemble des senseurs de l’appareil, Il s’agit notamment du radar RBE-2 de Thales qui verra ses capacités accrues, en particulier dans le domaine air-sol avec une définition plus élevée. Le système Optronique en Secteur Frontal retrouvera son canal infrarouge et verra sa définition et ses capacités de surveillance et discernement renforcées. Le système Spectra d’autodéfense, lui, sera profondément modernisé en recevant notamment de nouvelles antennes AESA GaN offrant des capacités accrues en terme d’agilité de fréquence et de spectre électromagnétique. À cela s’ajoutera le nouveau pod de reconnaissance AREOS, capable de traiter et d’analyser en très haute définition presque en temps réel des données multispectrales tout-temps pour donner à l’équipage une vision d’une grande précision du théâtre d’opération survolé, tout en discernant les points d’intérêts particuliers comme le ferait un analyste photographique.
Modernisation des outils de communication, avec l’intégration d’une radio logicielle cryptée UHF/VHF Contact compatible avec le système SCORPION de l’Armée de Terre, d’une communication satellite cryptée compatible Syracuse IV, et d’une liaison directionnelle cryptée à faible énergie pour communiquer et échanger des données au sein d’une même patrouille
Fusion des données venant des senseurs, mais également des communications afin de présenter les informations d’importance à l’équipage dans une Interface Homme Machine de nouvelle génération au sein d’un cockpit évolué intégrant un nouveau viseur à casque très attendu des pilotes. Il s’agira, ici, d’alléger la charge de travail dans le cockpit et ainsi permettre une conduite de mission optimisée.
Intégration de nouveaux armements, en particulier le nouveau missile air-air Mica NG à double impulsions offrant une portée accrue, de nouveaux autodirecteurs plus résistants au brouillage et aux leurres, une plus grande manoeuvrabilité pour une plus grande zone d’évasion impossible; ainsi que la nouvelle version de la bombe propulsée ASSM d’une tonne dédiée à l’élimination des bunkers.
Enfin, le Rafale F4 fera largement appel à l’Intelligence artificielle et s’appuiera sur des capacités de traitement numérique décuplées, tant dans les processus d’analyse des données en provenance des senseurs que pour la maintenance prédictive de l’appareil.
Thales est au cœur de l’évolution du Rafale F4, un savoir-faire unique qui pourrait s’étioler sous le coup du partage industriel au sein du programme SCAF
Des atouts certains, même face au F-35 américain
En d’autres termes, le Rafale dans sa version F4 disposera de capacités comparables à celles des avions de combat de 5ᵉ génération, comme le F-22 ou le F-35, dans une version certes moins furtive, mais conservant les attributs clés de l’appareil, comme sa très grande manoeuvrabilité, sa capacité d’emport et son allonge, tous 3 supérieures à celles du F-35A américain.
En outre, par sa configuration bimoteurs, et l’expérience acquise par l’Armée de l’Air et la Marine Nationale dans le domaine de la pénétration à basse altitude et à haute vitesse, capacités incluses nativement au Rafale depuis la version F-3R, l’avion peut aisément compenser son manque de furtivité relative vis-à-vis du F-35A (en secteur frontal), par une approche masquée à grande vitesse tout aussi efficace, si pas davantage, pour éviter les défenses adverses.
Dernier point, et non des moindres, pour expliquer le succès du Rafale aujourd’hui, les clients ont eu la possibilité de constater par eux-mêmes des qualités de l’appareil, et de ses évolutions.
En effet, 3 des 6 clients internationaux, le Qatar, l’Égypte et la Grèce, ont commandé de nouveaux appareils avant même que la livraison de leur premier lot soit terminée.
L’Inde, de son côté, est pressentie pour faire de même, tant le Rafale est considéré à New Delhi comme la pièce maitresse de La Défense aérienne du pays, notamment face aux nouveaux appareils pakistanais et surtout chinois.
Quant aux Emirates Arabes Unis, ils n’ont pas même pris la précaution de commandes échelonnées, ayant pu observer les performances des appareils déployés sur la base aérienne projetée dans le pays depuis plusieurs années.
De fait, l’acquisition de cet appareil apparait, en bien des aspects, comme « dérisquée » en comparaison d’autres aéronefs, d’autant que le nombre de clients augmente, comme le parc installé d’avions.
5 des 6 clients exports du Rafale mettent encore en œuvre leur flotte de Mirage 2000 acquise dans les années 80 ou 90, marquant le poids déterminant de l’antériorité dans les contrats en matière d’avions de combat
Chacun des aspects évoqués ici n’était peut-être pas suffisant il y a encore quelques années, voire quelques mois, pour convaincre des clients majeurs de se déclarer en faveur du Rafale, notamment face à la concurrence sans merci de la part des Etats-Unis et de leur F-35.
