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Pour ses chasseurs Typhoon, l’Allemagne se dote de radars AESA fabriqués par Hensoldt, au détriment des programmes européens

Le 17 juin, le gouvernement allemand a annoncé avoir accepté de financer la fourniture de radars à antenne électronique active (AESA) destinés à moderniser la flotte actuelle de 110 avions de combat Eurofighter Typhoon en service dans la Luftwaffe. Si Airbus se chargera de l’intégration des nouveaux radars AESA à bord des avions de chasse, c’est l’électronicien allemand Hensoldt qui récupérera la plus grosse charge de travail, avec une part d’environ 1,5 milliards d’euros. Hensoldt sera en effet responsable du développement et de la production de ce nouveau radar, qui devrait améliorer drastiquement les performances au combat du Typhoon. A travers ce contrat, l’Allemagne est ainsi la première nation du consortium Eurofighter à se lancer dans la modernisation du radar CAPTOR du Typhoon.

En apparence, il s’agit donc d’une bonne nouvelle pour l’appareil européen. Toutefois, ce contrat confié à Hensoldt vient encore compliquer la lisibilité de l’offre technologique entourant l’Eurofighter Typhoon. Alors que le Rafale français ou encore le Super Hornet et le F-35 américains articulent leur système de combat autour d’un radar AESA performant et en continuelle évolution, l’Eurofighter Typhoon voit se multiplier les programmes d’intégration d’antennes AESA destinés aux différents membres du consortium Eurofighter et à leurs clients export. Au risque de complexifier la logistique de l’avion, d’augmenter les coûts de ses mises à jour et de restreindre les performances globales de ses antennes radar.

CAPTOR E CAESAR Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Maquette du CAPTOR-E. Placé sur un repositionneur, le CAPTOR-E doit cumuler les capacités de détection à longue portée d’un radar AESA et les capacités de ciblage en dehors de l’axe d’un radar mécanique. On retrouve cette capacité sur le radar RAVEN développé par Leonardo pour le Gripen NG.

Eurofighter Typhoon : une modernisation très attendue

En soi, la décision allemande de moderniser le radar de sa flotte de Typhoon n’est pas une surprise. La Luftwaffe avait en effet émis ce besoin depuis quelques années, et la décision de moderniser les 79 Typhoon de la Tranche 2 et les 31 avions de la Tranche 3A avait été prise dès la fin de l’année dernière. Pour le moment, l’Eurofighter Typhoon est encore équipé d’un radar à balayage mécanique, une technologie fondamentalement dépassée aujourd’hui. En effet, les radars à antenne électronique offrent aujourd’hui une meilleure portée, une plus grande résistance au brouillage, plus de discrétion et une capacité multifonction bien supérieure. Les principaux concurrents commerciaux de l’Eurofighter (Rafale, Super Hornet, F-35…) sont tous équipés de série avec un radar AESA, et les antennes électroniques se généralisent également à bord des avions chinois et russes proposés à l’exportation. Avec le petit Gripen C/D, qui dispose de son propre programme de modernisation, le Typhoon est donc le seul appareil de sa génération encore dépourvu de radar à antenne active.

En équipant sa flotte d’antennes actives, l’Allemagne devrait donc être le premier pays européen à disposer d’Eurofighter Typhoon aux performances opérationnelles largement accrues. Comparativement au radar CAPTOR actuel, le futur radar AESA devrait offrir une portée accrue et une résistance au brouillage améliorant substantiellement les performances en combat aérien de longue portée, notamment pour le guidage des missiles air-air de très longue portée METEOR. Mais le futur radar de Hensoldt devrait également offrir des capacités air-sol significativement améliorées, que ce soit pour la détection de cible, la reconnaissance ou la navigation. Enfin, la future antenne active pourrait servir ultérieurement à améliorer les capacités offensives de guerre électronique de la Luftwaffe. Hensoldt espère en effet que la Luftwaffe actera d’ici la fin de l’année son projet de commande de 38 nouveaux Eurofighter Typhoon de la Tranche 4, commande qui pourrait être portée à 90 appareils afin de remplacer les derniers Panavia Tornado. Si les premiers radars AESA sont attendus pour le milieu de la décennie 2020, ce sont près de 200 Eurofighter Typhoon allemands qui pourraient intégrer la nouvelle antenne AESA de Hensoldt, pour peu que la Luftwaffe passe effectivement commande de 90 appareils supplémentaires.

Manching FAL Eurofighter 6 Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Une commande de 38 à 90 Typhoon supplémentaires pour la Luftwaffe serait une véritable bouffée d’oxygène pour le programme qui peine à s’imposer lors des compétitions internationales.

Quel radar AESA pour le Typhoon ?

Cette annonce, aussi bienvenue soit-elle pour la Luftwaffe et Hensoldt, vient cependant grandement complexifier la communication de Airbus / Eurofighter autour du Typhoon qui, pour rappel, est toujours en compétition en Finlande et en Suisse. En effet, le futur radar AESA de Hensoldt est loin d’être le premier radar AESA proposé sur le Typhoon. En 2007, le consortium Euroradar avait en effet fait volé un prototype d’antenne AESA greffée sur un radar CAPTOR de Typhoon. Articulé autour de la société italo-britannique Selex-ES, aujourd’hui intégrée à Leonardo, Euroradar comprend également l’Espagnol INDRA et, bien entendu, la branche électronique de l’Allemand Airbus Defense & Space, devenue aujourd’hui Hensoldt. Le premier modèle représentatif d’un radar AESA de série vole ensuite en 2014, et est désigné parfois CAPTOR-E ou CAESAR, voire CAPTOR E-Scan. En interne, il porte également la désignation de Radar Mk0 ou de Radar 0. C’est ce modèle de radar AESA, basé sur le corps central du CAPTOR mécanique, qui est en cours d’intégration sur les Eurofighter vendus au Koweït et au Qatar, ainsi que sur les appareils proposés par l’Italie à l’Egypte, sous la désignation commerciale de Radar One Plus, histoire de ne rien arranger à la cacophonie des désignations.

Basé sur la partie arrière du CAPTOR auquel on a greffé une antenne AESA, ce CAPTOR-E Mk0 / Radar One Plus ne proposerait cependant pas de performances adéquates pour les partenaires européens du programme Eurofighter. Un CAPTOR Mk 1 a donc été développé sur la même base afin d’équiper les appareils européens. Très vite, des désaccords divisent cependant les quatre partenaires du consortium Euroradar. Dans un premier temps, les Allemands et les Espagnols acceptent de s’équiper en CAPTOR-E Mk1 dans le cadre d’un projet d’acquisition commun, tandis que les Britanniques font cavaliers seuls afin de développer un CAPTOR E-Scan plus performant, capable d’assurer les mêmes fonctionnalités de guerre électronique que le radar APG-81 embarqué à bord des F-35. Fin 2019, il existait donc trois projets de radar AESA différents, basé sur le démonstrateur CAESAR de Euroradar et dotés d’une antenne AESA fabriquée par l’Allemand Hensoldt :

  • CAPTOR-E Mk0 « Radar Plus One » fourni par Leonardo aux forces aériennes du Qatar et du Koweït
  • CAPTOR-E Mk1, version améliorée du Radar Plus One, pour l’Allemagne et l’Espagne
  • Une variante avancée du CAPTOR-E en cours de développement pour le Royaume-Uni.
Praetorian Evolution Typhoon DASS Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Les programmes de modernisation de l’Eurofighter se multiplient en Europe, mais sans réel modèle commun. Si le CAPTOR-E a été développé pour remplacer en commun l’ensemble des CAPTOR-M actuel, le Royaume-Uni et l’Allemagne semblent déjà avoir choisi de faire cavalier seul, tandis que l’Italien Leonardo met en avant une troisième solution (Radar Mk0) pour l’exportation au Moyen-Orient.

Cependant, l’annonce de la semaine dernière vient encore redistribuer les cartes, puisqu’il est désormais annoncé que ce ne sera pas le consortium Euroradar qui fournira les radars AESA allemands, mais bien le seul Hensoldt, avec l’aide d’Airbus et éventuellement de INDRA. Si les détails techniques ne sont pas connus, il semble que Hensoldt, qui fabrique déjà l’antenne AESA du CAPTOR-E, va devoir à nouveau intégrer cette dernière sur le CAPTOR, sans pour autant répliquer le travail réalisé sur le CAPTOR-E par la branche britannique de Leonardo. Pour l’Allemagne, cette démarche présente plusieurs intérêts :

Industrie nationale vs industrie européenne

Si l’on comprend aisément les enjeux industriels derrière ce contrat, on ne peut que regretter le manque d’uniformité autour de la modernisation des Eurofighter. Avec pas moins de quatre radars différents basés sur le même prototype, il sera difficile pour un client export de se retrouver dans l’offre industrielle. Pire encore, chaque radar devra financer ses mises à jour, ce qui conduira inévitablement à augmenter les coûts d’utilisation tout en réduisant le potentiel d’amélioration sur la durée de vie des équipements.

fcas dassault airbus germany france fighter jet Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Treize ans après le premier vol du démonstrateur de radar AESA par le consortium Euroradar, il semble que l’achat en commun d’un grand nombre de radar ne soit plus d’actualité, chaque pays cherchant à conserver son expertise en matière d’électronique embarquée. Une situation inquiétante à l’heure où l’ensemble des pays européens cherchent à se regrouper autour de programmes aéronautiques communs.

Plus grave encore, le manque de constance d’Euroradar et la mise en avant du seul Hensoldt renvoie incontestablement une mauvaise image de l’industrie européenne. A l’heure où se construit le SCAF, voire l’Allemagne privilégier ostensiblement son industriel local au détriment d’une solution commune d’une part, et du partenaire espagnol d’autre part, tend à renforcer l’image d’une industrie allemande fermée à tout compromis sur les questions de partage industriel.

La pilule pourrait être d’autant plus difficile à avaler que Berlin semble en passe d’abandonner purement et simplement un autre programme européen, le MAWS, pour le plus grand désarroi de Paris. Une situation de blocage qui se rajoute à celle rencontrée dans le cadre du programme EuroDrone, géré par l’Allemagne et désormais menacé d’annulation. Si, dans le même temps, le Bundestag continue de bloquer toute initiative jugée « défavorable » à l’industrie allemande dans le cadre du MGCS, il deviendra de plus en plus compliqué pour les pays européens d’espérer construire une industrie de la défense commune autour de projets impliquant une forte participation allemande, peu importe l’expertise mise en avant par ses industriels.

Euro-Drone : Le très mauvais calcul des européens proche du dénouement

Entamé en 2016, le programme Eurodrone mené conjointement par l’Allemagne (Airbus DS), la France (Dassault Aviation) et l’Italie (Leonardo), ne cesse de defrayer la chronique et les passions, avec de nombreux avis divergents sur l’intérêt des choix technologiques et de leur influence sur les couts de production et d’exploitation des appareils. Il n’est ainsi pas rare de lire, ou d’entendre de la part des autorités, notamment françaises, que le programme, qui devrait atteindre les 9 Md€ et non les 7,1 Md€ initialement planifiés, ne sera pas en mesure d’apporter de plus-values suffisantes pour justifier de l’écart de prix, ceci menaçant directement la poursuite du programme. Or, il s’avère que les arguments avancés pour expliquer cette volonté de retoquer le programme sont pour le moins contestables, pour ne pas dire faux.

