lundi, décembre 1, 2025
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La présence de militaires français en Ukraine révélée par Olaf Scholz, le chancelier allemand

Avec des alliés pareils, qui a besoin d’ennemis ? C’est probablement ce que Français et Britanniques ont dû se dire, après la dernière sortie du chancelier allemand, Olaf Scholz. Pour justifier de sa décision de ne pas livrer des missiles Taurus à l’Ukraine, celui-ci a affirmé que l’Allemagne ne pouvait pas envoyer de militaires en zone de conflit, comme c’est le cas de la Grande-Bretagne, et de la France…

La présence de militaires français en Ukraine, comme britanniques, serait nécessaire à la mise en œuvre des missiles de croisière Scalp-EG et Storm Shadow

À en croire le chancelier allemand, en effet, il serait indispensable que des militaires allemands soient déployés sur place, afin de programmer les cibles et les trajectoires des missiles Taurus.

Bien évidemment, l’hypothèse de déployer des soldats allemands en Ukraine, même pour de discrètes missions de soutien, est inadmissible pour Olaf Scholz, qui semble plus que tout redouter une mise en cause de Berlin dans ce conflit.

Olaf Schoz
Le chancellier allemand, Olaf Scholz, a commi un grace impair, pour se dédouaner du refus de livrer des missiles Taurus à l’Ukraine, en révélant la présence de soldats français et britanniques en Ukraine.

« Les soldats allemands ne peuvent à aucun moment et en aucun endroit être liés aux cibles que le système (Taurus) atteint. Pas même en Allemagne » a-t-il déclaré pour préciser son propos et ses positions.

Face aux pressions croissantes des parlementaires allemands, en particulier ceux appartenant à l’opposition de droite, ce dernier a illustré son propos, en affirmant que la France et la Grande-Bretagne avaient justement déployé des militaires pour remplir cette mission auprès des forces aériennes ukrainiennes.

Un « abus flagrant du renseignement » selon Londres, qui fulmine contre le chancelier allemand Olaf Scholz

Si, pour l’instant en tout cas, Paris demeure discret sur la bourde faite par Olaf Scholz, ce n’est pas le cas de Londres, qui fulmine. « Il s’agit d’un abus flagrant de renseignement délibérément conçu pour détourner l’attention de la réticence de l’Allemagne à armer l’Ukraine de son propre système de missiles à longue portée« , a déclaré Tobias Ellwood, l’ancien président du comité défense de la chambre des Communes. Et d’ajouter « Cela sera sans aucun doute utilisé par la Russie« .

Missile de croisière Taurus
Proche du SCALP-EG/Storm Shadow, le Taurus est reclamé depuis de nombreux mois par les autorités ukrainiennes, qui se voient, systèmatiquement, opposer un refus ferme de Berlin.

Les autorités britanniques n’ont cependant pas démenti les propos allemands, même si, interrogées à ce sujet par la presse britannique, un porte-parole des forces aériennes ukrainiennes a précisé « L’utilisation de Storm Shadow par l’Ukraine et ses processus de ciblage sont l’affaire des forces armées ukrainiennes ».

Un cadeau absurde à Moscou, dans un contexte particulièrement tendu

Les déclarations d’Olaf Scholz, qu’il s’agisse de son refus insistant de livrer des missiles de croisière Taurus à Kyiv, mais aussi la présence de militaires français et britanniques, en soutien des armées ukrainiennes, constituent un formidable cadeau allemand à la propagande russe, qui n’en demandait pas tant.

Depuis quelques heures, les articles se multiplient, sur les médias russes, au sujet de ce refus, alléguant, par exemple, qu’il s’agirait d’un défaut de confiance vis-à-vis des autorités ukrainiennes, ou de la crainte, pour Berlin, que des armes allemandes puissent être employées pour frapper Moscou.

Su-24 ukrainien avec missiles Storm Shadow
Les missiles Storm Shadow, ou SCALP-EG, mis en oeuvre à partir des Su-24 ukrainiens, necessiteraient la présence sur place de miltiaires français et britanniques, pour la programmation des cibles et des trajectoires, selon Olaf Scholz.

Surtout, la révélation, par des voies officielles bien qu’indirectes, de la présence de militaires français et britanniques en Ukraine, en soutien aux forces armées ukrainiennes, ne manquera pas d’alimenter la propagande russe dans les jours à venir, et de déclencher des polémiques nationales, en particulier en France, ou le sait le sujet particulièrement sensible et clivant, dans l’opinion publique comme dans la classe politique.

Enfin, il ne fait guère de doute, qu’en faisant ces révélations, Olaf Scholz à dessiner une cible bien visible sur ces militaires européens, qui seront certainement ciblés par les frappes russes à venir, ne serait-ce que pour pouvoir revendiquer le sujet, et ce, même si aucune perte n’était à déplorer.

La crédibilité allemande entamée auprès de ses alliés

Quoi qu’il en soit, ce stupide épisode, il n’y a pas d’autres mots pour le qualifier, ne manquera pas de sensiblement éroder la confiance inter-alliée entre l’Allemagne et ses partenaires, en particulier la Grande-Bretagne, et peut-être la France.

militaires français en Ukraine installer A2SM ?
L’intégration des bombes guidés propulsées A2SM, promises par la France, aux chasseurs ukrainiens, necessitera certainement la présence d’autres opérateurs frnaçais en Ukraine, pour épauler et encadrer les personnels de maintenance des forces aériennes ukrainiennes.

Rappelons, à ce sujet, que quand le président turc, R.T Erdogan, avait révélé la présence de forces spéciales françaises, au Kurdistan syrien, cela avait provoqué une dégradation, particulièrement sensible et durable, des relations entre Paris et Ankara.

Il est probable, désormais, que Londres comme Paris, seront beaucoup plus prudents dans leur partage d’informations sensibles avec Olaf Scholz, si pas avec l’ensemble des autorités allemandes, et plus particulièrement s’agissant de la Russie ou de l’Ukraine. C’était bien le moment…

L’extension de la dissuasion française en Europe, accroit-elle les risques de conflit nucléaire avec la Russie ?

La semaine qui s’achève, ce 1ᵉʳ mars, aura été d’une intensité sans égale ces quarante dernières années, concernant le rôle des européens dans l’équation stratégique mondiale, le rôle de la France, dans cette nouvelle équation stratégique européenne, ainsi que le rôle des armées et de la dissuasion française, pour y parvenir.

Ces sujets, souvent complexes, ont été abordés dans une série d’analyses publiées sur ce site cette semaine. Dans le même temps, il est apparu que l’opinion publique française, comme la classe politique du pays, étaient particulièrement divisées sur ce sujet.

Alors qu’une partie des français demeurent convaincus qu’il est nécessaire de répondre à la menace russe en Ukraine et contre l’Europe, par la fermeté, et que la France, mais aussi sa dissuasion, ont un rôle stratégique et moteur à jouer en Europe, pour y parvenir ; une autre partie, en revanche, s’oppose fermement à ces hypothèses, mettant en avant les risques d’extension du conflit, avec, en bout de scène, une possible apocalypse nucléaire.

La division de l’opinion française, pourtant rare sur des questions comme celle-ci, s’articule autour d’une question qu’il convient de traiter avec objectivité et méthode : l’extension de la dissuasion française, à d’autres pays européens, augmente-t-elle, pour la France, les risques d’escalade, et donc de guerre directe, et potentiellement nucléaire, avec la Russie ?

De Sarajevo à Munich, deux traumatismes historiques déchirent l’opinion publique française

Si l’hypothèse d’un conflit potentiel entre l’OTAN et la Russie, est de plus en plus ouvertement évoqué par les officiels occidentaux, y compris par les américains et les britanniques, les opinions publiques, comme la classe politique, en Europe et aux États-Unis, sont souvent divisées à ce sujet.

B2 Spirit Us Air Force
Il ne fait aucun doute dans l’esprit des européens, que les Etats-Unis seraient prets à faire usage du feu nucléaire contre la Russie, en cas d’attaque contre l’Europe. Et il est certain que les russes considèrent que ce risque est suffisament élevé, pour ne pas s’en prendre aux européens, tant que la protection US sera solide et déterminée.

Toutefois, rares sont les pays exposés à un clivage aussi radical au sein de leurs opinions publiques, que ne l’est la France. Que ce soit au sujet du soutien apporté par la France à l’Ukraine, de la posture de la France vis-à-vis de la Russie, et surtout de la possibilité, pour la France, d’étendre son périmètre dissuasif au-delà de ses frontières, afin de protéger ses partenaires européens de l’OTAN et de l’Union européenne, deux camps s’opposent fermement, tant au sein de l’opinion publique que de la classe politique du pays.

Sarajevo, le jeu des alliances et la Première Guerre mondiale

Il faut dire qu’autour de ces questions, deux profonds traumatismes historiques et culturels sont à l’œuvre en France. Le premier n’est autre que l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin 1914, par un nationaliste serbe, ce qui entraina l’Europe, et particulièrement la France, dans la Première Guerre mondiale et son million et demi de soldats français tués au combat.

La responsabilité du jeu des alliances dans cet épisode plus que douloureux de l’histoire de France, bien que très contestable, a été profondément ancrée dans l’inconscient collectif français.

C’est d’ailleurs là qu’il faut trouver, en partie, l’origine de la fameuse phrase « ne pas mourir pour Dantzig », répétée sans cesse en amont de la Seconde Guerre mondiale, et du manque d’emphase dans les actions militaires françaises contre l’Allemagne lors de la drôle de guerre, quand les armées allemandes étaient les plus vulnérables.

Mobilisation France 1914
En 1914, la France, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la grande-bretagne, tous étaient dans une trajectoire de confrontation. L’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinant a servi de détonateur, mais n’a pas créé la Première Guerre mondiale.

Aujourd’hui, ce traumatisme se retrouve dans la phrase « Ne pas mourir pour Tallinn », répétée par plusieurs personnalités publiques et politiques françaises, depuis quelques jours.

Selon eux, si la France prenait la responsabilité de protéger, par sa dissuasion, les pays européens, et plus spécifiquement les pays baltes, cela entrainerait, par le jeu des alliances, une hausse considérable de voir le pays entrainé dans un conflit nucléaire avec la Russie.

Munich, la compromission franco-britannique et la Seconde Guerre mondiale

À l’autre bout de l’échiquier, se trouvent les partisans d’une posture forte et volontaire de la France, en Europe et Ukraine, contre la Russie, y compris en étendant le périmètre de protection de la dissuasion française, aux pays alliés et partenaires européens qui le désireraient.

Ceux-là aussi, s’appuient sur un traumatisme historique, en l’occurrence, le renoncement français et britannique, face à l’Allemagne nazie, les 29 et 30 septembre 1938, à Munich.

C’est à cette date, en effet, que le président du conseil français, Édouard Daladier, et son allié, le premier ministre britannique Neville Chamberlain, signèrent un accord avec Adolf Hitler et Benito Mussolini, cédant la Tchécoslovaquie à l’Allemagne, contre une garantie de paix durable, promise par les dirigeants allemands et italiens.

Chamberlain Daladier Munich
De retour de Munich, le premier ministre Neville Chamberlain, brandissait sous les aclamations de la foule, l’accord signé avec l’Allemagne, promettant une paix durable contre la Tchecoslovaquie. Le président du Conseil français, Daladier, aurait commenté la scène par les mots « Les cons, s’ils savaient … »

À l’instar de l’attentat de Sarajevo et du jeu des alliances, pour la Première Guerre mondiale, cet épisode bien peu glorieux de l’histoire européenne, est souvent considéré comme celui ayant fait basculer l’Europe dans la Seconde Guerre mondiale, qui entrainera la mort de 17 millions de soldats sur les champs de bataille européens, de 1939 à 1945.

Pour les partisans de la ligne dure face à la Russie, la trajectoire suivie, ces dernières années, par Vladimir Poutine et son régime, est très semblable à celle d’Adolf Hitler et de l’Allemagne de 1932 à 1939. Il est donc impensable de reproduire les mêmes erreurs que Daladier et Chamberlain, Il y a maintenant 90 ans de cela.

L’extension de la dissuasion française cristallise le débat en France

Ces deux positions s’opposent, naturellement, dans le débat public aujourd’hui, d’autant plus qu’elles sont parfois parasitées par des calculs de politique intérieure, et confortées ou, au contraire, rejetées, en lien avec d’autres certitudes, notamment au sujet de l’OTAN, de l’Union européenne, et même de la Russie.

Cette opposition semble, ces derniers jours, se cristalliser autour d’une appréciation radicalement différente concernant les conséquences d’une possible extension de la dissuasion française, pour protéger les autres pays européens, face à la menace russe, si le parapluie nucléaire américain, qui joue précisément ce rôle depuis 1949, venait à s’étioler avec l’arrivée possible de Donald Trump à la Maison-Blanche, suite aux élections présidentielles américaines de novembre 2024.

« Ne pas mourir pour Tallinn », le symbole de l’opposition à l’extension de la dissuasion française.

Selon la thèse avancée par ceux qui s’opposent à cette mesure, comme dit précédemment, ce serait exactement le cas. Par le jeu des alliances, si la Russie venait à attaquer un pays Balte, la France serait alors dans l’obligation de faire usage du feu nucléaire, pour protéger son allié. Sachant cela, l’hexagone serait la cible prioritaire de Moscou, pour des frappes préventives, y compris nucléaires, afin de neutraliser cette menace.

Iskander-M russie
Les missiles balstiques à courte portée Iskander-M basés dans l’enclave de Kalingrad, en Bielorussie, et au sud de Saint-Petersrboug, peuvent frapper Talliin, Riga et Vilnius d’une charge nucléaire tactique, en seulement quelques minutes.

Plus largement, il n’est pas question, pour cet important pan de l’opinion publique, que la France se retrouve impliquée dans un conflit contre la Russie, pour défendre des partenaires européens, en particulier ceux ayant montré une propension à défier Moscou, comme les Pays Baltes, ou la Pologne. D’où la phrase « Je ne veux pas mourir pour Tallinn« , répétée le plus souvent par les porte-voix de cette opposition.

 » Plus jamais Munich », la crainte des partisans de la confrontation avec la menace Russe

À l’inverse, ceux qui soutiennent une ligne plus dure face à la Russie, et un volontarisme appuyé de la France, pour faire émerger une autonomie stratégique européenne, au travers de l’extension de la protection offerte par la discussion française, voient dans le précédent discours, les mêmes compromissions que celles qui donnèrent naissance à la Seconde Guerre mondiale, à Munich, en 1938.

Selon eux, c’est, au contraire, en se montrant fermes et unis, que les européens pourront neutraliser les appétits croissants de Vladimir Poutine en Europe, affirmant que celui-ci ne respecte que la force, et se joue des faiblesses européennes.

extension de la dissuasion française à l'Europe
La dissuasion française est suffisante pour contenir la menace russe, qu’il s’agisse de proteger le territoire national, ou l’ensemble de l’Europe.

Pour y parvenir, ils sont convaincus que la France, seule nation dotée d’une dissuasion nucléaire au sein de l’Union européenne, a un rôle particulier à jouer, justement en étendant le périmètre de protection de sa discussion à ses voisins, pour empêcher que Moscou puisse estimer avoir les coudées franches dans le pays Baltes ou ailleurs, si la protection américaine venait à être révoquée.

L’efficacité de la dissuasion, un concept binaire, mais une réalité largement nuancée

Pour trancher ce débat, il suffit de répondre à une question : l’extension de la dissuasion française, entrainerait-elle, effectivement, une hausse significative des risques d’escalade et d’implication de la France, dans un conflit nucléaire contre Moscou, ne pouvant se conclure que par l’éradication totale et réciproque des deux pays ?

La dissuasion française est suffisante, protéger l’Europe face à la menace russe

Pour y répondre, il est nécessaire d’établir, précédemment, si la dissuasion française serait, effectivement, efficace face à la puissance militaire russe, si elle était étendue à ses voisins ?

En effet, soutenir que l’extension de la dissuasion entraînerait une hausse des risques pour la France, suppose, préalablement, que ces risques soient faibles et acceptables aujourd’hui, et donc que la dissuasion française s’avère efficace face à la menace russe.

