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La tourelle Skyranger 30 Rheinmetall et son missile antidrone, s’apprêtent à s’imposer en Europe

En début d’année 2024, le ministère de la Défense allemand a annoncé la commande de 19 systèmes SHORAD Skyranger 30 montés sur Boxer 8×8, auprès d’un consortium formé par Rheinmetall, Hensoldt et Diehl Defence.

Toutefois, pour faire face aux nouvelles menaces, en particulier les drones d’attaque et munitions rôdeuses, l’utilisation de missiles MANPADS, conçus pour intercepter des avions et hélicoptères plus lourds et performants, s’avère peu efficace, en particulier dans le domaine économique, alors que le seul canon à un périmètre de protection trop restreint pour couvrir, par exemple, une unité au combat.

C’est dans ce contexte de MBDA Deutschland a annoncé le développement d’un nouveau missile sol-air léger et économique, destiné à armer la tourelle Skyranger 30, pour combler efficacement ce besoin. Ainsi équipée, elle sera encore plus incontournable, que ce soit en Europe comme sur la scène internationale, alors que la lutte antidrone représente une priorité pour la plupart des armées aujourd’hui.

L’impérieux besoin pour un SHORAD Mobile économique de moyen calibre, mis en évidence en Ukraine

Si la guerre en Ukraine n’est pas, à proprement parler, la première durant laquelle les drones ont été intensivement employés, elle est toutefois la première dans laquelle ces mêmes drones, ont pris une importance centrale dans presque tous ses aspects.

meance drones ukraine
La guerre en Ukraine est la première durant laquelle les drones jouent un rôle decisif à tous les echellons de l’engagement, faisant de la lutte antidrone une capacité stratégique pour les deux armées.

Dès lors, la lutte contre ces drones, de toute taille, et de toute fonction, est désormais au cœur des préoccupations des états-majors ukrainiens comme russes, et par voie de conséquence, des industriels qui doivent leur apporter des solutions.

En Russie, le phénomène avait été quelque peu anticipé, après les déboires rencontrés en Syrie et en Libye. Si elles sont encore loin d’être optimales, les premières évolutions des systèmes TOR et Pantsir, permirent d’y répondre partiellement, notamment par le développement de missiles plus légers et plus économiques, destinés à intercepter ces menaces.

L’Ukraine, de son côté, s’est tournée vers des moyens plus rustiques, privilégiant l’utilisation de l’artillerie anti-aérienne, et des missiles MANPADS. C’est ainsi que les systèmes de 30 mm gepard, transférés par l’Allemagne aux armées ukrainiennes, figurent aujourd’hui parmi les systèmes les plus appréciés des ukrainiens en matière de lutte anti-drone, nonobstant les difficultés d’approvisionnement en munitions, alors même qu’ils étaient considérés comme obsolètes par la Bundeswehr il y a peu encore.

Gepard ukraine
Considéré comme obsolete par la Bundeswehr jusqu’il y a peu, le Gepard s’est montré très efficace face aux drones russes.

La Bundeswehr a depuis revu sa position. Elle a ainsi commandé, en début d’année, 19 systèmes Skyranger 30 à l’allemand Rheinmetall, pour remplacer les Gepard fournis à l’Ukraine.

Pour répondre à la menace posée par ces drones, et plus particulièrement les drones légers et les munitions rôdeuses, le missilier MBDA Deutschland, a annoncé le développement d’un nouveau missile antiaérien léger, et surtout économique, dont 9 exemplaires pourront prendre place dans le pod de lancement de la tourelle Skyranger 30.

Un missile léger et économique pour contrer les drones, dérivé du missile antichar Enforcer de MBDA Deutschland

celle-ci associe un canon de 30 mm Oerlikon KCA 30×173 mm, à un pod emportant, jusqu’ici, quatre missiles MANPADS Stinger ou Mistral 3. La détection est assurée par un radar à six antennes face plane AESA, couplée à un système de surveillance et de conduite de tir électro-optique infrarouge et TV. Ainsi équipé, le Skyranger 30 peut poser une bulle de défense antiaérienne et antimissile de 8 km (missiles) et 3 km (canon), à basse et très basse altitude.

La communication de MBDA, au sujet de ce nouveau missile, est pour l’heure des plus restreintes, puisque ne sont évoquées ni les performances de la munition, notamment sa portée, ni son calendrier, et pas davantage des objectifs de prix unitaires, pourtant déterminants.

mbda enforcer
Leger et économique, le missile Enforcer de MBDA Deutschland offre une capacité de tir antiblindé guidée là ou la roquette antichar est encore majoritaire.

Au mieux, sait-on que ce nouveau missile sera dérivé du missile antichar léger Enforcer, dont il partagera, semble-t-il, le propulseur et d’autres composants. D’une portée de 2000 m, l’Enforcer a été dévoilé par MBDA en 2020, comme une alternative économique et efficace au Javelin américain.

Le missile et son lanceur ne pèsent que 11 kg, permettant à un fantassin seul de le transporter et le mettre en œuvre. Il peut, d’ailleurs, être lancé à partir d’un espace clos, une capacité que l’on sait critique dans les combats urbains.

À l’occasion du Ground Based Air Defence Summit de CPM GmbH à Berlin, Guido Brendler, directeur chez MBDA Deutschland, a indiqué que le nouveau missile antiaérien pourra être mis en œuvre à raison de neuf missiles par le pod de lancement de la tourelle Skyranger, contre 4 MANPADS aujourd’hui.

On peut, à ce titre, imaginer que le pod pourrait permettre de mixer les missiles antiaériens légers et l’Enforcer, dont ils sont dérivés, pour donner au Skyranger 30 une capacité accrue en matière de combat terrestre, comme c’est le cas, par exemple, des IM-SHORAD de l’US Army, armés simultanément de quatre missiles Stinger et de deux missiles Hellfire.

Rheinmetall Skyranger 30 Boxer
Les Skyranger 30 de la Bundeswehr, montées sur boxer 8×8, emporteront initaiement 4 missiles Stinger, avant que ceux-ci soient remplacés par 9 missiles plus légers et plus économiques, conçus spécifiquement pour la lutte antidrone.

Toutefois, les 19 Skyranger destinés à remplacer les Gepard au sein de la Bundeswehr, seront initialement équipés de missiles Stinger, le temps que le missile antiaérien léger entre en service.

La tourelle Skyranger 30, le SHORAD canon-missiles mobile le plus performant du moment, made in Rheinmetall

Alors que l’artillerie antiaérienne de moyen calibre était pratiquement tombée en désuétude ces dernières années, l’allemand Rheinmetall a su interpréter certains signaux remontant de théâtres secondaires, comme en Syrie et en Libye, montrant l’intérêt, pour les armées, de disposer d’une capacité SHORAD canon-missiles, en particulier pour lutter contre la menace que représentent désormais les drones légers.

Ce besoin avait particulièrement été mis en évidence lors des attaques par drones menées par l’Armée Syrienne Libre contre la base aérienne russe de Hmeimim en 2019, entrainant des dégâts importants sur la flotte de chasse déployée sur cette base.

Il a également été particulièrement sensible lors de la guerre du Haut-Karabakh à l’automne 2020, lorsque les drones et munitions rôdeuses de facture israélienne et turque, mis en œuvre par les armées azéries, décimèrent les défenses antiaériennes, puis les bunkers arméniens, sans que la bulle de défense de conception soviétique ait pu s’y opposer.

Pantsir
Le Pantsir russe associe deux canons de 30 mm et 12 missiles antiaériens à courte et très courte portée.

Sur la base de ces enseignements, anticipant l’extension du besoin, Rheinmetall a présenté, en mars 2021, le Skyranger 30, à l’occasion du salon IDEX 21 aux Émirats arabes unis. Il a, depuis, été commandé par la Bundeswehr, 19 exemplaires sur Boxer 8×8, mais aussi par l’Autriche, 46 systèmes sur blindé 6×6 Pandur EVO, la Hongrie, 30 tourelles montées sur le VCI KF41 Lynx, et par le Danemark, avec 15 tourelles sur Mowag Piranha V.

Plus récemment, en février 2024, la Lituanie a annoncé la commande de 19 Skyranger 30 sur Boxer 8×8, pour 600 m€, avec une option pour 30 systèmes supplémentaires. Américains et français à la traine dans le domaine de l’artillerie antiaérienne mobile. La Suisse a également signifié un intérêt marqué pour ce système.

Une offre concurrentielle à la traine en matière de défense aérienne canon-missiles mobile de moyen calibre

Ce succès s’explique par les qualités incontestables du système de Rheinmetall, ainsi que par sa grande adaptabilité, permettant d’être installée sur un grand nombre de véhicules blindés. Toutefois, Rheinmetall bénéficie, dans ce domaine, d’un paysage concurrentiel presque vierge, les acteurs de ce marché, dont les États-Unis et la France, étant à la traine.

L’IM-SHORAD américain ne convainc pas sur la scène internationale

L’US Army a pourtant été l’une des premières en occident à produire une réponse à l’évolution de la menace drones et munitions rôdeuses. Dès le début d’année 2019, celle-ci lança un appel d’offre pour la conception et la livraison de 144 systèmes SHORAD canon-missiles mobile montés sur un blindé Stryker, et baptisés IM-SHORAD, pour Initial Manoeuvre Short Range Air Defense, pour 1,2 Md$.

IM-SHORAD US Army
L’US Army a commandé 144 IM-SHORAD, un vehicule 8×8 Stryker monté d’une tourelle Leonardo armée d’un canon de 30 mm, de 4 Stinger et de deux Hellfire.

La solution retenue associe une tourelle conçue par l’Italien Leonardo, emportant un canon de 30 mm, un pod avec quatre missiles Stinger, et un tourelleau avec deux missiles Hellfire, le tout, mis en œuvre grâce à un radar Sentinell et un système électro-optique. Pour autant, l’IM-SHORAD n’a jamais convaincu sur la scène internationale, s’effaçant systématiquement face au Skyranger 30 américain.

L’US Army mise, désormais, pleinement sur les armes à énergie dirigée, avec l’EM-SHORAD Gardian, pour assurer la défense anti-drones et C-RAM. Toutefois, les performances opérationnelles, mais aussi le prix de ce système, demeurent flous, n’en faisant pas une option crédible, tout au moins à court ou moyen termes, pour les armées occidentales.

L’étrange trajectoire de l’industrie et des Armées françaises en matière de SHORAD et de lutte anti-drone.

Disposant de l’ensemble des compétences pour produire un SHORAD canon-missiles mobile efficace et attractif, l’industrie de défense française apparait comme un concurrent potentiel pour le système allemand. Pourtant, à ce jour, aucune initiative en ce sens n’a été lancée, ni par la DGA pour l’Armée de Terre, ni par les industriels eux-mêmes.

En 2021, face au Skyranger 30, Nexter et Thales avaient bien présenté une maquette d’une version terrestre du très prometteur CIWS RapidFire. La solution proposée, associant une tourelle lourde proche de celle embarquée sur les navires français, sur un blindé 6×6 Titus, était cependant bien peu convaincante.

VBMR SATCP
L’Armée de terre va aligner 3 véhicules différents pour effectuer les missions d’un unique Skyranger 30.

Non seulement celle-ci n’était composée que d’une solution canon, sans missiles MANPADS complémentaires, mais le Radar GM60 alimentant le canon en information, devait être transporté sur un second camion, rendant l’ensemble bien peu mobile.

Si des travaux de recherche sont en cours en France, en matière d’armes à énergie dirigée, et de railgun, les armées françaises sont aujourd’hui contraintes de s’appuyer sur une capacité limitée dans ce domaine, associant le nouveau VAB ARLAD, armé d’une mitrailleuse 12,7 mm et d’un lance-grenade à munition airbust, pour lutter contre les drones très légers, et les futurs Serval LAD et SATCP, le premier armé d’une tourelle ARX-30 de 30 mm, le second d’un affut double Mistral, nécessitant donc 3 véhicules pour effectuer le même travaille qu’une unique Skyranger 30.

Dans ce domaine, les armées et l’industrie de defense française, touchent probablement du doigt les limites de l’approche à capacités incrémentales, plus économique et plus rapide à produire, mais bien moins efficace qu’une approche globale, comme celle suivie par Rheinmetall dans ce domaine. Rien d’étonnant, dans ce contexte, que le Skyranger s’impose en Europe, et probablement, bientôt au-delà.

Incapables de soutenir l’Ukraine, les Européens peuvent-ils résister militairement à la Russie ?

Que de contrastes, aujourd’hui, avec les discours qui étaient tenus il y a tout juste un an, tant par les politiques que sur les plateaux de télévision, concernant le conflit russo-ukrainien.

Là où une euphorie artificielle, ignorant volontairement les transformations réalisées en Russie pour corriger les faiblesses constatées des premiers mois de guerre, promettait une déroute des armées russes face à la contre-offensive ukrainienne, équipées des nouveaux blindés occidentaux, un sentiment de défaite touche désormais jusqu’à la présidence à Kyiv.

Toutefois, au-delà de l’avenir même de l’Ukraine, que l’on sait portant déterminant pour la sécurité en Europe, les limites que touchent aujourd’hui les européens, incapables qu’ils sont de soutenir les armées Ukrainiennes, face à la menace russe, un pays douze fois moins riche, et quatre fois moins peuplé que l’Europe occidentale, pose une autre question, elle aussi laissée sous le tapis : les européens sont-ils, aujourd’hui, capables de soutenir une confrontation militaire avec la Russie ?

Plus d’obus, plus de missiles sol-air : un vent de panique touche l’Ukraine

Les échos qui viennent, aujourd’hui, d’Ukraine, montrent une situation de faiblesse avancée des armées de Kyiv, pour faire face aux armées russes. Selon les remontées faites par les journalistes occidentaux présents aux côtés des forces ukrainiennes, l’absence de missiles antiaériens et d’obus, créé des défaillances majeures dans le durcissement de la ligne de front, faisant craindre des scénarios catastrophiques, comme une rupture de cette ligne, et l’écrasement de certaines villes ukrainiennes, comme Kharkiv, sous les bombes et missiles russes.

Ukraine M777
l’artillerie ukrainienne est dorénavant lourdement handicapée par le manque d’obus.

Même la présidence ukrainienne montre d’évidents signes de fébrilité, et une inquiétude difficile à feindre, même pour un ancien acteur. Et pour cause ! L’arrêt de l’aide américaine depuis la fin du mois de décembre 2023, bloquée par la Chambre des Représentants à majorité Républicaine, a privé les armées ukrainiennes, du cordon ombilical qui les maintenait à flot.

Dans le même temps, même si son volume fait l’objet de débats d’experts, l’industrie de défense russe a réalisé une profonde transformation, lui permettant non seulement de compenser les pertes matérielles en Ukraine, mais aussi d’alimenter massivement les unités combattantes en munitions et systèmes, et même d’équiper de nouvelles unités, alors que le recrutement et la conscription ont été étendus dans le Pays, pour amener le format des Armées à 1,5 million d’hommes.

De fait, aujourd’hui, le pessimisme est de rigueur en Ukraine, et le président Zelensky a même dû promulguer une nouvelle loi de mobilisation très impopulaire, pour tenter de maintenir les effectifs des armées, qui rencontrent désormais d’immenses problèmes pour recruter des volontaires.

L’aide américaine à l’Ukraine dans les mains des calculs électoralistes de Donald Trump

Si l’aide américaine est à l’arrêt, manipulée par les calculs électoralistes de Donald Trump, qui entend priver Joe Biden de toute action positive d’ici aux élections, les européens, eux, n’ont pas été en mesure de prendre le relais.

Donald Trump
Les menaces de Donald Trump sur le soutein americain à l’Ukraine et la protection de l’OTAN, ont considerablement affaibli le potentiel dissuasif européen face à la Russie.

Ainsi, la livraison des systèmes aujourd’hui majeurs à la défense ukrainienne, à savoir les obus d’artillerie, d’une part, et les missiles antiaériens, de l’autre, a subi un coup d’arrêt depuis la fin d’année dernière, et le blocage par la Chambre des Représentants US.

