lundi, décembre 1, 2025
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Comment les drones de combat vont-ils bouleverser l’équation industrielle et doctrinale de l’aviation de chasse ?

L’arrivée des drones de combat, ces appareils sans pilote conçus pour mener des missions en lieu et place des avions de chasse, est aujourd’hui particulièrement attendue. Ceux-ci vont, en effet, constituer le véritable pivot de ce qui est décrit comme la 6ᵉ génération d’avion de combat, à laquelle appartiendront les NGAD américains, ainsi que les NGF et Tempest européens.

Si tous anticipent cette inévitable évolution, la façon dont ces drones vont être employés, et donc la manière dont ils seront conçus, demeure encore très divergente selon les projets.

Ainsi, les russes ont conçu le S-70 Okhotnik-B, un drone de combat de 20 tonnes, dont les performances, et certainement le prix, le rapprochent d’un avion de combat traditionnel. Le MQ-25 Stingray développé par Boeing pour les missions de ravitaillement en vol de l’US Navy, affiche un prix unitaire de 150 m$, supérieur à celui du F/A-18 E/F Super Hornet et du F-35C Lightning II, ses deux avions de combat embarqués du moment.

À l’inverse, les nouveaux programmes développés, outre Atlantique, dans ce domaine, tendent à concevoir des drones de combat beaucoup plus économiques, comme le MQ-28 Ghost Bat de Boeing conçu en coopération avec l’Australie, qui vise un prix unitaire de 10 à 15 m$, alors que l’US Air Force a annoncé, dans le cadre du programme NGAD, qu’elle visait à se doter d’une flotte de drones de combat semi-consommables coutants entre le quart et le tiers du prix d’un F-35A, soit de 22 à 30 m$.

C’est précisément dans cette direction que l’US Navy, après le très couteux MQ-25 Stingray, veut désormais s’engager, avec, à terme, un bouleversement profond de la flotte de chasse embarquée à bord des porte-avions américains, ainsi que des paradigmes encadrant les aspects opérationnels et industriels des avions de combat.

L’US Navy veut des drones de combat à 15 m$ qui ne voleront que 200 heures

C’est dans ce contexte que s’inscrit le nouveau programme Collaborative Combat Aircraft, ou CCA. Celui-ci a été détaillé par le Contre-amiral Stephen Tedford, qui dirige le Program Executive Office for Unmanned Aviation and Strike Weapons, ou PEO (U&W), à l’occasion de la conférence annuelle Sea Air Space de la Navy League, plus tôt cette semaine.

drones de combat MQ-25 Stingray Super Hornet
Avec un prix unitaire supérieur à 150 m$, le MQ-25 Stingray de l’US Navy est un drone de combat au prix prohibitif depassant celui du F-35C.

Selon lui, l’US Navy entend ne pas suivre la trajectoire du MQ-25, mais se tourner vers des drones de combat beaucoup plus économiques, pour accompagner ses Lightning II, ses Super Hornet, et leur successeur, le futur NGAD, qui n’entrera pas en service avant la fin de la prochaine décennie.

Plus spécifiquement, l’US Navy vise à se doter de drones de combat dont le prix unitaire ne dépasserait pas les 15 m$. Surtout, ces appareils devront avoir des couts de mise en œuvre très réduits, et aucun cout de maintenance.

Et pour cause, ils ne devront voler, au mieux, que 200 heures, avant d’être employés soit comme une cible pour attirer le feu adverse, soit comme un drone d’attaque. Pas question, dans ces circonstances, de dépenser plus que le strict nécessaire, pour concevoir et construire des drones à la durée de vie limitée.

Et d’ajouter qu’à terme, l’US Navy vise à ce que plus de 60 % de sa flotte d’aéronefs de combat, soit constitué par des appareils sans pilote, évoluant au service des avions pilotés, mais aussi de manière indépendante.

Comme pour l’US Air Force, l’entrée en service des premiers de ces drones, est prévue pour la fin de la décennie, même si les capacités attendues à cette échéance, seront inférieures à celles qui sont visées par le programme, et nécessiteront, donc, la supervision et le contrôle d’un appareil piloté.

Une révolution à venir du modèle industriel et budgétaire de l’aviation de chasse

Les performances et les capacités opérationnelles de ces futurs drones de combat, s’agissant de drones lourds comme le S-70, de drones de type Loyal Wingmen, ou de drones consommables, comme les Remote Carrier Expendable, ont déjà été abordés dans de nombreux articles publiés par la presse spécialisée.

S70 Okhotnik-B Su-57
Le drone S-70 Okhotnik-B a une masse au combat entre 18 et 20 tonnes, pour pouvoir accompagner les lourds Su-57.

Les implications sur le modèle industriel et budgétaire, qui entourent cette évolution, l’ont été beaucoup moins. Et dans le cas du modèle évoqué par l’US Navy, mais aussi par l’US Air Force pour le programme NGAD, celles-ci sont considérables.

Des couts de possession trois fois plus réduits pour un drone de combat face à un avion de combat

En effet, un drone de 15 millions de $, destiné à voler autour de 200 heures, ne restera en service, au mieux, que cinq ans, soit un cout de possession de 3 m$ par an, puisque les couts de maintenance sont réduits à 0, et que les couts de mise en œuvre sont minimes.

En revanche, ils disposeront de nombreux attributs opérationnels, comme la possibilité d’emporter des senseurs ou des armements, en faisant un aéronef à part entière, devant être considéré comme tel dans le rapport de force.

Ce cout est très nettement inférieur à celui d’un avion de combat comme le F-35C, version embarquée sur porte-avions du chasseur de Lockheed Martin. Avec un prix unitaire de 120 m€, pour une durée de vie opérationnelle estimée à 40 ans (dans le meilleur des cas), celui-ci a, également, un cout de possession de 3 m$ par an.

En revanche, le F-35C a des couts de mise en œuvre très élevés, de l’ordre de 3 à 6 m$ par an, pour 200 heures de vol annuels, alors que ses couts de maintenance évolutive, le sont tout autant, 15 m$ tous les cinq ans, soit, là encore, 3 m$ par an.

F-35C
Comme pour l’USAF, l’US Navy veut que ses F-35C soit en mesure de controler les drones de combat qui entreront en service bien avant que le futur NGAD ne vienne remplacer les premier F/A-18 E/F Super Hornet, à la fin de la prochaine decennie.

Au total, les couts annuels globaux de possession d’un F-35C, qui s’établissent autour de 9 à 10 m$ par an, ce qui est cohérent avec le prix d’un appareil sur sa durée de vie, estimé aujourd’hui à 400 m$, sont donc trois fois plus élevés que ceux des drones de combat qui l’accompagneront.

En d’autres termes, à budget constant, une flotte de 50 avions de combat, épaulée par 150 drones de combat en évolution générationnelle courte, pour une flotte de chasse de 200 aéronefs, coutera autant qu’une flotte de 100 avions de combat seuls.

Des implications industrielles et capacitaires radicales

Les changements d’échelles de temps et de production industrielle, engendrées par ce nouveau modèle, auront des implications très importantes, tant pour ce qui concerne le volet industriel, que pour le volet capacitaire et doctrinal.

En effet, non seulement le volume de drones produits sera-t-il 50 % plus élevé que le volume d’avions de combat qu’ils remplaceront à budget constant, mais, avec une durée de vie opérationnelle de cinq ans, huit générations successives de drones verront le jour sur la durée de vie d’un avion de combat, et onze à douze générations, sur la durée de production de celui-ci.

En d’autres termes, le volume global de production de drones, sera quatre à six fois plus important que le nombre d’avions de combat sur la génération précédente, tout en conservant une flotte d’avions de 50 % de ce qu’elle était.

MQ-29 Ghost Bat Boeing
Le MQ-28 Ghost Bat est conçu par Boeing dans le cadre du programme Loyal Wingmen de la Royal Australian Air Force

La conjonction de ces deux facteurs va permettre de mettre en œuvre un processus continue d’évolution générationnelle des drones, bien plus souple qu’il ne peut l’être concernant un avion de combat.

Impossible, en effet, de faire d’un F-16, ou d’un Rafale, un avion hautement furtif, ou un appareil capable de voler à Mach 3, alors qu’il sera tout à fait possible de faire évoluer la flotte de drone, sur des délais réduits, et de manière radicale, pour s’adapter aux évolutions opérationnelles.

On peut d’ailleurs imaginer, selon les couts de conception, qu’il sera possible de créer plusieurs drones spécialisés simultanément, par exemple, un furtif, un très rapide pour la haute altitude, et un à aile droite pour le vol à très basse altitude et le CAS, au sein d’une même génération, voire en s’appuyant sur un tuilage intergénérationnel, pour lisser les efforts de R&D.

Les forces aériennes, elles, disposeront alors d’un outil hautement réactif, pour adapter leurs moyens à l’évolution des besoins, et aux enjeux technologiques et opérationnels de leurs missions. Quant aux industriels, ils disposeront d’une activité particulièrement lissée dans la durée, tant en matière de R&D et de conception, que de production industrielle, permettant un dimensionnement beaucoup plus efficace, et une prise de risque réduite, au profit de prix plus compétitifs.

Notons enfin que dans une vision européenne, un tel modèle permet une intégration et une coopération souple et simplifiée de l’ensemble des acteurs industriels du vieux continent, le curseur des ambitions technologiques et des volumes permettant d’adapter les capacités industrielles aux besoins des armées, ainsi qu’aux opportunités d’exportation, et ce, de manière équilibrée entre industriels, et entre états.

L’évolution inévitable des paradigmes de l’avion de combat à venir

L’arrivée de ces drones, appelés à transformer radicalement la composition et l’utilisation faire de la flotte de chasse, va également entrainer, une profonde évolution du rôle des avions de combat pilotés eux-mêmes.

F-35A Drones de combat
L’US Air Force veut acquerir un millier de drones de combat, et transformer 300 F-35A pour pouvoir les controler aux cotés des 200 NGAD qui remplaceront les F-22.

En effet, jusqu’à présent, les avions de combat avaient une fonction de vecteur de systèmes d’armes, ceux-ci portant l’efficacité opérationnelle recherchée, qu’il s’agisse de supériorité aérienne avec les missiles air-air, du soutien avec les bombes et missiles air-sol, des frappes dans la profondeur avec les missiles de croisière et bombes planantes, ou encore de reconnaissance ou de guerre électronique, avec différents pods.

Avec l’arrivée des drones de combat, ce seront ces derniers qui assureront la fonction de vecteur, l’avion piloté, lui, agissant comme un coordinateur-contrôleur de ces capacités déportées, tout en restant, le plus possible, hors de la zone d’intervention adverse.

Bien évidemment, ces appareils continueront très certainement, un temps au moins, d’emporter des munitions et capacités d’action. Toutefois, il est très probable que cette fonction tendra à s’étioler au fil du temps, au profit de drones de plus en plus performants et autonomes, l’avion de combat ayant pour fonction, alors, d’encadrer, border et coordonner, l’action de ces drones, de manière optimisée.

On comprend, dans ces conditions, que la survivabilité, mais aussi l’autonomie au combat, et les capacités aéronautiques, comme la vitesse ou le plafond, et même le confort de l’équipage appelé à assurer des missions de longue durée, seront alors des attributs bien plus critiques que la manœuvrabilité, pour ces aéronefs pilotés.

La France ne doit pas rater la marche du drone de combat à durée de vie limitée

On le voit, l’arrivée des drones de combat qui se prépare, dès aujourd’hui, au sein de l’US Navy comme de l’US Air Force, soit les deux plus puissantes forces aériennes de la planète à ce jour, s’accompagnera d’une véritable révolution dans la conception même des flottes de chasse, de leurs doctrines, ainsi que des équilibres industriels qui leur donneront naissance.

Remote Carrier SCAF
Les drones de combat aéroportés Remote Carrier représentent un plein pilier au sein du programme européen SCAF

Dans ce domaine, la France semblait avoir pris la mesure de la révolution à venir, que ce soit dans le cadre du programme SCAF avec les drones Remote Carrier, ou autour du programme Rafale F5, avec l’annonce, lors du vote de la LPM 2024-2030, de la conception et de la construction d’un drone de combat pour accompagner cette évolution critique du chasseur français.

Ces annonces semblaient montrer que Paris avait tiré les leçons du faux-départ français et européen dans le domaine des drones MALE, ayant obligé les Armées françaises à se tourner vers les modèles américains, pour rattraper le besoin capacitaire pour ces moyens indispensables dans de nombreuses missions.

Depuis, aucune communication émanant du ministère des Armées, de la DGA ou des Armées, n’est venue confirmer que ce programme a été officiellement lancé, et signifié aux industriels.(cf mise à jour du 4 juin 2024)

Plus surprenant encore, Eric Trappier, qui dirige Dassault Aviation, a indiqué qu’il serait nécessaire de concevoir un drone lourd, de 18 à 20 tonnes, pour pouvoir accompagner le Rafale dans ses missions, ce qui fait davantage penser à une capacité substitutive au Mirage 2000, qu’à la vision développée par l’US Navy et l’US Air Force, de drones plus légers, semi-consommables, et surtout, très économiques.

Rafale Neuron
la question se pose de savoir si concevoir un drone de combat sur la base du Neuron, mais plus lourd pour accompagner les Rafale, tel qu’évoqué par E.Trappier, constitue ou non l’approche la plus pertinente du point de vue opérationnel, comme du point de vue industriel.

Il est désormais urgent, pour les autorités françaises, et les Armées, Armée de l’Air et de l’Espace comme Marine Nationale, de tracer les objectifs visés pour ce programme, et d’engager les développements pour lui donner corps, concomitamment à l’arrivée des modèles américains.

Dans le cas contraire, on peut craindre qu’une nouvelle fois, comme ce fut le cas pour les drones MALE, la France se laisse dépasser par l’avance américaine dans le domaine, au point qu’il ne sera plus véritablement possible, et encore moins pertinent du point de vue industriel, de developper des solutions nationales.

Mise à jour du 4 juin 2024 : Le ministère des Armées a notifié le contrat à Dassault Aviation pour la conception d’un drone de combat

Selon le site Letribune.fr, le ministère des Armées a notifié à l’avionneur Dassault Aviation, un contrat pour concevoir le drone de combat qui devra accompagner le Rafale F5, à partir du début de la prochaine décennie. Ce premier contrat de plus de 100 m€, portant sur l’étude préalable, s’étend jusqu’au second semestre 2025.

Aux Pays-Bas, l’offre de Naval Group était 1,5 Md€ moins chère que celle de Saab-Damen

Il y a tout juste un mois, La Haye annonçait que la proposition du Français Naval Group, sur la base du sous-marin Blacksword Barracuda, avait été préférée à celle du suédois Saab associé au néerlandais Damen, pour le remplacement des quatre sous-marins de la classe Walrus de la Marine Royale Néerlandaise.

À peine la décision fut-elle rendue publique, que Saab et Damen remirent en cause son bien-fondée, arguant d’une offre plus performante tant du point opérationnel que du point de vue industriel, et promettant de ne pas en rester là.

Les entreprises avaient un mois pour faire appel devant la justice néerlandaise, de la décision ministérielle néerlandaise. Ce délai arrive désormais à son terme, et ni Damen, ni Saab, n’ont posé de réclamation.

Et pour cause ! Même s’ils promettent de porter dorénavant le combat au Parlement néerlandais, il s’avère que l’offre de Naval Group, dont le montant total n’est toujours pas détaillé, était 1,5 Md€ moins onéreuse que celle proposée par Saab et Damen.

Saab-Damen met en cause un prix « inaccessible à une entreprise privée » face au sous-marin Blacksword Barracuda de Naval Group

Pour expliquer un tel écart de prix, que l’on peut estimer entre 25 et 33 % du prix total, le groupe naval néerlandais, et son partenaire suédois, mettent en avant des qualités opérationnelles supérieures de leur modèle, sans pour autant apporter d’éléments de détails pour soutenir ces affirmations.