SNLE le Triomphant
Avec un SNLE en patrouille en permanence, la France maintient une capacité de frappe nucléaire suffisante pour éliminer la presque totamlité des villes russes de plus de 100 000 habitants.

Comme étudié dans l’article « Que vaut la dissuasion française face à la menace russe en 2024 ? » publié hier sur ce site, il apparait que, d’un point de vue purement capacitaire, la dissuasion française, telle que formatée aujourd’hui, apporterait le même niveau de protection à un périmètre européen étendu, qu’elle ne le confère à la France aujourd’hui.

En effet, l’efficacité de la dissuasion ne dépend ni du périmètre qu’elle protège, ni du rapport de force nucléaire entre belligérants, mais de l’assurance de pouvoir, le cas échéant, infliger à l’adversaire des dégâts insupportables, neutralisant de beaucoup, les bénéfices attendus d’une attaque contre le pays doté ou ses alliés.

La dissuasion française ayant la capacité d’éliminer, en frappe de riposte, la presque totalité des 130 villes russes de plus de 100 000 habitants de Russie, ainsi que l’ensemble des grands centres industriels et militaires, il ne fait aucun doute qu’elle est dimensionnée pour dissuader Moscou, qu’il s’agisse de protéger Paris, Lille, Marseille… ou Vilnius.

En d’autres termes, l’efficacité de la dissuasion, se caractérise, du point de vue du potentiel opérationnel, par une valeur binaire, vrais ou faux, et celle-ci est incontestablement « vrais », pour ce qui concerne la dissuasion française, face à la Russie.

Cette vision, pourtant exacte, n’est cependant pas pertinente, dans les faits. En effet, l’efficacité de la dissuasion repose, d’abord et avant tout, sur la certitude que peut avoir l’adversaire, de l’utilisation de ces armes par l’adversaire, au-delà d’un certain seuil. C’est en outre dans le flou qui entoure ce seuil, l’incertitude stratégique, que réside toute l’efficacité de la dissuasion.

La détermination et la fiabilité de la France, pour protéger ses voisins, sont incertaines

Ainsi, aujourd’hui, on peut aisément admettre que Paris, Londres ou Washington, n’hésiteraient pas à déclencher le feu nucléaire, si leur territoire national venait à être attaqué par des armes nucléaires.

Emmanuel Macron
La parole d’Emmanuel Macron ne suffit pas, à elle seule, à crédibiliser une eventuelle posture de dissuasion française étendue à toute l’Europe, face aux Européens, mais surtout face à la Russie.

Ces trois pays disposant d’une flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, comme la Russie du reste, même des frappes préventives massives ne les empêcheraient pas de déclencher un tir nucléaire stratégique de riposte contre l’agresseur, venant faire des 17 millions de km² de la Russie, le plus immense parking vitrifié (et radioactif), de la planète.

Mais qu’en serait-il si, au lieu d’une attaque sur Atlanta, Manchester ou Nantes, celle-ci venait frapper Cracovie, Riga ou Göteborg ? Jusqu’à présent, les européens étaient convaincus que les États-Unis engageraient, dans ce cas, le même tir de riposte que si le sol américain était frappé. Et tout porte à croire que le Kremlin, comme l’état-major russe, considéraient que le risque que ce soit effectivement le cas, était trop important pour mener une quelconque action de ce type, en application, justement, de l’incertitude stratégique évoquée plus haut.

C’est précisément l’étiolement de cette certitude, qui ferait peser, sur les pays européens, une nouvelle menace russe, si Donald Trump venait à remporter les présidentielles américaines à venir. Celui-ci a, en effet, répété à de nombreuses reprises, qu’il était prêt à mettre les États-Unis en réserve de l’OTAN, et à s’éloigner de l’Article 5, s’il était élu.

Dès lors, même s’il ne mettait pas ses menaces à exécution, la perception de la détermination américaine à protéger les européens d’une attaque russe, en sera irrémédiablement altérée. Peut-être même suffisamment pour convaincre Moscou de pouvoir prendre un tel risque.

Toute la question, désormais, est donc de savoir si, dans une telle hypothèse, la détermination de la France, à protéger ses alliés, serait non seulement suffisamment ferme, mais surtout suffisamment crédible, pour dissuader Moscou, comme cela a été le cas, depuis 1949, pour la dissuasion américaine ?

Les ambitions françaises face à la réalité de la dissuasion conventionnelle

Dans ce domaine, Paris est, aujourd’hui, très loin de pouvoir apporter les mêmes garanties que ne le fait Washington. En effet, les États-Unis disposent d’une puissance militaire conventionnelle considérable, qui ne manquerait pas d’être déployée dans toute l’Europe, si la menace d’une offensive russe venait à croitre.

Chars Leclerc
Le renforcement significatif des forces armées convetionelles françaises, est consubstatiel de la crébidibilité d’une posture de dissuasion étendue à l’Europe entière.

Dès lors, à la dissuasion nucléaire américaine, s’ajoute également une dissuasion conventionnelle, venant elle-même renforcer la crédibilité de la posture de dissuasion globale US, ce qui en fait toute son efficacité.

D’une part, si Moscou venait à mener une frappe nucléaire contre les alliés des États-Unis, protégés par des troupes conventionnelles américaines, il est très probable que certaines forces américaines seraient, elles aussi, touchées par ces frappes.

D’autre part, ces forces conventionnelles US, sont en mesure de contrer l’importante menace conventionnelle russe, neutralisant, de fait, simultanément l’ensemble de la menace russe contre l’Europe, y compris contre les Pays baltes.

C’est précisément là que le bât blesse, en France. Comme évoqué dans l’article, Comment la faiblesse des armées handicape-t-elle la crédibilité de la France sur les questions de défense en Europe ?, les forces armées conventionnelles françaises, sont très loin d’avoir un format suffisant pour jouer le rôle de pivot d’une défense européenne, pourtant indispensable pour crédibiliser la posture de dissuasion étendue proposée par la France.

Dès lors, même si Paris venait à annoncer l’extension de la dissuasion française, sur tout, ou partie, des pays européens, il est très possible que Moscou estime que la France ne déclenchera pas de tir de riposte, pour arrêter une offensive, par exemple, contre les pays baltes. C’est d’autant plus probable, que l’opinion publique, et la classe politique, sont très divisées en France sur le sujet.

Conclusion

De fait, il apparait de ce qui précède, que si la dissuasion française est parfaitement capable de protéger efficacement l’ensemble des pays européens de la menace russe, le cas échéant, la France, elle, semble encore loin de pouvoir le faire.

Macron Poutine
L’efficacité de la dissuasion étendue repose, dabord et avant tout, sur la capacité de la France à convaincre la Russie de sa fermeté et de son engagement à proteger ses alliés. (AP Photo/Dmitri Lovetsky, Pool)

Il manque au pays, en effet, une force armée conventionnelle bien plus dimensionnée, ainsi qu’une opinion publique et une classe politique plus homogènes sur ces sujets, pour y parvenir, et ainsi, être en mesure de substituer la dissuasion française à la protection américaine.

Notons cependant, qu’il ne serait pas nécessaire d’attendre de disposer de 1000 chars de combat, de 300 avions de chasse, et de deux porte-avions nucléaires, pour crédibiliser la chose.

La simple trajectoire, engagée avec emphase par les autorités du pays, pour y parvenir, serait certainement un signal suffisant, pour convaincre Moscou de la détermination française à protéger ses alliés, conférant, en conséquence, sa pleine efficacité à cette dissuasion française étendue.

Il ne reste, pour y parvenir, aux autorités françaises qu’à aligner les moyens accordés aux armées, avec les ambitions, ainsi que les impératifs sécuritaires, qu’elles ont évoqués, et probablement aux européens, en particulier à la commission européenne, de donner à Paris les marges budgétaires requises pour y parvenir. Le feront-ils ?

La frégate Hessen allemande tire deux missiles par erreur contre un drone MQ-9 américain en mer Rouge

Depuis son arrivée en mer Rouge, il y a quelques jours, la frégate Hessen de la Bundesmarine, n’a guère eu le temps de s’échauffer. En effet, dans la nuit du 27 au 28 février, la frégate antiaérienne allemande a engagé, et détruit, deux drones Houthis lancés à proximité de sa zone de patrouille.

Après la Marine nationale, puis la Royal Navy, la Bundesmarine est donc la troisième marine européenne à avoir fait usage de ses armes contre des drones et missiles antinavires Houthis. C’est la seule, en revanche, à avoir tenté de détruire un drone de reconnaissance MQ-9A Reaper américain, qui patrouillait la zone…

Deux drones Houthis détruits au canon de 76 mm et au missile ESSM par la frégate Hessen de la Bundesmarine en mer Rouge

Partie d’Allemagne le 8 février, la frégate Hessen est l’une des trois frégates antiaériennes de la classe F124 Sachsen en service au sein de la Bundesmarine. Entrée en service en 2006, ce navire de 143 mètres et de 5 800 tonnes, est aussi l’un des mieux armés de la flotte allemande.

Son armement se compose d’un canon Oto-Melara de 76 mm, d’un système de lancement vertical VLS Mk41 de 32 silos, de deux lanceurs quadruples antinavires Harpoon, deux tubes lance-torpilles triples armés de Mu90, ainsi que deux systèmes CIWS RAM armés chacun de 21 missiles à très courte portée.

Frégate Hessen Marine allemande
la frégate F-221 Hessen de la BundesMarine, mesure 143 metres pour une deplacement de 5 800 tonnes. 270 officiers et marins forment son equipage.

Vingt-quatre des silos du VLS de la frégate contiennent un missile antiaérien à moyenne portée SM-2 Block IIIa, d’une portée de 90 nautiques, alors que les 8 cellules restantes accueillent chacune 4 missiles antiaériens à courte et moyenne portée ESSM, soit 32 missiles, d’une portée de 35 à 40 km.

La surveillance est assurée par le très performant radar à longue portée Thales SMART-L, couplé à un radar de surveillance et de guidage APAR, lui aussi développé par Thales. Cette panoplie de senseurs est complétée, dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, par un sonar d’étrave STN Atlas DSQS-24B, et un système de détection infrarouge IRST.

Ayant intégrée l’opération navale européenne en mer Rouge Aspide, la frégate Hessen a connu son baptême de feu opérationnel ce 27 février, lorsque qu’elle réalisa deux interceptions réussies contre des drones Houthis, l’une à l’aide d’un missile ESSM, la seconde avec son canon de 76 mm, le drone étant particulièrement prêt, semble-t-il, lorsque l’ordre de tir a été donné.

ESSM missile frégate Hessen
Quatre missiles ESSM, successeurs du Sea Sparrow, peuvent prendre place dans une unique celulle du systeme VLS Mk41 des F-124 allemandes.

À noter que quelques semaines plus tôt, un destroyer américain aurait, lui aussi, fait feu avec son artillerie défensive, en l’occurrence son CIWS Phalanx de 20 mm, ce qui, là encore, indique que le drone visé, et détruit, était extraordinairement prêt, surement trop, du navire de l’US Navy. Pour l’heure, aucune explication n’a été donnée à ce sujet, ni par la Bundesmarine, ni par l’US Navy.

Un incident qui a failli entrainer la destruction d’un drone MQ-9 Reaper américain évoluant IFF coupé

Si l’engagement du 27 février aura été le baptême du feu opérationnel de la frégate Hessen, cela n’aura pas été la première fois qu’elle a fait usage de ses missiles, depuis son arrivée en mer Rouge.

MQ-9 USAF
La frégate Hessen allemande tire deux missiles par erreur contre un drone MQ-9 américain en mer Rouge 19

En effet, et c’est bien moins glorieux, la frégate aurait tenté d’intercepter et détruire un autre drone inconnu la veille, le 26 février en soirée, à l’aide cette fois de deux missiles antiaériens américains SM-2. Les deux missiles auraient rencontré des problèmes techniques, et ne sont pas parvenus à atteindre la cible.

Fort heureusement, d’ailleurs, puisque celle-ci n’était pas un drone Houthis, pas même une menace. Il s’agissait, en effet, d’un drone américain MQ-9 déployé, selon le quotidien Der Spiegel, dans une mission antiterroriste sans rapport avec la protection du trafic de navigation de la mission Aspide.

Selon les informations recueillies par le quotidien, le drone évoluait transpondeur et IFF coupé, et la frégate allemande n’avait pas été informée de ce déploiement. Si l’incident s’est finalement terminé sans casse, on peut se demander s’il n’a pas joué un rôle dans l’interception tardive réalisée par la frégate européenne, contre des drones Houthis bien réels cette fois, le lendemain.

Les deux missiles SM-2 lancés contre le drone américain auraient connu un problème technique

La seconde interrogation concernant cet épisode, concerne bien évidemment le mauvais fonctionnement des deux missiles SM-2 Block IIIa lancés par le navire, contre le Reaper américain.

Là encore, aucune information n’a filtré, concernant les causes de cet inquiétant dysfonctionnement, qui touche un système critique du navire, qui plus est dans un environnement opérationnel nouveau pour elle.

F-124 armement
Vue supérieure de la frégate Sachsen. Remarquez les systèmes sea-ram situés à l’avant, entre les VLS Mk41 et le canon de 76 mm, et à l’arrière sur le roof aviation. Le navire peut accueillir deux hélicoptères lynx ou NH90 pour des missions de lutte antiaérienne ou anti-surface.

En effet, maintenant que ces deux missiles ont connu des pannes, on peut se demander si la frégate allemande sera en mesure d’accomplir pleinement sa mission de protection, en exploitant pleinement toute l’allonge des SM-2, ou si elle devra se reposer sur ses seuls ESSM, d’une portée trois fois inférieure.

Rappelons que si un SM-2, dont la portée atteint 160 km, permet au navire de protéger, du point de vue théorique, un espace maritime et aérien de 40 000 km², l’ESSM et ses 40 km efficaces, ne couvrent quant à eux que 2 500 km², soit 16 fois moins de surface, et une ligne d’interception de 80 km contre 320 km.

La Marine allemande ne parvient plus à se réapprovisionner en missile, les frégates classe F124 Sachsen

Ce problème est peut-être lié à un scandale qui a éclaté ce même jour en Allemagne, précisément au sujet des missiles de la frégate Hessen envoyée en mer Rouge. En effet, selon une interview donnée par le parlementaire de la CSU Florian Hahn, il apparaitrait que la Bundesmarine rencontrerait d’importants problèmes concernant son stock de missiles pour les frégates antiaériennes F124 Sachsen.

Plus précisément, elle n’aurait plus la possibilité de remplacer certains des missiles employés par les navires, alors que ses stocks actuels ne permettraient de ne déployer qu’un unique navire de cette classe simultanément. Pire, si ces missiles venaient à être tirés, c’est l’ensemble des trois frégates antiaériennes allemandes qui devraient, dès lors, rester au port, alors qu’elles ne seront remplacées qu’à partir de 2034 par les frégates F-127.

Le type de missile concerné n’a pas été détaillé par le parlementaire allemand. Mais considérant que les frégates F-124 sont les seules, au sein de la Marine allemande, à employer le missile SM-2, tous les soupçons se porte sur ce modèle, d’autant que la dernière commande de ce missile remonte à 2021.

SM-2 destroyer US Navy
Le SM-2 est le missile standard des destroyers et croiseurs américains. Toutefois, ceux-ci exploitent des versions plus recentes que le Block IIIa employé à bord des F-124 allemande

Le sujet est d’autant plus sensible que le gouvernement d’Olaf Scholz aurait eu connaissance de ce problème, mais l’aurait masqué au Bundestag, afin d’obtenir l’autorisation de déployer la frégate Hessen en mer Rouge dans le cadre de l’opération européenne Aspide.

Dans tous les cas, cette accumulation de problèmes, incidents techniques et tensions parlementaires, ne constituent certainement pas le cadre le plus serein, pour que l’équipage de la Hessen, exécute sa mission le plus efficacement possible. Alors que pour faire face à une telle pression opérationnelle, la sérénité n’est assurément pas de trop.

Comment la faiblesse des armées handicape-t-elle la crédibilité de la France sur les questions de défense en Europe ?

