jeudi, décembre 4, 2025
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Quelle aide militaire la France peut-elle objectivement apporter à l’Ukraine ?

Depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine, la France a soutenu Kyiv tant dans le domaine politique, qu’économique et militaire. Toutefois, depuis plusieurs mois, cette aide militaire est régulièrement contestée, que ce soit en France mais également en Europe, étant jugée par ses détracteurs comme insuffisante, notamment vis-à-vis de l’aide accordée par d’autres pays européens. Il est vrai que Paris est resté discret sur l’aide accordée, et dans plusieurs domaines, largement en retrait face à d’autres nations européennes, y compris des pays beaucoup moins riches que ne peut l’être la France. A plusieurs reprises, des tribunes furent publiées dans les grands quotidiens nationaux, ci pour appeler à livrer des chars Leclerc, là pour augmenter l’aide militaire à 4 Md€, s’appuyant précisément sur cette faiblesse apparente de l’assistance française à l’Ukraine. Au delà de ces appels essentiellement construits sur une réponse émotionnelle à la détresse ukrainienne, il convient de définir à la fois les objectifs visés par ce soutien, mais également les contraintes qui s’y appliquent, de sorte à faire émerger une doctrine pouvant encadrer objectivement cette aide militaire de manière optimisée.

Pourquoi la France doit-elle aider militairement l’Ukraine ?

Si de prime abord, le soutien français à l’Ukraine semble conditionné par des considérations humanitaires et de droit international, il s’avère que la France, comme ses voisins, a de nombreuses raisons parfaitement objectives pour activement soutenir militairement Kyiv, et ce afin de permettre une victoire ukrainienne contre les armées russes.

En premier lieu, même si ce n’est que rarement abordé, il s’agit d’entamer le plus possible l’outil militaire de Moscou, et ainsi réduire dans la durée ses capacités de nuisance en Europe mais également au Moyen-Orient, dans le Caucase et en Afrique, c’est à dire l’ensemble des théâtres de friction avec les forces régulières ou non au service du Kremlin. Cet objectif n’est apparu qu’à partir du moment ou il devint évident que les armées ukrainiennes étaient effectivement capables de résister au rouleau compresseur militaire russe, mais également de lui infliger de sévères pertes. Et de fait, il semble bien que les armées russes aient subi une terrible attrition depuis le début du conflit, avec entre 30.000 et 60.000 tués, au moins autant de blessés, et la perte d’un très grand nombre de materiels, dont 1200 chars documentés, soit la moitié du parc russe en amont de cette guerre. De fait, soutenir militairement l’Ukraine permet de manière directe et pondérable d’éroder sévèrement l’outil militaire russe, et selon la dynamique actuelle, il est plus que probable que les armées et l’industrie de défense du pays devront faire de très importants efforts pendant 10 à 15 ans, ne serait-ce que pour espérer revenir aux niveaux qui étaient les leurs avant l’entame du conflit, période durant laquelle la menace russe sera considérablement amoindrie, alors même que l’ensemble des pays européens développeront leurs armées et leurs capacités de resilience.

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depuis le début du conflit, les armées russes ont perdu la moitié de leur parc de chars lourds modernes, entamant durablement leurs capacités opérationnelles conventionnelles

D’autre part, les succès militaires ukrainiens face à l’une des plus puissantes armées de la planète, s’ils s’appuient avant tout sur le courage, la determination et l’intelligence des soldats ukrainiens, n’auront été possibles qu’avec l’aide des occidentaux, et des materiels fournis. De fait, ce soutien occidental porte deux messages parfaitement audibles sur la scène internationale, et dont l’influence sera cruciale dans l’évolution de la géopolitique mondiale : la determination et l’unité des capitales occidentales, y compris face à des effets induits des plus désagréables notamment du point de vue economique, ainsi que l’efficacité des materiels miltaires occidentaux. Car si les héros de cette guerre sont les miltaires ukrainiens, les symboles, quant à eux, ont souvent été des armements transmis à l’Ukraine, comme ce fut le cas des missiles antichars Javelin et MLAW et du drone TB2 Bayraktar lors de l’offensive sur Kyiv et Kharkiv, des systèmes d’artillerie Caesar, Himars et Pzh2000 lors de la contre-offensive d’automne, et des systèmes anti-aériens comme l’IRIS-T SLM et le NASAMS face au blitz.

A chaque fois, l’arrivée de ces équipements livrés par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et bien d’autres, a joué un rôle décisif sur le terrain. Cette démonstration de force occidentale, tant par la solidité du bloc politique, que par les performances de ses systèmes d’armes, va incontestablement jouer un rôle modérateur face aux ambitions de nombreux potentats par le monde dans les années à venir, y compris pour ceux qui pourraient être tentés par un aventurisme nucléaire. Ce changement d’image du bloc occidental, et donc de la France, est d’autant plus critique que celle-ci avait largement souffert du fait de l’aventure américaine et britannique en Irak, mais également des pitoyables gestions des crises syriennes et libyennes, et du désastreux retrait d’Afghanistan.

Quelles sont les contraintes qui s’appliquent à l’aide militaire française vers l’Ukraine ?

Si le soutien militaire français à l’Ukraine répond à des objectifs parfaitement identifiés et pertinents, il est également exposé à de nombreuses contraintes qu’il convient d’identifier et de pondérer pour en comprendre les effets modérateurs. En effet, du fait de la conduite très dynamique des opérations, le soutien apporté par la France, et par une majorité d’autres pays, ne peut s’intégrer dans un processus industriel classique, induisant des délais de plusieurs mois à plusieurs années incompatibles avec l’urgence des besoins. Dès lors, comme ses voisins et alliés, la France doit puiser sur ses stocks d’équipements miltaires pour soutenir l’effort ukrainien, alors même que les Armées françaises sortent à peine d’une période de 20 années de sous-investissements chroniques et massifs, ayant lourdement érodé leurs propres potentiels et leurs stocks. En outre, si les armes livrées à l’Ukraine vont très probablement, du fait de l’efficacité désormais incontestable des militaires ukrainiens, raboter les inventaires et moyens d’action russes à court et moyen terme, et si de toute évidence la Russie constitue aujourd’hui la principale menace en Europe, les Armées françaises doivent également conserver des capacités d’intervention et de projection de puissance suffisantes pour intervenir le cas échéant sur d’autres théâtres d »opération et d’autres crises, comme en Afrique, au Moyen-Orient ou aux cotés de la Grèce, tout en assurant efficacement leur mission principale, à savoir la protection du territoire français et de ses intérêts.

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La SAMP/T Mamba participe à la mission de dissuasion française en protégeant les bases aériennes de l’Armée de l’Air accueillant les Rafale et les avions ravitailleurs

En outre, le soutien militaire accordé à l’Ukraine se doit de s’intégrer dans l’effort de reconstruction des armées françaises entreprit lors de la LPM 2018-2025, et qui sera sans le moindre doute accentué par la nouvelle Loi de Programmation militaire 2023-2029 en cours de conception. De fait, on peut identifier 4 contraintes impératives s’appliquant au soutien militaire accordé par la France à l’Ukraine :

  1. La préservation intégrale des capacités de dissuasion françaises, c’est à dire de l’ensemble des moyens contribuant directement ou indirectement à cette mission stratégique
  2. La préservation dynamique des capacités de formation et de montée en puissance des armées dans le cadre de la LPM en cours, et de la LPM à venir.
  3. La préservation à court terme des moyens nécessaires pour remplir le contrat opérationnel des armées, notamment en matière de projection de puissance et de participation aux actions menées dans le cadre de l’OTAN
  4. La préservation à moyen terme des moyens dédiés à l’engagement de haute intensité pour la protection du territoire et des alliés du pays.

A ces 4 contraintes structurelles s’ajoutent 3 contraintes conjoncturelles liées à l’environnement économique, politique et international. Il s’agit de :

  1. La prise en compte des contraintes industrielles et de leurs évolutions pour le remplacement des équipements cédés à l’Ukraine
  2. La prise en compte de la trajectoire budgétaire tracée par les Loi de Programmation, pour encadrer la soutenabilité de l’effort envisagé.
  3. La prise en compte de la stratégie globale d’aide à l’Ukraine définie par les alliés et notamment par les Etats-Unis, en particulier pour ce qui concerne le type de materiels fournis

Une fois ces contraintes posées, encore faut il les pondérer pour les rendre lisibles et efficaces, et donc pour en faire émerger une possible doctrine susceptible d’encadrer efficacement le soutien militaire français à l’Ukraine, voire à d’autres alliés le cas échéant.

Une doctrine pour encadrer l’aide militaire française à l’Ukraine

Un tel exercice requiert des niveaux d’information inaccessibles au public. Toutefois, dans un but pédagogique, nous allons tenter de pondérer ces éléments, afin d’en faire émerger une doctrine applicable. Bien évidement, la dissuasion (point 1) ne souffre d’aucun compromis, et que ce soit en matière de capacités opérationnelle ou de planification. ce domaine est parfaitement sanctuarisé, y compris pour ce qui concerne les moyens indirects participants à la mission, comme par exemple les systèmes anti-aériens SAMP/T Mamba et Crotale protégeant les bases aériennes de Mont-de-Marsan, Istres et Saint-Dizier. Les capacités de formation (point 2) doivent également être protégées afin de ne pas mettre à mal l’ensemble de l’effort de recapitalisation des armées. Mais dans ce domaine, une certaine souplesse est éventuellement envisageable, sachant que des carences d’équipement limitées en volume de quelques mois peuvent éventuellement être absorbées par la planification militaire, sans remettre en cause le modèle. Ainsi, nous pouvons raisonnablement envisager ici qu’une baisse temporaire des moyens de formation de 15% sur 3 mois peut être envisagées pour cette mission.

Leclerc VAB Armee terre Alliances militaires | Analyses Défense | Artillerie

Il en va de même pour le respect du contrat opérationnel et des engagements français en matière d’alliance et de coopération internationale (point 3). Mais du fait de l’affaiblissement sensible et durable du potentiel militaire russe, et donc de l’aide qu’il peut éventuellement fournir à certains de ses alliés notamment en terme de forces et d’armement, la zone de tolérance peut être étendue avec une baisse temporaire maximum de 15 à 20% des capacités françaises, sur une durée ne pouvant excéder 1 à 2 ans, sachant qu’il demeure improbable par exemple que la Chine n’entreprenne une action militaire contre Taiwan dans ce créneau. Enfin, pour ce qui concerne les moyens strictement dédiés à l’engagement dit de haute intensité, dont l’utilisation probable envisagée est avant tout face à la Russie, une baisse temporaire de 15 à 20% des moyens opérationnels peut être envisagée sur une période plus étendue, de l’ordre de 3 à 5 ans, sachant qu’il est très improbable que la Russie puisse effectivement à nouveau représenter une menace conventionnelle crédible sur cette période, et que les autres théâtres d’intervention potentielle des armées françaises requièrent avant tout des forces de projection plus légères.

En outre, ces valeurs limites se doivent de respecter les 3 contraintes conjoncturelles définies précédemment. Ainsi, la livraison d’équipements doit être envisagée uniquement si les capacités industrielles pour les remplacer dans le délais imparti sont disponibles, et si la trajectoire budgétaire établie par les LPM présentes et à venir permettent leur financement. D’autre part, les volumes présentés comme transférables ne peuvent s’appliquer qu’aux équipements effectivement livrables à l’Ukraine dans le respect de la stratégie de controle de la conflictualité établie par les alliés. Il n’est ainsi pas question de livrer à Kyiv des avions Rafale ou une frégate même si de telles livraisons respecteraient la pondération des contraintes établies. Celles-ci doivent donc s’entendre par capacité, et non de manière globale ou budgétaire par mission.

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La livraison de certains materiels, comme les avions de combat, est pour l’heure exclue par les alliés, afin de ne pas provoquer de réactions excessives de la par de Moscou

Dès lors, il est possible d’établir une doctrine sur la base de ces valeurs qui, rappelons le, ne servent qu’un propos pédagogique, et ne doivent nullement être prise en compte différemment.