A26 Blekinge
L’offre de Saab-Damen reposait sur une evolution du A26 Blekingue suédois, un sous-marin conçu spécialement pour opérérer en mer Baltique.

On peut d’ailleurs douter de celles-ci, dans la mesure où, de manière objective, les sous-marins de Naval Group ont été choisis par cinq forces navales et 16 exemplaires, ces vingt dernières années, et non des moindres (Brésil, Chili, Inde, Indonésie, Malaisie), alors que Saab et Kockums n’ont plus exporté de sous-marins depuis les deux navires de la classe Archer à Singapour, au début des années 2010, des navires d’occasion de la classe Västergötland entrés en service en 1986 et 1987.

« Le score final est influencé de manière disproportionnée par un prix trés bas [de Naval Group], qui est très inférieur au prix réaliste pour les entreprises de défense privées« , peut-on lire dans le communiqué à ce sujet, laissant sous-entendre, que la différence de tarif, serait liée au statut d’entreprise publique de Naval Group, l’État français détenant 62,25 % du groupe, Thales 35 %, et le solde, 1,75 %, par les salariés de l’entreprise.

Notons que Damen n’apporte, là non plus, aucun élément permettant de justifier d’un rôle particulier de l’État français dans ce domaine. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le groupe néerlandais dénonce l’actionnariat public de Naval group, comme celui l’espagnol Navantia ou de l’Italien Fincantieri, qui fausserait la compétition, selon son analyse.

Reste qu’avec un tel écart de prix, on comprend que les décideurs néerlandais ont eu beaucoup de mal à faire jouer la préférence nationale, d’autant que Damen a lui-même profité d’une offre plus attractive pour s’arroger la construction des frégates F126 pour la Bundesmarine allemande, au grand dam des industriels outre-Rhin.

Saab et Damen promettent davantage d’investissements dans l’industrie néerlandaise que Naval Group

Pour autant, si Saab et Damen ont renoncé à une action en justice, sachant pertinemment qu’avec un tel écart dans les prix, s’eut été peine perdue, ceux-ci n’ont pas renoncé à faire dérailler le programme franco-néerlandais.

Naval Group Blacksword Barracuda
Le Blacksword Barracuda promet d’être un sous-marin à très hautes performances. On se demande de quelles parformances supérieures l’offre de Saab et Damen peut bien se réclamer ?

La sélection de Naval group, à l’issue de la compétition organisée pour le remplacement des quatre sous-marins Walrus néerlandais, doit, en effet, être validée le Parlement néerlandais courant juin 2024, alors que ce dernier a désormais une majorité (non absolue) nationaliste, depuis les élections législatives de l’automne dernier.

Les deux groupes préparent déjà, d’ailleurs, leurs arguments, pour séduire les parlementaires néerlandais, en annonçant de performances supérieures, d’une part, et en promettant des investissements plus importants dans l’industrie et l’économie néerlandaise, de l’autre. D’aucun dirait qu’avec 1,5 Md€ en plus, c’est bien la moindre des choses.

Notons que, dans le même temps, Naval Group a entrepris de préparer son réseau de sous-traitance néerlandais, annonçant, à ce sujet, la signature de plusieurs partenariats industriels pour impliquer pleinement l’économie et l’industrie néerlandaises, il y a quelques jours de cela.

Ne pas reproduire, pour Naval Group, la même erreur qu’en Australie, en négligeant le poids de l’opinion publique

Pour autant, se dessine dorénavant, pour l’industriel français, le même piège que celui qui lui fut tendu en Australie, notamment par Saab. En effet, par son caractère national, Damen joui, et c’est bien naturel, d’une excellente image au sein de l’opinion publique néerlandaise, alors que Saab, de son côté, a une grande expérience en matière de campagnes d’influence politique et à destination de l’opinion publique.

Shortfin barracuda australie
L’hostilité de l’opinion publique australienne architecturée politiquement et indsutriellement pendant des années, a été la clé de voute dde l’annulation du contrat Shortfin Barracuda.

Il faudra donc veiller, pour Naval Group, à maintenir, et même à developper, une image de qualité et attrayante, auprès de l’opinion publique néerlandaise, et par transitivité, auprès des parlementaires du pays, pour éviter qu’une bronca sous influence médiatique n’émerge contre l’offre française, comme ce fut le cas en Australie.

Les groupes de Défense français, traditionnellement et culturellement, mènent peu d’actions vers ce type de public, pourtant décisif dans le cas de démocraties parlementaires d’essence anglo-saxonne, comme en Australie, et comme aux Pays-Bas.

Il faut donc espérer que Naval Group ne sera pas surpris, ou contraint contractuellement, comme ce fut le cas en Australie, à subir les campagnes de dénigrement menées par d’autres industriels, voire à une instrumentalisation politique du contrat, tant ce dossier est stratégique pour l’industriel comme pour toute la BITD navale française.

On peut penser qu’une participation française à un autre programme néerlandais, par exemple, le programme de frégates lourdes antiaériennes, comme évoqué dans un précédent article, serait un excellent moyen de tuer le débat, tout en s’assurant d’un soutien populaire accru, tout en dotant la Marine nationale, au passage, des deux frégates antiaériennes qui lui font défaut aujourd’hui. Gagnant-Gagnant, dit-on …

MBDA prépare l’Aster 15 EC, deux fois plus performant que l’Aster 15

La famille des missiles Aster va s’agrandir bientôt, avec l’arrivée de l’Aster 15 EC. Entrés en service à partir de 2001, ces missiles antiaériens ont constitué une véritable révolution culturelle en matière de défense aérienne. Pour la première fois, en effet, les occidentaux étaient en mesure de s’appuyer sur un système non américain (ou soviétique), pour assurer la défense aérienne à moyenne et longue portée de leurs sites, ou de leurs navires.

La gamme Aster était composée de deux missiles. L’Aster 30, doté un booster longue portée, permettait au missile d’atteindre une portée supérieure à 120 km, et une altitude de 20 km.

L’Aster 15, lui, était plus compacte, 4,2 mètres contre 4,9 m, et plus léger, 310 kg contre 450. S’il conservait l’extrême manœuvrabilité de la famille Aster, et un autodirecteur radar actif d’une très grande efficacité, il n’était donné que pour avoir une portée supérieure à 30 km, 45 km étant cependant souvent évoqués par la presse spécialisée.

À ce moment-là, les autres missiles à moyenne portée n’atteignaient qu’une portée inférieure, 42 km pour le 9M37 Buk russe, 40 km pour l’ESSM américain et 30 km pour le NASAMS norvégien.

Depuis, ces systèmes ont sensiblement progressé, et atteignent tous les 50 km de portée, y compris l’ESSM, le NASAMS et l’Iris-t SLM allemand, parfois davantage, 70 km pour le missile 9M37 du Buk-M3. Il était donc nécessaire à l’Aster 15 d’évoluer, comme le fit l’Aster 30 avec le Block 0, Block 1 et Block 1NT. C’est précisément ce à quoi MBDA se consacre désormais.

L’excellente tenue de la famille Aster face aux drones et missiles Houthis

Bien qu’étant entré en service en 2001, le missile Aster n’avait jamais connu l’expérience du combat, jusqu’aux engagements en mer Rouge entamés fin 2023 face aux drones et missiles antinavires Houthis, et en Ukraine face aux missiles et drones russes.

ASter frégate Alsace
Les frégates Languedoc et Alsace de la Marine nationale, ont tiré plus de 22 missiles Aster 15 et 30 en mer Rouge.

Le missile européen avait montré, jusque-là, des qualités remarquables, mais lors des tirs d’essais et des exercices, y compris internationaux, notamment concernant les versions navales à bord des frégates et destroyers des Marines françaises, italiennes ou encore britanniques.

Pour autant, ne pouvant s’appuyer sur l’étiquette « Combat Proven », et pas davantage sur l’antériorité du missilier européen dans le domaine des missiles antiaériens à longue portée, l’Aster a eu beaucoup de difficultés à s’imposer dans les compétitions internationales, surtout face aux Patriot, SM-2 et ESSM américains.

À ce titre, l’utilisation intensive faite des Aster des frégates de la Royal Navy, de la Marine nationale et de la Marina Militare, face aux drones et missiles de croisière Houthis, avec un excellent taux de succès, marque un basculement radical de l’image du missile sur la scène internationale.

Ce d’autant que la frégate française Alsace, est devenue le premier navire européen à avoir réussi à intercepter non pas un, mais trois missiles balistiques antinavires, propulsant l’Aster au même niveau que le Patriot PAC et le SM-6 américains.

Le missile Aster 15 EC prendra le relai de l’Aster 15 en 2030

Pour répondre à l’évolution de la menace, et à celle de la concurrence, MBDA a donc entrepris, en 2023, de developper une nouvelle version de l’Aster 15. Baptisée Aster 15 EC, ce missile doit entrer en service en 2030, initialement à bord des 4 systèmes SYLVER 43 du porte-avions français Charles de Gaulle, à l’occasion du 3ᵉ et dernier arrêt technique majeur du navire, avant d’être déployés sur les frégates françaises.

Aster 15 EC aura une portée de plus de 60 km
L’Aster 15 EC aura une portée supérieure à 60 km, selon MBDA, surpassant sensiblement l’ESSM, le NASAMS et l’IRIS-T SLM.

Les données concernant les performances du nouveau missile sont, pour l’heure, parcellaires. Selon MBDA, celui-ci sera doté d’une portée deux fois plus importante à celle de l’Aster 15, au-delà de 60 km, remettant le missile dans la tranche haute des missiles à moyenne portée. Les autres capacités du missile, notamment son autodirecteur, évolueront également, pour répondre à l’évolution des menaces et de leurs capacités de défense.

On peut penser, par ailleurs, qui si l’Aster 15 voit sa portée accrue, ce peut aussi être le cas, par transitivité, de l’Aster 30, tout comme les évolutions qui seront apportées à l’autodirecteur de l’un, le seront à celui de l’autre.

D’autre part, si la portée de l’Aster 15 EC est doublée vis-à-vis de l’Aster 15, on peut supposer que ce sera aussi le cas de son plafond, qui devrait aisément atteindre, dans ce cas, les 18 km, permettant potentiellement au missile d’être employé contre des cibles à haute altitude, peut-être, même, contre des missiles balistiques en phase finale, profitant, là encore, de l’expérience acquise sur l’Aster 30 dans ce domaine.

MBDA anticipe à un regain d’intérêt pour l’Aster suite aux performances en mer Rouge

Qu’il s’agisse de répondre aux besoins en Ukraine, à la montée en puissance des armées françaises et la constitution de réserves opérationnelles, et de satisfaire la demande export, MBDA est appelé, aujourd’hui, a considérablement accroitre la production de ses missiles, en particulier des Aster, Mistral 3 et des Akeron antichars.

MBDA usine
MBDA s’est engagé à augmenter rapidement la production de missiles Aster.

Il y a quelques jours, le ministre de la Défense français, Sébastien Lecornu, a même agité la menace de la réquisition, pour que le missilier français, et surtout son réseau de sous-traitance, augmentent les cadences de production du missile Aster, et le volume des stocks de production, afin de garantir une activité industrielle soutenue et ininterrompue.

Cette augmentation des cadences de production est d’autant plus cruciale, que les autorités françaises comme le missilier, anticipent un regain d’intérêt pour ce système d’arme, face à l’augmentation de la demande mondiale, aux risques qui entourent la production américaine, ainsi que les performances démontrées en mer Rouge et en Ukraine, y compris contre la menace balistique.

Cet aspect n’a d’ailleurs pas échappé à Raytheon et Lockheed Martin, qui produisent le Patriot, mais aussi l’ESSM et les SM-2 et SM-6. Les industriels ont, en effet, publié coup sur coup, deux articles dans le site DefenseNews.com, faisant l’apologie du Patriot, le premier concernant ses performances, y compris face au Kinzhal russe, le second pour vanter les capacités de production industrielle américaine autour de ce système.

Un marché européen bloqué par l’initiative European Sky Shield allemande

Les deux géants américains savent, en effet, que les systèmes Aster, qu’il s’agisse du SAMP/T Mamba terrestre, comme du PAAMS naval, souffraient jusque-là d’un déficit d’image face aux systèmes américains concurrents, efficacement travaillé par les industriels et relais d’opinions US, y compris en Europe.

Le SAMP/T Mamba avait pourtant des coûts très attractifs, et des capacités antiaériennes et antibalistiques comparables, parfois supérieures, à celles du Patriot, avec notamment un radar offrant une couverture à 360°, contre 120° pour le Patriot jusqu’à l’arrivée prochaine du radar AN/MPQ-65. Pourtant, le système n’a trouvé preneur qu’une fois, en dehors de la France et de l’Italie, en tout cas, jusqu’à présent, à Singapour en 2013.

IRIS-T SLM
Pour Berlin, l’ESSI constitue un marche-pied très efficace pour promouvoir l’Iris-t SLM auprès de clients européens.

Depuis quelques mois, toutefois, le système livré à l’Ukraine par Rome et Paris, et les Aster 15 et 30 des frégates et destroyers européens, ont largement montré leur grande efficacité, contre un vaste nombre de cibles différentes, allant du drone d’attaque au missile balistique, en passant par les missiles de croisière antinavires ou supersoniques.

MBDA, comme Eurosam, la coentreprise formée par MBDA, Thales et Leonardo, qui construisent les Aster et les Mamba, sont dorénavant en position de force, pour tenter d’imposer le système, y compris en Europe.

Il faudra, néanmoins, pour y parvenir, obtenir de Berlin que le SAMP/T rejoigne le programme européen European Sky Shield Initiative, lancé par Olaf Scholz en 2022, et qui rassemble déjà 20 pays, et devrait prochainement en compter 22 avec l’arrivée de la Grèce et de la Turquie.

Dans ce domaine, l’arrivée de l’Aster 15 EC, ne va pas simplifier la tâche aux négociateurs français et italiens. En effet, avec une portée étendue à plus de 60 km, le missile surpasse très nettement l’IRIS-T SLM allemand, qui n’atteint que 40 km, qui doit justement devenir le pilier de l’ESSI, alors que l’Aster 30 a démontré son efficacité antibalistique, et que l’Aster Block 1NT arrive pour surpasser le Patriot PAC-3 dans ce domaine.

Il se pourrait bien, dans ces conditions, que le Mamba franco-italien, une fois avalisé au sein de l’ESSI, s’impose rapidement comme un standard européen, au plus grand dam de Berlin et des États-Unis, pour qui l’initiative constituait un marchepied très efficace pour faire main-basse sur la défense antiaérienne européenne.

On imagine bien, dans ces conditions, le manque d’enthousiasme des allemands, et le lobbying américain, pour prévenir l’arrivée de la France et de l’Italie, et surtout du SAMP/T Mamba et de l’Aster, au sein du programme ESSI.

La Marine néerlandaise aura des frégates de défense aérienne redoutables dès 2034.

La Marine néerlandaise a présenté, il y a peu, les premières caractéristiques concernant les futures frégates de défense aériennes qui remplaceront, au début de la prochaine décennies, les quatre frégates de la classe De Zeven Provinciën.

Particulièrement bien armées et équipées, ces navires promettent de se révéler des escorteurs très effectifs, tout en prenant compte des enseignements récents dans ce domaine, notamment au sujet de la menace des drones en mer Rouge. Tout comme le seront, d’ailleurs, les futurs navires d’assaut amphibies néerlandais, présentés à cette même occasion.

