Le 17 juin, le gouvernement allemand a annoncé avoir accepté de financer la fourniture de radars à antenne électronique active (AESA) destinés à moderniser la flotte actuelle de 110 avions de combat Eurofighter Typhoon en service dans la Luftwaffe. Si Airbus se chargera de l’intégration des nouveaux radars AESA à bord des avions de chasse, c’est l’électronicien allemand Hensoldt qui récupérera la plus grosse charge de travail, avec une part d’environ 1,5 milliards d’euros. Hensoldt sera en effet responsable du développement et de la production de ce nouveau radar, qui devrait améliorer drastiquement les performances au combat du Typhoon. A travers ce contrat, l’Allemagne est ainsi la première nation du consortium Eurofighter à se lancer dans la modernisation du radar CAPTOR du Typhoon.
En apparence, il s’agit donc d’une bonne nouvelle pour l’appareil européen. Toutefois, ce contrat confié à Hensoldt vient encore compliquer la lisibilité de l’offre technologique entourant l’Eurofighter Typhoon. Alors que le Rafale français ou encore le Super Hornet et le F-35 américains articulent leur système de combat autour d’un radar AESA performant et en continuelle évolution, l’Eurofighter Typhoon voit se multiplier les programmes d’intégration d’antennes AESA destinés aux différents membres du consortium Eurofighter et à leurs clients export. Au risque de complexifier la logistique de l’avion, d’augmenter les coûts de ses mises à jour et de restreindre les performances globales de ses antennes radar.

Eurofighter Typhoon : une modernisation très attendue
En soi, la décision allemande de moderniser le radar de sa flotte de Typhoon n’est pas une surprise. La Luftwaffe avait en effet émis ce besoin depuis quelques années, et la décision de moderniser les 79 Typhoon de la Tranche 2 et les 31 avions de la Tranche 3A avait été prise dès la fin de l’année dernière. Pour le moment, l’Eurofighter Typhoon est encore équipé d’un radar à balayage mécanique, une technologie fondamentalement dépassée aujourd’hui. En effet, les radars à antenne électronique offrent aujourd’hui une meilleure portée, une plus grande résistance au brouillage, plus de discrétion et une capacité multifonction bien supérieure. Les principaux concurrents commerciaux de l’Eurofighter (Rafale, Super Hornet, F-35…) sont tous équipés de série avec un radar AESA, et les antennes électroniques se généralisent également à bord des avions chinois et russes proposés à l’exportation. Avec le petit Gripen C/D, qui dispose de son propre programme de modernisation, le Typhoon est donc le seul appareil de sa génération encore dépourvu de radar à antenne active.
En équipant sa flotte d’antennes actives, l’Allemagne devrait donc être le premier pays européen à disposer d’Eurofighter Typhoon aux performances opérationnelles largement accrues. Comparativement au radar CAPTOR actuel, le futur radar AESA devrait offrir une portée accrue et une résistance au brouillage améliorant substantiellement les performances en combat aérien de longue portée, notamment pour le guidage des missiles air-air de très longue portée METEOR. Mais le futur radar de Hensoldt devrait également offrir des capacités air-sol significativement améliorées, que ce soit pour la détection de cible, la reconnaissance ou la navigation. Enfin, la future antenne active pourrait servir ultérieurement à améliorer les capacités offensives de guerre électronique de la Luftwaffe. Hensoldt espère en effet que la Luftwaffe actera d’ici la fin de l’année son projet de commande de 38 nouveaux Eurofighter Typhoon de la Tranche 4, commande qui pourrait être portée à 90 appareils afin de remplacer les derniers Panavia Tornado. Si les premiers radars AESA sont attendus pour le milieu de la décennie 2020, ce sont près de 200 Eurofighter Typhoon allemands qui pourraient intégrer la nouvelle antenne AESA de Hensoldt, pour peu que la Luftwaffe passe effectivement commande de 90 appareils supplémentaires.

Quel radar AESA pour le Typhoon ?
Cette annonce, aussi bienvenue soit-elle pour la Luftwaffe et Hensoldt, vient cependant grandement complexifier la communication de Airbus / Eurofighter autour du Typhoon qui, pour rappel, est toujours en compétition en Finlande et en Suisse. En effet, le futur radar AESA de Hensoldt est loin d’être le premier radar AESA proposé sur le Typhoon. En 2007, le consortium Euroradar avait en effet fait volé un prototype d’antenne AESA greffée sur un radar CAPTOR de Typhoon. Articulé autour de la société italo-britannique Selex-ES, aujourd’hui intégrée à Leonardo, Euroradar comprend également l’Espagnol INDRA et, bien entendu, la branche électronique de l’Allemand Airbus Defense & Space, devenue aujourd’hui Hensoldt. Le premier modèle représentatif d’un radar AESA de série vole ensuite en 2014, et est désigné parfois CAPTOR-E ou CAESAR, voire CAPTOR E-Scan. En interne, il porte également la désignation de Radar Mk0 ou de Radar 0. C’est ce modèle de radar AESA, basé sur le corps central du CAPTOR mécanique, qui est en cours d’intégration sur les Eurofighter vendus au Koweït et au Qatar, ainsi que sur les appareils proposés par l’Italie à l’Egypte, sous la désignation commerciale de Radar One Plus, histoire de ne rien arranger à la cacophonie des désignations.
