Le 20 février dernier, la force aérienne thaïlandaise (Royal
Thai Air Force – RTAF) a publié un Livre Blanc détaillant les
projets de rééquipement militaire du pays pour la prochaine décennie, ainsi
que ses ambitions à plus long terme. Dans un premier temps, les priorités
porteraient avant tout sur des appareils d’entrainement, de transport et de sauvetage.
Néanmoins, Bangkok commence déjà à préparer la modernisation
de sa flotte d’avions de combat. Une bataille commerciale mémorable pourrait
alors se jouer en Thaïlande, non pas par l’ampleur du marché mais bien par la
nature des concurrents qui pourraient s’opposer sur place. En effet, outre le
F-16V américain et le Gripen E suédois, la RTAF devrait probablement évaluer
des propositions plus régionales articulées autour du FA-50 sud-coréen et
surtout du J-10C chinois, qui vise là sa première commande à l’exportation.
En matière d’aviation de transport, Bangkok doit remplacer sa
flotte vieillissante de C-130H par une douzaine d’avions récents. Si Airbus a un
temps envisagé une
opération séduction en Thaïlande pour y placer son A400M, les ambitions actuelles
de la RTAF semblent plutôt se concentrer autour d’un appareil de même capacité
que ses Hercules, ce qui place le C-130J modernisé en candidat naturel,
notamment dans sa version ravitailleur en vol. Le remplacement des derniers
BT-67 (version modernisée du vénérable DC-3) pourrait mieux réussir à Airbus
avec son C-295, même si le C-27J de Leonardo et l’An-132 ukrainiens sont aussi
évoqués.
La Royal Thai Air Force utilise encore une demi-douzaine de Basler BT-67, une version modernisée du DC-3/C-47 apparu pendant… la Seconde Guerre mondiale! Le renouvellement de la flotte logistique est essentielle puisque l’intervention en cas de catastrophes naturelle est une des missions principales de la RTAF
Six hélicoptères lourds devraient également être achetés à la fois pour des tâches de transport et pour la mission de recherche et sauvetage au combat. Comme nous l’avions évoqué dans un précédent article, Airbus entend y placer un nouveau lot de H225M, même si l’Américain Sikorsky reste en embuscade.
Pour l’entrainement de ses pilotes, la RTAF entend procéder
au remplacement de plusieurs types d’appareils. D’une part, la vingtaine d’avions
écoles turbopropulsés PC-9 du Suisse Pilatus doit être remplacée d’ici deux ou
trois ans. Une douzaine
d’appareils modernes pourraient ainsi être acquis. Deux compétiteurs s’affronteraient
sur ce marché : Pilatus avec son PC-21 et l’Américain Beechcraft avec son
T-6 Texan II, qui est une version sous-licence et modernisée du PC-9 suisse. Si
les deux appareils et leurs simulateurs associés proposent une excellente solution
d’entrainement de nouvelle génération, le T-6 aurait l’avantage d’un coût
opérationnel plus réduit, tandis que les capacités avancées du PC-21
limiteraient le nombre d’heure nécessaires au vol sur jet d’entrainement avancé
lors de la phase suivante de la formation des pilotes.
Le T-6 Texan II est proposé à la RTAF dans sa version d’entrainement. Beechcraft propose également la version d’attaque AT-6 Wolverine comme option « low cost » pour le remplacement des L-39 et Alpha Jet
Cette phase de formation avancée est aujourd’hui délivrée en deux étapes par le jet léger L-39 du Tchèque Aero Vodochody puis sur Alpha Jet. À terme, la RTAF compte simplifier la formation de ses pilotes de chasse avec un unique appareil d’entraînement avancé : le T-50 du Sud-Coréen KAI, déjà commandé à 12 exemplaires. Dans la logique thaïlandaise d’acquisition par lots successifs, deux autres T-50TH devraient être commandés cette année pour une livraison en 2022, et 24 sont prévus pour remplacer les L-39 et Alpha Jet dans les missions d’entraînement, ces derniers devant alors être reversés aux unités d’appui aérien et de contre-insurrection. La RTAF prévoit de commander entre 2021 et 2024 une douzaine d’appareils dédiés à la mission d’attaque pour remplacer les Alpha Jet avant la fin de la décennie. Il devrait s’agir, en toute logique, d’un dérivé du T-50 de KAI, soit le TA-50 soit le FA-50, même si une option moins coûteuse autour du L-39NG, du L-159 ALCA, du AT-6B ou du Super Tucano pourrait être envisagée.
Aujourd’hui, les 11 Gripen C/D livrés entre 2011 et 2013
constituent les seuls appareils de combat réellement modernes de la RTAF. A l’époque,
SAAB les avait livrés avec deux avions de guet aérien Saab 340 Erieye,
expérimentant pour la première fois
un modèle commercial que l’avionneur suédois cherche aujourd’hui à pérenniser,
notamment à travers la compétition finlandaise. Dans les années qui viennent,
SAAB devrait moderniser l’ensemble de la flotte thaïlandaise au standard MS-20
qui permet la mise en œuvre de la bombe légère américaine GBU-39 SDB mais
surtout du missile à très longue portée METEOR, sans qu’il ne soit pour autant
confirmé que Bangkok se porte acquéreur d’une telle capacité. Aucun Gripen C/D
supplémentaire n’est aujourd’hui prévu, si ce n’est l’achat d’un
unique Gripen C en remplacement de celui perdu en 2017.
Offrant des performances assez proches de celles du Gripen, le T-50 Golden Eagle est une excellente base pour un avion de combat léger performant et économique.
D’ici 2030, néanmoins, les derniers F-5 Tiger II modernisés
et les 24 F-16A/B en service dans la RTAF devront être remplacés par des
appareils plus modernes. Le F-35 est d’ores et déjà considéré comme trop cher à
l’achat, tandis que les frais de fonctionnement de la RTAF ne permettront sans
doute pas d’opérer des biréacteurs de type Rafale ou Typhoon. Pour le moment,
les ambitions affichées de la RTAF portent sur l’achat de quatre lots de six
appareils. Les États-Unis chercheront bien évidemment à placer le F-16V, sans
doute dans sa version « générique », dans le cadre d’une vente FMS.
Néanmoins, le Livre Blanc publié récemment précise bien que, pour des raisons
financières, tous les équipements souhaités ne pourront être acquis et que la
logistique et le secours resteront prioritaires.
Dans un tel contexte, le F-16V pourrait donc s’avérer trop
cher, même d’ici 2025-2030. SAAB pourrait ainsi proposer le Gripen E/F mais
aussi une option sur des Gripen C/D d’occasion, éventuellement accompagnés de
GlobalEye afin de remplacer les Saab 340 vers 2027-2029. Le Sud-Coréen KAI
aurait aussi une énorme carte à jouer avec son FA-50 multirôle, qui commence à
connaître un bon succès régional et pourrait unifier la flotte d’entrainement
avancé, d’attaque légère et de chasse autour d’un unique appareil économique.
Dans sa version d’export, le J-10CE est proposé avec un radar AESA, une suite de guerre électronique et de nouveaux armements, le rendant au moins aussi performant que le F-16V américain
Enfin, Pékin ne désespère pas de réussir un très beau coup
en remportant le marché de renouvellement des F-16 avec son J-10C qui a fait
une très forte impression à la RTAF lors d’exercices
conjoints. Particulièrement moderne, avec une avionique et un armement
proche du F-16V, le J-10C a été
récemment autorisé à l’exportation et devrait offrir un coût inférieur au
F-16V et au Gripen E, tout en ayant des capacités opérationnelles bien
supérieures à celle d’un FA-50. Après la vente de frégates et sous-marins à la
marine thaïlandaise, l’industrie chinoise pourrait voir dans la RTAF une
opportunité de remporter de nouveaux marchés export. La Thaïlande n’étant pas un
marché captif de Pékin, la symbolique commerciale et politique n’en serait que
plus forte !
Aujourd’hui, la RTAF est une force aérienne particulièrement performante et moderne malgré son volume modeste, et elle entretient une véritable culture d’indépendance tant logistique qu’opérationnelle, à travers notamment sa propre liaison de donnée tactique Link-T. Dans un contexte régional de réarmement, Bangkok pourrait bien choisir de multiplier les contrats avec de nombreux fournisseurs régionaux et occidentaux, mais privilégier les multiplicateurs de force (Link-T, avions de guet aérien…), et ce afin de préserver ses capacités opérationnelle malgré un contexte économique difficile.
Parmi les principaux programmes de
défense européens, le programme français SCORPION tient incontestablement une
place toute particulière. Véritablement structurant, il ne prévoit rien de
moins que de moderniser en profondeur non seulement le matériel mais aussi les
doctrines des unités tactiques de l’Armée de Terre.
Ouvert depuis 2018 a une certaine forme de coopération européenne, via le programme belge CaMo, le programme SCORPION (Synergie du COntact Renforcé par la Polyvalence et l’Info valorisatiON) prévoit le développement de plusieurs nouveaux véhicules, la rénovation d’équipements, mais aussi et surtout la mise en place d’un système de combat infovalorisé, le SICS, qui propulsera l’Armée de Terre française et la Composante Terre belge au premier rang des forces terrestres numérisées.
Répondant à une conception novatrice, le Jaguar est un véhicule de combat polyvalent destiné à combattre tous types de menaces.
Le programme SCORPION et l’infovalorisation
Les premières réflexions sur le renouvellement des capacités de combat tactique de l’Armée de Terre remontent à la fin des années 1990, et sont renforcées par les premiers retours d’expérience du conflit afghan. A l’exception des chars Leclerc et des véhicules 8×8 de combat d’infanterie VBCI, le quasi-totalité des véhicules de l’Armée de Terre date des années 1970, qu’il s’agisse du véhicule de transport VAB (Véhicule de l’Avant Blindé) ou des véhicules de combat et de reconnaissance ERC-90 et AMX-10RC.
Quitte à envisager le renouvellement massif de l’équipement de ses régiments d’infanterie et de cavalerie, l’Armée de Terre entretient l’idée d’y intégrer un système de combat unique, réseau-centré et infovalorisé. Concrètement, l’électronique, les capteurs et l’interface homme-machine (qui forment ce que l’on appelle la vétronique) des différents véhicules sera standardisée, et des liaisons de données tactiques terrestres permettront aux troupes engagées sur le terrain de partager une situation tactique commune. Ainsi, les informations sur l’ennemi seront transmises automatiquement à toutes les unités, permettant des prises de décisions plus rapides et une meilleure coordination entre l’infanterie et l’appui-feu.
Le système SICS sera déployé à bord des véhicules. A terme, les fantassins déployés disposeront de moyens d’accès au flux de donnée du SICS et pourront y implémenter des données pour améliorer la situation tactique commune
Ce système de combat unique est le SICS, pour Système d’Information du Combat Scorpion. Développé par Bull, une filiale d’Atos, il s’appuie pour le moment sur les radios PR4G modernisées pour les transferts de données. Son plein potentiel ne sera toutefois déployé qu’avec l’arrivée massive des nouvelles radios logicielles CONTACT de Thales, déjà évoquées dans un article dédié. Communes aux trois armées françaises, ces radios CONTACT offriront un débit data et phonie bien plus important ainsi qu’une géolocalisation des forces amies en temps réel. Si le SICS est déjà déployé dans les véhicules SCORPION en cours de livraison, l’ensemble des capacités techniques de CONTACT ne seront pas implémentées avec 2023, pour une pleine maîtrise opérationnelle vers 2025.