La reconstruction des Armées néerlandaises menées tambours battants depuis 2017

La plupart des pays européens ont pris conscience de la réalité de la menace que représentait l’évolution des capacités militaires russes, associée au durcissement du régime de Moscou, à partir de février 2022, et l’entame de l’Opération Spéciale Militaire russe contre l’Ukraine, telle que cyniquement présentée par le Kremlin.

F-35A forces aériennes néerlandaises
Initialement portant sur 37 avions, la commande de F-35A pour les forces aériennes néerlandaises a été amenée à 52 avions de chasse depuis, pour repondre à l’augmentation de la pression opérationelle.

Ce n’a pas été le cas de La Haye. En effet, dès 2017, suite au traumatisme du vol MH17 abattu par un missile Buk russe au-dessus de l’Ukraine, les autorités néerlandaises ont entrepris d’accroitre significativement leur effort de défense.

Celui-ci est ainsi passé de 1,16% du PIB et 9 Md€ en 2017, à presque 23 Md€ pour plus de 2 % du PIB en 2024, en visant les 31 Md€ et presque 2,5 % du PIB, en 2030, loin devant l’ensemble des autres pays d’Europe occidentale, dans ce domaine.

Dans un premier temps, ces ressources ont été employées pour financer certains programmes clés, comme le remplacement des F-16 par des F-35A américain, passant au passage d’un objectif de flotte de 37 appareils initialement visée, à 52 avions américains désormais.

Dans le domaine naval, La Haye s’est engagée, dès 2019, dans le développement conjoint, avec la Belgique, de 12 grands navires de guerre des mines, six par pays, pour remplacer les chasseurs de mines Tripartite.

Chasseur de mines tripartite marine nationale
Bâtiment de Surface, Chasseur de Mines Tripartites, CMT, Croix du Sud M646, Manoeuvrier, Mission Gap 09

Confié au Belge OCA, associé au français Naval Group, ce programme a été rejoint, depuis, par la France, dans une redite du très réussi programme Tripartie ayant permis la construction de 35 chasseurs de mines de 1981 à 1989, 10 pour la France et la Belgique, et 15 pour les Pays-Bas.

Concomitamment, la Haye et Bruxelles lancèrent la conception et la construction d’une nouvelle classe de frégates de lutte anti-sous-marine, dont deux exemplaires seront livrées à chaque Marines. Confiée au Néerlandais Damen, la construction des navires débutera en 2025, pour des livraisons entre 2028 et 2030.

Depuis, les annonces du ministère de la Défense néerlandais se sont multipliées, dans tous les domaines, avec des missiles de croisière américains, des hélicoptères Caracal français, ou encore des blindés suédois. La dernière annonce date a fait grand bruit, lorsque La Haye a choisi Naval Group pour concevoir et construire les quatre sous-marins qui remplaceront les Walrus actuellement en service.

Les futures frégates de défense aérienne néerlandaises présentées aux parlementaires

Le remplacement des quatre frégates de défense antiaérienne de la classe De Zeven Provinciën, a également été lancé. Entrés en service de 2002 à 2005, ces navires devront quitter la ligne lors de la prochaine décennie, et doivent donc être conçus dès à présent.

Marine néerlandaise frégate De seven provincien
Les nouvelles frégates neérlandaises remplaceront à partir de 2034, les frégates de la classe De Zeven provincien entrés en service de 2002 à 2005.

Les caractéristiques générales de ces nouveaux navires, ont été présentées aux parlementaires néerlandais, il y a peu, permettant de se faire une idée des performances attendues de ces frégates.

Le fait est, si, avec 40 silos verticaux pour 32 SM-2 et 32 ESSM, ainsi que 8 missiles Harpoon, un canon de 127 mm et 2 CIWS de 30 mm Goalkeeper, les frégates de défense antiaérienne de la classe De Zeven Provinciën, des navires de 144 mètres et 6000 tonnes, n’avaient déjà que peu à envier aux autres grandes frégates et destroyers européens, les nouveaux navires seront un cran au-dessus. Et, quel cran !

Selon les visuels présentés et les commentaires des officiels de la Koninklijke Marine, la Marine Royale Néerlandaise, ces frégates emporteront, en effet, le double de silos verticaux, soit 10 systèmes VLS pour 80 silos, les mettant à un niveau proche des destroyers américains de la classe A. Burke, avec 96 silos.

Ces silos pourront mettre en œuvre des missiles surface-air de différents types, ainsi que les missiles de croisière Tomahawk et les nouveaux missiles antinavires commandés par La Haye.

frégate de défense aérienne pays-bas
concept présenté concernant les futures frégates de défense aérienne de la Marine néerlandaise.

Elles conserveront le canon de 127 mm, mais celui-ci sera abondé par un second canon de 76 mm. Les CIWS Goalkeeper, eux, seront remplacés par un système RIM-116 RAM, ainsi qu’au moins deux CIWS de 40 mm. De toute évidence, la Marine néerlandaise partage l’analyse publiée, il y a peu, sur ce site, concernant l’intérêt de se doter de CIWS de plus gros calibre, et de les associer à des missiles à courte portée.

En termes de senseurs, les nouvelles frégates recevront le couple formé par le radar 3D SMART-L et le radar de guidage APAR 2, dans leurs versions évoluées respectives. Conçus l’un et l’autre par Thales Netherlands, ces systèmes se sont montrés très efficaces à bord de nombreuses frégates européennes, dont les quatre De Zeven Provinciën devant être remplacées.

Les autres aspects des nouvelles frégates néerlandaises, qui mériteraient le statut de destroyers antiaériens, comme la longueur, le tonnage, l’équipage, les capacités et senseurs secondaires, et le prix, n’ont pas été divulgués pour l’heure. Il serait toutefois très surprenant que ces navires fassent moins de 150 mètres et 8 000 tonnes, probablement plus.

De nouveaux navires d’assaut aéro-amphibies pour la Marine néerlandaise

Simultanément à la présentation des premières caractéristiques des futures frégates de défense aérienne, la Koninklijke Marine a également dévoilé aux parlementaires néerlandais, les caractéristiques initiales des futurs bâtiments d’assaut aéro-amphibie, qui devront remplacer le LHD de la classe Rotterdam et celui de la classe Johan de Witt.

LHD leger de la marine néerlandaise
les futurs LHD de la Marine néerlandaise pourraient non seulement rempalcer les deux LPD actuels, mais aussi les quatres OPV en service.

Notons qu’il est aussi possible que ces LHD soient sélectionnés pour remplacer les quatre patrouilleurs de haute mer de la classe Holland, employés massivement outre-mer. Cette possibilité influence notamment l’équipage particulièrement réduit du navire, donné pour n’être que de 60 à 70 membres.

Plus conceptuelle que concernant les frégates, la présentation de ces navires a mis l’accent sur leur utilisation, en particulier sur la possibilité qu’ils auront, de mettre en œuvre des drones à aile fixe, à l’aide d’un pont d’envol droit de 150 mètres, en plus des hélicoptères d’assaut et d’attaque.

La doctrine d’assaut amphibie a également été détaillée. Pour la Koninklijke Marine, il n’est plus question, aujourd’hui, d’imaginer des assauts amphibies massifs, avec des rotations rapides de la batellerie pour soutenir l’action. Les barges de débarquement devront, alors, être plus compacts et plus rapides, pour soutenir l’action des hélicoptères, dans ce qui s’apparente bien davantage à des actions commando ponctuelles, qu’à un assaut amphibie.

En revanche, contrairement à la Royal Navy, avec qui la coopération était envisagé dans ce programme, la Marine néerlandaise n’envisage pas de doter ses LHD d’un armement renforcé, en dehors d’un CIWS RAM et d’un canon à l’avant du navire. La sécurité du, ou des navires, reposera donc sur la présence de navires d’escorte, comme c’est le cas, par exemple, des LHD de la classer Mistral, de la Marine nationale française.

Pourquoi la France a-t-elle intérêt à rejoindre le programme de frégates antiaériennes néerlandaises ?

Si la vision développée par la Koninklijke Marine, concernant le transfert de la fonction OPV vers des porte-hélicoptères d’assaut de petites dimensions, mériterait un regard attentif de la Marine nationale, particulièrement exposée dans ce domaine, c’est surtout le programme de frégates antiaériennes néerlandaises, qui aurait un intérêt immédiat, pour la Marine nationale, les industriels français, et la France.

frégate Alsace
Bien qu’elle ait démontré son efficacité en mer Rouge, la frégate Alsace, comme son sistership, la Lorraine, souffre d’un magasin de missiles Aster trop limité, à 32 missiles.

Rappelons, en premier lieu, que la Marine Nationale soutient, depuis de nombreuses années, qu’un format à 6 frégates antiaériennes, et non quatre comme prévu par la LPM 2024-2030, était nécessaire pour remplir pleinement son contrat opérationnel.

En outre, elle dispose effectivement de deux frégates antiaérienne lourde, les Forbin et Chevalier Paul, armés de 48 missiles Aster, mais les deux FREMM DA de la classe Alsace, n’emportent que 32 missiles Aster, ce qui peut rapidement s’avérer trop peu, dans un contexte de haute intensité, même si le navire a montré toute son efficacité en mer Rouge.

Dans ce contexte, se rattacher au programme néerlandais, pourrait avoir un intérêt évident pour la Marine nationale, qui disposerait enfin des 6 frégates antiaériennes, deux lourds à 80 missiles, deux moyennes à 48 missiles, et deux légères, à 32 missiles, permettant de s’adapter à un vaste panel de scénarios.

Les intérêts industriels seraient aussi très importants. Le premier d’entre-eux, serait évidemment de sécuriser le programme de sous-marins Backsword Barracuda de Naval Group pour la Koninklijke Marine, que l’on sait encore fragile politiquement, face à l’ire de Damen.

En outre, en rejoignant le programme pour deux frégates, Paris pourrait inciter La Haye à choisir la gamme de missiles MBDA, Aster 15/30 et MICA VL NG ou CAMM, plutôt que les SM-2, SM-6 et ESSM américains. Enfin, il serait possible d’envisager l’installation du radar SeaFire et du CIWS RapidFire à bord des navires.

Frégate Alsace missile Aster
Le missile Aster a montré une très grande efficacité contre les missiles de croisière, les drones et les missiles balistiques Houthis en mer Rouge.

Non seulement, dans une telle hypothèse, les équilibres industriels face aux investissements nationaux, seraient conservés, tout en réduisant l’enveloppe globale de R&D au niveau européen, mais un tel accord serait largement en faveur de l’européanisation des approvisionnements des armées européennes, plutôt que de s’en remettre aux systèmes d’arme américains.

Notons enfin que les chances de trouver des débouchés export pour ces grands navires antiaériens, sont faibles. Ainsi, ni les frégates Horizons franco-italiennes, ni les Type 45 britanniques, et pas davantage les Sejong le Grand sud-coréens ou les Arleigh Burke américains, n’ont jamais été exportés.

Conclusion

On le voit, l’évolution et la modernisation de la Marine néerlandaise, sont intéressantes à plus d’un titre, y compris pour la France et la Marine nationale. Ces nouveaux navires promettent, en effet, de répondre de manière satisfaisante à l’évolution rapide des besoins de protection contre l’ensemble des menaces aériennes, missiles, aéronefs et drones.

Un rapprochement volontaire de la France vers ce programme, renforcerait la coopération industrielle et militaire entre les deux pays, tout en effectuant des économies significatives en matière de R&D, en sécurisant un programme stratégique, et en traitant une faiblesse bien connue de la Marine nationale dans ce domaine.

Même si cela peut apparaitre contre-intuitif de prime abord, une telle coopération qu’il faut, parfois, accepter de perdre un peu pour, au final, gagner beaucoup, et dans de nombreux domaines.

Le CIWS RAM va remplacer les Phalanx à bord des destroyers de l’US Navy

Le remplacement des Phalanx des destroyers américains, par des CIWS RAM ou SeaRam, va-t-il résoudre une partie des problèmes de consommation de munitions des escorteurs de l’US Navy, face aux drones Houthis ? C’est bien possible…

Selon les informations transmises par l’US Navy, ces destroyers américains, déployés en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, ont déjà tiré bien plus d’une centaine de missiles SM-2 et SM-6, pour intercepter les drones d’attaque, missiles de croisière antinavires et missiles balistiques, lancés par les rebelles yéménites Houthis, contre ces navires, ou ceux qu’ils protègent.

Ils n’ont, en revanche, employé qu’une seule fois le CIWS Phalanx, alors que, dans le même temps, plusieurs frégates occidentales équipées du système RIM-116 Rolling Airframe Missile ou RAM, ont montré l’efficacité du système.

Le CIWS Mk15 Phalanx, un pilier de la défense rapprochée des navires de surface américains et occidentaux

Si le Mk15 Phalanx, un système automatique de défense rapprochée composé d’un radar de tir et d’un canon Gatling à 6 tubes de 20 mm, a joui, depuis son entrée en service en 1980, d’une image flatteuse, dans l’opinion publique comme à Hollywood, il n’en est pas moins contraint par certaines limitations.

Arleigh Burke destroyer
la plupart des destroyers de l’US Navy de la clase A. Burke, dispose de 2 Phalanx : un à l’avant du navire, sous la passerelle, et un sur le roof arriere. Les deux sont visibles sur cette photo.

Ainsi, son faible calibre, ne lui confère qu’une portée efficace, relativement courte, de 1500 mètres, contre les cibles aériennes mobiles. Il ne peut, dès lors, s’avérer utile que comme une ultime barrière de protection du navire lui-même, si tant est qu’il soit effectivement visé. Ce pourquoi il a été conçu, d’ailleurs.

En outre, sa cadence de tir de 3000 coups par minutes, et son système de pointage, ne lui confèrent qu’une autonomie au combat de 25 à 30 secondes, soit 5 ou 6 tirs, dans le meilleur des cas. Enfin, s’il peut être réarmé à la mer, il s’agit d’une procédure longue et complexe, exposant potentiellement les équipes en charge de cette mission, si le navire poursuit le combat.

Malgré ces limitations, le Phalanx a, effectivement, sensiblement accru la survivabilité potentielle des frégates, destroyers et unités de surface majeures, navires amphibies et porte-avions, de l’US Navy, durant la guerre Froide.

Celui-ci devait, alors, permettre aux navires de disposer d’une ultime défense, en particulier face aux missiles antinavires soviétiques envoyés en masse pour saturer les défenses adverses, même si ceux-ci avaient déjà employé tous leurs missiles pour intercepter le maximum de menaces.

Le système a d’ailleurs connu un important succès, en équipant la plupart des navires majeurs de l’US Navy, ainsi que plus de 75 classes de bâtiments de surface au sein d’une vingtaine de Marines mondiales.

Remplacer les Mk15 Phalanx des destroyers Arleigh Burke américains par des systèmes CIWS RAM ou SeaRAM

En dépit de ce succès incontestable, l’US Navy vient d’annoncer qu’elle allait remplacer les systèmes Phalanx qui équipent les destroyers de la classe Arleigh Burke, pour y installer, à la place, un système RIM-116 RAM, ou son pendant plus restreint, le SeaRAM, dans le cadre du programme Destroyer Modernisation 2.0, ou DDG 2.0.

CIWS RAM rechargement à la mer
Contrairement aux silos Mk41, les systèmes Mk49 du Ram, peuvent être rechargés à la mer. La procédure est toutefois relativement lourde et complexe, comme le montre ce cliché.

Entré en service en 1992, le système RAM reprend une partie des éléments du Phalanx, permettant un remplacement simplifié de l’un par l’autre, à bord des navires américains. Les destroyers équipés du dernier système AEGIS, permettant l’utilisation du lanceur Mk49, se verront ainsi doté du système RAM et de son lanceur à 21 missiles. Les autres, devront se contenter du SeaRAM, qui n’emporte que 11 missiles.