  1. Equipements liés à la mission de dissuasion : transfert interdit
  2. Equipements dédiés à la mission de formation et de montée en puissance des forces : Transfert limité autorisé, 15% maximum par famille d’équipement, pour une indisponibilité maximale de 3 mois, dans le respect de la stratégie internationale et de la planification militaire en cours et/ou à venir
  3. Equipements dédiés au contrat opérationnel : Transfert limité autorisé, 15% maximum par famille d’équipement pour une indisponibilité maximale de 2 ans, dans le respect de la stratégie internationale et de la planification militaire en cours et/ou à venir
    • Equipements spécifiques du contrat opérationnel lié à la mission de haute intensité : Transfert limité autorisé, 15% maximum par famille d’équipement pour une indisponibilité maximale de 5 ans, dans le respect de la stratégie internationale et de la planification militaire en cours et/ou à venir

Application de cette doctrine

Bien que basée sur des valeurs numériques de démonstration, cette doctrine ainsi définie offre une bien meilleure compréhension des capacités effectives de soutien miltaires de la France vers l’Ukraine, tant pour ce qui concerne ce qu’elle est effectivement en mesure de faire, que ce qu’elle ne peut absolument pas faire, au risque de mettre à mal sa propre planification militaire pourtant stratégique en ses temps troublés sur la scène internationale. Ainsi, il est possible de définir, par famille d’équipements, les seuils de materiels effectivement transférables vers l’Ukraine dans le contexte actuel, et ce de manière soutenable industriellement et budgétairement parlant, sans mettre à mal la sécurité nationale.

Char Leclerc : La trajectoire actuelle de la LPM prévoit la modernisation de 200 des 220 chars Leclerc en service au sein des unités françaises. Ces 220 tanks représentent le minimum nécessaire pour assurer le contrat opérationnel des Armées, ainsi que la formation des équipages. En outre, il n’existe aucune possibilité industrielle pour recevoir de nouveaux chars lourds d’ici 5 ans, alors que l’outil industriel dédié est déjà sous tension avec l’exécution des contrats Scorpion, CaMo et Caesar. Sauf à commander d’éventuels chars à l’international, ou à envisager l’extension des capacités industrielles dans ce domaine à très court terme, la livraison de Leclerc à l’Ukraine est inenvisageable.

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L’absence de capacités de reconstitution du parc de chars lourds de l’Armée de Terre exclue la possibilité de livrer des chars Leclerc à l’Ukraine

VAB – AMX10RC : La situation est toutefois différente concernant les blindés de transport de troupe de type VAB, et les chars legers AMX10RC. En effet, l’un comme l’autre sont en cours de remplacement par les blindés du programme Scorpion, respectivement le Griffon et le Serval pour le VAB, et le Jaguar pour l’AMX10RC. En application de cette doctrine, sachant que ces blindés sont essentiels au contrat opérationnel de projection de puissance, la France pourrait livrer à l’Ukraine jusqu’à 200 VAB, y compris dans certaines versions spécialisées Mephisto et autre, et jusqu’à 30 AMX10RC, sachant que ces blindés seront remplacés sous deux ans par les blindés du programme Scorpion, et que ces valeurs sont inférieures à 15% du parc.

CAESAR – AUF1 – LRU : En matière d’artillerie, la situation est plus complexe. Les 18 CAESAR déjà livrés par Paris ont sévèrement entamé le parc de l’Armée de terre, dépassant même le seuil de soutenabilité envisagé ici, avec un taux de transfert de 23% contre une limite à 15% évoquée. En outre, les nouveaux CAESAR qui seront livrés à l’Armée de terre ne le seront que d’ici 2025, au delà de la limite de 2 ans fixée. En d’autres termes, livrer des CAESAR supplémentaires n’est pas envisageable. Il serait possible, en revanche, de livrer jusqu’à 2 LRU, si tant est que Paris parvienne à obtenir des Etats-Unis un accord de livraison dans un délais de 5 ans de systèmes HIMARS. D’autre part, la livraison de 8 canons automoteurs AUF1 de 155mm peut être envisagée, ces blindés chenillés étant spécialisés dans le domaine de la haute intensité, et devant précisément être remplacés par les nouveaux CAESAR commandés à partir de 2025, soit dans la fenêtre de 5 ans exigée.

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La canon automoteur AUF1 de 155mm est une alternative transférable au CAESAR

SAMP/T Mamba – Crotale : L’Armée de l’Air dispose aujourd’hui de 8 batteries anti-aériennes à moyenne portée SAMP/T Mamba, un materiels par ailleurs réclamé à corps et à crie par Kyiv pour protéger ses grandes villes des frappes russes. 3 de ces batteries sont dédiées à la mission de dissuasion, en protégeant les bases aériennes de Mont de Marsan (escadrons Rafale équipés du missiles ASMPA), d’Istres (KC-135 et Phoenix) et de Saint-Dizier (Escadrons de chasse), mis en oeuvre dans le cadre des missions Poker. 3 batteries sont par ailleurs indispensables pour répondre au contrat opérationnel. De fait, sachant qu’il serait effectivement possible à la BITD française de livrer si besoin une batterie Mamba supplémentaire d’ici 2 ans, la France pourrait livrer une batterie Mamba à Kyiv. La situation est plus complexe concernant les batteries Crotale, car leur remplacement par de nouvelles batteries SAMP/T Mamba a été annoncée mais non planifiée. Si tant est que les premières livraisons puissent avoir lieu avant 2025, soit dans une fenêtre de 2 ans, il serait effectivement possible de livrer 2 batteries Crotale à l’Ukraine.

Conclusion

L’objectif de cet article était de poser le problème de l’aide militaire accordée par la France à l’Ukraine dans toute sa complexité, bien au delà des réponses émotionnelles qui guident la plupart des tribunes publiées sur le sujet depuis quelques mois. On le voit, aujourd’hui, les facteurs limitants sont complexes, intriqués et d’une portée étendue, et ne peuvent se limiter à la simple comparaison du niveau budgétaire de l’aide consentie par Paris dans ce domaine. Toutefois, au delà du cas ukrainien, cet exercice montre également l’intérêt de disposer d’une réelle doctrine pensée pour la problématique, qui peut tout à la fois faciliter la prise de décision politique dans l’urgence, que pondérer celles qui encadrent la programmation militaire. Car il est probable qu’au delà du cas ukrainien, d’autres crises émergeront à l’avenir dans le monde, et que cette question de l’aide militaire mobilisable par la France pour soutenir ses alliés, soit appelée à resurgir. On peut à ce titre s’interroger sur la pertinence de disposer d’un stock surnuméraire de materiels prêts à la sollicitation à court terme, que ce soit pour la vente ou le soutien stratégique, et de disposer ainsi d’un tampon stratégique permettant de ne pas risquer, à chaque fois, d’affaiblir les armées pour soutenir un allié.

Après l’Australie et la Norvège, la Suède va elle aussi se passer de ses hélicoptères NH90

Au milieu des années 80, la France, l’Allemagne fédérale, les Pays-Bas et l’Italie entreprirent de co-developper conjointement, dans le cadre d’un projet OTAN, un nouvel hélicoptère moyen destiné à la fois à remplacer les hélicoptères de manoeuvre de transport de troupe, et les appareils spécialisés dans la lutte anti-sous-marine à bord des frégates. La Grande-Bretagne rejoignit le programme en 1987, mais, comme à son habitude, s’en retira rapidement pour developper son propre appareil, le Merlin. En 1992 fut ainsi créé le consortium NHI (Nato Helcoptere Industry) rassemblant AgustaWestland (Futur Leonardo) pour l’Italie, Fokker pour les Pays-Bas et Airbus Hélicoptères pour la France et l’Allemagne. An 2001, le Portugal rejoignit le consortium, suivit quelques mois plus tard par la Finlande, la Suède et la Norvège qui choisirent l’appareil européen pour le programme NSHP (Nordic Standard Helicopter Project). Doté de performances avancées notamment en terme d’autonomie, de commandes de col électrique et d’une avionique très moderne, l’hélicoptère remporta par la suite plusieurs succès sur la scène internationale, choisi notamment par l’Australie et la Nouvelle-Zelande, la Grèce, l’Espagne, Oman et le Qatar. Au total, 566 appareils ont été commandés par 14 pays, dont 418 en version de transport terrestre et 148 en version navale.

En dépit de ces succès commerciaux, le programme européen rencontra de nombreuses difficultés, avec notamment des délais et des surcouts importants. Surtout, plusieurs utilisateurs se sont régulièrement plaints de la faible disponibilité de leurs appareils, ainsi que des couts excessifs de mise en oeuvre et de possession, dépassant les 10.000 € par heure de vol selon plusieurs études indépendantes, soit les couts de maintenance d’un avion de combat comme le F-16. En outre, il semble que de plusieurs forces armées aient rencontré d’importantes difficultés pour entretenir leurs appareils comme dans la gestion de leurs stocks de pièces détachées, ainsi que dans les délais de modernisation des hélicoptères. Ces difficultés ont amené en 2020 la Belgique puis l’Australie a annoncé le retrait de certains de leurs appareils, alors qu’en juin 2022, Oslo annonça sa décision de purement et simplement rendre au consortium NHI l’ensemble de ses 14 NH90 alors qu’ils ne parviendraient selon le ministère de La Défense norvégien, à n’assurer que 40% du contrat opérationnel prévu.

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Les NH90 TTH Belges font l’objet d’une restriction d’utilisation, et seront probablement remplacés d’ici 2025

La série noire pour NHI semble ne pas vouloir s’arrêter. En effet, à l’occasion de la présentation du nouveau plan d’investissement et d’équipement Défense, le Chef d’état-major des armées suédoises a annoncé, le 1er novembre, la décision de Stockholm d’emboiter le pas d’Oslo, et de se séparer des 13 NH90 HKP14E mis en oeuvre par l’Armée de terre, ainsi que des 5 HKP14F spécialisés dans la lutte anti-sous-marine et mis en oeuvre par la marine suédoise. Les premiers seront rapidement remplacés par les UH-60 Blackhawk américains, alors que le modèle qui remplacera les hélicoptères de lutte anti-sous-marine n’a pas encore été annoncé, même si le MH-60R Romeo fait figure de grand favori. La décision suédoise est motivée, selon le General Micael Byden, chef d’état-major des armées suédoises, par les couts de modernisation demandés par NHI en particulier pour la version de lutte ASM, ainsi que par d’importants problèmes de disponibilité et de maintenance, et des couts de possession très importants. A ce titre, en 2018, un rapport de la cours de compte suédoise avait estimé le prix de l’heure de vol de la version ASM de l’appareil à  242,000 couronnes, soit plus de 25.000 €, alors que les forces armées suédoises avaient déjà du commander 15 UH-60 pour faire face aux délais de livraison de l’appareil européen.

A l’instar de ce qui fut fait lors des annonces précédentes venant le Belgique, d’Australie et de Norvège, NH Industrie a immédiatement réagi en proposant des solutions visant à augmenter la disponibilité et à réduire les couts de maintenance de la flotte suédoise, ainsi qu’en mettant en avant le poids des modernisations sur la disponibilité immédiate de la flotte, et en soutenant que celle-ci serait supérieure à la disponibilité moyenne des modèles équivalents, notamment dans le domaine naval. Toutefois, il n’est pas certain qu’expliquer à un utilisateur visiblement mécontent de longue date que les difficultés rencontrées sont conjoncturelles et que la situation ne serait pas meilleures ailleurs, soit la meilleure des approches. Ces mêmes explications ne parvinrent d’ailleurs pas à adoucir les décisions des 3 autres forces armées, visiblement excédées des problèmes rencontrés et des couts jugés excessifs.

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Comme l’Australie et la Norvège, la Suède entend se tourner vers l’UH-60 Blackhawk américain, un appareil pourtant plus vieux de 20 ans que le NH90, pour remplacer sa flotte.