En plus de permettre un partage de l’information entre toutes les unités, le SICS est couplé à des algorithmes de combat collaboratif. Ces derniers pourront proposer des solutions tactiques adaptées aux menaces détectées, permettant l’accélération du tempo opérationnel. Pour la première fois, ces systèmes offriront aux échelons tactiques bas de l’Armée de Terre (compagnies d’infanterie et escadrons de cavalerie blindée) une latitude décisionnelle inédite, imposant à la hiérarchie une plus grande délégation des ordres de tir. De quoi provoquer, en soi, une mini-révolution culturelle au sein de l’Armée de Terre !
Le SICS sera déployé à bord des véhicules SCORPION, et interfacé avec les principaux systèmes d’information français et alliés.
L’architecture ouverte du SICS permettra des mises à jour logicielles et matérielles indépendantes l’une de l’autre, ce qui autorisera une modernisation en continue du système sans impacter la disponibilité des véhicules. Les questions de cybersécurité sont notamment prises en compte de manière continue tant par la DGA que l’Armée de Terre et les industriels.
Si le SICS est robuste de par sa conception et que la radio-logicielle CONTACT offre une meilleure résilience face au brouillage que les équipements de générations précédentes, il conviendra de procéder régulièrement à des mises à jour de sécurité et à l’implantation de nouvelles protections cyber. Dans tous les cas, l’infovalorisation ne supprime pas les compétences tactiques conventionnelles, et les unités SCORPION resteront aptes à opérer même si un brouillage massif ou une cyberattaque rend temporairement inutilisable le SICS.
Les véhicules du programme SCORPION
Les véhicules Griffon et Jaguar
sont produits par un groupement momentané d’entreprises constitué de Arquus,
Thales et Nexter. Associé à Texelis, Nexter se charge également du
développement du Serval et gère seul la rénovation du char Leclerc.
Griffon et Jaguar découlent du même contrat. Ils ont été conçus pour maximiser les communalités mécaniques et électroniques, ce qui permet de simplifier la logistique et la maintenance.
A l’heure actuelle, le programme
prévoit la livraison en 2032 de près de 3350 véhicules de combat. Au final, les
chiffres de livraisons devraient être encore plus importants. En effet, le
programme SCORPION est conçu selon une approche incrémentale : les
nouvelles capacités y sont intégrées au fur et à mesure de leurs
disponibilités. D’ici 2030, l’Armée de Terre pourrait ainsi recevoir d’autres
véhicules que ceux qui ont déjà été programmés, notamment dans le cadre des
programmes VBAE (Véhicule Blindé d’Aide à l’Engagement) et VLTP (Véhicule Léger
Tactique Polyvalent).
Les VBMR Lourds et Légers : Griffon et Serval
Nouveau fer de lance de l’Armée de Terre et de la Composante Terre belge, le Véhicule Blindé Multirôle Griffon est un 6×6 modulaire de 25 tonnes en charge destiné à remplacer les différentes variantes du VAB actuel. Plus d’une centaine d’exemplaires ont déjà été livrés à l’Armée de Terre, et 936 seront livrés en 2025 sur les 1872 déjà commandés. Les forces belges en recevront 382 exemplaires.
L’ouverture des portes blindées se fait par le biais d’une assistance électrique. Cette dernière est débrayable, comme les autres équipements électroniques des véhicules, afin de leur permettre d’opérer « à l’ancienne » dans des conditions austères ou fortement brouillées.
L’engin est disponible dans de
très nombreuses versions :
Variante VTT (Transport de troupe) de base,
pouvant embarquer 8 fantassins et tout leur équipement pour des missions
longues. Le VTT sera disponible en plusieurs sous-versions pour l’embarquement
de troupes équipées de FELIN, de missiles antichars MMP ou de mortiers de 81mm.
Il servira aussi de véhicule de ravitaillement ou pour le transport d’unités du
génie ou de mécaniciens ;
Véhicule de commandement, avec des systèmes de
communication adaptés ;
Véhicule d’Observation d’Artillerie ;
Véhicule ambulance pour l’évacuation sanitaire ;
NRBC, pour la conduite d’opérations dans des
environnements contaminés par des radiations, des gaz ou des pathogènes.
Le MEPAC est une version lourdement modifiée du Griffon embarquant un mortier de 120mm de Thales. Contrairement aux canons Caesar, qui opèrent à distance, les MEPAC feront de l’appui-feu au contact et seront pour cela pleinement intégré à la fois à SCORPION et au système ATLAS exploité par les canons Caesar.
Le Griffon dispose d’un réservoir
de 400 litres lui offrant une autonomie de 800km, mais son volume lui permettra
surtout la conduite de longues opérations, dans des conditions de confort sans
commune mesure avec ce que les VAB proposent aujourd’hui. Son armement
principal est une tourelle téléopérée de 12,7mm.
Conçu pour être déployé plus
facilement et plus rapidement que le Griffon, le VBMR-Léger Serval est un véhicule
4×4 plus compact conceptuellement dérivé du Griffon. Il en reprend l’armement
principal et la vétronique, mais dispose d’une autonomie de 900km et d’une
vitesse maximale de 100km/h, contre 90km/h pour le VBMR Lourd. Comme le Griffon,
le Serval sera livré en plusieurs versions adaptées à la patrouille blindée, la
reconnaissance et le renseignement, les relais de communication, l’évacuation
sanitaire ou encore la guerre électronique. Contrairement au Griffon, il peut être
embarqué par paire dans un A400M, en faisant l’engin de référence de la force
de réaction rapide de l’échelon national d’urgence.
Comme les Jaguar et Griffon, les Serval embarqueront un mât optronique Antares, un système acoustique de localisation des tirs et un réseau de caméras de proximité. Sa tourelle de type T1 en 12,7mm sera aussi embarquée sur le Griffon.
Pour SCORPION, 978 Serval ont été
commandés, et près de 500 seront livrés en 2025. Cependant, le véhicule a aussi
été sélectionné pour le contrat VLTP-P, ce qui fait que les commandes totales
pour l’Armée de Terre seront de 2038 véhicules, tous compatibles avec le SICS
et SCORPION. Pour l’instant, le Serval ne semble pas inclus dans le programme
belge CaMo, mais le potentiel à l’exportation du véhicule est déjà bien réel.
Leclerc XLR et EBRC Jaguar : le renouveau de la cavalerie française
Aujourd’hui, la France ne dispose plus que de 220 chars de combat Leclerc en service. Un nombre très faible dans l’absolu, mais qui fait écho aux dotations générales d’Europe occidentale. Dans le cadre de SCORPION, Nexter va rénover 200 Leclerc au standard XLR. Celui-ci intégrera bien évidemment des capteurs modernisés ainsi que la vétronique Scorpion et le système SICS. Le Leclerc XLR verra aussi sa protection renforcée contre les mines, les engins explosifs improvisés (IED) et les tirs de roquettes. Il disposera également d’un nouvel obus programmable pour son canon de 120mm, et son armement secondaire sera remplacé par une tourelle téléopérée de 7,62mm (12,7mm pour les 18 dépanneurs de chars Leclerc rénovés).
S’il n’a pas connu de succès à l’exportation, le Leclerc reste un formidable char de combat. Avec la mise à niveau XLR, il pourra intégrer pleinement le réseau SCORPION, mais aussi mieux combattre en milieu urbain notamment.
Pour le remplacement de ses 6×6 ERC-90 Sagaie et AMX-10RC, équipés respectivement d’un canon de 90mm et de 105mm, l’Armée de Terre recevra l’EBRC Jaguar de 27t, qui reprendra une partie des équipements du Griffon. Cet EBRC (Engin Blindé de Reconnaissance et de Combat) sera équipé d’un armement principal particulièrement novateur. Sa tourelle principale comprend ainsi un canon de 40mm CTA doté de munitions téléscopées, un calibre bien plus léger mais sensé offrir plus de souplesse opérationnelle. En effet, sa cadence de tir et ses diverses munitions lui permettront de contrer aussi bien de l’infanterie que des cibles aériennes ou des blindés lourds, qu’il pourra mettre hors de combat en détruisant leurs capteurs, armements et trains de roulement. Pour les cibles les plus récalcitrantes, le Jaguar dispose de deux missiles MMP prêt au tir, avec deux missiles supplémentaires en réserve. Enfin, il disposera des mêmes kits de protection additionnelle et du même tourelleau téléopéré de 7,62mm que le Leclerc XLR.
L’Armée de Terre en a commandé
300, et la Composante Terre 60 unités. La livraison du Jaguar débutera en 2021,
ce qui permettra à une première Brigade Interarme (BIA) Jaguar/Griffon d’être
déployée dès 2023.
Quelles évolutions attendre pour SCORPION ?
Nous l’avons dit, SCORPION a été
conçu selon une approche incrémentale, et l’Armée de Terre travaille en
continue avec la DGA et les industriels pour anticiper les nouveaux
équipements, armements, logiciels et fonctionnalités qui viendront intégrer
SCORPION dans les années et décennies à venir.
Pour l’équipement des véhicules, il est prévu de voir des drones et des robots intégrés pleinement SCORPION. L’Armée de Terre utilise déjà des mini-drones et des robots roulants pour la reconnaissance, notamment dans les unités du génie, mais leurs capteurs ne sont pas encore fusionnés au SICS. Pour les Leclerc XLR et Jaguar, un kit de protection active serait également en cours de développement, afin de détruire les projectiles ennemis avant qu’ils ne frappent le blindage. De plus, des armes non-létales pourraient être intégrées aux différents véhicules à l’avenir, augmentant leur potentiel dans le cadre des conflits asymétriques.
Le missiles MMP, particulièrement performant et versatile, pourrait prendre une place de plus en plus importante pour les unités de combat de l’Armée de Terre
Le missile MMP, qui va intégrer les tourelles de Jaguar et des postes de tir de fantassins, pourrait aussi voir son usage généralisé, avec le développement de véhicules MMP sur base de Serval par exemple. Les industriels travaillent d’ores et déjà sur l’utilisation du MMP, mais aussi des MEPAC, pour des tirs au-delà de la vue directe, à partir d’une désignation apportée par un autre véhicule ou un drone intégré au SICS.
A terme, le standard SCORPION (vétronique + SICS + CONTACT) sera également intégré aux VBCI lors de leur rénovation. Les futurs 4×4 légers du programme VBAE, pour lequel Arquus propose le SCARABEE, sera aussi inclus dans le combat infovalorisé. Le génie devrait également recevoir un nouveau véhicule d’intervention avancée, le MAC (Moyen d’Appui au Contact), tandis que le successeur de l’équipement individuel du fantassin FELIN pourrait également être en partie intégré à SCORPION, notamment via un mode déporté du système SICS.