D’une portée de 9 km, le RAM est constitué d’un autodirecteur infrarouge emprunté au FIM-96 Stinger, d’un propulseur de AIM-9 Sidewinder, et d’un système de localisation des émissions des radars actifs des missiles antinavires. Les versions ultérieures permettent aux missiles d’être tiré directement en guidage infrarouge, voire de basculer d’un mode à l’autre, afin de répondre à un vaste panel de menaces, y compris les drones d’attaque.

Selon le capitaine Tim Moore, qui dirige le programme DDG 2.0, cette transformation des destroyers US débutera dès cette année, et se poursuivra en 2025, l’ensemble des navires actifs, ou à venir, devant voir leurs Phalanx remplacés par les systèmes RAM ou SeaRAM, dans les années à venir, sans que le calendrier exact ait été rendu public à ce jour, au-delà de 2025.

Une autre inconnue demeure. En effet, les destroyers des lots Flight I, Flight II et Flight IIa, ont été équipés de 2 systèmes Phalanx, un à l’avant, en arrière de la pièce de 127 mm, et un sur le hangar arrière. On ignore si les deux Phalanx seront remplacés par deux ou un unique RAM/SeaRAM, et si, dans ce cas, un des Phalanx sera laissé en place.

Toutefois, l’hypothèse la plus probable, aujourd’hui, consiste en un retrait de tous les Phalanx, avec l’installation d’un unique RAM, et la libération de l’espace avant pour recevoir, à l’avenir, un système d’arme à énergie dirigée, comme un laser à haute énergie, ou un canon à micro-onde.

Un potentiel supérieur face aux attaques de saturation et aux drones d’attaque

La décision de l’US Navy, dans le cadre du programme DDG 2.0, est parfaitement logique. En effet, un unique système RAM, et même SeaRAM, confère des capacités de protection aux destroyers américains, largement supérieures à celle de son, ou de ses deux systèmes Phalanx.

RIM-116 RAM
Départ d’un missile RAM. Le missile roulant sur lui-même pendant le vol pour assurer sa stabilité, il a reçu le nom de RAM pour Rolling Airframe Missile.

En effet, avec une portée efficace de 1500 mètres, face à des drones évoluant à 200 km/h, le Phalanx n’a que 27 secondes pour détecter, pointer, tirer et détruire, le ou les drones arrivants simultanément. À raison d’une cible traitée toutes les cinq secondes, une batterie Phalanx peut donc traiter, au mieux, cinq cibles de type drone d’attaque arrivant simultanément. En outre, il n’a qu’une capacité de 5 ou 6 tirs au maximum, avant de réarmer.

Un système RAM ou SeaRAM, pour sa part, à une portée de 9 km, et donc 2 minutes 40 pour traiter des cibles simultanées. Même en prenant un délai de détection, pointage et tir de 10 secondes, deux fois plus élevé que celui du Phalanx, celui-ci à donc une capacité d’interception simultanée de 15 drones évoluant à 200 km/h (11 pour le SeaRAM, qui n’a que 11 missiles).

De fait, face aux drones, une batterie SeaRAM a donc un potentiel d’interception légèrement supérieur à celui de deux batteries Phalanx, et deux fois plus important qu’un unique Phalanx. Dans le cas d’un système RAM, le potentiel d’interception simultané est trois fois plus important qu’un Phalanx, alors qu’il dispose d’une autonomie d’engagement deux fois plus élevée.

La situation est identique concernant les missiles de croisière antinavires, avec une unique interception possible sur les 6 secondes nécessaires au missile pour parcourir les 1500 derniers mètres vers le navire, contre 30 secondes, et trois interceptions, pour le RAM/SeaRAM.

Enfin, et c’est très certainement un critère clé dans le choix de l’US Navy, le RAM permet au destroyer de réaliser des interceptions de missiles passant à proximité, mais ne le visant pas spécifiquement.

Burke escortant navire marchant en mer rouge
l’arrivée des RAM à bord des destroyers américains, permettra de reduire la consommation de missiles SM-2 ou SM-6.

Cette capacité, bien plus étendue que concernant le Phalanx qui nécessite que le drone passe à moins de 1500 mètres du destroyer pendant au moins 5 secondes, fait du RAM une alternative économique à l’utilisation des SM-2 ou ESSM face à la menace drone, d’autant que, comme le système qu’il va remplacer, il peut être rechargé à la mer.

Enfin, si le tir d’un RAM coutera plus cher que celui d’un Phalanx, il sera, en revanche, au moins quatre fois moins cher que celui d’un SM-2, probablement nécessaire, sans lui, pour protéger les navires alliés.

Une équation différente face à un CIWS de plus gros calibre, comme le RapidFire

Il n’aura pas échappé au lecteur attentif de Meta-defense que vous êtes, que cette démonstration semble à contre-pied du récent article sur le retour en grâce de l’artillerie antiaérienne, face au missile, et celui sur le renforcement des capacités CIWS des navires occidentaux, afin de préserver les magasins de missiles.

Pourtant, il n’en est rien. Et si, en lieu et place du Phalanx, l’US Navy avait dû évaluer un CIWS de plus gros calibre, comme le RapidFire de Thales, face aux RAM/SeaRAM, la démonstration aurait été tout autre.

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Avec une portée deux fois et demi plus importante que le Phalanx, le RapidFire de Thales, présente des capacités d’interception simultanée de drones et de missiles equivalentes à celle du système RAM, tout en ayant un cout par tir considerablement plus bas.

En effet, avec une portée efficace de 4 000 mètres, un RapidFire dispose d’un délai de feu de 1 minute et 12 secondes. À raison d’un tir toutes les 5 secondes, le CIWS pourrait donc traiter 14 cibles simultanées, soit un de moins que le RAM, mais trois de plus que le SeaRAM, tout en disposant d’une autonomie de 140 obus, soit 23 tirs de 2 fois 3 obus, plus importante.

Face à un missile de croisière, le RapidFire disposerait de 16 secondes, permettant d’effectuer trois interceptions, soit autant que le RAM, avec une cadence à suivre d’un tir toutes les cinq secondes, deux fois plus élevée que le système américain.

Enfin, un tir de RapidFire ne coutera que quelques milliers d’euros, dans le pire des cas, contre 450 000 $ par missile RAM. En revanche, il n’aura pas la même enveloppe de protection qu’un RAM, d’où l’intérêt de coupler le RapidFire au LMP et ses missiles Mistral 3, de sorte à couvrir l’ensemble des scénarios, le plus efficacement possible, tant du point de vue opérationnel qu’économique.

Conclusion

On le voit, la décision de l’US Navy, de remplacer les Phalanx de ses destroyers Arleigh Burke, par des systèmes CIWS RAM ou SeaRam, s’inscrit pleinement dans les retours d’expériences venant de mer Rouge, même si la mesure était en préparation certainement bien avant que les rebelles Houthis ne commencent à attaquer les navires occidentaux.

drones Houthis
L’utilisation simultanée de drones pour saturer les défenses adverses tendra certainement à augmenter, en fréquznce comme en volume, dans les mois à venir.

Elle permet, en effet, non seulement d’accroitre le potentiel défensif instantané des navires américains, face à la menace drone comme à la menace des missiles de croisière antinavires, mais elle étend, dans le même temps, les options du destroyer pour protéger les navires escortés, tout en préservant son précieux magasin de missiles à longue portée.

Reste que la solution vers laquelle se dirige l’US Navy, n’est pas exempte de certains défauts, notamment le prix toujours élevé du missile, pour intercepter des drones ne coutant, au mieux, que 100 ou 150 000 $, susceptibles d’être produits rapidement et en grand nombre, par les adversaires potentiels, Houthis ou autres.

Rafale en Serbie : un contrat stratégique et historique pour la France et Dassault d’ici à 2 mois

La Serbie sera-t-elle le huitième client export du Rafale de Dassault Aviation ? C’est en tout cas ce qu’il transparait des récentes déclarations du président Serbe, Aleksandar Vucic, à l’occasion de la visite officielle en début de semaine.

Selon le chef d’État serbe, son pays signera, d’ici à deux mois, une commande ferme portant sur 12 avions Rafale, certainement au standard F4, et ce, en présence du président français.

S’il faut, bien évidemment, garder une certaine réserve, tant que la commande officielle n’aura pas été signée et l’acompte versé, surtout vis-à-vis d’un pays comme la Serbie, toujours engagé dans des revendications territoriales et des tensions avec ses voisins, et plus spécialement, avec le Kosovo, jamais les négociations entre Paris et Belgrade, entamées il y a plusieurs années, n’auront été aussi près d’aboutir.

Pour éviter de devoir ajouter « Si la commande était signée » à chaque paragraphe, et l’usage généralisé du conditionnel, nous considérerons, dans ce qui suit, que les déclarations du président Vucic suffisent à considérer la future commande de 12 Rafale pour les forces aériennes serbes, comme valide, si pas encore officielle, tout en gardant à l’esprit les réserves préalablement établies.

Un basculement stratégique de la Serbie vers l’Union européenne, aux dépens de la Russie

Cette commande marquera un très profond basculement de Belgrade, vers l’Union européenne. Traditionnellement, la Serbie était, en effet, proche de Moscou, et elle s’équipait en priorité de matériels et d’aéronefs russes par le passé.

Mig-29 Serbe
Il reste 14 Mig-29 en service au sein des forces aériennes serbes. Cest appareils n’ont que peu été modernisés, et ne peuvent s’opposer efficacement à des chasseurs modernes.

Récemment encore, il n’y a de cela que quelques années, celles-ci reçurent des forces aériennes russes des MIG-29 d’occasion, en partie pour remplacer les appareils perdus lors de la guerre du Kosovo en 1999 face aux forces de l’OTAN, ainsi que des hélicoptères de combat Mi-35 et de manœuvre MI-17, et une batterie antiaérienne Pantsir M1.

Toutefois, une partie de ces commandes a été reportée, après que la Russie fut mise sous sanction par l’occident, et plus spécialement par les États-Unis en 2019, au travers de la loi CAATSA.

Depuis, Belgrade s’est tournée vers Pékin pour certaines acquisitions militaires, notamment 4 batteries de défense antiaérienne à moyenne et longue portée HQ-22, un nombre indéterminé de batteries à courte portée HQ-17, et de drones de combat CH-92 et CH-95.

La Serbie s’est aussi tournée beaucoup plus massivement vers l’Europe, dans ce domaine, avec la commande d’hélicoptères légers H145M, d’avions de transport C-295, ainsi que de radars GroundMaster 200 et 400, et de missiles sol-air à courte portée Mistral 3.

Dans ce contexte, la commande de 12 avions Rafale auprès de la France, évaluée autour de 3 Md€ avec pièces, munitions et formations comprises, constitue le plus important contrat d’importation d’armes signé par Belgrade ces 30 dernières années, ainsi qu’un profond basculement vers l’Europe, alors que le pays a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne, depuis 2012.

Le rôle de la France comme pivot sécuritaire des Balkans

Si cette commande renforce considérablement les chances de voir la Serbie rejoindre, à plus ou moins courts termes, l’UE, elle confère, également, à la France, un rôle central dans le contrôle des tensions dans les Balkans.

CH-92 Serbie
Les forces aériennes serbes mettent en ouvre des drones de combat chinois CH-92.

Rappelons que si la guerre de Yougoslavie, et celle du Kosovo, prirent fin en juin 1999, les tensions restent vives entre les 7 États résultant de la dislocation du pays. Depuis, quatre de ces pays, la Croatie, la Slovénie, le Monténégro et la Macédoine du Nord, ont rejoint l’OTAN, alors que la Slovénie et la Croatie ont, pour leur part, également rejoint l’Union européenne.

La Bosnie-Herzégovine, elle, négocie son accession à l’OTAN depuis 2008, et a obtenu de l’Union européenne, le statut de candidat, en décembre 2022, comme la Macédoine du Nord, en 2008. Le Kosovo, enfin, reste sous protection de l’OTAN avec la mission KFOR depuis 2008, mais n’est ni candidat à l’Alliance, ni à l’UE.

Si la plupart des pays des Balkans ont donc, désormais, une trajectoire politique convergente, que ce soit au travers de l’OTAN et/ou de l’Union européenne, les tensions restent vives, entre États et entre communautés, sur fonds d’un nationalisme souvent exacerbé par la mémoire de la guerre des années 90.

En équipant en Rafale, et à parts égales, la Serbie, après avoir déjà équipé la Croatie, les deux seules aviations de chasse des Balkans, Paris s’assure donc d’un bras de levier puissant pour contrôler les éventuels dérapages régionaux à venir. Ces deux pays représentent, en effet, 50 % de la population et 60 % du PIB des ex-républiques yougoslaves, et des creusés de nationalisme actifs et problématiques.

Avec 8 clients à l’exportation, le Rafale égale le Mirage 2000 et le Mirage F1, et se rapproche du Mirage III

Si la signature de ce contrat avec la Serbie constituera, donc, un enjeu stratégique majeur dans le contrôle des tensions dans les Balkans, un sujet d’inquiétudes de longue date pour la France et les Européens, elle permet également à l’avion de Dassault, d’égaler, voire de dépasser, ses prédécesseurs, en matière de succès industriels et commerciaux.

Mirage 2000-5 Grèce
5 des 8 clients internationaux du Rafale, volaient précédemment sur Mirage 2000.

Avec 8 clients internationaux, le Rafale égale, en effet, le Mirage 2000 et le Mirage F1, dans ce domaine, et se rapproche des records du Mirage III (9 clients exports) et du Mirage V (11 clients).

Mieux encore, le Rafale est désormais l’avion de chasse français vendu au plus grand nombre de forces aériennes européennes, avec la Grèce, la Croatie et la Serbie, dépassant les 2 forces aériennes du Mirage F1 (Espagne et Grèce) et du Mirage III (Espagne et Suisse), ainsi que les uniques clients européens du Mirage V (Belgique) et du Mirage 2000 (Grèce).

Sachant que cinq des clients du Mirage 2000 se sont depuis tournés vers son successeur, représentant 62% de taux de transformation, ainsi que 62% des clients du Rafale, on comprend toute l’importance de ces succès répétés à l’exportation du chasseur de Dassault, pour préparer le marché du NGF et du programme SCAF.

Avec 323 avions exportés, le Rafale dépasse le Mirage 2000, et se rapproche du Mirage F1 et du Mirage V

Si le nombre de pays ayant acquis le Rafale égal, désormais, celui du Mirage 2000 et du Mirage F1, le carnet de commande de Dassault demeure inférieur à ce qu’il était pour ces précédents appareils.

Mirage F1C
Environs 720 Mirafe F1 ont été construits par Dassault, dont 478 appareils ont été exportés.

Ainsi, aujourd’hui, 548 ont été commandés (Serbie comprise), contre 601 Mirage 2000 construits, 720 Mirage F1 et 870 Mirage III, mais dépassant déjà les 532 Mirage V produits.

En matière d’exportation, les 323 Rafales commandés, dont 24 d’occasion, dépassent déjà les 299 Mirage 2000 vendus à l’international, et se rapprochent des 474 Mirage V et 478 Mirage F1 exportés.

Il reste, en effet, plusieurs prospects jugés prometteurs, pour accroitre le succès international du chasseur français. Les discussions sont avancées avec l’Inde au sujet de 26 Rafale M pour armer le porte-avions Vikrant, mais s’inscrivent dans une négociation globale portant également sur la commande de trois sous-marins Scorpene supplémentaires, ainsi que la participation des industriels français au programme TEDBF de chasseur embarqué indien, et peut-être de sous-marin à propulsion nucléaire.

Le Rafale B/C est également toujours considéré comme un des favoris du programme MRCA 2, portant sur la construction locale de 114 (ou 57, selon les jours), chasseurs de génération intermédiaire par l’industrie indienne.

