lundi, décembre 1, 2025
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Ces 4 programmes d’armement aussi indispensables aux armées qu’à l’industrie de défense française

Alors que le salon Eurosatory prend fin, après avoir été une des éditions les plus riches de nouveautés ces 30 dernières années, le sentiment, vis-à-vis de l’industrie de défense française, apparait pour le moins mitigé.

En effet, si certaines innovations françaises ont été présentées, et des contrats signés, il apparait que les stratégies et équipements présentés par les autres BITD, notamment européennes, semblaient parfois plus avancés, et souvent plus volontaires, qu’il s’agisse du domaine des blindés, des systèmes antiaériens ou des drones.

Or, la perception d’un possible déclassement partiel de l’industrie française de défense ne touche pas que l’armement terrestre, et peut, à terme, venir nuire aux exportations nationales dans ce domaine, donc au fragile équilibre au cœur de l’équation industrielle de l’autonomie stratégique française.

Pour repositionner cette industrie dans son écosystème mondial, comme pour doter les armées des équipements qui formeront leur efficacité et leur caractère dissuasif dans les décennies à venir, il serait probablement pertinent de s’appuyer sur certains programmes à moyenne échéance, complémentaires, mais plus diversifiés, que ceux actuellement à l’étude, et ainsi retrouver la dynamique qui était celle de la France, dans ce domaine, au début des années 90.

Dans cet article, quatre de ces programmes sont étudiés, aussi pertinents pour les armées françaises dans le monde qui se dessine, qu’essentiels pour les industries de défense françaises, afin de préserver l’ensemble de leurs compétences et leurs marchés d’exportation : une nouvelle plateforme blindée chenillée de la gamme 40 tonnes, un obusier Caesar de 105 mm, un destroyer polyvalent hybride à capacités modulaires ainsi qu’un Module de mission standardisé.

Une plateforme de blindé chenillé polyvalent de 40 tonnes

De toutes les évolutions, dans le domaine des armements terrestres, mises en évidence par le Salon Eurosatory, c’est incontestablement le retour du besoin pour des blindés plus lourds, mieux protégés et chenillés, qui s’est imposé auprès des visiteurs et des analystes spécialisés.

Blindé chenillé KF41 Lynx Rheinmetall Eurosatory 2024
Rheinmetall mutliplie les declinaison de sa plateforme Lynx de 40 tonnes, y compris en chasseur de chars.

En effet, avec la mise en évidence, par le conflit ukrainien, des limites des blindés sur roues, notamment en termes de masse, donc de protection, et de mobilité en terrain meuble, de nombreuses armées, en particulier en Europe, et d’industriels, ont massivement réinvesti le domaine, en présentant de nouveaux modèles de chars de combat, mais également des plateformes chenillées polyvalentes, comme le KF41 Lynx de Rheinmetall, l’Ascod espagnol, ou le CV90 suédois.

Si ces modèles ont initialement été employés pour concevoir des véhicules de combat d’infanterie de 35 à 40 tonnes, mieux protéger et mieux armés que les VBCI français, ils ont, depuis, été dérivés en de nombreuses versions spécialisées, comme porteurs de systèmes d’artillerie ou de drones, en systèmes antiaériens et même en chars légers et chasseurs de chars, répondant simultanément aux besoins de leurs armées, et à la forte demande européenne et mondiale.

L’industrie française, pour sa part, demeure particulièrement absente de ce domaine, en forte demande, tant pour s’équiper de véhicules de combat d’infanterie, que de systèmes antiaériens et d’artillerie mobiles et sous blindage.

En effet, en dehors du Leclerc, et du très prometteur Leclerc Évolution, dont le destin est encore loin d’être assuré, aucun blindé chenillé n’a été présenté lors de ce salon, KNDS France, comme Arquus et Texelis, ayant présenté exclusivement des modèles sur roues.

Or, la plupart des experts français du domaine, comme Marc Chassillan, ou Yann Boivin, soulignent ce biais purement français, visant à ne privilégier que la roue, pour conserver des capacités de projection par transport aérien, au détriment des capacités d’engagement de ligne.

CV90 Ukraine
Les véhicules de combat d’infanterie chenillés sont largemetn acquis par de nombreuses armées, en Europe et ailleurs, pour leur haut niveau de protection, et leur puissance de feu.

Un programme en ce sens permettrait alors aux armées françaises de disposer d’un support polyvalent pour compléter ses compétences d’engagement de ligne en haute intensité, et aux industriels de répondre aux attentes d’un marché dynamique, en retrouvant des savoir-faire et infrastructures industrielles en matière de véhicules chenillés, de groupe motopropulseur et de transmission, et en se défaisant de la limite de huit tonnes par essieu, désormais très pénalisante, des blindés sur roues.

Un obusier Caesar léger de 105 mm, le Quick-Win des programmes d’armement terrestre français

Si le premier programme évoqué ici, requiert un engagement budgétaire, industriel et militaire, relativement conséquent, se chiffrant en centaines de millions d’euros, et plus probablement, en plusieurs milliards d’euros, le second peut être qualifié de Quick-Win.

En effet, la conception d’une version allégée du système d’artillerie Caesar, équipée non par un canon de 155 mm, mais par un obusier de 105 mm, et monté sur un véhicule 4×4, plutôt que 6×6 ou 8×8, pourrait ne nécessiter que quelques dizaines de millions d’euros, tant pour la conception que pour en équiper les régiments français, en complément des Caesar Mk2 et des mortiers Griffon MEPAC.

Le fait est, pour donner vie à un tel système, l’industrie de défense française, et KNDS France en particulier, disposent déjà de l’ensemble des briques technologiques nécessaires, avec, d’un côté, le VBMR-L Serval, voire le futur VBAE, de l’autre, les systèmes de localisation, calculateur balistique et de pointage, du Caesar Mk2. Quant à l’obusier LG1 Mk2 de 105 mm de KNDS France, il demeure une référence en matière d’obusier léger aujourd’hui tracté.

Caesar MK2 eurosatory
Le Caesar dispose d’une excellente image d’efficacité qu’il convidrait d’exploiter au delà de la seule declinaison modernisée Caesar Mk2.

Un obusier CAESAR de 105 mm pourrait, en outre, s’appuyer sur un atout de taille, sur la scène internationale, l’excellente image dont joui le CAESAR aujourd’hui dans les Armées, du fait de son efficacité reconnue en Ukraine. Qui plus est, en proposant un produit plus « entrée en gamme », notamment de prix, la famille CAESAR pourrait bénéficier de certaines synergies, technologiques, évidemment, mais surtout commerciales, et en termes de maintenance, au profit de l’ensemble de la famille.

En d’autres termes, élargir de cette manière la gamme Caesar, par un système encore plus mobile et peu onéreux, ne nécessiterait qu’une prise de risques minimale, en termes d’investissements, et pourrait encore accroitre l’omniprésence de KNDS France dans la technologie des canons d’artillerie portée, tout en fournissant, aux armées françaises, une solution intermédiaire entre le MEPAC et le CAESAR 155 mm, particulièrement pertinente pour les unités d’artillerie légère, comme les troupes de marines, la légion, les troupes aéroportées et les troupes de montagne.

Destroyer polyvalent hybride à capacités modulaires

Au-delà des équipements terrestres, la démarche destinée à accroitre les capacités des armées françaises, en soutenant l’industrie de défense et ses exportations, s’étend également au domaine naval.

En effet, ces dernières années, la demande, en matière de navires de surface combattants, frégates, destroyers et corvettes, a connu une sensible évolution, vers des navires plus lourds, davantage armés, et disposant de capacités étendues, comme le DD(x) italien, le Type 83 britannique, la F126 allemande, le KDDX-3 sud-coréen, ou le DDG(x) américain.

ddx italie fincantieri
Le DDx italien devrait depasser les 10 000 tonnes et emporter 80 silos verticaux de missiles

Tous ces navires sont imposants, avec un tonnage supérieur ou égal à 10 000 tonnes, lourdement armés, avec de 80 à 96 silos verticaux, et disposent d’une puissance énergétique suffisante pour accueillir, à l’avenir, des armes à énergie dirigée.

Malheureusement, pour Naval Group et l’industrie de défense navale française, le fer de lance industriel, dans ce domaine, est aujourd’hui la FDI, un navire très performant mais compact, avec un déplacement de 122 m et 4500 tonnes, armées de 16 ou 32 missiles en silo.

La Marine nationale, elle aussi, devra certainement se doter d’un destroyer plus lourd, d’ici à la fin de la prochaine décennie, lorsqu’il sera nécessaire de remplacer les deux frégates de défense aérienne Horizon. Toutefois, le marché export pour ce type de navires, sera nécessairement limité, et très concurrentiel, du fait de la présence des modèles précédemment évoqués, auxquels s’ajouteront les navires turcs, indiens ou encore chinois.

Dans ce contexte, la conception d’un navire plus polyvalent, structurellement, que le destroyer classique, pourrait constituer un atout de taille pour l’industrie navale française, et la Marine nationale. Comme évoqué dans un précédent article, il existe, en effet, un besoin, pour celle-ci, concernant un destroyer hybride, disposant à la fois des capacités de défense de la frégate, en particulier concernant la défense aérienne et anti-drones, et la frappe vers la terre, et les navires d’assaut de type LPD.

En étendant le concept, il est possible d’imaginer un destroyer dont la polyvalence pourrait être étendue, en fonction des missions, au travers de modules de missions, prenant place, au besoin, sur la zone arrière du navire, au niveau du point d’envol de la partie LPD, voire, également, dans l’éventuel radier.

Fearless class MRSS
Le modèle Fearless du programme MRSS de la Royal navy préfigure les prémices d’un destroyer modulaire polyvalent

Ces modules de mission permettraient d’ajouter dynamiquement des capacités, comme des munitions supplémentaires, des drones, des capacités sanitaires, voire des capacités d’extension de mission (carburant), sous la forme de conteneurs standardisés venant prendre place sur des emplacements réservés et adaptés pour les recevoir.

Ce faisant, le destroyer, puisqu’un navire de fort tonnage s’impose pour exploiter au mieux ce paradigme, pourrait renforcer ses senseurs et effecteurs, au travers de ces modules de mission, par ailleurs aérotransportables, afin de disposer des moyens adaptés à la mission.

Le destroyer, lui-même, serait conçu pour apporter l’environnement d’exploitation de ces modules, qu’il s’agisse de défense aérienne en étendant le nombre de missiles ensilotés, de lutte anti-sous-marine au travers de drones aériens et navals et d’hélicoptères, d’assaut amphibie en renforçant les capacités d’appui, de commandement et de soutien.

Il pourrait enfin faire office de base de déni d’accès naval, en renforçant les senseurs déportés (drones aériens/navals), les munitions antiaériennes et antinavires, et les systèmes de guerre électronique et cyber.

frégate défense aérienne Forbin classe Horizon
Les frégates de défense aérienne Horizon devront être remplacées à la fin de la prochaine decennie.

Bien qu’onéreux, ce type de navire pourrait s’appuyer sur une architecture et une offre de capacités modulaires et évolutives, susceptibles de séduire certaines marines sous pression, mais ne disposant que de moyens humains ou financiers suffisants pour se doter simultanément d’une flotte de LPD et de destroyers ou frégates lourdes, pourraient trouver un réel intérêt dans cette approche.

Quant à la Marine nationale, cela lui permettrait simultanément d’augmenter la polyvalence de ses unités lourdes de surface combattantes classiques, en remplacement des Horizons, mais aussi d’accroitre le nombre de coques sur laquelle la R&D pour la conception de ces navires porterait, en construisant, en plus des deux remplaçants des Horizon, deux ou trois unités destinées à la protection des grandes emprises ultramarines françaises, comme la Nouvelle-Calédonie et la Réunion, voire la Polynésie ou la Guyane.

Modules de mission standardisés

Reste que pour donner naissance à ce type de navire, encore faut-il disposer des modules de mission requis, et d’un environnement de mise en œuvre efficace. Et ce n’est pas chose simple, puisque même la puissante US Navy, a décidé de jeter l’éponge, à ce sujet, en 2015, alors que les modules de mission constituaient le cœur du programme LCS.

Rappelons qu’un module de mission se conçoit comme une capacité autonome intégrée dans un module, le plus souvent, un conteneur reprenant les dimensions d’un conteneur de fret de 20 pieds.

Ces capacités peuvent être constituées de moyens supplémentaires, comme des munitions ou des drones, prêts au lancement, mais aussi d’effecteurs non cinétiques, comme des capacités de guerre électronique ou cyber, ou des capacités de soutien, comme dans le sanitaire.

Modules de mission LCS
Les modules de mission tels qu’envisagés sur les LCS de la classe Independance.

En outre, les modules de mission peuvent être autonomes (branchés directement sur le système de combat du navire, par exemple, dans le cas de munitions complémentaires), à contrôle déporté (depuis le CO du navire les mettant en œuvre), ou accueillir du personnel, comme pour les antennes médicales et le cyber. Toute la difficulté, concernant ces modules, réside donc dans leur interconnexion efficace avec le reste du système, le destroyer ou la frégate, dans le cas de systèmes navals.

En effet, à l’instar du VLS, qui permet de réarmer un missile dans une interface prête à l’usage, le Module de mission se doit, pour être efficace, d’être le plus proche possible de la notion de Plug&play.

Cela suppose donc de disposer des interfaces, qu’elles soient énergétiques (puissance électrique), numériques (connexion au système de combat) mais aussi thermiques (système de refroidissement) du navire, tout en conservant des accès exploitables pour les éventuels personnels qui viendraient y prendre place.

Il apparait donc que le principal enjeu, dans la conception des modules de mission, repose non pas dans la conception des modules eux-mêmes, et de leurs capacités, mais de cette interface polyvalente, susceptible d’apporter l’ensemble des besoins et capacités d’interaction nécessaires à leur exploitation efficace.

Une fois résolu ce problème, en revanche, les navires qui en seront dotés, disposeront d’une adaptabilité presque illimitée pour répondre aux besoins présents et à venir, leur conférant une attractivité sans équivalent sur le marché mondial, et une plus-value opérationnelle inégalée, en particulier pour les marines ne pouvant démultiplier à l’infinie les coques.

système THOR USAF
Le conteneur de 20 pieds tend à se standardiser pour embarquer des capacités mobiles volumineuses, comme ici le canon à microonde THOR de l’US Air Force.

De manière tout aussi intéressante, rien n’empêcherait de généraliser l’interface alors développée, aux autres environnements d’exploitation, en particulier sur terre, de sorte à concevoir des porteurs polyvalents, et des systèmes d’interconnexion, pour alimenter en données et en énergie les modules, ou pour en exploiter les informations.

L’indispensable changement dans les relations entre les armées françaises et l’industrie de défense nationale pour soutenir les exportations d’armement.

Les programmes évoqués dans cet article, ne constituent qu’un extrait des programmes pouvant être lancés à relativement court terme, afin de reprendre l’avance technologique qui était celle de l’industrie de défense française, et des armées françaises, sur la scène mondiale, il y a de cela une trentaine d’années, à l’arrivée d’équipements majeurs comme le Rafale, du char Leclerc, du canon Caesar, de l’hélicoptère Tigre, de la frégate légère furtive ou, encore, des sous-marins Scorpene.

On notera, à ce titre, que les équipements portant aujourd’hui le succès des exportations défense françaises, et ayant permis à la BITD de se classer sur la seconde marche du Podium des exportateurs d’équipements de défense, ces dernières années, sont très majoritairement issus de cette génération d’armement pourtant pas si jeune.

Au-delà des opportunités évoquées ici, concernant une plateforme blindée chenillée, un Caesar de 105 mm, un destroyer modulaire et des modules de mission standardisés, ces exemples montrent qu’il existe toujours des axes de développement qui permettraient simultanément à l’industrie de défense et aux armées, de préparer, à relativement courte échéance, la relève conceptuelle des équipements des années 90, pour conserver leur place prépondérante dans la hiérarchie mondiale, à partir de la décennie suivante.