Les plus grincheux pourront penser que la commande Émirienne pourrait être une forme de compensation des Etats-Unis pour le psychodrame des sous-marins australiens.
Mais peut-on raisonnablement penser que Washington irait se priver de 18 Md$ pour calmer un partenaire comme la France, dans un dossier qui, de toute manière, est déjà clos ?
En réalité, il apparait que l’avion français arrive désormais à un niveau de maturité technologique avancée suffisant pour convaincre les clients les plus exigeants et précautionneux, et que son avenir n’est plus aujourd’hui remis en question, tant par l’implication de l’État français dans le programme, que par le succès rencontré sur la scène internationale.
On peut, dès lors, s’attendre à ce que d’autres pays et forces aériennes viennent, eux aussi, à s’intéresser à l’appareil, comme une des rares alternatives « non alignées » au F-35 américain ou Su-57 russe, dans un marché en forte demande, et un contexte géostratégique de plus en plus tendu.
Une chose est certaine, loin des discours de Cassandre des autorités françaises du début des années 2000, le Rafale a su se hisser sur les plus hautes marches de la compétition internationale en matière d’avions de combat, avec une offre technologiquement avancée, économiquement maitrisée, et opérationnellement performante.
Si le présent succès n’était pas garanti, il est cela dit largement mérité !
De toute évidence, Emmanuel Macron ne s’est pas déplacé pour rien lors de sa tournée express au Moyen-Orient du 2 au 4 décembre. En effet, outre le contrat historique de 16 Md€ pour la livraison de 80 avions de combat Rafale au standard F4 et d’un stock de missiles MICA NG et Scalp, les Emirats Arabes Unis ont également commandé à la France 12 Hélicoptères de manoeuvre H225M Caracal, pour un montant estimé entre 700 et 800m€. Cette commande providentielle pour Airbus Helicopter et notamment pour le site de Marignane où seront assemblés les appareils, permettra à l’hélicopteriste européen de passer sans encombre les quelques années de vaches maigres qui s’annoncent, avec un marché de l’offshore moribond et saturé par un grand nombre d’hélicoptères en parc, et un marché militaire lui aussi en suspend, notamment dans l’attente de la commande du programme HIL et de ses H160M Guépard destinés à remplacer les Gazelle, Alouette, Panther et autres Fennec au sein des 3 forces armées françaises.
Contrairement au NH90 issu d’un consortium européen, le H225M Caracal, ultime version de la famille des Super Puma, est un appareil s’appuyant dans sa grande majorité sur la base industrielle de défense française, tout en offrant des performances proches de celles de l’hélicoptère européen. Avec une masse maximale au décollage de 11 tonnes, le Caracal peut emporter 5,7 tonnes de charge utile, soit plus que sa masse à vide de 5,3 tonnes. Il peut ainsi transporter jusqu’à 28 commandos en arme, ou 10 civières dans sa version d’évacuation sanitaire, à une vitesse de croisière de 285 km/h, et sur une distance de près de 800 km, pouvant être étendue grâce à sa perche de ravitaillement en vol télescopique. Il dispose en outre d’une avionique de dernière génération, d’un système de protection anti-missile avec détecteur de tir, lance-leurres et système de brouillage électronique, et d’un système optronique FLIR avancé. Il peut également recevoir différentes configuration d’armement, ceci incluant des mitrailleuses de sabord, des paniers de roquettes ainsi que le missile anti-navire AM-39 Exocet dans sa version navale (commandée par le Brésil par exemple)
Grâce à sa perche télescopique, le H225M Caracal peut être ravitaillé en vol par avion KC-130 et A400M, lui conférant une allonge très importante notamment pour les missions de SAR et des Forces Spéciales
Utilisé par l’Armée de l’Air et de l’Espace dans le cadre de ses missions de forces spéciales et de sauvetage, le Caracal a été commandé par 11 clients exports depuis son entrée en service en 2005, pour un total de 239 exemplaires commandés et/ou livrés. A ce titre, il a largement compensé l’annulation tonitruante du contrat de 50 appareils annoncée par le nouveau gouvernement polonais en 2015 en faveur d’appareils américains. L’appareil a par ailleurs été engagé avec succès en opération de combat à plusieurs reprises, que ce soit en Afghanistan, au Liban, en Somalie ou encore au Mali, engagement durant lesquels il fit la démonstration de son efficacité et de sa robustesse.