Conclusion
Avec SCORPION, l’Armée de Terre
va moderniser la quasi-totalité de l’équipement de ses unités d’infanterie et
de cavalerie blindée. En permettant un partage en temps quasi-réel des données recueillies
par chaque unité, SCORPION va démultiplier les capacités tactiques des GTIA
bien au-delà de ce que pourront offrir les nouveaux véhicules individuellement.
Une telle transformation ne se fera pas sans relever de vrais défis, notamment
en matière de formation et de culture opérationnelle.
A terme, le VBAE viendra compléter les moyens SCORPION et offrir encore de nouvelles possibilités d’exportation pour l’industrie française
Mais elle permettra à l’Armée de Terre d’opérer plus vite, plus loin et plus efficacement, y compris dans le cadre de coalitions avec les forces belges. Aujourd’hui, les nouveaux véhicules en cours de développement et de production disposent d’un véritable potentiel à l’exportation, et la France aurait tout intérêt à trouver d’autres débouchés à l’exportation pour SCORPION, non seulement pour le bien de son industrie de défense, mais aussi pour renforcer son potentiel de nation-cadre lors des déploiements internationaux.
L’arrivée en Europe de la poudre noire, un mélange hautement explosif et exothermique de soufre, de salpêtre (nitrate de potassium) et de charbon de bois, introduit par les Mongols au XIIIe siècle, mais utilisé en Chine depuis le VIIe siècle, entraina un bouleversement rapide et profond des technologies militaires, ainsi que des tactiques et stratégies.
Balistes et Scorpions furent rapidement remplacés par des bouches à feu et des bombardes, alors que les soldats bradèrent leurs arbalètes et arcs contre les premières armes à feu portables, entrainant en seulement deux siècles la fin de plus de 2000 ans de technologies militaires.
Sommaire
800 ans plus tard, la poudre continue d’être au cœur des engagements modernes, faisant partie de la presque totalité des équipements de combat, allant du fusil d’assaut du fantassin ou canon embarqué des avions de combat, et aux systèmes d’artillerie, qu’ils soient navals ou terrestres. Mais, les progrès enregistrés ces dernières années en matière de maitrise de l’électromagnétisme, pourraient bien s’avérer aussi révolutionnaire, pour les armées, que le furent l’arrivée de la poudre noire, du moteur à explosion ou du premier transistor.
L’arrivée des premières bouches ou feu en Europe lança un profond bouleversement de la stratégie et des technologies militaires
L’électromagnétisme, qu’est-ce que c’est ?
L’électromagnétisme est une des quatre interactions élémentaires identifiées par la physique moderne, avec l’interaction forte, qui permet à la matière d’exister, l’interaction faible, qui génère la radioactivité et les rayons beta, et la gravité, connue de tous. C’est également une des plus puissantes, car si elle est 100 fois plus faible que l’interaction forte, elle reste 1000 fois plus puissante que l’interaction faible, et 10 (puissance) 36 plus forte que la gravité.
Elle repose sur les interactions et les forces qui s’appliquent entre des particules chargées électriquement. Sans entrer dans les détails, c’est cette force qui est, entre autres, au cœur de tous les moteurs ou générateurs électriques, mais aussi des ondes radios, de la lumière ou du fonctionnement des boussoles.
Les progrès technologiques et théoriques accomplis ces dernières années permettent désormais de franchir un nouveau cap, ouvrant la voie à de nouvelles applications militaires susceptibles de profondément et durablement transformer équipements et doctrines.
Les Canons électromagnétiques
Le principe du canon électromagnétique est relativement simple : plutôt que de propulser le projectile par l’augmentation de la pression engendrée par la combustion de poudre dans la culasse d’un canon, le projectile est accéléré par un très puissant champ électromagnétique. Il n’y a en réalité non pas une, mais deux technologies de canon électromagnétique :
le canon magnétique, ou canon de Gauss, utilise le champ magnétique créé par des bobines entourant le canon pour accélérer un projectile chargé électriquement, soit par attraction, soit par répulsion. Cette technologie a été expérimentée depuis le début du siècle, mais présente de nombreuses contraintes. En revanche, c’est une technologie similaire qui est employée pour les catapultes électromagnétiques EMALS du porte-avions américain USS Gerald Ford, et du futur porte-avions français PANG.
Le canon électrique, ou railgun, utilise la loi de Laplace, en exploitant la force créée par un champ magnétique sur un conducteur électrique. Deux rails créés des champs magnétiques opposés, et propulsent le conducteur qui ferme le circuit entre les deux circuits. Ceux qui ont fait un BAC Scientifique se rappelleront de la force orientée selon le champ magnétique et le sens du courant, et représentée par les fameux « trois doigts de la main droite ».
C’est évidemment le canon électrique qui, aujourd’hui, concentre l’essentiel des recherches. Ainsi, les tests de l’US Navy au cours des années 2010, permirent d’atteindre une vitesse de sortie de bouche supérieure à Mach 7 pour venir frapper une cible de 5 m² à 160 km.
Les ingénieurs estiment, par ailleurs, qu’en atteignant une vitesse de Mach 10, il serait possible d’atteindre des cibles distantes de près de 400 km. La Chine a créé la surprise en 2018, dans ce domaine, lorsque des photos d’un railgun monté sur un navire de transport de chars furent divulguées.
Plus tard, Pékin confirma qu’il s’agissait bien de tester un modèle de Railgun, et que les premières unités navales équipées de ce canon, peut-être la seconde génération de croiseurs Type 055, entreraient en service en 2025, sans que l’on puisse, depuis, confirmer ces affirmations par de quelconques observations visuelles.
Le prototype de Railgun de l’US Navy
Outre sa portée importante, le Railgun induit également un dégagement d’énergie cinétique très élevé à l’impact, permettant de créer de très graves dégâts sur la cible, sans utiliser d’explosifs. D’autre part, sa grande vitesse initiale en fait une arme adaptée à la lutte anti-missile, même pour contrer les armes hypersoniques. Toutefois, la technologie présente certains inconvénients, difficiles à ignorer.
En premier lieu, elle nécessite une très importante quantité de puissance électrique, ce qui entrave son utilisation sur d’autres vecteurs que des grands navires de surface, comme les destroyers ou les croiseurs. De plus, elle dégage énormément de chaleur lors des tirs, ce qui provoque une fatigue structurelle rapide du canon, ainsi qu’une très faible discrétion, notamment face à des détecteurs infrarouges, qui sont désormais pléthores au sein des armées.
L’apparition du premier RailGun chinois en 2018 surpris même les meilleurs spécialistes du pays en matière de défense
Reste qu’aujourd’hui, le Railgun représente probablement la meilleure alternative à l’augmentation du nombre de missiles embarqués à bord d’un navire de combat. Avec une importante puissance de feu doublée d’une grande précision et d’une haute capacité d’emport de munitions à moindre cout, il constitue une piste technologique d’intérêt pour contrer les systèmes de déni d’accès.
La Chine ne s’y est pas trompée, et développe activement son propre railgun, tout comme d’autres pays, dont la Turquie ou le Japon. La France, associée à l’Allemagne, finance un programme dans ce domaine, sans pour autant avoir annoncé un effort majeur pour en acquérir tous les savoir-faire.
Les plasmas de protection
Un plasma est un fluide (gazeux ou liquide) fortement ionisé, capable de réagir avec puissance en présence d’un autre plasma, ou de particules chargées électriquement. C’est partant de ce constat que les ingénieurs américains développèrent une technologie de protection par plasma, conçue pour neutraliser le jet de plasma composé de métal fondu et de gaz surchauffés, qui résulte de l’explosion d’une charge creuse, conçue pour percer les blindages.
Contrairement aux tuiles de blindage réactif, qui équipent désormais la majorité des blindés lourds, et qui neutralisent la charge creuse en créant une surpression et une onde de choc opposée au jet, cette technologie permet de couvrir de grandes surfaces sans augmenter dramatiquement le poids du porteur.
En outre, là où les briques réactives sont à présent contrées par des ogives à charge creuse en tandem, qui déclenchent une seconde charge creuse une fois la brique réactive éliminée par la première, l’utilisation d’une protection par plasma est efficace, quel que soit le nombre d’impacts, tout du moins de manières théoriques.
Cependant, comme souvent avec l’électromagnétisme, cette technologie nécessite une grande puissance électrique, trop grande pour être employée sur un blindé. En outre, elle suppose de contenir le plasma défensif entre deux coques, une coque externe destinée à être « percée », et une coque intérieure destinée à être protégée, les deux étant nécessaires pour contenir le plasma défensif lui-même.
Mais si cette contrainte élimine, pour l’heure au moins, les véhicules blindés, elle correspond parfaitement à la conception actuelle des navires de guerre, notamment pour se protéger des torpilles employant justement des ogives à charge creuse. C’est ainsi que fut conçu le DAPS, pour Dynamic Armor Protection System, qui équipe la nouvelle classe de porte-avions Gerald Ford de l’US Navy.
Le porte-avions nucléaire Gérald Ford met en oeuvre un bouclier de protection à plasma pour contrer les torpilles équipées de charge creuse
S’il est probable que, dans un avenir proche, d’autres navires, qu’ils soient ou non américains, bénéficieront de ce type de protection par plasma, les recherches vont bon train pour en étendre l’usage. Ainsi, en 2015, Boeing avait déposé une demande de brevet pour un plasma de protection pouvant équiper les avions ou les véhicules terrestres.
La propulsion électromagnétique
Parmi les applications les plus attendues, et les plus prometteuses, en matière d’électromagnétisme, ce sont celles relatives à la propulsion qui offrent le plus haut potentiel de rupture, au point de pouvoir créer, à elles seules, un nouvel âge technologique.
L’exploitation des forces électromagnétiques pour la propulsion de véhicules, peut reposer sur de nombreuses technologies, mais en matière d’application de défense, deux d’entre elles représentent le plus fort potentiel : l’EMDrive et l’accélérateur MHD.
L’EMDrive, le Graal de la conquête spatial
L’EMDrive est avant tout le constat d’une impossibilité physique. Selon la loi de la conservation de la quantité de mouvement, il est impossible à un solide d’accélérer de manière autonome (sans l’aide d’une force extérieure) sans que sa masse diminue.
C’est la raison pour laquelle les satellites et véhicules spatiaux utilisent des jets de gaz ou de plasma pour modifier leur trajectoire. Et cette loi a bien des inconvénients, notamment en termes de conquête spatiale, car un véhicule ne peut, de manière schématique, évoluer, ou accélérer, qu’au prorata de ses réserves de matière, souvent un gaz, à expulser. Avec l’EMDrive, il en va tout autrement.
Schéma de fonctionnement d’un EMDrive selon la NASA
En effet, l’EMdrive, acronyme pour ElectroMagnetic Drive, créé une poussée faible, mais réelle, qui résulterait d’un champ magnétique très puissant, sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter de la matière.
Fini donc la problématique d’emport de gaz ou de plasma. Or, la technologie permet aujourd’hui de produire facilement de l’énergie électrique, particulièrement en employant un réacteur nucléaire.
De fait, en maîtrisant la technologie de l’EMDrive, il serait possible de créer un moteur capable de faire accélérer des véhicules spatiaux à des vitesses bien plus importantes que celles qui sont accessibles aujourd’hui, mettant la Lune à seulement 3 heures de la terre, contre 3 jours aujourd’hui, et mars à trois jours, contre plus de trois mois.