L’envoi potentiel de troupes européennes en Ukraine, évoqué par Emmanuel Macron en marge du Sommet de Paris du 26 février, n’arrête pas de provoquer de nombreuses réactions, en France, en Europe, et au-delà. Toutefois, loin de déclencher une dynamique en faveur de l’émergence d’une Europe plus unie, plus déterminée, et plus forte, pour soutenir l’Ukraine, cette phrase s’est transformée en retour de flammes contre le président français.

En effet, non seulement l’hypothèse est-elle vivement critiquée par les oppositions en France, mais elle est parvenue à créer un véritable consensus en Europe et même au sein de l’OTAN, mais contre elle. Quant aux russes, sans grande surprise, ils savourent la débâcle, non sans tourner en ridicule la posture de la France.

Un manque évident de crédibilité de la France en Europe sur les questions de Défense

Il est possible de débattre des heures sur le bienfondé, ou pas, de l’hypothèse évoquée par le chef d’État français. Cependant, cet épisode montre, avant tout, le manque cruel de crédibilité de la France sur ces questions géostratégiques, y compris en Europe, et en particulier l’immense écart qui existe aujourd’hui, entre les ambitions exprimées par la France dans ce domaine et les moyens dont disposent, effectivement, ses armées.

Le faible poids de la France concernant les questions géostratégiques

Plusieurs facteurs historiques, certains avérés, d’autres parfois fantasmés, tendent à éroder la crédibilité de la parole française en matière de défense sur la scène géopolitique européenne et mondiale. En outre, les européens, et leurs dirigeants, ont été conditionnés, depuis plusieurs décennies, à suivre presque aveuglément les directives des États-Unis dans ce domaine, tout en s’en remettant à Washington, et à ses très puissantes armées, pour leur sécurité.

Les évolutions de ces dernières semaines, que ce soit en Ukraine face à la Russie, mais aussi aux États-Unis, avec un Congrès qui bloque toujours un paquet d’aide à l’Ukraine désormais vital, et un Donald qui remportera sans surprise les primaires républicaines, et qui devient le favori des sondages, concernant les élections de novembre, avaient, semblait-il, bousculé les européens dans leurs certitudes, au point que de nouveaux discours ont émergé à La Haye, Rome, Varsovie et même à Berlin.

Donald trump
Les menaces de Donald Trump contre l’OTAN, ont provoqué un electrochoc en Europe, insuffisant toutefois pour convaincre d’envoyer, eventuellement, des forces européennes en Ukraine.

C’est d’ailleurs, probablement, en pensant pouvoir profiter de cette évolution apparente des dirigeants européens, qu’Emmanuel Macron a tenté ce qui ressemble désormais, de plus en plus, à un coup de bluff, en présentant l’intervention de troupes européennes en Ukraine, comme une hypothèse de travail, alors qu’elle n’avait, très certainement, été évoquée que brièvement, sans emphase, et sans le moindre soutien, lors de la conférence.

La faiblesse des armées françaises dans le domaine conventionnel entrave les aspirations de Paris pour l’émergence d’une autonomie stratégique européenne.

C’est bien, dans ce contexte, la faiblesse des armées françaises, en particulier en matière de combat symétrique conventionnel de haute intensité, qui fait perdre sa crédibilité au discours français, lorsque Paris évoque l’envoi potentiel de troupes en Ukraine, ou plaide en faveur d’une autonomie stratégique européenne.

En effet, de toute évidence, les européens ne s’estiment pas prêts à se confronter à la Russie, sans que l’initiative vienne de Washington, et sous la protection de l’US Army et de l’US Air Force. Malheureusement, dans ce domaine, les armées françaises sont très loin de proposer une alternative suffisamment crédible pour Varsovie, Vilnius ou Bucarest, afin de déclencher un frémissement en ce sens.

France vs Russie : un rapport de force potentiel bien moins marquant qu’il n’y parait

Dans l’esprit de presque la totalité des européens, et même dans le monde, la France ne peut pas, en effet, représenter, à elle seule, un adversaire potentiel crédible pour venir dissuader Moscou dans des domaines stratégiques.

Le rapport de force militaire moyen de 7 contre 1 en faveur des armées russes

En effet, avec 2 000 têtes nucléaires, 3000 chars, 1200 avions de combat, une cinquantaine de sous-marins, et une force armée de 1,3 million d’hommes, les armées russes surclassent très largement les 350 têtes, 200 chars, 225 avions de combat, 10 sous-marins de 210 000 hommes des armées françaises, dans un rapport moyen de 1 contre 7.

Tu-160M
La Russie aime faire étalage de sa puissance nucléaire. Mais pouvoir détruire quinze fois la France, n’est pas plus efficace que pouvoir detruire une fois la Russie dans ce domaine.

En matière de dissuasion, il convient de rappeler que les 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et les 2 escadrons de Rafale B nucléaires des forces stratégiques françaises, disposent largement de la puissance suffisante pour détruire toute la Russie, alors qu’il n’est guère utile, pour Moscou, de pouvoir détruire plus de 15 fois la France.

L’industrie de défense russe, elle, tourne aujourd’hui à plein régime, livrant chaque mois plusieurs dizaines de chars T-90M et de véhicules de combat d’infanterie BMP-3 neufs, ainsi que quatre ou cinq avions de combat, une dizaine de systèmes d’artillerie, et une ou deux batteries antiaériennes.

La France, pour sa part, ne produit plus de chars depuis presque 20 ans, de VCI depuis plus de dix ans, et Dassault semble peiner pour atteindre les 2 Rafale produits chaque mois, majoritairement pour l’exportation d’ailleurs.

Un rapport de force économique et démographique beaucoup moins contrasté

Pourtant, en élargissant le scope, les différences entre la France et la Russie, sont loin d’être aussi radicales que le rapport de force militaire ne le laisse présager. Ainsi, avec 68 millions d’habitants, la France représente 52 % de la population russe, mais peut d’appuyer sur une pyramide des âges sensiblement plus résiliente.

Du point de vue économique, la France a un PIB de 2 650 Md€, 50 % plus important que les 1 750 Md€ du PIB russe. À parité de pouvoir d’achat, le PIB russe croît à 4 200 Md$, alors que le français reste identique, à 2950 Md$. Toutefois, cette notion est ici à relativiser, le PIB russe étant représenté à 20 % par les exportations d’hydrocarbures, insensibles au PPA.

Forces de montagne Ukraine
Malgré une population trois fois moins importante, et un PIB 8 fois plus faible, l’Ukraine est parvenue, jusqu’ici, à resister à la pression militaire russe, pendant plus de deux ans, lui infligeant des pertes plusieurs fois supérieures à celles subies lors de la guerre d’Afghanistan.

Dès lors, si les armées russes apparaissent, en effectifs théoriques, 7 à 10 fois plus puissantes que leurs homologues françaises, ce rapport de force perd de son intérêt dès qu’il s’agit de dissuasion.

En outre, les rapports de force démographiques et économiques sont loin d’être aussi tranchés, offrant à la France, des capacités de résiliences bien plus importantes que celles dont disposait, par exemple, l’Ukraine, avec 42 millions d’habitants, et un PIB de seulement 200 Md$, avant la guerre, et qui pourtant résiste depuis deux ans aux puissantes armées russes.

Le format des armées françaises a été conçu en 2013, dans un contexte géostratégique radicalement différent

En revanche, comme exposé précédemment, c’est bien dans le domaine des forces armées conventionnelles que la France apparait, aujourd’hui, la plus vulnérable, et la moins significative face à la puissance militaire russe.

L’évolution du format des armées françaises après la guerre froide

Ce constat résulte d’une série d’arbitrages défavorables de la part des dirigeants français, depuis la fin de la guerre froide, sur l’autel des bénéfices de la Paix. Entre 1990 et 2020, le format des armées a, en effet, été divisé par trois en moyenne, par 5, et parfois davantage, dans les domaines liés aux engagements symétriques, dits de haute intensité.

C’est ainsi que la Force opérationelle terrestre, est passée de plus de 200 000 hommes, en 2000, à 77 000 hommes en 2013, alors que le nombre de chars était ramené de 900 à 200, et le nombre d’avions de combat tactique, de 700 à 225. En 2013, en effet, le risque d’engagement symétrique de haute intensité avait été presque entièrement éliminé de la planification française, et confié à l’action interalliée au sein de l’OTAN.

SNLE Triomphant
Le SNLE Triomphant doit rester indétectable pour assurer sa mission de dissuasion

Dans le même temps, l’Armée de terre évoluait vers un format adapté aux missions de projection en opérations extérieures, et l’Armée de l’Air à des capacités de frappes limitées, et de police du Ciel. Seule la Dissuasion restait en partie sanctuarisée, avec 4 SNLE contre 6, et deux escadrons de bombardement stratégiques, contre 3.

L’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, en 2017, permit de mettre un terme à l’hémorragie des moyens dont souffraient les armées depuis plus d’une décennie, alors qu’elles répondaient à une pression opérationnelle très supérieure à celle pour laquelle elles avaient été dimensionnées et fiancées. Ainsi, la LPM 2019-2025, interrompue en 2023, permit de remettre le budget des armées au niveau requis de soutenabilité du contrat opérationnel de 2013, qui lui, restait inchangé.

La LPM 2024-2030 reprend le format du Livre Blanc de 2013

La seconde LPM 2024-2030, du président Macron, qui vient d’être entamée, doit permettre d’amener l’effort de défense national au-delà des 2 % requis par l’OTAN, et d’accélérer les efforts de modernisation des armées, y compris dans le domaine stratégique, avec le développement conjoint des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin de 3ᵉ génération, du programme SCAF, qui prendra le relais des Rafale B, à partir de 2040, et du missile ASN4G, qui remplacera le missile de croisière supersonique ASMPA, à partir de 2035.

Toutefois, le format des armées, lui, n’aura presque pas évolué au cours de cette LPM, si ce n’est pour ce qui concerne le recrutement de 40 000 réservistes opérationnels supplémentaires. Ainsi, la FOT de l’Armée de terre n’alignera, en 2030, même si elle aura presque terminé sa transformation SCORPION, toujours que 200 chars Leclerc, 120 canons Caesar de 155 mm, et 620 VBCI.

Faiblesse des armées françaises
Bien qu’elles soient expériementées, aguérries et très bien entrainées, les armes françaises souffrent d’un format conçu en 2013 pour répondre à un contexte d’engagement très différent de celui auquel elles pourraient être exposées aujourd’hui.

L’Armée de l’Air et de l’Espace, pour sa part, demeurera à 185 chasseurs, dont 150 dédiés à la mission tactique, 4 Awacs et une quinzaine d’avions ravitailleurs Phoenix. Il est possible qu’au-delà de cette échéance, des drones de combat tactiques entrent en service aux côtés des avions de combat français, mais le calendrier demeure incertain. Sa flotte de transport atteindra 50 appareils.

Enfin, la Marine nationale ne disposera toujours que de 6 sous-marins nucléaires d’attaque, de 15 frégates de 1ᵉʳ rang, de trois porte-hélicoptères d’assaut, de trois bâtiments de soutien de la flotte, et surtout d’un seul et unique porte-avions.

Or, ce format des armées françaises, n’a évolué qu’à la marge, en comparaison de celui défini par le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale de 2013, alors même que le contexte géopolitique était radicalement différent, tout comme les attentes du politique vis-à-vis des armées. Rappelons qu’en 2013, la Russie était un partenaire clé de la France, et que Paris avait vendu à Moscou 3 BPC Mistral de Naval Group (alors DCNS), alors que Thales modernisait les blindés russes, tant les relations semblaient apaisées.

Que manque-t-il aux armées françaises pour être crédibles en Europe et face à la Russie

On comprend, dans ce contexte, qu’il est, dès lors, impossible aux armées françaises, construites autour de la notion de stricte suffisance sur un instantané géopolitique datant de 2013, de disposer des moyens requis, pour être crédible face aux armées russes aujourd’hui, et pour convaincre certains alliés européens, de s’engager aux côtés d’elles, le cas échéant, pour éventuellement aller prêter main forte à l’Ukraine, même sans nécessairement envisager de participer aux combats.

Emmanuel macron Paris 26 février Ukraine
La tentative d’Emmanuel Macron d’insufler une nouvelle dynamique à l’Europe de la Défense au travers du soutien à l’Ukraine, semble se retourner contre lui.

Si le constat est clair, y répondre, en revanche, est un exercice ardu. En effet, comment évaluer quel devrait être le format des armées françaises, pour être suffisamment convaincant vis-à-vis des partenaires européens, pour s’engager dans une initiative européenne, y compris en Ukraine ?

Une Armée de terre sur le modèle de l’Armée Polonaise ?

Concernant l’Armée de Terre, il est possible de trouver la réponse à cette question, chez un de nos voisins et alliés européens, la Pologne. En effet, celle-ci vise à amener ses forces terrestres à un format de 200 000 hommes et 6 divisions, armées de 1250 chars lourds, 2500 véhicules de combat d’infanterie et transport de troupe chenillés, 650 canons automoteurs, 750 lance-roquettes multiples, épaulés par 96 hélicoptères de combat lourds Apache.

Ce format permettrait à la France de déployer, de manière soutenable dans la durée, un corps d’armée de deux divisions, ou de former le pivot central de deux corps d’armés composés d’une division française et d’une ou deux divisions alliées chacun, et les moyens de commandement nécessaires.

Chars K2 Pologne
Avec 6 divisions et 1250 chars lourds K2 et Abrams, les armées polonaises représentent, aujourd’hui, l’exemple à suivre pour nombre d’européens.

Si l’on en juge par les commentaires de l’ensemble des observateurs, mais aussi des dirigeants européens, au sujet de l’ambition polonaise, il en fait aucun doute que ce format définit un seuil de crédibilité très important dans la perception européenne, qui serait, très certainement, identique pour les armées françaises, si elles y parvenaient.

Des forces aériennes françaises conçues pour soutenir la pression opérationnelle en Europe de l’Est

En matière de forces aériennes, il serait très certainement indispensable d’augmenter significativement le format de la flotte de chasse, pour l’amener autour de 280 à 300 appareils, de sorte à disposer, en permanence, de trois escadrons de chasse en soutien des deux divisions projetées, tout en maintenant la posture nucléaire, et en assurant la défense du ciel national.

Dans la mesure où il serait bien plus raisonnable de mettre en œuvre les avions de chasse à partir de bases françaises sur le territoire national, plutôt que de déployer une base aérienne projetée plus exposée, la flotte de ravitailleurs devrait également être augmentée proportionnellement, passant de 15 à 25, ainsi que celle des Awacs, de 4 à 6.

Mirage 2000 et Rafale derrieère un A330 MRTT
Pour peser face à la Russie, l’Armée de l’Air et de l’Espace devrait disposer de 300 chasseurs et de 25 avions ravitalleurs A330 MRTT Phoenix.

La flotte de transport, enfin, devra évoluer pour assurer le soutien des forces déployées, une capacité de transport quotidien de 500 tonnes de matériels, munitions, denrées et personnels, étant un minimum pour soutenir les deux divisions, en complément de l’utilisation de moyens terrestres et ferroviaires.

Il convient toutefois d’envisager que certains de nos voisins, en particulier l’Allemagne, pourraient interdire la traversée ou le survol de leur territoire dans une telle mission, obligeant à dimensionner la flotte de transport aérien en conséquence.

La Marine nationale et la sécurisation des espaces maritimes et des flux navals

Les besoins d’évolution de la Marine nationale sont, eux aussi, importants. Celle-ci devra, en effet, garantir strictement la sécurité de ses SNLE, porteurs de la seconde frappe potentielle, indispensable à la neutralisation de la menace nucléaire russe.

En outre, elle devra assurer la protection des espaces maritimes, notamment face à la menace des sous-marins et bombardiers à long rayon d’action russes, que ce soit en mer du Nord, dans l’Atlantique, en Méditerranée, et jusque dans le golfe Persique et en mer Rouge, pour garantir l’arrivée des matières premières et hydrocarbures requis par le pays, et son effort de défense.

PAn Charles de Gaulle
Un second porte-avions nucléaire, ou deux porte-avions moyens convetionnels, s’averaient indispensable pour la Marine nationale, pour garantir les voix d’approviosnnement face aux sous-marins et bombardiers à long rayon d’action russes.