Basé sur la partie arrière du CAPTOR auquel on a greffé une antenne AESA, ce CAPTOR-E Mk0 / Radar One Plus ne proposerait cependant pas de performances adéquates pour les partenaires européens du programme Eurofighter. Un CAPTOR Mk 1 a donc été développé sur la même base afin d’équiper les appareils européens. Très vite, des désaccords divisent cependant les quatre partenaires du consortium Euroradar. Dans un premier temps, les Allemands et les Espagnols acceptent de s’équiper en CAPTOR-E Mk1 dans le cadre d’un projet d’acquisition commun, tandis que les Britanniques font cavaliers seuls afin de développer un CAPTOR E-Scan plus performant, capable d’assurer les mêmes fonctionnalités de guerre électronique que le radar APG-81 embarqué à bord des F-35. Fin 2019, il existait donc trois projets de radar AESA différents, basé sur le démonstrateur CAESAR de Euroradar et dotés d’une antenne AESA fabriquée par l’Allemand Hensoldt :
- CAPTOR-E Mk0 « Radar Plus One » fourni par Leonardo aux forces aériennes du Qatar et du Koweït
- CAPTOR-E Mk1, version améliorée du Radar Plus One, pour l’Allemagne et l’Espagne
- Une variante avancée du CAPTOR-E en cours de développement pour le Royaume-Uni.
Cependant, l’annonce de la semaine dernière vient encore redistribuer les cartes, puisqu’il est désormais annoncé que ce ne sera pas le consortium Euroradar qui fournira les radars AESA allemands, mais bien le seul Hensoldt, avec l’aide d’Airbus et éventuellement de INDRA. Si les détails techniques ne sont pas connus, il semble que Hensoldt, qui fabrique déjà l’antenne AESA du CAPTOR-E, va devoir à nouveau intégrer cette dernière sur le CAPTOR, sans pour autant répliquer le travail réalisé sur le CAPTOR-E par la branche britannique de Leonardo. Pour l’Allemagne, cette démarche présente plusieurs intérêts :
- Cela permet de fournir une véritable expérience d’intégration et de développement software à Hensoldt, qui cherchera sans aucun doute à la valoriser dans le cadre du programme SCAF.
- En attendant le SCAF, une maîtrise d’œuvre de Hensoldt met l’industriel allemand en position de force par rapport à l’espagnol INDRA, qui passe de partenaire égalitaire dans le cadre d’Euroradar à simple sous-traitant dans le nouveau schéma industriel. Sachant que INDRA cherche à obtenir la maîtrise d’œuvre de la partie électronique du SCAF, que Berlin souhaitait confier à Hensoldt, la manœuvre est loin d’être anodine.
- Enfin, dans un contexte de crise économique, cela permet de maintenir l’activité d’Hensoldt, qui devrait créer 400 emplois hautement qualifiés pour ce seul programme AESA.
Industrie nationale vs industrie européenne
Si l’on comprend aisément les enjeux industriels derrière ce contrat, on ne peut que regretter le manque d’uniformité autour de la modernisation des Eurofighter. Avec pas moins de quatre radars différents basés sur le même prototype, il sera difficile pour un client export de se retrouver dans l’offre industrielle. Pire encore, chaque radar devra financer ses mises à jour, ce qui conduira inévitablement à augmenter les coûts d’utilisation tout en réduisant le potentiel d’amélioration sur la durée de vie des équipements.
Plus grave encore, le manque de constance d’Euroradar et la mise en avant du seul Hensoldt renvoie incontestablement une mauvaise image de l’industrie européenne. A l’heure où se construit le SCAF, voire l’Allemagne privilégier ostensiblement son industriel local au détriment d’une solution commune d’une part, et du partenaire espagnol d’autre part, tend à renforcer l’image d’une industrie allemande fermée à tout compromis sur les questions de partage industriel.
La pilule pourrait être d’autant plus difficile à avaler que Berlin semble en passe d’abandonner purement et simplement un autre programme européen, le MAWS, pour le plus grand désarroi de Paris. Une situation de blocage qui se rajoute à celle rencontrée dans le cadre du programme EuroDrone, géré par l’Allemagne et désormais menacé d’annulation. Si, dans le même temps, le Bundestag continue de bloquer toute initiative jugée « défavorable » à l’industrie allemande dans le cadre du MGCS, il deviendra de plus en plus compliqué pour les pays européens d’espérer construire une industrie de la défense commune autour de projets impliquant une forte participation allemande, peu importe l’expertise mise en avant par ses industriels.


