Le succès remporté par Airbus Helicopters au Moyen-Orient pourrait bien ne pas être le seul. En effet, Emmanuel Macron doit encore faire une halte en Arabie saoudite en fin de parcours, et il se pourrait bien que Riyad commande à l’occasion entre 30 et 50 hélicoptères légers à l’industrie française, ce qui marquerait un premier pas vers le retour un grâce de Paris dans le Royaume Saoudien. D’une manière ou d’une autre, ces commandes sont indispensables pour le maintien de l’activité globale d’Airbus Helicopters en France, dans l’attente de la signature du contrat HIL et de ses 150 hélicoptères moyens H160M, mais également de la conclusion des discussions entre Paris, Madrid et Berlin au sujet du Tigre 3.
Le H160M Guépard remplacera de nombreux modèles d’hélicoptères légers et moyens au sein des forces armées françaises
Si une commande d’avions Rafale était attendue lors de la visite éclair d’Emmanuel Macron dans les pays du Golfe du 2 au 4 décembre, bien peu espéraient qu’elle atteigne un tel volume ! En effet, le Président français et son homologue émirien, le prince héritier Cheikh Mohammed Bin Zayed Al-Nahyan, communément appelé MBZ, ont signé ce matin deux contrats d’un montant record de 16 Md€ portant d’une part sur l’acquisition de 80 avions Rafale au standard F4 pour 14 Md€, ceci incluant les appareils mais également les infrastructures de maintenance, les pièces détachées et la formation des personnels, ainsi qu’un contrat de 2 Md€ auprés du missilier MBDA pour un stock de missiles air-air MICA NG et de missiles de croisière Black Shaheen, désignation émilienne de SCALP EG déjà en service sur les Mirage 2000-9 qui équipent les forces aériennes du pays. La livraison des avions de combat interviendra entre 2026 et 2030, celle des missiles de 2027 à 2031.
Cette nouvelle commande de l’avion français est exceptionnelle à plus d’un titre. D’une part, il s’agit de la plus importante commande d’avions Rafale jamais enregistrée par Dassault Aviation, y compris venant de la France. Avec les 80 Rafale, les EAU deviendront le premier opérateur international de cet appareil, devant l’Egypte et ses 54 aéronefs. En outre, il s’agit de la plus importante commande en montant jamais signée par l’Industrie de Défense française, puisqu’il n’est ici pas question de contrats itératifs imbriqués comme c’était le cas en Australie au sujet des sous-marins, mais d’une commande ferme et définitive signée d’un seul tenant. Cette commande est également la quatrième enregistrée cette année, après celles venues de Grèce (18+6 appareils), de Croatie (12 appareils) et d’Egypte (30 nouveaux appareils), amenant le total d’appareils vendus sur l’année à l’exportation à 146 appareils, soit presque autant que le nombre de Rafale en service au sein des forces aériennes françaises à ce jour.
La Grèce a été la première à commander le Rafale en 2021, et les premiers appareils ont d’ores et déjà été livrés aux forces aériennes helléniques
Surtout, avec cette commande, le Rafale, longtemps décrié comme trop cher et trop complexe pour s’imposer à l’exportation, devient l’appareil de sa catégorie le plus exporté, avec 242 appareils commandés et/ou livrés à l’international à ce jour, contre 150 Eurofighter Typhoon, 105 Super Hornet et Growler, 92 JAS 39 Gripen, 48 Su-35 ou encore les 82 F-16 Block 70/72+ commandés à ce jour. Seul le F-35 fait mieux que l’avion français avec plus de 600 appareils commandés, sans pour autant atteindre le ratio d’exportation du Rafale avec plus de 1 appareil exporté par appareil commandé (ou à commander) par les forces aériennes françaises, contre 1 appareil exporté pour 2,5 F-35 commandés (ou supposés l’être) par l’US Air Force, l’US Navy et l’US Marines Corps. Avec cette commande, le Rafale aura été exporté dans 6 pays, se rapprochant du succès de son prédécesseur le mirage 2000 exporté à 270 exemplaires dans 8 pays. De toute évidence, cette commande clôt définitivement le débat et la polémique autour de cet appareil, qui s’avère un succès aussi bien technologique qu’industriel et commercial.
