En déplacement en Pologne ce 4 février, E. Macron semble prêt à entamer un rapprochement diplomatique et politique avec la Pologne, alors même que Paris et Varsovie sont quelque peu en froid depuis quelques années. Si les sujets militaires sont au cœur des querelles récentes entre la France et la Pologne, ils pourraient cette fois-ci permettre leur réconciliation. Le Président de la République a en effet évoqué la possibilité d’intégrer la Pologne au sein du programme de char de combat futur, le MGCS (Main Ground Combat System), possiblement dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP ou PESCO en anglais) de l’Union Européenne. Une idée intéressante qui soulève néanmoins de nombreuses interrogations.
L’idée d’une participation de la Pologne au MGCS, qui vise à remplacer les chars Leclerc français et les Leopard 2 allemands au cours de la prochaine décennie, n’est pas récente. Elle a en effet été évoquée dès 2016 par l’ancien Ministre de la Défense polonais Antoni Macierwicz, et n’a depuis jamais été abandonnée par Varsovie. L’élargissement du programme MGCS dans le cadre d’un projet PESCO/CSP est d’ailleurs poussé par la Pologne depuis l’année dernière, comme le rapporte Nathan Gain sur Forces Operations Blog en août 2019.
Déjà, alors que l’Allemagne s’estimait prête à dialoguer avec Varsovie sur ce sujet, c’était très loin d’être une priorité pour Paris. Les autorités françaises devaient en effet avant tout veiller à ce que le rapprochement entre les industriels allemands KMW et Rheinmetall ne conduise pas ce dernier à prendre le contrôle à la fois du programme MGCS et de KNDS, la société commune de KMW et du Français Nexter, sans même parler des risques politiques liés à la forte emprise du Bundestag sur les programmes d’armement communs.
Les récentes déclarations d’E. Macron semblent donc assouplir la position officielle française sur cette question de la participation polonaise au MGCS. Pour Paris, il s’agit d’un geste diplomatique fort destiné à apaiser les tensions entre les deux pays, notamment après des échanges vifs au sujet de l’OTAN, de la Russie, mais également de l’hégémonie américaine sur les contrats d’armement en Pologne. Plus encore, un tel rapprochement serait sans doute vu en France et en Allemagne comme un premier pas permettant l’intégration de la Pologne dans l’Europe de la Défense et l’ouverture de son marché intérieur au détriment des industriels américains.
On peut toutefois s’interroger sur le bien-fondé de l’initiative présidentielle alors même que la Pologne n’a jamais montré la moindre envie de participer aux efforts collectifs de l’Union Européenne en matière de défense. Aujourd’hui encore, la participation de Varsovie dans les projets PESCO est minimale, et la Pologne a même fait pression à de nombreuses reprises pour que le dispositif PESCO soit réduit au seul rôle de complément aux dispositifs de l’OTAN, reprenant en cela le discours tenu à Washington. De fait, l’intérêt porté par Varsovie pour le MGCS, qu’elle souhaiterait voir financer par l’Union Européenne, n’est apparu qu’après que des études aient démontré que la base industrielle polonaise n’était pas en mesure de développer, seule, son propre char de combat.
La question de la fiabilité –et du cynisme affiché– de la Pologne en tant que partenaire au sein d’un programme MGCS géré par un dispositif PESCO peut donc légitimement se poser, surtout à Paris, alors même qu’une des premières décisions prises après l’arrivée au pouvoir du parti « Droit et Justice » a été d’annuler la commande de 50 hélicoptères Airbus Caracal au profit d’appareils américains.
Néanmoins, sur le papier, une intégration de la Pologne et un élargissement du programme MGCS à d’autres pays européens dans le cadre du dispositif PESCO pourrait bien présenter un certain nombre d’intérêts, y compris pour la France :
- En premier lieu, l’arrivée de nouveaux acteurs pourrait permettre de rééquilibrer l’ensemble du programme. Si Nexter n’y gagnerait pas forcément en charge de travail, le risque de voir le programme monopolisé par Rheinmetall s’estomperait.