Rafafle en patrouille serrée
Les équipements de défense français apparus dans les années 90, continuent de représenter le gros des exportations françaises d’armement aujourd’hui.

Pour y parvenir, il est cependant nécessaire que les Armées, la DGA et le ministère des Armées, intègrent dans leur planification propre, le critère exportation comme un élément prépondérant, quitte à devoir y sacrifier quelques optimisations, car jouant un rôle décisif dans la pérennité de l’autonomie stratégique nationale.

Ainsi, si KNDS France propose un Leclerc Evolved, une plateforme chenillée de 40 tonnes, ou un Caesar de 105 mm, si Naval Group propose un destroyer modulaire, une corvette de nouvelle génération, ou un sous-marin lithium-ion, ou si Airbus Helicopters propose un hélicroptère Racer, il est sans aucun doute, de l’intérêt supérieur des armées, d’accompagner ces programmes, et de s’en doter, quitte à devoir y sacrifier quelques centaines de Griffon et Serval, quelques Patrouilleurs hauturiers et même une ou deux frégates, et quitte à renoncer à une vingtaine de NH90, pour s’en équiper, et mettre le pied à l’étrier des industriels et de leurs équipements, sur la scène internationale.

Cette stratégie des séries limitées, mais admises au service par les armées nationales, est par ailleurs largement employée par d’autres pays, comme l’Allemagne avec les 18 Leopard 2A8 ayant déjà engendré une centaine de chars de ce type déjà vendus en Europe, la Turquie qui a pris une position de leader dans le monde des drones en appliquant cette approche, mais aussi la Russie, spécialiste de la petite série opérationnelle, tant à des fins d’essai que de soutien à l’exportation.

Reste que pour convaincre les armées françaises, déjà sous de fortes pressions budgétaires, d’un tel changement de paradigmes, il sera certainement indispensable de les associer bien plus efficacement, au succès des exportations, y compris sous la forme d’une part variable au budget, au-delà de la trajectoire LPM, qui serait remplie par préemption d’une partie des recettes sociales et fiscales liées aux exportations.

C’est assurément à cette condition qu’industriels et militaires français pourront s’engager dans la voie d’une coopération bien plus efficace en faveur des exportations, donc de l’autonomie stratégique à moyens termes.

La France va-t-elle ignorer le Leclerc Evolution et son formidable potentiel industriel et opérationnel ?

Incontestablement, le Leclerc Evolution, présenté par KNDS, aura été l’un des blindés phares du salon Eurosatory 2024, qui ferme ses portes ce vendredi. Ce char réalise, en effet, la synthèse entre le Leclerc EAU (Émirats arabes unis) et la tourelle EMBT, présentée en 2022 lors de la précédente édition de ce salon.

Ainsi, le Leclerc Evolution peut prétendre s’inviter, sans pâlir, dans la nouvelle génération intermédiaire de chars de combat en cours de conception, aux côtés du Leopard 2AX/3, développé par KNDS Allemagne, du KF51 Panther de Rheinmetall, du M1E3 Abrams américain, et du T-14 russe, ce d’autant qu’il est présenté, par ses concepteurs, comme « prêt à produire », sur un marché international en forte demande.

Toutefois, comme la commande des 18 Leopard 2A8 par la Bundeswehr, avait lancé la carrière internationale de ce blindé, commandé, ou bientôt commandé, par quatre autres pays européens en seulement un an, le super-char de KNDS France doit, avant tout, obtenir une commande de l’Armée de terre française, pour se positionner de manière crédible sur la scène internationale.

Malheureusement pour le Leclerc Evolution, et la stratégie de KNDS, l’Armée de terre, comme le ministère des Armées n’ont, pour l’heure, nullement l’intention, ni les moyens, d’acquérir le nouveau char français.

Le char n’est pas la priorité de l’Armée de terre aujourd’hui

Et pour cause. De l’aveu même de l’Armée de terre française, les chars ne sont pas, pour elle, la priorité aujourd’hui. En effet, celle-ci doit, dans le cadre de la LPM 2024-2030, mener à bien de nombreux programmes, qui seront difficiles à financer dans leur intégralité, avec, notamment, le déploiement des Griffon, Serval et Jaguar du programme SCORPION, la conception et la commande des VBAE pour remplacer les VBL, l’acquisition des 109 Caesar MkII qui doivent former la colonne vertébrale de l’artillerie française, ou encore la modernisation des hélicoptères d’attaque Tigre et l’entrée en service du H-160M Guépard, pour l’ALAT.

KNDS VBMR griffon
La modernisation du segment médian de l’Armée de terre, avec le programme SCORPION, demeure la priorité de l’Armée de terre pour la LPM 2024-2030

Cette modernisation à marche forcée, conséquence de 25 ans de sous-investissements dans le remplacement des équipements, et d’une utilisation intensive des moyens en Afghanistan, au Levant et dans la bande sahélienne, ne laisse presque aucune marge de manœuvre à l’état-major de l’Armée de Terre, pour, éventuellement, se saisir d’opportunités apparues lors de cette LPM.

Au-delà de ces contraintes parfaitement claires sur les six années à venir, l’Armée de terre souffre, également, d’un état-major dans lequel les forces légères, Légion, troupes de marine et parachutistes, sont sur-représentées par rapport aux unités de ligne, en particulier les chars de combat.

Ainsi, ces 10 dernières années, l’Armée de terre a été commandée par un parachutiste (Gal Bosser), un légionnaire (Gal Burkhard) et un TdM (Gal Schill), alors que le poste de Major Général a été assumé par deux parachutistes (Gal de La Chesnais et Gomart), un génie (Gal Quevilly), et deux cavaliers (Gal Barrera et Béchon), mais ayant fait leurs armes, pour l’essentiel, dans la cavalerie légère.

Par ce tropisme pour les forces légères et de manœuvre, les impératifs de modernisation touchant l’ensemble des équipements, dont l’omniprésente gamme de blindés médians, l’historique opérationnel récent et les contraintes budgétaires, il n’est guère surprenant que les capacités de ligne françaises, chars de combat, artillerie lourde et infanterie mécanisée, n’ont guère été au centre des préoccupations de l’état-major de l’Armée de terre.

Ainsi, alors que ces moyens sont au cœur du conflit en Ukraine contre la Russie, ils sont les parents pauvres des efforts consentis par l’Armée de terre dans la LPM 2024-2030, avec une modernisation limitée de 160 Leclerc seulement, la commande de 109 Caesar MkII appelés à former la totalité de l’artillerie de 155 mm de l’AT et l’absence de modernisation des VBCI.

La stratégie de KNDS loin des attentes françaises qui lui ont donné naissance

À ces considérations purement militaires et budgétaires, s’ajoutent une probable déception politique, concernant la stratégie, pourtant pertinente, établie par KNDS, autour des Leopard 2A-RC 3.0 et Leclerc Evolution, en préparation du MGCS.

Leopard 2A-RC 3.0 par KNDS Deutschland
Le char Leclerc 2A-RC 3.0 présenté par KNDs Deutschland au salon Eurosatory 2024. Laisser le marché mondial à ce seul char de KNDS provoquerait un grave déséquilibre entre les parties françaises et allemandes dans l’entreprise, et pourrait compromettre les équilibres indsutriels autour du programme MGCS.

En effet, initialement, la fusion entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann, voulue par Jean-Luc Le Drian et Ursula van der Leyen, avait pour objectif de rapprocher les programmes de R&D et de production dans le domaine des armements terrestres, en particulier pour les armées des deux pays. Le programme MGCS devait servir de pivot entre les deux entreprises, et les deux armées, pour donner naissance à cette dynamique.

Rapidement, cependant, il devint évident que les attentes des deux armées, comme les marchés des deux entreprises nationales, n’avaient qu’une surface de recoupement très faible.

Ces divergences tinrent le rôle de frein concernant le programme MGCS, presque à l’arrêt pendant cinq ans, sur fonds de divergences des attentes des armées des deux pays, et de tensions portant sur le partage industriel, plus précisément entre Nexter et Rheinmetall, après que ce dernier fut imposé au programme par le Bundestag, en 2019.

La réponse de KNDS, à ce constat, aura été pertinente, bien qu’inattendue. En effet, plutôt que de rester chacun chez soi, des deux cotés du Rhin, KMW et Nexter entreprirent de developper une offre globale, complémentaire et structurée, pour couvrir le plus de besoins possibles avec la plus grande valeur ajoutée.

À ce sujet, la présentation du Leclerc Evolution a représenté, en quelque sorte, le coming-out de Nexter, concernant cette stratégie industrielle et commerciale, presque à l’opposée des objectifs politiques initiaux, en revendiquant des développements différenciés, et non commun, au profit d’une offre élargie, et non standardisée.

Une LPM sous contrainte et le flou politique interdisent tout opportunisme industriel

Si les biais de l’état-major de l’Armée de terre, et la possible irritation politique liée à la stratégie révélée de KNDS, jouent certainement un rôle important, dans le refus avancé de se tourner vers le Leclerc Evolution, c’est, sans le moindre doute, les contraintes budgétaires, liées à l’exécution de la LPM 2024-2030, qui constituent le frein le plus important, et le plus efficace, à son encontre.

Canon caesar Mk2
L’Armée de terre va remplacer ses canons Caesar Mk1 et ses derniers AuF1, par 109 Ceasar Mk2 lors de la LPM 2024-2030.

En effet, bien qu’avec 413 Md€ planifiés pour les armées sur cette période, l’effort de renouvellement et de modernisation est évident et palpable, la LPM est, cependant, à ce point optimisée, que libérer des crédits pour developper et acquérir, ne serait-ce qu’une centaine de nouveaux chars, apparait hors de portée de l’Armée de Terre, comme du ministère des Armées.

Et s’il existe des clauses de revoyures, en particulier en 2026, pour adapter la LPM aux évolutions des besoins des armées, il convient de garder à l’esprit que l’enveloppe globale, elle, est peu susceptible d’évoluer, tout au moins de manières significatives. Pour y parvenir, il serait nécessaire que l’exécutif opère un changement d’objectifs pour la suite de la LPM, et augmente les investissements prévus, dans le cadre de cette LPM.

Or, le flou politique qui s’est abattu sur la France ces dernières semaines, et qui pourrait bien perdurer au-delà des élections législatives anticipées, rend difficile, pour ne pas dire improbable, qu’un changement de trajectoire puisse être opéré, à ce sujet, dans les mois à venir.

L’Armée de terre et KNDS ne doivent pas rater l’opportunité du Leclerc Evolution

Pourtant, le nouveau Leclerc représente une opportunité unique, afin de permettre à KNDS France, de devenir, à nouveau, un acteur majeur, à l’échelle mondiale, dans le domaine des blindés chenillés lourds, et des chars de combat en particulier, et pour l’Armée de terre, de recoller aux capacités d’engagement de ligne en matière de haute intensité.

En effet, comme évoqué précédemment, le char dispose d’atouts significatifs, pour séduire sur la scène internationale, ce d’autant qu’il serait présenté là où le Leopard 3 n’ira pas, et vice-versa. En d’autres termes, le char bénéficierait d’un positionnement concurrentiel particulièrement attractif, face au K-2 Black Panther sud-coréen, au T-90MS russe, au VT-4 chinois, et même face au M1E3 américain.

T-90MS Bishma
Le T-90MS demeure très attractif sur la scène internationale, avec un prix d’acqusition inférieur à 5 m$.

Plus performant que les modèles russes, chinois et sud-coréens, il sera, en revanche, sensiblement moins cher que le nouvel Abrams américain, tout en arrivant, sur le marché, avec plusieurs années d’avance, pour peu que la France réagisse suffisamment vite.

Qui plus est, cela permettrait à KNDS de recoller au tempo de la demande, après avoir subi les affres de la contre-programmation avec le Leclerc, arrivé sur un marché atone avec la fin du bloc soviétique, et qui, par ailleurs, s’interrogeait sur l’intérêt du char, après la guerre du Golfe et surtout la première guerre de Tchétchénie.

Cela mettrait, par ailleurs, KNDS France sur un pied d’égalité avec KNDS Deutschland dans le cadre du programme MGCS, en jouant un rôle similaire sur le marché mondial du char de combat, et en maturant effectivement certaines technologies clés, comme l’équipage à quatre membres et le canon Ascalon.

Quant à l’Armée de terre, elle disposerait d’un char de combat, même en petite quantité, particulièrement adapté au combat moderne de haute intensité, susceptible d’évoluer dans les environnements difficiles, comme le long d’une ligne d’engagement figée ou en zone urbaine.

Par ailleurs, l’arrivée de 100 ou 120 Leclerc Evolution, un nombre suffisant pour lancer la production, donc la carrière internationale du blindé, permettrait de décaler autant de Leclerc MLU, par exemple, pour armer des régiments de réservistes, et ainsi, disposer d’une réelle capacité de rotation.

Usine Nexter KNDS France Bourges
Usine Nexter de Bourges.

Le Leclerc Evolution permettrait, enfin, à l’Armée de terre comme à la BITD française, d’obtenir de nombreux retours d’expérience, pouvant influencer de manière pertinente le programme MGCS, tant pour le dérisquer que pour le doter de nouvelles capacités optimisées.

Dans le cas contraire, l’armée de terre devra aller jusqu’en 2045 avec ses Leclerc actuels, qui n’auront plus de potentiel opérationnel significatif d’ici à quelques années, et l’arrivée des premiers chars de génération intermédiaire. Elle sera, ainsi, tout autant privée de moyens opérationnels que de la possibilité de faire évoluer son expertise et sa doctrine, dans un monde dans lequel les tempos technologiques et tactiques évoluent très rapidement.

Quant à KNDS France, l’industriel aura perdu, en grande partie, son expertise et sa crédibilité dans le domaine des blindés lourds, pour n’avoir plus vendu de chars, ou de blindés chenillés, depuis les Leclerc émiratis. Dans le même temps, KNDS Deutschland fera, sans le moindre doute, de son Leopard 3 un succès, avec le risque de déclasser la BITD terrestre française, y compris face à Rheinmetall, si le KF51 trouvait preneur.

Changer les paradigmes du programme Leclerc Evolution pour pouvoir lui donner naissance

Que faire, lorsque s’impose la nécessité de developper et de mettre en œuvre le Leclerc Evolution en France, alors que les contraintes budgétaires et politiques l’interdisent ? En effet, il apparait de ce qui précède, que le char de KNDS France, se trouve dans une impasse, en dépit d’un potentiel industriel et opérationnel indéniable.

La solution la plus évidente serait une décision politique en faveur d’une hausse des crédits de défense à relativement courts termes, pour financer la conception du char et sa commande pour les armées françaises. Cependant, celle-ci est peu probable, puisqu’aucun des programmes des trois formations politiques, en tête des sondages pour les législatives anticipées, envisage une telle hypothèse.

Leclerc Emirats arabes unis
Les Emirats arabes unis ont employé leurs Leclerc EAU au Yemen, contre les rebelles Houthis. Les retours d’experiences des armées émirati ont été positifs concernant le char français .

Une coproduction, sous la forme d’un marché conjoint signé entre plusieurs pays européens, pourrait, en revanche, en faciliter l’émergence. Ainsi, à l’image de l’accord signé entre Paris, Zagreb et Tallinn, au sujet des Caesar ; entre la France, la Belgique, Chypre, l’Estonie et la Hongrie, pour les missiles Mistral 3 ; ou avec la Grèce, pour les frégates FDI, Paris peut tenter de trouver des partenaires susceptibles d’étendre l’assiette du programme, et de porter une part des couts de développements.