La commande des 80 appareils par Abu Dabi intervient alors que les négociations autour de l’acquisition d’une soixantaine de F-35 piétinent avec Washington. Paradoxalement, elle pourrait aplanir les points de friction qui subsistent avec les Etats-Unis, puisqu’avec celle-ci, les autorités émiriennes ferment la porte aux ambitions russes d’espérer placer leur Su-75 dans le pays, et ce malgré des efforts non dissimulés de Moscou. En choisissant le Rafale pour constituer le pilier de la flotte de chasse du pays pour les décennies à venir, Abu Dabi élimine donc le risque de voir des appareils russes évoluer aux cotés du précieux chasseur furtif américain, et ce d’autant que comme lui, l’avion français dans sa version F4 est conçu pour le combat collaboratif et la fusion de données. On notera à ce titre, que les EAU sont le seul pays à avoir simultanément commandé le Rafale et à être en négociations avancées concernant le F-35, et disposera ainsi d’une flotte de chasse aux capacités sans équivalent dans cette région.
Le devenir des mirage 2000-9 émiriens n’a pour l’heure pas été abordé publiquement, et plusieurs options s’offrent à Abu Dabi dans ce domaine
Pour l’heure, il n’est pas fait état du devenir des 62 mirage 2000-9 acquis par les EAU il y a une quinzaine d’années, et qui jusqu’ici représentaient le point d’achoppement des négociations entre Paris et Abu Dabi autour du Rafale, ce dernier exigeant que la France reprenne la soixantaine d’appareils pour acquérir le nouvel avion de combat. Plusieurs options s’offrent au partenariat franco-émilien dans ce dossier, puisque Abu Dabi peut avoir décidé de conserver ces appareils très évolués dans le cadre d’une montée en puissance de sa force aérienne face à l’accroissement des tensions avec l’Iran notamment, ou les deux pays peuvent s’être entendus pour proposer conjointement cette flotte sur le marché international de l’occasion très en demande ces dernières années. La meilleure solution, pour la France, serait incontestablement de reprendre ces 60 appareils pour les reverser à l’Armée de l’Air et de l’Espace, afin de retrouver l’épaisseur perdue ces deux dernières décennies, mais rien n’indique malheureusement à ce jour que ce soit la piste privilégiée dans ce dossier.
Enfin, cette nouvelle commande assure la pérennité de la chaine de production et d’assemblage du Rafale au moins jusqu’au début de la prochaine décennie, et obligera même celle-ci à maintenir le rythme soutenu de 3 appareils par mois, qui représente aux dires d’Eric Trappier, la limite haute des capacités de cette ligne industrielle basée à Merignac. En revanche, il sera désormais difficile pour Dassault Aviation d’enregistrer d’autres commandes à court ou moyen terme, on pense notamment à l’Inde qui semble prête à commander 36 appareils supplémentaires pour renforcer ses forces aériennes face à la Chine, sans accroitre les capacités industrielles existantes. Reste que tous les industriels de la Team Rafale, soit 500 entreprises, préféreront sans le moindre doute se triturer les méninges sur un tel problème, plutôt que sur celui de la survie de la ligne de production, comme c’est le cas pour le Supr Hornet par exemple.
Avec cette commande, et celles passées précédemment, la chaine de production Rafale de Merignac est assurée de travailler à plein régime pour les 10 années à venir
Par ailleurs, avec 467 appareils en commande ou livrés, ceci comprenant les 242 avions destinés à l’export et les 225 appareils qui doivent armer les forces aériennes et aéronavales françaises, le programme Rafale a déjà atteint un seuil de représentativité permettant d’envisager la conception de versions spécialisées, comme par exemple dans le domaine de la Guerre électronique et des suppressions des défenses adverses. De part la nature de ses clients actuels, il est plus que probable que plusieurs d’entre eux se montreront intéressés par une telle capacité, qu’il s’agisse de l’Inde ou de la Grèce pour s’opposer aux systèmes S-400 de leurs adversaires potentiels respectifs, ou des Emirats Arabes Unis qui, rappelons le, étaient prêts à acquérir une quinzaine de EA-18G Growler en marge de la commande de F-35, et ce d’autant que cette capacité fait aujourd’hui également grandement défaut aux forces aériennes françaises.
On le comprend, ce contrat Emirien, et cette année 2021, auront sonné la consécration de l’avion de combat français, alors que d’autres prospects restent encore actifs en Inde, Indonésie et même en Irak, sans mentionner la compétition finlandaise, même si le Rafale fait ici figure d’outsider. Celle-ci est en grande partie due à la determination de Dassault Aviation et de la Team Rafale dans son ensemble, ainsi que de l’Armée de l’Air, qui ont su résister, en des moments difficiles, aux velléités politiques de se retourner vers une version modernisée du mirage 2000, un appareil qui a certes de grandes qualités, mais qui ne peut prétendre jouer dans la même catégorie que le Rafale, allant jusqu’à sacrifier la ligne d’assemblage du conçurent désigné du F-16 pour éviter toute tension politique. Ce succès est donc certes national, politique notamment pour Florence Parly qui conclut admirablement l’année, mais surtout celui de Dassault Aviation et de l’ensemble de la Team Rafale, qui n’a jamais perdu la foi dans les qualités de son appareil !