Rafale M charles de Gaulle
L’Inde doit commander 28 Rafale M pour armer son porte-avions INS Vikrant. Les négociations sont complexes car portant sur un package complet intégrant également des sous-marins Scorpene, et d’importants transferts de technologie vers l’indsutrie indienne.

Plusieurs opérateurs actuels du Rafale, ont fait savoir qu’ils entendaient, à l’avenir, étendre leur flotte, de 6 exemplaires pour la Grèce pour atteindre les 30 avions nécessaires à armer deux escadrons, le Qatar pour un escadron supplémentaire (18 appareils) et l’Égypte, pour amener sa flotte à 80 Rafale (26 avions).

Plusieurs nouveaux opérateurs potentiels demeurent en négociation, avec l’Arabie Saoudite pour 54 chasseurs, la Colombie pour 12 à 18 exemplaires, et le Sultanat d’Oman. Le Brésil a enfin été évoqué, plus récemment, alors que l’Irak demeure intéressée, mais politiquement incertaine.

Le plus grand succès commercial de l’histoire de Dassault Aviation

Eu égard au nombre d’appareils concernés par ces commandes potentielles à venir, il se pourrait bien, contre toute attente, que le Rafale dépasse le Mirage V, et peut-être même le Mirage F1, en matière de production, et d’exportations.

Ceci constituerait un succès considérable pour Dassault Aviation, particulièrement alors que celui-ci a dû batailler bec et ongles, pour préserver sa ligne de production Rafale, à la fin des années 2000, lorsque le gouvernement français envisageait très sérieusement de s’éloigner du nouvel appareil, quitte à revenir vers une version modernisée du Mirage 2000, jugé alors plus prometteur à l’export, et bien moins onéreux à l’achat et à l’emploi.

Comparer le succès commercial du Rafale et de ses prédécesseurs

Pour autant, même si les commandes de Rafale devait s’arrêter à leur niveau d’engagement actuel, soit 548 chasseurs dont 323 à l’exportation, le Rafale serait le plus important succès commercial de l’avionneur français, ainsi que de l’aéronautique militaire française, de l’histoire.

Cockpit simulateur Rafale
Le Rafale est beaucoup plus complexe, performant et lourd, que les appareils qu’il remplace dans les forces aériennes.

En effet, comparer un Rafale et un Mirage F1, ou un Mirage V, n’a que peu de sens, que ce soit du point de vue opérationnel, technologique ou commercial. Là où ces appareils étaient spécialisés, et monomoteurs, le nouveau chasseur est polyvalent et multimission, ainsi que bimoteur.

De fait, un Rafale effectue, aujourd’hui, les missions de deux, voire trois appareils différents, les Mirage F1C et Mirage 2000C pour la supériorité aérienne ; le Jaguar, le Mirage V et le Mirage F1CT, pour l’attaque ; le Mirage 2000N et le Mirage IV, pour les missions nucléaires ; et le Mirage IVP et le F1CR, pour la reconnaissance. Il en va de même dans l’aéronaval, remplaçant simultanément les Crusader de supériorité aérienne, les Super-Étendard d’attaque et de mission nucléaire, et les Étendard IVP de reconnaissance.

De fait, les formats des forces aériennes s’étant tournées vers le Rafale, ont fortement diminué en termes de nombre d’appareils, tout en conservant, par missions, le même potentiel opérationnel.

Un avion deux fois plus polyvalent, et deux à trois fois plus cher, que les Mirage

Dans le même temps, le prix du chasseur, à l’achat comme à l’emploi, a, lui aussi, considérablement augmenté, bien au-delà de l’inflation ou de toute autre méthode de correction. Ainsi, le Mirage 2000 coutait, corrections faites, l’équivalent de 50 m€, la moitié du prix d’un Rafale, et le Mirage F1, autour de 25 à 30 m€. Il en va de même concernant les couts de mise en œuvre, créant une activité récurrente majeure pour l’industriel et l’ensemble de ses sous-traitants.

Rafale multimission
Non seulement le Rafale peut-il effectuer plusieurs missions, mais il peut, dynamiquement, passer d’une fonction à une autre, au cours de la même mission, passant d’avion d’attaque à chasseur de supériorité aérienne, par exemple.

Non seulement le Rafale est-il plus lourd, mais il emporte aussi beaucoup plus de systèmes et de technologies, internes comme externes. En outre, c’est un bimoteur, alors que le turboréacteur est un élément constitutif majeur, dans le prix d’un avion de chasse.

De fait, on peut aisément appliquer à rapport de correction de 2, pour comparer la vente de Rafale et de Mirage 2000, et de 3, au-delà, pour le Mirage F1 et les Mirage III/V, afin de comparer le succès commercial que représentent, dès aujourd’hui, les ventes de l’appareil.

Ainsi corrigées, les 548 Rafale vendus ou commandés, à ce jour, dont 323 à l’exportation, représentent, du point de vue commercial et technologique, l’équivalent de 1096 Mirage 2000 construits, dont 646 exportés, et de 1644 Mirage F1/III/V construits, dont 969 vendus à l’exportation.

On comprend, alors, pourquoi le Rafale constitue, dès aujourd’hui, le plus grand succès de l’aéronautique militaire française, dépassant même la famille Mirage III/V réunie, tant en matière de production, que d’exportations et d’activité industrielle récurrente.

Pourquoi l’artillerie antiaérienne redevient-elle une alternative crédible face au missile ?

Que ce soit au sein des forces ukrainiennes, face aux drones russes, ou à bord des destroyers et frégates occidentaux en mer Rouge, l’artillerie antiaérienne a retrouvé, ces dernières semaines, les lettres de noblesses qu’elle semblait avoir perdu depuis le début des 70, au profit du missile.

Qu’il s’agisse de répondre à l’équation budgétaire très défavorable en comparaison des drones d’attaques de conception iranienne, ou de réduire la consommation de missiles alors que l’industrie ne parvient pas à produire de réassort aussi vite qu’ils sont consommés, la simplicité, la rusticité et les faibles couts liés à l’emploi de canons de DCA, sont redevenus des critères déterminants, en particulier dans la gestion de conflits appelés à durer.

Toutefois, le canon a-t-il vraiment l’avantage, face aux drones, munitions stand-off et autres missiles de croisière, sur les missiles anti-aériens ? Une question, comme souvent, bien plus complexe qu’il n’y parait de prime abord.

Le remplacement de l’artillerie antiaérienne par le missile dans les années 60 et 70

Si les premiers missiles sol-air sont apparus dans les années 50, avec le S-75 Dvina (1957) soviétique et le MiM-14 Nike Hercules (1955) américain, ces systèmes visaient avant tout à contrer la menace des bombardiers lourds évoluant à haute et très haute altitude, et à vitesse élevée, rendant l’interception par avions de chasse incertaine.

S-75 Dvina norvietnam
Bien qu’élevés au rang de symbole national, les S-75 Dvina nord-coréens n’ont abattu que 8 % de l’ensemble des avions de chasse américains perdus au combat lors de la guerre du Vietnam.

La protection contre l’aviation tactique, elle, reposait, jusque dans les années 60, en majeure partie sur l’artillerie sol-air, même si des systèmes de missile dédiés à cette mission, comme le Hawk (1962) américain, et le 2K12 soviétique (1967), sont apparus durant cette décennie.

Ainsi, sur les 2 500 avions de l’US Air Force, US Navy et US Marines Corps, perdus au combat (hors accidents) durant la guerre du Vietnam, seuls 205 l’ont été par les systèmes de missiles sol-air nord vietnamiens, et 269 par la chasse vietnamienne. Les plus de 2000 appareils restants, ont été abattus par les canons de DCA des armées nord-vietnamiennes.

Hanoï avait alors déployé plus de 10 000 batteries antiaériennes allant de la mitrailleuse lourde de 12,7 et 14,5 mm, au canon S-60 de 57 mm tirant plus d’un obus par seconde à une distance pouvant atteindre 6 000 m lorsque couplé à un guidage radar.

Si cette défense s’est révélée efficace contre la chasse américaine, il est toutefois rapidement apparu que les canons antiaériens mobilisaient des ressources humaines considérables, plus de 120 000 soldats nord-vietnamiens étant consacrés à cette seule mission, et obligeait à une densité très importante pour être performante.

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Les quelques 8 000 canons de DCA et 2000 mitrailleuses lourdes antiaérienes déployés par le nord-vietnam, ont abattu 2000 des 2500 chasseurs, bombardiers et appareils à aile fixe américains, perdus au combat lors de la guerre du Vietnam.

Ce poids humain, ainsi que les performances des nouveaux missiles sol-air mobiles, comme le 2K12 Kub (1967) et le 9K32 Strela (1970) soviétiques, mis en œuvre par les armées arabes lors de la guerre du Kippour, finirent de convaincre les occidentaux de l’intérêt de se doter rapidement d’une puissante défense antiaérienne organisée autour de batteries de missiles multicouches.

C’est ainsi que furent développés le MiM-104 Patriot (1984) pour remplacer les MiM-23 Hawk, les systèmes plus mobiles comme le Roland (1978) ou le Rapier (1971), et les missiles légers comme le FiM-92 Stinger (1981), le Blowpipe (1975) et le Mistral (1988), venus remplacer, dans les années 70 et 80, l’immense majorité des systèmes de canons antiaériens au sein des armées occidentales.

Il en fut de même en Union Soviétique, avec l’apparition des S-200 (1967) et systèmes OSA (1971), puis des systèmes S-300 (1978), Buk (1980) et Tor (1986), alors que les canons antiaériens étaient retirés du service en très grand nombre.

L’arrivée des drones d’attaque et bombes planantes rebat les cartes en matière de défense antiaérienne

L’arrivée des premières munitions guidées dans les années 80, y compris celle des missiles de croisière comme le Tomahawk américain (1983) ou le Kh-55 soviétique (1983), renforça ce basculement vers la généralisation du missile dans la défense sol-air terrestre, ce phénomène semble, aujourd’hui, avoir atteint un palier d’efficacité, en particulier face à l’arrivée de nouvelles menaces.

Shahed 136
Les drones d’attaque comme le Shahed 136 iraniens, ont-ils pu apparaitre du fait de la disparation de l’artillerie antiaérienne ?

Plus particulièrement, l’utilisation massive de drones d’attaque comme le Shahed-136 iranien, ainsi que des bombes planantes comme les FAB-XXX russes, dans le conflit ukrainien, ainsi que des drones d’attaque par les rebelles Houthis, contre le trafic maritime comme contre les infrastructures adverses, modifient en profondeur l’équation qui sous-tend l’efficacité de la défense aérienne.

En effet, là où un avion de combat, un hélicoptère, voire un missile de croisière, représente un taux d’échange économique pertinent face à l’utilisation de missiles sol-air onéreux, ces drones et munitions stand off, ont un cout unitaire très inférieur à ceux de ces mêmes missiles. Ils sont par ailleurs beaucoup plus faciles et rapides à construire.

Ces systèmes ont engendré l’épuisement rapide des stocks de missiles antiaériens, aussi bien concernant les défenseurs ukrainiens, que les frégates et destroyers occidentaux protégeant le trafic maritime en mer Rouge, sans qu’il soit possible aux industriels de reformer les stocks au même rythme que les drones russes et Houthis sont produits.

De fait, depuis quelques mois, les canons antiaériens, et plus globalement, l’artillerie sol-air, retrouvent un attrait tout particulier auprès des états-majors navals comme terrestres, que ce soit en Ukraine, et plus largement en Europe, comme à bord des navires de combat.

Canon ou batterie de missiles, une équation aux multiples paramètres

De manière évidente, les systèmes modernes de défense antiaérienne employant un canon, plutot qu’un missile, apparaissent, en effet, une réponse pertinente, en particulier pour s’opposer à des drones coutants de plusieurs dizaines à quelques centaines de milliers de dollars, là où les missiles sol-air coutent d’un demi-million de dollars à plus de trois, selon les modèles.

IRIS-T SLM
Bien que très efficace, l’IRIS-T SLM souffre, en Ukraine, des memes faiblesses que les autres systèmes antiaériens occidentaux, consommant les missiles plus vite que l’industrie allemande ne peut les produire.

Pour autant, l’efficacité de l’un ou de l’autre, y compris économique, doit s’évaluer selon de nombreux paramètres. Pour cela, nous allons comparer deux systèmes existants aujourd’hui, et qui sont, ou seront bientôt employés en Ukraine : l’IRIS-T SLM et le Skyranger 30, tous deux de conception allemande.

Avec une portée opérationnelle de 25 km, un système IRIS-T SLM protège un périmètre de 1000 km² (hors relief), et mobilise pour cela une douzaine d’hommes, pour un prix unitaire de 140 m$. Chaque missile coute, lui, 400 000 $ en données publiques.

Le Skyranger 30 monté sur un blindé 8×8 Boxer, a une portée efficace de 4 km, lui conférant un potentiel de couverture de 25 km2. Il faut 5 hommes pour le servir efficacement, et coute autour de 10 m$ par pièce. Le tir pour la neutralisation d’un drone comme le Shahed-136, soit une quinzaine d’obus, coute autour de 15 k$, avec des munitions spécialisées.

Ces chiffres étant posés, deux cas d’étude permettent de comprendre les intérêts des uns, ou des autres, de manière comparée.

Défense d’une ligne d’engagement ou d’une frontière : avantage aux canons

La première hypothèse repose sur la protection d’une ligne, pour l’opacifier à la pénétration, comme dans le cas, par exemple, d’une frontière. Nous prendrons comme hypothèse, ici, que les systèmes de missiles doivent être déployés à mi-portée de la ligne d’engagement, avec un taux de recoupement de 20 %. Les canons, quant à eux, seraient déployés en deux lignes en quinconce, avec un taux de recoupement identique.

artillerie antiaérienne Skyranger 30
La tourelle antiaérienne Skyranger 30 de Rhienmetall représente aujourd le système de défense antiaérienne canon à courte portée le plus abouti disponible en occident.

Dans ce modèle, un IRIS-T est donc capable de protéger une ligne de 40 km. Il faut, pour couvrir la même distance, par deux lignes de Skyranger 30, 12 systèmes Skyranger 30. D’un point de vue économique, les 12 systèmes Skyranger 30 couteront dont 120 m$, 15 % moins chers que le système IRIS-T.

Ils s’avèreraient, en outre, considérablement plus efficaces concernant le cout par interception, 25 fois moins cher que l’utilisation d’un missile IRIS. En revanche, les ressources humaines mobilisées par les 12 Skyranger 30, 60 hommes, est 5 fois plus élevé que celui d’une unique batterie IRIS-T.

Trois paramètres supplémentaires doivent, ici, être considérés, pour une comparaison parfaite. D’une part, le plafond d’intervention du Skyranger 30, autour de 3000 m, est très inférieur à celui de l’IRIS-T, donné pour être supérieur à 15 000 m. Rappelons toutefois qu’il s’agit ici de répondre à la menace posée par les drones et les bombes planantes, la haute altitude devant, logiquement, être déléguée à des systèmes plus lourds, comme le Patriot ou le SAMP/T Mamba.

D’autre part, les Skyranger 30, par leur nature distribuée, sont beaucoup plus résilients aux frappes SEAD, qu’une unique batterie IRIS-T SLM. Ainsi, la perte d’une unique batterie Skyranger ne créerait pas de trou dans le dispositif défensif double ligne évoqué ici, alors que la destruction de l’unité de contrôle ou du radar de l’IRIS-T SLM, créerait une zone de pénétration de 40 km dans le dispositif défensif.

Skyranger 30 Boxer 8x8
La Bundeswehr a annoncé l’acquisition de 28 Skyranger 30 sur blindé Bower 8×8 pour 628 m€, afin de remplacer les gepard envoyés en Ukraine.

