Lors d’un précédent article intitulé « Peut-on créer un fonds d’investissement privé pour garantir la souveraineté nationale« , nous avions abordé l’intérêt d’une démarche privée et citoyenne, basée sur un appel à l’épargne, pour préserver les entreprises technologiques critiques estampillées « Défense » sur le territoire national. Cet article a engendré de nombreuses réactions, sur les réseaux sociaux comme LinkedIn, et surtout à l’occasion de contacts directs. Il semble que l’hypothèse soulevée a généré une réelle curiosité, si ce n’est, pour certains, une franche adhésion.
L’actualité récente, et le véto posé par le Ministre Bruno le Maire sur la vente de Photonis, renforce en effet ce constat, car les seules solutions gouvernementales aujourd’hui reposent sur des requêtes du ministère vers Safran et surtout Thales pour se porter acquéreur, sans réelle cohérence industrielle, simplement car ces entreprises ont une activité plus ou moins proche et sont les plus importantes de la BITD nationale. Dans cet article, nous allons détailler une approche qui permettrait effectivement de mettre en oeuvre une solution privée et nationale destinée à répondre à ce besoin précis, mais également aux besoins spécifiques en matière de financement des industries de défense et des armées.
Pourquoi devoir garder un contrôle nationale des entreprises technologiques critiques de défense ?
La question mérite évidemment d’être posée. En effet, à l’occasion de la conception de la LPM2019-2025 et des programmes de coopération franco-allemands SCAF et MGCS, les autorités ont pris le parti d’accepter la notion de d’interdépendance technologique vis-à-vis de nations européennes alliées, en l’occurence l’Allemagne. L’argument alors mis en avant était que la France n’avait plus les moyens financiers et technologiques pour assumer l’ensemble des besoins de developpement liés aux programmes de défense majeurs modernes. Il y a pourtant deux arguments incontournables en faveur du maintien des compétences sous contrôle national, et les développements et productions industrielles sur le territoire français.
L’autonomie stratégique reste une notion française
Comme l’a montré l’ensemble des réactions hostiles des alliés européens de la France à la proposition du président Macron d’étendre la dissuasion française en Europe, les européens ne sont pas prêts, pour l’heure, à se passer de l’aile protectrice américaine. Et par voie de conséquence, l’extension de la notion d’autonomie stratégique française vers des alliés européens souffre du même constat. D’ailleurs, les nombreuses réserves prises par le Bundestag au sujet des programmes SCAF et MGCS montrent à quel point l’Allemagne ne partage nullement cette vision proposée par le dirigeant français.
La préservation du solde budgétaire des investissements industriels de défense
En second lieux, la préservation d’une base industrielle technologique défense autonome en France préserve l’efficacité de l’investissement d’Etat dans l’industrie de Défense. Rappelons qu’aujourd’hui encore, lorsque l’Etat investi 1 million d’Euro dans l’Industrie de Défense nationale, il enregistre, en moyenne, un retour budgétaire à 5 ans de l’ordre de 1,2 millions d’euro, et de presque 2 millions d’euro à 8 ans en tenant compte des exportations. Or, cette efficacité, unique dans l’écosystème industriel français, est avant tout liée à la chaine de sous-traitance nationale des grandes entreprises de défense. Pour d’autres pays, comme la Suède par exemple, cette efficacité est bien moindre, car en dépit de l’efficacité avérée de Saab dans le domaine, une grande part des composants sous-traités pour les programmes majeurs viennent d’Europe ou des Etats-Unis.
Quels sont les besoins financiers de l’écosystème défense national ?
Pour répondre à ces enjeux, encore faut-il identifier les besoins exprimés par les entreprises de la BITD, mais également les armées, et les instances politiques. Ces besoins se résument en 3 catégories :
- les besoins d’investissement dans les entreprises, et ce à tous les stades de developpement de l’entreprise. Aujourd’hui, l’essentiel des efforts est porté pour accompagner les entreprises en phase de démarrage, ou en phase pré-industrielle. En revanche, l’accompagnement et les prises de participation au delà de ces phases, évidemment beaucoup plus onéreux, est presque inexistant. C’est précisément le cas de Photonis aujourd’hui.
- Les besoins de financement des entreprises de défense sont, eux aussi, très importants. Les groupements industriels comme le GICAT sont en permanence sollicité par leurs adhérents pour tenter de trouver des solutions de financement pour leurs R&D, mais également pour financer leurs commandes exports. Bien souvent, les banques refusent tout simplement de s’investir dans les domaines relatifs à la défense
- Les besoins de financement pour les armées, sous forme de solutions de leasing adaptées aux besoins défense, et contrôlées nationalement.
Un dernier critère, qui n’est pas relatif aux aspects financiers, est également critique. Il s’agit du besoin de ré-appropriation de l’industrie de Défense dans l’opinion publique du pays. Nous la citons ici car il s’agira d’un effet induit du modèle proposé
Comment faire ?
Dans le précédent article, nous évoquions la pertinence d’un fonds d’investissement s’appuyant sur l’épargne nationale comme solution aux besoins d’investissement, mais il apparait qu’une telle approche ne permettrait de répondre qu’à une partie des attentes, en l’occurence la prise de participations dans des entreprises en phase de developpement. Pour traiter l’ensemble des besoins, il est donc nécessaire d’étendre le modèle.