En 2015, en référence aux interventions militaires russes en Crimée et en Syrie, le président B. Obama avait déclaré que la Russie n’était plus qu’une force régionale sur le déclin. Aujourd’hui, alors que Moscou a massé prés de 100.000 hommes aux frontières de l’Ukraine, le Président Russe Vladimir Poutine estime que la puissance militaire de son pays est suffisante pour lui permettre d’imposer des conditions fermes aux pays européens quant à l’avenir de son voisin. Considérant la discrétion de l’ensemble des puissances européennes dans ce dossier, force est de constater que, pour aucune d’entre elles, la Russie n’est aujourd’hui une puissance militaire négligeable, et encore moins sur le déclin.
Pour autant, la perception générale quant à la puissance militaire réelle dont dispose le Kremlin, est le plus souvent largement erronée, et très emprise de ce que fut la puissance militaire soviétique de la guerre froide. S’il est vrai que dans le domaine des armes stratégiques, Moscou continue de faire jeu égal avec Washington, que ce soit en nombre de têtes comme de vecteurs, sa puissance militaire conventionnelle, quant à elle, a très largement évolué ces 15 dernières années, sous l’action combinée des réformes menées par le ministre de La Défense Sergeï Chouigou, et du chef d’Etat-Major des Armées Valery Gerasimov, tous deux arrivés à leur poste à l’occasion du retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012. Et aujourd’hui, les forces armées russes ont une structure, mais également une doctrine, et un niveau d’efficacité opérationnelle, sans commune mesure avec l’Armée rouge soviétique.
Une force armée professionnalisée et moderne
Alors que l’Armée Rouge rassemblait, au plus fort de la guerre froide dans les années 80, plus de 6 millions d’homme, et des dizaines de milliers de chars et de véhicules blindés, l’Armée russe moderne est à la fois beaucoup plus compacte, avec seulement 900.000 hommes et femmes sous les drapeaux, et infiniment plus performante, grâce notamment à un très haut taux de professionnalisation, qui représente aujourd’hui plus de 72% des effectifs. Les quelques 250.000 conscrits qui effectuent leur service militaire d’une durée de un à deux ans selon les cas, sont en effet affectés aux missions de soutien, de logistique et de sécurité intérieure, là ou les 650.000 militaires d’active constituent, quant à eux, la force de frappe opérationnelle de cette armée. Parmi eux, 300.000 hommes et femmes seulement appartiennent aux forces terrestres russes, auxquels il convient d’ajouter les quelques 75.000 parachutistes des forces aéroportées. Les forces aériennes, qui rassemblent l’Armée de l’Air, mais aussi la force spatiale et la force de défense opérant les missiles balistiques ainsi que les défenses anti-aériennes et anti-missiles du pays, rassemblent 190.000 hommes et femmes. Quant à la Marine Russe, en plein renouveau, elle est forte de 160.000 marins et officiers.
Seuls 250.000 conscrits sont intégrés aux 900.000 hommes qui forment les forces armées russes aujourd’hui
De fait, les armées russes aujourd’hui ne s’appuient plus, comme précédemment en Union Soviétique, sur la volonté de surpasser numériquement l’adversaire, mais bel et bien sur des militaires professionnels ayant un haut niveau de formation, mais également une réelle experience du combat. Ainsi, selon Vladimir Poutine, 85% des officiers russes exerçant des fonctions de commandement ont connu l’expérience du combat, en particulier au travers de nombreux déploiements sur le théâtre Syrien, mais également Libyen, dans le Donbas ou dans le Caucase. Il en va de même des materiels, ou presque, en service dans les armées, une majorité d’entre eux ayant été déployés et expérimentés au combat sur ces théâtres, avec un mécanisme de retour d’experience et d’amélioration continue particulièrement efficace, si l’on en croit les rapports publics.
Une puissance de feu sans équivalent
En revanche, les Armées Russes ont su préserver certaines des forces indéniables qui étaient celles de l’Armée Rouge, en particulier une puissance de feu sans aucune commune mesure sur la planète. Ainsi, les forces terrestres et aéroterrestres russes alignent plus de 2000 systèmes d’artillerie automoteur de différents types, avec notamment plus de 800 canons automoteurs blindés chenilles de 152mm 2s19 Msta en unités, et 800 canons automoteurs legers 2S3 Akatsiya, la plupart ayant connu d’importantes modernisations de leurs systèmes ces dernières années. Avec un système d’artillerie mobile pour 180 hommes, l’armée de terre russe dispose d’une puissance de feu 2,5 fois plus importante que celle de l’US Army avec un Paladin pour 500 hommes, et 3,5 plus importante que celle de l’Armée de terre française, avec 1 canon automoteur pour 670 hommes. Dans le domaine des systèmes lance-roquettes/missiles automoteurs, le constat est identique, avec un système Grad, Tornado ou Uragan pour 250 hommes dans l’Armée russe, contre 1 pour 500 hommes dans l’US Army, et même 1 pour 6000 hommes dans l’Armée de terre française.
