Il y a quelques jours, la Marine Royale Danoise publiait un communiqué concernant l’intervention de la frégate Iver Huitfeldt, pour détruire quatre drones Houthis lancés contre elle et contre les navires escortés. Le 9 mars, vers 04h00 du matin, le navire danois détectait plusieurs drones Houthis, et les avait détruits, avec l’armement de bord, avant qu’ils n’atteignent leurs cibles.
Ce succès avait été largement mis en avant par la presse danoise. Peut-être hâtivement. En effet, selon le site danois Olfi, spécialisé dans les questions de défense, la frégate aurait rencontré plusieurs problèmes successifs, à ce moment-là, dans la mise en œuvre de ses armements, ayant mis en danger le navire et la mission.
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La frégate Iver Huitfeldt de la Marine danoise quitte précipitamment la mer Rouge
Le site danois cite, à ce sujet, un message envoyé par le commandant du navire quelques jours plus tard à l’OTAN, en communication restreinte, exposant les différents mauvais fonctionnements auxquels le navire a été exposé durant cette mission, et qui n’ont pas, au moment de la rédaction du message, de solution.
Sans que l’on sache, en l’absence de communication officielle de la part de la Marine danoise, si c’est lié, ou pas, la frégate Iver Huitfeldt a, peu de temps après ce message, quitté la zone d’engagement, pour prendre le chemin de son port danois, alors qu’elle devait rester sur place encore jusqu’à la mi-avril.
Quant aux révélations du site Olfi, elles ont rapidement provoqué l’émoi et la colère dans la classe politique danoise, et un grand embarras de la part du ministre de la Défense, qui a assuré ne pas avoir été informé du sujet, et avoir diligenté des investigations en ce sens.
Impossible de lancer les missiles ESSM contre les drones Houthis
Il faut admettre que les problèmes rencontrés par la frégate Iver Huitfeldt, ce 9 mars, selon cette communication citée par le site danois, ont de quoi inquiéter. Ainsi, une fois les drones Houthis détectés par les radars de la frégate antiaérienne, celle-ci entrepris d’employer l’un des 24 missiles antiaériens à courte et moyenne portée ESSM, embarqués dans les 12 silos de son système VLS Mk56.
Plus économique que les 32 missiles antiaériens SM-2 embarqués dans le système Mk41 du navire, l’ESSM est un missile d’une portée d’une portée pouvant atteindre 50 km, et suffit tout à fait pour traiter de type de cible. Pour peu qu’il parte effectivement…

En effet, pendant 30 minutes, la frégate danoise a été incapable de lancer ses missiles. Selon les informations disponibles, il semblerait que le radar APAR, employé pour la surveillance à courte portée et le guidage des ESSM, et le système de combat C-FLEX du navire, ne sont pas parvenus à communiquer, empêchant le tir des missiles.
Conçu par Thales Netherland, le radar APAR est employé sur de nombreux navires occidentaux. Le Combat Management System (CMS) C-FLEX, a été conçu par le Danemark pour ses propres navires. Le missile ESSM, lui, est conçu par Raytheon. Si ces trois systèmes ont montré leurs performances indépendamment, il semble, qu’à bord de l’Iver Huitfeldt, ceux-ci ne sont pas parvenus à communiquer, bloquant le système à un moment des plus critiques.
Si, en lieu et place de drones, la menace Houthis avait été composée de missiles antinavires, un tel dysfonctionnement aurait certainement pu engendrer des conséquences dramatiques, pour la frégate, et/ou pour les navires escortés.
Vieux de 30 ans, les obus antiaériens de 76 mm explosent bien avant la cible
Fort heureusement, il s’agissait de drones. Et contre de telles cibles, relativement lentes et peu évolutives, d’autres navires occidentaux avaient déjà démontré toute l’efficacité du canon de 76 mm OTO-Melara. Le Iver Huitfeldt, dispose de deux de ces canons.
Une fois à portée de tir, le navire danois entrepris donc de traiter les cibles avec cette artillerie navale. Elle y parvint, mais pas sans se faire une grosse frayeur. En effet, les obus tirés par les deux canons, ont commencé à exploser à des distances incohérentes, parfois même à peine étaient-ils sortis du tube, fort heureusement, sans faire de blessé, ni infliger de dégâts au navire.
De toute évidence, les fusées de proximité d’un grand nombre des obus employés, ont été défaillantes, pour provoquer ce comportement hiératique. Il semblerait, toujours selon Ofi, que ces munitions étaient vieilles de plus de 30 ans, et avaient été réarmées en 2005 de nouvelles fusées de proximité, qui ne conviennent pas à une utilisation au combat.