Pour cela, l’augmentation de la flotte sous-marine, nucléaire et/ou conventionnelle, sera certainement indispensable, tout comme la création d’une flottille de corvettes de lutte anti-sous-marine côtière. Surtout, un second porte-avions nucléaire, ou deux porte-avions moyens conventionnels supplémentaires, seront indispensables pour contenir la menace.

Des moyens spécifiques, comme des drones de surveillance aériens et sous-marins, spécialement pour protéger le trafic maritime, mais aussi les différents câbles sous-marins, devront être admis au service massivement, alors que les moyens aériens de l’aéronautique navale, devront proportionnellement croitre.

Budget, ressources humaines… : comment répondre aux écueils qui entravent un changement de format des armées françaises ?

Bien évidemment, il est beaucoup plus facile de décrire une situation, ou un format des armées idéalisés, que de lui donner naissance. Surtout lorsque le pays est exposé à de très importantes contraintes budgétaires, le privant de presque toutes ses marges de manœuvres dans ce domaine, et que les armées peinent à simplement maintenir leurs effectifs.

Des solutions peuvent cependant être envisagées, susceptibles répondre à ces deux obstacles de manière soutenable et réaliste. Ainsi, amener l’Armée de Terre française, à un format équivalent à celui de l’Armée de terre polonaise en devenir, ne nécessiterait de faire évoluer l’effort de défense que de 0,25 % du PIB, comme évoqué dans l’article Combien couterait aux contribuables français un alignement des capacités haute intensité de l’Armée de Terre sur la Pologne ?

Armée de terre
Spécilisées dans la projection de puissance, et les missions exterieures, l’Armée de terre française souffre d’un déficit important de moyens lourds et de puissance de feu. ©Tanguy Vabatte/MAXPPP – Gao 14/04/2022 Tanguy

Plus généralement, le format général évoqué plus haut, pourrait être financé par un effort de défense français à 3 % de PIB, soit une hausse de 50 % du budget des armées. Toutefois, comme évoqué dans l’article Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 3 Md€ par an aux finances publiques ?, il apparait que les couts finaux, pour les contribuables français, d’un tel effort, ne s’élèveraient qu’à hauteur de 3 Md€ par an, soit autour de 0,1 % de PIB.

Or, cet effort pourrait largement être compensé par certaines mesures européennes, d’autant que, dans une telle hypothèse, la dissuasion française, et la puissance relative de ses forces conventionnelles, transformeraient très sensiblement le rapport de force global face à la Russie, et contribuerait, dès lors, à réduire considérablement les risques dans les années à venir, d’autant que la Pologne a obtenu des mesures d’accompagnement européennes, précisément pour compenser son effort de défense à 5 % PIB.

Dans le domaine des ressources humaines, enfin, un recours croissant à la Réserve opérationnelle, mais aussi à a possibilité de mettre en œuvre une conscription choisie, comme dans les pays scandinaves, apporteraient des réponses efficaces, y compris pour soutenir le recrutement de militaires d’active.

Conclusion : La France doit aligner ses moyens militaires avec ses ambitions géopolitiques, pour convaincre en Europe et au-delà

On le voit, tant que la France n’aura pas décidé de transformer radicalement le format de ses forces armées, pour être en mesure de jouer un rôle central et majeur, y compris face à la Russie, il est très improbable qu’elle puisse être entendue en Europe, ou qu’elle puisse peser sur la scène internationale, de manière significative.

Caesar Afrique
Très mobile, précis et peu onéreux, le CAESAR français est aussi efficace dans un contexte d’engagement disymétrique, que dans un conflit de haute intensité.

Il revient, dès lors, au Président français, d’aligner les moyens dont disposent les armées, au discours qu’il porte, ou vice-versa. Y parvenir sera certainement difficile, et demandera certains efforts, y compris de la part de contribuables qui, bien souvent, sont très éloignés, dans leur perception, de la réalité de la menace qui se dessine dorénavant.

Pourtant, dans le cas contraire, il est probable que les prêches français en faveur de l’autonomie stratégique européenne, comme les initiatives pour se montrer plus dure et volontaire face à la Russie en Ukraine, ne produiront aucun résultat, si ce n’est pour prêter davantage le flanc aux critiques, voire à la moquerie.

Le S-500 Prométhée russe serait capable d’intercepter des missiles hypersoniques

Entré en service en 2021, le nouveau système anti-aérien et anti-balistique S-500 Prométhée russe, était présenté, par Moscou, comme ayant le potentiel de contrer les armées hypersoniques, sans que la démonstration de celle-ci, n’ait jamais été faite jusqu’à présent.

C’est désormais chose faite, si l’on en croit le site d’actualité russe Izvestia. Le site d’information russe déclare, en effet, que le Prométhée aurait démontré, lors d’essais menés récemment, qu’il était capable d’intercepter différents types de munitions hypersoniques, allant du missile au planeur, ce qui en ferait le premier système opérationnel, ayant ce type de capacités.

Le système anti-aérien et anti-balistique S-500 Prométhée russe

Destiné à remplacer les systèmes antibalistiques mobiles S-300PMU1/2, et à compléter la protection de théâtre du S-400, le système S-500 Prométhée (C-500 Прометей en russe), est entré en service en 2021, pour assurer la défense antiaérienne et anti-missiles de Moscou.

Ses différents radars lui conféreraient, selon les informations commerciales publiées par la Russie, un potentiel de surveillance et de détection de près de 3 000 km à haute altitude, contre des appareils non furtifs, et de 1 300 km contre des cibles d’une surface équivalente radar de 0,1 m².

S-500 Prométhée
A l’instar du S-400, le S-500 Prométhée est un système mobile, composé de plusieurs radars, plusieurs transporteurs-erecteurs, et même plusieurs misisles au performances différentes pour engager des cibles aérondynamiques ou balistiques.

À l’instar du S-400, il peut mettre en œuvre différents types de missiles, comme le 40N6M destiné à intercepter les aéronefs, dont la portée démontrée atteint 480 km, ainsi que le missile 77N6, capable d’intercepter des cibles balistiques évoluant à des vitesses pouvant atteindre Mach 18, jusqu’à une altitude de 180 à 200 km. Le missile serait également apte à détruire des satellites en orbite basse.

Si 10 régiments devaient être équipés du système S-500 lors de la GPV-2020-2027, la loi de programmation militaire pluriannuelle russe, il semblerait que seul le bataillon en charge de la défense de Moscou ait été effectivement équipé à ce jour, de manière certaine.

La production du S-500 souffrirait, en effet, des sanctions occidentales, ceci venant handicaper son entrée en service. Par ailleurs, on peut le penser, de la priorité donnée à d’autres systèmes plus attendus pour faire face aux armées ukrainiennes.

Des essais réussis contre des planeurs et missiles hypersoniques

Si le S-500 était présenté, depuis plusieurs années, comme capable d’intercepter des cibles hypersoniques, la démonstration de cette capacité n’avait, jusqu’à présent, pas été faite. Toutefois, en dehors de la Russie et de la Chine, aucun pays ne disposant, à ce jour, d’armes hypersoniques à proprement parler, il est probable que le besoin ne s’était pas encore fait sentir.

C’est maintenant le cas, alors que les premiers missiles hypersoniques Conventionnal Prompt Strike américains ou CPS, doivent entrer en service en 2025 à bord du destroyer américain USS Zumwalt. Le besoin pour Moscou de démontrer l’efficacité de son nouveau système, contre ce type de menace, devenait donc plus pressant.

Conventionnal Prompt Strike CPS
Le missile hypersonique américain Convetionnal Prompt Strike entrera en service en 2025, notamment à bord des destroyers de la classe Zumwalt spécialement modifiés à cette fin.

C’est en tout cas l’argument avancé par Dmitry Kornev, un journaliste spécialisé russe, interrogé par le site Izvestia, concernant les annonces faites par ministère de la Défense de la Fédération de Russie, au sujet des essais réussis menés par le système S-500, contre différents types de munitions hypersoniques.

Selon Izvestia, ces essais auraient permis de démontrer les capacités du Prométhée pour détecter, engager et détruire, aussi bien des missiles hypersoniques, évoluant en trajectoire semi-balistique (comme le Kinzhal), à basse altitude (comme le Tzirkon), et même des planeurs hypersoniques (comme l’Avangard).

Dans ces domaines, le fait de disposer, d’ores et déjà, des trois types de munitions hypersoniques, a probablement constitué un atout de taille pour le ministère de la Défense russe, afin de valider les performances du S-500.

Toujours selon le site d’information russe, par ailleurs sous contrôle des autorités du pays, les essais auraient d’ailleurs mobilisé un sous-marin nucléaire lanceur d’engins classe Delta IV, le K-114 Tula, qui aurait effectué des tirs de missiles depuis la mer de Laptev dans le polygone de tir « Chizha », pour tester les performances du S-500.

Des allégations impossibles à vérifier, mais crédibles

Il est, bien évidemment, impossible de vérifier les allégations faites par Izvestia et le ministère de la Défense russe. Les annonces entourant le S-500 ont été, par le passé, pour le moins excessives, le système ayant été régulièrement annoncé « en production » entre 2017 et 2022. Il convient donc de faire preuve de réserve dans ce domaine stratégique, en particulier alors que les tensions sont au plus haut entre Moscou et l’occident.

Avangard planeur hypersonique
Le RS-28 Sarmat et le planeur hypersonique Avangard seraient entrer en service recemment au sein des forces des fusées russes.

Toutefois, en matière de performances des systèmes antiaériens et antibalistiques, la communication russe a été, jusqu’à présent, le plus souvent aussi réduite que pertinente. En outre, les déclarations entourant ces essais, tendent à en accroitre la crédibilité.

Ainsi, il semblerait que le préavis de détection, reconnu par les russes concernant le S-500, contre des armes hypersoniques, serait particulièrement réduit, de l’ordre de 300 à 500 km, et non 3 000 km comme évoqué concernant les cibles aérodynamiques ou les missiles suivant une trajectoire balistique classique.

Toujours selon ces mêmes commentaires, les délais de réponses, pour intercepter un mobile évoluant entre Mach 5 et Mach 20, à l’aide de missiles évoluant, eux aussi, à des vitesses hypersoniques, s’avèreraient donc particulièrement courts. Ce d’autant qu’il convient, pour lutter contre une cible hypersonique manœuvrant, de lancer plusieurs missiles selon les différentes trajectoires qui pourront être prises par la cible.

De fait, bien que ne pouvant être considérées comme avérées, les déclarations relayées par Izvestia, au sujet des essais réussis du S-500 Prométhée, contre des cibles hypersoniques, paraissent crédibles, et ne peuvent pas être ignorées, comme un simple fait de propagande.

Des performances limitées par les choix technologiques russes

Il convient toutefois de noter que les choix technologiques ayant encadré le développement du S-500, en restreignent significativement les performances, en particulier en comparaison des systèmes en cours de développement en occident, dans ce même domaine.

Twister europe
Le système européen TWISTER prévoit de s’appuyer sur des moyens de détection spaciaux pour détercter et suivre les menaces hypersoniques, bien au delà que des radars terrestres ne pourraient le faire.

En effet, comme évoqué précédemment, le S-500 s’appuie sur des radars terrestres, certes très performants, mais qui en limitent les capacités de détection contre des cibles hypersoniques évoluant à relativement basse altitude.

C’est la raison pour laquelle les systèmes occidentaux s’appuieront, eux, sur des moyens de détection spatiaux, conçus précisément pour détecter et suivre la trajectoire des menaces, bien plus loin, et bien avant, que les radars de guidage terrestre puissent le faire.

En procédant ainsi, les systèmes européens et américains disposeront de délais beaucoup plus importants pour anticiper la trajectoire des cibles, ceci afin d’accroitre l’efficacité de l’interception, et de réduire le nombre de missiles nécessaires, augmentant de fait la résilience du système à la saturation. Rappelons, à ce titre, que le S-500 est donné pour pouvoir suivre et engager simultanément « que » dix cibles.

Pour autant, les systèmes occidentaux, destinés à intercepter les menaces hypersoniques, et en particulier les missiles de croisière et les planeurs hypersoniques, qui sont déjà en service au sein des armées russes et chinoises, n’entreront en service que d’ici à dix ou quinze ans, dans le meilleur des cas, alors que le S-500, lui, semble bel et bien opérationnel dès à présent.

SM-6 US Navy
Le SM-6 est aujourd’hui le missile surface-air préconisé par l’US Navy pour contrer les menaces hypersoniques. Il a été acheté par le Japon et la Corée du Sud à cette fin.

Dans l’intervalle, les forces armées américaines et européennes, devront s’appuyer sur des systèmes, comme le SM-6, le Patriot PAC-3 SME et probablement le Mamba, dont l’enveloppe d’interception est beaucoup plus réduite que celle du S-500, et dont les performances, face à ces types de menace, n’a toujours pas été démontrée.

Dans ce contexte, le S-500 Prométhée russe, pour peu qu’il ait véritablement satisfait aux tirs d’essais face à des missiles et planeurs hypersoniques, conférera, certainement, un avantage notable aux armées russes dans ce domaine, à la portée stratégique, pendant de nombreuses années, certainement les plus délicates de ces dernières décennies, en matière de relation internationale, et de rapport de force.

Les européens font de la défaite de la Russie en Ukraine, un objectif stratégique

Depuis le début du conflit en Ukraine, les conférences et réunions au sommet, se sont multipliées. Bien souvent, toutefois, les résultats obtenus étaient en deçà des besoins exprimés par l’Ukraine, pour être en mesure de contenir une menace russe en évolution défavorable.

La conférence qui s’est tenue ce 26 janvier à Paris, en présence de 27 pays et de 21 chefs d’État, marque, cette fois, un profond changement de paradigme de la part des occidentaux, et surtout des européens. Pour la première fois, les européens ont fait de la défaite de la Russie, un objectif stratégique, et même existentiel, pour la sécurité du vieux continent.

Et si l’attention médiatique et politique est aujourd’hui focalisée sur une déclaration du président français, qui n’exclut plus l’envoi de militaires européens en Ukraine, ce qui peut revêtir de très nombreux aspects, c’est, avant tout, ce changement de posture radical acté par les dirigeants européens, qui constitue le sujet qui mérite une analyse détaillée.

La dégradation rapide du rapport de force en Ukraine et de la situation internationale, menace l’Europe

Dans ce domaine, les conférences de presse données par le Président français, Emmanuel Macron, qui accueillait le sommet à Paris, donnent une vision objective et motivée, des raisons ayant amené les européens à un tel changement, et de la nature de ces bouleversements qui s’annoncent.

Défaite de la Russie en Ukraine, l'objectif stratégique des européens selon Emmanuel Macron
La défaite de la Russie en Ukraine est désormais un objectif stratégique pour les Européens, a déclaré le président Macron.

Comme l’a indiqué le chef d’État, plusieurs facteurs concomitants, mais liés par de puissants liens d’interaction, sont venus, ces derniers mois, sensiblement dégrader les perspectives en Ukraine, comme concernant l’avenir de la sécurité du vieux continent.

 » La Russie poursuit la guerre, réitère ses objectifs de conquête territoriale, et a adopté une attitude plus agressive, en Ukraine, et contre nous tous « 

Le premier d’entre eux, l’évolution défavorable du rapport de forces en Ukraine, n’est pourtant pas, à proprement parler, une révélation récente. En effet, cette évolution est la conséquence des capacités insuffisantes de l’industrie de défense européenne, qui n’a rien de nouveau ; du blocage, par le Parti républicain américain, de l’aide de Washington à Kyiv, ce qui était prévisible depuis plusieurs mois ; et de la montée en puissance de l’industrie de défense russe, ce qui était identifié dès janvier 2023.

Comme nous l’avions évoqué dès ce moment, faute d’une réponse rapide des européens, pour developper des capacités industrielles en miroir de celles en déploiement en Russie, le rapport de force en Ukraine, ne pouvait évoluer que de manière défavorable.