Les forces terrestres russes disposent d’un système d’artillerie lance-roquettes pour 250 hommes, le double de celui de l’US Army
Cette concentration de puissance de feu, mais également de blindage et de mobilité, est également sensible dans d’autres domaines, comme dans celui des chars de combat, avec 3000 chars T90, T80 et T72 modernisés en service actif, soit un char pour 100 hommes dans l’Armée de terre russe, contre 1 pour 385 dans l’armée de terre française, ou encore 5000 véhicules de combat d’infanterie BMP et chasseurs de char soit 1 pour 70 hommes en Russie, contre un pour 130 hommes en France. Seul de domaine des véhicules de transport de troupe blindés, les fameux BTR, voit une inversion de tendance, avec 1 vehicle blindé pour 70 hommes dans les armées russes, contre 1 pour 35 hommes dans l’Armée de terre. Mais il est vrai que le taux de motorisation des autres composantes est à ce point important, qu’il réduit de fait le besoin de recourir aux véhicules de transport de troupe blindés. En outre, l’Armée de terre est un cas exceptionnel dans ce domaine, la moyenne au sein des pays de l’OTAN dans ce domaine étant de 1 APC pour 250 hommes.
Dans certains domaines, en revanche, la suprématie russe est telle qu’il est sans object de vouloir la comparer avec les armées occidentales. C’est le cas en particulier des systèmes anti-aériens. Ainsi, la seule Armée de terre russe aligne aujourd’hui plus de 2300 systèmes anti-aériens automoteurs à courte et moyenne portée, ainsi que plusieurs centaines de système à longue portée S-300, pour un total de 2000 véhicules et transporteur-érecteur. Dans le même temps, les forces aériennes alignent, quant à elles, 35 régiments équipés de systèmes S-400 et encore 20 régiments équipés de S-300PMU2 à capacité anti-balistique, auxquels d’ajoutent plusieurs centaines de systèmes à courte portée Pantsir. Au total, les forces armées russes aériennes, terrestres et navales, disposent de plus de 5000 systèmes anti-aériens, et de plus de 40.000 missiles prêts à faire feu, soit 8 missiles par avion de combat de l’OTAN. La défense anti-aérienne russe, par ailleurs coopérative et multi-couche, intègre également les quelques 1400 avions de combat des forces aériennes et navales, qui peuvent intervenir pour rendre hermétique l’espace aérien du pays comme au dessus du champs de bataille.
Sur les quelques 1400 avions de combat dont disposent les forces aériennes et aéronavales russes, seuls 30% sont des appareils modernes, comme le Su-30, le Su-35, et le bombardier Su-34 en illustration
Les forces navales russes, longtemps parent pauvre des programmes d’investissement, ont connu ces dernières années une montée en puissance rapide, avec la modernisation de navires hérités de l’époque soviétique et l’arrivée de nouvelles classes de bâtiments, comme les frégates 22350 Admiral Gorshkov ou les corvettes 20380/5. Si elles reposent encore majoritairement sur la Mosquito fleet composée de corvettes légères armées de missiles de croisière, elle va, dans les années à venir, retrouver de réelles capacités hauturières, avec l’arrivée de nouveaux sous-marins conventionnels 636.3 Improved Kilo et Lada et à propulsion Nucléaire 885M Iassen, ainsi que de nouveaux navires d’assaut amphibie en cours de construction après l’annulation de la livraison des 2 Mistral français suite à l’annexion de la Crimée.
Des atouts opérationnels indéniables
Mais la plus grande force aujourd’hui des forces armées russes n’est pas le fait de sa puissance de feu, ni de son format ou de l’aguerrissement de ses soldats. Elle résulte d’une doctrine conçue pour une mission, et une seule, vaincre l’OTAN si nécessaire. En effet, à l’opposée des armées européennes et mêmes américaines qui se sont structurées ces 30 dernières années pour répondre à de multiples scénario d’engagement, mais également pour soutenir la pression opérationnelle des missions exterieures, les armées russes ont évolué afin de prendre l’avantage sur son voisin occidental, l’OTAN, et ce de manière accrue à partir de 2012 et l’arrivée de Choigou et Gerasimov à leur tête. Le constat russe est d’une simplicité enfantine : si la Russie parvient à neutraliser militairement l’OTAN, qui reste la force armée la plus puissante de la planète, elle sera en mesure de s’imposer dans tous les cas de figure. En désignant un adversaire unique, l’Etat-Major russe a su orienter ses investissements budgétaires et humains de sorte à en maximiser l’efficacité, face à un adversaire 6 fois plus peuplé, et presque 14 fois plus riche que lui.