La principale critique portée envers l’Eurodrone est sa configuration bimoteur, que beaucoup juge inadaptée et même un sévère handicap pour l’exportation. Il est à ce titre interessant de constater que, contrairement à ce qui est avancé ici, de nombreux pays ont fait le choix de la configuration bi-moteurs pour leurs drones MALE lourds. C’est le cas de la Russie, de la Turquie, mais également de la Chine, qui n’est autre que le leader mondial des drones de combat …. Il faut donc croire que cette configuration a quelques intérêts.

Akinci drone Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le drone Akinci turc emploi lui aussi une configuration bimoteur.

Certes, qui dit un second moteur dit des couts supplémentaires. Mais c’est oublier un des couts cachés principaux des drones de la famille Predator et autres Reaper ou SkyGardian … une attrition extraordinairement élevée. L’étude de l’attrition sur 10 ans des drones Predator et Reaper mis en oeuvre par les forces US révèle un taux d’attrition supérieur à 15%, avec comme principal cause, une panne moteur …. Est-ce ma formation de pilote de multi moteurs qui parle, mais il semble évident que le principal intérêt d’une configuration bi-moteur repose sur ce point précis. Et en effet, si grace à cette configuration, l’attrition sur 20 ans passait de plus de 30% à seulement 5 ou 6%, cela compenserait parfaitement l’écart de cout du programme affiché.

Le second point visiblement volontairement ignoré par les autorités françaises repose sur l’alternative à l’Eurodrone, à savoir le MQ-9B Skygardian de l’américain General Atomics, un drone 100% américain. Au temps pour la souveraineté, et l’on a pu voir ces derniers mois la façon dont Washington n’hésite pas à employer ce type de levier pour faire fléchir ses interlocuteurs. Surtout, alors que l’Eurodrone serait intégralement conçu et produit par l’industrie européenne, générant un retour budgétaire supérieur à 100% en France, et proche de ce seuil en Allemagne et Italie (hors exportation), un Skygardian même assemblé en Europe ne générerait pas plus de 50% de retour budgétaire. En outre, en admettant que la production s’étale sur 9 ans à 800 m€ par an, l’Eurodrone sécuriserait 8000 emplois directs et plus de 17.000 emplois au total en Europe. En cette période de crise economique et sociale, ce type de paramètre ne peut plus être ignoré !

reaper arme GBU Hellfire Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La famille des drones Reaper reste la référence pour les armées occidentale en matière de configuration pour les drones MALE

Enfin, concernant l’exportation, là encore, le raisonnement proposé est biaisé, car il suppose qu’il serait impossible de valoriser auprés des clients potentiels l’intérêt de la configuration bimoteurs face à une configuration monomoteur, que l’on sait très exposée à l’attrition. Pour de nombreuses missions, notamment pour la surveillance des grandes agglomérations, la surveillance maritime ou transfrontalière, cette configuration représente même un pré-requis. Qui plus est, rien n’empêche les européens d’abonder à l’exportation sur le prix proposé en ajoutant une partie des recettes sociales et budgétaires qu’elle sait potentiellement encaisser en cas de commande. Si les européens décidait d’accorder une « aide militaire » équivalente à 30% du montant du contrat à ses clients, une pratique commune pour les Etats-Unis, l’écart de prix serait intégralement compensé face à des drones monomoteurs, alors même qu’ils enregistreraient 70% des bénéfices sociaux et budgétaires de la commande. Certes, 70% est inférieur à 100%, mais 100% de 0, cela ne fait pas grand chose …

En d’autres termes, si les européens venaient à mettre fin au programme Eurodrone, ils commettraient une multitude de graves erreurs, avec des conséquences qui ne manqueront pas d’être critiquées dans l’avenir. Les nombreuses leçons apprises lors de la crise Covid19 concernant les intérêts de la production nationale ou européenne, l’autonomie stratégique et le rôle de l’industrie dans le paysage socio-économique européen, devraient servir de fil directeur à la reflexion, et non la simple comparaison de prix.

Barkhane : six mois après le Sommet de Pau, quels effets sur le théâtre sahélien ?

Le 13 Janvier 2020 se tenait le Sommet de Pau destiné à redonner de l’élan à un G5 Sahel démoralisé et déstabilisé sous le coup de l’agressivité des attaques des Groupes Armés Terroriste (GAT). Quelques mois plus tard on observe des effets encourageants sur le terrain, tant par la pression exercée sur les GAT que par la montée en puissance des armées sahélienne.

Au début de l’année 2020 l’opération Barkhane perdait de sa légitimité au prorata des pertes subies par les armées sahéliennes, et des critiques émanant de l’opinion française. Le Sommet de Pau n’a pas changé l’Effet Final Recherché (EFR) de l’opération Barkhane : tenir le terrain face aux groupes terroristes et les empêcher de constituer des sanctuaires territoriaux. Et cela le temps que la réaffirmation administrative, sociale et économique des états du G5 sur leurs territoires soit effective et asphyxie définitivement les GAT tels que l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) et le RVIM (Rassemblement pour la Victoire de l’Islam et des Musulmans). C’est en revanche à l’échelon opératif que Pau a bien permis de clarifier et recentrer les objectifs d’une opération qui s’enlisait (moyens dispersés, objectifs intermédiaires mal articulés à l’EFR final, etc.) et dont la résilience était menacée par une amélioration qualitative critique des attaques des GAT.

Barkhane diplomatie Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
L’intervention française au Sahel s’effectue dans un contexte diplomatique et politique particulièrement complexe, étant donné la diversité des interlocuteurs (G5 Sahel, Union Européenne, ONU, etc.). Le Sommet de Pau visait à apporter des solutions concrète à l’évolution rapide de la situation tactique sur le terrain.

Inversion du rapport de force et reprise de l’initiative

On observe aujourd’hui des résultats encourageants. Conformément aux objectifs assignés lors du sommet, l’action militaire de la France dans le Sahel est parvenue à recentrer ses objectifs, augmenter ses effectifs et accroitre sa pression sur l’adversaire en retournant ses avantages contre lui. Depuis 2019, les GAT comptaient sur leur fugacité et leur clandestinité (au sein de certains groupes ethniques) pour mener des attaques de plus en plus complexes sur des objectifs fragiles (populations, forces de sécurité sahéliennes…) voire directement des positions de Barkhane. L’effet recherché étant de décrédibiliser des structures étatiques déjà fragiles et paralyser leurs capacités d’action en infligeant des dégâts élevés aux troupes des états du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). Avec pour effet final la constitution d’emprises territoriales proto-étatiques préalables à un retournement politico-idéologique dans l’ensemble de la région.

Toutefois, par leur nature, les GAT ne sont en capacités que de déployer des moyens limités de renseignements. Par voie de conséquence leurs actions dépendent largement de ciblages d’opportunité : concrètement leurs avantages sont fragiles et ils sont susceptibles de perdre rapidement l’initiative. Or, en augmentant ses effectifs et surtout en concentrant ses moyens, le dispositif Barkhane est parvenu à asphyxier et à désorganiser les GAT. Notamment via un tempo opérationnel soutenu constitué de nombreuses opérations aéroterrestres d’envergure et un flux soutenu de missions ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) armées. La reprise de l’initiative, nonobstant la désorganisation des flux de ravitaillements et de financements (trafics…) des GAT, est parvenue à détruire de nombreux dépôts, et à les cantonner à une posture de plus en plus défensive et, in fine, leur reprendre des zones précédemment abandonnées.

Barkhane fevrier 2020 Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
L’opération Barkhane se déroule sur un terrain immense, en coordination avec d’autres opérations menées sous l’égide de l’ONU, de l’UE et des différents pays du G5 Sahel.

En d’autres termes, Barkhane est parvenus à réimposer un rapport de force favorable, rendant à terme la victoire possible. Une rationalisation opérationnelle et stratégique qui à en outre remotivé des partenaires internationaux hésitants. Ainsi, Anglais, Danois, Estoniens et Américains sont toujours présent sur zone mais ils seront bientôt rejoints par les membres de la Task Force Takuba et de la Coalition pour le Sahel (dont le Canada).

Le retour des armées du G5 Sahel dans l’arène

Plus spécifiquement, l’un des traits marquant de ce retour en force opérationnel est marqué par la montée en puissance significative des armées du G5 Sahel et notamment des troupes Maliennes et Nigériennes. Cette « remontada » a été rendue possible via la mise en place effective de l’Etat-Major de la Force Conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) et plus particulièrement du Poste de Commandement Conjoint (PCC) regroupant des personnels « sahéliens » et des officiers de liaison français. Avec ces nouvelles capacités C3 (Commandement, Contrôle, Communications), la FC-G5S est parvenue progressivement à améliorer sa coordination avec les forces françaises et améliorer la fusion et la dissémination du renseignement. Une augmentation capacitaire notable facilitant dès lors la synchronisation des unités sahéliennes et françaises sur le terrain. Ainsi, au sein des Sous-Groupements Tactiques Désert (SGTD) de Barkhane ou en situation d’autonomie croissante (avec le soutien d’officiers de liaisons), les forces sahélienne (en unité nationales ou au sein de la FC-G5S) ont pu participer avec succès à plusieurs opérations (opérations Monclar, Sama…). On note aussi d’autres coopérations ponctuelles et autonomes avec la MINUSMA, la mission de l’ONU sur place.

barkhane mission commandement conjoint Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La coopération avec les armées locales est au coeur de l’opération française Barkhane, mais également des missions de formation de l’ONU et de la future Task Force Takuba.

Ces améliorations sont issues du Partenariat Militaire Opérationnel (PMO) dont l’affermissement est la conséquence directe des dispositions du Sommet de Pau. Au-delà de ses volets « Etat-Major » ou combat, le PMO a d’autres composantes tel que l’entrainement, ou le Maintien en Condition Opérationnelle (MCO). Par ailleurs l’entrainement fournis via les forces françaises ou la mission européenne EUTM a permis l’apprentissage de capacités tactiques plus complexes et jusque-là hors de portée des armées Malienne, Nigérienne ou Burkinabé. Le plus marquant est l’intégration de capacités et de compétence en combat aéroterrestres.

A ce titre on a pu voir les forces nigériennes lors de l’opération Monclar demander un soutien aérien, puis se coordonner avec les Mirage 2000, afin de repousser une attaque de djihadistes, le tout en autonomie. On peut également citer l’action bénéfique, aux côtés des forces françaises, des Guetteurs Aériens Tactiques Avancés (GATA) maliens participant à la conduite des frappes aériennes ou des Unité Légères de Reconnaissance et d’Intervention (ULRI). N’oublions pas les entrainements aux actes réflexes et élémentaires tel que le sauvetage au combat (SC1) ou encore la constitution d’Unités Spéciales Antiterroristes (USAT).