En d’autres termes, l’EMDrive ouvrirait un tout nouveau champ d’exploration, mais également d’applications, à ceux qui le maîtriseraient, mettant tout le système solaire à portée de la terre dans des délais très courts.
Comme précédemment, deux pays ont pris les devants dans cette technologie, à savoir les États-Unis et la Chine. Tous deux ont annoncé avoir démontré le fonctionnement de l’EMDrive, et même avoir développé un premier moteur expérimental.
Mais pour l’heure, aucune application de ces recherches a pu être constatée. Il est cependant probable que dans la décennie à venir, l’EMDrive constituera un enjeu technologique et stratégique majeur pour la conquête spatial.
L’accélérateur MHD, l’alternative espérée
Si l’EMDrive ouvre les portes d’une nouvelle conquête spatiale, l’accélérateur Magnétohydrodynamique ouvre, quant à lui, d’immenses possibilités pour de nombreux domaines bien terre à terre.
Cette technologie permet d’accélérer un fluide conducteur, qu’il soit gazeux sous forme de plasma, ou liquide comme l’eau de mer, sous l’effet d’un puissant champ magnétique. Si cela vous fait penser au sous-marin Octobre Rouge du romancier Tom Clancy, c’est normal, car il s’agit exactement d’une des applications de l’accélérateur MHD.
Il y en a beaucoup d’autres, allant de la propulsion des véhicules spatiaux comme la propulsion ionique électrostatique ou la propulsion plasmique électromagnétique, déjà employées par certaines sondes d’exploration, à la rupture du mur thermique pour les véhicules aériens hypersoniques.
L’Octobre Rouge, imaginé par le romancier Tom Clancy, était un sous-marin nucléaire équipé d’un système hydromagnétique sous voute baptisée « Caterpillar » , ou chenille, rendant le submersible virtuellement indétectable.
Contrairement à l’EMDrive, qui ne nécessite aucune matière à accélérer pour fonctionner, l’accélérateur MHD repose sur cette matière, sous forme de fluide, que l’on sait très abondante sur Terre. De fait, les applications de cette technologie sont avant tout très prometteuses pour améliorer les technologies de transport aérien et naval qui, bien évidemment, ont des implications stratégiques du point de vue militaire.
Il s’agit notamment d’une alternative aux moteurs à combustion actuels, que l’on sait très polluant. Mais comme pour l’ensemble des technologies électromagnétiques, l’accélérateur MHD nécessite un puissant champ électromagnétique, et donc une grande réserve de puissance électrique. Les progrès réalisés en matière de miniaturisation des réacteurs nucléaires, ou de batteries, rapprochent chaque fois un peu plus des premières applications massives de cette technologie.
Les armes à Impulsion Électro-Magnétique
Terminons ce panorama des applications technologiques de l’électromagnétisme par l’arme la plus connue employant cette force, à savoir les armes à impulsion électromagnétique. Leur principe est simple, et connu depuis plusieurs décennies : la création d’un important champs électromagnétique dans l’atmosphère endommage, et souvent détruit, les équipements électriques et électroniques dans le périmètre d’effet.
Sans tuer quiconque de manière directe, une arme à impulsion électromagnétique est susceptible de fortement endommager l’économie et l’organisation sociale d’une grande ville, voir d’un pays en ciblant certaines installations critiques.
Toutefois, les armes EMP, pour Electro-magnetic Pulse, souffrent de nombreux handicaps. En premier lieu, la puissance de l’impulsion électromagnétique diminue très rapidement en s’éloignant de l’impulsion initiale, selon le carré de la distance. En outre, la puissance du champ électromagnétique doit être particulièrement puissante pour endommager des équipements électroniques ou électriques.
Rappelons que la majorité des équipements actuels génèrent des champs électromagnétiques de faible puissance, qui n’altèrent pourtant pas le fonctionnement d’autres équipements, à moins d’être très proche.
Ainsi, un simple sèche-cheveux peut brouiller la réception d’un dispositif Bluetooth s’il est très proche et particulièrement puissant, mais il est probable qu’il gênera surtout son utilisation du fait du bruit …
Les armes EMP reposent, aujourd’hui encore, principalement sur l’utilisation d’une détonation nucléaire de très forte puissance dans les très hautes couches de l’atmosphère
Enfin, générer un tel champ électromagnétique, même sous forme d’impulsion, requiert une très grande quantité d’énergie. Si de petites munitions emportent des charges EMP pour, par exemple, détruire des équipements électroniques dans un rayon de quelques dizaines de mètres, la seule arme capable de créer une onde électromagnétique suffisamment puissante pour neutraliser les systèmes électroniques à l’échelle d’une grande ville, est une arme nucléaire.
De fait, les considérations, en termes d’utilisation, sortent largement du simple cadre des armes conventionnelles. Il faut toutefois noter que plusieurs pays ont annoncé avoir lancé des programmes visant à developper de puissantes armes EMP non nucléaires, avec la volonté évidente de disposer d’une alternative stratégique à l’arme atomique.
Conclusion
On le voit, les différentes applications technologiques de l’électromagnétisme constituent, aujourd’hui, des enjeux stratégiques majeurs dans la nouvelle course technologique que se livrent les grandes nations.
Deux pays semblent faire la course en tête dans presque tous les domaines applications, les États-Unis et la Chine. Et si certains pays tentent de rester au contact, on ne peut que constater la discrétion de la présence des Européens dans ces domaines.
Du point de vue militaire, elles trouvent des applications dans les trois grands piliers de l’action armée : l’attaque avec les RailGun et les armes à impulsion électromagnétique, la Défense avec les plasmas de protection, et le déplacement avec l’EMDrive et l’accélérateur MHD.
En d’autres termes, si les européens restent en retrait de ces domaines stratégiques, le déclassement des forces armées sera non seulement sensible, mais massif, et avec elles, celui des nations européennes elles-mêmes.
Comme la France, qui avait, dans les années 50, décidé de developper une dissuasion nucléaire autonome pour conserver son indépendance stratégique et son poids international, il apparait probable, avec l’Intelligence Artificielle et la robotique, que l’électromagnétisme constituera une des clés de voute de la hiérarchie technologique des nations d’ici à la fin du siècle.
Nous l’évoquions la semaine dernière : l’USAF prévoit de réduire le format de certaines flottes d’avions anciens afin de permettre le financement de nouveaux appareils. Entre autres équipements, 17 bombardiers lourds B-1B Lancer sur la soixantaine encore en service pourraient être concernés. Le sort de ces 17 appareils n’est pas encore scellé, notamment parce que le Congrès américain a régulièrement tendance à sauver les vecteurs stratégiques que les forces armées prévoient de mettre à la retraite anticipée.
Avant même le vote sur le budget militaire de 2021, toutefois, le Global Strike Command de l’US Air Force en charge de l’exploitation des bombardiers lourds a pris une série de directives visant à limiter drastiquement le domaine de vol des bombardiers B-1B afin d’en préserver le potentiel le plus longtemps possible.
Les larges soutes à armement du B-1B en font une excellente plateforme de tir. En plus de ses bombes, il peut tirer des missiles de croisière et des armes antinavires. D’ici son retrait opérationnel entre 2035 et 2040, il pourrait bien être adapté à l’emport d’armes hypersoniques.
Il faut dire que les 62 B-1B restant en service actuellement ont très largement dépassé les attentes initiales de leurs concepteurs. En effet, les 100 B-1B Lancer produits dans les années 1980 n’étaient à l’origine qu’une solution intérimaire en attendant l’arrivée en grand nombre du bombardier furtif B-2A Spirit. Face au renforcement des systèmes de défense soviétique, le Strategic Air Command souhaitait disposer rapidement d’un avion performant, doté d’une gigantesque charge offensive ainsi que de moyens de guerre électronique et d’une furtivité accrue par rapports aux –déjà vénérables– B-52. L’USAF a alors entrepris de transformer le programme de bombardier supersonique de haute altitude B-1A, abandonné en 1977, en un bombardier de pénétration à basse altitude : le B-1B Lancer.
Le programme B-1B a été, chose surprenante dans le secteur,
mené de main de maître, sans surcoûts et avec même des livraisons plus rapides
que prévues. En 1988, alors que le B-2A furtif était dévoilé, le 100e
B-1B sortait des chaînes de production. En tant que bombardier intérimaire, il
n’était qualifié initialement que pour la mission nucléaire. Avec la fin de la
Guerre Froide et les différents traités de désarmement, ses capacités
nucléaires disparaissent complètement au profit d’un emport en bombes lisses,
en bombes JDAM à guidage GPS puis, suite à l’intervention en Irak, en bombes à
guidage laser. De fait, le B-1B est aujourd’hui le bombardier disposant de la
plus lourde charge offensive de l’arsenal américain. Couplé à sa gigantesque
autonomie, cela en fait un appareil idéal pour l’appui des opérations au sol, y
compris celles des opérations spéciales.
Dans les années 2000, Boeing proposa le B-1R, un bombardier régional doté des mêmes moteurs que le F-22, d’un radar AESA et d’une capacité d’emport en missiles air-air. Certaines de ces caractéristiques, notamment au niveau des capteurs et armements, se retrouveront sur le B-21 Raider
Malheureusement, le B-1B souffre d’un énorme défaut : sa complexité. Doté d’une lourde voilure à géométrie variable, d’une suite électronique complexe et de quatre réacteurs F101, il est victimes de pannes à répétition qui limitent dans la pratique sa disponibilité à une douzaine d’appareils (et même seulement six à l’été 2019 !). Particulièrement coûteux et complexe à entretenir, le B-1B n’a jamais été prévu pour une utilisation aussi intensive, et il a depuis longtemps dépassé la date initialement prévue pour son retrait opérationnel.
Le retrait des 17 B-1B, qui reste encore à valider, aura principalement pour but d’éviter de financer les nouveaux arrêts techniques majeurs prévus pour cette partie de la flotte, un exercice de maintenance qui est toujours particulièrement coûteux sur le Lancer. Au-delà de la réduction de la flotte à environ 45 appareils, le Global Strike Command a décidé au mois de janvier de limiter le nombre d’heure de vol annuel pour chaque appareil à 300h, afin de lisser leur potentiel jusqu’à la fin des livraisons du nouveau bombardier furtif B-21 à l’horizon 2040. De plus, l’entraînement au vol à très basse altitude pourrait prendre fin dès cette année, limitant le B-1B à des opérations de bombardement à haute altitude, beaucoup moins stressantes pour les cellules.
La voilure à géométrie variable du B-1B lui permet de rejoindre très rapidement ses zones de tir, ce qui a été très apprécié en Afghanistan. Mais elle entraîne également une énorme complexité et des coûts d’entretien gigantesques.