En Europe, la Grèce, qui doit remplacer un grand nombre de ses blindés, y compris ses chars, et qui dispose d’une industrie de défense terrestre, et la Belgique, partenaire de la France dans le cadre du programme CaMo, pourraient rejoindre un tel programme.

Hors d’Europe, les Émirats arabes unis, unique client export du Leclerc, l’Égypte, à qui le Leclerc Evolved a déjà été présenté sous la forme de l’EMBT 2022, ou l’Inde, qui doit remplacer un millier de ses T-72, peuvent également être sensibles à une telle ouverture.

Rappelons que si le retour budgétaire, sur les dépenses d’état, dans le domaine de l’industrie de l’armement, s’établit autour de 50 % pour un char comme le Leclerc Evolution, qui repose sur certains composants importés (Moteur MTU, APS Trophy), celui-ci atteint 85 à 90 % lorsque les montants exportés sont équivalents à ceux investis.

En d’autres termes, si Paris commandait 200 Leclerc Evolution, et parvenait, par l’intermédiaire des nouveaux modèles de coopération industriel de défense, à exporter 200 exemplaires, le cout final, sur le budget de l’État, ne dépasserait pas les 15 % des montants investis par la France, dans ce programme, soit moins de 500 m€, pour entièrement renouveler la composante chars lourds de l’Armée de terre, tout en libérant les moyens matériels pour trois régiments de chars de réserve.

Conclusion

On le voit, il ne fait guère de doutes que le char Leclerc Evolution, présenté par KNDS lors du salon Eurosatory 2024, représente une réelle opportunité, tant pour l’industriel et l’ensemble de la BITD terre française, que pour l’Armée de terre, fut-elle quelque peu rétive à franchir le pas.

KNDS Leclerc Evolved Eurosatory 2024
Leclerc Evolved de KNDS présenté au salon Eurosatory (Photo F. Dosreis)

Toutefois, pour se saisir de ces opportunités, il serait, très certainement, indispensable de faire évoluer plusieurs des paradigmes clés concernant l’acquisition des équipements de défense, et surtout, l’anticipation de la soutenabilité budgétaire de la démarche.

En effet, pour peu qu’il soit possible de sécuriser un volume de commandes à l’export, équivalent au montant des investissements français dans ce programme, il s’avère que le mur qui semble se dresser entre l’Armée de terre, le Leclerc Evolution et sa carrière internationale, pourrait être en grande partie contourné, au point d’être soutenable, y compris pour les caisses de l’État sous tension.

Reste que pour faire de ce programme un véritable succès, un dernier paramètre, celui du temps, doit être pris en considération. En effet, lancer la production du nouveau Leclerc, pour l’Armée de terre, comme pour le marché export, n’a d’intérêt que si elle intervient dans les quelques années à venir, concomitamment au Leopard 2AX/3 allemand, et avant le M1E3 américain.

Faute de quoi, le marché se sera rapidement restructuré autour des nouveaux chars allemands et américains, ainsi que des modèles sud-coréens, turcs, russes ou chinois, ne laissant, comme ce fut le cas pour le Leclerc, qu’un marché saturé en perspective.

La question est donc de savoir si le ministère des Armées, comme le ministère du Budget et de l’économie, sauront faire preuve de la souplesse comme de la vélocité suffisante, pour effectivement permettre à l’industrie de défense française, KNDS France en particulier, de réinvestir le marché des chars de combat et des blindés lourds chenillés, dans un marché plus porteur que jamais ?

Le canon Caesar de KNDS est désormais le système d’artillerie européen le plus exporté

En quelques années, le CAmion Équipé d’un Système d’ARtillerie, ou canon CAESAR, s’est hissé au rang des équipements stars des exportations françaises d’armement, rejoignant le Rafale et le sous-marin Scorpene dans le club très fermé des armements susceptibles de faire les gros titres en France et à l’étranger.

Plusieurs échos et déclarations laissaient entendre que de nouvelles commandes pouvaient intervenir à l’occasion du salon Eurosatory 2024. C’est désormais chose faite, puisque l’Arménie, ainsi que la Croatie et l’Estonie, ont signé des engagements pour commander, au total, 60 nouveaux systèmes d’artillerie français.

Ce faisant, le Caesar s’impose, dorénavant, comme le système d’artillerie européen le plus largement exporté, que ce soit en nombre d’exemplaires livrés et/ou commandés, comme en nombre de clients, permettant à KNDS France, Ex-Nexter, de revenir dans le palmarès international des exportateurs d’équipements terrestres, après le semi-échec du Leclerc, et l’insuccès du VBCI.

Arménie, Estonie et Croatie : 3 nouveaux utilisateurs et 60 nouveaux Caesar pour KNDS au salon Eurosatory

Le Caesar aura donc été, incontestablement, l’une des grandes vedettes du salon Eurosatory 2024, aux côtés des nouveaux chars de combat de KNDS et de Rheinmetall, ainsi que des nombreux systèmes antiaériens et antidrones apparus cette année. Le canon français a, en effet, enregistré 3 nouvelles commandes pour un total de 60 exemplaires, à l’occasion de l’événement parisien.

CAESAR MkII KNDS
Le canon Caesar de KNDS est désormais le système d'artillerie européen le plus exporté 23

Les premiers à s’être engagées, le 18 juin, ont été les armées arméniennes, pour 36 Caesar MkI 6×6, pour équiper deux bataillons d’artillerie. Après avoir officialisé le retrait du pays de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective, sous tutelle russe, Erevan a entrepris de transformer les équipements de ses armées, en particulier en se tournant vers les États-Unis et la France, pour tenir en respect l’Azerbaïdjan, soutenue par la Turquie et Israël.

Le lendemain, ce fut au tour de la Croatie et de l’Estonie d’annoncer la commande de 12 exemplaires chacun, MkI pour Zagreb, MkII pour Tallinn, devenant ainsi les 12ᵉ et 13ᵉ pays utilisateurs du canon Caesar dans le monde, et les 5ᵉ et 6ᵉ en Europe.

Ces deux pays ont, à ce titre, signé un accord-cadre avec la France, à l’occasion du salon, pour organiser l’acquisition, la livraison et la maintenance des systèmes d’artillerie, formant les bases d’un « Club Caesar » inspiré du Leoben allemand.

À ce titre, le ministère des Armées a précisé que d’autres pays avaient déjà signifié leur intérêt pour rejoindre cette structure, sans préciser s’il s’agissait de clients existants ou de nouveaux utilisateurs potentiels.

Performances/prix, mobilité, délais de production, Ukraine : les raisons du succès du canon Caesar aujourd’hui

Le Canon Caesar avait enregistré quelques succès auprès de clients internationaux, peu de temps après son entrée en service en France, en 2003, avec la Thaïlande, pour 6 unités, l’Arabie Saoudite, pour 76 unités, en 2006, et l’Indonésie, en 2012, pour 37 systèmes d’artillerie.

caesar ukraine
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C’est, cependant, à partir de 2020, que la dynamique Caesar a véritablement décollé pour Nexter, avec la République tchèque pour 52 systèmes en version 8×8, suivis en 2022 par la Belgique (9+19 Caesar MkII), la Lituanie (18 Caesar MkII), le Maroc (36 Caesar MkI), et l’Ukraine (12+6+6+6+19+78 MkI, 19 MkI 8×8), et par l’Arménie (36 MkI), la Croatie (12 MkI) et l’Estonie (12 MkII), en 2024.

Ce succès repose sur la conjonction de plusieurs facteurs. Le plus évident n’est autre que l’augmentation massive des efforts d’armement et de modernisation des forces armées, en particulier en Europe, pour répondre à la montée des tensions internationales, mais aussi pour remplacer les équipements occidentaux envoyés en Ukraine, pour soutenir l’effort de guerre de Kyiv.

Sous l’impulsion des autorités françaises, Nexter, devenu KNDS France, a, par ailleurs, su parfaitement répondre à l’évolution de la demande, en augmentant les cadences de production du Caesar, passées de 1,5 système par mois en 2021, à 6 systèmes par mois aujourd’hui, et avec l’objectif d’atteindre 12 systèmes mensuels en 2025.

Ce faisant, l’entreprise est en mesure de proposer des délais de livraison raccourcis, très appréciés des clients potentiels aujourd’hui, en dépit d’un carnet de commande très bien rempli, avec plus de 360 exemplaires restants à produire à ce jour, soit 5 ans de production à 6 systèmes par mois, mais plus que deux ans et demi, avec une production mensuelle de 12 canons.

tube caesar nexter KNDS france
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Le Canon Caesar peut aussi s’appuyer sur les très bons retours d’expérience en provenance d’Ukraine, le système français étant, à ce titre, particulièrement redouté, par sa précision et sa mobilité, des artilleurs russes.

Surtout, il présente un rapport performances prix sans concurrence en Europe. Avec un prix unitaire évoluant entre 3,5 et 4 m€, le Caesar s’avère, en effet, 3 fois moins cher qu’un K9 Thunder sud-coréen, et plus de 4 fois moins cher que le Pzh 2000 allemand, tout en disposant d’un canon de 52 calibres, d’une portée de 40 km avec obus non propulsé, et d’une excellente précision de tir, même à portée maximale.

Par ailleurs, sa légèreté, 17 tonnes au combat, et sa configuration 6×6, lui confère une mobilité sans également en tout chemin, tant pour éviter les tirs de contrebatteries adverses, que pour se déplacer très rapidement autour de la ligne d’engagement, pour apporter les appuis là où ils sont nécessaires.

De fait, sans égaler la mobilité tout terrain ou la protection du Pzh 2000 ou du K9, le Caesar s’avère un choix très attractif pour de nombreuses forces armées qui souhaitent étendre le nombre de tubes de 155 mm, et qui sont sous contrainte budgétaire ; pour les forces armées qui exploitent une doctrine mobile et dynamique, comme la France ; ou pour les armées engagées sur des terrains difficiles, inaccessibles aux systèmes lourds, comme l’Indonésie et la Thaïlande.

Le troisième système d’artillerie moderne le plus largement répandu, derrière le M109 et le K9 Thunder

Avec les commandes arméniennes, croates et estoniennes, le canon Caesar voit son parc de clients internationaux, atteindre 12 pays, dont cinq en Europe. Ce faisant, il devient, incontestablement, le système d’artillerie européen moderne le plus exporté aujourd’hui, avec ses 548 exemplaires, loin devant le Pzh 2000 allemand et ses 300 exemplaires auprès de huit pays.

Pzh 2000 KNDS Ukraine
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Il se classe même dans le TOP 3 des systèmes d’artillerie modernes les mieux exportés, derrière le K9 Thunder Sud-coréen, exporté à 1300 exemplaires auprès de 9 forces armées, dont 4 en Europe (Pologne, Estonie, Norvège, Finlande), et le M109 américain, dont plus de 2500 exemplaires demeurent en service hors des États-Unis dans 24 forces armées, dont sept en Europe.

On notera, même, qu’en termes de nombre de clients, le Caesar surpasse le K9 Thunder, mais ce dernier a enregistré plusieurs gros contrats avec fabrication locale en Pologne (532 unités), en Égypte (200 exemplaires), en Turquie (421 systèmes) et en Inde (200).

De manière intéressante, le Caesar surpasse les exportations russes en matière de systèmes d’artillerie modernes (125 2S-19 Msta-s pour 5 pays utilisateurs), tout comme les systèmes chinois (170 PLZ-45/ 4 pays et 480 PCL-181/3 pays).

Ceci en dit long sur les performances et l’attractivité du Caesar, sur un marché particulièrement concurrentiel comprenant plus d’une douzaine de systèmes de 155 mm sur le marché mondial.

Présenté au salon Eurosatory 2024, le Caesar MkII prêt à prendre la relève

Lancé en 2022, le Caesar MKII a été présenté, pour la première fois, à l’occasion du salon Eurosatory 2024. Celui-ci doit permettre de prolonger la carrière opérationnelle et commerciale du Caesar, en y intégrant les retours d’expériences venus des armées françaises au Levant et en Afrique sud-saharienne, et par les armées ukrainiennes, face à la Russie.

Tout en reprenant les principes et paradigmes du MkI, le Caesar MkII s’avère très différent, avec un nouveau châssis, une nouvelle cabine blindée à 4 portes, un nouveau moteur de 460 cv, deux fois plus puissant que celui du MkI, et une électronique embarquée entièrement modernisée.

Caesar MKII présenté au salon Eurosatory 2024
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Déjà réputée pour sa précision, la centrale inertielle Sigma 30 est ainsi remplacée par le nouveau Geonyx de Safran, conçue pour évoluer en environnement brouillé et privé de signaux de géolocalisation. Un système de brouillage anti-IED et anti-drone, baptisé ECLIPSE, a été ajouté, ainsi que l’ensemble des composants du système SCORPION, comme la radio cryptée Contact et le nœud de communication tactique du système, pour les modèles français et belges.

En outre, ces systèmes de positionnement et de pointage, associés au nouveau système hydraulique qui contrôle le véhicule et le canon, doivent permettre une mise en batterie et une sortie de batterie encore plus rapide, pour répondre aux améliorations anticipées des systèmes de localisation par drones et de contrebatterie adverses.

Le Caesar MkII est aussi mieux protégé, avec une cabine répondant au standard Stanag 2, soit contre les munitions de 7,62 x 39 mm à 30 m, et contre les shrapnels d’obus de 155 mm à 80 m et plus.

Ces systèmes alourdissent le Caesar MkII, qui atteint 25 tonnes sur la balance au combat, contre 18 pour le MkI. Toutefois, son moteur de 460 cv, contre 215 cv pour la version précédente, lui confère un rapport puissance poids de 18 cv par tonne, supérieur à celui de la précédente version, tout en restant autour du seuil d’efficacité tout-terrain de huit tonnes par essieu, lui garantissant une meilleure mobilité tout terrain. En termes de masse et d’encombrement, le Caesar MkII demeure aérotransportable par avion A400M, ce qui reste un impératif majeur pour les armées françaises.

En dépit de ces améliorations notables, le Caesar MkII conserve l’argument du prix, avec un cout unitaire de l’ordre de 5 m€ selon KNDS, et même moins élevé, selon certaines sources.

Une offre taillée pour remplacer l’artillerie tractée et accroitre la puissance de feu à moindre coût

On le voit, le succès du Canon Caesar, sur la scène internationale, semble poursuivre la dynamique entamée dès 2020, et accélérée avec l’envoi des premiers systèmes français en Ukraine, au printemps 2022.

Canon Caesar Démonstration
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Un temps, le positionnement exact du Caesar restait incertain, étant souvent perçu comme un système d’artillerie léger, destiné avant tout à la projection de puissance, mais insuffisamment protégé pour être employé dans un conflit de haute intensité.

Toutefois, son excellente tenue en Ukraine, aux côtés de systèmes bien plus lourds et onéreux comme le Pzh 2000 allemand, le M109 américain ou le Krab Polonais, mais aussi son prix, qui en fait une alternative aux systèmes d’artillerie tractée en fin de vie, ont permis de clarifier le marché de prédilection du Caesar, destiné à recréer de la masse et de la puissance de feu, aux côtés de l’artillerie d’assaut, en substitution des canons tractés désormais trop vulnérables.

Ce positionnement devenant plus compréhensible, en lien avec ses résultats opérationnels, le système d’artillerie français pourrait enregistrer encore de nombreux succès internationaux dans les mois et années à venir, et s’imposer comme une des références françaises de la scène internationale de l’armement, renforcée par l’arrivée du Caesar MkII.

Mise-à-jour du 20/07/2024 : Slovénie et Finlande

Depuis la rédaction de cet article du 20 juin 2024, la Slovénie a signé une lettre d’intention pour acquérir, elle aussi, des systèmes Caesar. La presse polonaise, pour sa part, a indiqué que le Caesar MkII était le favori de la compétition pour les nouvelles batteries côtières de la Marine finlandaise.