Barkhane Chinook multinational Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Malgré la crise sanitaire actuelle, la situation au Sahel continue de mobiliser les forces occidentales. Le Canada devrait ainsi prochainement déployer des hommes et du matériel sur place.

Si elle est encore relative et insuffisante, la montée générale qualitative des troupes Maliennes ou Nigériennes est réelle. Or elle était encore difficilement envisageable il y a un an. Mieux encore, les récents succès engrangés par les troupes du G5, soutenues et/ou conduites par Barkhane, ont vu une remontée importante de leur moral, lequel était au plus bas à la veille du Sommet de Pau. C’est la raison pour laquelle il importe de ne pas se focaliser sur les pertes récentes subies qui donnent une fausse impression de désarroi. Une guerre ne se gagne pas en comparant le nombre de morts mais en privant l’adversaire de sa liberté d’action, de ses ressources et, in fine, de sa volonté de combattre. Or on observe de réelles avancées dans les deux premiers items.

Certes l’autonomie réelle des armées du G5-Sahel est encore lointaine mais on peut raisonnablement espérer que le cercle vertueux s’est mis en place et qu’il verra à terme la multiplication de cadres formés et de troupes expérimentés permettant l’intégration de matériels et de tactiques plus perfectionnées. Néanmoins les succès remportés, le moral retrouvé et l’inversion d’un rapport de force, encore fluctuant il y a six mois, témoigne de la conformité de la ligne adoptée à Pau et devrait encourager à la maintenir dans la durée. Comme l’a bien rappelé la Ministre des Armées française Florence Parly : « Nous sommes sur la bonne voie, mais il est encore trop tôt pour crier victoire ».

Sikorsky propose son S-70i Armed Black Hawk aux Philippines et tente de relancer le marché des hélicoptères de manœuvre armés

Décidément, le minuscule marché Philippin attise toutes les convoitises ! Dans un précédent article, nous avons en effet vu comment les américains Bell et Boeing se positionnaient avec des offres radicalement différentes afin de remplacer au pied levé l’offre de l’industriel turc TAI. Le vainqueur de cette compétition commerciale pourra ainsi placer une demi-douzaine d’hélicoptères de combat auprès de l’armée de l’air des Philippines. Si les ambitions philippines paraissent modestes, les contrats envisagés se comptent tout de même en centaines de millions de dollars.

Toutefois, pour les industriels américains, le marché philippin est surtout vu comme une vitrine pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique, où les besoins en hélicoptères de combat sont estimés à plusieurs centaines d’exemplaires. Dans ce contexte, un troisième concurrent américain vient d’annoncer sa participation à la compétition philippine. Alors que Boeing et Bell proposent des appareils de combat dédié, Sikorsky espère se positionner auprès de Manille avec son Armed Black Hawk, un hélicoptère polyvalent qui ne manque pas d’arguments pour séduire.

Sikorsky S 70i Blackhawk SP YVA Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Pour les Philippines, Sikorsky propose le S-70i, variante internationale produite en Pologne du célèbre Black Hawk. Sous ses emports ESSS, l’Armed Black Hawk peut emporter jusqu’à 16 missiles Hellfire, des mitrailleuses de 12,7mm, des canons de 20mm, des réservoirs de carburant ou des pods lance-roquettes de 70mm. Deux miniguns de 7,62mm sont situées au niveau des fenêtres avant.

Conçu dans les années 1970 pour remplacer le vénérable UH-1 Huey, le Sikorsky UH-60 Black Hawk s’est rapidement imposé comme l’hélicoptère de manœuvre de référence de l’US Army et de nombreuses nations alliées des USA. Désigné S-70 par Sikorsky, le Black Hawk est une plateforme polyvalente robuste, économique et bien motorisée, rapidement dérivée en variante d’attaque, aux USA et à l’étranger. Dans les années 1990, le AH-60L Arpía a été développé pour les besoins colombiens, tandis que les forces spéciales américaines se dotaient du MH-60L DAP, très similaire. Ces versions d’attaque imposaient de lourdes modifications au Black Hawk de base. Outre une voilure amovible dotée de quatre pylônes d’armement, ces hélicoptères étaient équipés d’un radar, d’un système de navigation infrarouge encombrant et d’importantes modifications de la soute interne. Au cours des années 2000, Sikorsky a également construit un démonstrateur de Battlehawk, une variante encore mieux optimisée pour l’attaque, grâce à l’adjonction d’une tourelle canon de 20 mm fournie par le français Nexter, et installée sous le ventre de l’hélicoptère.

Ces variantes d’attaque lourdes n’ont rencontré qu’un succès très relatif. A partir de la fin des années 2000, Sikorsky a cependant commencé à travailler sur le concept d’un Armed Black Hawk bien plus modulaire et économique, doté d’un Comprehensive Weapon System permettant d’intégrer facilement des armements au système de combat des hélicoptères de manoeuvre, sans lourde modification technique. Les progrès en terme d’avionique et de capteurs permettent alors d’armer un Black Hawk sans l’alourdir, lui permettant de conserver toutes ses capacités de transport. Désormais, l’Armed Black Hawk se présente sous la forme d’un kit pouvant être désinstallé en moins de trois heures.

S 70i Armed Black Hawk Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le S-70i Armed Black Hawk est proposé avec des voilures amovibles ESSS, offrant deux points d’emports, ou bien le nouvel emport simple développé par PZL Mielec, plus léger et moins coûteux. On notera la présence du Minigun de 7,62mm à la fenêtre latéral, pouvant être opéré manuellement ou fixé dans l’axe de l’hélicoptère. La boule optronique située sous le nez, particulièrement légère, offre des capacités de navigation et de détection aussi bien pour les S-70 de transport que pour la version Armed Black Hawk.

Ce kit comprend ainsi le jeu de voilure amovible standard (ESSS Stub Wings), les supports latéraux pour les mitrailleuses au niveau des fenêtres avant et des modules amovibles en cabine, pour l’emport des munitions des mitrailleuses ou de réservoirs additionnels. Pour la désignation d’objectif, l’Armed Black Hawk est équipé d’une boule optronique jour/nuit, reliée aux viseurs de casque des pilotes et servant aussi bien à la navigation qu’à la désignation laser. Cet équipement léger à la particularité d’être aussi utile pour les missions de transport que pour les opérations de combat, limitant ainsi les modifications apportées aux hélicoptères.

Ainsi, les six S-70i Armed Black Hawk que Sikorsky propose aux Philippines pourront être rapidement reconfigurer en hélicoptères d’attaque ou en hélicoptères de transport selon les missions. L’offre de Sikorsky apparaît alors d’autant plus pertinente que les Philippines ont récemment choisi de se doter de seize S-70i en configuration de transport. Construits par PZL Mielec en Pologne, ces appareils devront être livrés d’ici la fin de l’année prochaine. Le système Armed Black Hawk pouvant être intégré aussi bien à des appareils neufs qu’à des hélicoptères de transport existants, on comprend alors tout l’intérêt logistique et économique de disposer d’une flotte unique 22 Black Hawk avec six kits d’armements disponibles.

Contrairement à Bell et Boeing, Sikorsky ne semble pas présenter son offre dans le cadre d’une vente gouvernementale (FMS, ou Foreign Military Sale). Ce qui ne l’empêcherait pas de proposer une enveloppe budgétaire particulièrement faible pour les six Armed Black Hawk. En effet, alors que les AH-64 Apache de Boeing sont proposés à près de 1,5 milliards $ et que les six Bell AH-1Z Viper sont estimés à 450 millions $, la proposition de Sikorsky s’établirait autour de 250 millions $.

H225M Caracal HForce armement Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Comme le Comprehensive Weapon System intégré sur le Black Hawk, le concept HForce d’Airbus Helicopters permet d’intégrer facilement des armements à l’avionique existante des hélicoptères de transport. HForce a cependant l’avantage d’être compatible avec l’ensemble de la gamme Airbus Helicopters, de l’hélicoptère léger au H225M Caracal (ici en photo).

L’Armed Black Hawk serait ainsi moins cher à l’achat, plus économique à entretenir et plus flexible d’emploi. En contrepartie, toutefois, il ne disposera pas de la même puissance de feu qu’un hélicoptère de combat dédié. S’il peut embarquer jusqu’à 16 missiles antichar Hellfire, comme les Apache et Viper, il ne dispose pas de points d’emport dédiés pour des missiles air-air, ni de tourelle canon. Ces quatre pylônes d’armement peuvent néanmoins embarquer mitrailleuses lourdes et canons, mais se limiteront au tir dans l’axe. En contrepartie, l’Armed Black Hawk peut être équipé de deux mitrailleuses légères de type Minigun en plus de son armement lourd, ce qui lui permet de traiter des cibles légères avec des dommages collatéraux réduits.

Au-delà du marché Philippin, Sikorsky entend également séduire de nombreux pays ayant de sérieux besoins en matière d’appui-feu sans disposer pour autant des ressources nécessaires à l’exploitation d’une flotte d’hélicoptères d’attaque distincte. Aux Philippines, les hélicoptères d’attaque sont avant tout destinés à lutter contre des groupes terroristes et des insurgés, au sein d’opérations pouvant faire bon usage d’une utilisation mixte transport/combat. Ce type de configurations pourraient également satisfaire de nombreuses forces spéciales, partout dans le monde. Pour l’heure, l’Armed Black Hawk a déjà séduit les Emirats Arabes Unis, tandis que la force aérienne afghane s’est doté de pylônes d’armement allégés pour ses Black Hawk. Sikorsky vise désormais le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est, l’Amérique du Sud et la zone Asie-Pacifique.

Rafaut Caracal pylone Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Pour les H225 Caracal polonais (vente annulée en 2016), le français Rafaut avait développé un nouveau pylône permettant au H225M d’embarquer la même quantité d’armement qu’un Black Hawk équipé de ESSS

Le concept de gunship basé sur un hélicoptère de transport pourrait en effet se généraliser à d’autres productions occidentales dans les années à venir, mais également à de nouveaux entrants sur le marché, comme le Sud-Coréen KAI et sa famille d’hélicoptères Surion. Si les hélicoptères dédiés au combat auront toujours un marché propre, il existe une véritable demande pour des appareils armés conservant des capacités de transport de troupe ou d’évacuation sanitaire. Ainsi, le concept HForce d’Airbus Helicopters vise à pouvoir offrir des capacités de combat jour/nuit sur n’importe quelle plateforme, à partir d’un système optronique léger et modulaire.

L’avionneur européen est ainsi en mesure de proposer des lance-roquettes, des canons et des missiles guidés Hellfire sur plusieurs hélicoptères de sa gamme, du petit H145M au lourd H225M Caracal. Dans les années à venir, si le besoin s’en faisait sentir, de tels armements pourraient également être intégrés sur des NH90 ou des H160M, notamment au sein des forces armées françaises. Il s’agirait alors d’une solution relativement économique permettant de pallier l’arrêt de production de l’hélicoptère de combat Tigre, tout en apportant une solution concrète à certaines problématiques soulevées notamment par les forces spéciales.

L’attitude de la marine turque en Méditerranée est-elle une menace pour l’Europe et l’OTAN ?