Si les européens ont, ces derniers moins, beaucoup annoncés, en matière d’aide à l’Ukraine, tout indique qu’ils ont, tout de même, largement parié sur la libération, à court et moyen termes, de l’aide américaine, leur permettant d’effectuer une montée en puissance progressive de leur propre soutien. Cette libération tardant à venir, les Ukrainiens se retrouvent, aujourd’hui, en position dramatique, ses deux robinets étant coupé pour l’un, ouvert au minimum, de l’autre.

Plus de stocks, plus d’industries, plus d’épaisseurs : les armées européennes peuvent-elles vraiment dissuader la Russie ?

La question se pose, dès lors, de savoir si les armées européennes disposent, comme c’est souvent répété par les autorités politiques comme par de nombreux analystes, un potentiel dissuasif suffisant pour éviter qu’une confrontation avec la Russie déborde vers certains membres de l’OTAN, comme les pays Baltes, la Finlande ou la Pologne ?

En effet, si les armées européennes disposent bel et bien d’une capacité militaire mobilisable pour s’opposer à une agression russe contre un pays allié, tout indique, aujourd’hui, que l’ensemble de l’industrie de défense européenne, est incapable de soutenir ces armées sur une guerre venant à durer.

Nexter munitions
La production mensuelle d’obus en France corrspond à la consommation en une demi journée de l’artillerie ukrainienne, qui reste 5 fois inféreieure à celle de la Russie.

Ainsi, si, comme ils l’ont fait en Ukraine, les armées russes venaient à appliquer une stratégie d’érosion, quitte à sacrifier plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’hommes, pour vider les stocks de munitions des armées, et le volume matériel des armées, on peut raisonnablement douter que l’industrie européenne puisse soutenir la comparaison avec l’industrie de défense russe, d’autant que cette dernière aura effectué sa mutation depuis plusieurs années.

Dès lors, ce doute tend à sensiblement amoindrir le caractère dissuasif immédiat que représentent aujourd’hui les armées européennes face à la Russie, qui repose, plus que jamais, et quoi qu’en disent les européens, sur la protection américaine.

De fait, si celle-ci venait à s’éroder, les autorités russes pourraient très facilement s’estimer en position de force, pour intervenir en Europe, y compris contre des membres de l’OTAN. On peut supposer que c’est déjà le cas, avec la montée en puissance de Donald Trump dans les sondages, et les messages qu’il ne cesse d’envoyer, notamment par ses porte-voix, à la Chambre des Représentants,

Et si les États-Unis venaient à se trouver engagés dans le Pacifique face à la Chine, cette perception se transformerait, sans le moindre doute, en certitude, les États-Unis étant dans l’incapacité de soutenir deux engagements majeurs simultanément, en particulier face à la Chine et la Russie.

Faute d’un changement radical, le déclassement géopolitique européen est inévitable à court terme

La situation qui touche, aujourd’hui, l’Ukraine, apparait donc comme un ultime avertissement, pour les Européens, concernant la réalité du monde qui se dessine pour les années et décennies à venir.

Leclerc VBCI VAB
Les Européens vont devoir accepter de ceder des equipements majeurs à l’Ukraine, faute de devoir les utiliser bientot directement contre la Russie.

Si la Russie venait à s’imposer militairement en Ukraine, faute d’un soutien américain libéré, et d’un soutien européen suffisant, il ne fait aucun doute que le caractère dissuasif que représente l’OTAN, dans son ensemble, serait massivement et longuement affaibli, avec une Europe militairement incapable, et une détermination américaine très contestable, probablement suffisamment pour convaincre Moscou de pouvoir étendre son action en Europe orientale.

Ne pouvant agir directement sur le volet américain, et ne pouvant faire émerger, dans des délais suffisamment courts pour empêcher l’effondrement ukrainien, une industrie de défense susceptible de rétablir l’équilibre, la seule alternative restante, aux européens, consisterait à accepter de se défaire des armements et munitions, qui constituent, aujourd’hui, les réserves stratégiques et le fond d’équipement de leurs armées.

Ce volume d’armes et de munitions, donnerait aux armées Ukrainiennes, les moyens de résister encore plusieurs mois, peut-être un an, et de retrouver certaines couleurs, face à la présente situation.

Concomitamment, il serait indispensable de réaliser la même évolution que celle effectuée par les industries russes depuis l’été 2022, pour simultanément, réapprovisionner en armes et munitions les armées européennes, pour soutenir les armées ukrainiennes, et pour mettre fin à tout espoir d’une victoire sur la base d’une guerre d’usure, pour Moscou, en Ukraine, comme en Europe.

Uralvagonzavod
L’industrie russe a réalisé sa mutation à partir de l’été 2022.

Pour y parvenir, il sera nécessaire d’accepter qu’Européens et Russes sont dorénavant en situation pré-conflictuelle, par ailleurs parfaitement assimilée depuis de nombreux mois par les autorités et la propagande russe, et qu’il est, alors, indispensable de véritablement basculer vers une économie en guerre, puisque soutenant à bras tendu, l’effort de défense ukrainien, dans une guerre qui conditionne l’avenir de la sécurité en Europe.

Dans le cas contraire, il est probable que ces mêmes équipements préservés aujourd’hui, par les armées européennes, serviront prochainement contre les armées russes, mais avec des militaires français, allemands ou néerlandais, à leur bord, qu’il s’agisse dans le cas d’une ultime intervention européenne pour tenter de préserver l’Ukraine, ou pour répondre à une offensive russe contre Tallinn, Riga ou Helsinki.

La Pologne rejoint l’ESSI, la France isolée en matière de défense aérienne en Europe

Depuis son lancement, en aout 2022, par le chancelier allemand Olaf Scholz, l’European SkyShield Initiative, ou ESSI, s’est imposée comme un pacte fédérateur et puissant, pour faire émerger une défense aérienne européenne performante et homogène.

Plus d’une quinzaine de pays avaient déjà annoncé leur adhésion à l’ESSI en aout 2022. Ils sont désormais 22, alors que la Grèce, la Turquie et la Suisse, ont récemment entrepris de la rejoindre. Plusieurs pays européens, cependant, n’ont pas adhéré à celle-ci. C’est en particulier le cas de la France et de l’Italie.

En effet, l’ESSI, telle que conçue par Berlin, n’intègre que 3 systèmes anti-aériens complémentaires : l’Arrow 3 antibalistique, le Patriot PAC à longue portée, et l’IRIS-T SLM à moyenne portée. En étaient donc exclus, les autres systèmes européens, NASAMS, CAMM, Mica VL et surtout, Aster, concurrents du Patriot comme de l’IRIS-T SLM/SLX allemand.

La Pologne annonce son intention de rejoindre l’European SkyShield Initiative

Parmi les pays européens ayant résisté, jusqu’ici, à la déferlante ESSI, la Pologne jouait un rôle central et déterminant. Bien que le pays n’ait pas, en propre, de solution industrielle et technologique dans le domaine des systèmes anti-aériens à moyenne et longue portée, celui-ci disposera, dans les années à venir, d’une très puissante défense aérienne.

ESSI suede danemark
la Suède et le Danemark ont rejoint l’ESSI en février 2023

Celle-ci se composera, en effet, de 6 batteries Patriot PAC-3, épaulées par 44 batteries à courte portée armées du missile britannique CAMM, et de 22 batteries SHORAD PSR-A Pilica armées d’un affut double de 23 mm et de missiles Manpads GROM.

La Pologne bénéficie, également, d’un des deux systèmes AEGIS Ashore, armé de missiles antibalistiques SM-3 et SM-6 américains, mises en œuvre dans le cadre de l’OTAN. À l’instar de l’Arrow 3 israélien acquis par Berlin, le SM-3 est un missile antibalistique exoatmosphérique conçu pour intercepter les menaces MRBM et IRBM.

Si certaines interceptions ont été réussies contre les équivalents MIRV par SM-3, lors des essais, le système n’est cependant pas conçu, ni taillé, pour assurer une protection contre une frappe stratégique russe ou chinoise. Rappelons, à ce titre, que la Russie ne met plus en œuvre de missiles MRBM ni de missiles IRBM, uniquement des SRBM semi-balistiques et des ICBM et SLBM, pour l’essentiel Mirvés, contre lesquels ces systèmes sont inopérants.

Par sa position géographique, mais aussi par son ambition en termes de capacités militaires, Varsovie joue, dorénavant, incontestablement le rôle de pivot de la défense européenne face à la menace russe et biélorusse. Autant dire que l’arbitrage de Varsovie, dans ce domaine, était des plus attendus.

AEGIS Ashore Pologne
La Pologne accueil l’un des deux sites AEGIS Ashore de l’OTAN formant le bouclier antimissile européen contre les menaces types MRBM et IRBM.

La défaite du PiS et du Président Duda, à l’automne dernier, face à la liste commune pro-européenne de Donald Tusk, a permis de normaliser les relations de la Pologne avec la France, ainsi qu’avec l’Allemagne. C’est dans ce contexte que ce dernier a annoncé, cette semaine, que Varsovie allait rejoindre l’European SkyShield Initiative, comme une marque de l’amélioration des relations germano-polonaises.

Les forces armées polonaises ayant déjà des batteries Patriot PAC-3, elles pourront rapidement intégrer le standard de communication et d’échange d’informations sur lequel l’ESSI repose.

La France plus isolée que jamais en Europe dans le domaine de la défense aérienne

Il s’agit, bien évidemment, d’un coup dur pour Paris. En effet, la résistance de Varsovie, dans ce domaine, permettait aux autorités françaises, qui ont été très critiques sur la manière dont l’ESSI a été conçue, excluant de fait le seul système antiaérien européen à longue portée, et servant, surtout, de marchepied commercial à l’IRIS-T SLM de Diehl Defence.

L’adhésion de la Pologne va, en effet, permettre à l’ESSI de construire un bloc de défense aérienne homogène en Europe du Nord, Europe de l’Est et Europe centrale, garant de son efficacité opérationnelle.

ESSI Europe
La carte de l’European Sky Shield il y a quelques mois. Depuis, la Suisse, la grèce, la Turquie et la Pologne ont anoncé rejoindre l’initative, créant un bloc homogène nord-ouest sud-est en Europe.

Paris perd ainsi un axe de négociation puissant, face à Berlin, pour l’amener à ouvrir l’initiative à l’ensemble des systèmes européens, comme le NASAMS, le CAMM, le MICA VL et surtout, le SAMP/T Mamba, d’autant que ce dernier montre une grande efficacité en Ukraine, et que le missile Aster a montré qu’il était l’équivalent du Patriot et du SM-6, dans la fonction antibalistique basse couche.

Pire encore, par son adhésion, Varsovie va probablement forcer la main à Berlin pour intégrer le CAMM à cette panoplie de systèmes intégrés à l’ESSI, ce qui ne manquera pas de satisfaire Londres, mais aussi Rome, Leonardo ayant codéveloppé le missile avec MBDA UK, avec, au final, le potentiel de totalement marginaliser la France et MBDA France, dans le domaine antiaérien, en Europe.

Une menace pour l’avenir de la filière missiles antiaériens de MBDA France

De fait, l’adhésion de Varsovie à l’ESSI, constitue, directement et indirectement, une menace majeure pour l’avenir même de la filière missiles antiaériens de MBDA France, sur laquelle Paris a considérablement investi ces dernières décennies.

En effet, l’ESSI va engendrer une dimension normative dont les systèmes, industriels et militaires français, seront exclus, ceci venant handicaper très sévèrement les chances pour Paris de placer ses systèmes en Europe, mais aussi au-delà, la puissance normative et le parc installé étant des arguments clés dans les décisions d’acquisition des systèmes de défense.

aster 30 Mamba SAMP/T
Le seul système antiaérien et anti-balistique européen opérationnel, le Mamba SAMP/T, est aujourd’hui exclu de l’ESSI.

En outre, la position centrale de l’Allemagne, géographique comme politique, et surtout technologique, dans ce programme, va positionner son industrie de défense, et plus spécifiquement Diehl Defence et Hensoldt, au cœur des développements européens dans ce domaine, marginalisant encore davantage la France dans ce domaine, sauf à faire acte de soumission face à Berlin.

Quelles alternatives pour Paris face à la déferlante ESSI ?

La situation est donc très complexe pour la France, et pour l’ensemble de la filière défense aérienne articulée autour de MBDA France et Thales. Paris a, toutefois, plusieurs alternatives pour limiter les dégâts, voire pour faire de cette débâcle en perspective, un atout décisif.

Rejoindre l’initiative pour convaincre Berlin d’y intégrer d’autres systèmes antiaériens de l’intérieur

La première alternative, la plus évidente, serait de convaincre Berlin de faire évoluer les paradigmes de l’ESSI, afin de permettre à Paris (et Rome) de la rejoindre. Ceci suppose, bien évidemment, que l’initiative s’ouvre au-delà des trois systèmes qui forment aujourd’hui son ossature.

Cette option, qui serait de toute évidente, très favorable et souhaitable, à l’échelle européenne, est cependant, à ce jour, peu probable. Olaf Scholz a, en effet, fait de ces paradigmes, les piliers de l’initiative, en particulier pour soutenir ses propres industriels, et faire de l’Allemagne le pivot de l’Europe de la Défense, par la voie des airs.

Olaf Scholz Prague
Olaf Scholz lors du discour de Prague en aout 2022, donnant le coup d’envoie à l’ESSI.

D’une part, si une telle option était simple et facile à mettre en œuvre, elle l’aurait déjà été, alors que 20 mois se sont écoulés depuis le discours de Prague ayant marqué le lancement de l’ESSI.

D’autre part, pour Olaf Sholz, l’articulation même de cette offre, conçue pour exclure la France, reflète son propre positionnement en matière de coopération européenne, mettant l’Allemagne en position de leader politique et technologique, très loin de la position d’équilibre initialement posée par Angela Merkel et Emmanuel Macron en 2017.

Enfin, l’industrie de défense allemande, très introduite politiquement, ne laissera pas l’Aster et le MICA VL NG venir voler la vedette au système IRIS-T SLM et la famille IRIS-T en cours de développement, conçue précisément pour s’imposer dans les armées européennes, comme le Leopard 2 l’a fait auparavant.

Enfin, l’ESSI a été conçue pour garantir le soutien de Washington, tout au moins, pour sa mise en place. L’IRIS-T SLM n’étant pas une alternative au Patriot PAC-3, et l’industrie US n’ayant pas d’alternatives au SLM allemand à moyenne portée, les deux offres sont parfaitement complémentaires. À l’inverse, entre le MICA VL NG et le Mamba, la France dispose d’une offre performante concurrente des deux systèmes.

IRIS-T SLM faisant feu
L’IRIS-T SLM est incontestablement le système qui bénéfciera le plus de l’ESSI, représentant le plus petit commun dénominateur technologique et opéraitonnel de l’initative.

Il n’y a, donc, aucune raison objective de laisser la France bouleverser cette croissance hégémonique pour ses acteurs fondateurs, d’autant que géographiquement parlant, l’ajout de celle-ci dans le glacis européen de defense aérienne, ne changera que très peu son efficacité face à la menace russe, et même face à d’éventuelles menaces iraniennes.

Il faudra donc qu’Olaf Scholz quitte la chancellerie, et que son remplaçant partage une vision plus proche de celle de Merkel, pour imposer une décision politique aux industriels allemands et américains, afin d’espérer un changement de position dans ce domaine, permettant à Paris de rejoindre l’ESSI, sans renoncements majeurs.

Construite une offre française concurrentielle incontournable pour les européens

La seconde option, pour Paris, serait de construire une offre alternative à l’ESSI, destinée aux Européens, s’appuyant sur des atouts concurrentiels exclusifs à la France. Ne pouvant se différencier de manière suffisamment significative, du point de vue technologique ou opérationnel, face au Patriot PAC-3 et à l’IRIS-T, la seule carte pouvant être jouée, ici, par Paris, repose sur la dissuasion française.

Le principe serait de mettre en avant que l’extension de la bulle de protection de la dissuasion française, à certains voisins européens, nécessiterait une coordination stricte des moyens de défense aérienne, pour permettre aux Rafale B armés de missiles ASMPA, à leur escorte et appareils de soutien, d’opérer à partir de l’espace aérien du pays concerné.