- Ensuite, si la BITD polonaise n’est pas en mesure de concevoir de A à Z un nouveau char de combat, elle dispose de sérieux atouts que ce soit en métallurgie, en mécanique ou en motorisation. Elle présente aussi, globalement, des coûts de production plus réduits qu’en France ou en Allemagne, sur les pièces de moindre exigence technologique.
- Enfin, la Pologne représente, à elle seul, un marché interne considérablement plus grand que celui de la France et de l’Allemagne réunies. Alors que ces dernières envisageraient d’acheter moins de 300 véhicules chacune, la Pologne estime son besoin à près de 800 chars de combat, peut-être plus, en remplacement des T-72M1, PT-91 et Leopard 2A4 actuellement en service.
Ainsi, la Pologne permettrait d’augmenter considérablement le marché interne pour le MGCS. Mieux encore, elle pourrait servir d’élément moteur pour le rééquipement d’autres pays d’Europe de l’Est, démultipliant d’autant le potentiel commercial du nouveau char. Pour Paris et Berlin, une telle situation permettrait également de simplifier les accords en matière de règles d’exportation, puisqu’il deviendra moins crucial de rentabiliser le développement du véhicule par le biais de ventes à des pays peu vertueux aux yeux de Berlin.
Au final, les plus gros problèmes que pourraient poser cette intégration sont bien plus politiques que techniques, l’inclusion de l’Espagne dans le projet franco-allemand SCAF ayant montré la relative souplesse des deux partenaires sur cette question. En premier lieu, alors que la Pologne seule commanderait plus de la moitié des véhicules à construire, comment procéder à la répartition des tâches ? Varsovie acceptera-t-elle de se contenter d’un rôle secondaire sur la conception et la construction des éléments clés du blindé, alors qu’elle en sera de facto le principal utilisateur ? A l’inverse, la France et l’Allemagne seront-elles prêtes à concéder à la Pologne ne serait-ce qu’un tiers, si ce n’est plus de la moitié, de la charge de travail industrielle ?
Ces questions –cruciales– de répartition des tâches mises à part, sera-t-il de l’intérêt de la France d’accorder un rôle majeur à la Pologne au sein d’un programme industriel essentiel pour la sécurité du pays, et le maintien des compétences industrielles, sans exiger de contrepartie politique à cette dernière ? Quel message enverrait, le cas échéant, Paris à ses futurs partenaires et clients de son industrie de Défense si elle concède à la Pologne un important rôle industriel dans le MGCS alors même que Varsovie achète des batteries de missiles Patriot, des chasseurs F-35 ou encore des hélicoptères de combat américains, parfois sans même étudier les propositions européennes ?

Dans ce contexte, l’ouverture faite par le président Macron, sans doute en accord avec l’Allemagne, pourrait n’être, avant tout, qu’une manœuvre politique visant à éviter l’achat de 800 chars Black Panther K2 Sud-Coréen. Car si ce contrat était effectivement passé, et ce après avoir acheté 120 châssis de K9 pour leurs canons automoteurs Krab il ya 5 ans, la Pologne développerait un partenariat industriel avec Hyundai Rotem autour de la co-conception et de la co-production d’un dérivé du K2 Black Panther, qui a également servi de base au Altay turc.
Une solution intermédiaire, qui pourrait néanmoins résoudre une partie des problèmes liés à une pleine intégration de la Pologne au MGCS, pourrait dès lors résider dans une double source d’approvisionnement. Les chars coréens, produits localement, pourraient ainsi venir remplacer en priorité les 500 chars de combat d’origine soviétique au cours de la décennie 2020. Par la suite, un MGCS géré au niveau européen pourrait remplacer les seuls Leopard 2 polonais, à raison de moins de 250 exemplaires. Le rôle de Varsovie au sein du programme serait plus équilibré aux yeux de Paris et Berlin, tout en permettant à l’industrie polonaise, rôdée sur la production de K2, d’apporter une plus grande plus-value sur le programme.
