Depuis plus d’un an, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan apporte un soutien massif au GNA, le gouvernement d’union nationale libyen qui s’oppose militairement à l’Armée de Libération Nationale du maréchal Haftar (voir notre dossier en deux parties sur l’implication turque en Libye). En quelques mois, les renforts humains et matériels convoyés par la Turquie et le Qatar ont réussi à renverser la situation tactique dans la région de Tripoli, jusqu’alors assiégée par l’ANL et ses alliés. Ces dernières semaines, néanmoins, le soutien turc au GNA a poussé Ankara dans jouer à un jeu particulièrement dangereux vis-à-vis de l’Union Européenne et de l’OTAN, dont les marines cherchent à faire respecter plusieurs décisions de l’ONU visant à empêcher l’importation illégale d’armements en Libye.

Or, depuis la fin du mois de mai, des navires français et grecs sous pavillon de l’UE et de l’OTAN ont été empêchés de réaliser leurs missions de contrôle maritime par des frégates turques affichant également des indicatifs de l’OTAN ! Le 10 juin dernier, la frégate française Courbet aurait même été illuminée par des radars de guidage turcs, ce que Paris considère habituellement comme un acte de guerre. Une situation explosive, inédite entre membres de la même alliance, qui isole un peu plus Ankara et menace l’intégrité de l’OTAN, sur fond d’attentisme dangereux de la part de l’Europe.

courbet Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La frégate Courbet est une habituée des missions d’escorte et de contrôle maritime. Cette frégate furtive aurait été illuminée à trois reprises, à courte portée, par les radars de conduite de tir turcs.

Les étranges voyages du cargo Çirkin

Les tensions entre la marine turque et plusieurs marines européennes en Mer Méditerranée s’articulent toutes autour des étranges allers-retours du cargo tanzanien Çirkin. Construit en 1980, le Çirkin est un navire roulier de 103m de long capable de transporter une charge d’environ 6000 tonnes de matériel divers. Enregistré en Tanzanie, le bâtiment effectue depuis plusieurs mois de nombreux trajets entre des ports turcs et l’Afrique du Nord. Alors qu’il est toujours censé se diriger vers la Tunisie, le Çirkin se retrouve systématiquement en Libye, et plus précisément à Misrata, dans le fief du GNA. Mieux encore, le bâtiment coupe généralement son système d’identification AIS, et est escorté depuis plusieurs semaines par des navires de combat et des avions de chasse turcs, y compris en violation de l’espace aérien grec.

Pour cause : le Çirkin est utilisé par la Turquie pour transporter des hommes et du matériel militaire au profit du GNA, en violation flagrante de la résolution 2526 du Conseil de Sécurité des Nations Unies portant sur l’embargo des armes imposé sur la Libye. Depuis la fin du mois de mai, le Çirkin aurait ainsi transporté des chars de combat M60A3 turcs, des batteries de missiles anti-aériens Hawk, mais aussi des miliciens de la Division Sultan Murad, un groupe rebelle syrien proche d’Ankara. Ces livraisons, pourtant dûment constatées par les systèmes de reconnaissance alliés, n’ont pour le moment pas pu être empêchées ni même contrôlées, en raison d’une escorte militaire explicite de la part de la Turquie, qui n’hésite pas à multiplier les incidents avec ses alliés de l’OTAN pour s’assurer que le Çirkin mène à bien ses missions.

Çirkin vessel at NUTEP IvanStudenov Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le cargo Çirkin a réalisé plusieurs allers-retours entre la Turquie et la Libye. La capacité à escorter des navires de transport permet à la Turquie de renforcer sa présence en Libye avec des équipements lourds, ce que ne permet pas de faire le transport aérien employé en Libye par les Emirats Arabes Unis, en soutien à l’ANL. Photo de Ivan Studenov.

Ainsi, le 27 mai, alors que le Çirkin naviguait AIS éteint et avec une escorte de frégates turques, la frégate de défense aérienne française Forbin est dépêchée pour contrôler le navire cargo. Le navire de combat français vient en effet de terminer un déploiement dans le Golfe Persique dans le cadre de la mission européenne EMASOH, et entend alors contrôler le Çirkin dans sous les ordres de l’amiral italien commandant la mission européenne EURONAVFOR MED Irini, chargée de faire respecter la résolution 2526. Alors que l’hélicoptère Panther de la frégate Forbin est en train de réaliser une reconnaissance visuelle du Çirkin, poussant se dernier à reprendre son cap officiel vers la Tunisie, deux frégates turques s’interposent entre le Forbin et le Çirkin, indiquant que ce dernier ne se soumettrait pas au contrôle de la mission Irini. Une fois le Forbin et son hélicoptère éloigné, le cargo reprendra sa route vers Misrata, où il déchargera des armements lourds turcs.

Actions agressives contre des frégates grecques et françaises

Une situation similaire se reproduira le 10 juin, avec des conséquences plus sévères. Le même cargo Çirkin, lors d’un nouvel aller-retour, est cette fois-ci intercepté par la frégate grecque HS Spetsai, spécifiquement dédiée à l’Opération Irini. Là encore, l’ordre est donné au Spetsai de déployer son hélicoptère, un S-70B Seahawk, afin de procéder à une inspection du bâtiment. Néanmoins, deux frégates turques escortent à nouveau le Çirkin, la TCG Gökova (type Oliver Hazard Perry) et la TCG Oruçreis (type MEKO 200). Comme le 27 mai, les navires de guerre turcs refusent l’inspection conduite par un navire agissant dans le cadre de la mission européenne Irini, qui annule alors le déploiement de l’hélicoptère.

O.H Perry Adelaide Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Si les frégates de type OH Perry, comme la TCG Gökova, sont bien plus anciennes que la FLF Courbet ou la FDA Forbin, elles constituent tout de même un opposant redoutable en combat surface-surface à courte portée.

Les choses auraient pu en rester là. Cependant, la France disposait de plusieurs moyens militaires dans la région, notamment des avions ravitailleurs et des chasseurs Rafale, mais surtout la frégate furtive Courbet, de type Lafayette, qui participait justement à la mission de l’OTAN Sea Guardian en compagnie d’un bâtiment italien et d’un navire… turc ! Dépêchée à proximité du Çirkin pour une nouvelle tentative de contrôle, en arborant cette fois-ci un indicatif de l’OTAN, la frégate Courbet a été prise à partie par les deux frégates turques dans ce qui s’apparente à une version électronique d’un échange de tir.

En effet, à au moins trois reprises, les frégates turques ont procédé à une illumination radar du Courbet, d’une durée de plusieurs dizaines de secondes. Dans la Marine Nationale, une illumination radar est considérée comme un acte de guerre, plus encore qu’un tir de semonce. Il s’agit en effet de la dernière action précédent un tir de missile antinavire, et les capitaines français sont autorisés à répondre par le feu à ce genre de pratique. Cette attitude particulièrement agressive de la part de la Turquie est donc choquante sur de nombreux points. Non seulement Ankara protège et participe au trafic d’arme illégal à destination de la Libye, mais agit activement pour contrecarrer les opérations de l’Union Européenne et de l’OTAN destinées à faire appliquer les résolutions de l’ONU. Pire encore, les frégates turques arboraient à ce moment-là des codes et indicatifs de l’OTAN, ce qui ne les a pas empêché de commettre un acte de guerre contre un autre navire de l’OTAN agissant sous commandement de l’OTAN à une mission de l’OTAN à laquelle participait justement une troisième frégate turque !

Vers un renforcement des liens entre la France et la Grèce ?

Nul doute que la réunion des ministres de la défense de l’OTAN, qui se déroulait hier, a été l’occasion de sévères remontrances de la part de Paris. Pour autant, l’Union Européenne et l’OTAN semblent encore bien passives vis-à-vis d’Ankara sur ce dossier. Il faut dire que la situation diplomatique est particulièrement complexe en Libye, où de nombreux pays européens reconnaissent officiellement le GNA, approuvé par l’ONU, tout en apportant un soutien plus ou moins direct au Maréchal Haftar. A cela s’ajoute certaines guerres d’égo entre pays européens qui souhaitent tous jouer un rôle diplomatique majeur dans la résolution du conflit, sans pour autant accorder leurs violons autour d’une solution commune.

Fregate Spetsai Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La frégate grecque Spetsai avait participé à l’escorte du porte-avions Charles de Gaulle lors de son dernier déploiement, avant de se concentrer sur la mission EUNAVFOR MED Irini.

Car derrière les questions diplomatiques se jouent de vrais enjeux sécuritaires et économiques, notamment autour des questions d’exploitation pétrolière et gazière qui guident en grande partie l’attitude de Rome, de Paris, d’Athènes et d’Ankara. L’engagement turc à plusieurs milliers de kilomètres de ses frontières tient en effet à l’accord qui avait été trouvé avec le GNA libyen, qui s’engageait à soutenir le projet turc d’extension de son plateau territorial et à fournir à Ankara des concessions extraterritoriales. Or, cette extension pourrait permettre à Ankara de mettre la main sur une partie des ressources en hydrocarbures de Chypre, membre de l’UE, tout en mettant fin au projet de pipeline EastMed entre Israël, Chypre et la Grèce.

Alors que l’Italie semble encore hésiter sur l’attitude à adopter, la France se présente aujourd’hui comme le seul soutien indéfectible de ses partenaires européens grecs et chypriotes. Une position que Paris appuie de plus en plus fermement, avec une escale du porte-avions Charles de Gaulle à Chypre et la signature d’accords de défense conjoints entre la France et la Grèce. Les liens franco-grecs pourraient d’ailleurs se renforcer dans les années à venir par le biais de certains contrats d’armements majeurs.

fti3 Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La Grèce est très intéressée par les frégates françaises de type FDI, malgré le contexte économique assez défavorable à une telle vente. Pourtant, un partenariat stratégique articulé autour d’une production locale de plusieurs frégates, avec un droit de regard dans le programme SCAF et une possible vente de certains véhicules SCORPION pourrait être très avantageux pour l’industrie de défense grecque.

Paris et Athènes travaillent déjà depuis plus de deux ans sur la possible vente de deux à quatre frégates FDI développées pour la Marine Nationale, mais qui pourraient être rapidement adaptées aux besoins grecs. Au-delà des ventes d’armes de gouvernement à gouvernement, la France et la Grèce auraient sans doute tout intérêt à établir un véritable partenariat stratégique sur le long terme afin de contrer les ambitions hégémoniques turques. Cela pourrait passer par la mise en commun de certains efforts de R&D, par le développements d’équipements de défense communs et une généralisation des exercices binationaux. Entre les FDI, le programme SCAF (mené avec l’Allemagne et l’Espagne) et le programme SCORPION (déjà ouvert à une collaboration avec la Belgique), les opportunités de collaborations technologiques et opérationnelles ne manqueraient pas, d’autant plus qu’une telle implication d’Athènes dans des programmes multinationaux européens pourrait pleinement profiter à la base industrielle grecque.