L’industrie de défense américaine est-elle malade d’une indigestion de dollars ?

Depuis près de trente ans, maintenant, et la grande concentration de 1994, l’industrie de défense américaine règne sur le marché mondial de l’armement, et en contrôle 40 % du chiffre d’affaires annuel.

À elles seules, les 10 plus importantes entreprises de défense américaines, ont ainsi enregistré, en 2023, un chiffre d’affaires supérieur à 250 Md$, soit le PIB d’un pays comme le Portugal ou la Finlande, dont une partie non négligeable provient des alliés des États-Unis, en particulier en Europe et dans le Pacifique.

En dépit de ce marché considérable, et d’une position dominante incontestable, les programmes d’armement américains ne cessent de faire les gros titres de la presse outre-atlantique, en raison de délais non respectés, de surcouts hors de contrôle, et même d’échecs retentissants, venant jusqu’à handicaper, désormais, la modernisation des armées américaines, dans un contexte international des plus tendus.

Se pose donc la question des causes à l’origine de ces obstacles à répétition, et de savoir si ce n’est pas la profusion de crédits, et le manque de contrôle des institutions américaines sur cette industrie devenue trop puissante pour être contestée, qui induisent cette dangereuse pathologie, qui pourrait bien s’étendre dans l’ensemble du camp occidental.

2000 milliards de dollars pour les 100 plus importants programmes du Pentagone

Il faut dire que les chiffres évoqués, ont de quoi donner le tournis. Ainsi, dans son rapport annuel sur l’industrie de défense américaine présenté en début de semaine, le GAO, pour Government Accountability Office, l’équivalent américain de la Cour des Comptes française, dresse un état des lieux particulièrement préoccupant.

porte-avions nucléaire classe gerald Ford
La construction des porte-avions de la classe gerald Ford, affiche en moyenne 18 à 24 mois de retard. Ce n’est pourtant pas le programme le plus en retard de l’US Navy.

En effet, l’immense majorité des 100 principaux programmes industriels et technologiques, engagés aujourd’hui par le Pentagone, souffrent de délais non respectés, de surcouts chroniques et, parfois, de menaces d’échec, y compris pour les plus avancés.

Or, ces programmes, qui concernent aussi bien la dissuasion avec le bombardier B-21, le sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Columbia et les missiles ICBM Sentinelle, que les domaines conventionnels avec les porte-avions de la classe Ford, le chasseur NGAD ou le programme FLRAA d’hélicoptère de manœuvre à hautes performances, engagent plus de 2000 milliards de dollars de crédits américains, sur les années à venir.

Le fait est, le Pentagone dépense, chaque année, en moyenne, plus de 200 Md$ auprès de l’industrie de défense américaine. Pourtant, l’immense majorité des systèmes d’armes actuellement en service au sein de ses armées, demeurent hérités d’équipements conçus durant la guerre froide, comme le char Abrams, le VCI Bradley et le M109 Paladin, pour l’US Army, les B-2, F-15, F-16 et C-17 de l’US Air Force, ou les porte-avions Nimitz, les destroyers Arleigh Burke, les LHD Wasp et les sous-marins nucléaires Los Angeles et Ohio, pour l’US Navy.

Et pour cause, le Pentagone a consommé, ces vingt dernières années, plusieurs centaines de milliards de dollars, en programmes stériles, n’ayant produit aucune, ou très peu, des capacités de renouvellement des équipements en service recherchées, comme l’hélicoptère d’attaque RH-66 et le VCI GCV de l’US Army, ou les programmes CG(x), Zumwalt et LCS de l’US Navy.

RH-66 Comanche
Le programme RH-66 Comanche a englouti 7 Md$ avant d’être abandonné, comme beaucoup d’autres programmes des armées américaines ces 30 dernières années.

Même les programmes qui parviennent à dépasser ce stade, et à entrer en service, font parfois l’objet de délais et surcouts hors de contrôle, comme le F-35 Lightning II, de Lockheed Martin, qui affiche, aujourd’hui, un surcout de conception de 150 % à plus de 450 Md$, et 10 ans de retard concernant la première version pleinement opérationnelle, qui n’arrivera probablement pas avant 2029.

Délais, échecs et surcouts industriels à répétition handicapent la transformation des armées américaines face à la Chine

Tant que les États-Unis étaient en position hégémonique, que ce soit militairement comme sur le marché de l’armement et des technologies de défense, ces fuites d’investissements massives, sans résultat, ne semblaient pas prêter à conséquence. Après tout, jusqu’en 2018, personne n’imaginait que la toute-puissante armée américaine, et sa non moins puissante industrie de défense, pouvaient voir leur supériorité technologique et opérationnelle contestée.

Cette situation, par ailleurs amplifiée par le mimétisme européen, fut, pourtant, parfaitement identifiée, et exploitée, par certains pays, pour developper leur propre industrie de défense, et rattraper leur retard technologique.

K9 Thunder Finlande
La Corée du Sud est devenue, en quelques années seulement, un acteur majeur du marché international de l’armement, s’imposant notamment sur certains marchés captifs américains, comme avec le K9 Thunder pour remplacer les M109 Paladin.

C’est le cas de la Corée du Sud, qui est passée, en trente ans, d’un importateur intégral de ses équipements de défense, à un concurrent féroce, dans de nombreux domaines, des industries de défense américaines et européennes, y compris au sein de leurs propres forces armées.

La Turquie, elle aussi, a considérablement développé son industrie de défense, tant pour se libérer de certaines entraves posées par les États-Unis et les Etats européens, concernant l’utilisation des équipements exportés, que pour accroitre son influence en Afrique, en Asie et dans le Caucase, grâce à ses propres exportations d’équipements militaires.

La Russie parvint, quant à elle, à reconstituer une force armée parfaitement cohérente, s’appuyant sur une dissuasion largement modernisée, pour libérer certaines capacités de manœuvre en Europe et dans le Caucase, d’abord en Géorgie en 2008, puis en Crimée et dans le Donbass, en 2014, pour enfin lancer une offensive globale sur l’Ukraine, en 2022.

Mais c’est, incontestablement, la Chine qui aura le mieux exploité l’inertie et le manque d’efficacité de l’industrie de défense américaine, ces trente dernières années. Alors qu’elle parvenait difficilement à produire des évolutions du MIG-21 soviétique en 1990, un appareil qui avait 30 ans de retard sur les appareils américains et européens alors, l’industrie de défense chinoise parvient, aujourd’hui, à livrer des équipements faisant souvent jeu-égal, à la marge, avec les plus avancés des systèmes occidentaux, américains compris.

J-35 marine chinoise
Le J-35 semble très proche du F-35C. Il faudra cependant attendre d’avoir des inforamtions fiables à son sujet, pour juger de ses performances relatives à l’appareil américain.

Pire encore, là où les programmes américains continuent, aujourd’hui, de souffrir des mêmes maux qui les ont à ce point handicapés, ces trente dernières années, l’industrie de défense chinoise est engagée dans une dynamique efficace de production, d’évolution et de développement, à laquelle les industriels américains semblent incapables de répondre, que ce soit en termes de quantité, mais aussi de tempo d’innovation.

Dans ce contexte, la trajectoire relative suivie par les États-Unis et la Chine, et leurs industries de défense respectives, ne parvient plus, aujourd’hui, à être équilibrée, qu’à grands renforts d’investissements supplémentaires venant du budget fédéral US, sans toutefois rétablir une dynamique comparable à celle qui permit aux États-Unis de relever le défi soviétique au début des années 70.

Pas d’option acceptable concernant le programme NGAD pour l’US Air Force ?

L’exemple du programme de chasseur de 6ᵉ génération NGAD, de l’US Air Force, est, à ce titre, symptomatique des déséquilibres qui affectent, aujourd’hui, les relations entre le Pentagone et l’industrie de défense US.

Comme évoqué dans un récent article, ce programme, jusqu’ici considéré comme solide et mené avec emphase, pour une entrée en service à la fin de la décennie, ou au début de la décennie suivante, risque, dorénavant, un report important, voire une annulation, pure et simple, de la part de l’US Air Force.

Les explications avancées, à ce sujet, par le chef d’état-major de l’US Air Force, le général Alvill, comme par le Secrétaire à l’Air Force, Franck Kendall, faisaient état d’arbitrages budgétaires difficiles en faveur du programme de drones de combat CCA, jugés plus urgent pour contenir la menace chinoise.

NGAD vision Lockheed Martin
Le programme NGAD pourrait davantage faire les frais des difficultés rencontrées par l’indsutrie de défense US, que des arbitrages en faveur des drones de combat avancés par les chefs de l’USAF.

Toutefois, certains échos, en marge du Pentagone, font aujourd’hui état d’une réponse très insatisfaisante de la part des deux industriels retenus pour ce programme, Boeing et Lockheed Martin.

Le premier, qui traverse une période particulièrement difficile avec un management lourdement défaillant ces dernières années, semble ne plus être en mesure d’effectivement répondre aux attentes de l’US Air Force. Par ailleurs, les nombreuses difficultés rencontrées concernant les programmes KC-46A et T-7A, tendent à amenuiser la confiance du Pentagone dans les promesses faites par l’avionneur de Seattle.

Or, il faudra certainement plusieurs années, à Boeing, pour réorganiser son activité, et surtout son management, et ainsi, espérons-le, recoller à une activité répondant aux impératifs opérationnels et de planification des armées américaines. On peut d’ailleurs penser que le report du programme F/A-XX annoncé pour 2025 par l’US Navy, relève de la même défiance vis-à-vis de l’avionneur à l’origine du F/A-18 et du F-15.

Si l’hypothèse d’avoir un unique concurrent pour le programme NGAD, est déjà préoccupante en soi, elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de Lockheed Martin. Le géant américain n’a tout simplement aucun intérêt à voir le NGAD émerger, sur la base des nouvelles conditions contractuelles édictées par l’US Air Force.

Industrie de défense américaine ligne d'assemblage F-35 Lockheed-Martin
Lockheed-Martin pourrait avoir davantage interet à augmenter la flotte de l’US Air Force de F-35A, plutot qu’à developper le NGAD, tant les contrats entourant le nouveau programme lui sont moins favorables.

En effet, si le NGAD venait à échouer, il est certain que l’US Air Force devrait se tourner vers davantage de F-35A. Or, LM dispose d’un contrat particulièrement favorable, autour de cet appareil, qu’il s’agisse de sa production, et surtout de sa maintenance et de son évolution, interdisant toute alternative industrielle, en matière de modernisation et de maintien en condition opérationnelle.

En d’autres termes, Pour Lockheed, il est bien plus profitable de parier sur le F-35, que de s’investir sur un autre appareil, pouvant, potentiellement, nuire à ses bénéfices.

L’indispensable restructuration de l’industrie de défense américaine est-elle possible ?

On le voit, faute d’une profonde transformation de l’industrie de défense américaine, et d’une réorganisation radicale des procédures de passation de contrats et de conduite des programmes industriels et technologiques du Pentagone, il est très probable, qu’au fil des années, les États-Unis perdent leur ascendant technologique, mais également militaire, face à la Chine.

C’est en partie de ce qui est préconisé par les équipes de Donald Trump, qui prévoient une réduction drastique du budget du Pentagone, précisément pour provoquer cette réorganisation et restructuration de l’industrie de défense US.

Donald Trump campagne
Les equipes de Donald Trump envisagent de reduire drastiquement le budget du Pentagone pour provoquer un choc salvateur de l’indsutrie de défense américaine. Toutefois, les conséquences d’une telle decision pourraient largement depasser les frontières du seul écosystème défense américain.

Toutefois, les chances qu’une telle démarche aboutisse, restent réduites. En effet, les grandes entreprises de défense américaines, Lockheed-Martin, RTX, Northrop-Grumman, Boeing et General Dynamics, disposent aujourd’hui d’une emprise politique, économique et sur le Pentagone, tels que même un président américain très déterminé, ne parviendrait que très difficilement à passer le barrage du Congrès dans ce domaine.

Qui plus est, une telle restructuration entrainerait, sans le moindre doute, une baisse importante des cours de bourse de ces entreprises, et avec elle, des pertes sensibles pour les fonds de pension américains, donc une impopularité massive au sein de l’opinion publique. Ce d’autant que la capitalisation boursière de ces 5 entreprises dépasse aujourd’hui les 500 Md$, et une baisse massive de leurs cours de bourse, pourrait entrainer un mouvement de panique temporaire sur les marchés.

La situation, telle que présentée, n’aspire donc pas à l’optimisme au-delà de quelques années, et s’avère même des plus préoccupantes, lorsque l’on se projette après 2035 ou 2040.

Il faudra, dans tous les cas, aux autorités américaines, trouver la martingale qui saura ramener les industriels de défense à beaucoup plus d’efficacité, à ce, sur des délais très courts, si Washington entend, effectivement, relever le défi posé par Pékin et son industrie de défense réglée comme un chronographe helvétique. Reste à voir comment ils s’y prendront, ou, même, s’ils tenteront de s’attaquer à ce sujet ô combien difficile.

Quant aux européens, ils seraient avisés de prendre, en référence, pour leurs propres programmes d’équipements et de recherche, non plus la ligne directrice américaine employée jusque-là, mais bien celle tracée par Pékin, voire par Moscou, pour définir leurs propres objectifs. Faute de quoi, ils risquent fort de rejoindre les États-Unis dans leur chute auto-induite.

Avec un budget de 90 Md€ en 2024, les armées allemandes se dirigent vers une position dominante en Europe

Depuis le réarmement allemand, autorisé par la signature des accords de Londres et de Paris, en mai 1955, la République Fédérale d’Allemagne et la France, ont toujours veillé à avoir des dépenses de défense équilibrées, de sorte à contenir la résurgence de la défiance entre les deux pays ayant conduit à plusieurs conflits au XIX et XXᵉ siècle.

Même après la réunification, et l’envol de l’économie allemande avec l’arrivée de 16 millions d’Allemands de l’Est, Berlin et Paris ont continué de respecter cette règle tacite, ce d’autant que les deux pays partageaient la même perception des bénéfices de la paix.

Cet équilibre a perduré jusqu’en 2019. Depuis, en dépit de la hausse des investissements en France, le budget des armées allemandes a connu une progression deux fois plus rapide que celui des armées françaises, au point d’atteindre, en 2024, un total d’investissements de 90,6 Md€, pensions comprises, contre 59,6 Md€ seulement, de l’autre côté du Rhin.

Ce déséquilibre sera-t-il conjoncturel, en lien avec le Zeitenwende d’Olaf Scholz, ou s’inscrira-t-il dans le temps, pour devenir structurel, et profondément redessiner les équilibres militaires en Europe, en particulier au détriment de la France ?

Le budget des armées allemandes a progressé de 55 % en deux ans

Si les armées françaises ont suivi une progression de relativement linéaire pour passer de 44,2 Md€ en 2019, à 59,6 Md€, en 2024, celle suivie par les armées allemandes, a été beaucoup plus chaotique.

Luftwaffe eurofighter Typhoon
La Luftwaffe va recevoir 20 Eurofighter Typhoon supplémentaires, commandés dans le cadre du Zeitenwende sur le budget 2024, et prépare l’acquisition d’une dizaine de F-35A de plus, en 2025.

Ainsi, en 2019, Berlin consacrait 46,9 Md€ aux financements de la Bundeswehr. Ce montant progressa de 5 Md€ en 2020, puis de seulement 1 Md€ en 2021, au plus fort des conséquences de la crise Covid, avant de progresser, à nouveau, de 4 Md€ en 2022.