Notons enfin que la ventilation des Skyranger offre une bien meilleure couverture de la ligne, tenant compte du relief et des obstacles naturels, à la ligne de visée électromagnétique, indispensable au guidage radar. Il est, en effet, bien plus facile de positionner efficacement chaque Skyranger pour une couverture optimale, plutôt qu’une unique batterie IRIS-T SLM, surtout face à des pénétrations à très basse altitude.

De toute évidence, nonobstant le poids humain, l’artillerie antiaérienne s’avère, dans cette hypothèse, bien plus performante que l’utilisation de batteries missiles, pour contrer la menace conjointe des drones d’attaque, des munitions planantes et des missiles de croisière, ainsi que des avions de combat à basse ou très basse altitude, si tant est qu’un dispositif multicouche traite les menaces à moyenne et haute altitude.

Défendre un périmètre étendu ou une grande ville : le missile demeure incontournable

La situation est différente, lorsque l’on évoque la défense d’un périmètre, par exemple, une ville. Dans un tel cas, une unique batterie IRIS-T SLM permet de défendre une zone de 40 km de diamètre, ou, par simplification, un carré de 40 km de côté.

Pour défense un tel périmètre, il est nécessaire de placer 40 pièces Skyranger 30, selon les mêmes abaques que ceux employés précédemment (double ligne, 20% de taux de recoupement). Dans une telle hypothèse, l’intérêt de l’artillerie diminue rapidement, y compris économiquement, puisque les 40 Skyranger 30 couteront plus de trois fois plus chers que l’unique batterie IRIS-T SLM, tout en mobilisant dix fois plus d’hommes.

KH-101 Tu-95MS
Le missile de croiisère Kh-101 peut être lancé à distance de séurité au dessus du territoire russe, et atteindre l’ensemble du territoire Ukrainien, y compris en contournant les zones de défense aérienne les plus denses.

Si, dans une telle hypothèse, le missile semble avoir un avantage incontestable, il convient, toutefois, de relever certains aspects importants modérant celui-ci. Ainsi, le périmètre et les couts pour une batterie IRIS-T, sont fixes, et ne peuvent être réduits si le périmètre à défendre est plus restreint.

Ainsi, pour protéger, par exemple, une infrastructure critique, quelques pièces Skyranger 30 seront certainement suffisantes, là où l’IRIS-T serait largement sur-dimensionné. Dans ce cas, l’atomicité de l’artillerie antiaérienne, offre un bénéfice évident, pour adapter finement la défense aérienne et les moyens déployés, aux besoins.

En outre, comme précédemment, les Skyranger permettent de constituer une défense d’opacification bien plus efficace, tenant compte du relief naturel et humain, qu’une unique batterie de missile pourra le faire, quelle que soit sa portée.

L’intrication missiles – canons comme garantie de l’efficacité

Reste que si l’artillerie antiaérienne a, comme défini précédemment, des atouts inconstatables, spécialement pour contrer la menace drones et les munitions planantes stand-off, offrant des plus-values déterminantes en termes de couts d’acquisition et d’usage, de résilience et de flexibilité, elle n’en demeure pas moins incapable d’assurer une défense antiaérienne globale, en particulier contre les cibles évoluant à moyenne ou haute altitude, ou pour contrer les menaces balistiques.

Dans ce cas, seuls les missiles à moyenne et longue portée, sont effectivement en mesure de traiter ces menaces. Il convient de constater,à ce titre, que c’est précisément l’efficacité de ces systèmes anti-aériens comme le Patriot et le SAMP/T Mamba, qui a contraint les russes à se tourner vers l’utilisation de munitions à longue portée, drones, bombes planantes, missiles de croisière et missiles balistiques, leurs avions de combat et bombardier ne pouvant s’aventurer dans le ciel Ukrainien.

SAMP/T Mamba
Les systèmes antiaériens à longue portée, comme le SAMP/T Mamba et le MiM-104 Patriot, demeurent incontournables pour la défense de zone, la défense à moyenne et haute altitude, et la défense antibalistique. Leur éfficacité est telle que le ciel ukrainien est complétement interdit aux avions russes avec seulement 5 à 6 batteries de ce type déployées.

Il est donc impossible d’envisager de « remplacer les missiles par des canons« , ce qui reviendrait à révéler une faiblesse en en corrigeant une autre, comme le remplacement des canons par des missiles, en a fait apparaitre, du reste.

En revanche, il apparait qu’il est certainement pertinent, en Ukraine, comme dans l’effort de modernisation des armées européennes, de privilégier la mixité missiles+canons, de sorte à exploiter les atouts propres à chacun des systèmes, y compris dans le domaine économique.

Laser à haute énergie et railgun, des alternatives à venir pertinentes, mais contraintes

Pour autant, cette complémentarité pourrait bien évoluer dans les années à venir, avec l’arrivée de nouvelles technologies, susceptibles de proposer des capacités atténuant la séparation entre ces deux capacités.

C’est notamment le cas des armes à énergie dirigée, et plus spécifiquement, des lasers à haute énergie. Dépourvus de munitions, ces lasers, d’une puissance supérieure à 50 Kw, sont capables de détruire un drone de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de kilogrammes, soit la gamme des drones d’attaque, mais également des missiles de croisière ou des roquettes d’artillerie (on parle alors de C-RAM pour Cruise-Rocket Artillerie Mortar).

Les nouveaux lasers opérant sur des fréquences moins sensibles à la nébulosité, ils offrent des performances d’interception accrues, en termes de portée, et de plafond, dépassant de loin l’altitude maximale des canons d’artillerie. En revanche, ces systèmes coutent encore cher, plus de 10 m$ par DE SHORAD Guardian de l’US Army, et leur fiabilité demeure incertaine.

Railgun japon
Le programme de Railgun japonais vise à concevoir un canon électrique de faible calibre, destiné à une utilisation antiaérienne et antibalistique.

L’autre axe technologique dynamique, dans ce domaine, concerne le développement de canons électriques, ou Railgun, de faible calibre, spécialisés dans la défense antiaérienne et antibalistique. C’est notamment le cas du programme japonais, conçu pour densifier la défense antimissile des navires et cotes nippones, ainsi que du programme français.

Par la puissance dégagée par le Railgun, les projectiles atteignent des vitesses hypersoniques en sortie de bouche, et donc des distances, et des plafonds, bien plus élevés que les canons d’artillerie actuels. En revanche, à ce jour, aucune notion de prix n’a été évoquée, ni par Tokyo, ni par Paris, concernant une éventuelle application opérationnelle de ces programmes.

En outre, qu’il s’agisse de Railgun ou de Laser à haute énergie, des questions de production d’énergie électrique, comme de dissipation de l’énergie thermique, demeurent, et vont très certainement contraindre les possibilités de déploiement de ces nouvelles technologies, tout au moins dans les une ou deux décennies à venir.

Conclusion

On le voit, le canon antiaérien est certainement appelé à retrouver, dans les mois et années à venir, les faveurs des états-majors, en occident comme ailleurs. Plus économiques et plus flexibles que les systèmes missiles, ils s’avèrent particulièrement adaptés pour répondre à la menace posée par les drones d’attaque, les missiles de croisière et les bombes planantes lancées à distance de sécurité.

Mirage IIIE Armée de l'Air
Si le Mirage IIIE, et la plupart des Mirage ayant suivi, ont été dotés d’un ou deux canons, c’est en grande partie grâce à l’insistance des pilotes, notamment israéliens, pour qu’ils soient ajoutés au modèle, initialement équipé uniquement de missiles.

On peut d’ailleurs se risquer à avancer que l’apparition de ces systèmes, et spécialement des drones d’attaque, est une conséquence directe du retrait du service des canons antiaériens dans de nombreuses armées, pour donner la préférence à une défense tout missile, très efficace contre les avions, mais inadaptée face à ces menaces dissymétriques.

Peut-être, les artilleurs auraient-ils dû faire preuve de la même détermination que les pilotes de chasse, lorsque ces derniers se sont vus confier des avions dépourvus de canon, pour ne s’en remettre qu’aux seuls missiles, au début des années 60, comme pour le F-4 Phantom II ou le Mirage III français. Tous deux furent rapidement rééquipés de canons qui devinrent de précieux outils, que ce doit dans le ciel vietnamien ou du Moyen-Orient, face aux MIG. Depuis, tous les avions de chasse, même le très technologique F-35, ont été dotés d’un canon.

Les principales armées européennes souffrent toujours de grandes faiblesses en 2024.

Pendant de nombreuses années, les armées européennes, en particulier celles appartenant aux membres fondateurs de l’OTAN, ont souffert de budgets faméliques et de décroissance politique.

Que ce soit en réponse à la montée en puissance des Armées russes en Ukraine et en Europe, à l’inévitable désengagement des forces américaines d’Europe pour se concentrer dans le Pacifique face à la Chine, ou aux menaces de plus en plus pressantes de Donald Trump, quant à la protection américaine du vieux continent, beaucoup de chancelleries européennes et de l’OTAN ont, ces derniers jours, multiplié les annonces concernant les questions de defense.

Si, pour l’essentiel, il s’est agi d’annoncer une hausse des moyens et des ambitions, sur un calendrier raccourcie, comme Oslo qui va acquérir 5 nouvelles frégates, un sous-marin supplémentaire et doubler le nombre de batteries NASAMS, certaines de ces déclarations ont de quoi surprendre ou, en tout cas, mettre en évidence le niveau d’impréparation des armées européennes, biberonnées depuis 30 années, au fantasme de l’inamovibilité du bouclier américain.

La Marine italienne s’aperçoit qu’il lui manque 10 000 marins

La première de ces déclarations est venue de l’Amiral Giuseppe Cavo Dragone, chef d’état-major de la puissante marine italienne, pivot des ambitions de Rome en Méditerranée et sur la scène internationale.

armées européennes PPA Thaon di Revel
Les PPA de la calsse Thaon di Revel, ont été conçues pour évoluer avec un équipage reduit de 90 membres, pour répondre au deficit d’effectif de la Marine Italienne. Les experts s’interrogent quant à l’efficacité de ce format, si les navires venaient à entrer en zone de combat.

Dans son rapport annuel remis au Parlement italien, celui-ci a, en effet, fait valoir qu’il disposait, aujourd’hui, de 29 000 officiers, officiers mariniers et marins, au sein de la Marina Militare, alors que la pression opérationnelle à laquelle celle-ci doit répondre, nécessiterait 39 000 hommes.

Même si, à la suite de la révision des objectifs de dotation des armées de 2016, la Marine italienne peut disposer d’un effectif théorique de 30 500 hommes et femmes, ce nombre demeure très insuffisant pour couvrir les 4000 marins déployés en moyenne, avec un pic en avril 2023, ayant atteint 7 324 hommes, pour 42 navires, quatre sous-marins et dix-huit aéronefs déployés.

En outre, non seulement la Marina Militare a-t-elle des effectifs insuffisants, mais elle a, également, une pyramide des âges dégradée, avec des effectifs vieillissants, alors que la réduction des équipages employés jusqu’à présent, pour maintenir l’ensemble de la flotte, atteint désormais des limites venant menacer l’efficacité opérationnelle des unités navales italiennes.

Et si le ministre italien de la Défense, Guido Crosetto, s’est montré aligné avec les déclarations de son chef d’état-major de la Marine, estimant que les effectifs des armées du pays étaient à un niveau inacceptable, aucune mesure de correction n’a été annoncée pour y répondre rapidement.

Les armées britanniques n’ont que deux mois d’autonomie au combat

Avec un effort de défense de 2,4 % PIB, et le premier budget européen en matière de dépense de défense, les Armées britanniques devraient, fort logiquement, présenter un profil opérationnel bien supérieur aux autres armées du vieux continent.

British Army
Les Armées britanniques ont annoncé la conception d’un nouveau docuement de synthèse, visant à rédéfinir en profondeur les objectifs et les moyens, à la vue de l’évolution des menaces et aux difficultés rencontrées ces dernières années en termes de recrutement.

Pourtant, il n’en est rien. Interrogé dans le cadre d’une commission parlementaire associant le ministère de la Défense et le ministère des Finances, le Lieutenant General Sir Rob Magowan, chef d’état-major adjoint des armées britanniques, a douché les espoirs des parlementaires qui lui faisaient face.

« Nous sommes prêts pour la guerre, j’en suis certain. Nous avons des forces ayant un haut niveau de disponibilité… et pouvant être projetées dès ce soir« , a-t-il déclaré, avant d’ajouter « Par contre, nous ne sommes pas capables de soutenir une guerre intense pendant plus de deux mois« , lorsque interrogé si les forces étaient capables de se confronter aux armées russes.

Le fait est, les trois armées britanniques souffrent, depuis plusieurs années désormais, simultanément d’un déficit critique en matière de renouvellement des ressources humaines, perdant des militaires trois fois plus vite qu’elles n’en gagnent, mais aussi d’une planification particulièrement chaotique, avec des programmes aussi rapidement annoncés qu’annulés, sans parvenir à créer une trajectoire crédible et efficace sur le moyen terme.

De fait, celles-ci sont contraintes de mettre sous pression le personnel, pour compenser les déficits, entrainant des déploiements bien plus longs qu’ils ne devraient l’être, venant ajouter à la baisse de la fidélisation des militaires, dans un cercle vicieux que personne n’est parvenu à briser depuis plusieurs années.

L’Allemagne veut que la Bundeswehr soit prête au combat… Elle faisait quoi, avant ?

Au lendemain de l’offensive russe contre l’Ukraine, le chancelier Scholz annonçait une trajectoire très ambitieuse pour reconstruire le potentiel militaire de la Bundeswehr, après que celle-ci a souffert, dans les années précédentes, de très importants problèmes en termes de disponibilité opérationnelle.

Olaf Scholz
Après avoir annoncé une trajectoire très ambitieuse suite à l’invasion russe de l’Ukraine, Olaf Scholz a, peu à peu, fait marche arrière concernant les moyens effectivement alloués à la Bundeswehr, avant de repartir vers l’avant il y a quelques semaines, lorsque la menace russe était devenue trop évidente.

Les Armées allemandes devaient, ainsi, recevoir une enveloppe de 100 Md€ pour traiter les obsolescences et les déficits les plus urgents, tout en voyant son budget atteindre, d’ici à 2025, les 2 % de PIB, pour en faire, de beaucoup, le premier budget défense en Europe.

Rapidement, cependant, la réalité de la politique allemande, et les aspirations pacifistes de nombre d’entre eux, y compris du chancelier lui-même, vinrent laminer ces promesses, provoquant l’ire de nombreux parlementaires.

Dans ce yoyo de promesses et de reculades, la Bundeswehr, elle, peine toujours à atteindre une capacité opérationnelle minimale. Tout est dit, à ce sujet, dans une récente déclaration de Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense, à l’occasion du 75ᵉ anniversaire de la création de l’OTAN.

À cette occasion, le ministre a présenté un plan de restructuration de la Bundeswehr, intégrant notamment une quatrième branche dédiée à la Cyberdéfense, ainsi qu’un plan pour passer de 180 000 hommes aujourd’hui, à 200 000, d’ici à 2031…

Boris Pistoriux
Boris Pistorius, le ministre de la défense allemand, est aujourd’hui l’homme politique ayant la plus haute cote de popularité dans le pays.

Et de conclure, dans ce plan d’une ambition folle pour un pays qui a plus de deux fois le PIB de la Russie, qu’il entendait, désormais, que la Bundeswehr devienne plus souple qu’elle ne l’est aujourd’hui, et surtout, qu’elle soit prête au combat.

On comprend, dans ce contexte, au-delà des positions de chacun, pourquoi l’Allemagne, mais également l’Italie, sont aussi rétifs à l’hypothèse de devoir éventuellement s’engager en Ukraine, leurs armées en étant, tout simplement, incapables, aujourd’hui.