Le second facteur, lié aux positions exprimées par Donald Trump concernant le soutien américain à l’Ukraine, comme vis-à-vis de l’OTAN, a fait l’effet d’un électrochoc en Europe ces dernières semaines. Pourtant, là aussi, les positions de l’ancien président américain, comme sa main mise sur le Parti républicain, étaient connues, et donc pouvaient être anticipées, de longue date.

Vladimir Poutine 9 Mai
En pleine confiance, Valdimir Poutine multiplie les provocations envers les pays européens, et attend patiemment que les armées ukrainiennes ne s’ecroulent face aux armées russes. Sauf si les Européens réagissent…

La perspective d’une probable victoire en Ukraine, et d’un retrait de la protection américaine sur le vieux continent, a naturellement amené le Kremlin et Vladimir Poutine, à prendre une posture beaucoup plus agressive et belliqueuse, ces derniers mois, y compris contre les européens eux-mêmes.

Enfin, que Donald Trump l’emporte ou pas lors des prochaines élections présidentielles américaines, le durcissement des tensions avec la Chine, mais également avec l’Iran et la Corée du Nord, tendra à éroder les moyens américains potentiellement dédiés au soutien à l’Ukraine et la protection de l’Europe, ce qui ne manque pas d’accroitre la confiance à Moscou.

Vers l’émergence d’un objectif stratégique européen, pour une défaite de la Russie en Ukraine

Il aura fallu du temps, mais l’ensemble de ces constats a, semble-t-il, fini de convaincre les européens, qu’il était désormais temps, pour eux, d’accepter de prendre à leur charge la menace que fait peser Moscou, que ce soit sur l’avenir de l’Ukraine, comme sur la sécurité de l’Europe, elle-même.

« La défaite de la Russie (en Ukraine) est indispensable à la sécurité et la stabilité en Europe »

Comme l’a précisé le président Macron, il ne s’agit en rien d’une posture de défiance ou d’éloignement vis-à-vis des États-Unis, du Canada, ou du reste du bloc occidental, mais bien d’amener les européens à prendre pleinement en charge, au prorata de leurs moyens, et de leur position géographique, l’ensemble des menaces qui les affectent directement, en premier lieu desquelles, la menace que représente la trajectoire poursuivie par le Kremlin depuis plusieurs années, et qui s’est sensiblement radicalisée depuis quelques mois.

US task Force
Que Donald Trump remporte ou pas les élections présidentielles de 2024, les Etats-Unis devront effectuer un basculement vers le pacifique de leurs forces armées, laissant aux Européens la responsabilité de contenir la Russie en Europe.

À ce titre, Emmanuel Macron a rappelé que l’Union européenne avait un PIB, aujourd’hui, presque dix fois supérieur à celui de la Russie, 15 905 Md€ en 2022 contre 1 650 Md€, et que donc, les européens ont les moyens de contenir, ensemble, la menace russe, y compris en Ukraine, pour peu qu’ils décident de le faire.

La réponse européenne se structure autour de 9 coalitions, 5 catégories d’action et 3 urgences

Pour faire face à ce défi, que l’on peut aisément qualifier d’historique pour les européens en tant qu’entité globale, la stratégie définie conjointement repose sur plusieurs types d’initiatives distinguées, spécialisées dans leurs objectifs et pilotées par des états différents.

Ainsi, pas moins de neuf coalitions ont été lancées ces derniers mois, afin d’apporter des solutions efficaces et appliquées aux armées ukrainiennes, dans autant de domaines opérationnels : artillerie, avions de combat, déminage, défense sol-air, drones, missiles et bombes à moyenne et longue portée, naval, technologies de l’information et véhicules blindés.

Au-delà de ces coalitions, qui intègrent aussi bien des pays européens que les États-Unis ou le Canada, cinq catégories d’action ont été définies à l’occasion du sommet du 26 février, portant cette fois sur la cyberdéfense, la coproduction d’armements en Ukraine, la défense des pays menacés (comme la Moldavie), le soutien de l’Ukraine face à la Biélorussie par des moyens non militaires, et le déminage.

Caesar Avdiivka
Tout performants qu’ils puissent être, les systèmes d’artillerie européens, comme le Caesar, ne sont efficaces que s’ils disposent de munitions, et de pièces de rechange.

Enfin, 3 urgences opérationnelles ont été identifiées, et doivent faire l’objet de réponses rapides et suffisantes pour prévenir toute nouvelle dégradation du rapport de force en Ukraine. Il s’agit, comme on peut s’en douter, du domaine des munitions, en particulier des munitions d’artillerie, de la défense sol-air, et des missiles à moyenne et longue portée, soit trois des coalitions créées, qui revêtent aujourd’hui un caractère hautement prioritaire.

À noter que la coalition portant sur les munitions à moyenne et longue portée, a été annoncée à l’occasion de ce sommet, et marque une nouvelle évolution dans la doctrine des européens dans leur soutien à l’Ukraine, puisqu’il s’agit de frapper les moyens logistiques et de commandement russes, dans la profondeur de leur dispositif, c’est-à-dire, probablement, en Russie même.

La disparition des lignes rouges dans le discours européen

L’une des autres évolutions sensibles, perceptible lors de ce sommet, concerne la disparition de la notion de « ligne rouge« , longtemps avancée comme une garantie de non escalade vis-à-vis de la Russie.

Ainsi, comme évoqué en introduction, le président français a indiqué que l’hypothèse de l’envoi de troupes européennes en Ukraine, bien que n’ayant pas obtenu de consensus lors du sommet, était désormais débattue, et non plus exclue des options envisageables, comme précédemment.

Forces françaises
Le déploiement de forces armées européennes en Ukraine n’est plus un sujet tabou, selon Emmanuel Macron, qui a usé, pour l’occasion, d’emprunts sématiques à la dissuasion.

On remarquera, à ce titre, que le chef d’État français a opté, dans ce domaine, pour une posture d’ambiguïté stratégique, héritée de la dissuasion, de sorte à ne pas donner à l’adversaire la possibilité de savoir quelles sont les limites et les seuils qui encadreraient une telle mesure, et l’obligeant, de fait, à plus de prudence dans ces actions et décisions.

Rappelons toutefois que l’envoi de troupes dans un pays en guerre, même en soutien d’un des belligérants, peut revêtir de nombreux aspects, n’entrainant pas systématiquement la cobélligerence. Ainsi, pendant la guerre du Vietnam, de nombreux militaires soviétiques encadraient les aviateurs et personnels de maintenance des forces aériennes nord-vietnamienne, sur les bases aériennes autour d’Hanoï. Pour autant, jamais l’Union Soviétique n’a été en guerre avec le Sud-Vietnam, ni avec les États-Unis.

En Ukraine, il serait ainsi tout à fait possible que des moyens militaires européens soient employés pour les opérations de déminage évoquées, voire, ultérieurement, pour sécuriser les frontières avec la Biélorussie et la Transnistrie, sans qu’ils soient jamais employés au combat, face aux forces russes.

Une réflexion sous pression concernant les moyens budgétaires nécessaires pour soutenir ces initiatives

Enfin, le sommet du 26 février de Paris, a permis de faire évoluer les positions de chacun, concernant les différents modes de financement, qui seront nécessaires pour soutenir les ambitions évoquées, et surtout pour garantir, comme exprimer, la défaite de la Russie en Ukraine.

Emmanuel Macron et Kaja Kallas
la France soutien la proposition de Kaja Kallas, la PM estonienne, cocnernant la création d’Eurobonds défense pour financer un fonds d’investissement destiné à contneir la menace russe, y compris en Ukraine.

Les engagements bilatéraux, déjà pris par 6 pays européens, dont la France et l’Allemagne, vis-à-vis de Kyiv, pour financer certaines mesures, notamment la livraison de munitions, de systèmes sol-air, et de drones, seront étendus, auprès de tout ou parti des 32 pays ayant participé au sommet de Vilnius.

Au-delà de ces engagements nationaux, les lignes ont, semble-t-il, bougé en Europe, en particulier autour de la proposition faite par la Première Ministre Estonienne, Kaja Kallas, d’un fonds d’investissement alimenté par des Eurobonds Défense, sujet déjà traité dans nos précédents articles, qui a désormais le soutien de la France.

Le parallèle, entre la crise actuelle face à la Russie, et la crise Covid passée, et spécialement pour ce qui concerne le caractère stratégique de la réponse européenne, a été d’ailleurs évoqué par le président français, lors de son allocution de fin de sommet, précisément pour soutenir la mise en œuvre d’une dette mutualisée européenne, destinée à y répondre, comme ce fut le cas pour le Plan de relance européenne suite à la crise Covid.

Les européens redeviendront-ils les acteurs de leur destin ?

On le voit, loin d’une nouvelle itération des sommets précédents, qui manquaient, de toute évidence, d’emphase pour activement soutenir l’Ukraine, et faire face à la Russie, le sommet du 26 février de Paris, a marqué un profond changement dans la posture assumée par les dirigeants européens, dans ces domaines qualifiés dorénavant de stratégique.

Ursula von der Leyen Buccha
Il aura fallu la guerre en Ukraine, les massacres de Buccha, ainsi que la perspective de voir Donald Trump retrouver le Bureau Ovale, pour que les Européens decident de se pencher sérieusement sur la question de l’autonomie stratégique européenne.

Toute la question, maintenant, est de savoir si ces annonces, et cette nouvelle posture, seront effectivement suivies des faits évoqués, dans le calendrier imposé par la dégradation du rapport de force en Ukraine, pour venir contrecarrer les ambitions de Vladimir Poutine en Ukraine, et au-delà.

Les atermoiements, hésitations et compromissions passés, de l’ensemble des dirigeants européens, ou presque, face à la Russie, ne plaident guère en faveur d’une confiance aveugle, dans la transformation des intentions européennes en faits.

Toutefois, la fermeté des discours du président français, mais aussi de ses homologues européens, à la sortie de ce sommet, laisse espérer que les européens sont effectivement prêts à prendre en main leur propre destin, sans s’en remettre aveuglément, et exclusivement, aux seuls États-Unis en matière de sécurité.

On ne peut qu’espérer que la dynamique qui a émergée à Paris ce lundi, perdurera du temps médiatique, et se transformera pour donner naissance à une réelle autonomie stratégique européenne, même si l’on peut regretter qu’il aura fallu que les européens se retrouvent dos au mur, pour admettre qu’ils ne pouvaient plus reculer.

Que vaut la dissuasion française face à la menace russe en 2024 ?

Cela n’aura guère trainé. Après l’évocation, par le président français Emmanuel Macron, de la possibilité d’envoyer des troupes européennes en Ukraine, les réactions, souvent peu favorables, se sont multipliées, en Europe, aux États-Unis, mais aussi au sein de la classe politique française. Les seconds couteaux de la communication russe, pour leur part, tentèrent de tourner en dérision la menace.

Ce n’est pas le cas de Vladimir Poutine. Loin de considérer l’hypothèse, ou la France, comme quantité négligeable, celui-ci a vigoureusement brandi la menace nucléaire, contre la France, et surtout l’ensemble de l’Europe, si jamais les européens venaient s’immiscer sur « le territoire russe », sans que l’on sache, vraiment, si l’Ukraine faisait, ou pas, parti de sa conception de ce qu’est le territoire russe, d’ailleurs.

De toute évidence, le président russe est prêt à user de l’ensemble de son arsenal, y compris nucléaire, pour convaincre les occidentaux de se ternir à distance de ce qu’il considère comme la sphère d’influence de Moscou, une notion par ailleurs fort dynamique dans les propos du chef d’État russe depuis 20 ans.

Dans ce contexte, et alors que le soutien et la protection américaine sont frappés d’incertitudes après les déclarations de Donald Trump, la dissuasion française apparait comme le rempart ultime contre les ambitions de Vladimir Poutine en Europe. La question est : est-elle capable de le faire ?

Des menaces de plus en plus appuyées de la part du kremlin contre la France et l’Europe

Les menaces proférées contre l’Europe par Vladimir Poutine ce 29 février, alors qu’il s’exprimait face aux parlementaires russes, constituent, certes, une réponse particulièrement musclée aux hypothèses évoquées par le président Macron en début de semaine. Pour autant, elles sont loin de représenter une rupture dans la position récente russe, et encore moins une surprise.

Iskander systeme Forces de Dissuasion | Alliances militaires | Armes nucléaires

La menace nucléaire russe agitée depuis 2014 et la prise de la Crimée

Déjà, lors de l’intervention des armées russes en Crimée, en 2014, pour se saisir, par surprise, de la péninsule ukrainienne, Vladimir Poutine avait élevé le niveau d’alerte de ses forces nucléaires, et déployé des batteries de missiles Iskander-M, pour prévenir toute interférence de l’Occident.

Il fit exactement de même en février 2022, lorsqu’il ordonna l’offensive contre l’Ukraine, et le début de la désormais célèbre « opération militaire spéciale », ou специальной военной операции en russe (CBO), en annonçant, là encore, la mise en alerte renforcée des forces stratégiques aériennes et des forces des fusées.

Une réponse ferme de la dissuasion occidentale en février et mars 2022

L’efficacité de cette mesure fut toutefois moindre que lors de la prise de la Crimée, lorsque européens comme américains demeurèrent figés, se demandant qui pouvaient bien être « ces petits hommes verts », qui avaient fait main basse sur ce territoire ukrainien, à partir des bases et des navires de débarquement russes.

En 2022, sous l’impulsion des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et surtout des pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et les Pays baltes, l’aide militaire occidentale s’est organisée en soutien à l’Ukraine, avec le transfert d’équipements de plus en plus performants, d’abord des missiles antichars et antiaériens d’infanterie (février 2022), puis des blindés de l’époque soviétique (mars 2022), suivis par les premiers blindés et systèmes d’artillerie occidentaux (avril-mai 2022).

Dans le même temps, les trois nations dotées occidentales, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, répondirent à la mise en alerte des forces nucléaires russes, par le renforcement de leurs propres moyens de dissuasion, dans un bras de fer que le monde n’avait plus connu depuis 1985 et la fin de la crise des euromissiles.

Dissuasion française SNLE classe le Triomphant
Les quatre SNLE français de la classe Triomphant, permettent de maintenir, en permanence, en temps de paix, un sous-marin armé de 16 missiles M51, en patrouille, et de deux, ou trois, SNLE à la mer, en temps de crise, comme en mars 2022.

Ainsi, en mars 2022, quatre semaines après le début du conflit, la France annonçait qu’elle disposait de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engin à la mer, dans une réponse tout à fait unique et exceptionnelle depuis la fin de la guerre de froide.

Des menaces qui ont porté leurs fruits pour contenir la livraison d’armes à l’Ukraine

En dépit de la fermeté de la réponse stratégique occidentale, la menace russe porta ses fruits. Il fallut, ainsi, plus d’une année pour que les occidentaux acceptent de livrer à l’Ukraine des blindés lourds modernes, comme des véhicules de combat d’infanterie (Bradley, Marder, CV90), ou des chars de combat (Leopard 2, Abrams, Challenger 2).

Un an et demi furent nécessaires pour qu’ils livrent des munitions à longue portée (Storm Shadow et Scalp-Er..), et plus de deux ans, pour que les premiers avions de combat F-16, n’arrivent en Ukraine (ce qui n’est pas encore le cas). C’est certainement la raison qui a convaincu Moscou de persévérer en ce sens.

Ainsi, en mars 2023, le chef de l’US Strategic Command, l’Amiral Charles Richard, estimait qu’il fallait s’attendre, dans les mois et années à venir, à ce que Moscou, comme Pékin, multiplient les tentatives de chantage nucléaire, en particulier contre les pays non dotés, bien plus sensibles à ce type de menace.

Leopard 2 Ukraine
Le chantage à la dissuasion russe permit de convaincre les occidentaux de reporter de plus d’un an la liraison de chars de combat modernes à l’Ukraine.

Le fait est, celle-ci a été très brandie par la Russie, de manière très régulière, et peu convaincante, par les séides du Kremlin, comme Medvedev, Peskov ou Lavrov, et de manière moins fréquente, mais beaucoup plus appuyée, par Vladimir Poutine et Nikolai Patrushev, dont la parole a beaucoup plus de poids.