Les chars T72, T80 et T90 en service au sein des unités russes ont pour la plupart subi d’importantes phases de modernisation, sans pour autant également l’efficacité de leurs homologues occidentaux les plus modernes
Pour cela, Moscou à fait le choix de mettre en oeuvre une stratégie aussi simple qu’efficace, que n’auraient pas renier Sun Tzu ou Clauzewitz ; être fort là ou l’ennemi et faible, et le priver de ses forces là ou c’est possible. C’est ainsi que la défense anti-aérienne russe s’est intégrée et transformée en une défense anti-aérienne multi-couche évolutive et coordonnée, dans le but non pas de prendre la supériorité à l’OTAN, objectif difficilement atteignable, mais au moins d’empêcher les avions de l’OTAN de s’en emparer, et donc de déployer la pleine puissance de la force aérienne occidentale. Or, en occident, cette puissance aérienne représente 50 à 75% de la puissance effective sur le champs de bataille, privant les forces au sol d’un soutien indispensable face à l’artillerie ou aux blindés russes, le cas échant. Il en va aujourd’hui de même dans le domaine aérien, avec l’arrivée de systèmes anti-aériens sol-air et air-air à très longue portée, comme le S-400, le S-500 mais aussi le missile air-air R-37M, dans le but de repousser les avions de soutien, ravitailleurs et autre awacs, bien au delà de la ligne d’engagement, et donc d’affaiblir le potentiel aérien adverse au dessus de celui-ci.
Cette même stratégie est appliquée dans de nombreux domaines, comme la guerre électronique et cyber, dans lesquels les unités russes disposent d’outils et de savoir-faire très avancés et en quantité bien plus importante que dans les armées occidentales, mais aussi avec l’arrivée de systèmes d’artillerie à longue portée, de drones, de missiles hypersoniques air-sol et anti-navires, tous destinés à repousser les atouts opérationnels des armées occidentales au delà de leur limite d’efficacité. Pour y parvenir, le Ministère de La Défense Russe à notamment considérablement raccourci les procédures permettant aux militaires de remonter des besoins opérationnels précis en provenance des zones d’engagement, afin que l’Industrie puisse y répondre à court terme.
Le système S-400 est mis en oeuvre par les forces aériennes russes, alors que les S-300 et autres BUK sont mis en oeuvre par les forces terrestres
C’est également cette même stratégie qui est au coeur de l’extraordinaire effort mené par Choigou et Gerasimov depuis 9 ans maintenant, pour réorganiser les unités de combat, leur conférer l’expérience du combat, mais surtout obtenir une disponibilité et une réactivité opérationnelle très avancée. C’est ainsi que les armées russes parviennent à mobiliser en quelques semaines seulement un corps d’armée de prés de 100.000 hommes venus de toutes les régions militaires, là ou il faudrait plusieurs mois à l’OTAN, dans le meilleur des cas, pour faire de même. Cette capacité de mobilisation à très court terme, résultat de dizaines d’exercices et d’inspections surprises menées par les deux hommes à la tête des armées russes depuis 2012, est incontestablement, aujourd’hui, leur plus grande force opérationnelle, et n’a aucun équivalent dans le monde occidental, en particulier en Europe.
Des faiblesses encore importantes
Pour autant les armées russes ne sont pas dénuées de certaines faiblesses, bien au contraire. La plus flagrante est la vétusté d’une partie significative de ses équipements. Car si le ministère de la Défense annonce un taux de forces modernisées de 72% en 2021, ce chiffre cache en réalité la plupart du temps des équipements datant des années 70 et 80 ayant subi des modernisations, sans pour autant en corriger certains défauts importants, et surtout sans intégrer les capacités les plus avancées en service dans les armées occidentales. Ainsi, à l’entame de l’intervention en Syrie, les forces russes constatèrent rapidement de l’immense écart qui les séparait en matière de munitions de précision, qu’elles soient d’artillerie ou aéroportées, avec des videos de frappes aériennes très peu convaincantes en 2015 et 2016. Depuis, la situation s’est améliorée, mais les forces aériennes russes manquent toujours cruellement de stock de munitions de précision, comme d’appareils capables de les mettre en oeuvre.