Reste que les difficultés rencontrées par NHI pour satisfaire aux exigences de ses clients ne sont en rien nouvelles, et trouvent leurs racines dans l’extrême complexité de ce programme européen piloté davantage pour satisfaire les attentes industrielles et spécifiques de chacun de ses partenaires, que pour effectivement produire un appareil opérationnel répondant aux rudes exigences du combat. Ainsi, pas moins de 28 versions différentes du NH90 ont été conçus, soit 2 par clients, chacune ayant ses propres spécificités, alors que le socle technologique commun ne représente que 75% de chaque aéronef. Cette sur-spécialisation de chaque aéronef, associée à des flottes souvent réduites à quelques appareils, portaient en elles les bases des nombreuses difficultés rencontrées par NHI tant pour assurer un flux logistique efficace que pour garantir un processus de maintenance et de modernisation performant. Dans le même domaine, l’absence de versions produites massivement pour un ou plusieurs utilisateurs, n’a pas favorisé l’émergence d’un véritable standard sur lequel s’appuyer pour les utilisateurs de micro-flottes, pour en réduire les couts de maintenance comme d’évolution. Il est d’ailleurs plus que probable que les UH-60 et MH-60 qui seront commandés par l’Australie, la Norvège et la Suède pour remplacer leurs NH90, seront très proches des standards en service au sein de l’US Army et de l’US Navy, précisément pour profiter de cette dynamique industrielle.

De fait, le programme NH90 européen représente, aujourd’hui, probablement la parfaite illustration de ce qu’il convient d’éviter de faire, en particulier pour ce qui concerne un programme en coopération rassemblant plusieurs industriels et BITD. Autant il peut être performant de concevoir un ensemble de briques technologiques partagées pour permettre à chaque acteur de developper un équipement propre pour en réduire certains couts (comme par exemple le système PAAMS pour les frégates Françaises, italiennes et britanniques), et qu’il est évidement performant de produire des équipements dans des standards très proches pour en accroitre le volume de production (comme le programme CAMo franco-belge, mais également le programme A330 MRTT), autant s’engager dans un programme déstructuré comme le NH90 s’avère très risqué et de toute évidence bien peu efficace, tant du point de vue budgétaire qu’opérationnel. En d’autres termes, en l’absence d’un accord ferme vis-à-vis d’un standard partagé ferme et étendu, il est très probablement préférable de se tourner, pour ce type de programme, soit vers une solution nationale, soit vers une coopération sous la forme de briques technologiques co-developpées. On espère que les enseignements issus des difficultés rencontrées par le programme NH90, ne seront pas ignorées lors des négociations en cours concernant les programmes d’avions de combat de nouvelle génération SCAF et de char de combat MGCS.

Faut-il s’inspirer de la doctrine 3 axes sud-coréenne pour contenir la menace nucléaire russe en Europe ?

En matière de dissuasion, la doctrine classique employée depuis le début de la guerre froide, s’appuie sur l’équilibre des capacités de frappe et de riposte nucléaires de part et d’autres. Au delà du théâtre européen et de l’affrontement entre le Pacte de Varsovie et l’OTAN durant la seconde moitié du XXème siècle, celle-ci a également été appliquée ailleurs sur la planète, comme dans le bras de fer que se livrent l’Inde et le Pakistan, ou dans le controle de la menace nucléaire chinoise et nord-coréenne par les Etats-Unis.

Principale cible potentielle des missiles nord-coréens, la Corée du Sud, pour sa part, n’est pas dotée d’armes nucléaires. Mais contrairement au Japon, ou d’une majorité des pays européens, qui s’appuient sur le parapluie nucléaire américain pour contrôler la menace, Séoul a développé, en parallèle de celui-ci, une doctrine conçue pour permettre au pays de neutraliser la menace nucléaire nord-coréenne le cas échéant, et ce sans devoir s’appuyer sur les moyens déployés par les Etats-Unis pour protéger le pays.

La doctrine 3 axes sud-coréenne

Désignée « Doctrine 3 axes« , celle-ci s’appuie sur 3 volets complémentaires destinés à priver Pyongyang de ses capacités de frappe nucléaire. En premier lieu, les armées sud-coréennes se dotent de moyens capables de frapper et détruire avec un préavis très court les sites de lancement nord-coréens, qu’ils soient basés à terre ou en mer, dès lors que les autorités sud-coréennes auraient la certitude de l’imminence de frappes nucléaires lancées par Pyongyang.

En second lieu, le pays déploie un important et dense réseau de défenses anti-aériennes et anti-missiles pour intercepter les vecteurs lancés par les armées nords coréennes qui auraient échappés aux frappes préventives.

Enfin, le troisième volet suppose la destruction de l’ensemble des sites stratégiques nord-coréens par des frappes conventionnelles de précision, qu’il s’agisse des centres de commandement et de communication, des noeuds logistiques et de toutes les cibles à forte valeur ajoutée, de sorte à priver Pyongyang de ses capacités à commander, coordonner et soutenir son importante armée.

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La Corée du Nord dispose désormais de systèmes balistiques mobiles à carburant solide pouvant être mise ne oeuvre avec un préavis très court.

On notera à ce titre que cette doctrine « 3 axes » est probablement mal désignée, car un quatrième axe, conditionnant les 3 autres, est indispensable pour sa mise en oeuvre. Il est en effet nécessaire que Séoul et ses armées aient accès à de très importantes et efficaces capacités de renseignement vis-à-vis des moyens à la disposition de l’adversaire, puisqu’il est requis non seulement d’anticiper des frappes nucléaires à venir, mais également de localiser avec précision l’ensemble des capacités à disposition de Pyongyang pour les détruites avec un préavis particulièrement réduit.

En outre, Séoul se doit de disposer de moyens de frappe extrêmement réactifs, d’autant que la Corée du Nord dispose désormais de nouveaux missiles à carburant solide pouvant être mis en oeuvre par des systèmes mobiles avec des délais courts. De fait, au delà des moyens militaires de conduite des frappes préventives, Séoul doit également disposer d’une capacité de renseignement très efficace, et d’une chaine de commandement raccourcie pour pouvoir être appliquée.

L’effort de défense sud-coréen face à pyongyang

Pour y parvenir, Séoul s’est doté, depuis une vingtaine d’années, de nouvelles capacités développées par sa propre industrie, notamment pour ce qui concerne des missiles balistiques et de croisière supersoniques indispensables pour obtenir la destruction des capacités nucléaires nord-coréennes avant qu’elles ne puissent être mise en oeuvre, mais également de systèmes anti-missiles et anti-balistiques propres et indépendants des systèmes déployés par les forces américaines présentent sur place.

En outre, un effort très important est entrepris pour localiser et suivre les moyens nucléaires nord-coréens, qu’il s’agisse de satellites de surveillance, de moyens de renseignement électronique et d’une vaste flotte de drones navals et aériens en cours de constitution, destinée notamment à garder sous controle les futurs nouveaux sous-marins nords coréens équipés de missiles balistiques de la classe Sinpo.

Dès lors, malgré l’absence de têtes nucléaires ni même d’autre type d’armes de destruction massive, Séoul est parvenu, par cette doctrine, à se doter d’une capacité de dissuasion purement conventionnelle, susceptible de contenir la menace nord-coréenne y compris en dehors du parapluie nucléaire américain.

Les 3 destroyers de la classe Jeongjo le Grand emporteront des missiles antibalistiques SM3 pour renforcer les capacités d'interception antimissiles du pays, en application de la doctrine 3 axes
Les 3 destroyers de la classe Jeongjo le Grand emporteront des missiles antibalistiques SM3 pour renforcer les capacités d’interception antimissiles du pays, en application de la doctrine 3 axes

Cela posé, il apparait que le contexte de la péninsule nord-coréenne n’est pas sans rappeler celui qui touche à nouveau l’Europe aujourd’hui, avec la menace désormais évidente que représente la Russie et l’usage potentiel régulièrement agité par Moscou de ses capacités de frappe nucléaires, qu’elles soient à vocation tactique pour frapper des concentrations de force et des moyens militaires à très forte valeur ajoutée, ou stratégique pour détruire massivement villes et population.

Applicabilité au contexte européen de la doctrine 3 axe

Comme pour la Corée du Sud, l’Europe repose principalement sur le parapluie nucléaire promis par les Etats-Unis pour y faire face, avec quelques spécificités, comme la dissuasion partagée au sein de l’OTAN reposant sur des bombes nucléaires gravitationnelles mises en oeuvre par les forces aériennes européennes mais dont l’activation est controlée depuis Washington, ainsi que les dissuasions françaises et britanniques qui, avec un total de 8 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, et deux escadrons de chasse à capacité nucléaire pour la France, sont loins d’être négligeables, même sans être intégrées au sein d’une doctrine de défense collective.

Dès lors, pour l’immense majorité des pays européens, on peut penser que la doctrine « 3 axes » mise en oeuvre par Séoul pourrait représenter une réponse conventionnelle et autonome à la menace russe pertinente. Si l’hypothèse est séduisante de prime abord, son application serait cependant beaucoup plus complexe.

En effet, là où la Corée du Nord ne dispose, selon les estimations, que d’une quarantaine de têtes nucléaires, Moscou en aligne plus de 2000, et dispose de 4000 têtes supplémentaires en stock, ainsi que d’une vaste panoplie de vecteurs potentiels, avec une centaine de bombardiers stratégiques, plusieurs centaines de missiles balistiques et autant de missiles de croisière à capacité nucléaire.

Enfin, le territoire russe est considérablement plus étendu, et donc beaucoup plus difficile à surveiller de manière exhaustive comme c’est le cas pour le territoire nord-coréen au sein de la doctrine sud coréenne.

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Le Sky Shield imaginé par Berlin s’appuiera sur un système anti-balistique exo-atmosphérique comme l’Arrow 3 israélien

Toutefois, si la doctrine « 3 Axes » n’est pas applicable en l’état pour contrôler intégralement la menace nucléaire russe, peut-être peut-elle servir de base à la conception d’une doctrine européenne s’appuyant sur les spécificités de ce théâtre et de ces acteurs ?

Le bouclier anti-missile european sky shield

Dans ce contexte, l’initiative allemande pour créer un bouclier anti-missile européen, qui a déjà fédéré une quinzaine de pays sur le vieux continent, et qui s’appuiera sur une defense multicouche intégrant un système anti-balistique exo-amosphérique comme l’Arrow 3 israélien, un système endo-atmosphérique bas basé sur le Patriot PAC, et un système à courte et moyenne portée pour contrer les missiles de croisière comme l’Iris-T SLM, pourrait ainsi constituer une première étape vers une telle doctrine.

Malheureusement, à lui seul, le Sky Shield allemand ne pourra pas constituer une réponse conventionnelle pouvant effectivement contrôler la menace nucléaire russe, et ne pourra jouer, dès lors, qu’un rôle superficiel dans la dissuasion européenne.

Ainsi, en l’absence de capacité de destruction des moyens russes avec un préavis très court pour en limiter le volume, le bouclier anti-missile européen imaginé par Berlin sera très exposé à des frappes massives pour en saturer les moyens, ce d’autant que la Russie dispose potentiellement de nombreux vecteurs similaires armés de charge conventionnelle qu’il est impossible de distinguer des systèmes équipés d’une charge nucléaire; que ce bouclier anti-missile n’est pas homogène géographiquement parlant, et qu’à priori, seule l’Allemagne disposera du système Arrow 3 capable d’engager les missiles balistiques à moyenne et longue portée.

Au delà de l’efficacité structurellement limitée du bouclier Sky Shield, les pays européens ne disposent d’aucun système d’arme balistique conventionnel à courte ou moyenne portée, seul capable d’effectuer des frappes de décapitation des capacités nucléaires adverses dans les délais requis, et n’alignent qu’un nombre de missiles de croisière très insuffisant pour éliminer les cibles militaires sur lesquels les forces adverses pourraient s’appuyer dans l’hypothèse d’une offensive massive.

Enfin, les capacités de renseignement dont disposent les pays européens ne permettent pas à ce jour de localiser et de suivre les moyens russes, s’appuyant avant tout sur les renseignements collectés par les Etats-Unis pour ce type de mission.