La puissance des forces nucléaires russes est stupéfiante

Il faut dire que la puissance des forces de dissuasion nucléaire russes est pour le moins impressionnante, faisant aisément jeu égal avec celle des États-Unis, un pays pourtant 12 fois plus riche, et trois fois plus peuplé.

5 977 têtes nucléaires dont 4 477 sont opérationnelles

Elle s’appuie sur 5 977 têtes nucléaires en inventaire (2022), dont 4 477 seraient opérationnelles. Parmi elles, 2 567 arment les systèmes stratégiques russes, alors que 1 910 têtes nucléaires sont employées à bord de systèmes dits non stratégiques, auxquels appartiennent les missiles balistiques à courte portée Iskander-M ou le missile aéroporté Kinzhal.

50+ Tu-95MS et une vingtaine de bombardiers supersoniques Tu-160M

À l’instar des États-Unis et de la Chine, les forces stratégiques russes s’appuient sur une triade de vecteurs, navals, aériens et terrestres. Dans le domaine aérien, Moscou dispose d’un peu moins d’une centaine de bombardiers stratégiques à très long rayon d’action, dont une cinquantaine de Tu-95MS modernisés lors de la précédente décennie, ainsi qu’une vingtaine de Tu-160M supersoniques.

Tu-160M
Les forces aériennes stratégiques russes alignent aujourd’hui une vingtaine de bombardier Tu-160 M, et prevoient de disposer d’une cinquantaine d’unité di’ci à la fin de le decennie.

Ces appareils mettent en œuvre des missiles de croisière, comme le Kh-102 ou le Kh-65, transportant une unique charge nucléaire de faible à moyenne intensité. D’autres appareils, comme le bombardier à long rayon d’action Tu-22M3M, ou le Su-34, peuvent, eux aussi, transporter des missiles ou des bombes armés d’une tête nucléaire, alors qu’une dizaine de Mig-31K a été transformée pour transporter le missile balistique aéroporté Kinzhal, pouvant être armé d’une charge nucléaire.

11 sous-marins nucléaires SSBN armés de missiles balistiques stratégiques

Dans le domaine naval, la Marine russe dispose d’une flotte de 11 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SSBN selon l’acronyme anglais, en l’occurrence, 4 Boreï-A, 3 Boreï et 4 Delta-IV. Ces derniers seront remplacés, d’ici à 2031, par 5 nouveaux Boreï-A, pour atteindre une flotte de 12 SSBN modernes au début de la prochaine décennie, identique à celle de l’US Navy.

Chaque Boreï-A transporte 16 missiles balistiques intercontinentaux à changement de milieux SLBM R30 Bulava d’une portée supérieure à 8 000 km, eux-mêmes armés de 6 véhicules indépendants de rentrée atmosphérique MIRV, armés chacun d’une tête nucléaire de 100 à 150 kt.

Outre la flotte de SSBN, la Marine russe met également en œuvre le sous-marin Belgorod, conçu pour déployer la torpille nucléaire Poseidon, alors que ses sous-marins nucléaires lance-missiles SSGN Anteï et Iassen, peuvent mettre en œuvre des missiles de croisière Kalibr, ou des missiles antinavires hypersoniques Tzirkon, pouvant, eux aussi, accueillir une tête nucléaire (bien que rien ne l’indique à ce jour). C’est aussi le cas des nouvelles frégates russes Admiral Gorshkov qui mettent en œuvre ces mêmes missiles avec leurs systèmes VLS UKSK.

700 missiles balistiques intercontinentaux ICBM mobiles et en silo

Les forces des fusées russes, enfin, alignent près de 700 missiles balistiques intercontinentaux, mobiles ou en silo, de type Topol, Topol-M, Iars et, semble-t-il, depuis cette année, Sarmat. Chaque missile a une portée de plus de 10 000 km, et peut transporter de 6 à 10 MIRV semblables à ceux mis en œuvre par le RS-30 Bulava.

RS-28 SArmat
le missile ICBM SARMAT est annoncé desormais comme en service par Moscou, même si l’essentiel de la composante terrestre de la triade nucléaire russe, repose encore sur des missiles Topol datant de l’époque soviétique.

À ces missiles stratégiques s’ajoutent les missiles Iskander-M, dont le nombre en service est incertain, car largement employés en Ukraine. Ce missile à trajectoire semi-balistique, d’une portée de 500 km, peut emporter une tête nucléaire de faible à moyenne intensité.

La dissuasion française et la stricte suffisance

En comparaison, les moyens dont dispose la dissuasion française, peuvent apparaitre bien faibles. En effet, celle-ci a été conçue sur le principe de la stricte suffisance, c’est-à-dire qu’elle doit suffire à dissuader n’importe quel adversaire de franchir ce seuil face à la France, faute de quoi, les bénéfices qu’il entend en retirer, seront très inférieurs aux destructions engendrées par les frappes nucléaires françaises.

290 à 350 têtes nucléaires, dont 50 pour les missiles ASMPA

N’ayant jamais été soumise aux mêmes contraintes de vérifications que la Russie et les États-Unis, engagés, jusqu’il y a peu, par plusieurs accords de limitation des armes nucléaires, la France a toujours maintenu un certain flou, concernant le nombre de têtes nucléaires détenues.

Les évaluations, dans ce domaine, se situent, le plus souvent, entre 290 et 360 têtes nucléaires, dont une cinquantaine employée par les missiles supersoniques aéroportés ASMPA-rénovés, et de 250 à 300 têtes TNO pour les missiles balistiques à changement de milieux, qui arment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.

Deux escadrons de bombardement stratégique équipés de Rafale B et de missiles ASMPA rénovés

Contrairement à la Russie, la France n’a que deux composantes pour sa dissuasion, une composante sous-marine et une composante aérienne. Cette dernière se compose de deux escadrons de chasse stratégiques, le 1/4 Gascogne et le 3/4 La Fayette, armés de Rafale B, appartenant à la 4ᵉ escadre de chasse stationnée sur la base aérienne BA 113 de Saint-Dizier.

Rafale B et missile ASMPA rénové
Les forces aériennes stratégiques, notamment la 4ème escadre de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Esapce, et la flotille 12F de la Marine Nationale, disposent d’une cinquantaine de missile de croiisère supersonique nucléaires ASMPA rénovés.

Ces escadrons de chasse sont épaulés par les avions de ravitaillement en vol de la 31ᵉ escadre basée à Istres, en particulier les escadrons 1/31 Bretagne, 2/31 Estérel et 4/31 Sologne, équipés d’A330 MRTT Phoenix.

À ces forces mises en œuvre par l’Armée de l’Air et de l’Espace, s’ajoute la flottille 12 F de la Marine nationale, basée à Landivisiau, montée sur Rafale M, et capable de mettre en œuvre, elle aussi, le missile ASMPA rénové, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins classe Le Triomphant

La composante sous-marine porte l’essentielle de la puissance de feu de la dissuasion française. Celle-ci s’appuie sur 4 SNLE de la classe Le Triomphant, entrés en service entre 1997 et 2010, et qui seront remplacés, à partir du milieu de la prochaine décennie, par les sous-marins nucléaires de 3ᵉ génération.

3 sous-marins, le Triomphant, le Téméraire et le Terrible, mettent aujourd’hui en œuvre 16 missiles SLBM M51.2, d’une portée estimée autour de 10 000 km, pouvant emporter de 6 à 10 têtes nucléaires TNO de 100 kt, ayant des caractéristiques évoluées de ciblage et de résistance aux contre-mesures. Le quatrième SNLE, le Vigilant, est actuellement en IPER de modernisation, pour recevoir ces mêmes nouveaux missiles, et rejoindra le service en 2025.

Le format à 4 SNLE permet de maintenir, en temps de paix, un navire à la mer, alors qu’un second sous-marin tient une alerte à 24 heures. Le troisième bâtiment est à l’entrainement, mais doit pouvoir être déployé sous 30 jours (comme ce fut le cas en mars 2022). Le quatrième est en entretien.

SNLE3G
La conception du SNLE3G, qui remplacera les SNLE de la classe le Triomphant, a été confié à Naval Group. Avec la concetpion d’un porte-avions nucléaire, celle d’un SNLE est souvent presentée comme l’entreprise technologique et indsutrielle la plus complexe du moment.

Cette doctrine permet de disposer, en temps de crise, de deux, voire trois sous-marins dilués, c’est-à-dire ayant suivi une procédure de plongée, protégée par des sous-marins, des frégates et des avions de patrouille maritime, pour garantir qu’il n’a pas été détecté, pour conférer à la France une capacité de seconde frappe suffisante, pour détruire entièrement n’importe quel agresseur, le cas échéant, même après des frappes nucléaires préventives contre elle.

Une équation stratégique bien plus équilibrée qu’il n’y parait

Du point de vue de la comparaison stricte des moyens, la Russie disposerait d’une dissuasion plusieurs fois supérieure à celle de la France, ceci expliquant, parfois, le sentiment de faiblesse stratégique de Paris face à Moscou.

Toutefois, si ce type de comparaison, peut avoir du sens lorsqu’il s’agit de forces armées conventionnelles, pour lesquelles la masse constitue un enjeu critique de performance et de résilience comparées, elle n’est guère pertinente, lorsqu’il s’agit de comparer des forces de discussion.

Il est vrai que Moscou dispose d’une puissance de feu suffisante pour détruire plusieurs fois la planète, et à fortiori, la France. La France, quant à elle, est en mesure de détruire, de manière certaine, toutes les villes de 100 000 habitants et plus de Russie, ainsi que l’ensemble des infrastructures économiques et industrielles significatives du pays, avec seulement un seul de ses SNLE en patrouille.

Atlantique 2 Patmar
la dillution d’un SNLE en depart de patrouille, représente une étape d’une importance cruciale pour garantir l’efficacité de la dissuasion. Ces sous-marins sont à ce point discrets lorsqu’ils patrouillent, que le bruit rayonné, de l’ordre de 30 dB, est inferieur au bruit de font des oceans.

On entre, ici, dans le concept de destruction mutuelle assurée, qui a été au cœur du dialogue stratégique lors de la guerre froide. De fait, disposer d’une telle puissance de feu, pour la Russie, n’a aucune incidence sur la réalité finale du rapport de force stratégique entre Paris et Moscou, qui se neutralisent mutuellement dans ce domaine.

Contrairement à la Grande-Bretagne, la France dispose, par ailleurs, d’une capacité de riposte intermédiaire, avec sa composante aérienne, adaptée pour répondre, au besoin, à la tentative d’utiliser une arme nucléaire de faible intensité par Moscou, par exemple, pour obtenir un cadre de déconfliction, comme le prévoit d’ailleurs la doctrine russe.

La dissuasion française peut-elle protéger toute l’Europe ?

Par transitivité, si la dissuasion française est capable de contenir la menace stratégique russe contre la France, elle l’est, aussi, pour contenir cette même menace, pour tout ou partie de l’ensemble de l’Europe.

En effet, c’est par sa capacité à infliger des dégâts inévitables et insoutenables, à l’adversaire, que la dissuasion fonctionne, quel que soit le périmètre qu’elle est censée protéger. Notons qu’à ce jour, la France ne s’est nullement engagée en ce sens de manière officielle, et laisse planer, comme il est d’usage, un important flou stratégique autour de ces sujets.

Toutefois, l’efficacité de la dissuasion, repose sur la certitude qu’aurait la Russie, quant à une réponse nucléaire de la France, si elle venait à frapper, ou à attaquer, un territoire donné.

Emmanuel macron
Si l’annonce faite par E.Macron, concernant l’envoi potentiel de troupes européennes en Ukraine, n’a obtenu que peu de soutien e, Europe, elle a vertement fait réagir Vladimir Poutine, qui a immédiatement brandi la menace nucléaire. Le président français aurait-il visé juste ?

Si Moscou a, aujourd’hui, la certitude que tel sera le cas, s’il s’en prenait à la France directement, il faudra, cependant, faire preuve de beaucoup plus de fermetés dans le discours, et d’unité à l’échelle européenne, pour qu’il en soit de même à l’échelle de l’Union européenne, ou de l’Europe en général.

Conclusion

On le voit, en dépit de ce que peuvent laisser penser, la comparaison stricte des moyens dont disposent les dissuasions russes et françaises, l’équation stratégique entre Paris et Moscou, est beaucoup plus équilibrée qu’il n’y parait.

Cet équilibre est tel, que la France pourrait, au besoin, protéger de son parapluie nucléaire, tout ou partie de l’Europe, d’autant que dans une telle hypothèse, elle pourrait certainement s’appuyer sur la dissuasion britannique, et ses 4 SSBN de la classe Vanguard (si tant est qu’elle parvienne à lancer ses missiles, mais c’est un autre sujet).

De fait, en dépit des menaces de Vladimir Poutine de ce 29 février, la France, et les français, n’ont pas de raison de trembler aujourd’hui, la situation étant strictement la même qu’elle l’était hier, il y a une semaine ou dix ans.

Vladimir Poutine
La France est aujourd’hui le seul pays de l’Union Européenne capable de s’opposer aux menaces nucléaires russes, si le parapluie nucléaire américaine venait à être affaibli. Nul doute que Vladimir Poutine multipliera les menaces de ce type dans les mois à venir, pour tenter de créer la discorde et la défiance entre européens.

Reste, désormais, à convaincre le Kremlin de la détermination de Paris à défendre l’Europe, au même titre que son propre territoire, mais aussi de convaincre les européens eux-mêmes, d’une telle nécessité face à l’évolution du contexte international.

Car, pour être efficace, la dissuasion doit se draper, tout à la fois, dans un flou stratégique indispensable, et s’appuyer sur un socle de certitudes ne souffrant d’aucune dissension. Dans le chaos politique européen actuel, construire cette unité représente un défi considérable.

Des Eurobonds Défense pour moderniser les armées européennes, proposés par Kaja Kallas

À l’occasion de la Conférence sur la Sécurité de Munich, la première ministre estonienne, Kaja Kallas, a proposé la création d’Eurobonds Défense, pour la création d’un fonds d’investissement de 100 Md€, destiné à financer la modernisation des armées européennes.

Sans que l’idée soit particulièrement originale, puisque calquée sur la crise Covid, ni même récente, elle émerge, cette fois, dans un contexte qui pourrait bien lui permettre de prendre corps, alors que l’action conjointe de la montée en puissance des armées russes, et la crainte de voir Donald Trump revenir dans le Bureau Ovale, est au cœur des préoccupations des chancelleries européennes.

Toutefois, la réalité économique qui permit de faire émerger les Corona-bonds, il y a quatre ans, est désormais très différente. Il faudra aussi relever de nombreux défis, pour que les Eurobonds Défense puissent se matérialiser en un outil puissant pour répondre aux défis sécuritaires, qui menacent l’Europe aujourd’hui.

Kaja Kallas, la PM estonienne, préconise la création d’un fonds européen pour moderniser les armées, alimenté par des Eurobonds Défense

Très active face à la menace russe, depuis son élection à la présidence de l’Estonie en 2018, puis comme première ministre trois ans plus tard, Kaja Kallas a, une nouvelle fois, soutenue l’indispensable renforcement des armées européennes et du soutien européen à Kyiv, alors qu’elle s’exprimait lors de la Munich Security Conference 2024.

Pour la cheffe d’État estonienne, la situation présente, revêt une dimension existentielle pour l’ensemble de l’Europe, comme ce fut le cas lors de la crise Covid, et nécessiterait, dès lors, des mesures d’accompagnement similaires à celles prises alors, en particulier au travers d’un fonds européens destiné à la modernisation des armées européennes, alimenté par de la dette mutualisée, sous la forme d’Eurobonds.

Eurobonds defense Kaja Kallas
Kaja Kallas au parlement Européen.

Selon Kaja Kallas, l’Union européenne aurait la possibilité, par ce procédé, de créer un fonds de 100 Md€, à l’instar des programmes NextGenerationEU et SURE, mis en œuvre lors de la crise Covid à hauteur respective de 723,8 Md€ et de 100 Md€, pour financer le plan de relance européen, et les mesures d’urgence des Etats européens. À ce moment-là, les eurobonds furent également appelés Corona-bonds.