Il faut dire que, en opération, le B-1B ne pratique quasiment jamais la pénétration à basse altitude, puisqu’ils sont principalement utilisés pour le soutien aérien et les opérations d’interdiction navales, notamment grâce à une capacité d’emport en mines aérolarguées. Les équipages continuent cependant de s’entrainer régulièrement à la pénétration à très basse altitude, notamment parce que de tels profils de vol seraient sans doute nécessaires en cas d’intervention contre la Chine et ses fameux systèmes de déni d’accès A2/AD. Or, faute d’entrainement adéquat pour les équipages de B-1B, l’intégralité des missions de pénétration dans la profondeur de l’USAF devront être réalisé par la petite vingtaine de B-2A furtifs…
L’USAF se retrouve donc face à une équation impossible. Si elle veut conserver une flotte de B-1B en état de vol jusqu’à l’arrivée du B-21, dont les livraisons sont prévues entre 2025 et 2037, elle devra en limiter définitivement le potentiel opérationnel. Mais si elle souhaite conserver ces capacités opérationnelles vraiment uniques afin de faire la jonction avec le B-21 Raider, elle devra accepter de ne pouvoir opérer qu’un nombre ridicule de B-1B, à l’heure même où les déploiements de cet appareil sont considérés comme des mesures de réassurance fortes.
Les premiers B-21 Raider sont attendus pour 2025. Normalement, ils devraient tous être en service en 2038, permettant de retirer les derniers B-1B. Mais en cas de retards, une vingtaine de B-1B pourraient jouer les prolongations jusqu’au milieu des années 2040.
Quoi qu’il en soit, et même si le Congrès décide de maintenir la flotte de B-1B à une soixantaine d’appareils, les jours du B-1B sont compter. Alors qu’un projet de remotorisation du B-52 pourrait lui permettre de voir l’appareil dépasser les 100 ans de carrière opérationnelle, le potentiel des B-1B s’étiole irrémédiablement. Pour les quinze à vingt prochaines années, en attendant le B-21 Raider, les forces de bombardement américaines pourraient bien connaître leur plus faible taux de disponibilité historique. D’autant plus que les projets d’armement hypersoniques, qui seraient capables de décupler le potentiel opérationnel de chaque bombardier, semblent résolument à la traîne aux États-Unis !
Lors du salon DEFEXPO en Inde, Naval Group a exposé son concept SMX 3.0 et, ce faisant, levé le voile sur ce que pourrait être sa proposition pour le programme de sous-marins P75i. D’après plusieurs sources, citant des représentants de Naval Group, le modèle de sous-marin serait ainsi proche, si non inspiré, du SMX 3.0, un design présenté pour la première fois lors du salon Euronaval 2016, à Paris. Contacté à ce sujet, Naval Group nous indique que si le SMX 3.0 n’est pas à proprement parlé « le » sous-marin proposé pour l’Inde, il est représentatif de ce que le groupe français peut proposer en terme de déplacement, d’autonomie, de discrétion et de niveau technologique.
Ces informations tendraient ainsi à confirmer des propos que nous avons recueilli à Mumbay en septembre dernier à l’occasion de l’entrée en service de l’INS Kandheri, le second sous-marin de type Scorpène construit sous licence en Inde. Le P75i, pour peu que l’Inde sélectionne à nouveau un design français, serait alors un bâtiment de la classe des 3000t et incorporerait à la fois des éléments du Scorpène de 1800t et du Shortfin Barracuda de 5000t+, déjà vendu en Australie. Rappelons que le design de ce dernier était aussi basé sur un autre concept de Naval Group, le SMX Ocean dévoilé à Euronaval 2014 et dérivé du Barracuda à propulsion nucléaire français.
Tout comme le Shortfin Barracuda s’inspire clairement du SMX Ocean sans en reprendre toutes les caractéristiques, il se pourrait aujourd’hui que le P75i dérive directement du SMX 3.0, dans une version taillée sur mesure pour les besoins indiens. En effet, les dernières sources en Inde évoquent désormais la possibilité d’intégrer un lanceur vertical pour le tir de missiles antinavires supersoniques BrahMos, une requête optionnelle mais souhaitée par les autorités indiennes.
Le modèle proposé en Inde pourrait se rapproché de celui dévoilé pour l’appel d’offre néerlandais. Un temps considéré partie intégrante de la famille des « Barracuda », ces bâtiments de 3000-3500t forment en réalité une nouvelle gamme de produits.
Présenté en 2016 comme un « concept ship », le SMX 3.0 permettait à DCNS –devenu depuis Naval Group– de présenter sa vision de l’avenir des sous-marins conventionnels. Reprenant la forme générale du Barracuda, déjà vendu en France (propulsion nucléaire) et en Australie (propulsion conventionnelle), le SMX 3.0 était néanmoins plus compact, grâce à l’utilisation d’une propulsion AIP de seconde génération et de batteries Li-Ion consommant toutes deux bien moins de volume que les systèmes d’ancienne génération. Au-delà de la forme générale rappelant un Barracuda plus compact, le SMX 3.0 était doté d’une hélice conventionnelle. De plus, ses barres de plongée avant étaient placées sur le kiosque, à l’instar du Scorpène. Sa surface était également recouverte de tuiles anéchoïques, deux caractéristiques qui se retrouvent sur les derniers visuels dévoilés pour l’appel d’offre aux Pays-Bas.
Enfin, les visuels de 2016 montraient un système de
lancement vertical placé entre le kiosque et les locaux propulsion du SMX 3.0.
A l’instar de la solution adoptée sur les SSGN Ohio américain, le design
présentait une large trappe unique qui ouvre non pas sur un tube de missile
stratégique mais sur un module pouvant contenir plusieurs tubes plus petits pour
des missiles tactiques ou des drones.
A l’époque, toutes ces technologies, notamment celles liées à la propulsion, n’étaient pas encore considérées comme mâtures, mais DCNS affirmaient qu’elles allaient bientôt entrer en phase de test. Or, l’année dernière, Naval Group a justement communiqué longuement sur les avancées effectuées sur son nouveau module AIP FC2G ainsi que sur ses nouvelles batteries lithium-ion (développées avec SAFT) capable respectivement d’améliorer prodigieusement les durées de plongée, quelque soit la vitesse du submersible.
Le SMX 3.0 dispose des gouvernes arrières en X du Barracuda, mais reprend la disposition des barres de plongée avant du Scorpène. Sa forme générale dévoile cependant la filiation avec le Barracuda. En plus de huit missiles en VLS, les tubes lance-torpille peuvent tirer 22 à 24 armes lourdes, dont les nouvelles torpilles F21 de Naval Group
Dans le cadre du programme P75i, le design SMX 3.0 se présenterait comme une base relativement logique. En effet, les six sous-marins Scorpène (classe Kalvari localement) déjà vendus à l’Inde dans le cadre du programme P75 déplacent aujourd’hui 1775t en plongée. A partir du milieu de la décennie, ils devraient recevoir progressivement un module AIP conçu en Inde qui devrait porter leur déplacement en plongée à près de 2000t. Le design Scorpène atteindrait alors ses limites évolutives. Pour répondre aux besoins futurs de l’Indian Navy, il faut non seulement un bâtiment plus lourd mais surtout une coque plus large. Avec un diamètre de 6,2m, le Scorpène est en effet dans l’incapacité d’accueillir un missile de croisière ou un missile anti-navire supersonique, dont la longueur approche généralement 7m.
Sur une base de SMX 3.0 adaptée aux besoins du P75i, Naval Group pourrait donc proposer un bâtiment d’environ 85m de long (contre 67m pour le Scorpène et 99m pour le Barracuda) et de plus de 8m de diamètre, pour un déplacement d’environ 3500t. Le P75i serait alors proposé avec un système VLS de 8 tubes pour le lancement vertical d’autant de missiles de croisière, proposés par MBDA, ou de missiles antinavires de conception nationale. Si l’Indian Navy se contente de BrahMos-NG, plus compacts, le système VLS pourrait alors ressembler à celui du SMX 3.0 de 2016, parfaitement intégré aux lignes existantes du sous-marin. Si elle réclame l’intégration du BrahMos-I, beaucoup plus long et encombrant, le module de lancement vertical sera alors plus conséquent et dépasserait de la coque épaisse. Il serait alors probablement situé dans le prolongement du kiosque pour des raisons hydrodynamiques. Dans tous les cas de figure, il est évident que le SMX 3.0, très proche du Barracuda dans ses dimensions, sera bien plus à même de supporter une telle modification que le petit Scorpène.
Cérémonie de lancement de l’INS Khanderi. Les six Scorpène du programme P75 sont déjà tous livrés ou en cours de production.
Entre autres différences par rapport au SMX 3.0, la version indienne pourrait sans doute intégrer un propulseur pompe-hélice plutôt qu’une hélice conventionnelle. Pour Naval Group, ce type de propulseur très silencieux est un véritable argument commercial, qui a notamment su séduire en Australie et qui est mis en avant aux Pays-Bas, où Naval Group propose un bâtiment encore plus proche du SMX 3.0 originel qu’en Inde. Grâce à la pompe-hélice (ou pump-jet) il est possible de doubler la vitesse silencieuse d’un bâtiment, ce qui a d’autant plus de sens pour un navire équipé de batteries li-ion bien plus performantes à grandes vitesses. La propulsion silencieuse à basse vitesse, sur de longues périodes, serait quant à elle assurée par un module AIP.
Enfin, cela nous avait été confirmé en Inde en septembre 2019, le système de combat du P75i ne sera pas le SUBTIC de Naval Group mais sera un système élaboré en Inde, a priori sur une base de SUBTIC. En effet, dans le cadre du Make In India, au moins 50% des équipements militaires vendus en Inde par un fournisseur étranger doivent être produits en Inde. Pour Naval Group, il ne serait pas possible d’obtenir un tel résultat sur le P75i sans confier au moins une partie du développement logiciel du sous-marin à des industriels indiens. De la même manière, Naval Group pourrait sans doute proposer au DRDO, l’organisme de R&D de défense indien, de travailler conjointement sur un nouveau module AIP pour le P75i, développé à partir de la technologie indienne devant équiper prochainement les Scorpène.
Les quatre Type 209 indiens, tous comme les huit Kilo encore en service, ont commencés à être livrés dans les années 1980. Leur remplacement va donc vite devenir urgent.
Nous sommes particulièrement bien placés pour une sélection sur le programme P75i. Le programme P75 [Scorpène/Kalvari] dans son ensemble s’est très bien déroulé et nous développons maintenant des partenariats à long terme avec l’Indian Navy pour la maintenance des Kalvari. Avec ce que nous avons déjà accomplis en Inde, et ce que nous mettons en place en Australie, nous sommes la seule compagnie au Monde a avoir démontré un tel niveau de transfert technologique sur un programme de sous-marins.
Olivier de la Bourdonnaye, Directeur des Programme de Naval Group, Mumbai, 28 septembre 2019
Plus encore qu’aux Pays-Bas, Naval Group se présente en Inde comme le concurrent à battre sur le marché P75i, surtout depuis que le chantier MDL qui produit les P75 Scorpène a été sélectionné comme un des deux finalistes pour le chantier P75i. Le groupe français est ainsi le seul à pouvoir proposer une pompe-hélice, il est le seul à pouvoir proposer une vraie expertise sur les nouvelles technologies AIP (avec Navantia, qui peine à convaincre sur tous les autres points), le seul à pouvoir proposer un missile de croisière naval, et le seul à pouvoir proposer un tel transfert de technologies sur les systèmes de combat. Mais c’est aussi le seul à pouvoir proposer un partenariat stratégique sécurisé sur le long terme, basé sur l’expérience encore récente du Scorpène, et pouvant découler sur l’aide à la création d’un design de sous-marin national, pour peu que l’Inde accepte de s’engager enfin sur ce chemin.