Des faiblesses en cascade pour les armées des membres fondateurs de l’OTAN

Si ces trois armées majeures souffrent de déficits capacitaires majeurs, sans réelles solutions avancées pour y remédier, les autres membres fondateurs de l’OTAN, ne sont pas vraiment en meilleure posture.

Belgique : Faire enfin décoller l’effort de défense au-delà de 1,1 % PIB

La Belgique, si elle a annoncé ces dernières années, plusieurs programmes visant à moderniser ses armées, avec l’acquisition de F-35, de blindés Scorpion, de frégates et de grands bâtiments de guerre des mines, reste très en deçà des objectifs OTAN en matière d’effort de défense, ne consacrant, en 2024, que 1,1 % de son PIB à ses Armées.

En comparaison de ce qu’elles étaient à la fin de la guerre Froide, celles-ci ont d’ailleurs perdu presque les trois quarts de sa flotte de chasse, ainsi que les huit régiments de chars qui formaient l’ossature de ses deux divisions mécanisées et du Corps d’armée belge, pour être ramené, aujourd’hui, à une unique brigade motorisée épaulée par deux régiments de commandos parachutistes, pour moins de 25 000 hommes et femmes sous les drapeaux.

Armées belges
En dépit de militaires de qualités, souvent aguerris, les gouvernements belges successifs ont raboté les armées belges par tranches successives pendant près de 25 ans, pour les amener à n’être que l’ombre de ce qu’elles étaient.

Bruxelles a annoncé, il y a peu, le programme STAR (Securité, Technologie, Ambition, Résilience), prévoyant d’amener le budget des armées à 6,9 Md€ et 2 % PIB en 2030, soit une hausse de 10 Md€ de l’enveloppe disponible sur cette période.

En outre, les effectifs seront élevés à 29 000 militaires d’active sur la même période, soit une hausse de 16 %. Cependant, même à ce niveau, il faudra de nombreuses années pour que les Armées belges retrouvent une capacité opérationnelle significative, qu’elles avaient à la fin de la guerre froide, toutes proportions gardées.

Le Canada : plus d’ambitions politiques que de moyens pour les armées

Le Canada n’est guère mieux loti, avec un effort de défense de seulement 1,2 % du PIB, et une trajectoire incertaine, mais au-delà de 2030, pour atteindre l’objectif de 2 % fixé par l’OTAN pour 2025.

Comme pour Bruxelles, Ottawa a davantage d’ambitions que ses armées n’ont de moyens, même si le pays a annoncé certains gros contrats ces dernières années, concernant des frégates Type 26 britanniques, des F-35 ou encore des P-8A Poseidon américains.

LG1 armées canadiennes
Si les autorités canadiennes communiquent volontier sur certains grands programmes de défense, très ambitieux, l’Artillerie canadienne reste, aujourd’hui, uniquement équipée de canons tractés LG1 et M777, considérés comme obsoletes par de nombreuses armées, y compris l’US Army.

En effet, ses effectifs demeurent très limités, seulement 68 000 hommes et femmes étant en activité au sein des armées canadiennes, alors que certains dossiers pressants, comme le remplacement des sous-marins de la classe Victoria, demeurent sans arbitrage de la part des autorités.

Pays-Bas : parties plus tôt, les forces armées néerlandaises font figure d’exception au sein des armées européennes

Dans ce paysage, les Pays-Bas font, en quelque sorte, figure d’exception. Certes, comme toutes les armées des membres fondateurs de l’OTAN, en dehors des États-Unis, La Haye a longtemps gravement sous-investi dans ses armées, au profit des bénéfices de la Paix.

Toutefois, le point d’inflexion pour les Armées néerlandaise, est intervenu à partir de 2017, peut-être en lien avec l’épisode du vol MH17, et non en 2022, après l’invasion de l’Ukraine.

Son budget défense est ainsi passé de 11 Md€ en 2018, à presque 20 Md€ en 2024 et 2 % du PIB, permettant au pays de multiplier les investissements depuis plusieurs années, et ce, dans de nombreux domaines allant des missiles aux avions de combat, en passant par les blindés, les systèmes d’artillerie et de défense aérienne, et les hélicoptères.

Armées neerlandaises
les armées néérlandaises avaient, elles aussi, lourdement souffert des bénéfices de la Paix. Elles ont toutefois bénéfcié d’un reveil plus precoce des autorités du pays, entamer de les reconstruire à partir de 2017.

Plus récemment, La Haye a sélectionné le français Naval Group, pour le remplacement de ses quatre sous-marins de la classe Walrus, un contrat estimé à plus de 5 Md€. Le pays prévoit, en outre, de reformer un bataillon de chars, l’hypothèse qu’il soit le dernier client de la précommande allemande de Leopard 2A8 étant très régulièrement évoquée.

Et les armées françaises, dans tout ça ?

Comme La Haye, la France a entrepris d’inverser la courbe des investissements dans l’outil de Défense en 2017, passant ainsi de 1,55 % du PIB et 35 Md€ à ce moment-là, à 2 % et 47 Md€ en 2024. Ces hausses de budget sont appelées à croitre dans le cadre de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, prévoyant de dépenser 413 Md€ sur la période, et atteindre un budget défense de 67 Md€ et 2,25% du PIB à cette date.

Ces hausses budgétaires permirent de financer le lancement de plusieurs programmes clés, comme les SCAF et MGCS européens, le porte-avions de nouvelle génération PANG, les nouveaux SNLE 3G, et de nombreux autres, tout en préservant les programmes en cours, comme les blindés Scorpion, les avions Rafale F4 et F5, les frégates FDI et sous-marins Suffren, ou les hélicoptères Tigre 3.

Si les effectifs d’active demeurent relativement stables depuis plusieurs années, autour de 207 000 militaires, et ne sont pas, pour l’instant, destinés à évoluer sur la LPM, un effort particulier est entrepris pour doubler la réserve opérationnelle, qui passerait, sur la LPM, de 40 000 à 80 000 hommes et femmes, en 2030.

Chars Leclerc Armée de Terre
Si les Armées françaises ont une homogénéité, un niveau d’aguerrissement et un format plus important que les autres armées des membres fondateurs de l’OTAN, en dehors des Etats-Unis, elles souffrent, elles aussi, de certaines defaillances et faiblesses, notamment dans le domaine des stocks de munitions et de pièces détachées, ou dans le format de certaines capacités, comme les chars de combat.

De fait, en bien des aspects, les Armées françaises présentent un profil bien plus opérationnel, aujourd’hui, que beaucoup d’armées européennes. Toutefois, comme les Armées britanniques, les armées françaises manquent d’épaisseur, qu’il s’agisse de stocks de munitions et de pièces détachées, comme de réserve de matériels, avec des flottes souvent dimensionnées au minimum.

De fait, on peut craindre que les Armées françaises présentent un profil immédiat comparable à celui de leurs homologues britanniques, même si leur trajectoire, a sein de la LPM, apparait plus stable et maitrisé, pour combler, en partie, certaines des principales lacunes.

Des dispositifs de brouillage de drones sur les T-90M, T-73B3 et T-80BVM russes en Ukraine ?

Le brouillage de drones est devenu, en Ukraine, un enjeu tant tactique que stratégique. En effet, parmi les nombreuses technologies ayant démontré leur efficacité au combat en Ukraine, ce sont incontestablement les drones, de reconnaissance ou d’attaque, parfois appelés munitions rôdeuses, qui ont engendré les plus importants bouleversements dans la conduite des opérations militaires.

Non seulement ces drones de reconnaissance légers ont-ils desopacifié le champ de bataille, rendant toutes les manœuvres de déception et de surprise presque inopérantes, mais, sous la forme de munition rôdeuse, ils ont lourdement frappé les blindés, systèmes d’artillerie et les infrastructures des deux camps.

Depuis quelques semaines, des clichés venus de Russie, semblent montrer que ce problème est pris au sérieux par les militaires et industriels du pays. Ceux-ci montrent, en effet, des systèmes de brouillage destinés à contrer les drones, montés sur les cages de protection de nouveaux chars T-80BVM, T-72B3 et T-90M.

La vulnérabilité des chars russes et occidentaux aux drones d’attaque en Ukraine

Traditionnellement, il était admis que le char était le pire ennemi du char. Toutefois, beaucoup anticipaient, jusqu’il y a peu, que l’efficacité des missiles antichars modernes sonnent le glas du char de combat.

Attaque drone char russe
La neutralisation des drones est devenue un enjeu majeur, tant pour les armées russes ukrainiennes, le long de la ligne d’engagement.

Si les missiles antichars ont montré leur efficacité au combat en Ukraine, ils n’ont cependant nullement remis en question le besoin pour le char, qui demeure un compromis unique entre protection, mobilité et puissance de feu, seul capable d’apporter certaines options dans une guerre figée par l’artillerie, et par une puissance aérienne en grande partie neutralisée.

Alors que la menace des missiles était admise par les états-majors russes comme ukrainiens, ni l’un, ni l’autre, et pas davantage les soutiens occidentaux à Kyiv, n’avaient anticipé le rôle crucial qu’allaient prendre les drones, dans ce conflit, tant pour ce qui concerne la désopacification du champ de bataille, que leur utilisation pour mener des frappes au-delà de la ligne de visée.

Dans ce domaine, les chars russes, comme leurs homologues occidentaux, ont montré une importante vulnérabilité aux attaques par ce type de drones, notamment par les Lancet russes, ou par les Switchblade américains employés par les Ukrainiens, détruisant un grand nombre de chars qui, le plus souvent, ignoraient même qu’ils étaient visés.

Les cages de protection rapidement installées sur les chars russes

Une première réponse à ce type de menace, ainsi qu’aux missiles antichars Javelin américains qui frappent, eux aussi, par le haut le blindé visé, fut apportée par les ingénieurs russes, quelques semaines seulement, après le début du conflit.

Cage de protection T-80
La cage de protection apparue à partir d’avril 2022, sur les chars russes, a inspiré depuis plusieurs armées combattantes, y compris les armées ukrainiennes et israéliennes.

Ceux-ci dotèrent, en effet, leurs chars d’une cage de protection supérieure, une adaptation des grilles de protection contre les roquettes antichars employées depuis de nombreuses années par beaucoup d’armées.

Ces grilles sont censées bloquer le missile ou le drone, de sorte que sa charge creuse n’explose pas, ou qu’elle explose à distance du blindage, perdant une grande partie de son efficacité et de son pouvoir de perforation.

Un temps raillé, comme le symbole du manque de moyens des armées russes, ce système s’est, au final, révélé une réponse pertinente, rapide et peu onéreuse, apportant un regain de protection sensible, bien que loin d’être optimisé, contre les menaces verticales.

Des systèmes analogues ont d’ailleurs été observés pour protéger les Merkava israéliens des drones du Hamas, montrant que l’approche russe était loin d’être aussi désespérée ou inadéquate qu’avancé initialement.

Des systèmes de brouillage de drones observés sur plusieurs chars modernes envoyés en Ukraine

Si les cages de protection peuvent renforcer la protection verticale des chars, elles n’assurent pas une protection renforcée contre les drones de reconnaissance, contre les munitions rôdeuses plus lourdes, disposant d’une inertie suffisante pour passer au travers, ou contre les drones légers larguant grenades ou munitions dans les écoutilles laissées ouvertes par l’équipage.

système brouillage de drones T-72B3
Un T-72B3 monté d’un supposé système de brouillage antidrone à 8 antennes

C’est certainement pour lutter contre ces menaces, que les armées russes ont entrepris de developper des brouilleurs de drones, montés directement sur les cages de protection des chars eux-mêmes.

En effet, des clichés sont apparus, ces derniers jours, sur les réseaux sociaux des milbloggers russes, montrant plusieurs modèles récents, le T-90M, le T-72B3 et le T-80BVM, équipés de ces dispositifs de brouillage anti-drones.

Un premier modèle, baptisé Saniya, et développé par la société 3MX, a été observé sur un T-80BVM en janvier 2024, et rapporté par le site spécialisé Janes. Selon lui, le Saniya permet de détecter et de brouiller les flux vidéos des drones dans un rayon de 1,5 km, permettant donc de se prémunir contre une attaque directe ou dirigée. Notons que le faible rayon d’action du système, est certainement dû à une volonté d’être le moins émitif possible, pour les ingénieurs russes.

Plus récemment, c’est un autre modèle de système de brouillage, plus compact, mais d’origine inconnue, qui a été observé monté d’abord sur un T-90M, puis sur un T-72B3. Ce système serait multidirectionnel, disposant de huit antennes couvrant l’ensemble du périmètre entourant le char.

T-80BVM Brouilleur
Un cliché de T-80BVM monté du système de brouillage Saniya.

En dépit de l’annonce faite, au lendemain de la publication de ces clichés par Uralvagonzavod, concernant un nouveau système de guerre électronique et de lutte antidrone armant, désormais, les nouveaux chars russes de manière standard, le manque de finition du système sur les clichés diffusés, avec notamment un fil (alimentation ? données ?) reliant la tourelle au système de brouillage, appelle à une certaine réserve, dans l’attente de davantage d’informations à ce sujet, même si ces clichés ont été pris en Ukraine.

On peut, en revanche, difficilement contester l’efficacité des procédures de retour d’expérience employées par les Armées russes, depuis le début de ce conflit et dont les cages de protection, et aujourd’hui les systèmes de brouillage antidrone pour chars de combat, constituent un exemple parmi de nombreux autres.

De l’avis même des ukrainiens, les armées russes évoluent rapidement, y compris face à l’arrivée de nouveaux équipements occidentaux, et mettent en œuvre des correctifs technologiques et doctrinaux, sur des délais relativement courts, de sorte à priver l’adversaire de l’avantage constaté.

La menace des drones d’attaque sur les navires de surface est-elle transitoire ?

Mi-février 2024, un rapport obtenu par la chaine américaine CBS, mit en évidence la menace des drones d’attaque sur les navires de surface, et en particulier sur les destroyers et croiseurs de l’US Navy.

Celui-ci affirmait, en effet, que les escorteurs américains déployés en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, avaient déjà tiré presque une centaine de missiles antiaériens Standard SM-2 et SM-6, pour intercepter les missiles, et surtout les drones lancés par les rebelles Houthis contre eux, ou contre les navires marchands escortés.

Ces drones Houthis, comme les drones de surface employés par les Ukrainiens en mer Rouge, ont fait apparaitre une nouvelle menace, contre laquelle les unités d’escorte navales alliées, ne sont pas équipées efficacement, provoquant une utilisation rapide et peu efficace de missiles antiaériens onéreux, sans pouvoir remplacer, à la mer, les missiles tirés. La situation est encore plus préoccupante pour la Marine russe, obligée de mettre fin à la majorité de ses opérations navales en mer Noire.

Dans ces conditions, de nombreuses voix se sont élevées pour mettre en évidence la menace drone sur les navires militaires, allant jusqu’à remettre en question la pertinence, pour les états, de se doter d’une couteuse marine militaire de surface, incapable de se prémunir contre ces drones peu onéreux et pouvant être employés simultanément en grand nombre, pour saturer les défenses, et en venir à bout.

Alors, les drones vont-ils signer l’arrêt de mort des grandes unités de surface navales ? C’est loin d’être certain, car les parades, pour répondre à ces menaces, existent déjà, et sont activement déployées à bord des navires militaires.

Utilisation massive de drones d’attaque en mer Rouge et épuisement des magasins des navires d’escorte

Depuis le début des attaques, en novembre 2023, les rebelles Houthis ont lancé de 300 à 350 drones, ainsi qu’une centaine de missiles antinavires, pour une cinquantaine d’attaques contre les navires marchands croisant en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, ainsi que contre la vingtaine de destroyers et frégates occidentales évoluant dans cette zone, pour les protéger. Plusieurs navires marchands ont été endommagés, et un cargo battant pavillon du Bélize, le Rubymar, a coulé suite à ces attaques, le 2 mars 2024.