Le Fonds d’investissement national Défense
Il s’agit d’un fonds d’investissement spécialisé dans les activités de défense, dont la fonction serait de prendre des participations dans les entreprises en phase de développement, dans l’optique de céder l’entreprise une fois les objectifs de croissance atteints. Son rôle est donc à la fois de détecter et évaluer les entreprises et industries de défense en phase de croissance, et de proposer des placements financiers performants à ses clients.

La Banque Privée d’investissement et d’accompagnement Défense
Le besoin d’une banque privée spécialisée est indispensable pour traiter l’ensemble des besoins identifiées. C’est elle qui peut accompagner les entreprises dans leurs besoins de prêts d’investissement, de fonds de roulement, et de crédits documentaires pour l’exportation, autant de domaines critiques pour les entreprises de défense aujourd’hui. C’est également elle qui peut proposer des solutions de Leasing aux armées, pour la location d’équipements, solution de plus en plus retenues par les forces depuis quelques années.
La banque privée permet également de concevoir des produits d’épargne plus souple que les fonds d’investissements, et notamment des placements éligibles à l’assurance vie. En outre, elle peut emprunter, au prorata de ses fonds propres, sur les marchés financiers internationaux, à des taux particulièrement bas. Dés lors, elle peut mitiger l’épargne des particuliers, par nature plus chère que les marchés, et l’appel aux marchés, pour constituer son offre et sa réserve financière légale.
La Holding industrielle défense
Dernière structure nécessaire, la Holding Industrie Défense assure le contrôle de la Banque Privée d’Investissement et d’accompagnement Défense, et du fonds d’investissement national Défense. Cette structure chapeau apporte les fonds propres initiaux pour la création des deux outils opérationnels, mais permet également de proposer une option de sortie au fonds d’investissement au delà de la période de croissance fixée. En effet, la Holding pourra se porter acquéreur des entreprises sortantes du fonds d’investissement, par un mécanisme de conversion optionnelle de l’épargne en actions via la banque privée, et augmentations de capital de la Holding. Pour conserver la dimension financière des investissements convertis des particuliers, cette Holding devra être cotée, et donc répondre aux exigences des marchés boursiers. Elle devra cependant garantir qu’une majorité des actions soient effectivement détenues par des acteurs privés ou publics nationaux.
Cette approche globale permet donc de multiplier les sources de financement et d’interaction avec le public, et donc de disposer des volumes suffisants pour se positionner sur des acquisitions stratégiques, comme peut l’être Photonis, voir pour acquérir des entreprises défense passées sous pavillon étranger, comme Arquus.
Les étapes clés de la mise en oeuvre
La mise en oeuvre de telles structures nécessite le respect d’une série d’étapes clés, destinées autant à définir un cadre sécurisé pour son developpement, qu’à créer une dynamique de communication pour fédérer une partie de l’opinion publique en sa faveur.
- Etude de faisabilité : l’étude de faisabilité rassemblera une équipe réduite de spécialistes destinée à identifier l’ensemble des besoins et points critiques de la conception et la mise en oeuvre du modèle, ainsi que les solutions pour y répondre.
- Phase de conception : une fois les points critiques et les écueils identifiés, la phase de conception permettra de définir un modèle cohérent global, d’identifier les besoins en matière de financement et de recrutement, et de concevoir un planning d’opération.
- Phase de communication : un des critères majeurs de succès de ce modèle repose sur l’adhésion de l’écosystème défense, ainsi que d’une partie de l’opinion publique. Cette phase de communication aura pour but de créer la dynamique préalablement citée, mais également d’évaluer les volumes prévisionnels des épargnants ainsi que des besoins de financement et d’investissements présents et à venir
- Phase de lancement : Dernière phase de ce planning synthétique, le lancement va convertir les énergies en structure, et les idées en produits. Cette phase débutera par un premier tour de table, indispensable pour atteindre les fonds propres minimum requis pour la création des structures. Elle devra également assembler les équipes, et notamment les équipes de direction, les Status et les interactions entre les entités. Enfin, il sera nécessaire fédérer les soutiens identifiés durant la phase de communication pour les convertir en investissements et financements.
Conclusion
Le modèle ici présenté est très certainement imparfait, et probablement critiquable en bien des points. Il y a en effet des limites à ce qu’il est possible de concevoir et d’identifier lorsqu’il s’agit d’écrire un article de presse, fut-il sur Meta-Défense. Il ne dépend désormais que de vous, qui lisez l’article, d’en faire une réalité. Combien de fois avez vous regretté de voir une entreprise nationale de défense passer sous contrôle international ? Combien de fois avez-vous jugé les décisions politiques dans ce domaine inappropriées ?
Soutenir le developpement de ce projet est simple. Si vos compétences professionnelles et vos savoir académiques vous permettent d’apporter une expertise adaptée, vous pouvez rejoindre l’étude de faisabilité. Si ce n’est pas le cas, vous pouvez signaler votre soutien, et tenter de porter le message vers votre propre réseau social. Quand aux entreprises, elles peuvent naturellement alimenter la réflexion sur les besoins, et sur les difficultés qu’elles rencontrent. Pour tout cela, n’hésitez pas à me contacter à l’adresse fwolf.metadefense.fr@gmail.com.