Au final, les deux principaux adversaires de Naval Group en Inde restent, comme toujours, la dimension politique (si jamais l’Inde décide de parier sur une diversification des approvisionnements) et surtout financière. De fait, rien ne dit aujourd’hui que le P75i puisse devenir une réalité dans les 10 ans à venir, alors même que les besoins n’ont jamais été aussi grand, à l’heure où le Pakistan et la Chine modernisent rapidement leurs forces sous-marines.
L’entrée en service opérationnel du site de défense anti-missiles balistiques de l’OTAN en Pologne a été, une nouvelle fois, décalé de deux ans. Initialement prévue pour 2018, puis pour le courant de l’année 2020, la livraison du site polonais de Aegis Ashore n’est finalement plus attendu avant 2022 en raisons de difficultés liées à la construction des bâtiments.
Le système Aegis Ashore est une version basée à terre du
système de défense aérienne à longue portée AEGIS qui est embarqué à bord des
croiseurs et destroyers américains de classes Ticonderoga et Arleigh Burke, ainsi
que sur certains bâtiments espagnols, sud-coréens, australiens ou encore japonais.
Le Aegis Ashore reprend pour cela le radar naval à faces planes AN/SPY-1, les
lanceurs verticaux Mk41 et le missile d’interception SM-3, également employés
par les navires américains.
Le SM-3 Block IB équipe déjà le Aegis Ashore roumain et sera à la base du site polonais. Ce dernier pourra également mettre en oeuvre le Block IIA plus massif et de plus longue portée, issu d’un développement américano-japonais.
La construction du site polonais d’Aegis Ashore s’inscrit dans le cadre du programme European Phased Adaptive Approach, annoncé en 2009 par l’administration Obama afin de protéger les membres européens de l’OTAN contre une attaque de missiles balistiques de courte et moyenne portée en provenance d’Iran. Au début des années 2000, il était prévu l’installation en Pologne d’intercepteurs lourds placés dans des silos lance-missiles, mais l’échec technique de ces derniers à contraint les États-Unis à développer une solution anti-missile basée sur les excellents systèmes de l’US Navy.
La Pologne a donc très tôt souhaité se positionner comme un acteur de la défense anti-missile de l’Europe et de l’OTAN. Pourtant, elle n’aura pas été le premier pays accueillant sur son sol des éléments de l’EPAA :
La phase 1 de l’EPAA comprenait l’installation
en 2011 d’un radar de détection avancé en Turquie, ainsi que le déploiement de
navires équipés d’Aegis depuis la base espagnole de Rota.
La phase 2 portait sur l’installation d’une base
Aegis Ashore en Roumanie. Opérationnelle depuis 2016, cette base déploie 24
missiles SM-3 aptes à l’interception exo-atmosphérique de missiles balistiques
de moyenne portée.
La phase 3, prévue pour 2018, devait comprendre
l’installation de l’Aegis Ashore polonais et l’introduction de missiles plus
puissants, les SM-3 Block IIA.
Cependant, il semblerait que les problèmes de construction s’accumulent
à Redzikowo, uniquement sur la part BTP du chantier. La main d’œuvre qualifiée
ne serait pas suffisante pour gérer le projet, et les conditions
météorologiques contraindraient régulièrement à stopper le chantier. En
conséquence, le système de combat Aegis (radars, électronique, lanceurs) doivent
être maintenus sur place dans des conteneurs protégés et climatisés.
Les retards du chantier polonais sont d’autant plus ennuyeux que tous les équipements et logiciels de l’Aegis Ashore sont parés à la mise en ligne et devront rester sous cocons pendant deux années de plus.
Lorsqu’il entrera en service en 2022, au mieux, le Aegis
Ashore polonais devrait pouvoir mettre en œuvre des missiles SM-3 Block IIA
plus lourds et nettement plus performants que les SM-3 Block IB déployés en
Roumanie. Officiellement, ces missiles offriront une capacité d’interception à
plus longue portée contre tous les missiles balistiques iraniens actuels ou prévisibles.
Officieusement, le SM-3 Block IIA pourrait être en partie obsolète face aux
véritables menaces que l’EPAA doit contrer, en provenance de Russie et de
Kaliningrad.
En effet, si l’installation des sites européens de l’EPAA en Roumanie et en Pologne soulèvent provoquent régulièrement la colère de Moscou, c’est parce qu’ils pourraient contribuer à la tentative otanienne de rééquilibrage des forces balistiques et anti-missiles en Europe de l’Est, que la Russie continue de considérer comme sa sphère d’influence. Entre la Pologne et la Lituanie, toutes deux membres de l’OTAN, l’enclave russe de Kaliningrad comprend des systèmes de défense anti-aérienne S-300, S-400 et S-300V4 à même de gêner considérablement (voire d’empêcher) toutes opérations aériennes de l’OTAN dans un rayon de plus de 300km. De plus, la Russie aurait déployé sur place plusieurs batteries de missiles balistiques Iskander capables d’employer des charges conventionnelles ou nucléaires à près de 500km.
Pour l’heure, cependant, les missiles exo-atmosphériques SM-3 restent taillés pour la lutte anti-missiles balistiques uniquement. S’ils peuvent effectivement contrer des Iskander, pour peu qu’ils ne soient pas tirés sur des trajectoires tendues, ils restent parfaitement inefficaces non seulement contre des cibles aériennes –avions, missiles de croisière– mais également contre les nouveaux systèmes hypersoniques russes, tel que l’Avangard et le Kinzhal, qui volent sous l’altitude d’interception des SM-3.
Pour sa défense aérienne, la Pologne déploie des Patriot PAC-3 MSE ainsi que le système israélien SkyCeptor. Construits sous l’égide de l’OTAN, les Aegis Ashore restent entièrement dévolus à la défense antimissiles balistiques. Leur potentiel d’évolution théorique reste toutefois immense.
En somme, si les sites Aegis Ashore et l’EPAA dans son ensemble peuvent effectivement contrer des tirs balistiques venus de Russie continentale, ils ne remplacent pas pour autant les systèmes Patriot et SkyCeptor qui sont utilisés en Pologne pour la défense anti-aérienne. Ils ne permettent pas non plus de contrer les nouveaux missiles et planeurs hypersoniques russes, même s’ils contribuent à en justifier le déploiement d’après la rhétorique de Moscou.
Pour autant, les Aegis Ashore ne sont pas inutiles, bien au
contraire. S’ils servent effectivement de mesure de réassurance des États-Unis
vis-à-vis de l’Europe de l’Est, ils constituent également une bonne base pour l’élaboration
de systèmes anti-aériens conçus selon le même modèle que le système antibalistique
EPAA. En effet, l’infrastructure de base de l’Aegis Ashore pourrait permettre
de déployer bien plus que 24 lanceurs Mk41. Les croiseurs sud-coréens
déploiement en effet pas moins de 128 lanceurs verticaux dont 80 Mk41, tandis
que les classes Maya et Atako japonaises embarquent 96 Mk41 aptes au tir de
SM-3.
Les nouveaux destroyers japonais Maya possèdent 96 lanceurs Mk41 capables d’embarquer des missiles SM-3 Block IIA et SM-6, ce qui en fera les meilleures unités ABM de la région Asie-Pacifique.
Mieux encore, les Mk41 pris en charge par l’Aegis Ashore pourraient parfaitement intégrer des missiles SM-6 capable de détruire tous types de menaces aériennes (avions, missiles de croisière, hélicoptère, missiles balistiques de portée intermédiaire) à des distances pouvant aller jusqu’à 400km. Un missile moins spécialisé dans l’ABM mais dont la versatilité en fait un redoutable effecteur. Enfin, les Mk41 pourrait déployer des missiles SM-2 ou des ESSM pour la défense des sites Aegis Ashore eux-même face à des attaques aériennes. La crainte de Moscou suite au retrait américain du traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire (FNI) pourrait également être de voir les lanceurs Mk41 embarquer des missiles de croisière Tomahawk capables de frapper Kaliningrad mais aussi une partie de la Russie, jusqu’à Moscou depuis les lanceurs de Redzikowo.
Ainsi, plus que leurs capacités actuelles ou projetées, les Aegis Ashore inquiètent Moscou par le potentiel qu’il révèle, celui de venir concurrencer directement à la fois les S-400 et les Iskander. Avec toutefois aucune mobilité et nettement moins de souplesse tactique.
Les déclarations portant sur l’imminence d’une attaque massive menée par les forces turques contre les forces du régime de Damas, soutenues par la Russie, autour de la ville d’Idleb dans le nord de la Syrie, ne cesse de provoquer des réactions au sein des alliances mondiales, au point de potentiellement profondément bouleverser le paysage géopolitique mondiale dans les mois qui viennent.
Les forces turques ont amassé des troupes et des blindés dans le nord de la Syrie pour lancer une opération massive contre les forces syriennes du régime de Damas
Encore meilleurs amis du monde il y a peu, Moscou et Ankara se retrouvent dès lors de part et d’autre des antagonismes, avec un risque de conflit majeur jugée « sérieux » par les analystes de l’OTAN. En outre, les alliés occidents, qui il y a seulement quelques semaines tançaient les autorités turques pour l’achat des systèmes S-400 russes, les manoeuvres agressives autour de Chypre pour imposer le partage des ressources gazières récemment mises à jour, ou son implication croissante dans le conflit Libyen, se sont retrouvées à soutenir Ankara face à Moscou et Pékin, lors de la session du Conseil de Sécurité des Nations Unis du 19 février, lorsque les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne soutinrent les propositions turques, bien qu’elles furent finalement bloquées par le veto sino-russe.
Pour Washington et Londres, il s’agit probablement de profiter des circonstances pour favoriser la rupture entre Moscou et Ankara, sur les ruines de ce qu’il reste des accords d’Astana. Pour Berlin, en revanche, la principale crainte repose sur les 900.000 réfugiés qui se dirigent vers les frontières turques, et que les autorités du pays pourraient très bien transformer en une nouvelle crise migratoire européenne. En outre, avec plus de 4 millions de ressortissants turcs installés sur son territoire, l’Allemagne ne peut prendre des positions trop tranchées vis-à-vis d’Ankara, au risque de devoir faire face à d’importants troubles intérieurs.
La Turquie accueille déjà 3,5 millions de réfugiés de la crise Syrienne, et 900.000 autres, fuyant les combats à Idleb, se dirigent vers ses positions
Pour Moscou, en revanche, l’action militaire du régime syrien dans le nord du pays apparait comme indispensable à de nombreux aspects. Non seulement permettrait elle à Damas de se rétablir encore davantage dans ses frontières d’avant-guerre, mais également de signer le retour de la Russie au premier plan des grandes puissances internationales, même si pour cela, elle doit sacrifier ses espoirs de détacher la Turquie de l’OTAN. A ce titre, le soutien de la Chine au Conseil de Sécurité de l’ONU apparait comme un signal important de l’équilibre des forces qui se dessinent aujourd’hui, et notamment en ce qui concerne l’émergence d’une alliance forte entre Pékin et Moscou sur la majorité des dossiers mondiaux.