Cargo Rubymar coulé mer rouge
Le cargo Rubymar a coulé après avoir été touché par des drones d’attaque Houthis au debut du mois de mars 2024

Pour protéger ce trafic commercial, depuis le début de cette campagne Houthis « en soutien à la cause Palestinienne », l’US Navy, mais aussi la Royal Navy, la Marine nationale, ainsi que plusieurs autres Marines occidentales, ont déployé des destroyers et des frégates. Jamais, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les marines occidentales n’avaient tiré autant de missiles, et abattu autant de vecteurs aériens, que lors de cette mission.

En dehors de quelques incidents spécifiques, concernant la frégate allemande Hessen, et la frégate danoise Iver Huitfeldt, les navires d’escorte occidentaux, comme leurs systèmes embarqués, se sont bien comportés face aux drones et missiles Houthis, y compris contre les missiles balistiques antinavires interceptés par des missiles Aster 30 français et SM-6 américains.

Toutefois, l’intensité des tirs Houthis a rapidement mis à mal les magasins de missiles et VLS des escorteurs déployés. Ne pouvant être réapprovisionnés à la mer, ces navires ont fait davantage usage d’autres moyens au fil du temps, comme les missiles sol-air à courte portée ESSM ou Ram, l’artillerie navale de 127 et 76 mm, et même leurs hélicoptères embarqués, pour intercepter les drones Houthis, des cibles relativement lentes et faciles à intercepter.

Pour autant, s’agissant d’intercepter les drones restés hors de portée pour attaquer les navires marchands, ainsi que les missiles de croisière plus rapides, les missiles à moyenne et longue portée Aster et SM-2, ont souvent été privilégiés, épuisant rapidement les réserves des navires, et limitant, donc, leur autonomie de combat.

Aster frégate Alsace
Bien que très efficaces, les missiles surface-air à moyenne et longue portée, n’ont pas été conçus pour intercepter des drones légers et économiques.

Dans le même temps, de nombreuses questions sont apparues, quant au dimensionnement de ces magasins, jugés trop réduits, y compris pour les destroyers de l’US Navy et leurs 90 à 96 silos verticaux, pour soutenir une telle activité, et surtout pour faire face à de possibles attaques massives et coordonnées, visant à saturer ces systèmes de défense, en épuisant leurs missiles.

L’Ukraine neutralise la flotte en mer Noire russe avec des drones d’attaque de surface

Si les drones Houthis posent un sérieux problème aux marines occidentales en mer Rouge, les drones de surface Ukrainiens, eux, sont effectivement parvenus à repousser la puissante flotte de la mer Noire russe, y compris au-delà de son port d’attache de Sevastopol.

Ainsi, 7 des 17 grandes unités navales russes coulées ou endommagées, depuis le dragueur de mine Ivan Golubets, le 29 octobre 2022, jusqu’au grand navire de débarquement de chars Tsezar Kunikov, le 24 mars 2024, l’ont été par les petits drones de surface envoyés par les Ukrainiens, parfois jusqu’au port de Novorossiysk, de l’autre côté de la mer Noire.

À l’inverse des drones aériens Houthis employés en mer Rouge, contre lesquelles les marines occidentales disposaient d’armes somme toute efficaces du point vu opérationnel, les drones de surface ou semi-submergés ukrainiens, comme le Sea Baby ou le Magura V5, ont pris au dépourvu les navires russes, souvent incapables de s’en protéger.

drones d'attaque Ukrainiens
Le Olenegorsky Gonyak, attaqué près du port de Novorossiysk par des drones navals ukrainiens.

Au fil du temps, des parades ont été déployées par la Marine Russe, alors que les Ukrainiens produisaient de nouvelles versions de leurs drones d’attaque navals, leur permettant de les contourner.

Notons, à ce titre, que les ukrainiens ont privilégié les drones de surface, et non aériens. En effet, comme les marines occidentales, la Marine russe dispose de moyens bien plus performants face à des cibles aériennes, que contre des cibles de surface de très petite taille et rapides.

Les frégates et destroyers mal équipés face à ces menaces émergentes

Qu’il s’agisse de lutter contre les vagues de drones aériens Houthis, ou contre les flottilles de drones de surface Ukrainiens, les navires d’escorte, occidentaux comme russes, étaient donc mal équipés contre ces types de menaces, lorsqu’elles sont apparues.

Destroyers, frégates et corvettes étaient, en effet, conçus pour lutter contre des unités navales militaires majeures, à minima de la taille d’un patrouilleur, ou contre des cibles aériennes rapides et relativement imposantes, comme les avions de combat, les hélicoptères navals, ou encore les missiles antinavires.

Si la menace drone, dans le domaine naval, est apparu il y a une dizaine d’années, il ne s’est longtemps agi que de drones de reconnaissance légers, traités par des armes elles-aussi légères, ou de drones de type MALE, contre lesquels les missiles antiaériens étaient justifiés.

SM-3 Burke
Les magasins des destroyers et frégates ont été dimensionnés pour faire face à des menaces de missiles ou d’aéronefs, beaucoup plus onéreux que les drones Houthis, qui necessitent pourtant le même missile pour être interceptés.

En revanche, rien n’était expressément conçu pour contrer des drones d’attaque beaucoup plus économiques que les missiles de croisière antinavires, ni contre des drones d’attaque de surface, ayant à peine la taille d’un hors-bord ou d’un RHIB, d’autant que l’un comme l’autre sont mis en œuvre en groupe, pour mener des attaques coordonnées visant à diviser les défenses des navires visés, ou de leur escorte.

C’est souvent à ce niveau de l’analyse, que certains ont vu une trajectoire de supériorité majeure des drones et systèmes autonomes, contre les couteuses unités de surface, prédisant, alors, la fin des Marines de haute mer, de leurs destroyers et frégates, mais aussi de leurs grandes unités amphibies et des porte-avions.

Les réponses technologiques à la menace navale des drones arrivent

Si les escorteurs sont, aujourd’hui, le plus souvent dépourvus des technologies adaptées pour répondre efficacement à ces deux types de menace, celles-ci existent déjà. Certaines marines ont d’ailleurs pris le parti d’en équiper partiellement, mais rapidement, certains de leurs navires, ou tout simplement de faire évoluer leur doctrine d’emploi, pour permettre l’utilisation des systèmes existants à cet effet.

Utilisation accrue de l’artillerie navale et les nouveaux dispositifs électro-optiques de surveillance et conduite de tir

La première des alternatives aux couteux missiles, repose sur l’utilisation, plus intensive, de l’artillerie navale, déjà disponible à bord des destroyers et frégates. Ainsi, si les premières interceptions par missiles de drones Houthis par l’US Navy, remontent à la mi-novembre 2023, il faudra atteindre plus d’un mois, pour qu’un de ses destroyers, l’USS Carney, utilise son canon de 127 mm pour abattre ce type de cible.

Frégate Lorraine Paseo XR
Installation du Paseo XR sur la frégate Lorraine repéré par Navalnews.com.

L’exemple du destroyer américain a rapidement été suivi par d’autres unités navales, américaines comme européennes, les frégates britanniques, françaises, allemandes ou italiennes, ayant rapporté avoir abattu des drones Houthis à l’aide de leur artillerie navale, à une ou plusieurs reprises.

Il faut dire que celle-ci compense une bonne partie des défauts des missiles employés jusque-là : non seulement les obus sont-ils considérablement moins onéreux que les missiles, dans un rapport pouvant atteindre 1 pour 200, mais le navire dispose d’une grande quantité de ce type de munitions à son bord, et peut, sans aucun mal, recharger la pièce à la mer.

Dans ce domaine, la Marine nationale a même pris les devants, en installant, à bord de ses frégates, le système de surveillance et de conduite de tir balistique électro-optique Paseo XR, dérivé du Paseo qui équipe les EBRC Jaguar de l’Armée de Terre, pour améliorer la détection, l’engagement et la destruction, des cibles aériennes ou navales, y compris lorsque le navire évolue en émissions restreintes, pour préserver sa discrétion.

Les missiles antiaériens et polyvalents légers à très courte portée

La seconde alternative pour renforcer les capacités d’auto-protection de ces navires d’escorte, repose sur l’utilisation de missiles antiaériens légers, à courte ou très courte portée, pour renforcer les capacités CIWS (Close-In Weapon System ou Système d’arme à courte portée) du navire.

Contrairement aux missiles antiaériens navals à longue portée, comme l’Aster 30 ou le SM-2, ou à moyenne portée comme l’ESSM, le CAAM ou le MICA VL, ces missiles légers, Stinger, Mistral, ou RAM, sont sensiblement plus économiques à l’achat, coutant de 10 à 50% du prix des missiles plus imposants.

SADRAL Charles de Gaulle
Les missiles sol-air à très courte portée, comme le Mistral 3, représentent une alternative economique et opérationelle pertinente face aux drones aériens. Leur autodirecteur infrarouge devrait également permettre d’engager des drones de surface, au besoin.

Ils sont aussi beaucoup plus légers. Il est ainsi possible, pour un navire à la mer, de recharger ses lanceurs après le tir, pour régénérer son potentiel défensif immédiat, pour peu qu’il dispose effectivement de munitions de réserve.

Enfin, l’autodirecteur infrarouge, dont ces missiles sont le plus souvent dotés, permet d’engager des cibles aériennes, y compris des drones, ainsi que des cibles navales, le cas échéant, y compris des drones d’attaque de surface.

Les CIWS de nouvelle génération qui arrivent

De nouveaux systèmes de protection rapprochée sont en cours de développement, voire de déploiement, et vont, rapidement, apporter des moyens supplémentaires tant pour se protéger des drones navals que des drones d’attaque aériens.

Le Rapid Fire de Thales, peut contenir une attaque simultanée de plus de 8 drones

C’est le cas, par exemple, du système CIWS Rapid Fire développé par Thales et Nexter, sur la base du canon CT40 qui arme l’EBRC jaguar français, ou l’Ajax britannique. Par son calibre de 40 mm, ce canon peut engager des cibles aériennes ou navales jusqu’à 4 km, venant créer un rideau défensif très efficace contre ce type de menace.

Thales Rapid Fire
Le RapidFire de Thales offre un excellent compromis de portée et de cadence de tir, pour optimiser le potentiel de contre-saturation d’une unité navale.

En effet, un drone volant à 200 km/h, va mettre 1min 16s pour parcourir les 4 km nécessaires jusqu’à sa cible. Le Rapid Fire, lui, peut se mettre en position de tir et tirer une salve de trois obus en cinq secondes seulement. En d’autres termes, un Rapid Fire, à lui seul, à un potentiel de contre saturation contre les drones aériens (200 Km/h), de 15 drones se présentant simultanément, à cette distance, puis d’un nouveau drone toutes les cinq secondes.

Même en considérant un taux d’impact, particulièrement bas, de 50 %, une unique pièce peut contenir une menace simultanée de 7 à 8 drones aériens d’attaque. Ce chiffre descend à 2 contre des missiles de croisière antinavires évoluant à 900 km/h, qui parcourent 15 km/ min. Au-delà, le Rapid Fire peut contenir un drone ou un missile, franchissant cette limite d’engagement à 4 km, toutes les 10 secondes (à 50%).

On comprend, ici, tout l’intérêt du calibre de 40 km, offrant un compromis très efficace entre la portée opérationnelle et la cadence de tir, pour obtenir un potentiel de contre-saturation le plus élevé possible.

Le LMP de Naval Group, un pouvoir d’arrêt de 8 missiles antinavires en saturation

Le Lanceur Modulaire Polyvalent, de Naval Group, est un autre dispositif offrant des capacités accrues de lutte contre les drones, qu’ils soient aériens ou de surface. Celui-ci permet, en effet, d’armer dynamiquement chacun de ses 4 modules, de 4 missiles Mistral 3, ou de 2 missiles Akeron MP, voire de 10 roquettes de 70 mm.

Ainsi, dans sa version anti-aérienne, le LMP offre un pouvoir d’arrêt pouvant atteindre 8 missiles antinavires, à raison de 2 Mistral par missile, ou de 14 drones, avec un taux d’impact supérieur à 85 %. Contre des drones navals, il peut employer jusqu’à 8 missiles Akeron MP, avec un taux d’impact très élevé, ou jusqu’au 40 roquettes de 70 mm, là encore, avec un pouvoir d’arrêt considérable contre ce type de menace.

LMP Naval group
Si le LMP n’a pas de potentiel de contre-saturation glissant, comme le Rapid Fire, il offre toutefois un excellent pouvoir d’arret contre les drones aériens et navals, ainsi que contre les missiles antinavires.

Comme évoqué précédemment, outre sa polyvalence, le LMP a l’avantage crucial de pouvoir être réarmé à la mer, permettant au navire de reconstituer son potentiel défensif rapidement, voire de l’adapter à l’évolution de la menace.

Qu’il s’agisse du Rapid Fire ou du LMP, ces systèmes permettent de réduire considérablement l’utilisation de missiles antiaériens à moyenne et longue portée, pour traiter des drones aériens, tout en offrant des capacités renforcées contre les drones de surface, surtout s’ils sont couplés à des systèmes de surveillance et de conduite de tir, comme le Paseo XR.

La portée réduite de ces systèmes, entre 4 et 8 km, est sans doute satisfaisante pour la protection du navire porteur. En revanche, pour ce qui concerne celle des navires escortés, il faudra à l’escorteur, soit assurer une grande proximité, ce qui réduit de fait le nombre de navires potentiellement escortés, soit faire tout de même usage de ses missiles, lorsque l’interception par ces moyens est impossible. Dans tous les cas, ces systèmes doivent être considérés en complément des systèmes existants, et non en substitution de ceux-ci.

Vers une transformation radicale du potentiel de contre-saturation instantanée des escorteurs navals

Les menaces posées par les drones aériens et de surface, telles qu’employés par les Houthis et les Ukrainiens, ne représentent, cependant, qu’un premier échelon dans l’évolution à venir de ces nouvelles armes.

En effet, pour l’heure, si l’un comme l’autre ont utilisé plusieurs drones simultanément, pour mener leurs attaques, celles-ci n’ont jamais fait l’objet de véritables schémas d’attaque coordonnée massifs visant à saturer les défenses instantanées adverses, par l’usage d’essaims ou, plus simplement, d’un grand nombre de drones simultanément.

Essaim de drones
L’arrivée des essaims de drones d’attaque navals, devrait intervenir dans les années à venir. Il convient de se doter des moyens pour s’en prémunir efficacement.

Or, c’est précisément ce vers quoi tendent les recherches entreprises dans de nombreux pays, y compris en Europe, avec un calendrier d’entrée en service désormais particulièrement proche.

Dans ce domaine, le calcul du potentiel de contre-saturation de l’artillerie navale, évoqué plus haut, compensé, ou pas, par le pouvoir d’arrêt de systèmes CIWS employant des missiles, va certainement devenir un paramètre clé dans l’évaluation de la survivabilité d’une unité navale, et donc dans son efficacité potentielle au combat.

En outre, l’ajout d’un unique RapidFire et d’un LMP, à bord d’une frégate, peut radicalement transformer sa survivabilité, mais aussi son autonomie au combat, en préservant l’utilisation de ses missiles principaux, aux cas les plus nécessaires.

Concernant les unités navales majeures, comme les grands navires amphibies et les porte-avions, ces systèmes permettront de sensiblement densifier les capacités de défense, tant contre les menaces classiques, tels les missiles antinavires, que contre les menaces hybrides ou émergentes.

Cette transformation est d’autant plus indispensable, qu’elle est, toute proportion gardée, peu onéreuse, y compris au regard des prix des missiles employés jusqu’ici, et d’autant plus urgente, que le niveau de menace actuel que représentent ces drones, n’est qu’un avant-gout de celui qui va émerger dans les années à venir.