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Pendant la Guerre Froide, la France disposait de 40 systèmes Pluton opérationnels au sein de 5 régiments

Conclusion

On le voit, toute séduisante qu’elle puisse être, la doctrine « 3 axes » mise en oeuvre par Séoul est difficilement applicable en Europe. Elle peut toutefois servir de fil directeur pour accroitre la resilience européenne face à la menace nucléaire russe, même si, pour l’heure, rien n’indique que les européens en prennent la direction.

Il serait effet indispensable pour y parvenir de developper d’importantes capacités de frappe conventionnelle s’appuyant notamment sur des vecteurs balistiques et hypersoniques capables de réduire le volume de la menace, de déployer une defense anti-balistique bien plus homogène que celle envisagée à ce jour, et d’accroitre considérablement les capacités de renseignement dont disposeraient en propre les européens.

Enfin, il serait pertinent de s’appuyer sur les spécificités de ce théâtre, et notamment sur les moyens et savoir-faire dont disposent la France et la Grande-Bretagne en matière de dissuasion nucléaire, de sorte à articuler une réponse cohérente et effectivement pleinement dissuasive vis-à-vis de Moscou.

Une chose est certaine, ce n’est certainement pas en pariant sur des objectifs de politique intérieure et d’influence européenne, ni en ne s’appuyant que sur la bonne volonté américaine à défendre ses alliés, comme c’est le cas aujourd’hui, que le vieux continent sera en mesure, par lui même, de contenir efficacement la menace russe. C’est probablement là que réside, pour les européens, les plus grands enseignements issus de la doctrine sud-coréenne.

Les sous-marins chinois bientôt dotés de batteries Lithium-ion ?

Selon la presse chinoise, les sous-marins chinois Type 039A classe Yuan pourraient être bientôt équipés de batteries lithium-ion, ce qui leur conférerait des performances accrues, y compris au-delà de la première ligne d’iles entourant le pays.

Dans l’hypothèse d’une action militaire contre Taïwan pour prendre le contrôle de l’ile autonome depuis 1949, le flotte sous-marine de la marine chinoise serait appelée à jouer un rôle stratégique, notamment en tenant en respect les éventuelles flottes américaines et alliées qui pourraient venir en soutien de Taipei.

En effet, en l’absence d’un nombre suffisant de porte-avions comme d’avions ravitailleurs pour assurer un blocus naval et aérien capable de s’opposer à la puissance occidentale, il reviendrait aux sous-marins de la Marine chinoise de repérer et designer les cibles aux systèmes anti-navires chinois à longue portée, comme les DF-21D et les DF-26, mais également pour guider les éventuelles attaques menées par les bombardiers à long rayon d’action chinois.

Or, la marine chinoise ne peut s’appuyer, à ce jour, que sur 6 sous-marins nucléaires d’attaque Type 09-III classe Shang et Shang-G, et doit donc principalement s’appuyer sur sa flotte de sous-marins à propulsion conventionnelle pour mener cette mission.

La quarantaine de sous-marins d’attaque conventionnels modernes des classes Song et Yuan, ainsi que la dizaine de submersibles de conception russe Kilo et Improved Kilo, en service au sein des flottes chinoises, offrent des performances loin d’être négligeables pour ce qui concerne la lutte anti-navire et anti-sous-marine à proximité des côtes chinoises et dans les mers proches, comme la Mer de Chine du Sud

Ces navires souffrent cependant d’une faible autonomie et capacité énergétique en plongée pour mener des missions d’interdiction en haute mer, comme celles qui seraient nécessaires pour tenir à distance la flotte alliée et sa cohorte de sous-marins nucléaires d’attaque d’escorte parfaitement adaptés à leur mission.

Même la vingtaine de Type 039A classe Yuan, qui disposent d’un système AIP (Air Independant Propulsion) dérivé du système Stirling, et donc d’une autonomie en plongée étendue pour peu qu’ils gardent une faible vitesse, seraient lourdement désavantagés face aux SNA occidentaux et notamment américains dans une telle hypothèse, obligés qu’ils sont de faire surface pour recharger leurs batteries et de n’évoluer qu’à faible vitesse en plongée.

Sous-marins chinois à propulsion nucléaire Type 09-III
La Marine chinoise ne dispose à ce jour que de 6 SNA modernes Type 09-III des classes Shang et Shang-G

Dans ce domaine, une nouvelle technologie héritée de l’industrie automobile chinoise pourrait bientôt changer la donne pour Pékin et sa marine. En effet, selon le site hongkongais (et désormais très proche de Pékin) South-China Morning Post, la Marine chinoise pourrait prochainement entamer l’installation de batteries Lithium-Ion à bord de ses sous-marins à propulsion conventionnelle, en lieu et place des traditionnelles batteries plomb-acide employées depuis près d’un siècle à bord des sous-marins.

Pour cela, l’état-major chinois entendrait s’appuyer sur les progrès réalisés dans ce domaine par l’industrie automobile chinoise, devenue leader mondial des voitures électriques, et disposant d’une expertise avancée en matière de batteries Lithium-Ion. Initialement développées pour les équipements mobiles comme les Smartphones et tablettes tactiles, les batteries Lithium-Ion ont depuis conquis le marché de l’automobile électrique.

Elles offrent en effet des capacités de charge accrues, mais également des délais de rechargement réduits et un pic de puissance restituée très supérieur aux batteries traditionnelles, autant d’atouts critiques pour les sous-marins.

D’ailleurs, plusieurs constructeurs occidentaux ont déjà annoncé s’être tournés vers ce type de batteries pour leurs nouveaux modèles, comme c’est le cas de l’Allemagne concernant les Type 212CD, le Japon pour les Taïgei et la France pour les Barracuda, le plus souvent associées à un système AIP à pile à combustible, offrant au submersible une autonomie en plongée démultipliée tout en conservant des capacités de manœuvre à vitesse beaucoup plus soutenue que précédemment.

Pour Pékin, l’installation de batteries Lithium-Ion à bord de ses sous-marins AIP comme les Type 039A de la classe Yuan, permettrait effectivement de considérablement densifier son dispositif défensif destiné à garder à distance les flottes alliées dans l’hypothèse d’une opération contre Taïwan, qu’il s’agisse d’un blocus ou d’un assaut.

Dans le cas contraire, il est probable que les options chinoises seraient beaucoup plus limitées, probablement à un blocus de la côte occidentale de l’ile, tout du moins jusqu’à ce que la flotte de SNA chinois parvienne à neutraliser celle mobilisable par l’US Navy et ses alliés.

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Le nouveau porte-avions chinois Fujian met en œuvre des catapultes et brins d’arrêt électromagnétiques, comme la nouvelle classe de porte-avions nucléaires Gerald Ford de l’US Navy.

Pour autant, même si les constructeurs automobiles chinois maitrisent effectivement cette technologie, sa transposition dans le domaine sous-marin est loin d’être simple, ni acquise.

En effet, ces batteries demeurent difficiles à exploiter, surtout dans un contexte aussi contraignant qu’à bord d’un sous-marin, et les risques sont importants, notamment en ce qui concerne les explosions en série pouvant amener à la perte du navire, avec des conséquences bien plus dramatiques que lorsqu’il s’agit d’une automobile.

Reste que les ingénieurs chinois ont montré, ces dernières années, leurs capacités à résoudre des problèmes technologiques d’une grande complexité, et maitrisés par très peu de pays, comme c’est le cas des catapultes et brins d’arrêt électro-magnétiques qui équipent le nouveau porte-avions Fujian.

Considérant les bénéfices potentiels très importants qu’une telle technologie pourrait, à relativement court terme, conférer aux forces navales chinoises dans l’hypothèse d’une confrontation autour de Taïwan, il est plus que probable que le sujet soit effectivement pris très au sérieux par l’état-major naval chinois, et que les premiers submersibles équipés de ce type de batteries arborant l’étoile chinoise ne tarderont pas à naviguer.

La Marine sud-coréenne prend un rôle stratégique étendu face à l’évolution de la menace nucléaire nord-coréenne

Face à l’arrivée de nouveaux vecteurs nucléaires nord-coréens, la Marine sud-coréenne se dote de capacités de première frappe vers la terre afin de prendre pleinement sa place dans la doctrine 3 axes assurant la balance stratégique face à Pyongyang.

Jusqu’à la fin des années 2010, la menace posée par les systèmes stratégiques de Corée du Nord, était essentiellement composée de missiles balistiques sol-sol à capacité nucléaire, avec des systèmes à courte portée de la famille SCUD, puis, dès le début des années 2000, l’apparition de systèmes de facture purement nationale, comme le missile balistique à moyenne portée Hwasong-7 ou Nodong-1.

À partir de la seconde moitié des années 2010, de nouveaux systèmes indigènes à hautes performances ont été testés par Pyongyang, qu’il s’agisse de missiles balistiques à trajectoire semi-balistique comme le KN-17, de missile intercontinentaux comme le Hwasong-14, et même de missiles balistiques à changement de milieux et de missiles dotés de planeurs hypersoniques KN-23, ainsi que de nouveaux modèles de missiles de croisière.

Dans le même temps, la Marine nord-coréenne entreprit de se doter d’une nouvelle classe de sous-marins dérivée de la classe Romeo soviétique et désignés classe Sinpo, capables de mettre en œuvre des missiles balistiques à changement de milieux SLBM, faisant peser une nouvelle menace sur son voisin, et surtout de mettre à mal la doctrine « 3-axes » mise en œuvre par Séoul.

En effet, pour faire face à la menace nucléaire de Pyongyang, les forces armées sud-coréennes ont développé une doctrine susceptible de la contenir, articulée autour de trois volets complémentaires : l’utilisation de frappes préventives contre les sites et capacités nucléaires de Corée du Nord, dès lors que la menace de frappe nucléaire est jugée imminente, l’interception des vecteurs nucléaires grâce à un important maillage de systèmes de détection et d’interception à capacité anti-balistique, et un ensemble de frappes massives conventionnelles pour décapiter les capacités de commandement, de communication et logistique de l’adversaire.

Dans ce contexte, l’apparition de nouvelles menaces, en particulier de sous-marins nord-coréens capables de mettre en œuvre des armes balistiques à capacité nucléaire, a naturellement transformé la topologie de la menace, à laquelle répond désormais la profonde transformation touchant la Marine sud-coréenne, notamment en lui conférant un nouveau rôle dans la doctrine « 3-axes ».

La Marine sud-coréenne s'est doté de navires équipés de missiles anti-balistiques pour densifier le bouclier antimissile du pays
Lancement du destroyer Jeongjo le Grand en juillet 2022, premier navire du second batch du programme KDX, doté de capacités anti-balistiques avec le missile SM-3 Block1B et le radar SPY-1D(v)

Pour cela, la Marine sud-coréenne a entamé un important effort afin de se doter d’une vaste flotte de systèmes autonomes, qu’il s’agisse de drones navals de surface et sous-marins, ainsi que de drones aériens.

Ainsi, si aujourd’hui les systèmes autonomes, comme le drone sous-marin de lutte anti-sous-marine ASWUUV en développement depuis 2017, ne représentent que 1% des équipements alignés par la Marine du pays, l’objectif annoncé désormais est d’atteindre 9% à horizon 2025, presque 30% à horizon 2030 et un objectif final de l’ordre de 45% au début des années 2040.

Ils auront pour fonction précisément de garder en permanence sous contrôle les capacités navales nord-coréennes, et notamment d’être en mesure de suivre et donc de détruire avec un court préavis les navires et sous-marins équipés de systèmes à capacité nucléaire, qu’il s’agisse de sous-marins armés de missiles SLBM ou de corvettes et frégates potentiellement équipées de missiles de croisière, et ainsi que satisfaire au premier des volets de la doctrine. Mais le rôle de la marine sud-coréenne ne s’arrêtera pas là.

En effet, celle-ci va prochainement recevoir, au cours de l’année à venir, le premier des trois destroyers de la classe Jeongjo le grand, évolution du grand destroyer anti-aérien de la classe Sejong le Grand, spécialement conçu pour répondre au second volet de la doctrine « 3 axes ».