RAfale B ASMPA
L’interet croissant de plusieurs pays d’Europe de l’Est, pour l’offre faite par Emmanuel Macron en 2020, concernant l’extension de la dissuasion française, constitue un axe exploitable pour contrer l’hégémonie technologique de l’Allemagne au sein de l’ESSI.

La dissuasion française n’étant pas intégrée à la dissuasion OTAN, et agissant de manière strictement autonome, il est donc indispensable, dans ce cas, que le système de défense aérienne du pays protégé soit interconnecté et pleinement compatible, avec l’initiative de défense stratégique européenne française.

Notons que si l’extension de la dissuasion française avait provoqué un Taulé en Europe, lorsque qu’évoqué par Emmanuel Macron, les positions de nombreux pays ont grandement évolué sur le sujet depuis le début de la guerre en Ukraine, et encore davantage depuis les menaces répétées de Donald Trump, sur l’OTAN et la protection stratégique américaine à l’Europe.

Ainsi, alors qu’elle avait été en pointe en matière de critique de l’ouverture faite par le président français en 2020, la Pologne semble avoir, aujourd’hui, des positions bien plus encourageantes à son égard. Notons également que l’adhésion à l’ESSI n’est que symbolique pour de nombreux pays, qui n’ont pas lancé l’acquisition de systèmes compatibles pour autant.

Tout miser sur le naval et/ou sur l’export non-européen

La dernière option, pour Paris, serait d’abandonner l’idée de pouvoir s’imposer en Europe face à l’ESSI, et de concentrer l’ensemble des efforts et des axes de communication, sur d’autres marchés, plus prometteurs.

Aster 15 Charles de Gaulle
Le missile Aster et le système PAAMS equipe aujourd’hui plus d’une quanrantaine d’unités navales majeures dans le monde, et plus de soixante dans les années à venir.

Le premier de ces marchés est le domaine naval, pour lequel les Aster, le système PAAMS et le MICA VL, ont déjà remporté de nombreux succès, y compris à l’exportation. Pour jouer pleinement cette carte, suffisamment pour préserver les compétences et la pérennité concurrentielle de l’ensemble de la filière défense aérienne française, Paris devra consentir à certains investissements, d’autant que le principal concurrent, ici, est américain.

La refonte du système PAAMS, et plus spécifiquement, du système de lancement vertical SYLVER, s’avèrerait certainement nécessaire dans cette hypothèse, pour garantir un positionnement concurrentiel efficace face au Mk41, SM-2/3/6 et ESSM américains.

Plus performant que le VLS américain dans de nombreux domaines, notamment concernant la cadence de lancement, le SYLVER souffre cependant de l’impossibilité, à ce jour, d’embarquer plusieurs missiles courts dans un silo long. On parle de multipacking.

Ainsi, le missile ESSM, concurrent de l’Aster 15 et du MICA VL NG, peut être embarqué par 4 dans un unique silo MK41, permettant à une frégate avec seulement un système Mk41 module tactique, équivalent au SYLVER 50, de mettre en œuvre 32 missiles ESSM, pour seulement huit silos.

SYLVER 70 MDCN
Bien que performant, le système SYLVER français ne permet pas d’mporter simultanément plusieurs missiles courts dans un seul silo. Une nouvelle version de ce système, intégrant cete possibilité, représenterait une avancée opérationelle et commerciale considerable face au Mk41 américain.

Cette évolution nécessite de redessiner en profondeur le SYLVER, mais gommerait la plus grande faiblesse de ce système sur la scène internationale face au MK41 américain, tout en mettant en valeur deux arguments souvent très appréciés. En effet, le Sylver, comme les missiles Aster 15/30 et MICA VL, et le système SAMP/T Mamba, sont ITAR Free, et German Free.

L’un ou l’autre sont fréquemment demandés, aujourd’hui, en particulier au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. La conjonction des deux s’avère, incontestablement, un atout de taille sur ces théâtres.

Conclusion : une fenêtre désormais réduite pour réagir

On le voit, la décision annoncée par Varsovie, de rejoindre l’European SkyShield Initiative, est, sans conteste, un coup dur pour Paris, dans ses démarches visant à faire évoluer les paradigmes technologiques entourant cette initiative.

Pire encore, sauf à se soumettre et à renoncer à faire intégrer Mamba et MICA VL à l’offre technologique compatible ESSI, il y a désormais peu de chance pour que Paris puisse altérer la détermination de Berlin et de son chancelier, dans ce domaine. La France n’ayant pas vocation à acheter l’IRIS-T SLM ni le Patriot, l’adhésion française, dans cette hypothèse, n’aurait d’ailleurs aucune justification.

MBDA France
La perenité de la dévision missile sol-air de MBDA France, repose aujourd’hui sur une decision rapide de Paris, quant à la façon de répondre à l’adhésion polonaise à l’ESSI.

Reste que Paris dispose encore de quelques options, pour tenter de contenir la menace que représente l’ESSI sur le marché et la pérennité de l’industrie française dans le domaine de la défense aérienne.

L’une, européenne, consisterait à fusionner une offre alternative à l’ESSI allemande, avec l’extension de dissuasion évoquée par le président Macron en 2020, au sujet de laquelle les positions évoluent rapidement, maintenant que la protection US est affaiblie par la menace d’une victoire de Donald Trump aux prochaines élections présidentielles.

L’autre s’appuie sur l’abandon pur et simple de ce marché européen terrestre par la France, pour s’impliquer pleinement dans le domaine naval, ainsi que sur les marchés exports non-européens, en mettant en avant la dimension ITAR-FREE et GERMAN-FREE de ces systèmes.

Dans tous les cas, Paris va devoir, à présent, choisir très rapidement, une marche à suivre, et s’investir pleinement pour lui donner corps, et ainsi garantir la pérennité de ce savoir-faire de la BITD française. La pire des postures, ici, serait de rester dans le même attentisme que celui qui permit à l’ESSI d’attirer 23 pays européens dans son périmètre, fermant, de fait, autant de marchés potentiels à MBDA France.

Constellation, F-35… : les programmes de défense US sont-ils gangrénés par la surspécification ?

Game changer, Wunderwaffen… Depuis le début du conflit en Ukraine, ces termes furent souvent employés, tant pour désigner l’arrivée de nouveaux armements livrés par les alliés occidentaux, que pour faire référence aux nouveaux programmes de défense US ou alliés.

Il est vrai qu’imaginer un nouveau char, avion, drone ou missile, à ce point supérieur aux autres équipements existants, pour représenter, à lui seul, un avantage opérationnel marqué, à de quoi séduire. Surtout pour les scénaristes hollywoodiens qui en firent le pitch de nombreux grands succès, comme Firefox ou A la poursuite de l’Octobre Rouge.

Ce sentiment trouve ses racines dans les bénéfices bien réels donnés aux armées américaines par les grands programmes du début des années 70, qui donnèrent naissance, entre autres, aux chars Abrams, à l’hélicoptère Apache, aux missiles Patriot, SM-2 et Tomahawk, aux F-15, F-16 et F-18, ainsi qu’aux super-porte-avions Nimitz, aux SSN Los Angeles et aux destroyers Arleigh Burke.

Il a, depuis, évolué vers un biais de surspécification entourant la conception des nouveaux programmes d’équipements de défense américains, qui, aujourd’hui, handicapent lourdement la modernisation des armées américaines, face à une Chine et une Russie bien plus pragmatiques dans ce domaine.

Frégates Constellation : plus que 15 % de la FREMM italienne, 3 ans de retard et 50% plus chères

À ce sujet, l’US Navy avait déjà, pour ainsi dire, touché du doigt les conséquences de ces biais technologistes excessifs, dans la conception de ses navires, depuis de nombreuses années. Ainsi, elle a dépensé 21 Md$ dans le programme de destroyers lourds Zumwalt, censé donner un avantage décisif en matière de suprématie navale de surface, notamment grâce à ses nouveaux canons de 155 mm à longue portée.

deux programmes de défense US ratés : ZUmwalt et LCS
Les programmes LCS et Zumwalt ont tous deux été marqués par un excé d’ambitions et de spécifications technologiques, ayant entrainé l’explosion des couts et des impasses capacitaires.

Au final, seuls 3 navires ont été construits, sans les dit canons, pour un potentiel opérationnel plus réduit que les Arleigh Burke plus traditionnels et 2,5 fois moins chers. Même si les Zumwalt vont aujourd’hui remplacer leurs canons inutiles, par des missiles hypersoniques, ce programme a sévèrement handicapé la modernisation de la flotte de surface américaine, aujourd’hui sous tension.

Il en fut exactement de même concernant le programme des Littoral Combat Ships, ou LCS. Ces navires, à mi-chemin entre l’OPV, la corvette et la frégate, devaient être dotés de modules de combat permettant d’adapter les capacités du navire, à la mission, qu’il s’agisse de guerre des mines, de lutte de surface, de lutte anti-sous-marine, ou de soutien et souveraineté.

Là encore, ce fut un douloureux et couteux échec technologique, et sur les 32 navires construits, à plus de 600 m$ l’unité, devant remplacer les frégates O. H. Perry retirées du service en 2014, et les chasseurs de mines Avenger en cours de retrait, une dizaine sont déjà, ou vont prochainement être retirés du service, faute d’avoir un potentiel opérationnel adapté aux besoins.

Face à ces deux échecs, l’US Navy entreprit, en 2017, de construire une flotte de frégates plus légères, et surtout plus économiques et rapides à construire, que les destroyers Burke. Pour accélérer le processus, et réduire ses couts, le choix s’est porté sur le modèle FREMM de l’italien Fincantieri, une frégate polyvalente de 6 000 tonnes censée répondre aux besoins de l’US Navy, avec un minimum de modifications, pour permettre une entrée en service dès 2026.

FREMM classe Bergamini
Les frégates Constellation et Begamini n’auront, au final, que 15 % de composants communs, ceci faisant douter de l’interet d’avoir choisi un modèle sur étagère pour l’US Navy.

À l’occasion de l’audit ordonné par le SECNAV (Secrétaire à la Navy), Carlos des Toro, et mené par l’US Navy, concernant les difficultés rencontrées par l’industrie navale américaine, il est apparu que la frégate USS Constellation, première unité de la classe, dont la construction vient tout juste de débuter aux chantiers Fincantieri Marinette, n’entrera en service qu’en 2029, soit avec des délais presque doublés par rapport au calendrier initial.

Dans le même temps, le prix de la frégate est passé de 700 m$, à plus de 1 Md$. L’origine de ces glissements, plus que conséquents, a également été divulguée : la classe Constellation n’aura, au final, que 15 % d’ADN commun, avec les FREMM Bergamini italiennes, dont elles sont supposées être dérivées.

En effet, au fil du temps, un empilement de spécifications validées dynamiquement par l’US Navy, a considérablement fait évoluer le navire : radar plus puissant et plus lourd, motorisation et production électrique renforcée, armement, équipements et même la structure des cloisons étanches, tout, ou presque, a été redessiné, faisant perdre l’essentiel de l’intérêt de se tourner vers un modèle existant.

Programme F-35 : Too big to… work ?

Si l’US Navy a été chroniquement touchée, ces deux dernières décennies, par ce phénomène de surspécifications dynamiques, elle est loin d’être la seule. Même si elle tente de s’en éloigner, l’US Air Force, elle aussi, souffre de ce biais, avec notamment un futur programme NGAD promettant de couter « plusieurs centaines de millions de $ » par appareil, de l’aveu même de Franck Kendall Jr, le Secrétaire à l’Air Force.

NGAD USAF
Les futurs NGAD de l’US Air Force, couteront chacun plusieurs centaines de millions de dollars.

Mais le programme qui, aujourd’hui, pose le plus de problèmes à l’USAF, dans ce domaine, n’est autre que le F-35 Lightning II. Bien qu’il s’agisse de l’avion de combat le plus vendu ces vingts dernières années, le programme de Lockheed Martin vient, une nouvelle fois, de se faire vivement critiqué par un rapport du GOA, l’équivalent américain de la cour des Comptes.

Depuis 15 ans maintenant, le GAO met en garde contre les ambitions excessives de ce programme, ses calendriers industriels et technologiques ainsi que ses prévisions budgétaires, jugés irréalistes ou insincères, ainsi que les problèmes de disponibilité et de fiabilité relatifs à l’appareil et à l’écosystème technologique et industriel qui l’entoure.

Selon le chien de garde des finances publiques américaines, le programme va ainsi couter 2 000 Md$ sur l’ensemble de sa durée de vie, aux contribuables américains, une hausse de 17,6 % depuis la dernière évaluation de 2020 qui tablait sur 1 700 Md$.

En outre, les prix de l’heure de vol, 33 000 $ exprimés en $ 2012, soit 45 000 $ (41 500 €) en 2024, demeurent très supérieurs aux objectifs initiaux de 20 000 $, alors que la disponibilité moyenne de 60 %, reste inférieure de 25% aux 80 % visés.

Si le prix de mise en œuvre de l’appareil a été ramené à 6,6 m$ par an, celui-ci n’est atteint que grâce à une réduction drastique du nombre d’heures de vol effectuées, 135 pour les F-35 de l’USAF, par rapport à ses autres appareils (200 hdv/an pour ses F-16), ou aux standards appliqués par les autres forces aériennes occidentales (200 à 250 heures/an pour les Rafale français).

F-35A
12 après après les premières livraisons, le F-35 est toujours contraint par une disponbilité opérationelle de 60 % et un nombre d’heures de vol annuel limité de 135 heures.

De l’avis de tous, ce programme est aujourd’hui devenu bien trop important, pour les armées américaines comme pour les forces aériennes alliées, pour pouvoir échouer. Il semble bien qu’il soit, dans le même temps, également devenu trop imposant, technologiquement parlant, pour pouvoir fonctionner.

Ainsi, depuis un an maintenant, le Pentagone a suspendu la livraison des F-35, dans l’attente qu’ils soient effectivement livrés au standard Block 3 TR3, une évolution logicielle indispensable à l’évolution à venir vers le Block 4, premier standard pleinement opérationnel du chasseur, dont les premières livraisons sont intervenues il y a 12 ans maintenant.

Si, initialement, Lockheed Martin pariait sur la reprise des livraisons en septembre 2023, celle-ci a glissé, depuis, de trois mois tous les trois mois, au point que le Pentagone vient d’annoncer qu’il sera indispensable, à présent, de revoir à la baisse la liste même des évolutions exigées pour TR3, comme pour Block 4, pour pouvoir reprendre les livraisons.

Il semble que l’empilement des exigences et ambitions entourant ce programme, ait donné naissance à un système informatique dépassant les capacités d’ingénierie logicielle actuelle, engendrant une instabilité logicielle globale qui rend ses évolutions particulièrement difficiles à implémenter.

OMFV : l’impossible remplacement des VCI M2 Bradley de l’US Army qui dure depuis 20 ans

Si la nature technologique de l’US Navy et l’US Air Force, est à l’origine des dérives technologistes et à la surspécification des programmes de défense les concernant ces dernières décennies, peut-être que l’US Army, une armée plus rustique, pour ne pas dire, terre à terre, a-t-elle été préservée ? C’est tout le contraire !

Fara Sykorsky Raider-X
Le Sikorky Raider était l’un des deux appareils retenu par la compétition FARA de l’US Army, avant qu’elle ne soit annulée.

En effet, l’US Army a multiplié, ces dernières décennies, les programmes marqués par des ambitions technologiques excessives, parfois irréalistes, engendrant de nombreux abandons, non sans avoir préalablement englouti des dizaines de milliards de dollars.

Ce fut le cas, par exemple, du programme d’hélicoptère d’attaque léger RAH-66 Comanche, qui aura consommé presque 7 Md$ de 1991 à 2004, pour la construction de seulement deux prototypes, avant d’être abandonné pour ses couts excessifs, liés à un cahier des charges technologiquement démesuré.

N’ayant visiblement pas appris de ses erreurs, l’US Army a lancé, en 2018, le programme FARA, destiné, comme le Comanche, à remplacer les OH-58 Kiowa de reconnaissance, et une partie des AH-64 Apache. Là encore, avec des ambitions technologiques et en termes de performances, étaient très élevées.