Avec le début de la guerre en Ukraine, et le début de Zeitenwende d’Olaf Scholz, l’effort de défense allemand a connu une progression fulgurante, pour atteindre 67,8 Md€ en 2023 (+8,7 Md€), puis 90,6 Md€ en 2024 (+22,8 Md€), soit une hausse de 55,4 %, et 31,5 Md€, en deux ans seulement.

Rapportées au PIB nominal, les dépenses de défense allemandes sont passées, pensions comprises, de 1,35 % du PIB en 2019, à 2,12 % en 2024. Sur la même période, l’effort de défense français est passé de 1,81 % à 2,05 %, soit une hausse de + 0,25 % PIB pour la France, contre +0.77 % PIB pour l’Allemagne.

Une progression en trompe-l’œil du fait des 100 Md€ du Zeitenwende

L’écart qui s’est creusé entre les investissements français et allemands en matière de défense, concerne toutes les catégories d’investissements, que ce soit en matière de personnels, d’entraînement ou d’infrastructures. Toutefois, c’est incontestablement l’écart concernant les acquisitions des équipements qui s’avère le plus spectaculaire.

armées allemandes Bundeswehr
Face aux besoins d’extension de format, et à la crise des vocations au sein des armées, la Bundeswehr pourrait se tourner vers une conscription choisie inspirée du modèle scandinave.

En effet, en 2019, les investissements d’équipement allemands ne représentaient que 14,7 % de l’ensemble de ses dépenses de dépense, soit 6,9 Md€, sensiblement inférieurs aux 24,5 % français représentant 10,8 Md€. En 2023, ces investissements atteignaient 29 % de l’ensemble de l’effort de défense français, et 18 % de l’allemand, soit, respectivement, 15,9 Md€ et 12,2 Md€.

L’arrivée du Zeitenwende, concentré sur les programmes d’acquisitions des équipements de la Bundeswehr, a littéralement inversé cette hiérarchie en 2024. Ainsi, la Bundeswehr dépensera, cette année, 28,75 % de son budget pour l’acquisition d’équipements, soit 26 Md€, contre seulement 28,4 % et 16,9 Md€, en France.

Toutefois, cette progression, qui explique en grande partie la hausse du budget global de la Bundeswehr en 2024, doit être considérée avec un certain recul. D’abord, parce que les crédits supplémentaires ainsi perçus, ne permettront, dans un premier temps, que de rattraper l’immense déficit de renouvellement des équipements de la Bundeswehr, conséquence de 20 années de sous-investissements, encore davantage marqué qu’il ne l’a été en France.

Ensuite, parce que le Zeitenwende, et son enveloppe de 100 Md€ validée par les députés allemands, prendra fin en 2026. Or, à ce jour, aucune mesure permettant à Berlin de maintenir ses dépenses de défense structurelles, à ce même niveau, n’a été mise en place.

Au contraire, là où l’élan initial annoncé par Olaf Scholz en 2022, au lendemain de l’attaque russe contre Kyiv, devait porter sur la libération d’une enveloppe immédiate de 100 Md€ pour traiter les obsolescences les plus critiques de la Bundeswehr, et sur la montée du budget de défense allemand au-delà de 2 % dès 2023, celui-ci a finalement évolué vers cet objectif grâce aux 100 Md€ du Zeitenwende, qui seront dépensés de 2024 à 2027.

La Bundeswehr à la croisée des chemins sur fond de bras de fer politique entre Boris Pistorius et Olaf Scholz

De fait, en dépit de l’augmentation spectaculaire des défenses de défense allemandes, en 2024, comme de ses crédits d’équipements, la Bundeswehr, et plus globalement, la défense allemande, sont aujourd’hui à la croisée des chemins, avec deux trajectoires presque opposées s’offrant à elles, et personnalisées par ses deux chefs politiques.

Boris pistorius en suède mai 2024
le Ministre de la défense allemand Boris Pistorius en Suède, pour observer le fonctionnement de la conscription choisie.

La première, que l’on qualifiera d’offensive, est portée par le ministre de la Défense Boris Pistorius, profitant, pour l’occasion, de son statut de personnalité politique préférée des allemands depuis plus de deux ans maintenant.

Ces derniers mois, celui-ci n’a eu de cesse que de préparer la transition post-2026, une fois le Zeitenwende apuré, en placardant les dépenses de défense à venir, liées à l’augmentation du format des armées et leurs modernisations futures.

C’est ainsi qu’il a mis en avant les besoins de recrutement et d’équipements liés au déploiement d’une brigade permanente allemande en Lituanie, promise par Berlin, mais aussi l’extension des formats requis pour satisfaire aux ambitions allemandes concernant le rôle de pivot de la défense européenne.

Pour y parvenir, il soutient qu’il sera nécessaire, pour Berlin, d‘amener son effort de défense à 3 % de son PIB, et de revenir à une forme de conscription, proposant pour cela le modèle scandinave de la conscription choisie au travers d’un service militaire de six mois.

Olaf Scholz, de son côté, est beaucoup plus circonspect et prudent, pour ce qui concerne les hausses du budget des armées allemandes, préférant, comme il l’a fait ces dernières années, comme ministre des Finances, puis comme chancelier, des hausses par à-coups, liées aux besoins immédiats constatés.

Conclusion

Reste que la faible popularité du chancelier allemand exclut qu’il puisse rester en poste au-delà des élections législatives de l’automne 2025. Il est donc plus que probable que la situation restera figée jusque-là, permettant, en outre, à son successeur de connaitre le nom du prochain locataire du Bureau Ovale pour adapter, en fonction, l’effort de défense du pays.

Bundeswehr armée de terre
En matière de capacités convetionelles, les armées françaises risquent un fort déclassement face à l’Allemagne, mais aussi face à la Pologne, sauf à profondément transformer le modèle de financement de l’effort de défense français.

Pour autant, il est peu probable que le budget allemand de la défense soit appelé à effectivement diminuer, passée cette échéance, et même au-delà du Zeitenwende. Dans ces conditions, il sera très difficile, pour la France, de venir recoller à une forme d’équilibre des dépenses de défense entre les deux pays.

Ceci supposerait, en effet, que l’effort de défense français dépasse les 3 %, pour compenser les 2,1 % allemands, ce qui semble, si pas impossible, en tout cas, hors de propos aujourd’hui, tout au moins, pas sans changer profondément les paradigmes et les modèles de financement employés, pour en limiter les effets sur les déficits publics et la dette souveraine.

On peut donc s’attendre, dans les années à venir, à ce que l’Allemagne, et la Bundeswehr, prennent le large en termes de format, de moyens et de budget, en Europe, laissant à la France un rôle secondaire, tout au moins, dans le domaine conventionnel.

Lockheed et Rheinmetall tentent de torpiller le PULS israélien en Allemagne

Depuis deux ans, l’industrie de défense israélienne a effectué d’importantes percées commerciales dans plusieurs domaines, en particulier en matière d’artillerie mobile. Qu’il s’agisse du lance-roquette multiple PULS ou du canon porté ATMOS 2000, les systèmes israéliens se sont imposés lors de plusieurs compétitions, au détriment de matériels américains (HIMARS) ou européens (Caesar, Archer), y compris en Europe.

Si les européens n’ont pas d’autres moyens, pour contrer l’avancée du canon ATMOS 2000, que de se montrer plus performants et plus compétitifs, avec l’arrivée de l’Archer 2, du Caesar Mk2 et du RCH-155, Lockheed Martin, pour sa part, dispose d’un argument massue pour tenir à distance la lance-roquettes multiple israélien de son HIMARS.

En effet, contrairement à ce qui est annoncé depuis plusieurs mois par Elbit Systems, Lockheed, épaulé pour l’occasion par Rheinmetall, n’a nullement l’intention de lui permettre de mettre en œuvre les roquettes GMLRS qui équipent aujourd’hui les LRM/LRU M270 au sein de plusieurs armées européennes, spécialement celles qui se sont tournées vers le PULS ces derniers mois en Europe.

Le PULS de ELBIT, un lance-roquettes multiple doté d’une grande polyvalence et d’un petit prix

Ces deux dernières années, le PULS s’est imposé dans de nombreuses compétitions, en particulier en Europe. En janvier 2023, le Danemark annonçait se tourner vers ce système, pour 8 exemplaires, mais aussi vers le canon porté ATMOS 2000, pour moderniser son artillerie, après avoir décidé de transférer l’ensemble de ses 19 Caesar 8×8 flambant neufs à l’Ukraine.

atmos 2000 elbit
Le canon porté ATMOS 2000 a été préféré au CAESAR français au Danemark. Depuis, cette decision fait l’objet de nombreuses critiques et d’accusation de favoritisme de la part du ministère danois de la défense.

Deux mois plus tard, ce furent les armées néerlandaises qui confirmaient l’acquisition de 20 systèmes, pour un peu plus de 300 m$. Ces deux armées employées, auparavant, le M270, retirés du service depuis plusieurs années. Dans les deux cas, le LRM israélien s’était imposé face au HIMARS de LM.

Depuis, l’Espagne a annoncé se tourner vers le système israélien, avec l’acquisition de 16 PULS et de 474 rockets Accular, EXTRA et Predator Hawk, pour 577 m$. Mais c’est probablement la décision de l’Allemagne d’acquérir 5 systèmes israéliens, en se greffant sur le programme néerlandais, pour remplacer les 5 MARS II, une évolution du M270, envoyés en Ukraine, qui finit de mettre le feu aux poudres pour Rheinmetall et Lockheed.

Lockheed Martin et Rheinmetall partenaires pour construire un EuroHimars

En effet, il y a un peu plus d’un an, anticipant les besoins croissants en matière de renouvellement du parc de lance-roquettes multiples en Europe, les deux entreprises s’associèrent pour proposer une version européanisée du M142 HIMARS, qui serait directement assemblé en Allemagne. Dans le même temps, KNDS Deutschland faisait de même, mais cette fois, avec l’israélien Elbit, pour une version européenne de son LRM.

Lockheed M142 HIMARS
Le HIMARS s’est révélé être l’un des systèmes les plus efficaces envoyés par l’occident en Ukraine.

Cette approche est assez commune outre-Rhin, l’industrie de défense allemande étant particulièrement friande de ce type de partenariat OEM, permettant d’européaniser, dans le nom plus que dans les faits, des équipements performants à fort potentiel commercial.

C’est ainsi que Diehl et Rheinmetall s’associèrent avec Rafael pour proposer le missile antichar SPIKE aux armées européennes, se taillant rapidement d’immenses parts de marché en Europe, sur l’inertie d’Euromissile et de MBDA dans ce domaine. Plus récemment, des modèles similaires ont été articulés autour du système APS Trophy, ou du système antibalistique Arrow 3, toujours israéliens, et toujours avec la particule « Euro ».

Toutefois, si LM peut admettre de voir Copenhague, La Haye et même Madrid, se tourner vers le PULS, l’hypothèse de laisser la Bundeswehr se tourner vers Elbit pour un système aussi crucial que les lance-roquettes multiples, l’a convaincu de sortir les griffes, et de tout tenter pour faire dérailler ce rapprochement.

LM et Rheinmetall refusent la possibilité de lancer les roquettes GMLRS au système PULS israélien

Pour cela, les deux entreprises ont taillé en brèche l’une des promesses faites par Elbit, concernant la possibilité, pour son système, de mettre en œuvre les roquettes GMLRS, qui arment aujourd’hui les M270, MARS II et autres LRU.

Proposition Lockheed Rheinmetall GMARS
Vue d’artiste du GMARS, une version du HIMARS européanisée par les soins de Rheinmetall

À l’occasion du salon Eurosatory, le vice-président de la stratégie et du développement des affaires pour les forces terrestres de Lockheed Martin, Howard Bromberg, a été particulièrement direct à ce sujet.  » La famille de munitions MLRS (de Lockheed Martin) ne peut pas être intégrée au système PULS « , a-t-il ainsi déclaré.

Et d’ajouter, plus précisément encore, au micro des journalistes de Defensenews.com  » Si l’Allemagne devait opter pour PULS, elle ne pourrait pas accéder à nos missiles« . Il s’agit, bien évidemment, d’un argument massue, en particulier pour Berlin.

En effet, non seulement la Bundeswehr ne pourrait pas, dans une telle hypothèse, s’appuyer sur son stock de roquette GMLRS, pour ses PULS, fussent-ils de transition, mais elle ne pourrait pas se tourner vers l’industrie de défense US pour recompléter ses stocks, en cas de besoin.

Or, comme le montrent les interdictions de réexportations des missiles SPIKE vers l’Ukraine imposées par Jérusalem, dépendre d’un pays aussi particulier dans son positionnement géopolitique qu’Israël, pour une capacité stratégique comme l’artillerie à longue portée, représenterait certainement une prise de risque excessive pour Berlin.

roquette GMLRS Lockheed M270
La roquette GMLRS est la principale munition des systèmes M270 toujours en service

Berlin ayant l’ambition de faire de la Bundeswehr, le pivot central de la défense européenne, en particulier dans ses relations avec les États-Unis au sein de l’OTAN, il est probable que les arguments avancés par Lockheed feront mouche. D’autant que Rheinmetall, aussi, y est allé de sa petite phrase assassine, par l’intermédiaire d’Armin Papperger.

« D’autres parlent de la possibilité de tirer une sorte de missiles étant universel, une affirmation la plupart du temps même pas vraie, favorisant la fragmentation des fonds de développement et les égoïsmes nationaux, tout en n’étant pas du tout utilisé sur le champ de bataille ukrainien » a ainsi déclaré son PdG, appuyant précisément là où cela fait mal, c’est-à-dire l’interdiction de Jérusalem de transférer des équipements de conception israélienne vers les armées ukrainiennes.

Conclusion

On le voit, Rheinmetall, comme LM, ont décidé de frapper là où cela fait mal, pour faire dérailler les négociations entre Berlin et Jérusalem, au sujet de l’acquisition du système PULS.

Les deux entreprises ont lancé l’offensive au meilleur moment, puisqu’il y a peu, la Bundeswehr avait reconnu des difficultés dans les discussions avec Elbit, et un possible report de la livraison des 5 systèmes, toujours pas officiellement commandés, pour la fin de l’année 2024.

Reste que les arguments avancés par les deux industriels américains et allemands, s’ils sont avant tout destinés à appuyer leurs propos, mettent également en évidence les dangers d’un sourcing inconsidéré des équipements majeurs de défense.

K239 Chunmoo
Les réserves et intedictions avancées par LM et RM au sujet des roquettes GMLRS, sétendent certainement aussi au M239 Chunmoo sud-coréen, acquis notamment par la Pologne;

En effet, qu’il s’agisse d’Israël, comme de la Corée du Sud, avec le Chunmoo II, aussi visé par les propos de A. Papperger, si ces pays peuvent se montrer attractifs en termes de prix ou de délais de livraison, ils n’en sont pas moins sur des théâtres d’opération et des agendas géopolitiques radicalement différents de leurs clients européens.

Que se passera-t-il, alors, lorsque La Haye voudra commander de nouvelles roquettes à Elbit, face à la Russie, lorsque la diaspora russe en Israël s’y opposera ? Et que se passera-t-il, dans une même hypothèse, si Séoul est déjà engagé face à Pyongyang ? Sera-t-il simplement possible de protéger les navires qui transporteraient ces systèmes, en cas de conflit étendu ?

Se pose, donc, la question de la pertinence, en Europe, de se tourner vers des industriels hors OTAN, alors que la situation est très détériorée sur le vieux continent comme dans le monde, pour économiser quelques dizaines de millions d’euros face aux équipements européens ou américains ?

Le Type 076 chinois sera-t-il un porte-drones ou un porte-avions léger ?

Si la construction d’un successeur au porte-hélicoptères d’assaut amphibie Type 075 de la Marine chinoise, baptisé Type 076, est évoquée depuis 2020, les caractéristiques et la fonction exacte de ce navire, a donné lieu à de nombreuses spéculations, enrichies des déclarations officielles chinoises.