L’utilisation des Eurobonds par la Commission Européenne lors de la crise Covid : les Corona-bonds

L’idée à de quoi séduire. En effet, beaucoup de pays européens se trouvent, aujourd’hui, handicapés par le niveau de leurs déficits publics, de leur dette souveraine, voire des deux, dans leurs efforts pour moderniser leurs armées.

Or, face à la menace russe croissante d’une part, celle que représente la possible élection de Donald Trump de l’autre, et l’indispensable augmentation de l’aide militaire à l’Ukraine, s’ajoute, au besoin de modernisation des armées consécutif à 20 années de sous-investissements critiques en matière de défense, un critère d’urgence ne se satisfaisant pas de la gestion précautionneuse attendue par les instances européennes.

C’est dans ce contexte que les Eurobonds apporteraient une solution efficace et rapide, mais pas dénuée de conséquences. Ainsi, ce serait la Commission Européenne, et non les Etats eux-mêmes, qui contracterait le prêt à taux préférentiel auprès de la Banque centrale européenne, comme ce fut le cas lors de la crise Covid, pour ensuite redistribuer les fonds sous la forme de prêts et d’aides directes, auprès des états.

Cette approche permettrait simultanément d’emprunter à taux souvent bien plus bas que ceux auxquels les états peuvent se financer sur les marchés, en profitant, il est vrai, de la confiance portée par les pays européens les plus « frugaux », à la gestion publique la plus saine. En outre, une partie de l’aide est directe, et ne viendrait donc pas alourdir les dettes souveraines, alors que ni l’un, ni l’autre, n’entreraient en compte dans les déficits publics.

exercice OTAN
Les armées européennes ne parviennent pas, aujourd’hui, à se moderniser et se renforcer suffisament rapidement face à l’évolution des menaces.

Naturellement, cette mesure ne serait probablement pas appréciée par ces mêmes frugaux. D’une part, elle n’offre pas de taux plus bas que ceux auxquels eux-mêmes peuvent se financer sur les marchés. Surtout, cette dette globalisée viendrait nécessairement s’imputer à leur propre notation, et donc à leur capacité à emprunter à bas couts sur les marchés.

Enfin, et c’est compréhensible, ces pays ayant produit d’importants efforts pour garder leurs finances publiques saines, ils sont souvent rétifs à seconder des pays beaucoup moins regardants sur ce sujet.

Les Eurobonds Défense, un modèle préconisé par Thierry Breton en 2016

Pour autant, méthode préconisée par Kaja Kallas est intéressante, ce d’autant qu’elle n’est pas du tout nouvelle. En effet, à plusieurs reprises, ces dernières décennies, le principe des Eurobonds Défense avait été défendu, en particulier en France.

Ainsi, en 2016, Thierry Breton, alors PDG d’Atos, par ailleurs ancien ministre de l’Économie et des finances, avait présenté un plan très similaire, pour tenter de relancer le financement des armées européennes, en état de sous-investissement chronique sur l’ensemble de l’Union européenne.

À l’époque, le modèle proposé s’appuyait sur le différentiel entre les taux d’intérêts d’emprunt auxquels beaucoup de pays, dont la France, l’Italie, l’Espagne ou encore la Grèce, étaient exposés, pour créer un cercle vertueux de financement de l’effort de défense en augmentant les montants investis dans ce domaine, des sommes économisées du fait des taux plus bas, et dans le même temps, de relancer la production industrielle défense européenne, alors proche de la sclérose.

Thierry Breton
Thierry breton avait proposé, en 2016, un modèle basé sur des Eurobonds, pour augmenter les dépenses européennes dans l’indsutrie de défense, à périmetre budgétaire constant.

Depuis, Thierry Breton a été nommé Commissaire au marché intérieur, au sein de la commission européenne d’Ursula von der Leyen. On retrouve d’ailleurs, dans l’intérêt particulier qu’il porte, dans le cadre de ses fonctions, à l’industrie de défense européenne, les conséquences de la réflexion menée alors, même si celle-ci a été ignorée, y compris par le président français alors nouvellement élu, Emmanuel Macron.

De fait, on peut penser que Kaja Kallas aura, en Thierry Breton, mais aussi en Ursula von der Leyen, ancienne ministre de la Défense allemande, si pas nécessairement des alliés tout acquis, en tout cas des oreilles attentives, pour éventuellement faire avancer sa proposition.

Le bon diagnostic, mais pas la bonne ambition de Kaja Kallas

Pour peu que l’idée puisse être poussée par la Commission européenne et acceptée par l’ensemble des dirigeants européens, le principe d’un fonds d’investissement destiné à financer les programmes industriels destinés à moderniser les armées de l’UE, est donc pertinent, et pourrait, effectivement, apporter un regain de crédits aux armées européennes, pouvant à la foi accélérer leur modernisation, et par transitivité, libérer des équipements pouvant potentiellement être envoyés en Ukraine.

Toutefois, plusieurs aspects dans l’approche présentée par la première ministre estonienne, révèlent une ambition insuffisante. D’abord, en termes de montant. En effet, 100 Md$ ne permettraient pas de peser significativement dans l’effort global nécessaire en Europe, surtout pour répondre à la double urgence formée par la modernisation rapide des armées russes et le risque de voir Donald Trump revenir à la Maison-Blanche.

Donald trump
Les menaces de Donald Trump sur l’OTAN sont prises très au sérieux par les chancelleries européennes.

Sur la base du diagnostic allemand d’un besoin de modernisation en urgence de 100 Md€, pour un PIB de 3 867 Md€, les besoins, en Europe, peuvent être estimés à 409,5 Md€, pour l’ensemble de l’UE et son PIB de 15 837 Md€. On peut, en effet, difficilement penser, qu’en moyenne, les autres armées européennes seraient en meilleure situation que la Bundeswehr aujourd’hui, en termes de capacités opérationnelles.

Le remboursement des Eurobonds défense plus difficile que pour la crise Covid

En outre, si Eurobonds, il y a, il convient d’y associer une source de financement, pour rembourser les aides directes. Dans le cas des Corona-bonds, ce financement a été garanti par l’augmentation attendue des droits de douane, de la TVA et des contributions nationales basées sur le Revenu Intérieur Brut, dans les années à venir.

Or, cette source de financement ne peut pas être étendue à la sécurisation des Eurobonds Défense. Elles sont déjà fléchées vers les Corona-bonds pour plusieurs années, sans que les perspectives économiques puissent laisser espérer des recettes supplémentaires dans ces domaines.

En revanche, ce financement pourrait être assuré par les recettes sociales et fiscales générées par l’industrie de défense européenne, qui bénéficieraient des commandes des états financées par ce fonds européen. D’autant que ce retour budgétaire est proche de 50 % au sein de la BITD européenne, soit le taux employé entre prêts et aides, pour le plan de relance européen suite à la crise Covid NextGenerationEU.

industrie de défense européenne Krauss Maffei Wegmann
Chaine de production de Krauss-Maffei-Wegmann pour le Leopard 2

Cela supposerait, toutefois, que ce fonds serve exclusivement à acquérir des équipements de défense européens, ce qui n’ira pas sans engendrer de vives résistances auprès de certains pays, particulièrement appétant de technologies défense américaines, sud-coréennes ou israéliennes, et qui verraient dans cette manne budgétaire, le moyen d’envoyer les signaux attendus par un éventuel Donald Trump arrivant à la Maison-Blanche.

Notons que dans cette hypothèse, ce seraient les pays dans lesquels les équipements seraient construits, et non ceux qui les recevront, qui paieraient les taxes de remboursement auprès de la Commission européenne.

Un contexte unique pour donner corps à une Europe de la Défense réaliste

Reste qu’aujourd’hui, de nombreux facteurs militent en faveur de la mise en œuvre d’une telle mesure, pour peu qu’elle parvienne à être suffisamment dotée, suffisamment vite, et avec les cadres suffisamment fermes, pour la rendre soutenable.

Le premier d’entre eux est évidemment le besoin partagé par l’ensemble des européens, de venir rapidement et massivement durcir les capacités de défense nationales et collectives, au sein de l’Union européenne.

De nombreux pays, jusque-là plus que rétifs à ce genre de procédés, ont envoyé des signaux très différents ces derniers mois, acceptant même de faire fie de leur gestion budgétaire exemplaire, pour tenter de renforcer et moderniser leurs armées, et par ailleurs, pour aider l’Ukraine.

Olaf Scholz Boris Pistorius Rheinmetall
Le gouvernement allemand pourrait envisager de laisser filer les dificits pour financer la reconstruction de la Bundeswehr, selon plusieurs echos venus d’outre-Rhin

Ainsi, des pays comme la Suède, le Danemark, ou encore les Pays-Bas, ont montré une réelle détermination en ce sens, bien loin de la prudence à laquelle ils étaient attachés jusqu’à présent. Même la très rigide Allemagne, et son non moins rigide chancelier Olaf Scholz, envisageraient de laisser filer les déficits, un temps, pour reconstruire la Bundeswehr.

Dans le même temps, cette crainte de voir la situation sécuritaire se détériorer rapidement, y compris avec une éventuelle mise en réserve des États-Unis de l’Alliance Atlantique avec le retour de Donald Trump, a amené beaucoup de pays européens, à revoir leur relation stratégique avec leurs voisins, y compris les moins précautionneux, budgétairement parlant, comme la France, car elle dispose d’une dissuasion nucléaire d’une grande efficacité.

De fait, l’américano-centrisme, qui dirigeait, il y a encore peu, presque la totalité de la réflexion des États européens en matière de Défense, tend à s’atténuer, face à la réémergence de l’idée d’une Europe de la Défense, débarrassée de ses oripeaux fantasmés, comme l’absurde idée d’une armée européenne, pour se concentrer sur des aspects plus concrets et réalistes.

C’est le cas de la Commission européenne, qui cherche désormais à jouer un rôle moteur dans ce domaine, tout en restant dans ses domaines de compétence, comme dans la mise en œuvre du fonds d’investissement européen à destination de l’industrie de Defense annoncé par Thierry Breton il y a quelques semaines.

F-35 Italie
Pour un modèle d’Eurobonds Défense soutenable, il sera indispensable que les européens se tournent vers l’indsutrie de défense européenne, et non américaine.

À ce titre, les Eurobonds Défense, évoqués par Kaja Kallas, entreraient, eux aussi, parfaitement dans le périmètre de la Commission Européenne, et seraient certainement plus efficaces que beaucoup d’idées évoquées dans ce domaine, comme celle de construire un « porte-avions européen ».

Conclusion

On le voit, le principe des Eurobonds Défense, proposé par la Première ministre Estonienne il y a quelques jours, a un véritable potentiel, pour venir renforcer, sur des courts délais, le potentiel militaire des armées européennes, tout en augmentant significativement l’aide militaire à l’Ukraine.

Ils ne seront toutefois pas simples à mettre en œuvre, non plus en lien avec la réticence de certains États à cofinancer une dette mutualiser, mais avec un modèle de soutenabilité économique bien plus complexe à élaborer que lors de la crise Covid, et à la réticence de nombre de pays européens, à devoir s’équiper de matériels européens.

Reste que si l’idée à une chance d’émerger, et avec elle, de donner un cadre réaliste et efficace à une véritable initiative européenne de défense, c’est certainement aujourd’hui, tant les défis, comme les inquiétudes et les menaces, sont à la fois immenses et urgents. On pourrait même penser qu’il s’agit, là, du test ultime que devra relever l’Europe, pour déterminer si elle peut vraiment aller au-delà d’un simple marché commun.

Hongrie, Philippines : le JAS 39 Gripen suédois retrouve des couleurs à l’exportation

Le chasseur monomoteur JAS 39 Gripen, qui a fait son premier vol en 1988, est universellement reconnu comme un appareil offrant un excellent rapport performances-prix. Très efficace et économique à l’usage, il permit au suédois Saab de remporter plusieurs marchés clés à l’exportation dans les années 2000 avec la Hongrie (14 exemplaires), la République tchèque (14 exemplaires), l’Afrique du Sud (26 exemplaires) et la Thaïlande (18 appareils), puis avec le Brésil pour 36 nouveaux Gripen E/F en 2015.

Après un passage à vide, les exportations du chasseur de Stockholm, pourraient repartir, alors que la Hongrie vient d’annoncer la commande de 4 JAS 39 Gripen C monoplaces supplémentaires, et que Manille et Stockholm sont entrés en négociations pour l’acquisition potentielle d’une flotte de 18 chasseurs, voire davantage.

Pas de commandes internationales pendant 9 ans face aux F-35A, F-16V et Rafale

Après une période d’euphorie de dix ans, de 2005 à 2015, avec la vente de 106 chasseurs, un record pour la Suède depuis le J35 Draken exporté à 125 exemplaires auprès de 3 pays européens (Finlande, Danemark et Autriche) dans les années 60 et 70, Saab avait entamé une inquiétante traversée du désert.

J-35 Draken Saab Forces aériennes suédoises
Le J-35 Draken demeure encore aujourd’hui l’avion de combat suédois le plus exporté, avec 125 exemplaires.

Bien que très actif, commercialement parlant, l’avionneur suédois s’est vu coiffer au poteau par le F-35A américain en Finlande, au Canada, en Suisse et en République tchèque, alors que la Bulgarie et la Slovaquie lui préférèrent le F-16V, et que la Croatie se tournait vers le Rafale français.

De fait, depuis la commande des 60 Gripen E/F pour la Flygvapnet, les forces aériennes suédoises, en 2013, et la validation du contrat pour 36 Gripen E/F, avec fabrication locale, pour les forces aériennes brésiliennes, validé par le Parlement du pays en 2015, le carnet de commande du Gripen était resté désespérément vierge.

Par ailleurs, les négociations en cours, par exemple, au Chili ou en Colombie, semblent particulièrement contestées, notamment par le F-16 américain et le Rafale français, et la commande brésilienne de la seconde tranche de 34 Gripen E/F, imminente depuis plusieurs années, peine toujours à se concrétiser.

Une nouvelle commande de 4 JAS 39 Gripen C pour les forces aériennes hongroises

Dans ce contexte morose, l’annonce faite, ce 23 février, par Micael Johansson, le président de Saab, concernant la nouvelle commande de 4 JAS 39 Gripen C par Budapest, bien que modeste, revêt une importance symbolique de premier plan pour l’avionneur suédois.

En effet, après que la République tchèque a annoncé se tourner vers le F-35A américain, et le coup dur du choix, par Helsinki, de choisir le même appareil, plutôt que de parier sur l’interopérabilité avec son voisin et allié suédois, Saab avait grandement besoin d’une bonne nouvelle, pour briser la série noire traversée.

JAS 39 Gripen C Forces aériennes hongroises
Les forces aériennes hongroises mettent en oeuvre 14 JAS-39 Gripen C monoplaces, et 2 Gripen D biplaces.

Les 4 chasseurs commandés par l’intermédiaire de l’agence suédoise de l’armement FMV, dans le cadre du contrat les liant à Budapest jusqu’en 2026, seront identiques à ceux déjà en service au sein des forces aériennes hongroises, des Gripen C monoplaces, et non le nouveau Gripen E, plus performant et moderne, mais beaucoup plus cher, et nécessitant une maintenance et une formation sensiblement différentes de celle du précédent modèle.

Avec ces 4 chasseurs supplémentaires, les forces aériennes hongroises vont disposer d’une flotte de 18 chasseurs Gripen, dont 16 monoplaces C et 2 biplaces D. Les deux appareils perdus en 2015 à trois semaines d’écart, suite à des accidents, avaient, en effet, été remplacés en 2016 par Saab.

Cette commande laisse supposer que Budapest entend accepter la proposition faite, il y a quelques mois, d’étendre la durée de location des Gripen jusqu’en 2035, ceci intégrant notamment la modernisation de la flotte au standard MS Block 2, qui concerne les senseurs, les systèmes de communication, et l’intégration de nouvelles munitions.

Les Philippines se rapprochent d’une commande de plus de 18 appareils

Nul doute que Saab espère que cette commande hongroise créera une nouvelle dynamique, alors que certains dossiers exports ont avancé ces derniers mois, de manière positive. Le plus prometteur porte incontestablement sur la possible acquisition par Manille de 18 chasseurs Gripen C.