6 ans et 7 Md$ plus tard, celle-ci a annoncé, en janvier 2024, l’abandon pur et simple du programme, estimant que la mission de reconnaissance armée devait, à présent, être déléguée aux drones, les hélicoptères étant jugés trop vulnérables, sur la base des RETEX ukrainiens. En conséquence, aujourd’hui, l’US Army n’a toujours pas de remplaçant pour le Kiowa, drone ou hélicoptère, et doit employer ses Apache, bien plus onéreux et lourds, pour cette mission.

OMFV Rheinmetall Lynx
Le KF41 Lynx de Rheinmetall etait l’un des deux finalistes du programme OMFV 1. Il est également proposé dans le cadre de OMFV 2.

Si le dossier des hélicoptères de reconnaissance n’a pas été brillant, celui du remplacement des véhicules de combat d’infanterie M2 Bradley a, lui, été proprement calamiteux. L’US Army tente, sans y parvenir, depuis quinze ans maintenant, de remplacer ses VCI conçus au début des années 70.

En 2009, fut ainsi lancé le programme Ground Combat Vehicle, ou GCV, pour remplacer les presque 1900 Bradley équipant 16 brigades d’active, et huit brigades de réserve, de l’US Army. À force d’empiler spécifications et exigences, le GCV devint, en 2013, un monstre blindé de 70 tonnes et de plus de 17 m$ l’unité, amenant le CBO, l’organisme de vérification des commandes publiques du Congrès, à publier un rapport au vitriol à son sujet.

L’US Army abandonna donc, en 2014, le programme, après y avoir englouti presque 20 Md$, sans qu’aucun prototype n’ait été livré. Elle enchaina directement avec le programme Optionnaly Manned Fighting Vehicle, ou OMFV, visant, lui aussi, à remplacer les Bradley.

Loin d’avoir, là encore, appris de ses erreurs, elle construisit un cahier des charges et des exigences capacitaires et technologiques à ce point excessifs, qu’aucun industriel n’a été en mesure d’y répondre, et le programme fut finalement, une nouvelle fois, abandonné 5 ans et 4 Md$ plus tard, en 2020.

M2 Bradley US Army
Le M2 bradley a évolué au fil des années. Il a aussi pris beaucoup de poids, se payant en mobilité.

Il a été, une nouvelle fois, relancé immédiatement après, sous le même nom, mais avec un cahier des charges allégé, laissant aux industriels beaucoup plus de latitudes pour proposer leurs arbitrages et solutions technologiques.

Alors qu’à l’entame du programme GMV, le remplacement des M2 Bradley devait s’effectuer sur la décennie 2020, pour 26 Md$, le nouveau programme OMFV prévoit un remplacement sur les décennies 2030 et 2040, pour un total estimé à 50 Md$, auxquels il conviendrait d’ajouter les 24 Md$ dépenses pour GMV et OMFV 1. Les unités de l’US Army, elles, continueront d’évoluer sur Bradley jusqu’à ce moment-là.

Surspécification et technologisme, ces puissants biais conceptuels qui handicapent les programmes de défense US

Il apparait, des exemples évoqués, que les armées américaines souffrent, aujourd’hui, de sévères handicaps entourant leurs efforts de modernisation, ceci touchant des capacités critiques comme la flotte de surface de l’US Navy, la flotte de chasse de l’US Air Force, et le parc blindé de première ligne et les hélicoptères de l’US Army.

À chaque fois, les causes évoquées reposent sur un excès d’exigences en termes de potentiels opérationnels et de technologies embarquées, entrainant des impasses capacitaires ou budgétaires, même souvent, les deux simultanément.

F-15 et F-1§ USAF Irak 1991
Symbole de la suprématie technologique américaine à la fin de la guerre froide, des F-15 et F-16 de l’US Air Force survolent les puits de pétrole irakiens enflammés en 1991.

De fait, aujourd’hui, les Armées américaines emploient, en grande majorité, des équipements de défense conçus initialement dans les années 70, ayant certes évolués depuis, mais ne disposant plus de l’avance technologique et opérationnelle que ces équipements leur avaient, dans les années 80 et 90.

Si, dans les années 90 et 2000, le faible niveau de la contestation technologique et militaire internationale, permettait certains errements dans ce domaine, sans prêter à conséquences autres que budgétaires, les progrès réalisés par les industries de défense de nombreux pays, en particulier la Chine et la Russie, mais aussi, dans certains domaines, par d’autres acteurs comme la Corée du Nord et l’Iran, auraient certainement dû amener les stratèges du Pentagone, à revenir à une approche bien plus pragmatique de l’effort de modernisation, ce dès la fin des années 2000.

Il n’en a rien été, même si certains programmes, comme le char léger M10 Booker, ont montré que les Armées américaines étaient effectivement capables de revenir à des paradigmes réalistes, comme ceux qui firent la preuve de leur efficacité dans les années 70, dans la plupart des domaines technologiques et industriels militaires.

Pire encore, même après avoir pris une trajectoire initiale laissant penser que les leçons du passé avaient été assimilées, comme dans le cas du programme de frégates Constellation, l’ensemble de ces biais a refait surface, pour venir gangrener ce programme pourtant initialement imaginé pour être simple, rapide et surtout peu onéreux.

Une révolution copernicienne nécessaire pour les armées et industries de défense américaines

Dans le même temps, les compétiteurs, et chaque jour davantage, adversaires potentiels, des États-Unis, en particulier la Chine, se sont engagés dans des processus qui calquent efficacement ces mêmes paradigmes qui firent le succès des équipements militaires américains à la fin de la Guerre Froide.

Destroyer Type 055 Marine chinoise
Les destroyers lourds Type 055 de la Marine chinoise, n’ont rien à envier aux Arleigh Burke américains.

Si les armements chinois ont encore, c’est certain, des progrès à faire, pour s’aligner pleinement sur les performances des équipements américains ou occidentaux, ceux-ci réduisent rapidement cet écart, au point que l’avantage technologique américain sur les armées chinoises, est peu probable d’engendrer, aujourd’hui, un multiplicateur de force, comme recherché par la doctrine technologiste au cœur des dérives évoquées ici.

Car, au final, et comme le montre parfaitement la guerre en Ukraine, il est préférable de disposer d’équipements moins évolués et performants, mais effectivement disponibles en nombre suffisant, avec les moyens nécessaires pour les maintenir en situation de combat, et compenser les pertes, que d’avoir des équipements censés être plus performants, mais disponibles en trop fiable nombre, à la mise en œuvre difficile, et sans réserve.

Pour relever le défi posé par les armées et l’industrie de défense chinoises dans le Pacifique, ainsi que par les armées et l’industrie de défense russes en Europe et dans le Caucase, il sera donc nécessaire, aux armées américaines, de faire table rase de tous les paradigmes technologistes ayant entravé les efforts de modernisation des armées, ces 30 dernières années.

Char leger M10 Booker US Army
Le M10 Booker montre que l’US Army peut, parfois, appliquer des paradigmes efficaces en matière de programme de défense.

Il leur faudra alors revenir à des postures pragmatiques, réalistes et soutenables, quitte à devoir, au passage, tordre le bras des modèles hautement lucratifs mis en place par des industriels américains s’étant parfaitement adaptés à ces dérives et travers conceptuels.

Car, au final, pour mener une guerre, et espérer la gagner, il ne faut pas des équipements fantasmés, pas ou peu disponibles, mais bien des équipements faisant la meilleure synthèse entre performances, technologies, couts et maintenabilité, pour conférer aux armées les avantages opérationnels recherchés. Ce seront les armées qui réaliseront le mieux cette synthèse, qui prendront, de façon certaine, l’ascendant dans les conflits et compétitions à venir.

Reste à voir si le Pentagone, et avec lui l’ensemble de l’écosystème industriel, technologique et politique défense américain, sont effectivement prêts à une telle révolution copernicienne ? Il convient de se rappeler que dans la théorie Darwinienne, ce n’est ni le plus fort, ni même le plus évolué, qui survit. C’est celui qui s’adapte le mieux aux évolutions de son environnement.

Pour la Marine néerlandaise, c’est à drone, toutes !

La Marine néerlandaise, ou Koninklijke Marine, est engagée, à l’instar de l’ensemble des armées du pays, dans un important et rapide effort visant à réparer les conséquences des années « bénéfices de la Paix » et du manque de crédits qu’elles ont engendré, et à répondre à l’évolution de la menace sécuritaire en Europe.

Elle a, ainsi, lancé le remplacement de presque toutes ses unités navales majeures dans les quinze années à venir, allant de ses sous-marins Walrus à ses chasseurs de mines Tripartites, en passant par ses frégates De zeven Provincien et Karel Doorman, ses LPD Rotterdam et Jan de Witt, et ses OPV de la classe Holland.

Dans le même temps, plusieurs programmes de drones, en particulier de drones de surface, ont été lancés, pour étendre les performances et capacités opérationnelles de ses navires, de l’USV moyen transportant des missiles à l’USV léger de chasse au sous-marin, offrant de réelles opportunités de coopération au niveau européen, spécialement pour la France.

Sous-marins, Frégates, Amphibies : la Marine néerlandaise se modernise rapidement

Lancée en 2019, la modernisation de la Marine néerlandaise doit lui permettre, d’ici au milieu des années 2030, de renouveler l’ensemble de sa flotte de première ligne, parfois de l’étendre, avec de lui redonner les capacités qui étaient les siennes durant la Guerre Froide, toutes proportions gardées.

6 grands navires de guerre des mines du programme rMCM

Chronologiquement, celle-ci a débuté avec l’attribution d’un contrat de 2 Md€, cofinancé avec le partenaire et voisin Belge, pour la conception et la construction de 12 grands navires de guerre des mines, six par Marine, ainsi que des systèmes de drones qui seront employés pour les opérations de déminage.

M940 Oostende RMCM lancement
Le premier grand navire de guerre des mines du programme belgo-néerlandais eMCM, le M930 Oostende, a été lancé en mars 2023 à Concarneau.

Ce sont les groupes ECA, ayant fusionné, depuis, avec le français IXblue pour devenir Exail, et Naval Group, rassemblés pour l’occasion dans le consortium Belgium Naval & Robotics, qui remportèrent la compétition rMCM.

Le premier des grands navires de guerre des mines, le M940 Oostende, destiné à la Composante Marine, a été lancé le 29 mars 2023 à Concarneau, alors que le second navire, le M840 Vlissingen à destination de la Marine néerlandaise, a suivi quelques mois plus tard à Lorient.

Ces navires, construit par le groupe Kership, doivent entrer en service respectivement en 2024 et 2025. Le dernier, de la classe, le M845 Schiedam, rejoindra la Koninklijke Marine en 2030. À noter qu’en octobre 2023, la France a rejoint ce programme, dans le cadre de son programme MMCM/SLAMF.

Elle va, elle aussi, construire six grands navires de Guerre des mines RMCM, avec quelques variations vis-à-vis des modèles néerlandais et belges, notamment en matière de mise à la mer des drones, ou d’armement défensif. Paris, La Haye et Bruxelles renouvellent ainsi le partenariat qui avait donné naissance, il y a plus de quarante ans, aux très réussis chasseurs de mines Tripartites.

2 frégates de lutte anti-sous-marine M-Fregat

Concomitamment au programme rMCM, les marines belges et néerlandaises ont lancé le développement et la construction d’une nouvelle classe de frégates anti-sous-marines, destinées à remplacer les M-fregat (M pour Multimission) de la classe Karel Doorman. Chaque Marine prévoit d’acquérir deux navires de ce type.

M-Fregat Belgique Pays-Bas
Les frégates de lutte anti-sous-marine néerlandaises et belges du programme M-Frigat, auront des armements différents, les navires battaves devant être bien mieux armés que ceux de la Composante Marine.

Longues de 145 mètres pour un maitre-bau de 18 mètres, ces frégates jaugeront 6 400 tonnes en charge, presque le double des navires qu’elles remplaceront. Elles seront aussi bien mieux armées, avec 2 VLS Mk41 (1 pour la version belge) à 8 silos, emportant chacun 4 missiles surface-air RIM-162 ESSM, 8 missiles antinavires NSM norvégiens, un CIWS RAM à 21 missiles, et un canon Oto MELARA de 76 mm.

Elles embarqueront, enfin, un hélicoptère de lutte anti-sous-marine NH-90 NFH, ainsi qu’un drone de reconnaissance, et disposeront d’un sonar de coque et d’un sonar tracté, très probablement le CAPTAS de Thales. La possibilité, pour les deux frégates néerlandaises, d’emporter des missiles Tomahawk, reste incertaine.

Le premier navire de la classe sera livré à la Marine néerlandaise en 2029, le dernier, pour la Composante marine, en 2032, à raison d’un navire par an.

4 nouveaux Sous-marins, 4 frégates antiaériennes et 2 à 8 nouveaux navires aéro-amphibies à pont droits

Si les deux premiers programmes, entamés en 2019, sont aujourd’hui parfaitement bordés et entamés, les trois programmes suivants sont beaucoup plus verts, et peuvent, dès lors, encore être soumis à variation. En outre, ils ne font pas l’objet d’une coopération internationale, ni avec la Belgique, ni avec un autre pays européen, tout au moins, à ce stade.

Blacksword barracuda
Il faudra à naval Group se montrer persuasif pour convaincre les parlementaires néeralndais de suivre les résultats de l’appel d’offre. Un prix 25 % plus avantageux que les offres concurrentes, représente, dans ce pays attaché à la bonne gestion des comptes publiques, un atout non négligeable.

Le premier d’entre eux vise à remplacer les quatre sous-marins diesel-électrique de la classe Walrus actuellement mis en œuvre par la Koninklijke Marine. Mi-mars 2024, la compétition fut remportée par le français Naval group et le sous-marin Blacksword Barracuda, un navire de 82 mètres et 3 300 tonnes en plongée.

Ce programme ayant une forte composante politique, il faudra attendre la confirmation de l’arbitrage en faveur du groupe français par le Parlement batave, d’autant que l’alliance Damen-Saab, concurrent malheureux de la compétition, a annoncé qu’il contestait les critères d’attribution de l’appel d’offres, alors que l’offre française était 1,5 Md€ moins chère, que la leur.

Les deux derniers programmes sont encore moins aboutis, puisqu’en phase de conception initiale aujourd’hui. En premier lieu, la Marine néerlandaise va lancer la conception de ses futures frégates de défense aériennes, devant remplacer les quatre frégates de la classe De Seven Provincien, à partir de 2034.

Frégate antiaérienne marine neerlandaise
Les nouvelles frégates antia-aériennes neerlandaises, seront particulièrement bien armées, avec 80 VLS, 8 missiles antinavires, 3 CIWS et deux canons d’artillerie navale.

Les premiers concepts ont été présentés aux parlementaires bataves, il y a peu, montrant un navire lourdement armé, avec, en particulier, 80 silos verticaux, un canon de 127 mm, un canon de 76 mm, un CIWS RAM et deux CIWS de 40 mm. Ces frégates seront, alors, parmi les navires les mieux armés en Europe.

Le second programme, tout aussi conceptuel à ce jour, et présenté concomitamment aux parlementaires, porte sur la conception d’un navire aéro-amphibie à pont droit, destiné à mettre en œuvre hélicoptères et drones, ainsi qu’une batellerie légère de débarquement.

Donner pour un tonnage de 15 000 tonnes, à mi-chemin entre les Mistral français, et le nouveau concept de LHD porte-drones présenté par la Marine Portugaise, ces navires devraient remplacer les deux LPD amphibies Rotterdam et Johan de Witt, mais aussi, semble-t-il, les quatre patrouilleurs de haute mer de la classe Holland.

LHD-OPV Marine neerlandaise
La marine néerlandaise veut réaliser la fusion du LHD et de l’OPV, pour bénéficier des atouts de chacun.

À ce titre, les nouveaux LHD seront conçus pour fonctionner avec un équipage particulièrement réduit de 60 à 70 membres, et ne disposera que d’un armement défensif limité, avec un canon et un système RAM.

Les Pays-Bas disposant, comme la France, de territoires ultra-marins aux Antilles, le remplacement des OPV par des navires à capacités Amphibies, permettrait simultanément de réagir rapidement en cas de crise humanitaire, tout en les employant en rotations pour diverses missions OTAN comme navire amphibie, porte-hélicoptères ou porte-drones.