En effet, là où les Sejong le Grand emportent 128 silos verticaux, principalement armés de missiles anti-aériens SM2, les Jeongjo le Grand emporteront seulement 88 silos, mais seront dotés de capacités anti-balistiques avec le missile SM-3 Block1B de facture américaine, possiblement des missiles SM-6 polyvalents, mais également à capacité anti-balistique, le tout adossé sur le radar SPY-1D(v) et le système de combat Aegis Baseline 9.C2, précisément conçu pour pouvoir assurer cette fonction et contrer les missiles balistiques adverses, y compris deux à moyenne et longue portée.

Les trois nouveaux destroyers pourront alors assurer un bouclier anti-missile naval pour contrer les menaces mises en œuvre à partir de navires et sous-marins ayant échappé à la frappe préventive, mais également face aux systèmes sol-sol et air-sol de nouvelle génération, susceptibles de suivre des trajectoires complexes.

À partir de 2025, une nouvelle classe de destroyers, désignée KDDX, entrera à son tour en service à raison d’un navire par an, et disposera, elle aussi, de capacités anti-balistiques reposant cette fois sur un ensemble radar missiles de facture nationale.

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La ASWUUV sud-coréen est conçu pour pister les sous-marins nord-coréens, en particulier les navires susceptibles de mettre en œuvre des missiles à capacité nucléaire.

Enfin, l’ensemble des nouveaux navires qui rejoignent la marine sud-coréenne, qu’il s’agisse des sous-marins de la classe Dosan Ahn Changho, des destroyers de la classe Sejong et Jeongjo, et des frégates de la classe Daegu, tous sont équipés de capacités de frappe vers la terre, avec notamment des missiles de croisière et le missile balistique à changement de milieux Hyunmoo 4-4.

Avec à terme 18 destroyers, 24 frégates et autant de sous-marins disposant de ce type de capacité, la Marine sud-coréenne sera en mesure de concentrer un feu d’une grande intensité sur les installations à forte valeur ajoutée de l’adversaire, complétant en cela les capacités déjà disponibles au sein de l’Armée de terre et des forces aériennes du pays, le tout dans une chaine de commandement réorganisée pour répondre aux délais particulièrement courts dans lesquels ces capacités doivent être mises en œuvre pour effectivement neutraliser la menace nord-coréenne.

Enfin, cette réorganisation en profondeur de la Marine de Séoul a donné lieu à la transformation du Corps des Marines du pays en une force armée indépendante, à l’image de l’US Marines Corps, devenant ainsi la 4ᵉ force armée du pays aux côtés de l’Armée de terre, de la Marine et de l’Armée de l’Air.

Initialement intégré à la Marine, le corps des marines coréens, souvent désigné par l’acronyme ROK Marines, a été créé en 1949 pour mener des opérations amphibies. Il se compose de deux divisions fortes, chacune de trois brigades de marines et d’une brigade d’artillerie, ainsi que d’un bataillon de char, un bataillon de véhicules amphibies, un bataillon de génie, un bataillon de transmission, un bataillon de reconnaissance, un bataillon logistique et un bataillon de maintenance.

Au total, le ROK Marines Corps aligne une force de 29.000 hommes, et dispose d’une capacité d’engagement autonome avec notamment 2 bataillons d’hélicoptères de manœuvre et un bataillon d’hélicoptères de combat.

En devenant une force armée à part entière, on peut s’attendre à ce qu’à l’instar de l’US Marines Corps, celui-ci se voit doter de nouvelles capacités, comme d’une aviation de combat (éventuellement embarquée), des capacités de renseignement et cyber, ainsi que de frappes dans la profondeur.

On notera également que maintenant que le programme de porte-avions sud-coréen est confirmé, les deux porte-hélicoptères d’assaut de la classe Dokdo seront pleinement consacrés à la manœuvre amphibie, épaulés en cela par les 4 LST de la classe Cheon Wang Bong, offrant au ROK Marines une capacité de projection de puissance sur le théâtre coréen des plus significatives.

On le voit, d’une force essentiellement dédiée à la protection côtière dans les années 70 et 80, la Marine sud-coréenne a évolué vers une Marine de haute mer, disposant de capacités très étendues, y compris dans le domaine de la protection anti-balistique, tout en ayant conservé un tropisme marqué pour contrer la menace nord-coréenne.

Surtout, les transformations annoncées par Séoul ces derniers jours, s’inscrivent pleinement dans un processus engagé de longue date et avec une grande anticipation, puisque celle-ci disposera effectivement des nouvelles capacités requises pour assurer ses nouvelles missions concomitamment à l’évolution de ses prérogatives.

De toute évidence, la Maison bleue et son État-major ont su très efficacement anticiper et réagir aux évolutions de la menace régionale, en particulier celles de son voisin nord-coréen, sans jamais se retrouver pris au dépourvu, et en insufflant à ses armées comme à son industrie de défense une dynamique qui aujourd’hui portent très clairement ses fruits, y compris et en dépit d’une situation internationale dégradée.

Force est de constater que le contraste est saisissant avec les pays européens, qui auront dû attendre de faire face à la plus importante guerre sur le vieux continent depuis la fin de la seconde guerre mondiale pour enfin prendre conscience de la réalité de la menace qui pesait sur eux…

La Chine va-t-elle accentuer son soutien à la Russie face à l’Ukraine ?

Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine le 24 février, les autorités chinoises ont maintenu une posture de neutralité bienveillante vis-à-vis de la Russie. Conformément aux positions officielles chinoises sur la scène internationale, Pékin a à plusieurs reprises appelé au respect des frontières et de l’intégrité territoriale des Etats, ainsi qu’à une solution négociée. A l’occasion du XXème Congrès du Parti communiste Chinois qui entérina la mainmise de Xi Jinping sur le parti et donc sur le pays, ce dernier à toutefois sensiblement durci son discours face aux Etats-Unis et l’occident dans son ensemble, notamment au sujet de Taïwan, et a annoncé qu’un effort sans équivalent serait produit par le pays afin de moderniser l’Armée Populaire de Libération dans les 5 années à venir (la durée du mandat présidentiel en Chine), faisant peser une menace renouvelée et accentuée sur l’ile autonome revendiquée par Pékin au titre de l’antériorité historique. Et selon le communiqué publié par le ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, pour répondre au message de félicitation adressé par Vladimir Poutine à son homologue Xi Jinping à l’occasion de son élection à une troisième mandat, il semble bien que Pékin ait engagé une évolution de ses positions en faveur d’un rapprochement avec Moscou, y compris dans le très contesté domaine de la guerre en Ukraine.

Selon le communiqué, et après les formules d’usage pour glorifier le président chinois, Wang Yi explique en effet que la Chine soutiendra avec force la partenariat sino-russe, mais également les initiatives de Moscou visant à « surmonter les difficultés, éliminer les troubles, réaliser les objectifs stratégiques de développement et asseoir davantage le statut de la Russie en tant que grande puissance sur la scène internationale.« . Et d’ajouter « C’est le droit légitime de la Chine et de la Russie de réaliser leur propre développement et revitalisation, qui est pleinement conforme à la tendance de développement de l’époque. Toute tentative de bloquer les progrès de la Chine et de la Russie ne réussira jamais.« , créant de toute évidence un parallèle direct entre les revendications territoriales russes en Ukraine et celles de Pékin concernant Taïwan, et rompant de fait avec la posture suivie jusqu’à présent par la diplomatie chinoise.

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Le XXème Congrès du PCC a permis à XI Jinping de faire main-basse sur l’ensemble des organes décisionnaires du parti, et de lancer un important effort de modernisation de l’Armée Populaire de Libération

Le fait est, les contradictions de la position chinoise ont été largement soulignées par l’agression russe contre l’Ukraine. En effet, officiellement, Pékin refuse toute redéfinition des frontières internationales, et appelle à résoudre les différents territoriaux par la voie de la négociation. En revanche, cette position est écartée lorsqu’il s’agit des ambitions chinoises, que ce soit au sujet de la Mer de Chine du Sud, mais également de Taïwan, Pékin refusant par exemple obstinément que Taïpe puisse organiser un référendum d’autodétermination, ceci constituant un casus belli pour les autorités chinoises qui entrainerait le déclenchement immédiat d’une opération militaire. Cette posture est évidemment incompatible avec les agissements russes en Ukraine, ces derniers ayant non seulement mené une opération militaire de conquête, mais également justifié les gains territoriaux par des referendums, certes factices, mais des referendum tout de même. Pour autant, pour Pékin, il est également absolument indispensable que Moscou sorte, si pas vainqueur de cette guerre, en tout cas en justifiant à minima de gains territoriaux et d’un pat stratégique. Et il semble bien que ce dernier aspect ait pris le pas sur les positions publiques chinoises traditionnelles.

En effet, une victoire militaire ukrainienne contre l’opération du Kremlin constituerait une grave menace sur les ambitions de Pékin contre Taiwan. D’une part, elle conforterait les occidentaux dans l’efficacité de leur soutien militaire et économique, et donc dans la réponse commune et forte des américains, européens et de leurs alliés asiatiques face, par exemple, à une offensive contre l’ile autonome. En outre, elle conforterait également la confiance des Taïwanais eux-mêmes quant à leurs chances de résister à une offensive chinoise, avec le risque de voir l’éventuel conflit s’enliser et les pertes s’accumuler, comme c’est le cas pour la Russie en Ukraine. Or, comme Moscou, Pékin ne peut s’engager dans une opération militaire de ce type sans que la victoire lui soit promise, la pérennité du régime étant par définition en jeu dans une telle situation pour des régimes autoritaires.

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Le soutien militaire occidental à l’Ukraine va désormais bien au delà de ce seul conflit, et influence la réorganisation de la géopolitique mondiale pour les décennies à venir

A l’inverse, une victoire russe, quel que soit la définition que l’on peut lui donner, pourrait sévèrement ébranler la determination et l’unité des occidentaux face à une éventuelle offensive militaire contre Taiwan, avec à la clé des sanctions fortement amoindries et un soutien militaire et economique aux autorités de Taipei largement entamé. En effet, la guerre en Ukraine a montré que le soutien occidental était stimulé par deux facteurs essentiellement du registre émotionnel, les frappes et exactions contre les civils d’une part, et la dynamique de victoire des armées ukrainiennes de l’autre. Ainsi, ce fut en juin et juillet, alors que les armées ukrainiennes maintenaient leurs positions pour préparer les offensives de fin aout, et que les exactions russes étaient moindre, que les appels à la négociation voire à la diminution de l’aide occidental à Kyiv se furent le plus entendre. A l’inverse, ce furent les massacres de Bucha et les succès militaires ukrainiens qui gommèrent le plus efficacement ces positions.

On comprend, dès lors, à quel point la guerre en Ukraine prend désormais une dimension stratégique pour Pékin, alors que de toute évidence, le calendrier pour reprendre l’ile de Taiwan a désormais été établi par Xi Jinping, probablement au cours de son mandat qui prendra fin en 2027. Le glissement sémantique observé dans les communications chinoises depuis le XXème congrès du PCC, dont le communiqué du ministre Wang Yi est un exemple, indique que la position chinoise est en cours de re-définition, et qu’il faut s’attendre, à l’avenir, à un soutien sensiblement plus appuyé de la part de Pékin vis-à-vis de Moscou, y compris dans le cadre de la guerre en Ukraine, même si un soutien militaire direct demeure très improbable. Mais alors que le Kremlin a mis en oeuvre un vaste plan de recapitalisation des armées visant probablement la fin de l’hiver pour porter pleinement ses fruits, tant dans le domaine des effectifs avec une mobilisation partielle plus étendue qu’annoncée, que dans le domaine industriel avec la mobilisation de l’ensemble des acteurs pour accroitre sensiblement les cadences de production d’équipements de défense, le soutien de Pékin, notamment pour fournir une alternative technologique aux sanctions occidentales, peut s’avérer plus que déterminant.