C’est ainsi qu’au fil des années, le Type 076 est passé d’un LHD (Landing Helicopter Dock), comme le Type 075, à un porte-drones d’assaut, remplaçant une partie de ses hélicoptères d’assaut et d’attaque, par des drones à voilure fixe, pour assurer les fonctions de protection et de soutien du navire et des troupes débarquées.

Les récents clichés apparus sur les réseaux sociaux, montrant les progrès de la construction du premier navire de la classe, par les chantiers navals CSSC de Shanghai, montrent que, comme évoqué, le navire disposera bien d’une catapulte, et disposera donc de la capacité à mettre en œuvre ces drones de combat à ailes fixes.

Toutefois, la taille du navire, et la longueur de la tranchée qui va accueillir son unique catapulte, dessine une autre possibilité, celle d’employer le Type 076, comme un porte-avions léger, une classe de navire disparue avec le retrait du HMS illustrions de la Royal Navy, en 2014, mais qui semble retrouver de l’attrait ces dernières années.

La construction du premier porte-aéronef d’assaut Type 076 chinois avance rapidement à Shanghai

La construction du premier Type 076 a été annoncée publiquement en septembre 2023 par les chantiers navals Hudong-Zhonghua de Shanghai, marquant la fin de la phase de conception, et le début de la phase de construction. Neuf mois plus tard, la coque du navire a considérablement avancé, au point que le site Navalnews.com, estime désormais son lancement pour le début de l’année 2025.

type 076 CSSC Shanghai
un des derniers clichés, particulièrement net, montrant la progression de la construction du Type 076 à Shanghai. Remarquez la tranché pour la catapule à l’avant babord.

Si le Type 076 ne renie pas sa parenté avec le Type 075, il sera, toutefois, très différent de son ascendant. Ainsi, le navire devrait être plus long d’environ 10 mètres, et surtout beaucoup plus large, de sorte à disposer d’un pont d’envol droit bien plus étendu. Il devrait, ainsi, atteindre un tonnage de 45 000 tonnes en charge, 10 000 tonnes de plus que les Type 075, faisant jeu égal avec les LHA de la classe America de l’US Navy, ainsi qu’avec le porte-avions français Charles de Gaulle.

On constate, sur les photos prises par les passagers des lignes aériennes chinoises, puis postées sur internet, que le navire sera doté d’un double ilot, comme les porte-avions britanniques de la classe Queen Elizabeth, et le porte-aéronefs italien Trieste, probablement pour des questions de cheminées.

Selon le spécialiste du site naval News, il sera aussi doté d’une propulsion à turbine à gaz. Celle-ci s’avère plus efficace pour atteindre les vitesses requises pour les manœuvres aviations à ailes fixes. En outre, il sera doté d’au moins un ascenseur latéral, permettant des déplacements fluides sur le pont d’envol, sans gêner les manœuvres aviations.

Une catapulte de 100 mètres, similaire à celles du nouveau porte-avions CV18 Fujian de la Marine chinoise

Mais le point le plus déterminant, concernant le Type 076 en construction, est incontestablement la tranchée destinée à accueillir la catapulte électromagnétique qui permettra le lancement d’appareils à ailes fixes, à chargement maximal.

Type 076 construction
Le Type 076 sera 10 OOO tonnes plus lourd que le Type 075 qui le précéde au sein de la Marine chinoise.

En effet, celle-ci atteint la longueur de 100 mètres (estimée), soit la même que celles équipant le nouveau porte-avions lourd CV18 Fujian. Avec une vitesse de pointe de 25 nœuds ou plus, grâce aux turbines à gaz, le Type 076 sera donc, théoriquement, en capacité de lancer des appareils embarqués particulièrement lourds, requérant une catapulte « longue » pour atteindre la vitesse initiale requise.

Or, jusqu’à présent, les modèles de drones observés sur les essais de déplacement sur la maquette du pont d’envol du Type 076, sont des modèles proches du GJ-11, un drone de combat furtif de la catégorie 6 tonnes, ne nécessiteraient nullement une telle catapulte pour prendre l’air à charge maximale.

Se pose donc la question de la fonction future du Type 076, ou, plus particulièrement, de son groupe aérien embarqué.

Porte-drones, LHD ou porte-avions léger, à quoi serviront les Type 076

Les clichés récents publiés, concernant la construction du premier navire, apportent quelques éclaircissements à ce sujet. D’abord, celui-ci semble bien conserver son radier arrière, et conservera donc sa fonction amphibie, comme les Type 075 dont il est dérivé. D’ailleurs, la forme et la dimension de ce radier, semblent identiques à celles de ce dernier, en dépit d’une coque plus large.

type 075 LHD Marine chinoise
La Marine chinoise dispose aujorud’hui de 3 LHD Type 075, un quatrième navire étant proche du lancement.

De toute évidence, par ailleurs, la Marine chinoise se prépare à déployer, en plus des hélicoptères Z-8, Z-10 et Z-20 qui arment déjà les Type 075, des drones de combat, comme le montre les entrainements réalisés avec des maquettes de ces drones, sur le pont d’entrainement du navire. De fait, la fonction LHD du navire, comme celle de porte-drones, paraissent, donc, se confirmer. Mais le Type 076 pourrait bien faire davantage.

En effet, comme évoqué précédemment, la présence d’une catapulte électromagnétique longue, d’une propulsion à turbine à gaz, et d’au moins un ascenseur latéral, laisse penser que le Type 076 pourrait également embarquer des avions à ailes fixes plus lourds que les drones, et donc, probablement, pilotés, qu’il s’agisse du J-35, du J-15T ou de l’avion de veille aérienne KJ-600.

Le fait que le navire ne dispose que d’un pont droit, tendrait à indiquer que le nombre de ces aéronefs sera limité, puisqu’il faudra dégager le pont à chaque manœuvre aviation (catapultage, décollage ou appontage), ne permettant pas un rythme soutenu de rotations aériennes. Toutefois, une telle configuration devrait permettre d’assurer de 20 à 30 manœuvres par jour, ce qui correspondrait à une flotte embarquée d’une dizaine d’aéronefs.

Un navire de combat aéro-amphibie complet proche de la classe America de l’US Navy

Ainsi, le Type 076 se rapprocherait des capacités des LHA de la classe America, qui emportent une vingtaine d’aéronefs, dont une dizaine de F-35B, en disposant d’une flotte relativement similaire en volume, se partageant entre des avions de combat pilotés épaulés de drones de combat, et d’hélicoptères d’assaut et d’attaque.

LHA america en mode porte-avions leger
Le LHA America de l’US Navy en version porte-avions léger, avec une vingtaine de F-35B à son bord.

Il pourrait, en outre, en fonction des besoins, privilégier un type ou l’autre de ses capacités, selon qu’il doit être employé dans la fonction d’assaut amphibie, ou de porte-avions léger, en adaptant la composition de son groupe aérien embarqué, voire en employant les espaces dédiés aux forces amphibies, pour le soutien de la fonction aviation embarquée.

Disposer d’une nouvelle classe de ce type, permettrait, de fait, à la Marine chinoise, de contrer, à parité, la souplesse conférée par les LHA de la classe America, pour l’US Navy, en augmentant, au besoin, la flotte de navires amphibies, ou de porte-aéronefs, selon que l’on est en mission de projection de puissance ou d’interdiction.

Conclusion

Il faudra encore patienter pour que ces hypothèses, éclairées, deviennent des certitudes, concernant le potentiel opérationnel des Type 076. Cependant, sachant que concomitamment à la construction du premier Type 076, les chantiers navals Hudong-Zhonghua ont également construit la quatrième unité de la classe Type 075, cela tend à renforcer l’idée que le nouveau navire sera bien davantage qu’un LHA évolué, et qu’il disposera bien de capacités étendues en termes d’aviation embarquée.

La construction de cette classe montre, également, à quel point l’écart technologique et capacitaire séparant la Marine chinoise et l’US Navy tend à se réduire rapidement. L’US Navy estime, à ce sujet, qu’elle disposera encore de l’ascendant dans ce domaine jusqu’à la fin de la décennie, en grande partie grâce à ses unités aéronavales et ses sous-marins. Au-delà, toutefois, le sujet est beaucoup plus ouvert.

J-35 marine chinoise
Le J-35 trouvera-t-il son chemin à bord des Type 076 comme les F-35B à bord des classes America ?

Or, dans l’hypothèse d’un conflit autour de Taïwan, à ce moment-là, la Chine pourrait s’appuyer sur deux atouts déterminants, pour prendre l’ascendant sur la flotte américaine. Le premier est la proximité de l’ile autonome du continent chinois, et donc, des bases aériennes et sites de missiles de l’Armée Populaire de libération.

Le second avantage, non moins déterminant, repose sur l’outil industriel naval chinois, représentant 65 % de la construction navale mondiale. La Marine chinoise disposera, dès lors, d’une capacité de régénération et de réparation, considérablement supérieure à celle dont dispose l’US Navy.

Dans tous les cas, avec des navires de plus en plus performants et produits de plus en plus vite, il sera très difficile, pour ne pas dire impossible, à l’US Navy, de relever, seule, le défi chinois dans le Pacifique, alors que le temps continue de jouer en faveur de Pékin.

KNDS prépare le char de génération intermédiaire, y compris pour la France !

Jusqu’à présent, la stratégie poursuivie par le groupe franco-allemand KNDS, rassemblant le français Nexter et l’allemand Krauss-Maffeï Wegmann, pouvait sembler obscure, pour ne pas dire, artificielle.

En effet, bien que rassemblées dans une entité unique, avec le programme MGCS en position de pivot, les deux entreprises nationales, et leurs autorités de tutelles, paraissaient continuer à évoluer de manière indépendante, sans réelle synergie, et sans produire de blindés véritablement destinés simultanément à la Bundeswehr et à l’Armée de terre.

Les événements récents, avec l’apparition du RCH-155, un canon sur roues comme le Caesar, et surtout le Leopard 2A8, une évolution du Leopard 2A7 destiné à assurer le remplacement d’une partie des chars occidentaux hérités de la guerre froide, pouvaient même accréditer cette hypothèse de deux entités nationales ne communiquant pas, ou peu, rassemblées artificiellement dans un groupe franco-allemand à des fins plus politiques qu’industrielles et défense.

Pourtant, la gamme de chars lourds présentée par KNDS, à l’occasion du salon Eurosatory 2024, permet de porter un regard neuf sur la stratégie du groupe, et pas uniquement de ses sous-entités, et démontre une synergie astucieusement bâtie, même si elle ne prend pas la forme que l’on pouvait initialement escompter.

KNDS clarifie sa stratégie de chars de combat

En effet, KNDS présente, sur ce salon, qui se veut le plus important salon européen, probablement mondial, en matière d’armements terrestres, non pas un, ni même deux chars de combat, mais cinq, dans une vision de gamme rattachée à un calendrier pertinent.

Leopard 2A8 de KNDS au salon Eurosatory 2024
Le Leopard 2A8 est apparu pour la première fois en public lors du salon Eurosatory 2024

Deux modèles sont actuellement en production. Le Leopard 2A8 est déjà commandé par l’Allemagne, la Norvège et la République tchèque, et devrait prochainement être commandé par les Pays-Bas et la Lituanie. Son pendant français est le Leclerc modernisé, la version en cours de déploiement au sein de l’Armée de terre française, par modernisation de sa propre flotte.

L’objectif de cette offre est de répondre à l’urgence géopolitique, en particulier pour l’Allemagne et la France, tout en apportant une solution aux besoins de modernisation à court termes des armées européennes, pour faire face aux tensions avec la Russie, et pour compenser l’envoi de blindés et de chars en Ukraine.

Il s’agit, surtout, de ne plus céder de parts de marché, en Europe en particulier, au K2 Black Panther sud-coréen, conçu en partie grâce à des transferts de technologies allemandes, et déjà choisi par la Pologne, ainsi qu’au M1A2 SEPv3 Abrams américain, retenu par la Pologne et la Roumanie.

Pour cela, c’est avant tout le Leopard 2A8 allemand, il est vrai bien plus abouti que le Leclerc, modernisé certes, mais à minima, qui est mis en avant par KNDS. Ce d’autant que les demandes viennent avant tout, aujourd’hui, des armées européennes, le terrain de jeu de prédilection de Krauss-Maffei Wegmann.

Une offre intermédiaire à court terme pour préparer l’arrivée du MGCS

Le second volet de cette offre se compose, elle aussi, de deux modèles, l’un français, l’autre allemand, destinés à entrer en service dans les quelques années à venir, pour former la génération intérimaire de chars de combat, désormais bien connue, dans l’attente d’un MGCS qui n’arrivera pas avant 2045, peut-être 2050.

Le Leopard 2A-RC 3.0 préfigure le Leopard 3 de la Bundeswehr

Le premier à avoir été dévoilé, à la fin de la semaine dernière, est le Leopard 2A-RC 3.0, une évolution radicale du Leopard 2, dotée, entre autres choses, d’une tourelle entièrement automatisée et d’un équipage ramené à 3 membres.

Leopard 2A-RC 3.0 par KNDS Deutschland
Le Leopard 2A-RC 3.0 est doté d’une tourelle robotisée inabitée.

Plus léger de plusieurs tonnes que le Leopard 2A8, le Leopard 2A-RC 3.0 s’inscrit dans une étude lancée par la Bundeswehr pour concevoir, précisément, ce char de génération intermédiaire, destiné à assurer l’intérim entre les Leopard 2A5/6/7/8, en service au sein de la Bundeswehr, et le MGCS.

Il prépare, à ce titre, l’arrivée de ce dernier, avec notamment un armement principal pouvant, à la demande, être équipé du canon de 120 mm du Leopard 2A8, du canon Rheinmetall de 130 mm du KF51 Panther, ou du canon de 140 mm Ascalon de KNDS France.

Il est également doté de technologies de communication et de protection très avancées, ainsi que d’une vetronique de nouvelle génération, en faisant un char sensiblement plus évolué que le 2A8, largement capable à s’imposer devant le K2 Black Panther et ses évolutions, ou face au nouveau M1E3 Abrams en cours de conception outre atlantique, en particulier au sein des pays de l’OTAN, qui demeurent le principal marché de KNDS Deutschland.

Le Leclerc Evolved, un char de génération intermédiaire français « prêt à produire »

Si la présentation du Leopard 2A-RC 3.0 restait anticipée, celle du Leclerc Evolved, en revanche, a surpris l’immense majorité des observateurs spécialisés. En effet, celui-ci constitue, à l’instar de son cousin allemand, une évolution radicale du char Leclerc, prêt, lui aussi, à relever le défi du char de génération intermédiaire.

Leclerc Evolved
Leclerc Evolved au salon Eurosatory 2024 – Remarquez la filiation avec la tourelle E-MBT de 2022. (Photo F. Dosreis)

Concrètement, le Leclerc Evolved se présente comme une évolution du Leclerc EAU, doté d’une tourelle dérivée de la tourelle MGCS présentée en 2022, lors du précédent salon Eurosatory.

En outre, le char s’appuie, comme le démonstrateur MGCS de 2022, sur un équipage à 4 membres, avec l’ajout d’un spécialiste système, chargé de mettre en œuvre les différents systèmes d’engagement périphérique du blindé, comme les missiles NLOS, la tourelle ARX 30 antidrone, et les drones.

La transition vers le MGCS est également intégrée, avec le canon ASCALON, qu’il soit de 120 ou de 140 mm, lui conférant une puissance de feu inégalée, en particulier à moyenne et longue portée, y compris face au Leopard 2A-RC 3.0, s’il devait se doter du 130 mm de Rheinmetall.