La transformation drone est en marche au sein de la Koninklijke Marine

Si la Marine néerlandaise est déjà engagée dans un profond renouvellement de ses unités navales de premier rang, elle est également engagée dans une transformation radicale, pour intégrer les drones, navires automatisés à équipage restreint, pour étendre les capacités de ses frégates, chasseurs de mines et autres.

Les navires dronisés MICAN pour accompagner les frégates de défense aérienne

Parmi ces drones, figure notamment le programme MICAN, visant à concevoir un navire de surface auxiliaire optionnellement doté d’un équipage restreint. Désignés jusque-là par le nom Trific, ces navires de 60 mètres pourront recevoir des modules de missions, de sorte à étendre les capacités offensives et défensives des frégates de défense aérienne à venir, précédemment évoquées.

Trific Mican USV Marine néerlandaise
Le programme MICAN, ex Frific, repose sur un navire de la taille d’une petite corvette, conçu pour emporter des modules de missions sous forme de conteneur, mis en oeuvre par un équipage très reduit.

Plus spécifiquement, ils pourront emporter des conteneurs de munitions surface-air, ou surface-surface, pour accroitre la résilience de ces frégates, tout en étendant la portée de ses moyens de défense aérienne. Initialement conçu exclusivement comme un navire sans équipage, les MICAN tendent désormais à évoluer vers un modèle mixte, pouvant accueillir un équipage restreint, afin d’en assurer le bon fonctionnement.

De nouveaux drones de surface de lutte ASM

Recemment, un second type de drones de surface a fait son apparition dans la planification navale néerlandaise. Ces unités seront très différentes des MICAN, avec notamment des dimensions plus réduites, 12 mètres étant évoqués, un fonctionnement exclusivement autonome sans équipage, et une spécialisation dans le domaine de la détection anti-sous-marine.

Concrètement, ces drones, probablement mis à la mer et récupérés par les nouvelles frégates de lutte anti-sous-marine, tels des RHIB, auront des missions proches de celles des hélicoptères de lutte ASM NH90 du navire, employant un sonar actif/passif de détection, et ayant la possibilité, on peut l’imaginer, de mettre à la mer des bouées acoustiques.

ASW USV pays-bas concept
Le concept de drone de surface de lutte anti-sous-marine néerlandais, destiné à évoluer au profit des M-Frigat, est encore peu detaillé. Les données importantes, c’est à la dire la mission, la taille, et donc, les conditions de déploiement, ont en revanche été définis.

Un tel drone permettrait, en effet, de palier l’absence d’un second hélicoptère, dans les missions de lutte anti-sous-marine, où effectuer des recherches complémentaires et simultanées à celles de la frégate et de l’hélicoptère, pour accroitre les chances de détection du submersible adverse.

Koninklijke Marine et Composante Marine en pointe dans l’utilisation des drones de déminage naval

Enfin, la Koninklijke Marine sera l’une des premières marines en Europe (la première ?), à effectivement disposer d’un couple formé par un grand navire base de guerre des mines, des drones de surface d’opération et des drones sous-marins de détection et de neutralisation.

Exail A18M
Chaque Inspector 125 emporte et met en oeuvre deux drones sous-marin A18M d’exail

Chaque navire emportera, en effet, deux drones de surface Exail Inspector 125, capables d’opérer jusqu’à une mer 5 (creux de 2,5 à 4 mètres), chacun transportant des drones sous-marins A18M de recherche et localisation, et des drones sous-marins de neutralisation.

Un partenaire potentiel pour la Marine nationale et l’industrie navale de défense française

La Marine néerlandaise est, on le voit, engagée dans une trajectoire particulièrement volontaire, tant dans le domaine capacitaire, que dans des domaines plus conceptuels, comme la conception d’un navire aéro-amphibie hybride, agissant comme un LHD classique, ainsi que comme un OPV, mais aussi dans le domaine des drones de surface et sous-marins.

Ces approches peuvent représenter de réelles opportunités tant pour la Marine nationale que pour les industriels français, ce d’autant que La Haye a déjà montré sa volonté de travailler efficacement avec l’industrie navale de défense française.

Comme évoqué précédemment, le programme de frégates antiaériennes néerlandaises, peut représenter, pour la Marine nationale, une opportunité pour renforcer cette capacité que l’on sait sous-dimensionner, et pour les industriels français, d’amener la Marine néerlandaise à privilégier certains systèmes français ou européens, plutôt qu’américains, qu’il s’agisse de VLS, de missiles ou de CIWS.

PAAMS Charles de Gaulle
Convaincre La Haye de s’équiper en Sylver et missile Aster, plutot qu’en MH41, SM-2 et ESSM, permettrait de sensiblement étendre l’interopérabilité des flottes françaises et néeralndaises dans le domaine antiaériens, surtout si des drones MICAN viennent étendre ces capacités.

Surtout, la participation de la France à ce programme, pourrait représenter le geste de bonne volonté, pour sécuriser, de manière certaine, le programme Blacksword Barracuda, tant face au Parlement néerlandais, que vis-à-vis de Damen.

Le concept de LHD-OPV développé par la Koninklijke Marine pourrait, lui aussi, représenté un réel intérêt de coopération pour la Marine Nationale et la France, qui doivent assurer la sécurité de six grands espaces navals ultra-marins, pour lesquels la présence d’un tel navire, aux côtés des futurs remplaçants des frégates Floréal développés dans le cadre du programme OPC européen, aurait évidemment de nombreux atouts à faire valoir.

La coopération dans le domaine les drones de surface, qu’il s’agisse du programme MICAN ou du drone de lutte ASM, aurait encore davantage d’intérêt pour Paris. Non seulement cela permettrait-il de doter les frégates françaises de capacités complémentaires optionnelles, alors que l’on sait que la densité de leur armement représente précisément un point faible pour ces navires, mais une coopération franco-néerlandaise (+ Belgique ?), permettrait de créer les bases d’un standard européen dans ce domaine, en termes de communication, de capacités autonomes, et de modules de mission.

marine néerlandaise bréguet Atlantic
Alors que l’Allemagne s’est éloignée du programme MAWS, il serait bon de se rappeler que les Pays-bas ont perdu leur Patrouille Maritime en 2004, et qu’ils avaient, par le passé, partcipé au developpement du Breguet Atlantic.

En outre, une coopération dans le domaine des drones de surface, pourrait également ouvrir la porte à une coopération dans le domaine des drones sous-marins, avec, à terme, la possibilité d’agréger dynamiquement d’autres acteurs européens, là encore, dans le but de sécuriser les développements, d’étendre son potentiel industriel, et de faire émerger un standard.

Dans tous les cas, considérant la détermination et les moyens mis par La Haye dans la modernisation de sa Marine, et plus globalement, de ses forces armées, ainsi que de l’évidente bienveillance montrée concernant la coopération avec l’industrie de défense française, une coopération bilatérale ou trilatérale étendue à la Belgique, dans le domaine naval militaire, au-delà des contrats déjà passés, apparait comme potentielle très prometteuse. Tout ne se passe pas à Berlin, Rome ou Londres, en Europe…

Les Pays-Bas, l’exemple Défense à suivre en Europe occidentale ?

En 2015, les Pays-Bas faisaient partie des pays qui consacraient le moins de leurs richesses à leurs armées. Classée parmi les frugaux, à la gestion la plus stricte, La Haye semblait alors être à l’avant-garde des pays européens prêts à déléguer leur défense à la protection américaine, pour investir le moins possible dans ce domaine.

Neuf ans plus tard, le visage présenté par les Pays-Bas, et ses armées, est radicalement différent. Non seulement le pays est-il l’un des européens ayant consenti à la plus importante hausse de son effort de défense sur cette période, mais il figure parmi les soutiens les plus actifs et déterminés à l’Ukraine en Europe, en valeur relative (à son PIB), comme en valeur absolue.

Au point que la Haye fait, aujourd’hui, jeu égal, en termes de détermination, avec les plus dynamiques des pays d’Europe de l’Est ou du Nord, et s’érige en modèle pour beaucoup de pays d’Europe de l’Ouest, bien plus timorés dans leurs décisions d’accroitre leurs investissements défense ou leur soutien militaire à Kyiv.

Le budget Défense des Pays-Bas passé de 8 à 21,4 Md€ de 2015 à 2024

Une valeur résume, à elle seule, tout le chemin parcouru par La Haye depuis 2015, dans sa perception du besoin de soutenir son effort de défense : 167,5 %. C’est la hausse du budget de la défense consenti par les Pays-Bas, entre 2015, alors qu’il était inférieur à 8 Md€, et 2024, lorsqu’il atteint 21,4 Md€.

Armées néerlandaises CV90
Les forces armées néerlandaises sont engagées dans un vaste effort de reconstruction et de modernisation à marche forcée après avoir été durement handicapées par les Bénéfices de la Paix.

Mieux encore, La Haye n’entend s’arrêter là, puisque les autorités du pays ont annoncé que ce budget atteindra 25 Md€ en 2025, et 30 Md€ en 2030. L’effort de défense néerlandais sera ainsi passé de 1,1 % PIB en 2015, à 1,95 % en 2024, pour s’établir entre 2,2 et 2,3 % du PIB, en 2030, tout en atteignant l’objectif de 2 % en 2025, fixé par l’OTAN.

Ainsi, compensé de l’inflation, le budget des armées néerlandaises aura doublé en dix ans, là où, en France, il n’aura progressé « que » de 35 %. Notons que le point d’inflexion réel de l’effort de défense néerlandais ne date pas de 2015, mais de 2018, le budget de la défense ayant progressé, sur cette seule année, de presque 12 %, passant de 8,54 Md€ et 9,42 Md€, puis 10,72 Md€ en 2019 et 11,48 Md€ en 2020.

Le déclencheur, pour la Haye, a été le vol MH17 parti d’Amsterdam et abattu par un missile Buk russe, alors qu’il survolait l’Ukraine. Passé la crise Covid, le second point d’inflexion est arrivé en 2022, le budget passant de 11,79 Md€ en 2021, à 14,84 Md€ en 2022 sur fond de guerre en Ukraine, soit une hausse de presque 26 % en une seule année. Effort poursuivi les années suivantes, pour atteindre 15,4 Md€ en 2023 (+3,8%), 21,4 Md€ en 2024 (+40 %) et 25 Md€ en 2025 (+16,8%).

Des investissements équilibrés entre Europe et USA pour ses équipements de Défense

Sur la base de ces ressources budgétaires, La Haye a annoncé, ces dernières années, de nombreux programmes visant à moderniser, renforcer et parfois étendre, les capacités de ses forces armées.

Pays-Bas F-35
Après avoir commandé initialement 37 F-35A, les forces aériennes néerlandaises ont obtenu de passer cette flotte à 52 chasseurs, pour répondre à la pression opérationelle et palier l’excés d’optimisme dans le dimensionnement initial.

De manière intéressante, là où de nombreux pays européens ont cherché, avant tout, à préserver l’interopérabilité avec les armées américaines, et la bienveillante protection de Washington, en achetant très majoritairement des équipements américains, la Haye a su maintenir un équilibre efficace entre l’acquisition de systèmes d’armes européens et américains.

Côté américain, les Pays-Bas ont annoncé, ces dernières années, l’extension de l’acquisition de F-35, passant de 37 à 52 appareils. De manière officielle, il s’agissait de répondre à l’augmentation de la pression opérationnelle.

Beaucoup d’observateurs estiment, cependant, que la flotte initialement visée par La Haye, était trop compacte, pour un appareil ne disposant pas de la disponibilité initialement avancée, pour remplir le contrat opérationnel des forces aériennes néerlandaises, en particulier dans le cadre de l’OTAN.

Le pays s’est également tourné vers l’industrie américaine dans le domaine des missiles, avec l’acquisition de missiles de croisière Tomahawk et JASSM-ER, pour armer ses nouvelles frégates, nouveaux sous-marins et F-35A.

Blacksword barracuda Marine néerlandaise
La Haye s’est rourné vers Naval group et le Blacksword barracuda pour remplacer ses sous-marins de la classe Walrus.

En revanche, La Haye s’est tourné vers des solutions européennes et/ou nationales, en particulier dans le domaine naval, avec la commande de 6 grands bâtiments de guerre des mines auprès du belge ECA associé au français Naval Group, de 2 frégates M-fregat auprès du constructeur national Damen, et récemment de quatre sous-marins Blacksword barracuda auprès, là encore, du français Naval Group. Sans rien enlever à l’attachement européen des Pays-Bas, notons que dans ces trois domaines, l’essentiel de l’offre, voire la totalité, était européenne.

Dans le domaine des hélicoptères de manœuvre, également, les armées néerlandaises ont fait valoir une préférence européenne, en commandant 14 H225 Caracal auprès d’Airbus Helicopter, plutôt que le Blackhawk américain, pour remplacer les Puma de ses forces Spéciales.

Il y a quelques jours, La Haye a annoncé la commande de 7 radars GroundMaster GM200 MM/C, du français Thales coproduit avec Thales Netherlands, après avoir commandé 9 radars identiques en 2019. Le pays entend, prochainement, acquérir un bataillon de chars lourds auprès du franco-allemand KNDS, attendant que les budgets nécessaires se libèrent, ainsi que la version Leopard 2Ax à venir du char allemand, selon plusieurs échos.

Un soutien militaire à l’Ukraine déterminant

Les Pays-Bas ont également fait preuve d’une grande détermination, dans leur soutien militaire à l’Ukraine, depuis le début du conflit. Les listes des équipements directement fournis à Kyiv par La Haye, ou financés par les Pays-bas pour être livrés aux forces ukrainiennes, est, en effet, assez impressionnante, considérant ce pays de seulement 18 millions d’habitants et son PIB à peine supérieur à 1000 Md$.

PZH2000 Ukraine
La moitié des Pzh2000 en service au sein des forces ukrainiennes, ont été transférés par les Pays-Bas.

Celle-ci contient, entre autres choses, 42 chasseurs F-16A/B, deux chasseurs de mines, 8 canons automoteurs Pzh2000, 45 T-72 modernisés, 33 Leopard AA5, 7 Leopard 2A4 (assez remarquables dans la mesure où les armées néerlandaises n’ont plus de chars), 260 transports de troupes blindés, 200 missiles Stinger ainsi que des lots de missiles Patriot, AMRAAM et Harpoon, et plusieurs dizaines de milliers de munitions de 155 mm et 120 mm (Leopard 2).

Jusqu’à présent, La Haye estime que les livraisons et financements d’armements à l’Ukraine ont représenté 2,8 Md€, dont 1,1 Md€ prélevés sur l’inventaire de ses Armées. À l’occasion de la présentation du budget 2024, le gouvernement néerlandais a annoncé qu’une enveloppe de 4 Md€ était dédiée au soutien militaire à l’Ukraine, de 2024 à 2026.

Une période d’incertitude après la victoire du populiste Geert Wilders aux élections législatives de 2023

Si, en bien des aspects, les Pays-Bas auront été en pointe en matière de reconstruction des armées, d’effort de défense et de soutien à l’Ukraine, ces dernières années, le pays s’avance, désormais, dans une zone d’incertitude politique, après la victoire du populiste Geert Wilders aux élections législatives de l’automne 2023.

dutch parliament may 2016 Pays-Bas | Actualités Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Les Pays-Bas, l'exemple Défense à suivre en Europe occidentale ? 48

Avec 23,5 % des voix et 37 sièges parlementaires, celui-ci a largement remporté le scrutin, devançant les Verts néerlandais, de presque 10 % et de 12 sièges, arrivés seconds, et le Parti libéral conservateur VVD, 3ᵉ, de 11 sièges.

Anti-européens et anti-immigration, le succès électoral de Geert Wilders a été acclamée par le Kremlin, qui perçoit l’homme et son mouvement, comme le pendant néerlandais du Hongrois Viktor Orban, bien plus conciliant envers la Russie que ne l’était le gouvernement néerlandais jusqu’à présent.

Reste à voir, à présent, si les partis de gouvernement néerlandais feront cause commune, pour continuer la politique Défense poursuivie ces dernières années, ou si, à l’inverse, Geert Wilders parviendra à créer une coalition de gouvernement, ce qui viendrait, très probablement, faire dérailler ces deux domaines.