Un tel projet demanderait cependant une véritable démarche volontariste, tant diplomatique que politique. L’attitude d’Ankara, qui semble agacer tout autant à Paris qu’à Athènes, pourrait sans doute continuer à rapprocher un peu plus les deux capitales européennes. D’autant plus que l’OTAN semble pour l’instant paralysée par l’attitude irréfléchie et instable des Etats-Unis, qui subissent plus que jamais l’inconstance de leur Président, et que le Royaume-Uni semble encore et toujours aux abonnés absents, empêtré dans le Covid-19 et le Brexit et délaissant (temporairement ?) la question de Chypre, qui a pourtant toujours été stratégique pour Londres.

Face à tant d’incertitude, Ankara aurait effectivement bien tort de ne pas tenter de s’imposer dans ce jeu bien dangereux qui mine progressivement les fondations mêmes de l’OTAN. Paris et Athènes vont-elles arriver à consolider autour d’elles une certaine cohérence diplomatique européenne ? Seul l’avenir nous le dira.

Retrait des P-3C Orion allemands: une menace pour le programme franco-allemand MAWS

Comme nous l’apprend Naval News, toujours extrêmement bien informé sur les questions navales, le Ministère de la Défense allemand vient d’annoncer qu’il mettait fin au programme de modernisation des huit avions de patrouille maritime P-3C Orion en service dans la marine allemande. Considéré comme étant trop coûteux et trop risqué, ce programme de modernisation devrait rapidement laisser place à l’acquisition de nouveaux avions de patrouille maritime.

La décision de retirer les Orion en 2025 au plus tard, plutôt qu’à partir de 2035, pourrait cependant avoir de très graves conséquences sur le programme MAWS (Maritime Airborne Warfare System) mené conjointement par la France et l’Allemagne. En effet, Berlin et Paris avaient décidé il y a quelques années de remplacer conjointement leurs avions de patrouille maritime entre 2035 et 2040. C’est en effet à cette date que les marines françaises et allemandes devaient retirer du service, respectivement, leurs Atlantique 2 et P-3C Orion modernisés.

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Achetés d’occasion au début des années 2000, les huit Orion allemands ont déjà une longue carrière opérationnelle derrière eux. Leur modernisation a été jugée trop risquée et trop coûteuse pour être réellement rentable.

Or, alors que le troisième ATL2 modernisé a été récemment livré à la DGA, le programme de modernisation des Orion allemands devrait s’arrêter net, même si les travaux de remplacement de la voilure devraient se poursuivre, au moins sur les deux premiers appareils en cours de modification. Les calendrier français et allemands ne concordant plus, le risque est bien réel de voir le projet MAWS purement et simplement enterré. Tout dépendra, sans aucun doute, des solutions alternatives qui seront mises en place rapidement pour compenser le retrait des Orion de la Deutsche Marine.

En attendant de préparer l’avenir, toutefois, la Bundeswehr ne semblait pas avoir d’autres choix que de se séparer de ses Orion, aussi précieux soient-ils. Après tout, ces avions de patrouille de longue endurance assuraient non seulement la sécurisation des abords maritimes allemands, mais permettaient également à Berlin de participer à de nombreuses opérations multinationales, comme les missions de lutte anti-piraterie dans la Corne de l’Afrique par exemple.

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D’après les informations de Naval News, le Orion 60+01 que l’on voit sur cette photo aurait été gravement endommagé fin mars, rendant sa réparation et sa modernisation presque impossibles

Malheureusement, les huit P-3C Orion ne semblaient finalement pas en mesure d’être modernisés à un coût acceptable. Les Orion allemands sont en effet des cellules assez anciennes, achetées d’occasion aux Pays-Bas et livrés au début des années 2000. De plus, l’un des appareils aurait été gravement endommagé à la fin du mois de Mars, rendant sa modernisation d’autant plus coûteuse. De quoi justifier largement leur retrait anticipé.

Toutefois, Berlin ne semble pas prêt à faire les mêmes erreurs que Londres. Faisant face à des coûts et des risques jugés excessifs dans le programme de modernisation des avions Nimrod, la Royal Air Force avait alors retiré du service la totalité de sa flotte en 2010, sans prévoir de remplacement. Dix ans plus tard, la patrouille maritime britannique commence péniblement à renaître de ses cendres. Pour éviter une perte capacitaire totale pendant plus d’une décennie, la Bundeswehr a déjà annoncé qu’un remplaçant serait choisi pour prendre le relai des Orion dès 2025, au lieu de la date de 2035 prévue dans le cadre du MAWS.

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Le P-3, comme l’ATL2 français et le P-8 Poseidon américain, dispose d’une importante capacité d’emport via sa soute intérieure. Des avions plus légers dérivés d’appareils de transport civils et militaires ne présentent pas de telles caractéristiques.

Pour l’heure, cependant, le retrait de l’Allemagne du programme MAWS n’est pas annoncé. De fait, l’avenir du programme franco-allemand dépendra en très grande partie de la solution technique qui sera adoptée pour le remplacement des Orion. Dès à présent, trois solutions sont évoquées, avec des conséquences potentielles très différentes pour le programme MAWS :

  • Le C-295 MPA de Airbus
  • Le RAS 72 de Rheinland Air Service
  • Le P-8A Poseidon de Boeing

La solution Airbus C-295 MPA serait, probablement, celle qui laissera le plus de chance au programme MAWS. En effet, les études franco-allemandes n’ont pour l’instant défini aucune solution technique précise, et le C-295 semblait déjà évoqué comme une piste potentielle pour le remplacement des ATL2 et Orion. Certes, le C-295 est dérivé d’un avion de transport léger, et n’offre pas la même capacité d’emport qu’un Atlantique 2, un Orion ou un éventuel avion de patrouille basé sur un Airbus A320.

Mais il s’agirait tout de même d’une option économique et disponible sur étagère, pouvant éventuellement être complétée par l’acquisition de drones de longue endurance, toujours dans le cadre du MAWS. Mieux encore, le C-295 MPA pourrait constituer une bonne solution intérimaire, sans pour autant empêcher le développement d’un MAWS plus lourd, basé sur un avion de ligne A320 Neo par exemple. L’acquisition de six à huit C-295 MPA permettrait à la Deutsche Marine de conserver ses compétences après le retrait des Orion, même si elle perdrait certaines capacités de patrouille à très longue portée. Une fois un éventuel A320 MPA entré en service après 2035, les C-295 MPA pourraient alors être reconvertis pour d’autres usages : surveillance maritime, guerre électronique, contrôle de drones, transport tactique, soutien aux forces spéciales, bombardier d’eau, avion-radar, etc.

C 295 MPA Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le C-295 MPA avec, au second plan, une maquette du A320 Neo version MPA. Le C-295 pourrait parfaitement être utilisé comme plateforme MPA intérimaire avant d’être converti, vers 2035, en avion d’écoute électronique ou de surveillance aérienne, capable d’opérer en coopération avec le MAWS

Le RAS 72 Sea Eagle, proposé par la société allemande Rheinland Air Service, a l’avantage d’être non seulement une solution nationale, mais également d’être déjà commercialisé à l’exportation, en l’occurrence au Pakistan. Le Sea Eagle est basé sur un avion de transport civil, l’ATR-72, qui a également servi de base pour les avions de patrouille et de surveillance maritime turcs et italiens. En terme de capacité opérationnelle, l’ATR-72 est très proche du C-295, et pourrait également être reconverti après l’entrée en service d’un MAWS franco-allemand plus volumineux. Dépourvu de rampe arrière, son utilisation militaire en dehors des missions MPA serait cependant plus limitée que dans le cas du C-295 MPA.

Enfin, l’Allemagne devrait s’intéresser au remplaçant naturel du P-3 Orion, le P-8 Poseidon de l’Américain Boeing. Avec une masse maximale de 85 tonnes, le Poseidon est considérablement plus lourd que les C-295 et ATR-72 (environ 22 tonnes), ou même que les Orion qu’il remplace dans l’US Navy (60 tonnes). Mieux encore, alors qu’un A320 MPA reste encore à développer, le Poseidon est aujourd’hui un système opérationnel efficace, et qui devrait encore évoluer drastiquement dans les années à venir. Dans l’OTAN, le Poseidon a déjà été acheté en Norvège et au Royaume-Uni, et pourrait intéresser fortement l’Italie et le Canada dans les années à venir. Son achat par l’Allemagne le positionnerait définitivement comme le seul et unique appareil MPA de référence en Europe et dans l’OTAN, ne laissant alors quasiment aucune chance à Airbus, qui aura du mal à développer un véritable concurrent au Poseidon avec les seuls budgets de développement français.

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L’A320 MPA a le potentiel pour être un véritable équivalent du P-8 Poseidon. Sans l’Allemagne, cependant, son marché se réduirait virtuellement à la seule Marine Nationale française, ce qui ne permettrait pas d’en faire une solution viable et concurrentielle.

Pour Berlin, le choix du P-8 Poseidon aurait l’avantage de remplacer directement les Orion, sans passer par une solution intérimaire, à la fois coûteuse et moins performante. Mais il ne fait aucun doute que les industriels allemands, Airbus en tête, feront tout leur possible pour couper l’herbe sous le pied à une telle solution. A l’heure où l’Allemagne tente de relancer son industrie aéronautique par le biais des commandes militaires, la position de l’avionneur européen pourrait bien se faire entendre. Reste que Berlin semble d’ores et déjà prêt à accorder à Boeing deux contrats prometteurs, avec l’acquisition d’avions de combat Super Hornet et d’hélicoptères lourds Chinook. Un triplé gagnant pour Boeing serait alors tout à fait possible, d’autant plus que le dossier MAWS reste bloqué côté français, ce qui ne joue pas en la faveur d’une solution européenne.

Accord de la Suède, intérêt de la Grèce : la Task Force Takuba prend forme

Annoncée dès 2019 et lancée officiellement au mois de Mars sous l’impulsion de la France, la Task Force Takuba est un groupement européen de forces spéciales destiné à être déployé au Mali afin de soutenir les forces armées locales dans leur lutte contre les groupes terroristes. Devant être déployée avant la fin de l’été 2020, la Task Force Takuba est encore en train d’affiner son dispositif technique.

Cette tâche est particulièrement délicate en pleine épidémie de Covid-19, qui modifie la disponibilité des hommes et des équipements devant être envoyés par chaque pays partenaire. Ces derniers jours, toutefois, plusieurs avancées majeures ont été faite. D’une part, le Parlement suédois a validé la participation des forces armées suédoises à Takuba. Dans les jours qui viennent, ce sera au tour de la République Tchèque de confirmer son engagement au sein de l’initiative européenne. D’autre part, de nouveaux pays –notamment la Grèce– ont témoigné de leur intérêt pour une participation directe au groupement européen. Une très bonne nouvelle pour Takuba après que certains membres fondateurs, comme l’Allemagne et la Norvège, aient refusé de déployer leurs propres forces spéciales au Mali.