Enfin, contrairement au Leclerc rénové, le Leclerc Evolved voit son électronique embarquée, sa vétronique et ses systèmes de protection largement renforcés et modernisés, notamment par l’ajout d’un système Hard-kill Trophy.

EMBT KNDS 2022
en dehors du canon, la tourelle de l’E-MBT, version 2022, semble bien être à l’origine de celle équipant le Leclerc Evo.

Si le Leopard 2A-RC 3.0, ou plutôt son évolution finale, que nous nommerons Leopard 3 par simplification, est avant tout destiné aux armées de l’OTAN, le Leclerc Evolved, lui, vise ces marchés inaccessibles à l’entreprise allemande, particulièrement au Moyen-Orient, mais aussi en Inde, voire en Indonésie ou en Amérique du Sud.

Paradoxalement, la France n’a pas, pour l’heure, indiqué son intention de franchir le pas de la génération intermédiaire de chars, dans l’attente du MGCS. Mais les délais faisant, et le Leclerc rénové perdant rapidement du terrain face aux nouveaux modèles qui arrivent, il est probable que d’ici à quelques années, peut-être quelques mois, la décision sera prise de se tourner vers ce Leclerc Evolved pour moderniser et renforcer l’Armée de Terre, ainsi que pour créer le socle industriel nécessaire pour lancer la production de ce modèle sur la scène internationale.

Le char EMBT devient le démonstrateur du programme MGCS

Le dernier modèle de char présenté par KNDS, lors de ce salon, n’est autre qu’une nouvelle version du démonstrateur EMBT, la troisième en cinq ans. La première consistait à l’assemblage d’une tourelle Leclerc sur une caisse Leopard 2 en 2019. La seconde reposait sur la nouvelle tourelle présentée en 2022, désormais au cœur du Leclerc Evolved.

EMBT version 2019
L’E-MBT version 2019 reposait sur une tourelle de Leclerc montée sur un caisse de Leopard 2.

L’EMBT 2024, lui, est 100 % original. Il repose sur une nouvelle tourelle robotisée surbaissée, prête pour l’Ascalon, montée sur une nouvelle caisse incluant, dans la cellule de contrôle, un équipage à 4. Le blindé emprunte ainsi des technologies qui seront maturées sur le Leopard 2A-RC 3.0, comme la tourelle robotisée, et d’autres venant du Leclerc Evolved, comme l’équipage à 4 membres.

À ce titre, on remarque que l’EMBT est présenté protégé par le système APS Prometeus et le système hard-kill Diamant, en cours de développement par KNDS France et Thales, offrant une protection volumétrique rapprochée contre tous les types de projectile.

Si la nouvelle version de l’EMBT apporte déjà son lot de surprises, c’est dans le discours de KNDS à son propos que l’on y trouve la plus importante. En effet, de travaux de recherche pour l’émergence d’une génération intérimaire de chars européens, l’EMBT est désormais promu au rang de démonstrateur du programme MGCS.

La filiation technologique différenciée avec le Leopard 2A-RC 3.0, d’une part, et avec le Leclerc Evolved, de l’autre, font de l’EMBT un outil de synthèse particulièrement efficace, justifiant, de manière très visible, la trajectoire commune empruntée par le groupe KNDS.

EMBT version 2024
Le démonstrateur E-MBT version 2024 au salon Eurosatory.

Qui plus est, en plaçant l’EMBT comme démonstrateur du MGCS, KNDS s’assure de piloter l’ensemble des systèmes clés du programme, laissant aux deux autres industriels, Rheinmetall et Thales, un rôle d’équipementier cadré.

Enfin, du point de vue de la communication, le MGCS s’est doté, à présent, d’un support très efficace, même si le char final pourrait être très différent du démonstrateur présenté aujourd’hui. Le programme ayant été attaqué de toutes parts, et des deux cotés du Rhin, disposer d’un support de communication de 55 tonnes, permettra certainement de lever certaines objections.

KNDS mise plus sur la complémentarité que sur l’homogénéité de son offre, pour s’imposer face au M1E3, au KF51 et au K2

Maintenant que KNDS a dévoilé l’ensemble de sa gamme, la stratégie employée par le groupe apparait plus clairement. De toute évidence, celui-ci est parvenu à faire d’une faiblesse apparente, deux groupes industriels ayant des offres différentes pour des clients différents, une force pour disposer d’une offre aux performances élargies.

Ainsi, plutôt que de chercher immédiatement à faire émerger un modèle de char franco-allemand, comme on pouvait le penser avec la première version de 2019 de l’EMBT, KNDS a laissé les deux axes se developper parallèlement, et a astucieusement placé des points forts différenciant entre les modèles, au-delà de leur pays d’origine, pour couvrir une gamme plus large.

KF51 Panther Rheinmetall salon Eurosatory 2024
Rheinmetall a présenté une volution du KF51 Panther lors du salon Eurosatory 2024.

De cette manière, le Leopard 3 semble se destiner à satisfaire la majorité des attentes et besoins des armées de l’OTAN, déjà acquises, pour la plupart, au Leopard 2. Le char se veut donc une alternative au KF51 Panther, ainsi qu’au futur M1E3 Abrams, avec lesquels ils partagent la majorité des grandes innovations, comme la tourelle robotisée.

Le Leclerc Evolved, lui, semble davantage conçu pour aller affronter les modèles sud-coréens, russes et chinois, au Moyen-Orient, voire en Asie et en Amérique du Sud, vers des pays s’étant, par le passé, déjà tournés vers les blindés français. Il dispose toutefois de capacités suffisamment différenciée pour aller se battre en Europe contre ces blindés, le cas échéant, si les chances du Leo 3 étaient jugées trop faibles.

C’est, en substance, la stratégique que l’on a déjà pu voir appliquée par KNDS au Caire en début d’année, lorsque ce fut l’EMBT (2022), donc le Leclerc Evolved, qui fut présenté aux armées égyptiennes, plutôt que le Leopard 2A8.

On retrouve, d’ailleurs, ce même découpage dans les autres gammes de blindés du groupe. Ainsi, le RCH-155 n’est pas un véritable concurrent du Caesar, qu’il soit 6×6 ou 8×8. En effet, le canon sur roues allemand, est plus de trois fois plus cher que le nouveau Caesar Mk2. Il est aussi, cependant, plus évolué. De fait, les deux modèles ne s’adressent pas à la même clientèle, et ne devraient pas se retrouver en compétition, dans les années à venir.

Conclusion

On le voit, ce salon Eurosatory 2024 marquera, pour le groupe franco-allemand KNDS, une étape déterminante dans sa transformation pour devenir, effectivement, un groupe transnational européen.

RCH-155 KNDS
Le RCH-155 n’est pas un concurrent du Caesar français, car trois fois plus cher que ce dernier. Il répond à des besoins spécifiques proches d’un Pzh2000 sur roues. De fait, avec le RCH-155, le Caesar 8×8 et le Caesar mk2, KNDS propose une gamme d’artillerie sur roues particulièrement étendue, répondant à une vaste palette de besoins et de typologies de force.

Il est probable que l’idée sous-jacente à ce rapprochement, réalisé en 2015, était assez différente du résultat final, et visait davantage à uniformiser les développements d’équipements blindés entre la Bundeswehr et l’Armée de terre. Toutefois, la stratégie employée a le mérite d’être parfaitement pragmatique, acceptant de fait les divergences de doctrines, et donc d’attentes en termes d’équipements, entre ces deux armées.

De fait, KNDS ne sera pas le « Airbus de l’armement terrestre« , tel qu’il était présenté à sa naissance, mais tendrait à devenir le « MBDA des blindés« , reprenant la structure, au demeurant très efficace, mise en place par le missilier européen, pour se doter d’une large gamme complémentaire, afin de se positionner efficacement sur un plus grand nombre de besoins.

Reste que, pour que cette stratégie fonctionne, il faudra que Berlin, et surtout Paris, acceptent de jouer le jeu. La Bundeswehr ayant déjà entamé l’étude du Leopard 3, la balle est maintenant dans les mains de l’Armée de Terre et du ministère des Armées, qui devront absolument commander le nouveau Leclerc Evolved, pour maintenir à flot la stratégie groupe de KNDS, et les équilibres nationaux qui la sous-tendent.

Dans le présent contexte budgétaire, et surtout politique et social, en France, alors que les questions de défense demeurent aux abonnés absents du débat des élections législatives à venir, on peut, malheureusement, douter que ce sera la direction qui sera suivie.

Après NGAD, le programme F/A-XX de l’US Navy est aussi menacé en 2025

Lancé conjointement au programme Next Generation Air Dominance de l’US Air Force, le programme F/A-XX de l’US Navy a été poursuivi de manière beaucoup plus discrète que son homologue ces dernières années.

Au mieux, savait-on, en début d’année, que l’US Navy disposait d’un confortable budget de 1,53 Md$ sur l’année fiscale 2024, pour terminer la phase d’étude conceptuelle, et entamer la phase de maturation, avec l’objectif de concevoir un système de systèmes de combat aérien embarqué à horizon 2040, pour prendre la relève des F/A-18 E/F Super Hornet à bord des porte-avions américains.

Ces dernières semaines, le NGAD de l’US Air Force est entrée dans une zone de fortes turbulences, venant jusqu’à faire douter de son avenir et de son calendrier, ainsi que du concept même poursuivi pour remplacer les F-22 Raptor.

Il semble bien que ces doutes aient contaminé le programme F/A-XX de l’US Navy. En effet, le Sénat ne lui alloue, sur l’année 2025, que 53,8 m$, dix fois mois que demandé par la Marine américaine, et plus de 28 fois moins qu’en 2024.

Le Sénat américain sabre le budget 2025 du programme F/A-XX destiné à remplacer les F/A-18 E/F Super Hornet de l’US Navy

Pour l’heure, les raisons ayant motivé une telle réduction budgétaire par le Sénat américain, n’est pas rendue publique. L’US Navy, qui n’avait demandé qu’un tiers des crédits 2024 pour l’année 2025 afin de poursuivre ce programme, avait expliqué qu’il s’agissait, pour elle, de libérer des ressources budgétaires, en retardant les programmes F/A-XX, SSN(X) et DDG(X), pour traiter certaines urgences en matière de modernisation et d’extensions industrielles, et de préparation opérationnelle dans le Pacifique.

F/A-18 E Super Hornet
Un F/A-18 E Super Hornet à l’appontage

Toutefois, la diminution, plus que massive, ordonnée par le Sénat, est non seulement préoccupante pour l’avenir du programme, mais elle est surtout très atypique dans le fonctionnement traditionnel du pilotage des programmes militaires industriels américains.

Rappelons, par exemple, qu’alors que le programme FARA d’hélicoptère d’attaque et de reconnaissance de l’US Army était officiellement annulé en 2024, les engagements budgétaires, représentant plusieurs milliards de $, pour le développement des deux prototypes, seront respectés jusqu’en 2027.

Dès lors, le coup de sabre asséné, par le Sénat, au programme F/A-XX de l’US Navy, révèle une dynamique beaucoup plus profonde, qu’un simple réajustement budgétaire temporaire. Il est d’ailleurs probable que cette décision ne s’est pas faite contre l’avis de l’US Navy, ni en excluant les trois grands industriels impliqués dans le programme que sont Lockheed Martin, Boeing et Northrop Grumman.

NGAD et F/A-XX, les deux programmes de chasseur américain de 6ᵉ génération en suspens

La décision du Sénat fait naturellement écho aux différentes déclarations récentes des autorités civiles et militaires de l’US Air Force, au sujet du programme NGAD. Le sujet ayant été traité par un précédent article, nous rappellerons, simplement, qu’aujourd’hui, le calendrier, mais aussi la nature même de ce programme, ont été remises en question par les chefs militaires et civils de l’US Air Force.

programme NGAD vision Lockheed Martin
Après NGAD, le programme F/A-XX de l'US Navy est aussi menacé en 2025 63

Là encore, l’argument budgétaire a été mis en avant, alors que l’Air Force doit faire face à des augmentations massives des enveloppes budgétaires de plusieurs programmes stratégiques, dont le bombardier B-21 Raider et le missile ICBM LGM-35a Sentinel, représentant plusieurs dizaines de milliards de $ non financés par la planification actuelle.

Toutefois, force est de constater que les deux programmes d’avions de combat de 6ᵉ génération des armées américaines, qui devaient initialement remplacer, sur la prochaine décennie, les pivots de la puissance aérienne américaine basée à terre et embarquée, rencontrent de très puissants vents contraires, venant jusqu’à faire peser le doute sur leur pérennité.

La simultanéité des deux annonces, espacées de seulement quelques jours, interpelle nécessairement. Les deux programmes ayant des bases industrielles et technologiques distinctes, même s’ils visent à créer tous deux un chasseur de 6ᵉ génération, des délais liés à des difficultés ou impasses technologiques, comme rencontrées par d’autres programmes par le passé, semblent à exclure.

Priorité est donnée aux drones de combat et capacités militaires à court terme

En effet, la plus grande plus-value opérationnelle de ces chasseurs, sera de mettre en œuvre et contrôler des drones de combat. Or, parallèlement, le programme de drones CCA, mené en partenariat par l’US Air Force et l’US Navy, est, quant à lui, non seulement maintenu, mais il revêt même, désormais, un caractère prioritaire.

MQ-25 Stingray F/A-18 F Super Hornet
Un MQ-25 Stingray de l’US Navy ravitallie un F/A-18 F Super Hornet lors des vols de qualification

Ces derniers mois, en effet, les déclarations se sont multipliées, pour l’Air Force comme la Navy, pour accélérer le développement d’une offre étendue de drones de combat, allant du drone lourd de type Loyal Wingmen, au drone léger de type Remote Carrier ou Munition rôdeuse, en passant par le drone de soutien comme le MQ-25 Stingray de l’US Navy.

En outre, après les difficultés rencontrées autour du programme Joint Strike Fighter et le chasseur F-35, les deux forces aériennes américaines avaient repris des trajectoires autonomes pour le développement de leurs chasseurs de nouvelle génération NGAD et F/A-XX.

Toutefois, concernant l’emploi des drones de combat, si les programmes sont aussi pilotés indépendamment par chacune d’elles, ceux-ci respectent un socle technologique commun, devant permettre de passer le contrôle d’un drone, d’un avion de l’US Navy, à un avion de l’US Air Force, et vice-versa.

Vers une remise en cause des paradigmes entourant la 6ᵉ génération des avions de combat ?

De fait, l’objectif principal de cette nouvelle génération d’avions de combat de 6ᵉ génération, la coopération avec les drones de combat, ne semble pas le moins du monde remise en cause. Au contraire, il semble même glisser, dès à présent, vers des appareils de 5ᵉ génération, comme le F-35A/B/C, voire, en fonction des efforts de modernisation qui lui seront appliqués, le F-22 Raptor.

NGAD drones
Après NGAD, le programme F/A-XX de l'US Navy est aussi menacé en 2025 64

Il est également possible, si pas probable à ce jour, que des appareils de 4ᵉ génération évolués, comme le F/A-18 E/F Super Hornet, le F-15EX, voire une évolution du F-16 comme le Block 70/72, puissent également, à l’avenir, mettre en œuvre ces drones de combat, comme cela est prévu en Europe avec le Rafale F5 français et les Typhoon Tranche 3 allemands.

Se pose alors la question de l’intérêt de développer, à grands frais, un nouvel avion de combat très onéreux, comme devait l’être le F/A-XX, le chasseur du NGAD, ainsi que le NGF du programme SCAF et le Tempest du programme GCAP, pour jouer le rôle de quaterback, comme évoqué par l’US Navy, afin de contrôler une armada de drones portant les capacités offensives et défensives.