IRIS-T SLM vs Aster 15/30 : Diehl va-t-il faire main basse sur la défense aérienne européenne ?

Jusqu’il y a deux ans, les systèmes de défense aérienne européens, en particulier la gamme Aster du Français MBDA, et l’IRIS-T SLM de l’Allemand Diehl, étaient souvent perçus, sur la scène internationale, comme des systèmes aux performances inférieures aux systèmes équivalents américains, russes ou israéliens.

Tous trois pouvaient, en effet, s’appuyer sur des expériences de combat plus ou moins réussies, parfois habillement présentées pour les rendre plus attractifs et compétitifs qu’ils ne le sont vraiment.

Ces derniers mois, toutefois, cette perception a considérablement évolué, en raison des résultats plus que probants obtenus par les systèmes antiaériens de conception européenne, que ce soit en Ukraine pour l’Iris-T SLM et le SAMP/T Mamba, ou en mer Rouge, pour les missiles Aster 15 et 30, ouvrant la voie à une compétition frénétique entre ces deux systèmes en Europe.

La compétition Iris-T SLM vs Aster 15/30 en Europe

Les deux systèmes européens rencontrent, aujourd’hui, un intérêt renouvelé et insistant, sur la scène internationale comme en Europe. C’est cependant l’Iris-T SLM allemand apparait comme bien plus efficace, commercialement parlant, que le Mamba franco-italien et l’Aster 15/30.

Alsace Aster 15
Près d’une cinquantaine de grands navires de surface sont équipés de missiles Aster 15/30.

En effet, alors qu’il n’est proposé que depuis 2019, celui-ci a déjà enregistré six commandes internationales, dont cinq en Europe : Allemagne, Autriche, Estonie/Lettonie, Slovénie et Suède. À l’inverse, le SAMP/T Mamba franco-italien, proposé depuis 2009, n’est en service, en Europe, que dans les Armées de ses deux concepteurs, alors que seul Singapour s’est porté acquéreur du système sur la scène internationale.

Le missile français a toutefois percé avec beaucoup plus d’efficacité sur un autre marché, celui des missiles surface-air navals. En effet, il équipe, aujourd’hui, pas moins de 46 grandes unités de surface, porte-avions, destroyers, frégates et corvettes, au sein de neuf forces navales, dont les trois plus puissantes marines militaires en Europe (France, Italie et Royaume-Uni).

Cette prédominance navale de l’Aster pourrait prochainement être mise à mal, alors que Diehl a annoncé qu’il développait une version navale de son SLM à moyenne portée et de son SLX à longue portée, concurrent direct de l’Aster 30.

De toute évidence, se prépare, aujourd’hui, une formidable guerre commerciale entre l’Aster de MBDA et l’IRIS-T SL de Diehl, et plusieurs éléments paraissent donner l’avantage au système allemand, en particulier en Europe.

La gamme Aster de MBDA : un pionnier technologique qui secoue l’hégémonie américaine

Pourtant, dans cette compétition, l’Aster de MBDA, peut s’appuyer sur de nombreux atouts. Le premier n’est autre que les performances éprouvées du système, et de la gamme de missiles qui l’arme. Si l’Aster 15, avec une portée de 30 à 45 km, selon les sources, est un concurrent direct de l’IRIS-T SLM et ses 40 km, l’Aster 30, lui, dépasse les 120 km, et se pose donc comme une alternative au Patriot américain.

SAMP/T Mamba Aster 30
Le SAMP/T Mamba a été construit à 22 exemplaires à ce jour, pour les armées françaises, italiennes et singapouriennes.

En outre, l’Aster dispose, comme évoqué, d’une version navale complète avec le système PAAMS, disposant de ses propres Systèmes de Lancement Verticaux, les SYLVER, et compatible avec de nombreux radars et systèmes de guidage.

La gamme Aster intègre, également, des versions dédiées à la lutte antibalistique endoatmosphérique, les Aster Block 1 et Block 1NT, ce dernier entrant en service cette année. L’efficacité des Aster contre tous les types de cible aérienne, y compris les missiles balistiques, a été démontrée ces derniers mois, avec des taux d’interceptions réussies très élevés.

Du point de vue du parc installé, l’Aster s’appuient sur 22 systèmes SAMP/T Mamba, et 46 navires de surface le mettant en œuvre, alors que 20 autres navires (5 FDI françaises et trois grecques, 8 PPA et 2 DDx italiens, 2 PPA indonésiennes) en seront dotés, dans les mois et années à venir, de manière certaine.

En termes d’évolution à venir, MBDA a annoncé, il y a peu, le développement de l’Aster 15 EC, d’une portée étendue à plus de 60 km, qui permettra au missile de rester, en matière de performances, dans le haut de la gamme des missiles antiaériens à moyenne portée.

Les 4 atouts de l’Iris-T SL de Diehl pour s’imposer en Europe

Beaucoup plus récents, les systèmes Iris-T SL de Diehl, sont loin de pouvoir s’appuyer sur une gamme et un parc installé aussi étendus que la famille Aster. Pourtant, alors qu’elle n’est proposée que depuis 2019, la famille IRIS-T SLS/M affiche déjà un carnet de commande ferme, et en finalisation, de 35 systèmes, dont seulement six sont destinés aux armées allemandes.

IRIS-T SLM
L’IRIS-T SLM a une portée de 40 km.

Les atouts de l’Iris-T SL sur l’Aster, ne sont pourtant ni technologiques, ni opérationnels, les deux systèmes ayant montré une efficacité comparable au combat, alors que l’Aster dispose d’une gamme bien plus étendue. Ceux-ci sont à chercher dans une remarquable stratégie commerciale allemande, conçue pour s’imposer d’abord en Europe, puis au-delà, et bâtie sur quatre piliers.

Une gamme complète et intégrée, allant du SHORAD Canon à l’antimissile hypersonique

Si, aujourd’hui, la famille Iris-t SL ne se compose que de deux missiles, l’Iris-T SLS à courte portée (12 km) et l’Iris-t SLM à moyenne portée (40 km), Diehl travaille activement à l’étendre rapidement, avec le développement de l’IRIS-T SLX à longue portée (80 km), ainsi que l’IRIS-T HYDEF, d’une portée de 100 km, et surtout d’un plafond de 50 km.

Conçu dans le cadre du programme européen HYDEF piloté par l’Espagne, l’Iris-T HYDEF sera destiné à intercepter les planeurs hypersoniques lors de leur phase de manœuvre atmosphérique.

En outre, le plafond de 50 km du missile lui permettra d’intercepter, en transit, les missiles à trajectoire semi-balistique, comme l’Iskander-M ou le Kinzhal russes, qui posent aujourd’hui un problème aux défenses antiaériennes et antibalistiques.

Gamme IRIS-T Diehl défense
La gamme IRIS-T SL de Diehl Defense.

En outre, Diehl a annoncé qu’il travaillait sur une version navale de l’Iris-T SLM, alors que les missiles à venir, dont l’Iris-T SLX, et probablement l’Iris-T HYDEF, seront systématiquement déclinés, eux aussi, en version embarquée.

Enfin, le missilier allemand, comme le radariste Hensoldt, qui fabrique le radar 3D TRML-4D de l’Iris-T SLM, participent, avec Rheinmetall, à la conception de la tourelle antiaérienne Skyranger armée d’un canon de 30 ou 35 mm.

Il y a fort à parier, dès lors, que les systèmes Iris-T et Skyranger seront complémentaires et intégrés, permettant de proposer une gamme particulièrement étendue allant du SHORAD canon, au missile antibalistique hypersonique endoatmosphérique haut, dans une approche unique en occident.

Une gamme conçue pour compléter l’offre américaine, sans l’empiéter

Diehl prend grand soin, dans ses développements, et surtout dans sa communication, à ne pas venir empiéter sur les platebandes des systèmes sol-air ou surface-air américains. Mieux encore, la complémentarité des systèmes allemands et américains, est mise en avant partout ou cela est possible.

Ainsi, les Iris-T navals seront prévus pour prendre place à bord des VLS Mk41 américains, du module tactique, plus court, pour les versions M et S, et du module de frappe, destiné à embarquer des missiles plus longs comme le Tomahawk, le LRASM, ainsi que les SM-3 et SM-6, pour l’IRIS-T HYDEF.

Patriot PAC
L’IRIS-T SL est présenté comme complémentaire des systèmes américains, comme le Patriot PAC2 ou PAC-3 MSE.

Dans ce domaine, l’IRIS-T SLM/X naval est présenté comme une alternative, notamment concernant les navires mettant en œuvre des versions du missile SM-2 ou ESSM qui ne sont plus produites, comme c’est le cas des frégates allemandes de la classe Hessen.

C’est aussi le cas dans le domaine terrestre, les Iris-T étant systématiquement présentés comme complémentaires au Patriot américain, plus spécialement au Patriot PAC-3 MSE, choisi par plusieurs forces armées européennes ces dernières années.

Une stratégie commerciale bottom-up pour s’appuyer sur une base étendue

Pour marquer cette complémentarité, particulièrement efficace auprès des armées européennes, souvent équipées de systèmes antiaériens américains, et pour éviter de subir une bienveillante obstruction de la part des industriels, des armées et du Département d’état US, Diehl a développé une stratégie commerciale que l’on peut qualifier de Bottom-Up.

Celle-ci vise, en effet, à positionner l’IRIS-T SLM comme un système moyenne portée, accessible, et donc complémentaire au Patriot ou aux SM-2/SM-6, avec l’objectif, par la suite, de faire monter ses clients en gamme, avec l’arrivée du SLX puis de l’HYDEF, mais également en étendant le socle SHORAD, avec le Skyranger voire le SLS.

Skyranger 30 Boxer Rheinmetall
Le Skyranger 30 est codéveloppé par Hensoldt et Diehl Defense, aux cotés de Rheinmetall, les deux entreprises au coeur de l’IRIS-T SL.

De fait, dès lors qu’une armée s’équipe de l’Iris-T SLM, elle aura, par la suite, tout intérêt, pour des questions de coopération entre les systèmes, et donc d’économies en ressources budgétaires comme humaines, à étendre sa propre gamme Iris-T ou assimilée, y compris de manière progressive.

Cette stratégie commerciale est d’ailleurs l’exacte opposée de celle mise en œuvre par MBDA, Eurosam et la technosphère Aster franco-italienne, qui ont toujours présenté les systèmes Aster comme des alternatives aux systèmes américains (Patriot, SM-2, ESSM) ou russes (S-400, Buk).

L’European Sky Shield Initiative pour faire de la gamme Iris-T le standard de la défense aérienne européenne, et de l’Allemagne son pivot

Enfin, et surtout, l’IRIS-T SL et Diehl peuvent s’appuyer sur un appui particulièrement efficace de la part du gouvernement fédéral allemand, au travers de l’European Sky Shield Initative.

Lancée par Olaf Scholz en aout 2022, quelques mois après le début de la guerre en Ukraine, celle-ci propose de créer un réseau de défense antiaérien et antibalistique européen interconnecté.

Olaf Sholz
En aout 2022, a Prague, Olaf Scholz a présenté l’European Skyshield initiative, rassemblant dejà 18 pays européens, mais ecluant la France, l’Italie, et surtout la famille Aster.

Pour séduire ses partenaires européens, Berlin a construit son initiative sur trois systèmes complémentaires, l’IRIS-T SLM à moyenne portée, le Patriot PAC à longue portée et capacités antibalistiques endoatmosphériques, et le système Arrow 3 israélien, conçu pour l’interception antibalistique exoatmosphérique.

Chacun de ces systèmes à un rôle commercial précis dans ce modèle. L’Arrow 3, acheté uniquement par l’Allemagne pour près de 5 Md€, doit permettre d’assurer une protection antibalistique exoatmosphérique couvrant l’ensemble des pays européens participants à l’initiative.

Que l’Arrow 3 ait été conçu pour intercepter les MRBM et IRBM iraniens, alors que la Russie ne met en œuvre que des SRBM et MRBM à trajectoire semi-balistiques, et des ICBM et SLBM, tous hors fenêtre d’interception du système, n’est que secondaire.

Le Patriot PAC permet de séduire les cinq pays européens mettant déjà en œuvre ce système d’armes onéreux, mais efficace, et surtout de s’assurer du soutien et Washington et de l’industrie US, qui y voient, là, un moyen de promouvoir encore davantage son système antiaérien en Europe.

L’IRIS-T SLM, quant à lui, constitue le pivot technologique de l’ESSI, ou son plus petit commun dénominateur, de sorte que, pour participer effectivement à l’initiative, les pays devront, très certainement, acquérir ce système. Avec 22 pays européens (+ Turquie) ayant déjà rejoint l’ESSI, Berlin a ainsi assuré à Diehl un marché captif remarquable, qui plus est, avec le soutien des États-Unis.

IRIS-T SLS, Iris-t SLM et radar 3D TRML 4D
L’IRIS-T SLS (à gauche) a une portée de 12 km, alors que l’IRIS-T SLM (au centre) a une portée de 40 km.

Comme évoqué plus haut, une fois les armées européennes équipées d’IRIS-T SLM, celles-ci auront alors tout intérêt à rester dans cette gamme, pour étendre leurs capacités, que ce soit dans le domaine SHORAD avec le Skyranger, dans l’interception à longue portée avec l’IRIS-T SLX, ou dans l’interception endoatmosphérique, avec l’IRIS-T HYDEF. Pour peu que l’ESSI s’étendent technologiquement aux systèmes navals, on peut s’attendre, par la suite, à ce qu’il en soit de même d’une majorité de marines européennes.

Conclusion

On le voit, si la famille IRIS-T SL de Diehl, est incontestablement un système d’arme efficace, celle-ci s’appuie, surtout, sur une formidable stratégie de conquête industrielle et commerciale, pour faire main basse sur la défense antiaérienne et antimissile européenne, avec, en son centre, l’Allemagne.

Face à cette déferlante en perspective, la famille Aster franco-italienne, a, certes, des atouts à faire valoir, en particulier par son efficacité opérationnelle étendue et confirmée, y compris dans le domaine antibalistique.

Toutefois, il sera certainement nécessaire, pour MBDA, Eurosam et surtout pour Paris, de changer de stratégie commerciale, pour espérer contenir la stratégie allemande, alors que, de manière évidente, Berlin n’a strictement aucun intérêt à ouvrir l’ESSI aux autres systèmes, en particulier à l’Aster, son principal rival en Europe.

RapidFire Thales NExter
la declinaison d’une version terrestre du RapidFire s’impose pour completer l’offre Aster dans la gamme SHORAD, à l’instar du Skyranger pour la gamme IRIS-T

Un line-up prévisionnel ambitieux et ferme, plutôt que des développements itératifs à la demande, une coopération internationale rassemblant, au-delà de la France et de l’Italie, d’autres pays européens, comme la Grande-Bretagne et la Pologne, en interconnectant leurs systèmes de defense, et l’intégration, à la gamme Aster, les systèmes SHORAD et courte portée (Rapid Fire, MICA VL NG, CAMM, Dragon Fire…) présents et à venir, permettraient certainement de répondre à cette stratégie allemande, et même, possiblement, de la mettre en défaut.

Encore faut-il qu’il y ait, conjointement, une volonté politique, une volonté industrielle, et le soutien des armées, sachant que se joue, ici, la pérennité même de la filière missile antiaérien française.

En l’absence de réaction, celle-ci pourrait bien voir ses perspectives s’étioler face à une stratégie commerciale plus efficace et volontaire de la part de l’Allemagne, comme ce fut le cas, il y a quelques décennies, dans le domaine des blindés, et plus récemment, dans celui des missiles antichars.

Après un incident de tir, la frégate Louise-Marie belge voit son déploiement en mer Rouge reporté

En route en Méditerranée pour rejoindre la mission Aspide en mer Rouge, la frégate Louise-Marie de la Composante Marine Belge, a participé à un exercice pour tester ses capacités à répondre à la menace posée par les drones Houthis.

Bien lui en a pris. En effet, à cette occasion, le missile RIM-7 Sea Sparrow, censé être envoyé pour intercepter le drone cible, est resté bloqué dans son silo Mk48, provoquant l’échec de l’exercice, et la décision de reporter le déploiement de la frégate belge en mer Rouge.

