L’acquisition de F-15 dans un nouveau standard pour le compte de l’USAF a franchi cette semaine une nouvelle étape décisive. En effet, les centrales d’achat gouvernementales US viennent de publier des sollicitations auprès de Boeing et du motoriste General Electric pour l’acquisition de « quantités indéfinies » de chasseurs F-15EX et de réacteurs F110. S’il ne s’agit pas d’un contrat à proprement parlé, cette démarche permet aux industriels de se préparer à ces derniers afin d’accélérer les futures livraisons.
Pour rappel, le financement du Département de la Défense pour l’année 2020 accorde à l’USAF près d’un milliard de dollars pour l’acquisition de 8 F-15X, dont deux avions de tests qui détermineront la pertinence de futures livraisons. Cette acquisition relève ainsi initialement d’une décision politique, poussée par le Sénat, et non d’une demande de l’USAF qui reste en priorité attachée à ses livraisons de F-35. Pour le législateur, l’achat de F-15X parallèlement à celui de F-35, et au rétrofit de certains F-15C, est la seule solution permettant à l’USAF de palier au vieillissement de sa flotte et de permettre l’introduction de 72 nouveaux appareils chaque année.
La route n’est ainsi pas encore complétement pavée pour le F-15X au cœur de l’USAF. Néanmoins, les déboires et surcoûts du F-35A aidant, et malgré les affirmations politiques maintenant une prévision de plus de 1700 F-35A pour la seule USAF, la nouvelle mouture du F-15 Eagle de Boeing va sans doute rester pendant quelques années une véritable épée de Damoclès au-dessus du F-35 de Lockheed Martin. D’après les notices d’intentions publiées par le gouvernement américain, il serait ainsi envisagé de pouvoir acheter « jusqu’à 480 réacteurs F110 », de quoi motoriser ainsi plus 220 F-15X, moteurs de rechange inclus. Même si le F-15X doit encore passer sa phase de test et prouver son intérêt opérationnel par rapport aux F-15C et F-15E actuels, notamment, de tels chiffres montrent que le Département de la Défense est prêt à remplacer intégralement la flotte de F-15C Eagle ou de F-15E Strike Eagle par le nouveau F-15X s’il s’avérait que la pleine capacité de production de la chaîne du F-35, récemment décalée de mi-2019 à début-2021, devait subir de nouveaux retards.
L’arrivée prochaine d’un petit nombre de F-15X élargit également l’horizon opérationnel de l’USAF, même si le F-35A finissait par tenir toutes ses promesses. En effet, les documents dévoilés cette semaine semblent lever les doutes sur les capacités opérationnelles des nouveaux F-15. Ainsi, le F-15X est proposé par Boeing sous deux versions disposant globalement des mêmes capacités militaires : le F-15CX monoplace et le F-15EX biplace. Comme c’était pressenti depuis quelques mois déjà, il semblerait que tous les F-15X à recevoir par l’USAF soient en version EX biplace, qui apparaît mieux adaptée pour les missions longues en environnement contesté, qui pourraient rapidement devenir la spécialité de ce nouvel appareil.
Techniquement, le F-15EX Advanced Eagle reprend ainsi la forme générale du F-15SA vendu à l’Arabie Saoudite, avec quelques fioritures au niveau des équipements de guerre électronique ou de fusion de données. L’appareil disposera d’un nouveau cockpit articulé autour d’écrans tactiles de grande dimension, d’un radar AESA APG-82 multirôle, et pourra embarquer des pods de désignation laser Sniper mais aussi un FLIR/IRST Legion lui conférant une capacité de détection passive à longue distance.
Mais l’énorme avantage de cet appareil, à la fois sur le F-35 et sur les anciens Eagle, reposera dans son extraordinaire capacité d’emport. Grâce à l’introduction de commandes de vol électroniques et d’une nouvelle structure de voilure, deux points d’emports supplémentaires ont été ouverts sous voilure, permettant l’emport de deux missiles air-air chacun. L’emport maximum « simple » en configuration air-air est donc porté à 12 missiles AMRAAM et AIM-9X, avec trois réservoirs externes et deux réservoirs conformes contre 8 missiles pour le F-15C. Si les emports doubles proposés par Boeing sont sélectionnés par l’USAF, la capacité serait alors portée à 16 missiles, voire 22 nonobstant le débarquement de deux réservoirs pendulaires sous voilure. Pour les missions air-sol, le F-15EX verra sa dotation en armements largement étendues, avec la capacité d’emporter des missiles anti-radars HARM/AARGM ou encore des missiles de croisière JSOW ou SLAM-ER. L’avion pourra également mener des assauts en mer avec l’emport de missiles Harpoon. Dans les faits, un unique F-15EX serait ainsi capable d’embarquer la charge utile combinée d’un F-15E et d’un F-15C !
Concrètement, le double avantage opérationnel du F-15EX réside dans sa capacité d’emport et son allonge, largement supérieure à celle du F-35A qui reste actuellement incapable d’embarquer des réservoirs externes. Les F-15EX pourront alors servir de « réservoirs » à munitions en combat air-air au profit des F-22, qui se contenteraient de désigner discrètement les cibles, ou tout simplement réaliser des missions d’interdiction lourdes avec une empreinte logistique plus faible comparativement au F-35, notamment en matière de ravitaillement en vol. Le F-15EX permettrait ainsi à l’USAF de compenser en partie son trop faible nombre de F-22 et d’élargir le champs d’action de ses appareils tactiques. Les F-22 se chargeraient des missions furtives à long rayon d’action, les F-15EX des opérations moins exigeantes sur le plan de la discrétion, toujours à grande distance, tandis que les F-35A resteraient le cheval de bataille à moyenne portée. De quoi réitérer, sur les prochaines décennies, le trio actuel F-15C/F-15E/F-16C, la furtivité et la capacité d’emport en plus.

L’avenir nous dira cependant de quoi le mix capacitaire de l’USAF sera fait. On l’a déjà vu avec le A-10C, sauvé par le Congrès de la retraite anticipée depuis plus de 10 ans, les plans de l’USAF ne sont pas écris dans le marbre, et les législateurs peuvent très bien décider de pousser la force aérienne à conserver une double chaîne d’approvisionnement pour ses chasseurs. De quoi s’assurer que l’USAF ne sera pas dépourvue en cas de catastrophe industrielle sur le F-35, mais aussi de quoi compenser les faiblesses opérationnelles du F-35A (rayon d’action) et du F-22 (emport de charges).
Au-delà d’être une sorte d’assurance vie en cas d’échec du F-35, à l’instar du Super Hornet qui continue à alimenter les escadrons de l’US Navy, l’arrivée de l’Advanced Eagle marque aussi le début du questionnement sur le remplacement des F-15 américains. Avec l’arrêt brutal et anticipé de la production de F-22 après seulement 187 exemplaires, le gros de la flotte d’interception et de supériorité aérienne de l’USAF reste assurée par les diverses variantes du F-15. Or, avec plus de 1700 F-35A prévus, soit plus que l’ensemble de la flotte tactique actuelle de l’USAF, tous appareils confondus, il apparaît pour le moins complexe d’envisager un remplacement des F-15C –puis des F-22– par un quelconque appareil, F-15EX ou avion de sixième génération, sans réduire les commandes de F-35. Dans les deux décennies à venir, l’USAF pourrait ainsi payer très cher les décisions prises au début des années 2000 lorsque le combat asymétrique semblait être la nouvelle norme et que les avions de hautes performances s’apparentaient à des reliques du passé.
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