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Le soutien de Pékin est indispensable pour permettre à Moscou de soutenir son effort industriel de recapitalisation des forces armées russes pour compenser les lourdes pertes enregistrées lors des 6 premiers mois de guerre en Ukraine

Une chose est certaine, la guerre déclenchée par Vladimir Poutine en février a joué le rôle de catalyseur quant à la réorganisation de la géopolitique mondiale héritée de la fin de la guerre froide, et notamment dans le bras de fer que se livrent l’occident et le couple sino-russe, ainsi que leurs alliés respectifs. Dans ce contexte, sa conclusion aura des effets plus que déterminant quant à l’évolution des postures et des ambitions de chacun des camps, peut-être même sur leur propre pérennité. Et la moindre défaillance d’un des protagonistes, aura sans nul doute de très graves conséquences sur l’évolution de cette crise désormais incontestablement mondialisée.

Des HIMARS pour l’Armée de Terre, symptôme d’un défaut de pilotage industriel en France ?

L’Armée de Terre française pourrait se tourner vers le HIMARS américain pour ses besoins de frappe à longue distance. Pourtant, depuis de nombreuses années, les spécialistes du sujet appelaient les autorités françaises à développer un système similaire.

À l’instar de nombreux autres domaines, l’artillerie à longue portée, représentée par seulement 13 Lance-Roquettes Unitaires (dont 8 sont effectivement opérationnels) au sein de l’Armée de terre française, a été largement réduite au cours des années 2000 et 2010, sous couvert d’une perception majoritaire selon laquelle la menace d’engagements dits de haute intensité était révolue, et que la force aérienne était, à elle seule, susceptible d’apporter ces capacités de frappe dans la profondeur.

Dans ce domaine, les enseignements émanant des huit premiers mois de la guerre en Ukraine montrèrent que cette capacité s’avérait décisive, alors qu’une grande partie de la force aérienne était neutralisée par l’omniprésence des capacités de défense sol-air de part et d’autre.

Et l’arrivée des premiers systèmes HIMARS cédés par les États-Unis aux forces Ukrainiennes au mois de juin, aux côtés d’autres systèmes d’artillerie modernes comme les M777 américains, les Pzh2000 allemands et les CAESAR français, marqua un basculement net du rapport de force offensif en faveur de l’Ukraine.

De fait, depuis quelques mois, les systèmes d’artillerie à longue portée, qu’il s’agisse de systèmes autoportés de gros calibres portant à 50 km aujourd’hui, et à plus de 70 km demain, et des systèmes lance-roquettes de précision comme l’HIMARS américain ou le K239 sud-coréen, portant entre 80 et 300 km, ont connu un extraordinaire regain d’intérêt au sein des armées occidentales.

La Pologne à elle seule a annoncé une commande de 300 K239 Chunmoo auprès de Séoul, et de 200 HIMARS supplémentaires auprès de Washington, constituant, avec les quelque 624 canons automoteurs K9 de 155 mm sud-coréens, la plus formidable capacité d’artillerie en Europe occidentale, et l’une des plus puissantes sur l’ensemble de la planète.

En France aussi, le problème est d’actualité, et fait d’ailleurs partie des principaux axes de progression identifiés dans le cadre de la préparation de la prochaine Loi de Programmation Militaire 2023-2029 en cours de préparation.

Le K239 Chunmoo sud-coréen est une alternative aux HIMARS américain
La Pologne a officialisé la commande de 300 systèmes sud-coréens K239 Chunmoo

Il faut dire que les 13 LRU français sont non seulement considérablement sous-numéraires pour couvrir les besoins de l’Armée de terre en cas d’engagement de haute-intensité, mais ils arriveront également en fin de vie d’ici à 2030.

Malheureusement, bien que ce type de besoin fut effectivement des plus prévisibles, de l’avis même de l’État-major de l’Armée de Terre depuis de nombreuses années, aucune solution nationale ni même européenne n’est à ce jour envisageable pour remplacer les LRU français et pour doter l’Armée de terre des équipements nécessaires dans ce domaine dans un avenir proche.

C’est pour cette raison que dans le cadre de la préparation de la future LPM, les Français n’ont à ce jour d’autre possibilité que de se tourner vers une solution sur étagère importée, très probablement le fameux HIMARS américain, comme ce fut d’ailleurs le cas concernant l’acquisition des LRM au milieu des années 80.

Cette situation met en évidence deux aspects problématiques en matière de programmation industrielle de défense en France. En premier lieu, ce besoin devait initialement être couvert dans le cadre du programme CIFS franco-allemand pour Common Indirect Fire system, lancé en 2017 concomitamment au programme SCAF et MGCS, piliers de la coopération industrielle franco-allemande en matière de défense voulue par Emmanuel Macron et Angela Merkel.

Or, au-delà du fait que celui-ci est désormais mort-né du fait du manque d’intérêt de la partie allemande, il ne prévoyait de ne fournir les premières capacités qu’au-delà de 2035, de toute évidence cinq années trop tard vis-à-vis du remplacement des derniers LRU, au-delà même de toutes considérations en termes de volumes insuffisants.

Par ailleurs, l’industrie de défense française, part son expérience en matière de systèmes balistiques, dispose de toutes les compétences pour effectivement concevoir une capacité balistique comparable au système HIMARS et au K239 Chunmoo.

le lru Alliances militaires | Analyses Défense | Artillerie
L’Armée de Terre ne dispose que de 13 Lance-Roquettes Unitaires, dont seulement 8 sont effectivement opérationnels, qui arriveront en fin de vie d’ici à 2030.

On peut naturellement justifier le manque de détermination de la France dans le développement de tels systèmes, en dépit du besoin et des compétences, par l’étroitesse perçue du besoin lors de ces 20 dernières années, y compris au sein des armées françaises, ne permettant pas de valoriser les investissements requis pour un tel développement, même si, de toute évidence, cela n’a nullement arrêté les Sud-coréens, pourtant moins riches, avec un PIB 25% à celui de la France.

Surtout, cela montre la menace que peut représenter, aujourd’hui, certains programmes franco-allemands mal sécurisés qui, dans le cas de CIFS, n’aura abouti qu’à faire perdre plusieurs années d’anticipation aux armées comme aux industriels dans ce domaine, là aux plusieurs autres pays sont pleinement engagés dans le renouvellement et la modernisation de ce type de capacité.

Reste que même si la France venait à se tourner vers le système HIMARS américain pour répondre à ces besoins immédiats, celle-ci ne devrait nullement faire l’impasse sur le développement de ses propres capacités balistiques tactiques, y compris ceux armant un éventuel système lance-roquettes à longue portée de facture nationale.

Le besoin n’est pas destiné à s’étioler à moyen terme, alors que la valeur ajoutée des armées françaises et de son industrie repose précisément sur leurs capacités d’engagement et de production globales et indépendantes.

Ce d’autant que d’autres pays, y compris en Europe comme la Grèce, sont également en demande de ce type de capacités, et seraient probablement prêts à participer technologiquement et budgétairement à de tels programmes, la France décidant de s’y engager.

Face à Fincantieri, Naval Group dégaine une nouvelle fois la FDI en Grèce

La modernisation de la flotte de surface grecque est un sujet critique pour Athènes. Il y a un peu plus d’un an, les autorités grecques annonçaient la commande de 3 frégates FDI au français Naval Group dans cette optique, ainsi que l’entame d’une consultation pour la construction locale de 6 corvettes à capacité anti-sous-marine. Du fait de l’accord de défense signé entre Paris et Athènes concomitamment à la commande de FDI et de Rafale, nombreux étaient ceux qui considéraient alors que la Gowind 2500 de Naval Group était la grande favorite de cette compétition, d’autant que la corvette française offre un excellent rapport qualité-prix et des capacités de lutte anti-sous-marines avancées. Mais c’était sans compter sur l’Italie, qui proposa à Athènes la construction locale de ses corvettes de la classe « Doha » déjà vendues au Qatar, et qui, contrairement aux Gowind françaises, peuvent mettre en oeuvre le missile surface-air à moyenne portée Aster, ainsi que d’avantageuses solutions de financement.

Depuis, les deux industriels ont multiplié les offres et les propositions, Fincantieri pariant sur les aspects économiques en proposant de faire l’acquisition d’un chantier naval grec pour construire les corvettes, mais également en promettant à Athènes de construire d’éventuels navires exportés dans ce chantier naval, du fait de charge industrielle importante de ses propres infrastructures en Italie. Quant au français Naval Group, il mettait en avant la parfaite complémentarité des Gowind 2500 avec les 3 FDI déjà commandées, et dont la construction de la première unité a d’ailleurs déjà débuté à Lorient, alors que l’industriel a profité du salon Euronavale 2022 pour signer de nombreux contrats de coopération industrielle avec des partenaires grecs dans le cadre de ce programme. Annoncé initialement pour le mois de Septembre, l’arbitrage d’Athènes a été reporté à la fin de l’été, pour des raisons budgétaires. En effet, l’enveloppe de 2 Md€ prévue pour financer ce programme, s’était vue entre temps amputé de 500 m€ pour la modernisation des 4 frégates Meko HN de la Marine Hellénique, obligeant les deux industriels français et italiens à reparametrer leurs offres, pour une décision annoncée pour le début d’année 2023.

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La premier bloc de la première FDI hellénique a été posé fin octobre à Lorient, un an à peine aprés la signature du contrat entre Paris et Athènes

A ce sujet, il semble que Naval Group ait choisi une stratégie originale pour contrer l’offre italienne. En effet, plutôt que de proposer une offre réduite homothétiquement pour ne porter que sur 4 Gowind 2500, comme le fit Fincantieri, le groupe naval français aurait, selon la presse grecque, entrepris de s’appuyer sur l’option posée par Athènes au sujet d’une quatrième frégate FDI, ainsi que sur 2 Gowind 2500 produites localement, le tout pour 1,5 Md€. Or, remplacer deux corvettes par une FDI a de fortes chances de convaincre l’amirauté hellénique, la nouvelle frégate française offrant des capacités et des performances bien supérieures à celles de deux corvettes, tant dans le domaine anti-aérien avec 32 missiles Aster 30 à longue portée, que dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, domaine de prédilection du navire ne souffrant aucune concurrence en Europe. Mais la plus-value offerte par une quatrième FDI pour la marine hellénique dépasse largement le cadre des seules capacités du navire et de l’armement emporté.

En effet, avec 4 FDI à la mer, la marine Hellénique serait en mesure d’imposer une interdiction d’accès aérienne sur l’ensemble de la Mer Egée, allant des côtes de la Thrace orientales à celles de Chypre, dispositif par ailleurs parfaitement complété par la présence des 4 Meko 200 HN et des 2 Gowind 2500 dans le domaine de la lutte anti-sous-marine. En outre, la FDI pourra s’appuyer sur une évolution prochaine et déterminante du systeme de lancement vertical de missiles SYLVER annoncée lors du salon Euronavale par MBDA. En effet, le missilier européen a annoncé qu’il avait entamé les travaux pour permettre au système de recevoir différents types de missiles, grâce à de nouvelles fonctionnalités des systèmes de guidage qui transfèrent les données aux missiles en silo. En d’autres termes, là ou le SYLVER 70 ne peut, aujourd’hui, mettre en oeuvre que le missile de croisière MdCN, il pourra, à l’avenir, souplement mettre en oeuvre également des missiles anti-aériens Aster.

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Les systèmes VLS SYLVER pourront à l’avenir mettre en oeuvre différents types de missiles, permettant potentiellement aux FDI grecques d’emporter des missiles MdCN de croisière

De fait, les FDI helléniques pourraient, dans un avenir relativement proche, mettre en oeuvre non seulement le missile Aster 30 anti-aérien, mais également le missile MdCN de croisière pour peu que les 4 Sylver 50 (32 silos) soient remplacés par des Sylver 70, offrant une souplesse d’emploi inégalée aux navires et surtout une capacité de frappe vers la terre considérée par l’état major grec comme déterminante pour contenir la menace turque. L’association de ces deux arguments offre désormais à Naval Group un ascendant opérationnel très net sur l’offre de Fincantieri, même en considérant le bénéfice éventuel industriel considéré, ce d’autant que d’autres initiatives sont en cours dans le pays pour préserver et étendre les capacités navales grecques si Athènes venait à choisir l’offre de Paris. Notons enfin que la Grèce est partie prenante du programme European Patron Corvette, codeveloppé par la France, l’Italie, l’Espagne et la Grèce, et auquel collabore également les Pays-bas et la Norvège, offrant une alternative à moyen terme à la marine hellénique pour renforcer sa flotte de corvettes lourdes telles les Gowind et les Doha.