Il s’agit du troisième incident majeur concernant la mise en œuvre de missiles surface-air en première intention à bord d’une frégate européenne de l’OTAN en deux mois, faisant peser un réel doute sur le niveau de préparation opérationnelle de plusieurs Marines de l’alliance, alors que la menace est plus élevée que jamais ces quarante dernières années.

La Composante Marine Belge, une force navale particulièrement compacte

Bien que le pays ne dispose que de 67 km de côtes, la Belgique abrite le second port commercial européen et 13ᵉ dans le monde, Anvers-Bruges, avec 271 millions de tonnes de transbordement chaque année, derrière les 440 mt du port de Rotterdam du voisin néerlandais.

port anvers
le port d’Anvers-Bruges est le second port de l’Union Européenne, avec 271 mt de transbordement annuels.

En outre, sa zone économique exclusive de 3 500 km2, dépasse en superficie plusieurs des régions du pays. Pourtant, la Composante Marine, désignation officielle de la Marine Belge, est une des forces navales les plus compactes en Europe, avec seulement 1 500 hommes, dont 200 réservistes, cinq chasseurs de mines Tripartite, 2 patrouilleurs de la classe Castor, et surtout, deux frégates de la classe Karel Doorman, le Leopold 1ᵉʳ, et la Louise-Marie.

En dépit de ce format, la Composante Marine est très active, participant fréquemment aux exercices internationaux et forces de réaction navale, notamment au sein de l’OTAN, ou en accompagnant, régulièrement, le porte-avions français Charles de Gaulle.

C’est ainsi que la Louise-Marie devait rejoindre, le 12 avril, la mission européenne Aspide en mer Rouge, pour protéger le trafic commercial contre les missiles et drones Houthis. À cet effet, la frégate participa à un exercice de tir réel en Méditerranée, pour engager et détruire un drone cible reproduisant les caractéristiques des drones d’attaque employés par les rebelles Houthis, en présence de l’Amiral Michel Hofman, le chef d’état-major des Armées belges.

Échec d’un tir de missile RIM-7 Sea Sparrow contre un drone cible en Méditerranée

Toutefois, l’exercice ne s’est pas déroulé comme attendu. En effet, le missile RIM-7 Sea Sparrow, principal armement antiaérien de la frégate, est resté bloqué dans son silo vertical du système Mk48.

Peu de détails ont été donnés, à cette heure, concernant cet incident. Au mieux, sait-on que la frégate belge n’a pas été en mesure d’intercepter le drone, ni à l’aide d’un autre missile, ni de son canon de 76 mm OTO-Melara ou de son CIWS Goalkeeper de 30 mm.

frégate louise-marie tir d'un missile Sea Sparrow
Tir d’un missile RIM-7 Sea Sparrow à partir de la frégate belge Louise-Marie

On ne sait surtout pas ce que recouvre le terme « missile bloqué dans son silo » rapporté par la presse néerlandaise. En effet, entre un missile qui n’a pas pu être lancé faute d’avoir obtenu les informations de tir, ou un défaut d’allumage du booster du missile, les conséquences peuvent être très différentes, y compris dans la poursuite de l’exercice et/ou de la mission.

Le déploiement de la frégate Louise-Marie en mer Rouge reporté par la Marine Belge

Quoi qu’il en soit, la Composante Marine a annoncé le report du déploiement de la frégate en mer Rouge. Selon l’état-major des Armées belges, le navire demeurera en Méditerranée, pendant que les investigations entourant ce, ou ces incidents, soient menées, et qu’il ait la certitude de pouvoir déployer le navire en zone de combat de façon sûre.

Celui-ci laisse entendre que d’autres entrainements auront également lieu, toujours en Méditerranée, pour s’assurer du bon fonctionnement de l’ensemble des systèmes. Ceci n’ira pas sans poser certains problèmes.

En effet, la frégate Louise-Marie, comme tous les navires de la classe Karel Doorman, n’emporte que 16 missiles RIM-7 Sea Sparrow dans ses silos Mk48. L’expérience alliée en mer Rouge a montré que les escorteurs, déployés dans cette zone, peuvent rapidement consommer beaucoup de munitions surface-air, pour répondre à l’agressivité débridée des Houthis dans ce domaine.

Frégate Léopold 1er escorte PAN Charles de Gaulle
La frégate belge Léopold 1er escorte le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle français.

Or, si la frégate doit déjà se défaire de deux ou trois de ses missiles, avant même d’entrer en mer Rouge, pour s’assurer de leur bon fonctionnement, on peut penser qu’elle risque de rapidement se trouver à court de munitions surface-air, une fois en situation opérationelle. Ce d’autant que le RIM-7 Sea Sparrow n’est pas le plus performant des missiles dans ce domaine, surtout s’il doit faire face à des drones ou des missiles de croisière évoluant à très basse altitude.

Inquiétudes croissantes sur les capacités opérationnelles de certaines Marines de l’OTAN

Cet épisode n’est pas sans rappeler les problèmes critiques rencontrés par une autre frégate de l’OTAN, lorsque le 9 mars, la frégate danoise Iver Huitfeldt n’est pas parvenue à lancer ses missiles ESSM contre des drones Houthis, et qu’elle aurait par la suite, rencontré des problèmes avec ses munitions 76 mm.

Cet épisode avait provoqué le retrait précipité de la frégate danoise de mer Rouge, l’équipage n’étant pas parvenu à rétablir la communication entre son radar de tir APAR et ses missiles ESSM.

Plus tôt, c’était la frégate allemande Hessen qui avait fait face à des incidents de tir dans le lancement de deux missiles SM-2. Fort heureusement, puisque la cible était, en réalité, un missile MQ-9 Reaper américain évoluant dans la zone pour une mission antiterroriste, sans IFF, et sans avoir préalablement prévenu les navires évoluant dans la zone.

frégate danoise Iver Huitfeldt
La frégate danoise Iver Huitfeldt a fait face à un incident de tir majeur en opération face aux drones Houthis

Si l’équipage allemand est parvenu à résoudre le problème technique, permettant à la frégate antiaérienne de la Bundesmarine de poursuivre sa mission, il s’agit là, donc, d’un troisième incident majeur touchant une frégate de l’OTAN déployée en, ou vers la mer Rouge, concernant la mise en œuvre de systèmes d’arme majeurs.

Certes, les frégates et destroyers français, britanniques et italiens, ont montré une fiabilité élevée et une grande efficacité sur ce théâtre, mais force est de constater que plusieurs marines européennes, disposant pourtant de navires de premier rang, rencontrent d’importantes défaillances, faisant peser un doute réel sur leur caractère opérationnel, alors que les tensions sont au plus haut depuis 1985.

Le remplacement des frégates classe Karel Doorman plus urgent que jamais

Cet épisode est particulièrement pesant concernant la Composante Marine, dont les deux frégates de la classe Karel Doorman, devaient initialement être remplacées à partir de 2027 par deux nouvelles frégates.

Ces navires de 145 mètres et 6.400 tonnes, spécialisés dans la lutte anti-sous-marine, ont été commandés en 2017 par La Haye et Bruxelles, à raison de deux frégates pour chaque marine, avec une première frégate pour la Koninklijke Marine néerlandaise en 2024, et en 2027 pour la Composante Marine.

En 2020, ce planning glissa une première fois pour 2028 pour la première frégate néerlandaise, et 2029 ou 2030 pour le premier navire belge. En 2023, enfin, le calendrier, que l’on espère définitif, prévoit la livraison de la première frégate pour 2029 aux Pays-Bas, en 2030 en Belgique.

Nouvelles frégates ASM belges
Les nouvelles frégates qui remplaceront les Karel Doorman de la marine belge seront livrées en 2030 et 2031.

À ce moment-là, les deux frégates belges Karel Doorman auront toutes deux 39 ans, bien au-delà de la durée de vie prévue pour ce type de navire. Pire encore, leurs 16 RIM-7 Sea Sparrow sont des missiles plus que datés, d’une portée inférieure à 15 km, aux capacités incertaines d’interception contre des missiles antinavires subsoniques à trajectoire rasante, et inexistantes contre des missiles antinavires supersoniques élevés ou balistiques, donc incapables de répondre aux menaces modernes.

Dans ce contexte, on peut se demander s’il est même raisonnable de déployer ces navires en mer Rouge, ou plus globalement, en zone d’engagement potentiel, sans faire prendre des risques démesurés au navire et surtout, à son équipage.

En outre, il apparait qu’il est certainement plus urgent que jamais, de remplacer ces deux frégates, trois avec la frégate Van Amstel, dernière unité de cette classe toujours en service au sein de la Marine néerlandaise. Ou peut-être de les moderniser rapidement dans le domaine antiaérien, tant elles semblent inadaptées à la réalité de la menace navale aujourd’hui.

Le fait est, si la Koninklijke Marine peut aujourd’hui s’appuyer sur ses quatre frégates de la classe De Zeven Provincien, mieux armées et plus modernes, la Composante Navale, elle, n’a que les frégates Léopold 1ᵉʳ et Louise-Marie, pour maintenir une action à la mer de premier rang.

SSN-AUKUS est-il une option réaliste pour le Canada ?

À l’occasion d’une annonce, fort attendue par les armées canadiennes, d’une hausse à venir des dépenses de défense par Ottawa, le premier Ministre Justin Trudeau, a annoncé s’être entretenu avec ses homologues américains, britanniques et australiens, au sujet d’une possible adhésion du Canada à l’alliance AUKUS.

Le dirigeant a également fait part de discussions, avec ces mêmes interlocuteurs, pour qu’Ottawa puisse rejoindre, éventuellement, le programme SSN-AUKUS, visant à concevoir un sous-marin nucléaire d’attaque de nouvelle génération pour équiper les marines britanniques et australiennes.

Or, si le choix de la propulsion nucléaire pour les futurs sous-marins d’attaque canadiens, aurait beaucoup de sens, l’ensemble des autres paramètres, concernant cette hypothèse, allant du calendrier aux couts d’un tel programme, sonnent faux face aux réalités canadiennes.

Vers une extension de l’alliance AUKUS pour faire face à la Chine dans le Pacifique

Depuis plusieurs semaines, les États-Unis multiplient les ouvertures diplomatiques pour tenter de renforcer l’alliance AUKUS, face aux tensions croissantes avec la Chine. C’est ainsi que le sujet a été évoqué avec le premier ministre japonais Fumio Kishida, à l’occasion de sa visite officielle à Washington pour rencontrer le président Biden.

Sous-marin classe Taigei JSDF
Le Japon dispose d’une puissante flotte sous-marine conventionelle, qui se modernise rapidement avec l’arrivée des Taipei, premiers sous-marins dotés de batteries Lithium-ion.

Pour Tokyo, il s’agirait de rejoindre le second pilier de l’alliance AUKUS, ne portant que sur la coopération militaire, et non sur sa participation au programme de sous-marin nucléaire d’attaque SSN-AUKUS.

Rappelons que les forces navales d’autodéfense nippones disposent déjà d’une très performante flotte sous-marine, en cours de modernisation avec les nouveaux sous-marins de la classe Taïgei, premiers navires équipés de batteries Lithium-ion. En outre, constitutionnellement, le pays n’a pas la possibilité de déployer ses forces, limitant considérablement l’utilité de sous-marins à propulsion nucléaire.

Justin Trudeau évoque des discussions avec les États-Unis, le Royaume-Unis et l’Australie pour rejoindre AUKUS

Ce n’est pas du tout le cas, en revanche, du Canada. Non seulement Ottawa partage, avec les trois membres créateurs de l’alliance AUKUS, son appartenance aux Five Eyes, les alliés les plus proches des États-Unis, mais le pays n’a pas les contraintes constitutionnelles qui encadrent l’utilisation des forces armées japonaises.

En outre, la Marine royale canadienne a engagé un programme pour remplacer ses quatre sous-marins de la classe Victoria, par six à douze nouveaux sous-marins, pour renforcer simultanément sa présence sur sa façade Atlantique et Pacifique.

Vctoria-class sous-marin
Les 4 sous-marins de la classe Victoria de la marine royale canadienne, sont entrés en service entre 1990 et 1993.

Il n’est donc pas surprenant, dans ces circonstances, que le Canada envisage, lui aussi, de rejoindre l’Alliance Aukus, de sorte à calquer la bascule qu’opère aujourd’hui le voisin et protecteur américain vers le Pacifique.

Il y a quelques jours, le premier ministre Justin Trudeau, a ainsi annoncé qu’il s’était entretenu avec ses homologues américains, britanniques et australiens, pour rejoindre l’alliance AUKUS, mais aussi pour acquérir, comme l’Australie, des sous-marins nucléaires d’attaque SSN-AUKUS, en lieu et place du programme actuel visant des sous-marins à propulsion conventionnelle auquel six entreprises occidentales participent (Kockums, Naval Group, TKMS, Navantia, Hanwaa Ocean et Mitsubishi).

Le choix de la propulsion nucléaire pour les sous-marins canadiens est une évidence

En dehors de tout contexte, la propulsion nucléaire correspondrait effectivement aux besoins de la Royal Canadian Navy. Celle-ci doit, en effet, intervenir sur trois océans, l’Atlantique, le Pacifique et l’océan Arctique, sous banquise plusieurs mois dans l’année.

En outre, les tensions autour des revendications arctiques avec la Russie sont croissantes, alors que Moscou renforce rapidement sa flotte de sous-marins à propulsion nucléaire, avec la classe project 885M Iassen-M, des navires parfaitement adaptés pour évoluer dans ces eaux glacées.

Sous-marin Iassen
La flotte sous-marine russe se modernise rapidement avec l’arrivée des DDGN de la classe Iassen-M

Enfin, au-delà de la protection des eaux et emprises territoriales, les sous-marins canadiens ont vocation à opérer sur de grandes distances, dans l’Atlantique nord dans le cadre de l’OTAN face à la Russie, et dans le Pacifique, face à la Chine, surtout si Ottawa rejoint, comme Tokyo, le second pilier de l’alliance AUKUS.

De fait, d’un point de vue purement opérationnel, se tourner vers des SNA serait largement préférable pour la Marine canadienne, alors que la participation au programme SSN-AUKUS avec trois autres membres des Five-Eye, s’imposerait d’elle-même, pour des raisons de proximités technologiques.

Malheureusement pour Ottawa, aujourd’hui, une telle décision serait presque impossible à prendre, tout au moins pas sans prendre des risques très importants pour les forces sous-marines canadiennes sur les 25 à 30 années à venir.

Le calendrier SSN-AUKUS ne correspond pas aux besoins de Marine canadienne

La première des impossibilités factuelles, à laquelle Ottawa se heurterait, en rejoignant le programme SSN-AUKUS, concerne le calendrier du remplacement de ses 4 sous-marins de la classe Viktoria.

Ces navires, initialement construits pour la Royal Navy, ne sont entrés en service qu’en 2000 (RCN Viktoria), 2003 (RCN Corner Brook et Windsor), et même 2015 (RCN Chicoutimi) au sein de la Royal Canadian Navy. Ils sont, cependant, entrés en service entre 1990 et 1993 dans la Royal Navy, et ont donc, aujourd’hui, de 31 à 34 ans de service.

Sous-marin classe Victoria
Les Victoria canadiens ont déjà 31 à 34 années de service. Ils ne pourront rester opérationnels plus que quelques années encore.

Sur la base du calendrier prévisionnel du programme SSN-AUKUS, le premier navire, à destination de la Royal Navy, n’entrera en service qu’en 2038 ou 2039, et à partir de 2040 pour la Royal Australian Navy. À ce moment-là, les navires canadiens auront donc 46 à 49 ans, ce qui est, dans les faits, inenvisageable pour ce type de navire, sauf à la garder au port.

Surtout, ni la Grande-Bretagne, ni l’Australie, ne seront prêts à reporter certaines de leur livraison, pour permettre un lissage de livraison pour le Canada, alors qu’accélérer le programme semble, à ce jour, inenvisageable, pas sans remettre en question un calendrier déjà particulièrement délicat à établir.