Des problèmes qui mettent en danger le navire et ceux qu’il escorte
Ces deux défaillances critiques consécutives, n’ont pas entrainé de conséquences dramatiques. Les canons OTO-Melara de 76 mm couplés au radar de conduite de tir CEROS 200 de Saab, étant particulièrement efficaces, les quatre drones Houthis ont pu être abattus.
Toutefois, si, en lieu et place de drone volant à 200 km/h, la frégate danoise avait dû faire face à des missiles de croisière, voire à une attaque combinée, il est très possible que la conclusion aurait été très différente, et bien plus dramatique. On comprend, dès lors, la colère de la classe politique danoise, d’autant que, semble-t-il, l’un de ces problèmes n’a rien de nouveau.
En effet, l’inadéquation des obus de 76 mm pour une utilisation en zone de combat, avait été documentée depuis de nombreuses années, sans qu’aucune action ait été entreprise pour la corriger.
Pire encore, malgré les investigations et tentatives de correction menées par l’équipage, la communication entre le radar APAR et le CMS C-FLEX, n’a pas été rétablie, un problème de jetons, semble-t-il, bloquant le système.
De fait, le navire se trouvait à devoir utiliser ses conduites de tir CEROS plutôt que le radar APAR, limitant considérablement ses capacités défensives, en particulier pour suivre et engager simultanément plusieurs cibles. Sans que cela ait été officialisé, ces raisons sont très probablement à l’origine du départ précipité de la frégate danoise de mer Rouge, pour retourner à son port d’attache dans les jours à venir.
De nouvelles conséquences des « bénéfices de la paix » en Europe
Si ces révélations pourront en faire sourire certains, elles seront prises au sérieux par de nombreux marins, au Danemark et partout en Europe. En effet, les dysfonctionnements critiques expérimentés par la frégate Iver Huitfeldt, montrent des défaillances sévères en matière de maintenance, d’entrainement et de modernisation, au sein des forces navales danoises.
Or, comme de nombreux autres pays européens, le Danemark s’était pleinement engagé dans la baisse des crédits de défense dans les années 2000 et 2010, en application des Bénéfices de la Paix, pour atteindre un plancher à 1,1 % de son PIB entre 2014 et 2017. Il ne dépassera pas 1,6 % du PIB en 2024, même si les autorités ont promis un important effort pour atteindre les 2 % demandés par l’OTAN en 2030.

En dépit de cette trajectoire, il faudra de très nombreuses années pour que ces hausses (promises), finissent d’apurer les conséquences de 20 années de sous-investissements, d’autant qu’il est souvent tenant, pour les autorités politiques, d’attacher à ces hausses de crédits, des hausses de format ou de nouvelles acquisitions, très ostentatoires, mais venant amputer les budgets consacrés à la simple reconstruction des capacités perdues.
Conclusion
Nul doute que l’équipage de la frégate Iver Huitfeldt a dû vivre des moments particulièrement désagréables ce 9 mars au matin. Qu’un système tombe en panne au pire moment, c’est extrêmement stressant, mais cela arrive. Qu’un second système montre, au même moment, des signes de mauvais fonctionnement flagrants, peut gravement remettre en question sa confiance dans le navire, voire dans la chaine de commandement et dans la Marine, elle-même.
Sortir la frégate du théâtre d’engagement, était très certainement la seule chose à faire, à court terme, pour éviter qu’un drame n’arrive. Toutefois, il faudra produire des explications très crédibles, et des processus de corrections globaux allant bien au-delà des seuls systèmes concernés, pour éviter que cet épisode ne créé des effets délétères à moyen termes, sur les militaires eux-mêmes, alors que les ressources humaines sont, au Danemark comme ailleurs, au cœur des préoccupations des armées.
Quant au ministre de la Défense danois, Troels Lund Poulsen, il va certainement passer au travers de moment difficile dans les semaines et mois à venir, autour de ce scandale sous couveuse.
S’il n’est en poste que depuis aout 2023, il pourrait lui être reproché le jeu de chaises musicales, joué avec son prédécesseur, Jakob Ellemann-Jensen, avec qui il a interverti le portefeuille des affaires économiques, après que ce dernier a été mis en cause autour de l’appel d’offres pour le remplacement des CAESAR 8×8 donnés par Copenhague à Kyiv, ayant très largement privilégié l’Atmos israélien, bien au-delà du raisonnable, peut-être du légal.
Les petites ententes politiques danoises, alors que l’équipage de la frégate Iver Huitfeldt s’est retrouvé dans un contexte extrêmement dégradé, dont les responsabilités remonteront, tôt ou tard, au ministère, auront certainement du mal à passer, dans les armées, la classe politique, et peut-être dans l’opinion publique du pays.