On peut penser, dans ces circonstances marquées par des contraintes budgétaires et un calendrier sous tension, et pour répondre aux évolutions des menaces dans le Pacifique, en Europe et au Moyen et Proche-Orient, qu’une réflexion sous pression soit en cours, au Pentagone, pour redéfinir les paradigmes entourant les programmes NGAD et F/A-XX, en priorisant le développement de la seule capacité drones de combat, y compris en s’appuyant, au besoin, sur des avions de combat existants.

Ce d’autant que le Pentagone n’échappe pas au manque de visibilité à désormais court terme, lié aux élections présidentielles américaines, alors que Donald Trump a une cote de seulement 2/5 pour les Bookmakers américains, contre 1/5 pour Joe Biden, et 1/8 pour Kamala Harris. (Maj 24/08/2024 : depuis la rédaction de cet article, le retrait de Joe Biden et la nomination de K.Harris par le Parti Démocrate, les Bookmakers de Las Vegas mettent D.Trump et K.Harris au coude à coude en matière de côtes.)

Le candidat républicain multiplie, en effet, les déclarations tendant vers une poussée de l’isolationnisme américain, s’il venait à être élu, ce qui entrainerait, au mieux, une stagnation des budgets militaires américains dans les années à venir, et au pire, de sévères coupes budgétaires dans ce domaine.

Conclusion

On le voit, la très forte réduction du budget annuel pour le programme F/A-XX de l’US Navy, tout comme les incertitudes croissantes entourant le programme NGAD de l’US Air Force, toutes indiquent qu’une profonde réflexion a été engagée au Pentagone, concernant l’avenir de ces programmes de chasseurs de 6ᵉ génération.

Programme F/A-XX vision de Boeing
Vision de Boeing du F/A-XX

Les causes de ce bouleversement en cours, sont certainement multiples, entre l’urgence que représente la montée en puissance des capacités militaires chinoises, les arbitrages budgétaires difficiles face à des priorités stratégiques, ainsi qu’une probable évolution du concept même d’avion de combat de 6ᵉ génération.

Il faudra, toutefois, attendre que certains voiles soient levés, par les armées, comme par les parlementaires et l’exécutif américains, pour saisir l’ensemble des tenants et aboutissants de ces décisions qui créent, sans le moindre doute, beaucoup d’incertitudes, y compris au sein des armées elles-mêmes.

Loyal Wingmen vs NGAD : l’US Air Force pourrait privilégier les drones de combat pour 2030

Lancé 2015, le programme Next Generation Air Dominance, ou NGAD, représentait, jusqu’à aujourd’hui, l’un des programmes majeurs de l’US Air Force. À l’instar de ce que fut le F-22 dans les années 90, qu’il soit permettre de remplacer, celui-ci vise à doter l’USAF d’un chasseur de supériorité aérienne capable de s’imposer, pour les deux décennies suivant son entrée en service, contre tous les appareils qui pourraient être produits dans le monde, en particulier par la Russie ou la Chine.

Revers de ces exigences, le chasseur américain promet d’être cher, et même très cher. Selon le Secrétaire à l’Air Force, Franck Kendall jr, celui-ci doit couter « plusieurs centaines millions de dollars » par cellule, sachant que « plusieurs », ici, ne représente certainement pas 2 ou 3.

De fait, l’US Air Force ne prévoyait que d’en acquérir un nombre limité, soit autour de 200 exemplaires, pour remplacer les F-22 qui, bien que demeurant l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur avion de supériorité aérienne du monde à ce jour, doit être retiré du service à partir de la fin de la décennie.

Quoi qu’il en soit, rien ne laissait présager, dans le discours officiel, que ce programme emblématique de la modernisation de l’US Air Force, avec le bombardier B-21 Raider, l’ICBM Sentinelle et l’Awacs E-7 Wedgetail, puisse être menacé. C’est pourtant bien ce qu’ont laissé entendre, la semaine passée, le chef d’état-major de l’US Air Force, le général David Allvin, comme le SECAF, Franck Kendall jr.

Le programme NGAD va-t-il faire les frais du besoin urgent de drones Loyal Wingmen de l’US Air Force ?

Pourtant, le programme NGAD semblait, jusqu’ici, poser sur des rails, budgétaires comme opérationnelles et politiques. Au point que le contrat d’attribution, pour la construction des premiers prototypes, était attendu cette année, Lockheed Martin et Boeing s’opposant sur ce dossier.

NGAD Loyal Wingmen
300 F-35A de l’US Air Force seront modifiés pour controler les drones de combat CCA.

La semaine dernière, en revanche, a sensiblement érodé ces certitudes. En effet, les deux autorités qui dirigent l’US Air Force, le SECAF, F.Kendall, et le chef d’état-major, le général D. Alnvin, ont tous deux fait des déclarations laissant penser que le programme pouvait faire les frais du besoin urgent de drones de combat pour accompagner ses chasseurs.

 » Les délibérations sont toujours en cours, aucune décision n’a été prise. Nous examinons beaucoup d’options très difficiles que nous devons envisager « , lorsque interrogé par un journaliste au sujet des rumeurs de menaces sur le programme NGAD, à l’occasion d’une table ronde organisée au Pentagone avec la presse spécialisée.

Et d’ajouter que l’US Air Force était engagée dans un processus pour concevoir et produire, mais aussi pour utiliser, les drones de combat, plus spécialement, les Loyal Wingmen qui doivent escorter et étendre les capacités de son aviation de chasse, dans les quelques années à venir. En outre, maintenant que le processus est entamé, l’USAF découvre même de nouvelles façons d’employer ces équipements, ce qui ouvre de nouvelles opportunités, selon le général Allvin.

Franck Kendall, pour sa part, avait déclaré, à ce sujet, au site de référence, Aviationweek.com, qu’il fallait conserver un esprit ouvert pour répondre aux enjeux. Plus spécifiquement, selon le chef politique de l’Air Force, les contraintes budgétaires obligent l’USAF à envisager ses priorités de manière différente, ce qui peut entrainer certains arbitrages qu’il conviendra d’accepter.

Libérer des ressources budgétaires à court terme pour accélérer la transition vers les drones de combat

Le fait est, la grande priorité, pour ce qui concerne l’aviation tactique américain, semble désormais porter sur l’entrée en service rapide, mais structurée, d’une flotte croissante de drones, couvrant l’ensemble du spectre d’utilisation.

USAF General Alvill
Le général Allvin, chef d’etat-major de l’US Air Force, lface à l’Association des forces aériennes et spatiales à Arlington.

Ce changement de paradigmes trouve certainement son origine dans les différentes simulations exécutées ces derniers mois, au sujet d’un potentiel affrontement entre les armées US et l’Armée Populaire de Libération, autour de Taïwan.

Si ces wargames permirent de « rassurer » le Pentagone dans sa capacité à contenir l’APL, au besoin, ils mirent en évidence deux points essentiels : le rôle majeur que les drones de combat, de tous types, sont appelés à jouer dans un tel engagement, le cas échéant, et les lourdes pertes, matériels et humaines, tant pour les forces chinoises qu’américaines.

Sachant que tout indique que le Pentagone se prépare à un conflit avec la Chine avant la fin de la décennie, pour contenir une manœuvre militaire chinoise pour soumettre Taïwan, l’US Air Force a donc besoin de concentrer ses moyens budgétaires, pour financer sa montée en puissance immédiate, tout en se dotant de capacités valant coefficient multiplicateur de forces, pour compenser son probable désavantage numérique.

Les drones, qu’il s’agisse de Loyal Wingmen, ou de drones aéroportés, apparaissent donc comme la grande priorité du moment, sachant que les autres programmes à court terme (F-35A, F-15EX, KC-46A, E-7, B-21 et Sentinelle), ne peuvent pas être altérés, car ils sont indispensables pour consolider le rapport de forces à court termes.

F-22 Raptor USAF
Les F-22 Raptor de l’US Air Force pourraient devoir être modifiés pour, eux aussi, controler les drones de combat, si le programme NGAD venait à être reporté.

Pour l’heure, le sort exact du programme NGAD n’est pas divulgué, peut-être même n’est-il pas encore statué. Son annulation, pure et simple, serait surprenante, tout au moins avant les prochaines élections présidentielles, tant les enjeux, y compris industriels, sont importants. En revanche, un report, avec un glissement au-delà de 2035, voire 2040, semble plus réaliste, pour une entrée en service concomitante avec le GACP britannique, et le SCAF européen.

Ce d’autant que rien n’indique, à ce jour, que la Russie, et surtout la Chine, soit en mesure de produire un nouveau chasseur, dans les années à venir, susceptible de s’imposer face au F-22 Raptor. En revanche, dans une telle hypothèse, on peut s’attendre à ce que le Raptor soit sensiblement modernisé dans les années à venir, ne serait-ce que pour pouvoir effectivement évoluer aux côtés et contrôler les drones de combat à venir.

Vers un changement de paradigmes industriels pour les drones de l’US Air Force

L’arrivée des drones de combat, identifiée au sein de l’US Air Force comme Collaborative Combat Aircraft, ou CCA, donnera lieu à un profond changement des paradigmes industriels appliqués jusqu’ici.

S’exprimant devant l’Association des forces aériennes et spatiales à Arlington, le général Allvin a, à ce titre, tracé les grandes lignes du pilotage projet qui sera appliqué par l’US Air Force à son sujet. Ainsi, il ne sera pas question de concevoir des drones super-polyvalents et évolutifs, capables de voler pendant 25 ou 30 ans.

NGAD drones
Les wargames ont montré qu’en 2026, les armées US pouvaient encore prendre l’avantage sur l’APL autour de Taïwan, en utilisant un grand nombre de drones de combat.

Au contraire, les drones de combat devront avoir une durée de vie limitée, et pourront être spécialisés, de sorte à en réduire les couts et les délais de développement, ainsi que les couts de possession.

Surtout, le général Allvin estime que, désormais, le rythme des avancées technologiques, souvent appelé Tempo technologique sur ce site, est appelé à grandement s’accélérer, de sorte qu’il n’est plus pertinente de parier sur l’évolutivité et la polyvalence, pour optimiser le parc.

Ces paradigmes ne sont pas sans rappeler ceux qu’avait mis en avant Will Roper, lorsqu’il dirigeait les acquisitions de l’US Air Force. Celui-ci préconisait, en effet, de remplacer le programme NGAD visant à developper un chasseur lourd pour remplacer le F-22, par des petites séries (toutes proportions gardées lorsque l’on parle des États-Unis), d’avions spécialisés, destinés à rester en service une quinzaine d’années.

Selon Roper, les économies réalisées en matière de R&D, en s’éloignant des notions de polyvalence et d’évolutivité, associées à celles liées à une redynamisation de l’industrie aéronautique US, composeraient largement l’augmentation du format des forces induite par cette mesure.

Si rien n’indique, à ce jour, que les programmes pilotés, F-35A et NGAD, puissent être revus en fonction de ces paradigmes, F.Kendall ne pouvant se déjuger après s’être montré assez méprisant face à la doctrine Roper à son arrivée à la tête de l’USAF, la nouvelle approche concernant la conception, la fabrication et même la durée de vie opérationnelle, des drones de combat américains, semblent, en revanche, en être directement inspirée.

Toutes les armées américaines se préparent à un conflit prochain avec la Chine

Si la décision de l’US Air Force se confirme, avec un report du programme NGAD pour libérer des ressources budgétaires en faveur de l’accélération du programme de drones de combat, il s’agirait d’une nouvelle indication du changement de posture du Pentagone, pour se préparer à une possible confrontation avec la Chine, avant la fin de la décennie.

BELL FAra 360 Invictus
L’US Army a annulé le programme FARA pour financer ses programmes de drones et pour réévaluer ses besoins en termes d’hélicoptères tactiques.

Rappelons, en effet, que les trois autres armées américaines ont déjà faits des arbitrages en ce sens, ces derniers mois. Ainsi, l’US Army a abandonné la modernisation M1A2 SEPv4, du char Abrams, pour se tourner vers une nouvelle version de son char, radicalement différente, et plus légère, se caractérisant par une masse inférieure de 12 tonnes, un équipage à 3, et une tourelle automatisée, répondant aux besoins d’une utilisation en zone humide, comme dans le Pacifique.

De même, elle a abandonné le programme FARA d’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque, là aussi, pour libérer des crédits afin de financer les programmes de drones, et de transformation rapide, privilégiant le court terme au moyen terme.

L’US Navy, quant à elle, a tout simplement reporté ses trois principaux programmes à moyen terme, le sous-marin nucléaire d’attaque SSN(x), le destroyer DDG(x), et même le chasseur F/A-XX, là encore pour libérer des crédits, en grande partie destinés à financer la modernisation des chantiers navals américains, afin d’accélérer la production et la maintenance des navires actuelles, comme les DDG Arleigh Burke Flight III, les sous-marins nucléaires Virginia et Columbia, les porte-avions Ford, les navires d’assaut America et San Antonio, ainsi que les frégates Constellation.

Il s’agit, pour l’US Navy, de recoller à la production intensive des chantiers navals chinois, qui lancent, chaque année, une dizaine de frégates et destroyers, ainsi qu’un grand navire aéro-amphibie, et deux sous-marins. Là encore, le Pentagone estime que les moyens actuellement produits, disposent encore d’une plus-value opérationnelle suffisante, face aux navires chinois, pour se permettre de retarder d’une dizaine d’années, ces programmes, jusqu’ici considérés comme déterminant.

Programme DDG(x) US Navy vue d'artiste
Le programme DDG(x) risque d’être reporté, voire annulé, en raison de l’optimisation des budgets pour se preparer à faire face aux armées chinoises.

L’US Marines Corps, pour sa part, a été le premier à anticiper ce changement, en rompant avec trente années d’évolution vers une force d’infanterie classique, pour revenir, en quelques années, à ses origines, l’assaut amphibie. De fait, le Corps s’est défait de ses chars, mais aussi d’une grande partie de son artillerie autotractée, pour se doter à nouveau de blindés amphibies, et pour lancer des programmes de navires d’assaut complémentaires et plus légers, adaptés à une éventuelle extension du conflit sino-américain, dans le Pacifique.

Conclusion

On le voit, si la décision probable de l’US Air Force, de reporter le programme NGAD, pour accélérer l’entrée en service de ses drones de combat Loyal Wingmen, semble soudaine, elle s’inscrit, en fait, dans une dynamique qui touche toutes les armées américaines, bien au-delà de sa seule armée de l’air.

De toute évidence, en effet, les armées américaines anticipent un affrontement prochain avec les armées chinoises, certainement autour de Taïwan, et spécialisent même d’ores-et-déjà leurs forces, dans l’hypothèse d’un conflit qui viendrait à s’étendre sur l’ensemble du théâtre indo-Pacifique avec Pékin.

Reste qu’on peut s’attendre à ce que plus aucune décision majeure ne sera prise par le Pentagone et les armées US, avant les prochaines élections présidentielles, tant les postures des deux candidats, Joe Biden et Donald Trump, diffèrent sur ces sujets.

J-20 APL Air Force
Les armées chinoises ont presque intégralement rattrapé leur retard technologique sur l’occident, comme avec le chasseur de 5ème génération, le J-20.

Il est cependant intéressant de voir ressurgir, après plus de trois ans, la doctrine industrielle de Will Roper, cette fois appliquée aux drones de combat, et non aux avions pilotés, comme initialement conçue. En effet, celle-ci repose sur des constats opposés aux paradigmes appliqués, jusqu’ici, par les armées américaines, mais aussi européennes, en matière d’avions de combat.

Si celle-ci venait à être tendu aux appareils pilotés américains, tout au moins aux chasseurs tactiques, il se créerait, alors, une opposition non seulement commerciale, mais aussi doctrinale, entre les appareils européens et américains, qui risquerait bien de frapper d’obsolescence le Tempest et le NGF, avant même qu’ils ne fassent leur premier vol.