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Le Parlement suédois a autorisé un déploiement armé au sein de la Task Force Takuba. Celui-ci pourra comprendre jusqu’à 250 personnels sur de courtes durées, incluant un renfort de 100 militaires et un détachement aérien

La validation de la participation suédoise par le Riksdag est, en soi, une excellente nouvelle. En effet, l’accord du Parlement ouvre la voie à une participation importante de la part de Stockholm, qui prévoit de pouvoir déployer jusqu’à 150 hommes dans des conditions « normales ». En cas de besoin, ce dispositif pourrait être renforcé par une centaine de personnels supplémentaires. Sachant que le dispositif Takuba devrait comprendre environ 500 personnels des forces spéciales européennes, la Suède devrait donc se positionner parmi les contributeurs les plus importants, au même titre que la France. L’Estonie, qui s’est engagée dès Novembre 2019, devrait également déployer régulièrement une centaine de personnels.

Cependant, la participation suédoise revêt une importance toute particulière puisqu’elle inclut également le déploiement en Mali d’hélicoptères de manœuvre spécialisés dans le soutien aux opérations spéciales. Il pourra notamment s’agir de UH-60M Blackhawk ou de NH90 TTH, similaires à ceux qui seront déployés sur place par l’Armée de Terre française. Cette composante héliportée suédoise est d’autant plus critique que les moyens héliportés français déployés au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane commencent à arriver à bout de souffle. De fait, les moyens attribués à Barkhane ne pourront pas assurer l’intégralité du soutien logistique de l’opération Takuba, impliquant de trouver des moyens dédiés ou alternatifs, comme les hélicoptères suédois.

CH 47D Hellenic Air Force Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Sur le plan stratégique, la Grèce a tout intérêt à garder un oeil sur l’Afrique du Nord et de l’Ouest, ou la Turquie est de plus en plus présente.

Mais la force Takuba sera également épaulée par d’autres moyens alliés, comme les trois hélicoptères Chinook de la Royal Air Force, qui devraient prolonger leur présence au Sahel. Si le Royaume-Uni ne devrait avoir qu’une participation symbolique au sein de la TF Takuba, les troupes britanniques sont régulièrement déployées au Mali, et devraient encore être engager de manière plus conséquentes dans les mois à venir, dans le cadre de la MINUSMA, la Mission de l’ONU au Mali. La présence des deux hélicoptères lourds danois EH101 Merlin, par contre, pourrait bien ne pas être reconduite, rendant d’autant plus critique tout déploiement d’hélicoptère sur place, même s’il est limité au soutien des forces spéciales de Takuba.

L’autre bonne nouvelle pour Takuba est l’intérêt que porte Athènes pour la Task Force. Exprimé lors de la première réunion de la Coalition Internationale pour le Sahel, le souhait grec d’intégrer la TF Takuba s’inscrit dans un renforcement global de la présence grecque en Afrique. Athènes devrait ainsi ouvrir rapidement une ambassade au Sénégal et renforcer sa coopération militaire dans la région. La Grèce participe en effet activement aux missions de formations militaires de l’Union Européenne au Sahel depuis 2013. Néanmoins, la détérioration de la situation militaire ces dernières années contraint le gouvernement grec à s’investir dans des opérations plus offensives. Pour le Ministère des Affaires Etrangères, la dégradation de la situation sécuritaire dans les pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) a des impacts à plus large échelle dans la région, notamment en Libye. Or, la Turquie s’appuie justement sur certains groupes islamistes ayant des ramifications jusque dans le Sahel afin de pérenniser sa présence en Libye et en Méditerranée méridionale. Les enjeux d’Athènes et d’Ankara étant diamétralement opposés en Méditerranée, il n’y a donc rien d’étonnant à voir la Grèce soutenir une opération de sécurisation du Sahel qui entrave indirectement le réseau d’alliances locales sur lequel s’appuie la Turquie.

HH.101A Caesar Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Outre des CH-47 Chinook, les forces armées italiennes disposent de moyens héliportés spécifiquement conçus pour les opérations spéciales, comme le HH.101 Caesar. De tels moyens permettraient de décupler les possibilités tactiques offertes à la Task Force Takuba.

Dans les prochains mois, d’autres nations pourraient annoncer leur engagement au Mali ou dans la région du G5 Sahel. Comme le montrait l’analyse de Nathan Gain de Forces Operations Blog, toujours bien informé sur ce sujet, l’Italie pourrait bien rejoindre prochainement la TF Takuba. Jusqu’ici, la participation italienne aux opérations de l’ONU et de l’Union Européenne au Mali est restée purement symbolique. Un engagement au sein de Takuba serait pourtant très apprécié, les forces armées italiennes disposant non seulement de forces spéciales très performantes, mais également d’un nombre important d’hélicoptères moyens et lourds. Au-delà de Takuba, on notera également que le Canada s’est engagé au sein de la Coalition Internationale pour le Sahel, sans que la nature exacte des moyens déployés soit détaillée pour le moment.

Dans les semaines à venir, la forces Takuba devrait commencer à se positionner au Mali, avant de monter progressivement en puissance. On peut ainsi espérer que les premiers succès tactiques et communicationnels de la Task Force réussiront à convaincre d’autres pays européens d’intégrer Takuba. Avec la fin des opérations en Afghanistan et le retrait progressif de Syrie et d’Irak, de nombreuses nations disposent en effet de forces spéciales parfaitement bien équipées et entrainées, mais sous-exploitées pour le moment.

La nouvelle torpille légère de SAAB devrait révolutionner le combat anti-sous-marin en zone littorale

La semaine dernière, le Suédois SAAB a annoncé avoir procédé aux premiers tirs de sa nouvelle torpille SLWT (Saab Lightweight Torpedo), à la fois depuis une corvette Visby et depuis un sous-marin de classe Gotland de la marine suédoise. Dénommée Torped 47 dans la marine suédoise, la SLWT a déjà été exportée en Finlande. La torpille devrait être opérationnelle sur des navires de surface à la fin de l’année 2022, et début 2023 sur les sous-marins suédois.

Par la suite, Saab espère pouvoir vendre sa nouvelle torpille à d’autres pays de la région de la Mer Baltique, mais aussi en Asie-Pacifique où certaines marines littorales développent rapidement leurs capacités opérationnelles. En effet, la nouvelle SLWT, comme la Torped 45 qui la précédait, a été conçue spécifiquement pour opérer dans les conditions très difficiles de la Mer Baltique. Mieux encore, la SLWT est conçue dès l’origine pour pouvoir être tirée sans modification depuis un navire de surface, un sous-marin, une batterie côtière ou un aéronef. De quoi en faire une arme particulièrement polyvalente, malgré son format insolite.

SLWT pub Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La communication de Saab insiste particulièrement sur les capacités littorales de la SLWT. Contrairement à la Torped 45, qui était équipée de deux hélices contrarotatives, la Torped 47 dispose d’une unique hélice carénée (pumpjet)

En effet, la nouvelle SLWT/Torped 47 est une torpille légère d’un diamètre de 400mm, pour une longueur de 2,85m et un poids d’environ 340kg. Elle se distingue ainsi des torpilles légères de l’OTAN, comme la MU90 européenne ou la Mk54 américaine, qui disposent d’un diamètre de 324mm seulement et dépassent rarement les 300kg. Ce format légèrement supérieur permet à la torpille légère de Saab d’embarquer des équipements que l’on retrouve habituellement à bord de torpilles lourdes de 533mm de diamètre.

Ainsi, la Torped 47 / SLWT dispose d’un système de filoguidage, avec une bobine intégrée dans la torpille et une autre dans le tube de lancement, à l’instar des torpilles lourdes tirées depuis des sous-marins. Cela permettra à des corvettes ou des patrouilleurs légers équipés de la SLWT de disposer d’une capacité de frappe anti-sous-marine de très grande précision et à grande distance, y compris en présence d’un important trafic maritime civil, comme c’est le cas en Mer Baltique ou dans le Golfe de Botnie. Mais cela permet également à cette torpille légère d’être tirée depuis un sous-marin.

En effet, alors que le tube-lance torpille de 533mm s’est imposé comme un standard à bord de quasiment tous les sous-marins du monde, les bâtiments suédois des classes Gotland et Västergötland disposent à la fois de tubes de 533mm et de tubes de 400mm. Les torpilles lourdes sont alors utilisées principalement pour la destruction de navires de surface, tandis que les Torped 45 sont destinées à l’autoprotection et à la lutte anti-sous-marine. Cette particularité des designs suédois s’explique, encore une fois, par la géographie particulière de la Mer Baltique.

SLWT Gotland Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Les sous-marins Gotland pourront tirer la Torped 47 depuis leurs tubes de 400mm. Pour les sous-marins équipés de tubes de 533mm, un tube « adaptateur » permettra la mise en oeuvre des SLWT

Là où la lutte ASM en zone océanique se joue sur de très longues distances, imposant des torpilles lourdes, le combat en zone littorale est bien plus délicat et impose souvent de tirer à très courte distance. La Mer Baltique, comme le Golfe de Botnie plus au Nord, comprend un littoral particulièrement découpé, avec de nombreuses îles et îlots, de grandes différences de profondeur, mais surtout des variations régulières de température et de salinité de l’eau. Autant de paramètres qui rendent la détection de cibles sous-marines très complexes, surtout à longue distance.

Avec des torpilles de 400mm, la marine suédoise peut ainsi se permettre d’embarquer plus d’armes à bord de ses bâtiments de combat, tout en conservant une capacité de guidage filoguidé pour une précision extrême. La SLWT dispose bien entendu d’un autodirecteur sonar de dernière génération, fonctionnant aussi bien en actif qu’en passif. Tenant compte des conditions extrêmes de la Mer Baltique, Saab a choisi un autodirecteur fonctionnant sur de plus hautes fréquences que ce qui se fait habituellement. Cela réduit légèrement la portée de détection en eaux libres, mais améliore drastiquement la précision de l’autodirecteur, ainsi que sa résistance aux leurres et contre-mesures les plus répands. L’autodirecteur est ainsi en mesure de distinguer une cible sous-marine statique d’une épave couchée sur le fond, ou d’un promontoire rocheux de forme équivalente. La Torped 47 devrait même pouvoir établir une image détaillée de sa cible afin de frapper volontairement un endroit précis, par exemple le propulseur ou le kiosque d’un sous-marin.

SLWT Torped 47 Visby Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Les Visby, particulièrement furtives, seront parmi les premiers navires équipés de la nouvelle torpille légère. Les SLWT sont stockées, manipulées et tirées à partir de tubes unitaires. En option, ces derniers peuvent contenir une bobine de filoguidage, interfacée avec le système de combat du navire.

Pour la propulsion, Saab a troqué ses habituelles batteries à l’oxyde d’argent pour une nouvelle batterie LiFePo4 (Lithium, Fer, Phosphate) offrant une sécurité accrue, une meilleure réactivité et de meilleures performances. A basse vitesse, la SLWT serait ainsi capable d’opérer sur plusieurs dizaines de kilomètres, à l’instar d’une torpille lourde. Evoluant dans les différentes couches d’eau, elle serait ainsi en mesure de cartographier précisément sa zone d’attaque avant d’accélérer pour frapper sa cible.