A ce titre, seuls 30% des avions de combat en service au sein des forces aériennes et aéronavales russes sont des appareils de la génération actuellement en service au sein de l’OTAN, comme le Rafale, le Typhoon, le Gripen ou le F-16 modernisé, les Su-27, Mig-29, Su-24 et Su-25 qui constituent plus de moitié du parc aérien russe, étant des appareils entrés en service entre 1980 et 1990. De même, les 3000 chars en parc ne sont pour la plupart que des versions modernisées du T-72 et du T-80, ne disposant pas, même dans leur version moderne, des capacités d’un Abrams M1A2, d’un Leopard 2A5 ou d’un Leclerc. Même la Défense anti-aérienne est pour moitié composée de systèmes, si pas obsolètes, en tout cas fortement datés comme le SA-8, et même le SA-6 qui fit ses début durant la guerre du Kippour en 1972.
En outre, les Armées russes ont désormais les mêmes faiblesses que les Armées occidentales, à savoir un manque significatif d’épaisseur, et ce d’autant si un engagement venait à engendrer de lourdes pertes. En effet, contrairement à l’Armée Rouge qui disposait d’une source importante de jeunes hommes mobilisables, les réserves russes sont faibles, et surtout ne disposent pas d’un niveau d’entrainement suffisant pour mettre ne oeuvre les équipements de combat modernes. De fait, une fois sa force principale entamée, Moscou aurait alors toutes les peines du monde à reconstituer rapidement ses forces combattantes, d’autant que sa démographie est loin d’être un atout majeur du pays, au contraire.
Il reste encore plus de 120 Su-24 en service au sein des forces aériennes russes. Bien que modernisé, cette appareil affiche désormais le poids des années, et n’est plus à niveau des appareils occidentaux modernes
Mais la plus grande faiblesse actuelle des armées russes restent la Russie elle-même et son économie chancelante. Il n’est pas anodin que les occidentaux menacent avant tout l’economie russe en cas d’intervention de Moscou en Ukraine. En effet, malgré les attitudes bravaches arborées par certains politiques et présentateurs de télévision russes en public, les dirigeants du pays savent pertinemment que c’est l’occident qui détient, aujourd’hui, les clés d’une grande part de son industrie, mais également de ses recettes budgétaires en achetant le gaz sibérien. Si les pays de l’OTAN venaient à mettre en oeuvre des sanctions fermes et sévères contre le régime russe et l’économie du pays, la monnaie russe ne résisterait guère longtemps, et le risque de voir l’opinion publique, déjà sévèrement éprouvée par 7 années de crises après les sanctions occidentales suit à l’intervention en Crimée, puis la crise Covid, pourrait rapidement se retourner contre ses propres dirigeants.
Conclusion
On le comprend, les Armées russes n’ont, aujourd’hui, plus guère à voire avec ce qu’elles étaient encore il y a quelques années, et encore moins avec l’Armée Rouge soviétique. Cette force hautement professionnalisée et puissamment armée constitue un outil géopolitique extraordinairement puissant aux mains de Vladimir Poutine, qui n’hésite désormais plus à brandir la menace d’une intervention militaire, notamment contre les démocraties européennes en manque de conviction. Les reformes menées au Ministère de La Défense et au sein des armées ont permis, aujourd’hui, de concevoir une force armée d’une grande efficacité, et qui dispose d’un rapport performances / prix probablement sans commune mesure en Occident. Et si, un jour, les Armées russes devaient se confronter à la toute puissante OTAN, elles seraient dans le pire des cas sur un pied d’égalité avec celle-ci, tout au moins durant les premiers temps d’engagement.
En revanche, si le conflit devait durer, les armées russes atteindraient rapidement leurs limites, entre un pays à l’economie chancelante et en grande partie soutenu par les subsides venues de ces mêmes adversaires désignés qu’elles devraient combattre, une démographie moribonde incapable de satisfaire aux ambitions de ses politiques, et des réserves de materiels certes impressionnantes, mais composée uniquement de materiels obsolètes, dont seule une infime partie pourrait effectivement soutenir un combat de haute intensité moderne. Il est déjà remarquable, cependant, qu’un pays ayant une population à peine également à celle de la France et de l’Italie réunies, et un Produit intérieur brut du niveau de cette dernière, soit parvenu, dans des délais aussi court, à reconstituer une force militaire aussi performante et efficace. Mais il apparait également que toute notion d’engagement pour ces forces armées se devra d’être courte et fulgurante, de sorte à ne pas entamer ce précieux outil outre mesure.