Il existe bien un créneau commercial pour un successeur au Mirage 2000 !

Le 10 mars 1978 décollait pour la première fois le prototype du Mirage 2000. Destiné à remplacer les Mirage III/V et IV de l’Armée de l’Air, l’appareil fut un succès incontestable, tant du point de vue technologique qu’opérationnel et commercial, avec 601 appareils produits, dont la moitié dédiée à l’exportation vers 8 forces aériennes internationales.

Il l’est aussi du point de vue technologique et opérationnel, le « 2000 » étant le premier appareil à allier les performances de l’aile Delta qui fit le succès du Mirage III, avec des commandes de vol électriques et des dispositifs hypersustentateurs avancés, conférant des performances très élevées à cet appareil monomoteur considéré par beaucoup comme le seul compétiteur du célèbre F-16.

Le fait est, comme l’avion américain, le Mirage 2000 représente aujourd’hui encore le poing armé de nombreuses forces armées, presque 45 ans après son premier vol, et reste considéré comme le meilleur chasseur en service en Grèce, mais également en Inde, de l’avis même des pilotes, tout au moins jusqu’à l’arrivée de son successeur désigné, le Rafale.

Les raisons du succès du Mirage 2000

Long de moins de 15 mètres pour 10 mètres d’envergure, le chasseur français s’appuyait sur un excellent nouveau turboréacteur de SNECMA, le M53, développant 6,8 tonnes de poussée à sec, et presque 10 tonnes avec postcombustion, pour une masse de seulement 7 600 kg à vide.

Cette motorisation offre à l’appareil des performances remarquables, avec une vitesse maximale de Mach 2.2 à haute altitude et de Mach 1,2 à basse altitude, mais également en termes de vitesse ascensionnelle avec plus de 18 000 m/minute au niveau de la mer.

En outre, sa voilure delta lui procure une excellente portance et une grande manœuvrabilité, notamment à moyenne et haute vitesse. Et si son électronique de bord prit plus de temps que la cellule pour atteindre sa maturité, le Mirage 2000 faisait toutefois jeu égal avec le F-16 dans ce domaine dès la fin des années 80, d’autant qu’il pouvait s’appuyer sur de nouvelles munitions, elles aussi, très performantes, comme le missile air-air MICA.

Outre ses performances lui permettant de faire jeu égal avec la majorité des avions de combat modernes, y compris certains beaucoup plus lourds et onéreux, le Mirage 2000 a parfaitement préparé le terrain pour le Rafale. Ainsi, l’Égypte, mais aussi le Qatar, l’Inde, la Grèce et les Émirats arabes unis ont fait le choix de fleuron de Dassault Aviation afin de prendre le relais de leurs valeureux 2000.

Mais si le Rafale est appelé à remplacer le Mirage 2000 au sein de ces forces aériennes, cela ne sonne pourtant pas la fin de partie pour le monomoteur français. En effet, il apparait que la demande internationale est importante pour acquérir des appareils d’occasion, notamment pour les flottes des Émirats arabes unis, mais également du Qatar.

Une attractivité toujours vivace, même aujourd’hui

Ainsi, le Maroc prévoirait de s’équiper d’une trentaine de Mirage 2000-9 émirati, alors qu’une information récente fait état de la possible acquisition des Mirage 2000 EDA et DDA des forces aériennes du Qatar par l’Indonésie comme solution de transition pour remplacer ses Su-27 et Su-30 encore en service, dans l’attente de la montée en puissance de la flotte de Rafale.

Quant à la Grèce, l’Inde, Taïwan et l’Égypte, tous semblent déterminés à employer leur flotte de 2000 jusqu’à la fin de leur potentiel, tant l’appareil s’avère encore efficace et performant, en particulier pour ce qui concerne les missions d’interception et de supériorité aérienne.

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Les Mirage 2000 qatari pourraient être acquis par l’Indonésie comme solution de transition dans l’attente de l’arrivée de chasseurs de nouvelle génération comme le Rafale et le KF-21.

L’attractivité évidente de cet appareil sur la scène internationale montre, s’il était nécessaire, qu’il existe bel et bien un marché significatif pour ce qui concerne un chasseur monomoteur à hautes performances, mais économique à l’achat et à l’emploi, comme le sont les Mirage 2000, les F-16 ou les JAS-39. C’est d’ailleurs celui-ci vers lequel se dirigent plusieurs programmes récents comme le KF-21 Boramae sud-coréen, le TFX turc ou encore le Tejas Mk2 indien.

Le domaine d’excellence de Dassault et de la BITD aéronautique française

Or, ce créneau est précisément le domaine d’excellence de l’industrie aéronautique française depuis la fin des années 50, et l’arrivée du Mirage III, un appareil qui, de l’aveu même des analystes américains de l’époque, offrait des performances comparables à celles des appareils américains souvent bien plus lourds et onéreux.

C’est d’ailleurs ce constat, qui poussa l’US Air Force à céder à la Fighter Mafia pour concevoir le F-16, là où ses généraux privilégiaient sans hésitation le F-15 et le F-111 au début des années 70.

Or, ni le Rafale, qui évolue dans la catégorie des chasseurs moyens comme le F/A-18 et le Typhoon, ni son successeur le NGF issu de l’hypothétique programme SCAF, qui évoluera sans le moindre doute dans la catégorie des chasseurs lourds (au-delà de 30 tonnes) si l’on en juge par ses dimensions et ambitions, n’offrent de réponse à ce marché.

Tous deux sont certes plus performants, mais aussi considérablement plus onéreux à la mise en œuvre qu’un Mirage 2000 ou qu’un JAS-39 Gripen, dont l’heure de vol se situe autour de 6 000 $ contre plus du double pour le Rafale, le Typhoon et le Super Hornet, et plus du triple pour le F-15EX et le F-35.

De fait, ces appareils plus lourds et onéreux ne permettront de remplacer que la moitié des quelque 2 000 F-16 et Mirage 2000 encore en service dans les forces aériennes internationales (hors Etats-Unis et France). Ce alors même que les conflits récents, en particulier en Ukraine, mais également les fortes tensions dans le Pacifique, mettent en évidence le rôle déterminant de la masse des forces aériennes pour les conflits de haute intensité.

KF-21 Boramae, TFX, Tejas et Gripen

Ce besoin de masse a d’ailleurs amené la Pologne à commander à la Corée du Sud 48 chasseurs légers FA-50 Thunder, un appareil économique, mais n’offrant pas les performances d’un 2000 ou d’un F-16, sur le seul critère, selon Varsovie, des délais de livraison et du prix proposés par Séoul.

En outre, pour de nombreuses forces aériennes mondiales, notamment celles qui s’appuient pleinement aujourd’hui sur un vaste parc de F-16 comme l’Égypte et la Grèce, l’absence d’alternative pour maintenir une masse efficace, mais soutenable, s’avère un casse-tête difficile, surtout lorsque leurs adversaires potentiels travaillent sur des solutions propres, comme le TFX turc ou le JF-17 sino-pakistanais.

Même pour les forces aériennes européennes ayant fait le choix du F-35, la réduction de format imposée par cet arbitrage s’avère des plus pénalisantes, comme c’est le cas du Danemark, de la Belgique ou des Pays-Bas. On comprend, dans ce contexte, pourquoi les mirage 2000 Qatari et Émirati trouvent facilement preneurs sur la scène internationale, bien plus facilement, soit dit en passant, que les F-16 d’occasion.

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La Grèce a modernisé 80 de ses 160 F-16, mais ne prévoit de l’acquérir que 24 à 36 F-35 pour palier le retrait des 80 appareils restants.

Le problème n’est d’ailleurs pas circonscris à la seule problématique export. Le Mirage 2000 représente, en effet, aujourd’hui encore, la moitié de la flotte de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Espace, alors même que son format a lourdement été entamé au fil des années, passant de 700 appareils dans les années 80, à à peine plus de 200 aujourd’hui.

Le format des forces aériennes françaises en question

Certes, le Rafale, par sa nature omnirôle, peut effectuer les missions des nombreux appareils qu’il remplace, mais il ne peut pas, malgré tout, avoir le don d’ubiquité. Et comme nous l’avions établi en 2019, avant même la guerre en Ukraine et les bouleversements géopolitiques en cours, il manquait déjà, à ce moment-là, près d’une centaine d’avions de chasse à l’Armée de l’Air pour remplir son contrat opérationnel dans de bonnes conditions.

Dans le présent contexte, il est aisé de considérer qu’une force de 350 chasseurs pour l’Armée de l’Air, et de 70 appareils pour la Marine Nationale, s’avérera nécessaire dans le futur, en particulier face aux bouleversements géopolitiques insufflés par la Russie, la Chine ou encore la Turquie.

Or, il semble illusoire d’espérer atteindre un tel format sur la base d’un unique appareil aussi lourd et onéreux que le sera le NGF, ou même le Rafale. Dans ces conditions, l’ajout d’un second chasseur, monomoteur, économique, mais doté de hautes performances, s’avèrerait une plus-value de taille pour les armées françaises comme pour le potentiel export de l’industrie aéronautique nationale.

Un nouveau chasseur entre le Rafale et le NGF

Ceci est d’autant plus vrai qu’un tel appareil trouverait, technologiquement parlant, aisément sa place entre les évolutions du Rafale et l’arrivée NGF, en s’appuyant, par exemple, sur les acquis du premier comme le radar AESA RBE2 et le système d’autodéfense Spectra, et sur les avancées du second.

On pense ici en particulier au nouveau turboréacteur qui équipera le NGF, et qui développera une poussée unitaire adaptée à la propulsion d’un chasseur de 15 à 18 tonnes, là où le M88 n’y parviendrait pas.

De fait, le développement d’un tel appareil ne représenterait, pour la France, qu’un investissement et une prise de risque limités, tout en créant de nombreuses opportunités tant en matière de défense que d’exportation.

En outre, Paris ne peinerait certainement pas pour trouver certains partenaires internationaux pour collaborer au programme, comme la Grèce, l’Égypte et les EAU, tous cherchant à developper leur industrie et à renforcer les capacités défensives, mais également avec d’autres partenaires européens potentiels, comme la Roumanie ou le Portugal, voire la Belgique et la Suède.

Dans les faits, dès lors que l’on fait abstraction de la myopie traditionnelle de Paris en matière de partenariat de défense, qui voit uniquement les pays les plus proches comme l’Allemagne, l’Italie, le Royaume Unis et l’Espagne comme partenaires potentiels, de nombreuses alternatives se présentent, et n’attendent qu’à être saisies.

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L’insuccès du Gripen E sur la scène internationale s’explique tant par un mauvais timing que par la dépendance de l’appareil à de nombreuses technologies américaines.

Notons enfin que le développement d’un successeur au Mirage 2000, outre le fait qu’il maintiendrait certaines compétences critiques de la BITD aujourd’hui menacées par le partage industriel au sein de SCAF, permettrait simultanément de renforcer l’attractivité du NGF sur la scène internationale comme le 2000 et le F1 avant lui avaient préparé le terrain pour le Rafale.

Il contiendrait par ailleurs les opportunités à l’exportation des industries émergentes, comme la Corée du Sud, la Turquie ou l’Inde, sachant qu’il est toujours difficile de se relever d’un cuisant échec commercial dans ce domaine, comme en firent l’amère expérience plusieurs grandes nations aéronautiques de l’après-guerre, y compris la Grande-Bretagne.

Quant au manque de réussite du JAS-39 Gripen E/F suédois, positionné pourtant sur ce créneau, ces dernières années, il s’explique avant tout par la concurrence féroce du F-35, du F-16V et du Rafale sur les marchés adressables par Stockholm, alors que le contexte était encore peu favorable.