Ainsi, sur le plan opérationnel, la SLWT intègre à l’intérieur d’une enveloppe réduite des capacités propres aux torpilles lourdes, comme le filoguidage (compatible fibre optique) et les évolutions lentes à basse vitesse. De quoi en faire, effectivement, une arme redoutable dans toutes les mers fermées et les zones littorales du monde. Au sein de la marine suédoise, outre les sous-marins Gotland et les futurs Blekinge (sous-marins de type A26), la Torped 47 devrait remplacer la Torped 45 actuelle à bord des corvettes Göteborg et Visby, les principales unités de surface suédoises. Il est également prévu que la Torped 47 puisse être intégrée à bord d’hélicoptères de lutte ASM de type NH90, ou bien d’avions de patrouille maritime, au fur et à mesure que ces aéronefs seront modernisés. Enfin, Saab travaillerait sur une capacité anti-torpille, notamment pour l’autoprotection des navires et sous-marins, sans que cette capacité n’ai été financée pour le moment.

Torped 47 slwt Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Grâce à son longue autonomie, son filoguidage et son autodirecteur de dernière génération, la SLWT pourra également servir de capteur déporté pour scanner les fonds marins à distance de sécurité avant une attaque.

En plus de la Suède, la marine finlandaise a sélectionné la SLWT il y a quelques années afin de retrouver une capacité de tir de torpille abandonnée avec le retrait de la dernière frégate Riga finlandaise, en 1985. En Finlande, la SLWT sera installée à bord des patrouilleurs rapides de classe Hamina et à bord des futures corvettes lourdes de la classe Pohjanmaa, prévues pour entrer en service à partir de 2028. En attendant, la marine finlandaise a loué des Torped 45 afin de se familiariser avec les procédures de tir de torpilles.

Dans les années à venir, Saab espère sans aucun doute réitérer ce type de partenariats avec d’autres pays. La SLWT pouvant être intégrée à bord de patrouilleurs de moins de 250 tonnes, le marché potentiel est important, notamment auprès de marines ne possédant pas encore ce type d’arme. On pense notamment aux Pays Baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), mais aussi à la Pologne qui devrait racheter des sous-marins d’occasion à la Suède. Il est également probable que Saab s’intéresse à plusieurs marines en Asie du Sud Est, qui voient se multiplier les ventes et les déploiements de sous-marins dans leur région.

Incendie du SNA Perle : quel avenir pour la force sous-marine française ?

Vendredi 12 juin, vers 10h30, un incendie s’est déclaré à l’avant du sous-marin nucléaire d’attaque Perle, qui se trouvait alors en arrêt technique majeur (ATM) dans un des bassins de la base navale de Toulon. Particulièrement virulent, l’incendie n’a été maîtrisé qu’à partir de 21h, et complètement éteint après minuit. Si le sinistre n’a fait, fort heureusement, aucune victime, il s’agit d’un véritable coup dur pour la Marine Nationale.

De fait, cet accident n’aurait pas pu tomber plus mal. En effet, la Perle est le dernier bâtiment des six SNA de la classe Rubis, et le plus moderne des sous-marins d’attaque de la Marine Nationale. Mis en service en 1993, la Perle devait initialement être retirée du service en 2029, lorsque le dernier des six SNA de classe Suffren serait entré en service. L’ATM qui avait commencé en janvier devait justement permettre de remettre à niveau la Perle afin de lui offrir une décennie supplémentaire de service actif.

Les conséquences de l’incendie sur la Perle

Pour l’heure, il reste difficile d’évaluer précisément les conséquences matérielles de cet incendie, qui se serait déclaré dans les ponts inférieurs, à l’avant du bateau. Les causes elles-mêmes de l’incendie ne sont pas connues, sachant que de nombreux équipements industriels se trouvaient à bord pour l’ATM. D’après les premières déclarations du Ministère des Armées, tout l’avant du navire serait littéralement ravagé par les flammes. La moitié arrière du bâtiment, où se trouve les moteurs et surtout le réacteur nucléaire, serait intacte, et aucun combustible nucléaire ne se trouvait à bord du bâtiment au moment de l’incendie.

pompier perle 2 Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Plusieurs centaines de pompiers, militaires et civils, ainsi que des marins de la Perle, ont été mobilisés pour éteindre l’incendie survenu alors que le sous-marin était en cale sèche.

De manière générale, et c’est sans doute la seule bonne nouvelle de ce sinistre, la quasi-totalité des équipements avaient été débarqués ces dernières semaines et se trouvaient à terre pour leur entretien. Cela signifie que les équipements de manutention des torpilles, les périscopes, les équipements électroniques et le profilage en composite du bâtiment sont aujourd’hui intact. Cependant, l’incendie a duré plusieurs heures, et a pu largement endommager la coque même du sous-marin, et menacer son intégrité. Même si la Perle reste entière aujourd’hui, les intenses chaleurs de l’incendie ont pu dilater et fragiliser la coque elle-même et ses zones de soudure.

Dans les prochaines semaines, il sera donc nécessaire d’évaluer précisément les dommages causés par cet incendie, et le coût de la réparation de la Perle. Florence Parly, Ministre des Armées, a d’ailleurs déclaré que « si ces analyses permettent de considérer que la Perle est réparable, tout sera fait pour qu’elle soit réparée ». Dans tous les cas, un tel chantier prendrait sans doute au moins un ou deux ans, sachant que la Perle reste un sous-marin en fin de vie. La Marine Nationale devra donc, au moins sur le court terme, se passer de son sous-marin le plus récent.

perle incendie Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Les incendies constituent toujours un danger extrême à bord de sous-marins, même lorsqu’ils sont en cale sèche. Les dégâts présents sur la Perle laissent peu d’espoirs sur sa remise en condition opérationnelle

Une flotte de sous-marins d’attaque réduite à trois unités ?

En temps normal, depuis le retrait des derniers sous-marins diesel en 2001, la marine française dispose de six sous-marins nucléaire d’attaque en service. Ce format permet une gestion minutieuse de la flotte. A tout moment, la Marine Nationale doit pouvoir disposer :

  • D’un SNA en soutien à la mission de dissuasion (protection des SNLE, les sous-marins lanceurs de missiles nucléaires),
  • D’un SNA en protection du groupe aéronaval, articulé autour du porte-avions Charles de Gaulle,
  • D’un sous-marin déployé en zone de crise, y compris pour des missions de renseignement ou de soutien aux forces spéciales,
  • D’un bâtiment en entrainement,
  • D’un SNA en entretien de courte durée
  • Et d’un dernier bâtiment en entretien longue durée, comme c’était le cas de la Perle.

Or, depuis le mois de Juillet 2019, l’escadrille de SNA ne comportait plus que cinq sous-marins au lieu de six. En effet, le Saphir, second bâtiment de la classe Rubis, a été désarmé après 35 ans de service actif. Avec l’incendie du SNA Perle, la Marine Nationale ne dispose désormais plus que de quatre sous-marins d’attaque, et les choses pourraient rapidement s’aggraver. En effet, en décembre 2020, ce sera au tour du Rubis d’être retiré du service actif, après avoir subi une ultime remise à niveau exceptionnelle en 2017.

Suffren soleil Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Lancé officiellement en juillet 2019, le Suffren n’a réellement débuté ces essais qu’en début d’année. Si tout se passe bien, il devrait être en service actif fin 2020, ou début 2021, après le retrait prévu du SNA Rubis

A ce moment-là, le Rubis devrait officiellement être remplacé par le premier SNA de nouvelle génération de type Barracuda, si tout se passe bien dans les essais en mer du Suffren, premier représentant de cette classe. Mais, là encore, même après son entrée en service, le Suffren sera encore loin d’être réellement opérationnel, et aura besoin d’au moins un an pour que son équipage le prenne en main et que la Marine Nationale maîtrise ses capacités opérationnelles.

Ainsi, à la fin de l’année 2020, après le retrait des Saphir et Rubis, avec la Perle en travaux ou en retrait anticipé et le Suffren en essais, il ne restera en service que le Casabianca, l’Émeraude et l’Améthyste. Et ces derniers devront nécessairement connaître des périodes d’entretien de courte et de longue durée.

A l’origine, la Marine Nationale était prête à opérer avec seulement cinq SNA au lieu de six jusqu’en 2025 ou 2026, date d’entrée en service des trois SNA suivants de la classe Suffren. En l’état actuel des choses, l’incendie de la Perle pourrait bien réduire ce format à seulement trois bâtiments en 2021, puis quatre SNA jusqu’à 2026, avant de remonter à cinq SNA jusqu’en 2029 et la livraison du sixième et dernier SNA de type Barracuda (classe Suffren).

Quelles solutions pour la Marine Nationale ?

A court terme, la Marine Nationale n’aura guère d’autre choix que de composer avec la perte du SNA Perle. Avec seulement quatre sous-marins d’attaque disponibles, il lui faudra sacrifier certaines missions, notamment les déploiements en zone de crise et, plus critique encore, le soutien à la dissuasion nucléaire. Aussi stratégique que puisse être cette mission, elle peut toutefois être réalisée par d’autres vecteurs, comme des navires de surface ou des avions de patrouille maritime. Par contre, l’escorte du porte-avions aura bien plus de mal à se passer d’un SNA. Dans les prochaines années, il se pourrait donc que le groupe aéronaval français soit accompagné d’un sous-marin allié lors de certains de ses déploiements, de la même manière qu’il est dès aujourd’hui escorté par des frégates et destroyers de marines amies. Les missions d’entrainement devront cependant se poursuivre, puisque les SNA servent entre autre à former les futurs équipages de SNLE, garants de la dissuasion nucléaire française.

sna saphir classe rubis Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Le SNA Saphir a été le premier bâtiment de classe Rubis à être retiré du service, sans bénéficier de la prolongation de vie du Rubis. Pour l’heure, rien ne permet d’assurer que d’autres SNA de type Rubis puissent connaître une prolongation de leur carrière au-delà des dates de retrait prévues.

A plus long terme, deux cas de figure pourront se présenter. Si la Perle est réparable en moins de deux ans, par exemple en récupérant certains équipements du Saphir, la Marine Nationale pourrait avoir besoin de moyens supplémentaires le temps des travaux. Il pourrait alors être intéressant de repousser de quelques mois, ou d’une année, le retrait de service du Rubis, le temps que le Suffren soit pleinement opérationnel. Une telle opération permettrait au moins d’éviter que le format opérationnel de l’ESNA ne descende à trois unités. Mais encore faut-il que le Rubis puisse tenir. Entré en service en 1979, le SNA Rubis devait être retiré du service en 2017, date initialement prévue pour l’arrivée du Suffren. S’il a subi un dernier ATM partiel pour lui permettre de rester en service jusqu’en 2020, il n’est pas dit que le bâtiment puisse tenir au-delà du milieu de l’année 2021.

Par contre, si la Perle n’était pas réparable, il s’agira non seulement de retarder le retrait du Rubis, si possible, mais également d’offrir à l’Améthyste, à l’Émeraude ou au Casabianca une ultime prolongation de vie, comme cela a été fait pour le Rubis en 2017. On pourrait ainsi imaginer, par exemple, que l’Émeraude voit sa mise à la retraite retardée de 2025 à 2029, date initialement prévue pour le retrait de service de la Perle. Cependant, comme la mise à la retraite du Saphir l’a démontré, cela n’est pas toujours possible et dépend de l’état de chaque sous-marin.