Mais le conflit qui se dessine risque d’avoir des conséquences au delà de la seule alliance sino-russe. Les monarchies sunnites du Golfe persique, et leurs alliés, semblent en effet de plus en plus opposées aux différentes initiatives turques, qu’elles soient en Syrie, en Libye, ou en Méditerranée orientale. Ainsi, le ministre des affaires étrangères saoudien, Adel Al-Jubeir, a clairement pris position contre ces initiatives turques. Les Emirats Arabes Unis ont un discours sensiblement identique, d’autant qu’ils soutiennent les forces du général Haftar en Libye, face aux forces gouvernementales de Tripoli bénéficiant du soutien d’Ankara, qui a récemment déployé 2000 hommes et de nombreux blindés sur place. Quand à l’Egypte, elle maintient une force militaire significative à ses frontières avec la Libye, et a à plusieurs reprises menacé d’intervenir militairement si Ankara persistait à déployer des forces dans la région.
La Grèce doit maintenir une posture opérationnelle suffisamment dissuasive pour prévenir tout aventurisme turc en mer Egée ou autour de Chypre, malgré un budget des armées 4 fois inférieur à son voisin
Il ne reste aujourd’hui à Athènes et Nicosie guère que Paris pour garder une posture ferme vis-à-vis du régime du président Erdogan. Non seulement les autorités françaises ont-elles annoncé un rapprochement militaire avec les forces grecques, notamment autour de l’ile de Chypre, mais Paris et Ankara ne semblent jamais à court de sujets de discorde. Alors que les autorités françaises apparaissent de plus en plus isolées au sein de l’OTAN comme de l’Union européenne sur les questions de l’Europe de La Défense, répondre aux attentes grecques en matière de soutien militaire pour faire face à la pression imposée par le renforcement militaire rapide de la Turquie, apparait de plus en plus comme un socle potentiel pour mettre en oeuvre cette vision française d’une Europe plus indépendante et plus autonome dans ses décisions comme dans ses actions, en matière de défense.
Mise à jour 20/02 18:30 : il semble que les combats entre les forces armées syriennes et les forces para-militaires pro-turques soutenues par l’armée d’Ankara aient déjà commencé, suite au déclenchement d’une offensive sur Idleb. Les rapports sont à ce point opposés dans leurs récits et bilans qu’il est impossible de s’appuyer sur aucune source fiable pour l’instant. Toutefois, il semble que les forces aériennes soient effectivement intervenues en soutien des forces de Damas.
D’après des sources militaires pakistanaises, Islamabad aurait procédé il y a trois jours au test d’un nouveau missile de croisière destiné aux avions de combat pakistanais. Ce missile, désigné Ra’ad-II, est un dérivé profondément modernisé du Ra’ad-I testé il y a déjà plus de 10 ans et qui pourrait être intégré en petite quantité à la panoplie d’armement des Mirage III pakistanais.
Comparativement au Ra’ad-I, le Ra’ad-II (ou Haft-8 Mk.2)
aurait une portée quasiment doublée l’emmenant à près de 600km. Il serait
équipé d’un système de guidage moderne et pourrait servir de base au
développement d’une version antinavire. D’une masse d’environ une tonne, le
missile troquerait les anciennes surfaces de contrôles massives du Ra’ad-I pour
une disposition d’empennage en X, plus compact et entrainant moins de trainée
aérodynamique. Pour Islamabad, le développement de missiles de croisière de tous
types, notamment aéroportés, est vu comme une priorité stratégique face au
développement des capacités de frappe à longue portée de l’Indian Air Force.
Missile Ra’ad-II au lancement. Le point ventral du Mirage III permet l’emport de charges particulièrement lourdes et encombrantes.
En premier lieu, si le Ra’ad-II venait à être opérationnel, il pourrait être équipé au choix d’une charge conventionnelle ou d’une tête nucléaire, ce qui en ferait de facto une arme de dissuasion. Face à l’Inde, qui dispose d’une profondeur stratégique bien supérieure à celle du Pakistan, Islamabad entend en effet constituer une véritable triade nucléaire basée non seulement sur des missiles balistiques et missiles de croisière lancés depuis le sol, mais aussi sur des missiles de croisière tirés depuis ses sous-marins Agosta (en cours de rénovation en Turquie) et ses avions de combat.
Plus que sa charge utile, c’est donc l’autonomie du missile qui pourrait bien modifier la donne pour l’armée de l’air pakistanaise. En effet, avec une portée de 550 à 600km, le Ra’ad-II permettrait de réaliser des missions stratégiques dans la profondeur sans même avoir à quitter l’espace aérien pakistanais. Ce qui a longtemps été un argument pour l’Inde, pourrait, dans les années à venir, en devenir un pour le Pakistan, puisque New Delhi serait alors à portée, et que Bombay s’en approcherait dangereusement.
Vue d’artiste d’un Mirage III pakistanais et d’un Ra’ad-I. Le Ra-ad-II semble présenter une configuration plus aérodynamique et plus furtive.
Incidemment, même si cela peut paraître contradictoire, le Ra’ad-II pourrait alternativement augmenter et réduire les risques d’escalade en cas de crise grave avec son voisin indien. En effet, ce nouveau missile devrait permettre aux forces aériennes pakistanaises de frapper dans la profondeur des objectifs jusqu’ici inédits, sans s’exposer aux défenses antiaériennes indiennes, ce qui pourrait entrainer des ripostes équivalentes. Inversement, en cas d’attaque sur un objectif bien précis, le Ra’ad-II devrait permettre de limiter les moyens employés, puisque certaines cibles indiennes ne peuvent aujourd’hui être attaquées que par des raids aériens massifs ou des tirs de missiles balistiques, augmentant les risques d’escalade. En somme, selon la doctrine d’emploi qui sera appliquée au sein de la force aérienne pakistanaise, l’arrivée de missiles de croisière pourrait permettre un certain rééquilibrage des forces vis-à-vis de l’Indian Air Force, et donc limiter le besoin de recourir à des démonstrations de force musclées.
Sur le plan tactique, enfin, le Ra’ad-II pourrait être le premier élément d’une parade destinée à contrer le déploiement par l’Inde de systèmes anti-aériens à longue portée S-400. De manière générale, entre le S-400 et l’arrivée du missile METEOR sous Rafale, l’Inde s’équipe massivement en systèmes de déni d’accès. Ces derniers sont destinés à contrer avant tout la puissance militaire chinoise, mais offrent bien évidemment un avantage indéniable face aux forces pakistanaises, qui cherchent alors à s’équiper en connaissance.
Le JF-17 pakistano-chinois est sans conteste un bon chasseur léger. Ses capacités d’emport en charges encombrantes restent cependant limitées.
Plus compact que le Ra’ad-I, le Ra’ad-II vise également à anticiper le retrait opérationnel des vénérables Mirage III modernisés qui constituent encore le fer de lance des forces d’attaque pakistanaises. Le nouveau missile devrait ainsi pouvoir être embarqué à bord du monoréacteur JF-17 conçu en collaboration avec la Chine et qui devrait continuer à intégrer de plus en plus d’escadrons pakistanais. En attendant l’arrivée d’un futur chasseur lourd que le Pakistan pourrait développer en collaboration avec la Chine ou la Turquie.
La proposition faite par le président français Emmanuel Macron à l’occasion d’un discours sur les évolutions de la dissuasion française, et sa possible extension au niveau européen, est pour le moins mal perçue de la part des partenaires de la France, qu’ils soient européens ou transatlantiques. À l’occasion de la conférence de Munich sur la sécurité, plusieurs voix se sont clairement élevées contre ce projet et ses implications.
Ou du moins est-elle présentée ainsi par la presse américaine. Les dernières déclarations du président Français, concernant une sphère d’influence européenne en Méditerranée ou dans le lien avec la Russie, sont également interprétées comme une rupture de ban, bien plus menaçante que l’acquisition de systèmes S-400 par Ankara.
Pour l’administration Trump, la proposition française en faveur d’une plus grande indépendance européenne en matière de défense, est autrement plus grave que l’acquisition de systèmes S-400 par la Turquie
Mais le rejet des propositions françaises ne se limite pas aux officiels américains. En Europe également, les réactions sont pour le moins négatives. Ainsi, le premier ministre néerlandais a publiquement considéré que la France voulait une Europe de la Défense certes, mais une Europe de La Défense sous contrôle français.
Non seulement n’est-il pas parvenu à fédérer les européens autour de son projet, mais il semble qu’au contraire, il soit parvenu à fédérer ces mêmes européens contre lui, son projet, et la France. Car si plusieurs chefs d’Etat et représentants officiels de gouvernement européens et alliés se sont exprimés contre le projet présenté, aucun ne s’est, en revanche, exprimé en sa faveur.
Non seulement les européens ont la plupart du temps privilégié les équipements de défense d’origine américaine, mais ils en adoptent sans réservent la tutelle politique et sécuritaire
Reste à voir, désormais, quelles seront les conséquences que le président français tirera de ce rejet massif. Traditionnellement, la France, et l’opinion publique française, sont largement plus favorables à une position internationale privilégiant une réelle indépendance de pensés et d’actions sur la scène internationale.
La rupture constatée entre les positions françaises, européennes et américaines, à tout le moins sur les questions de défense, devrait amener les autorités françaises à réviser les ambitions européennes des projets en cours, ou tout du moins à privilégier le maintien des capacités et savoir-faire de la base industrielle et technologique nationale, ainsi que des armées françaises, à d’éventuels bénéfices en matière de coopération européenne.
Il semble également acquis que l’espoir de voir émerger une Europe de la Défense telle qu’envisagée par le président français est hors de propos. La dépendance vis-à-vis des États-Unis semble à ce point ancrée dans les esprits des leaders européens qu’il apparait inutile de tenter de créer la prise de conscience espérée par Emmanuel Macron, quoiqu’aient pu en dire les leaders européens en aparté, comme lorsque la chancelière allemande s’était exprimée en faveur d’une armée européenne ou d’un porte-avions franco-allemand.
Si la France veut effectivement amener certains européens à rejoindre une initiative de défense européenne plus indépendante vis-à-vis de Washington, il est désormais clair qu’elle devra commencer par renforcer ses propres capacités militaires, et son poids sur la scène internationale, de sorte à permettre aux leaders européens de basculer d’une alliance vers une autre sans y perdre en matière de sécurité.
Force est de constater, désormais, que la vision européenne du président Macron n’est pas partagée sur le vieux continent, et qu’il convient dès lors de repenser la sécurité nationale et les capacités militaires du pays dans une optique plus autonome, sans s’appuyer sur une possible dépendance stratégique européenne.
Sans passer par cette étape, qui pourrait d’ailleurs nécessiter une prise de distance vis-à-vis de l’OTAN, ou tout du moins du Commandement Intégré, il est très peu probable qu’une quelconque capitale européenne ne se déclare, même du bout des lèvres, en faveur d’une position plus indépendante vis-à-vis des États-Unis, ainsi que de ses proxys européens. Une chose est certaine, il sera désormais impossible au président français de rester sur la même ligne en matière de politique internationale et européenne.