JAS 39 Gripen E
Plus onéreux et avancé, le Gripen E/F peine à trouver son marché sur la scène internationale, alors qu’un seul pays, le Brésil, l’a commandé à ce jour.

Après de nombreuses hésitations, le gouvernement philippin a, en effet, signé avec le gouvernement suédois, un protocole d’accord portant sur la coopération industrielle et technologique Défense entre les deux pays, en juin dernier. Parmi les sujets abordés, l’acquisition de 18 chasseurs Gripen C et D, pour venir renforcer la flotte de 12 TA-50 acquis auprès de la Corée du Sud en 2012.

Les forces aériennes philippines avaient, précédemment, perdu leur flotte de chasse avec le retrait des derniers F-5 en 2005, et ne mettaient en œuvre, jusqu’à l’arrivée des TA-50, que des appareils d’attaque légers destinés à lutte anti-guérilla A-29 brésiliens et OV-10 bronco américains.

Depuis quelques années, cependant, Manille subit une pression croissante de la part de Pékin, au sujet du récif de Scarborough, appartenant aux Philippines, mais revendiqué par la Chine au travers de la règle des neuf traits, concernant l’appartenance historique de la Mer de Chine du Sud à la Chine.

Les tensions, d’abord entre les flottes de pêches des deux pays, se disputant ce récif très poissonneux, puis des gardes cotes, ne cessent de croitre, au point qu’aujourd’hui, de l’aveu même du Chef d’état-major Philippin, ses armées ont dû déployer l’essentiel de leurs forces, dans le nord du pays, à proximité de la zone de tension.

Dans ce contexte, il est devenu urgent, pour Manille, de se doter à nouveau d’une flotte de chasse, bien que des contraintes budgétaires handicapaient ce projet pendant plusieurs années.

TA-50 forces aériennes philippines
Les forces aériennes philippines disposent de seulement 12 avions d’entrainement et d’attaque TA-50 pour faire face à la puissance miltiaire chinoise

En négociation depuis plusieurs années avec Saab, le Gripen offrant un rapport performances-prix très attractif, les autorités philippines ont subi, depuis plusieurs mois, une grande pression de la part de Washington, pour placer le F-16V, bien plus cher, mais garant de la bienveillance américaine, le cas échéant.

Si en juin dernier, on pouvait penser que le choix de Manille s’était arrêté sur le Gripen C/D, les récentes déclarations des autorités Philippines, au sujet d’une nouvelle consultation pour une flotte de chasse « certainement plus importante », que les 18 appareils envisagés jusque-là, tendent à rebattre les cartes, et, naturellement, à affuter la convoitise des autres avionneurs occidentaux.

Pour autant, le Gripen demeure considéré comme le favori dans ce dossier, par la presse spécialisée internationale, comme par la presse locale philippine.

L’Ukraine sur les rangs pour acquérir des Gripen neufs et d’occasion

Le dernier dossier très actif pour Saab, concernant le Gripen, n’est autre que l’Ukraine. Kyiv s’est montré, en effet, depuis de nombreux mois, très intéressé par le chasseur suédois, léger, agile, performant et d’une maintenance aisée, capable, en outre, d’employer des pistes sommaires, comme des portions d’autoroute, une caractéristique clé pour les forces aériennes ukrainiennes.

Gripen C autoroute
Le Gripen est un des rares appareils modernes à avoir été conçu pour opérer à plein potentiel à partir de pistes sommaires, comme des portions d’autoroute.

Stockholm a, en effet, mis sur la table le transfert de JAS 39 Gripen, prélevés sur l’inventaire des forces aériennes suédoises, vers l’Ukraine, dès que son adhésion à l’OTAN aura été validée. Dans le même temps, les autorités ukrainiennes ont également fait savoir que, dans une telle hypothèse, elles seraient intéressées pour acquérir des Gripen supplémentaires, neufs ou d’occasion, pour renforcer leur puissance aérienne.

Il faut dire que par ses performances, sa polyvalence, sa rusticité, sa maintenance et ses couts d’exploitation réduits, de l’ordre de 5 000 $ par heure de vol selon Saab, le Gripen C/D conviendrait parfaitement aux besoins ukrainiens, d’autant que le chasseur a été conçu pour se confronter aux avions de chasse russes, et qu’il peut emporter une très vaste panoplie de munitions occidentales.

Il ne reste désormais plus qu’à la Hongrie, justement, à lever son opposition à l’adhésion suédoise à l’OTAN, pour que Stockholm puisse recevoir ses premiers Gripen, et probablement commander les appareils à suivre.

On remarquera, à ce titre, que c’est la version précédente du Gripen, le C/D, et non la version la plus évoluée E/F, qui est au cœur des négociations en cours aujourd’hui dans les trois dossiers actifs de Saab.

Par son prix d’achat, proche de celui du F-16V ou du Rafale C, le Gripen E se retrouve, malheureusement pour lui, en concurrence directe avec deux des appareils qui, en dehors du F-35, remportent l’essentiel des contrats exports ces dernières années.

Saab usine Gripen
Concerver les compétences industrielles et technologiques de Saab en matière de conscption et de consctruction d’avions de combat est plus que jamais stratégique aujourd’hui, en Europe.

Quoi qu’il en soit, avec la commande hongroise, les négociations avec les Philippines, les besoins ukrainiens, et dans l’attente de la nouvelle commande brésilienne, le Gripen semble bien se diriger vers des jours plus sereins qu’ils ne l’étaient il y a encore quelques mois.

C’est certainement une très bonne nouvelle, pour la Suède, mais aussi pour l’Europe, qui a tout intérêt à préserver les compétences industrielles et technologiques de Saab dans ce domaine, en particulier face à la trajectoire incertaine des États-Unis dans les mois et années à venir.

Le chasseur furtif J-35 bientôt à bord de tous les porte-avions chinois ?

Jusqu’à présent, une majorité de spécialistes estimaient que le nouveau chasseur furtif J-35, la version navale destinée à la Marine chinoise, était destiné à opérer à partir du porte-avions Fujian, premier navire chinois à mettre en œuvre une configuration CATOBAR, c’est-à-dire équipé de catapultes et brins d’arrêt, comme les porte-avions américains et français.

De nouveaux clichés du porte-avions Liaoning, semblent montrer une réalité toute autre. Alors qu’il termine une longue période d’indisponibilité technique, le premier porte-avions chinois, le Liaoning, entré en service en 2017 et dépourvu de catapultes, a accueilli à son bord, pendant quelques jours, une maquette grandeur nature du J-35, pour effectuer de nombreux exercices de mobilités sur le pont d’envol.

Le J-35, qui a effectué son premier vol en juillet 2021, devant prochainement commencer sa vie opérationnelle, il est désormais fort probable que l’appareil armera non seulement le porte-avions Fujian, et ses sister-ships à venir, mais également les deux premiers porte-avions chinois Liaoning et Shandong, équipés d’un Skijump, et non de catapultes.

Le chasseur furtif J-35, un avion prometteur, mais encore mal connu

Dérivé de la seconde version du FC-31, le J-35 est encore très mystérieux pour les observateurs occidentaux, Pékin ayant sévèrement verrouillé les sources d’informations ouvertes qui existaient dans le pays, depuis quelques années.

chasseur furtif J-35
Bien que proche, dans son design, du F-35 américain, le J-35 est un appareil totalement nouveau, qui n’a que peu à voir avec l’avion américain.

Les données qui suivent, élaborées par certains spécialistes occidentaux reconnus, doivent donc être prises avec certaines réserves. Ainsi, l’appareil aurait des dimensions proches de celles du FC-31/2, avec une longueur de 17,3 m, une envergure de 11,5 m, et une masse à vide de 13,3 tonnes.

Il serait propulsé par deux turboréacteurs WS-13E ou WS-19 de facture chinoise, ce dernier développant 117 KN de poussée avec post-combustion, soit 12 tonnes, et une poussée sèche supérieure à six tonnes. Cette puissance lui permettrait d’avoir une masse maximale au décollage de 28 tonnes, contre 25 tonnes pour le FC-31, équipé de deux WS-13 limités à neuf tonnes avec post-combustion.

L’appareil peut emporter jusqu’à 8 tonnes d’armement et de chargement externes, dont deux tonnes dans la soute ventrale qui peut recevoir, par exemple, 4 missiles air-air à très longue portée PL-21, ainsi que 6 points d’emport extérieurs.

Ce qui laisse supposer qu’il emporte plus de 6 tonnes de carburant interne, contre 4,7 tonnes, par exemple, pour le Rafale M français. Ceci explique le rayon d’action de combat estimé de l’appareil, de 650 nautiques, soit 1200 km, alors que rien n’indique qu’il puisse emporter de bidons extérieurs à ce jour.

FC-31
Le FC-31 est devenu le cheval de bataille de l’indsutrie aéronautique miltiaire chinoise, sur le marché de l’exportation

Enfin, si les performances de l’appareil sont incertaines, sa configuration électronique l’est encore davantage. Au mieux, sait-on qu’il emporterait un radar AESA, un système d’autoprotection et de guerre électronique, ainsi qu’un système électro-optique. Toutefois, la Chine étant plutôt très active et efficace dans ces domaines, il convient de supposer qu’il sera efficacement doté, faisant au moins jeu égal avec les avions occidentaux de génération intermédiaire.

L’arrivée du J-35 à bord des porte-avions chinois Liaoning et Shandong STOBAR

De fait, l’arrivée probable du J-35 qui, rappelons-le, n’est pas la désignation officielle du chasseur, mais un nom généralement employé par la presse pour y faire référence, à bord des deux porte-avions STOBAR chinois, équipés de tremplin, et non de catapultes, est une information de premier plan.

En effet, même si l’autonomie et la capacité d’emport du J-35 seront nécessairement plus réduites, qu’à bord du Fujian équipé de catapultes électromagnétiques, le chasseur conférera à la Marine chinoise, un potentiel de combat renforcé, aux côtés des J-15 déjà en service, des appareils plus lourds, plus puissants, mais plus anciens et surtout pas le moins du monde furtifs.

J-15 Liaoning
Le J-15 est un chasseur lourd chinois dérivé du Su-33 russe

L’emploi combiné de ces deux chasseurs permettra au groupe aérien embarqué de répondre à de nombreux scénarios, et permettra notamment aux planificateurs de la Marine chinoise, d’employer pleinement les deux premiers porte-avions, aussi bien pour les missions opérationnelles, que pour former les pilotes.

L’évolution rapide des compétences de la Marine chinoise

En effet, outre l’évolution rapide et soutenue de son format et de son tonnage, avec la livraison, chaque année, d’au moins une dizaine de nouveaux destroyers et de nouvelles frégates, mais aussi de nouveaux sous-marins et de plusieurs navires de soutien, la Marine chinoise produit d’immenses efforts pour gagner en compétences et en aguerrissement.

Ainsi, les navires de surface combattants de la Marine chinoise participent, chaque année, à plusieurs exercices intégrants des tirs réels de tous les types de systèmes d’arme en service, bien plus que ne le font, aujourd’hui, les marines occidentales. En outre, les deux porte-avions en service ont une activité opérationnelle particulièrement soutenue, sauf lorsqu’ils sont en entretien.

À ce titre, la phase de modernisation du Liaoning arrive désormais à son terme. Celle-ci aura duré presque une année, soit une durée importante pour ce type de navire à propulsion conventionnelle. En outre, la configuration visible du navire n’a que très peu évoluée durant cette phase.

Marine chinoise Type 055 Type 052D Type 056
Les chantiers navals chinois livrent, chaque année, une dizaine de destroyers et de frégates à la Marine chinoise

Ces constats permettent de spéculer que le navire aura subi, à cette occasion, d’importantes évolutions intérieures, de son système de combat, mais également de ses infrastructures, par exemple, pour pouvoir accueillir, entretenir et mettre en œuvre le J-35. Dans ce contexte, les exercices de déplacements de pont d’envol, observés sur le Liaoning, constitueraient la partie émergée d’un iceberg bien plus important, destiné à accueillir le chasseur dans le groupe aérien embarqué du navire.

Cela signifie aussi que le Shandong, le second porte-avions chinois entré en service en 2019, et dérivé du Liaoning, ne pourra accueillir le J-35, qu’une fois qu’il sera, lui aussi, passé par une importante phase de modernisation. Pour autant, sur la base des données disponibles, tout porte à croire que la Marine chinoise disposera bien de trois porte-avions opérationnels, disposant d’un groupe aérien formé de J-35 et de J-15, d’ici à 2026.

La prochaine évolution, drones et avions de soutien

Si l’arrivée du J-35 marquera une évolution significative des capacités de combat des porte-avions chinois Liaoning et Shandong, il est peu probable que les ingénieurs et militaires chinois s’arrêteront là.

En effet, de nombreux programmes chinois travaillent sur la conception de drones de combat, certains étant destinés à opérer à bord de porte-avions. À l’instar des occidentaux, l’état-major chinois considère, lui aussi, que les drones de combat, qu’ils soient sacrifiables ou lourds, constitueront une pièce maitresse de la guerre aérienne dans les années à venir.

Sharp sword drone
L’indsutrie aéronautique chinoise est très active dans le domaine des drones de combat, comma avec la famille Sharp Sword

Il est donc plus que probable que la prochaine évolution, concernant le groupe aérien embarqué chinois, consistera à y intégrer des appareils sans pilote, destinés à évoluer aux côtés des J-35 plus que des J-15, et qui devront, eux aussi, pouvoir prendre l’air à l’aide du tremplin du Liaoning et du Shandong.

Le second axe d’amélioration, portera probablement sur les appareils de soutien, que ce soit pour le ravitaillement en vol, la veille aérienne avancée, ou le renseignement électronique. Pour l’heure, la Marine chinoise emploie l’hélicoptère Z-18J et son radar, pour les missions de veille. Pour autant, cette solution est loin d’être vraiment satisfaisante, du fait du plafond et de l’autonomie limitée de l’appareil.

Surtout, le périmètre de déploiement des porte-avions chinois, jusqu’à présent, se limite à la seconde ligne d’iles entourant la mer de Chine, alors que la préoccupation principale de Pékin, se concentre sur Taïwan. Dans un cas comme dans l’autre, les chasseurs embarqués du groupe aéronaval, peuvent bénéficier de l’appui, au besoin, des appareils basés à terre des forces aériennes chinoises.

Toutefois, si la Marine chinoise envisage des opérations de projection de puissance au-delà de ce périmètre restreint, elle devra, rapidement, se doter de moyens complémentaires à bord de ses deux premiers porte-avions, ou se contenter du Fujian et des navires à venir, dotés de catapultes et d’avions de soutien comme l’avion radar KJ-600, pour effectuer ces missions.

Conclusion

Loin d’être anecdotique, l’arrivée probable du J-35 à propos du Liaoning, va marquer une évolution sensible des moyens dont dispose la Marine chinoise, et ses forces aéronavales. Elle permettra, notamment, aux chasseurs embarqués, de faire peser une menace qu’il sera difficile de contrer, sur les avions de soutien, ravitailleurs et Awacs, qui accompagnent les porte-avions occidentaux, et qui, jusque-là, pouvaient s’estimer hors de portée de la chasse chinoise, le cas échéant.

KJ-600
Le KJ-600 est le pendant chinois du E-2D hawkeye américain

Ce constat montre aussi la confiance des industriels et militaires chinois dans les performances du J-35, qui devrait, logiquement, parvenir à conserver un potentiel opérationnel significatif, en dépit des contraintes imposées par l’utilisation d’un tremplin pour le décollage, notamment en termes de masse maximale, et de consommation.

Reste à voir, désormais, comment tout ceci se concrétisera, et surtout, quand l’appareil entrera vraiment en service à bord du navire ? Si l’on se base sur les observations passées, on peut toutefois supposer que la livraison des premiers J-35 à la Marine chinoise, interviendra peu de temps après l’entrée en service du Fujian, qui pourrait intervenir d’ici au début de l’année 2025. On peut alors supposer que le chasseur furtif rejoindra, très bientôt, les forces aéronavales chinoises, et que les premières capacités opérationnelles seront annoncées en 2026, ou 2027.