Faut-il revenir à une flotte sous-marine plus importante ?

Cet accident tombe particulièrement mal, en frappant le SNA le plus récent encore en service en France à un moment où le format de l’ESNA était déjà particulièrement réduit. Il a cependant l’avantage de montrer la fragilité intrinsèque d’un format opérationnel calculé au plus juste. Initialement, la classe Rubis devait compter huit sous-marins, complétés par une petite flotte de sous-marins à propulsion conventionnelle. Mais la fin de la Guerre froide a entrainé une réduction drastique des effectifs. De fait, le format de six SNA a pu être préservé au fil des années uniquement parce qu’un nombre plus restreint de SNA risquait d’impacter négativement la formation des équipages de SNLE, systématiquement préservés par les politiques de défense de tous bords.

Suffren VLS 1 Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
La Marine Nationale pourrait faire bon usage d’une paire de sous-marins Barracuda supplémentaires. Ces derniers pourraient notamment intégrer de nouveaux éléments, comme des VLS pour le lancement vertical de missiles de croisière

Néanmoins, avec cet accident, on réalise pleinement que ce format ne présente aucune résilience, et ne permet pas de subir la moindre attrition, qu’elle soit accidentelle ou au combat. De plus, même avec un format de six SNA, la Marine Nationale aura bien du mal à réaliser l’ensemble des missions sous-marines qui lui seront confiées. En effet, contrairement aux Rubis, les Barracuda/Suffren sont conçus dès le départ pour pouvoir soutenir des opérations spéciales ambitieuses, qui seront de plus en plus sollicitées par l’exécutif. Ces nouvelles missions viendront s’ajouter aux opérations d’escorte et d’interdiction navale qui prennent de plus en plus d’ampleur ces dernières années, en raison de la montée en puissance des déploiements navals russes et chinois, mais aussi des ambitions turques en Libye.

Pour pouvoir réaliser efficacement l’ensemble de ces missions, la Marine Nationale aura besoin de moyens sous-marins complémentaires, dès la fin de la décennie en cours. Cela pourrait passer, comme le laisse entendre Vincent Groizeleau de Mer&Marine, par une commande d’un ou deux Barracuda supplémentaires. De quoi revenir au format de huit SNA qui a toujours été celui réclamé par la Marine Nationale.

Mais d’autres options pourraient également être exercées, y compris dans le cadre d’un plan de relance économique post-crise du Covid-19. Ainsi, la Marine Nationale pourrait parfaitement s’équiper de deux ou trois sous-marins à propulsion conventionnelle de type Scorpène, déjà vendu par Naval Group au Brésil, au Chili, en Inde et en Malaisie. Ces bâtiments, particulièrement silencieux, pourraient parfaitement répondre aux missions « locales », comme la protection de la dissuasion nucléaire française en Atlantique, ou bien les opérations de renseignement, de soutien au forces spéciales ou d’interdiction navale en Méditerranée.

D19 cible reco mine 25nds 30h Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
A Saint-Tropez, Naval Group développe déjà des UUV de petite dimension, comme le D19. Le groupe français dispose cependant d’une expérience en construction sous-marine, en conception de systèmes de combat, en propulsion AIP et en systèmes de drones sous-marins. Soit tout le savoir-faire nécessaire pour la conception et la fabrication d’un UUV de grande dimension, complément idéal pour la flotte de SNA.

Plus ambitieux encore, la DGA et la Marine Nationale aurait peut-être intérêt à se lancer dans un programme de développement de drone sous-marin de grande dimension, comme l’ont déjà fait la Russie, les USA, la Chine ou encore la Corée du Sud. Un drone sous-marin (UUV) d’environ 20m et déplaçant quelques centaines de tonnes pourrait parfaitement embarquer des senseurs modernes, quelques torpilles ou mines, et une propulsion AIP lui assurant discrétion et longue endurance. Complémentaires des SNA, ces engins pourraient servir aussi bien à la sécurisation des abords maritimes métropolitains qu’à des opérations de renseignement et d’interdiction en Méditerranée orientale ou méridionale.

Une telle solution aurait l’avantage d’offrir une importante charge de travail aux équipes de Naval Group, aussi bien à Cherbourg pour la construction qu’à Saint-Tropez, pour la conception, ou encore à Ollioules, pour le développement du système de combat autonome et des systèmes de communication sécurisé. En finançant un tel projet, l’Etat pourrait offrir de nouvelles perspectives à l’exportation. Et, par rapport à l’acquisition de Scorpène ou de Barracuda supplémentaires, l’acquisition de quatre à six UUV de grande dimension aurait surtout l’avantage de réduire les besoins en ressources humaines, toujours critiques au sein de la Marine Nationale.

Arme laser aéroportée : le US Special Operations Command ambitionne un démonstrateur à l’horizon 2022

Après des années de report et initialement attendue pour l’année fiscale 2019, la perspective d’intégrer un système d’arme laser à la vaste panoplie d’armements du gunship AC-130J Ghostrider semble se préciser à nouveau et est désormais espérée pour 2022. Dévoilé en mai dernier par l’Air Force Special Operations Command (AFSOC), ce programme est susceptible d’apporter des capacités tactiques inédites mais dont les contours et le périmètre d’action demeurent néanmoins incertains. Pour bien comprendre les enjeux opérationnels sous-tendus par la technologie laser, que de nombreux disent révolutionnaires, il convient d’en cerner le fonctionnement, les forces mais aussi les faiblesses.

Les armes dites laser agissent par effet thermique et par la concentration d’un faisceau laser sur une surface, entraînant l’échauffement de cette dernière jusqu’à la perforer. Elles ne propulsent aucune matière mais de l’énergie thermique. Plus cette énergie est puissante, plus les cibles traiter peuvent être importantes. D’un faible coût d’utilisation, un tir laser peut perdre en efficience au gré des variations climatiques (brouillard, tempête de sable, etc.) bien qu’il possède une très grande directivité de son faisceau par temps clair, lui permettant d’atteindre des cibles très éloignées – jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres en théorie – avec une faible dispersion d’énergie et avec une gradation des effets en fonction des besoins et du type de cible (drone, aéronef, véhicule terrestre, etc.).

coupe AC130 laserweapon Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Réalisé en août 2008, le premier tir d’essai d’un « laser chimique à haute énergie » (Chemical Oxygene Iodine Laser) avait déjà eu lieu à bord d’un avion de transport C-130H de Lockheed Martin. D’une portée avoisinant les 20 kilomètres, le dispositif pesait entre 5 à 7 tonnes.

Ainsi, destiné à avoir des effets thermiques sur des cibles terrestres, le dispositif laser aéroporté ambitionné par l’AFSOC se distingue en cela des systèmes de défense anti-aérienne et anti-missile laser développés actuellement par les trois composantes principales des forces armées américaines – à savoir l’US Army, l’US Navy et l’US Air Force – par son caractère intrinsèquement offensif. Vouée à intégrer et compléter les systèmes d’armes du Lockheed Martin AC-130J Ghostrider – véritable machine de guerre volante dédiée à l’appui au sol des forces spéciales américaines – cette arme à énergie dirigée serait en capacité de neutraliser des systèmes d’armes ennemis de manière furtive : pas de son, d’explosion ou de flash lumineux susceptibles d’alerter les cibles visées.

Cependant, le Ghostrider, de par ses capacités de feu hors normes, dispose déjà d’une puissance nécessaire pour jouer son rôle traditionnel de canonnier des airs, capable de détruire n’importe quel véhicule ou bâtiment qu’il viendrait à cibler. Donc pourquoi le laser ? D’une puissance attendue de 60 Kw, ce système d’arme laser serait incapable de neutraliser des engins terrestres blindés mais davantage apte à paralyser des équipements radio ou radar, à mettre le feu à des réserves de carburant et de munitions ou bien encore à endommager les pneus d’un véhicule plutôt que de le faire exploser. Les têtes pensantes du AFSOC évoquent ainsi une capacité à produire ce qu’ils appellent des « effets d’échelle », sous-tendant une quasi-précision chirurgicale induite par la précision du laser. L’AFSOC, par l’acquisition d’une telle technologie, aspire à introduire une capacité de frappe secrète, ne laissant aucune trace ou preuve probante sur le site de la cible : aucun fragment d’obus ou débris de missile attestant de l’origine de la frappe.

Amorcés il y a un peu plus de cinq ans par l’AFSOC, les travaux afférents au développement d’une telle capacité aéroportée soulèvent néanmoins des doutes chez certains observateurs avisés, à l’instar du directeur de la Defense Advanced Research Project Agency (DARPA) Steven Walker qui exprimait son scepticisme en 2018 quant à l’intégration d’une telle technologie à des plateformes aériennes. En effet, de par la taille inhérente, le poids et les contraintes de puissance sous-tendues par un tel système d’arme, les vecteurs aériens, par leurs capacités énergétiques et d’emport limitées, paraissent être les plateformes les moins adaptées à l’intégration d’un tel dispositif d’armement.

73d Special Operations Squadron AC 130W Allemagne | Analyses Défense | Aviation de chasse
Doté d’un radar à ouverture synthétique, de capteurs infrarouges, d’un canon de 30mm, de missiles AGM-176 « Griffin » ou bien encore de bombes de petit diamètre de type GBU-39 (SDB laser), l’AC-130J Ghostrider est équipé de 60 générateurs d’amplification qui offrent une production accrue en électricité pour répondre aux exigences de puissance imposées par l’avionique et les différents systèmes d’armes embarqués.

Car bien que le prix d’utilisation soit particulièrement faible – le coût d’un tir laser étant largement inférieur à sa cible potentiel – la production d’énergie demeure ici un enjeu à part entière : les systèmes lasers se veulent, en l’état actuel du niveau atteint par la R&D, particulièrement encombrants mais surtout énergivores, posant de fait la question de leur intégration à bord d’un AC-130J Ghostrider. Ces gunship embarquent déjà une quantité importante de systèmes d’armes qui nécessitent déjà un volume conséquent, et requièrent surtout une capacité énergétique très importante. Reste que l’emport d’un laser à bord d’une soute de Ghostrider, basé sur l’avion de transport C-130 Hercules, sera toujours plus aisé qu’à bord d’un avion de chasse, par exemple.

L’AFSOC travaille d’ores-et-déjà à la réduction du poids ainsi qu’à la miniaturisation des éléments du futur canon laser qui sera embarqué par le Ghostrider. Par ailleurs, ce programme a vocation à être le banc d’essai de l’expérimentation qui déterminera si une telle solution technique est viable et opérationnellement pertinente. L’effort financier n’ayant pas été jusqu’ici constant – du fait d’un certain scepticisme ambiant entretenu par le Pentagone à l’endroit de ce projet – le laser aéroporté destiné à l’appui au sol des troupes alliés n’a, pour l’instant, pas encore fait ses preuves sur le plan opérationnel. L’avantage tactique qu’une telle technologie pourrait procurer à son utilisateur demeure encore incertain et comme toute nouvelle arme, les armes laser apporteront indéniablement des capacités novatrices mais ne remplaceront pas pour autant les armes existantes.