En 2018, la France et l’Allemagne signaient une lettre d’intention de coopération visant sur le développement d’un nouvel avion de patrouille maritime (PATMAR) devant remplacer les avions actuels à l’horizon 2035, le MAWS (Maritime Airborne Warfare System). Entre temps, la France pourra compter sur 18 vénérables ATL2, ou Altantique 2, actuellement en cours de rénovation et toujours prêts à assurer la sécurité des opérations navales et terrestres françaises, partout dans le monde.
En Novembre dernier, un article du capitaine de frégate Molina publié dans la Revue de Défense Nationale dressait un portrait-robot de ce que pourrait être cet avion PATMAR du futur. Le modèle qui se dégage alors de l’article est assez logique au premier abord, mais présente néanmoins certaines contradictions entre les besoins opérationnels et les solutions industrielles disponibles. De quoi interroger le bien-fondé d’un certain conservatisme des forces armées qui peut conduire à des impasses technologiques avec lesquelles les opérateurs devront composer pendant plusieurs décennies, étant donnée la durée actuelle des programmes militaires.
Conçu spécifiquement pour la mission de patrouille maritime, l’ATL2 s’illustre aussi régulièrement en Afrique et au Moyen-Orient. Plus encore que pour la détection de sous-marin, son nez vitré sert également au suivi visuel de cibles terrestres.
Dans un premier temps, revenons sur les différents constats établis par le commandant Molina dans son article. Son analyse liste les différentes caractéristiques indispensables à un avion de PATMAR moderne et performant :
Endurance : la durée sur zone et la
persistance de l’observation (sans interruption pour cause de ravitaillement en
vol) sont un prérequis indispensable pour un avion de PATMAR, que ce soit pour
traquer des sous-marins en haute mer ou des insurgés dans le désert.
Propulsion : « le futur Patmar
français devrait être à réaction » nous dit l’article, à juste titre. Les
turboréacteurs modernes offrent en effet un excellent rendement, y compris à basse
altitude. Les avions peuvent opérer sur de longues périodes, tout en disposant
d’une vitesse de pointe plus élevée pour rejoindre la zone d’opération ou
« sauter » sur une nouvelle piste. Cela se fait au détriment de la
maniabilité à très basse altitude, mais la portée des capteurs actuels permet d’opérer
à des altitude plus confortables.
Capteurs et équipages : l’article milite
pour que le futur PATMAR soit un appareil assez lourd, au moins de la classe de
l’ATL2 qui peut embarquer jusqu’à une vingtaine de personnes. Une grosse
cellule est en effet indispensable pour permettre l’emport de capteurs très
diversifiés et complémentaires (boule infrarouge, radars, bouées acoustiques,
détecteurs magnétiques, etc.) mais aussi pour embarquer tout l’équipage
nécessaire à leur exploitation sur de longues périodes.
Les surfaces vitrées : enfin, le capitaine
Molina insiste sur la pertinence actuelle du nez vitré de l’ATL2, rappelant que
près de 10% des détections initiales de sous-marins s’effectuent encore à vue.
Suivant la logique voulant qu’aucune régression capacitaire ne doit avoir lieu
entre l’ATL2 et le futur PATMAR, l’implantation de baies et hublots d’observation
permettant une détection visuelle à 360° devra être « au cœur du projet ».
Le portrait-robot dressé dans l’article de la RDN semble
ainsi dessiner un avion PATMAR idéal. Malheureusement, le dernier point soulevé
par l’auteur pourrait bien conduire, s’il était respecté, à la sélection d’un
appareil mal adapté à l’évolution de la patrouille maritime dans les décennies
à venir. Plus vraisemblablement, si la Marine Nationale décide de mettre un
point d’honneur à intégrer des capacités de détection visuelle renforcées sur
le MAWS, cela pourrait bien se faire au prix fort et au détriment d’autres
capacités plus essentielles.
L’A320neo MPA aurait l’avantage d’être une solution européenne permettant de concurrencer le P-1 japonais et le P-8 américain. Comme pour tout nouvel appareil, il s’agirait cependant d’un compromis qui apporte certaines nouvelles capacités et en fait disparaître d’autres pourtant bien pratiques aujourd’hui.
En effet, à l’heure actuelle, quatre appareils ou familles d’appareils ont été évoqués comme base plus ou moins sérieuse pour le développement du MAWS. Évacuons immédiatement la proposition de partenariat avec les Japonais autour du Kawasaki P-1, qui aurait du mal à se justifier politiquement, aussi efficace que soit l’appareil. Reste alors trois candidats :
Une option haute autour du A320neo MPA d’Airbus, un avion de ligne biréacteur modifié plus ou moins en profondeur (en fonction des besoins et budgets qui restent à déterminer) afin d’accueillir une suite de détection maritime complète et des armements sous voilure et/ou en soute.
Une option médiane articulée autour d’un avion d’affaire Falcon de Dassault. Moins « européenne » et surtout moins ambitieuse que l’A320 MPA, cette solution permettrait d’offrir un compromis entre les performances (vitesse, propulsion) et le coût d’achat et de revient. Au prix d’une réduction drastique de l’équipage, de l’emport et du rayon d’action.
Enfin, des options basses pourraient s’articulées autour d’avions de surveillance maritime armés reprenant les concepts actuels, par exemple sur une base de CASA C-295 turbopropulsé. Il s’agirait ici d’un remplacement à minima des ATL2 français et P-3 allemands, sans réel gain capacitaire.
L’adjonction d’un nez vitré sur un C-295, ou sur tout autre appareil civil d’ailleurs, ne serait pas évidente. Les avions turbopropulsés se prêtent cependant un peu mieux à des modifications majeures, permettant d’envisager des baies d’observation intégrées aux portes latérales ou à l’arrière de l’avion.
Néanmoins, aussi déplaisante qu’elle puisse être, cette
dernière solution sur base d’avion turbopropulsé serait techniquement la seule capable
de « ne pas avoir de régression par rapport aux capacités actuelles »
des ATL2. En effet, il est pratiquement impossible d’imaginer un nez vitré
implanté sur un Airbus A320 ou un Falcon 8X, alors que l’opération pourrait
être envisagée sur un avion de transport tactique. Le cas échéant, la voilure
haute d’un CASA permettrait l’implantation aisée de 4 à 6 hublots d’observation,
voire même la transformation de la porte de chargement arrière en point d’observation
panoramique. Il serait cependant dommage de choisir un appareil quasi identique
à l’ATL2 : pour éviter de perdre la moindre capacité, on se priverait
alors d’en gagner de nouvelles, notamment en matière de rayon d’action et de
capacité d’emport.
Si la solution A320 MPA était adoptée, et pour peu que l’insistance
de la Marine soit réelle, on pourrait éventuellement imaginer la création d’une
baie d’observation ventrale, à l’instar de ce que l’on retrouve sur les
ravitailleurs KC-135, mais orientée vers l’avant plutôt que vers l’arrière de l’appareil.
Or, une telle option serait sans doute particulièrement coûteuse à implémenter,
alors même qu’il n’est pas certain que la France et l’Allemagne disposent des
fonds nécessaires pour doter le A320 MPA d’une soute à armement, si l’avion
était sélectionné pour MAWS. De plus, l’espace ventral est déjà très prisé sur un
PATMAR, pour la soute à armement mais aussi pour la boule optronique, le radar
ou les antennes d’écoute électronique.
Avec une boule optronique, un radar et une soute à armement, le ventre de l’A320 MPA n’a guère de place pour une baie de détectin à vue. La présence de hublots d’observation de part et d’autres de l’appareil ne serait-elle pas suffisante pour les missions à venir ?
La question se pose donc : la préservation d’une
capacité aujourd’hui éprouvée doit-elle se faire au détriment du financement d’autres
capacités aussi si ce n’est plus importantes ? On peut en douter, sachant
que le P-1 japonais, conçu à zéro comme un avion PATMAR –et non dérivé d’un
avion commercial– semble très bien se passer de baie d’observation qu’il aurait
pourtant été possible d’intégrer dans le design initial. Sans douter de l’intérêt
de l’observation visuelle, les PATMAR modernes semblent de toute manière
évoluer à plus haute altitude que les ATL2 et se reposeront à l’avenir sur des
capteurs déportés ainsi que sur l’utilisation d’IA couplées à des caméras pour
automatiser les tâches de surveillance.
L’argument soulevé par le commandant Molina pour justifier l’importance d’une baie de détection à vue peut ainsi être questionné de la sorte : sans nez vitré, est-ce que le taux de détection visuel ne pourrait pas atteindre également les 10%, par le biais de hublots notamment ? Est-ce que ces 10% de sous-marins auraient également été détectés par un avion de type P-3C Orion, privé de baie d’observation ?
Seul avion moderne conçu spécifiquement pour la patrouille maritime, le P-1 ne dispose pas de nez vitré. Les fenêtres de son cockpit sont cependant très largement dimensionnées, et l’appareil embarque quatre hublots d’observation panoramique, dans ce qui semble un bon équilibre entre capacités d’observation visuelle et capacités radar/optroniques.
Cette discussion peut paraître triviale, mais elle est en réalité essentielle à l’heure où les armées européennes renouvellent une grande partie de leurs équipements militaires. Les doctrines, traditions, matériels et entraînements actuels peuvent donner à penser que certains équipements sont essentiels, et que tout retour en arrière entraînerait nécessairement un recul capacitaire. Or, l’arrivée de nouvelles technologies et l’émergence d’un mode de pensée technologique articulée autour du « système » plutôt que du « vecteur unique » permettra bien souvent de compenser partiellement certains retraits opérationnels, tout en offrant des capacités globales nettement mieux adaptées aux enjeux militaires de demain.
Ainsi, l’arrivée des technologies de réalité augmentée permettrait d’imaginer un ensemble de capteurs optiques multi-spectraux couvrant le périmètre autour de l’appareil, et relié à un ou plusieurs casque de réalité visuel haute définition, permettant non seulement de compenser l’absence de postes d’observation visuels, mais également d’en étendre les performances de détection grâce à l’extension du spectre d’observation, mais également par l’intégration d’algorithmes d’assistance à la détection visuelle. En outre, ces technologies pourraient, ultérieurement, se voir coupler avec des drones aerolargués, permettant aux personnels d’assurer cette veille optique même lorsque l’appareil est au dessus de la couche nuageuse, voir de l’étendre en matière de surface couverte. N’oublions pas, en effet, qu’au delà des missions de lutte anti-sous-marine, les avions de patrouille maritime assurent également un rôle déterminant dans l’assistance aux navires en détresse, domaine dans lequel l’identification optique joue un grand rôle.
L’adaptation des technologies de réalité augmenté aux besoins des armées ouvrira de nombreuses alternatives à la détection optique telle que considérée aujourd’hui
Quoiqu’il en soit, il convient de se demander certes si les capacités actuelles auront également du sens dans le futur, mais il est également nécessaire d’étendre la réflexion sur la façon dont il sera possible de maintenir ou d’étendre les performances de ces outils eu égard aux évolutions technologiques en cours et à venir.