Des capacités industrielles américaines supplémentaires inexistantes pour une solution intérimaire

Deuxième écueil, et non des moindres, les chantiers navals américains seront, selon toute vraisemblance, incapables de produire davantage de sous-marins pour, éventuellement, produire une solution intérimaire, comme cela est prévu pour l’Australie.

Rappelons que, comme Ottawa, Canberra est pressé par le remplacement de ses six sous-marins de la classe Collins, des navires pourtant presque dix ans plus récents que les Viktoria canadiens.

Pour cela, l’Australie doit acquérir de trois à cinq sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Virginia, dont deux d’occasion, auprès de l’US Navy et de l’industrie navale US, de 2034 à 2036.

Virginia construction
l’industrie navale US ne parvient pas à soutenir simultanément les 2,4 sous-marins nucléaires necessaires au seul renouvellement de l’US Navy.

Or, la faisabilité de cette vente est encore loin d’être acquise, le Congrès américain ayant imposé que ces ventes n’entravent pas le plan de montée en puissance et de modernisation de l’US Navy, qui prévoit de disposer de 60 SNA modernes, à horizon 2045, alors qu’elle ne dispose aujourd’hui que de 48 navires, dont plus d’une vingtaine de Los Angeles à remplacer.

En effet, les chantiers navals américains ne parviennent pas à accroitre les cadences de livraisons, en partie en lien avec des difficultés RH, alors qu’à la construction des SNA actuellement en cours, va s’ajouter celle, en urgence, des SNLE de la classe Columbia dans les années à venir.

En d’autres termes, il est très improbable que Washington puisse proposer, à Ottawa, la vente de SNA, qu’ils soient neufs ou d’occasion, pour remplacer ses Viktoria qui ne pourront plus naviguer d’ici à quelques années, dans l’attente des premières livraisons de SSN-AUKUS, au-delà de 2040.

Le budget de la défense canadien incapable de soutenir une participation au programme SSN-AUKUS

Le dernier mur auquel se heurtent, aujourd’hui, les ambitions exprimées par Justin Trudeau, n’est autre que le budget famélique des Armées canadiennes, bien trop insuffisant pour soutenir l’acquisition et la mise en œuvre de sous-marins nucléaires d’attaque.

Ottawa consacre, en effet, à ses armées, 22 Md$ aujourd’hui, soit 1,38 % de son PIB. Le premier ministre Justin Trudeau a promis d’amener ce budget à 30 Md$ et 1,76% du PIB d’ici à 2030.

F-35A
Le Canada va devoir financer, dans les années à venir, plusieurs programmes d’acquisitions ambitieux, dont celui de 88 F-35A Pour 15 Md$.

Dans le même temps, le pays s’est engagé dans plusieurs programmes majeurs, avec l’acquisition de 88 F-35A pour 15 Md$, de 14 avions de patrouille maritime P-8A Poseidon pour 6 Md$, ou encore de 15 frégates pour 26 Md$, consommant, à eux seuls, le surplus budgétaire de 87 Md$ canadiens annoncés par le Premier ministre d’ici à 2030.

Dans le même temps, le programme Australien, pour 8 SNA dont 3 Virginia et 5 SSN-AUKUS, va couter, selon les estimations, plus de 300 Md$ sur la durée de vie des navires, et autour de 50 Md$ en termes d’acquisition seule. Canberra consacre aujourd’hui 54 Md$ australiens, 35 Md$, et 2,1 % PIB, à son effort de défense, et prévoit de l’amener, en grande partie pour financer SSN-AUKUS, celui-ci au-delà de 40 Md$ et 2,4 % PIB en 2030.

Malgré ces ressources supplémentaires, Canberra a revu à la baisse plusieurs de ses programmes majeurs, dont celui des frégates, et des véhicules de combat d’infanterie, pour libérer des crédits vers SSN-AUKUS.

Conclusion

On le voit, si le choix de se tourner vers des sous-marins à propulsion nucléaire s’avèrerait pertinent pour répondre aux besoins de la Royal Canadian Navy, et si rejoindre l’alliance AUKUS s’impose à plus ou moins court terme pour Ottawa, se tourner vers les SSN-AUKUS, semble relever d’un vœu pieux, dans le meilleur des cas.

Classe Suffren
la seule alternative réaliste pour Ottawa pour se doter de SNA, serait de se tourner vers les Suffren français; Mais cela a très peu de chances d’arriver.

En effet, ni le calendrier, ni les moyens budgétaires, ni les moyens industriels effectivement disponibles ou planifiés à ce jour, semblent répondre à un tel programme. Pire encore, certaines restrictions, comme les capacités industrielles effectivement disponibles, sont aujourd’hui davantage des constantes inamovibles, que des paramètres mobiles pouvant être adaptés, par exemple, en augmentant les crédits disponibles.

Paradoxalement, si Ottawa veut, effectivement, se tourner vers une flotte de SNA, la seule alternative effectivement crédible, budgétairement comme industriellement parlant, serait de se tourner vers la France, et vers l’acquisition, voire la construction locale, de SNA de la classe Suffren. Il serait toutefois très surprenant que Washington laisse Ottawa se tourner vers Paris dans ce domaine, après avoir produit tant d’effort pour sortir Naval group d’Australie.

Reste que faute de donner des garanties crédibles concernant la hausse massive des capacités de production industrielle des États-Unis ou de la Grande-Bretagne dans ce domaine, d’une part, et d’augmenter massivement le budget des Armées et l’effort de defense coté Canadien, de l’autre, il est probable que cette hypothèse tournera court, n’entrainant que des délais supplémentaires concernant le remplacement des déjà trop anciens sous-marins de la classe Victoria de la Marine Royale Canadienne.

Les Eurobonds Défense peuvent-ils rééquilibrer les acquisitions des armées européennes ?

Il y a quelques jours, la première ministre estonienne, Kaja Kallas, a proposé de recourir à des Eurobonds Défense, pour financer un plan européen destiné à financer la modernisation rapide des armées de l’UE.

À l’image des Coronabonds de la crise Covid, ces Eurobonds Défense permettraient de dépasser les entraves budgétaires qui, aujourd’hui, handicapent les armées européennes dans leur effort de modernisation, et les états dans le soutien militaire apporté à l’Ukraine.

Toutefois, cette initiative, selon la manière dont elle serait conçue, pourrait également être un précieux outil, pour étendre et moderniser l’industrie de défense européenne, en particulier en incitant les européens à se tourner bien plus qu’ils ne le font, aujourd’hui, vers des équipements militaires conçus et fabriqués sur le vieux continent.

Seuls 22% des acquisitions des armées de l’UE concernent les entreprises de défense européennes

En effet, selon un rapport récemment publié par l’IRIS, un think tank français, la part de matériels et équipements de défense de conception européenne dans les acquisitions récentes des armées du vieux continent, ne représenterait que 22 %, alors que les États-Unis, à eux seuls, engrangeraient 63 % de l’ensemble des investissements européens dans ce domaine.

F-35 USAF Elephant Walk
Sur 100 millions d’euro dépenses par les Armées européennes pour l’acqusition d’équipement de défense ces dernières années, 63 millions sont dépensés aux Etats-Unis, 15 millions dans des pays non européens, et seulement 22 millions au sein de la base indsutrielle et technologique de défense européenne.

En soi, ce pourcentage n’est en rien une surprise. En effet, ces dernières années, les industriels américains se sont taillés la part du lion dans les contrats d’armement passés par les pays européens, y compris dans des domaines dans lesquels les industries européennes disposent pourtant d’offres performantes et compétitives.

On pense naturellement au raz-de-marrée F-35, choisi ou bientôt choisi par plus d’une quinzaine de force aérienne européenne, y compris dans des pays disposant d’un avion de combat performant de conception locale, comme c’est le cas de l’Allemagne, de l’Italie, et très probablement bientôt, de l’Espagne, avec le Typhoon.

C’est aussi le cas dans la défense antiaérienne, avec le Patriot choisi par 5 pays européens, là où le SAMP/T Mamba européen, au moins aussi performant, et moins onéreux, n’est en service qu’en France et en Italie, les deux pays qui l’ont conçu.

Au-delà des États-Unis, d’autres pays ont effectué des percées spectaculaires ces dernières années en Europe, en particulier la Corée du Sud avec le char K2 et le canon automoteur K9, ou encore Israël, avec le canon porté ATMOS, ou encore différents systèmes de missiles, comme le missile antichar SPIKE.

À chaque fois, il existe au moins un, parfois plus, matériel européen, aux performances identiques, voire supérieures, et pourtant ignoré par les armées et dirigeants européens qui, dans le même temps, ont validé la Boussole Stratégique européenne, visant à, précisément, accroitre l’autonomie stratégique de l’UE dans le domaine de l’industrie de défense.

Mettre l’achat de matériels européens au cœur du modèle d’Eurobonds Défense

C’est précisément là que le principe des Eurobonds Défense, proposés par la PM estonienne Kaja Kallas, destinés à financer la modernisation des armées européennes pour faire face à l’évolution rapide de la menace, peut jouer un rôle déterminant et structurant, en faveur d’un profond changement culturel au sein des armées de l’UE.

Eurobonds Defense Kaja Kallas
S’exprimant lors de la Munich Security Conference 2024, Kaja Kallas, la PM estonnienne, a soutenu l’idée de lancer un fonds européen de 100 Md€, destiné à moderniser les armées européennes, et financé par des Eurobonds Défense.

Bien évidemment, il serait inutile d’espérer pouvoir imposer que les équipements financés par le fonds européen ainsi créé, soit simplement réservés aux seules entreprises européennes de l’armement.

Une telle mesure, en effet, ne résisterait pas longtemps au lobbying, tant des États-Unis et de son industrie de défense, que des pays européens habitués à se tourner vers Washington, mais également vers Séoul ou Jérusalem, pour leurs contrats d’armement.

Toutefois, il est possible de lier, structurellement, la soutenabilité financière de la mesure, à l’achat d’équipements produits au-delà d’un certain taux de représentativité, au sein de l’Union européenne, rendant beaucoup plus difficile, aux exportateurs d’armements traditionnels, et à leurs clients européens, de venir faire pression sur le sujet.

Le retour budgétaire de l’industrie de défense au cœur de soutenabilité d’un fonds européen pour moderniser les armées

Pour y parvenir, il convient de mettre le retour budgétaire généré par l’activité de l’industrie de défense européenne, au cœur même du modèle de soutenabilité économique des Eurobonds Défense, et du fonds européen d’investissement attaché.

Patriot Allemagne
Pourtant disposant d’une puissante industrie de défense, l’Allemagne est un client important de l’indsutrie de l’armement américaine, auprès de laquelle elle a recemment commandé des P8 Poseidon, des F-35 ou encore des missiles Patriot.

Rappelons, d’abord, comme évoqué dans un précédent article sur le sujet, que la Commission Européenne ne pourra pas transposer le modèle économique des Coronabonds à celui des Eurobonds Défense. Les Coronabonds ont, en effet, déjà préempté l’ensemble des marges de manœuvre budgétaires employées pour financer leur soutenabilité.

Il est donc indispensable, pour donner vie aux Eurobonds Défense, d’imaginer une autre source de revenues, susceptible de financer une partie des investissements sous forme d’aides directes, sur lesquels ils seraient construits, les autres 50 % étant financés par un principe de prêts à taux réduits, comme les Coronabonds.

C’est précisément là qu’intervient une notion que les lecteurs de Meta-Defense connaissent déjà, le retour budgétaire, développé dans la doctrine Défense à Valorisation Positive. Rappelons qu’il représente l’ensemble des montants récupérés par l’État, sous la forme de taxes, de cotisations sociales, et d’économies sociales, auprès de l’industrie de défense, de son réseau de sous-traitants, et du ruissèlement économique engendré par leur activité, consécutif de l’investissement dans l’industrie de défense.

En France, par exemple, ce taux est proche de 50 %, et le dépasse même lorsque l’on tient compte des effets des commandes d’état sur les exportations d’équipements de défense. En Europe, sur la seule base du taux moyen de prélèvement, ce retour budgétaire évolue entre 35 et 45 %, soit un montant proche des 50 % recherchés pour financer la soutenabilité des Eurobonds.

Ligne d'assemblage Rafale Merignac
L’industrie de défense française représente 9% des exportations mondiales d’armement, mais seulement 3 % des acquisitions européennes d’equipement de défense .

Mieux, encore, lorsque l’on observe la répartition de l’industrie de défense européenne, celle-ci se concentre, aujourd’hui, avant tout dans des pays ayant des taux de prélèvement élevés, comme la France (45,4 %), l’Allemagne (42,4 %), en Suède (43,5 %), ou en Italie (43,6 %). (données INSEE 2021).

Comment financer les Eurobonds Defense par le retour budgétaire de l’industrie de défense européenne.

Dans ce contexte, il est possible de concevoir la soutenabilité des Eurobonds Défense, en trois couches successives :
– 50 % sous la forme de prêts à taux réduit aux états
– 40 % sous la forme d’une captation du retour budgétaire généré par les investissements réalisés, et payés non par le client, mais par le ou les pays qui produisent les équipements.
– et enfin 10 %, financés par l’Union européenne, à l’instar des 50 % financés dans le cadre des Eurobonds

Dans ce modèle, seuls 50 % des montants investis viendraient s’imputer à la dette souveraine des Etats, alors qu’aucun des investissements consentis ne viendrait directement s’imputer aux déficits publics, permettant de contourner les obstacles qui, aujourd’hui, entravent cette démarche.

Surtout, sans venir explicitement contrevenir aux règles commerciales internationales, cette approche privilégierait considérablement les industries de défense européennes, sachant que les taux de prélèvement aux États-Unis (25 %), ou en Corée du Sud (20 %), sont beaucoup plus faibles qu’en Europe, ne permettant pas de soutenir un tel modèle.

chars K2 polonais
Outre les Etats-Unis, la Corée du Sud et Israel figurent sur le podium des pays exportant le plus d’armement vers l’Union Européenne.

En outre, même dans le cas des constructions locales, seules ce qui sera effectivement produit et investi en Europe, sera éligible à cette approche, rendant simultanément plus attractifs les accords de ce type avec la BITD européenne, tout en venant handicaper les accords d’habillage européen d’équipements étrangers, comme dans le cas des Eurospike par exemple.

D’immenses difficultés pour convaincre en Europe de la nécessité de privilégier les achats d’équipements locaux

Reste que si ce modèle peut paraitre équilibré, et même indispensable pour répondre à l’évolution de la menace, il n’en sera pour autant pas moins difficile à imposer en Europe. En effet, la dépendance, et l’appétence, des États et armées européennes, aux équipements américains, ou tout du moins, non européens, sont telles, qu’il sera très ardu de faire adopter une mesure aussi contraignante à l’ensemble des chefs d’État.

Surtout, il est fort probable que formatée ainsi, le fonds d’investissement européen soit perçu comme une mesure visant à promouvoir la vente d’équipements de certains pays européens, la France en particulier, alors qu’aujourd’hui, celle-ci ne représente que 3 % de l’ensemble des ventes d’équipements de défense en Europe.

Eric Trappier PDG Dassault AVIATION
le discours très offensif d’Eric Trappier contre la Belgique, au sujet de sa possible adhésion au programme SCAF, ne bénificie probablement pas à l’image de la BITD française en Europe.

Pour y parvenir, il serait indispensable, pour Paris, de profondément faire évoluer son image, et celle de son industrie de défense, auprès d’une majorité de chancelleries européennes, et de leurs opinions publiques, y compris en faisant jouer le rôle déterminant que pourra jouer sa dissuasion dans la protection de l’ensemble de l’UE, le cas échéant.

C’est, d’ailleurs, probablement cette image détériorée de la France et de ses armées, il est vrai en partie liée à un travail de sape organisé outre-atlantique, et du poids relatif de son industrie de défense, seule industrie globale du vieux continent, qui entraverait l’émergence de véritables mesures en faveur de l’industrie de défense européenne, aujourd’hui.

Malheureusement, ni les dirigeants français, et encore moins les industriels de la BITD française, ne semblent pas vraiment se soucier de ces questions d’image et d’opinion publique européenne, comme le montre, par exemple, les attaques en règle menée contre les pays européens faisant le choix de matériels européens, ce qui flatte, certes, l’ego des français, d’une certaine manière, mais n’améliore en rien la situation, bien au contraire.