La nature hybride de l’appareil, qui s’appuie sur de nombreuses technologies importées, notamment pour ce qui concerne le turboréacteur F-414 de l’américain GE, a gommé l’un des atouts de l’appareil, celui de ne pas devoir s’adresser à Washington pour cela.

Un héritier du Mirage 2000 qui, comme le Rafale, ne s’appuierait que sur des technologies nationales, serait dans ce domaine paré de nombreuses vertus dont ni le Gripen, ni le Boramae, ni le TFX ne pourront se prévaloir.

Conclusion

De toute évidence, de nombreux arguments pointent en faveur du développement d’un successeur au Mirage 2000. La plus importante est précisément qu’à ce jour, les Etats-Unis n’ont pas envisagé de concevoir un véritable successeur au F-16, si ce n’est le F-35, beaucoup plus onéreux à l’acquisition comme à la mise en œuvre, et nécessitant une empreinte logistique incompatible avec les moyens et les besoins de beaucoup de forces aériennes.

Le contexte est, dans les faits, relativement proche de celui qui permit, sur les ruines de la Century Série américaine, de bâtir le succès du Mirage III dans les années 60, alors que les industriels américains ne pouvaient proposer que des appareils lourds et onéreux comme le F-4 Phantom II.

À l’instar du Su-75 russe qui se rêvait le successeur du principal concurrent du Mirage III de l’époque, le Mig-21, un successeur au Mirage 2000, conçu précisément sur les points forts qui firent le succès de la famille des Mirage, pourrait permettre à l’industrie française de s’implanter durablement dans de nombreuses forces aériennes, et ainsi de protéger sa propre pérennité face aux bouleversements qui s’annoncent dans ce domaine.

Reste que, pour y parvenir, il s’avérerait indispensable d’aller au-delà des solutions évidentes et des réponses de court terme, pour se projeter dans une stratégie ambitieuse et cohérente à moyen et long terme, répondant précisément aux attentes et besoins que l’on peut anticiper aujourd’hui.

Comment mener l’effort de défense français à 3% du PIB en 7 ans, sans creuser les déficits ?

Le Socle Défense propose une approche innovante et pertinente pour répondre aux enjeux de financement de l’effort de défense en France dans le présent contexte marqué par des contraintes budgétaires fortes, et des besoins de modernisation et d’extension des capacités militaires du pays toutes aussi importantes.

Dans la première partie de cet article, nous avons présenté la structure et les paradigmes qui sous-tendent cette approche de financement basée sur quatre piliers : une société de financement portant une offre de location des équipements à destination des armées, un modèle de financement avec un recours à l’épargne, une analyse moderne de l’efficacité budgétaire des investissements industriels de défense pour améliorer la soutenabilité de l’effort, et un nouveau paradigme pour la conception et l’emploi dans la durée des équipements de défense.

Dans cette seconde partie, nous allons détailler l’application de ce modèle pour les quatre grands acteurs de cette problématique : les Armées afin de répondre à leurs besoins d’équipements, la Base Industrielle et Technologique Défense française pour en optimiser l’efficacité et l’attractivité notamment à l’exportation, les finances publiques et la politique d’aménagement du territoire, ainsi que son applicabilité aux programmes en coopération.


Le Socle Défense pour les Armées

Le Socle Défense est avant tout conçu pour permettre aux armées de disposer des crédits d’équipements et de fonctionnement cohérents avec l’évolution de la menace globale. En effet, si l’action du projet porte avant tout sur le financement des équipements majeurs, sa mise en œuvre permettrait aux Armées de ventiler l’utilisation de leurs crédits de manière souple et efficace pour répondre aux enjeux sécuritaires à court, moyen et long terme. 

Une bulle d’investissements pour répondre aux enjeux immédiats

effort de défense français

En premier lieu, le SD permettrait aux Armées de voir leurs capacités d’équipement croitre très rapidement et sensiblement. Dans le graphique ci-contre, l’hypothèse retenue est une augmentation des investissements d’équipement de 5 Md€ en 2025, pour atteindre 20 Md€ en 2032, hors inflation.

Les couts de location, quant à eux, évoluent de manière progressive de 500 m€ en 2025 à 18,5 Md€ en 2039, sur la base d’un taux d’intérêt de 2,5% par an, d’une V0 à 10%, d’une VR à 35% et d’un leasing sur 15 ans.

La progressivité de la hausse des investissements répond aux contraintes industrielles. Sur la base d’un effort de défense amené à 3% du PIB sur 7 ans (euros constants), le modèle génère alors une plus-value budgétaire pour les armées de 20 Md€ au-delà de la hausse de 20 Md€ des crédits consacrés à l’équipement des forces. 

Les équipements éligibles au Socle Défense

Le Socle Défense permet de financer par son modèle de nombreux équipements de défense et programmes à effet majeur, pour peu qu’ils puissent être réexportés potentiellement en fin de leasing.

Ceci exclut donc les systèmes dédiés à la dissuasion nucléaire, ainsi que les équipements ayant un potentiel d’efficacité limité dans le temps ne permettant pas de les exporter dans de bonnes conditions, comme certaines munitions.

Pour autant, les besoins principaux des armées en termes d’équipements reposent précisément sur des matériels répondant aux critères d’éligibilité au Socle Défense. 

Le transfert de crédits disponibles vers des postes critiques

Si le Socle Défense aide à financer une majorité d’équipements de défense conventionnels, il offre également de nombreux bénéfices dépassant de ce cadre pour les armées.

Ainsi, à court terme, il permet de libérer des crédits attribués au financement des PEM éligibles pour financer d’autres postes de dépenses critiques, comme la dimension RH des armées, le développement des infrastructures, la reconstitution des stocks de munitions et de pièces détachées, ainsi, bien évidemment, que la dissuasion.

Sur les 5 premières années de mise en place, les armées disposeraient alors d’un surplus budgétaire de plus de 50 Md€ de crédits libérés sur la base d’une hausse du budget des armées de 3 Md€ de 2025 à 2027, puis de 2,5 Md€ de 2028 à 2032. 


Le Socle Défense pour l’industrie de défense

La mise en œuvre du Socle Défense constituerait, pour la Base Industrielle et technologique de Défense française, une évolution comparable à celle qui fut entreprise à la suite de l’affaire de Suez en 1956, et qui permit 15 années plus tard à la France de disposer d’une industrie de Défense globale de premier plan sur la scène internationale, y compris dans les domaines technologiques les plus ardus comme la dissuasion, les sous-marins à propulsion nucléaire, les avions de combat ou le spatial. 

Une approche consolidée pour une planification optimisée

Outre l’augmentation des investissements annuels, qui passeraient en 5 ans de 12 à plus de 30 Md€ par an, justifiant d’une profonde transformation structurelle, le Socle Défense offre à la BITD une visibilité en termes de planification qu’elle n’a plus connu depuis plus de 30 années.

En effet, après trois décennies de programmes marqués par de nombreux reports, révisions de volume, voire annulations, les industriels français comme européens ont été amenés à transformer leur approche de l’activité pour s’adapter à ces contraintes et cette imprévisibilité. 

Par sa capacité à garantir le financement des programmes, mais également à concevoir la dotation des armées au sein d’un plan global à long terme d’une quinzaine d’années, le SD permettra aux industriels de défense de revenir sur des bases industrielles favorisant la compétitivité des offres, la progression technologique ainsi que l’attractivité des équipements sur la scène internationale, ce d’autant que les Armées françaises auront une puissance relative bien plus sécurisante pour nos alliés. 

Vers une offre globale et compétitive

L’augmentation massive de l’activité de production industrielle induite par la mise en œuvre du Socle Défense permettra à l’Industrie de Défense Française de sensiblement augmenter son attractivité sur la scène internationale, par une gamme d’équipements disponibles plus étendues, des délais de production plus réduits et des offres plus compétitives.

Ce changement d’échelle permettra notamment de disposer de capacités de production industrielle robustes et réactives, susceptibles de répondre aux attentes d’un marché en forte demande. En outre, l’attractivité des équipements de défense français sera renforcée par le dynamisme induit par les offres de matériels d’occasion en fin de leasing, ainsi que par le rôle plus prépondérant des armées françaises sur la scène internationale.

Ce changement d’échelle associé à la diminution des cycles technologiques permettra également de proposer des équipements plus économiques, donc plus abordables pour de nombreux clients potentiels.

Rappelons à ce titre que des programmes comme FREMM ou Tigre ont vu leurs couts unitaires presque doublés lorsque les quantités furent divisées par deux et plus. Enfin, l’utilisation des acquis de la DVP permettra de mettre en œuvre des solutions originales de coproduction avec certains clients disposant d’une industrie de défense partielle tout en préservant l’efficacité du Solde Budgétaire. 

Vers un renforcement et une meilleure intégration de la Supply Chain

La gestion de l’effort d’investissement industriel de défense au travers de la Défense à Valorisation Positive permettra de mieux connaître l’ensemble de la Supply Chain nationale de ce secteur industriel, et doit mener à la révision de certaines pratiques héritées des paradigmes actuels, privilégiant l’utilisation d’équipements et de technologies importées afin de réduire les couts d’acquisition, au détriment de l’efficacité budgétaire finale.

De fait, le Socle Defense permettra de consolider la Supply Chain nationale, au bénéfice premier de l’emploi, donc, du Solde Budgétaire, mais également de la résilience industrielle, de sorte à amener les grands industriels finaux à renforcer et à mieux intégrer leur propre Supply Chain, à l’image de ce qui se pratique, par exemple, outre-rhin. 


Le Socle Défense pour les finances publiques et l’économie

À l’instar de toute grande politique d’investissement sectorisée, le Socle Défense a le potentiel d’induire de nombreux bénéfices pour l’économie nationale, et de manière plus originale, pour les finances publiques. 

Des ressources supplémentaires à court terme

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La hausse rapide des investissements en matière d’équipements, pour atteindre 25 Md€/ an en 2032, induira la création de 500.000 emplois directs, indirects et induits liés à l’activité industrielle de défense sur la même période, selon les paramètres ayant cours aujourd’hui pour cette activité en France.

Notons que cette estimation ne prend pas en compte le nombre d’emplois créés par la réorientation de certains crédits de défense libérés par l’application du Socle Défense, ni les emplois créés par différents effets d’entrainement probables, mais difficilement quantifiables.

Ces emplois vont engendrer une hausse sensible des recettes fiscales et sociales appliquées au budget de l’État (qui compense les déficits sociaux), engendrant un surplus budgétaire sensible vis-à-vis de la hausse planifiée de l’effort de défense.

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Sur la période 2025-2032 correspondant à la prochaine LPM, si les hausses cumulées de budget des armées atteignent 113 Md€, la hausse des recettes et économies budgétaires pour l’état dépassera les 190 Md€, soit un solde budgétaire global de presque 10 Md€/an hors inflation.

À terme, et en tenant compte d’un retour budgétaire moyen de 50% concernant les crédits non industriels des armées, le surcout annuel liés à la hausse du budget des armées à 3% PIB (75 Md€ 2024) serait alors strictement égal au retour budgétaire global.

Différents effets d’entrainement

Bien qu’ils soient difficiles à modéliser de manière efficace, de nombreux investissements supplémentaires pourraient résulter de la hausse des crédits d’équipements des armées consécutifs de l’application du Socle Défense :

  • Investissements Industriels

Afin de répondre à la hausse des commandes venant des Armées françaises, et, par effet d’entrainement, de l’amélioration de l’attractivité des équipements de défense sur la scène internationale, l’industrie de défense dans son ensemble sera amenée à mettre en œuvre un vaste plan d’investissement, ce d’autant qu’elle disposera alors d’une visibilité étendue quant à l’activité industrielle nationale dans la durée. 

  • Infrastructures et aménagement du territoire

Le déploiement de nouvelles infrastructures industrielles, mais également militaires, ouvre de nombreuses opportunités pour une politique ambitieuse d’aménagement du territoire, y compris dans les territoires ultra-marins, susceptible de mobiliser, au-delà de l’État, des Armées et des Industriels, les acteurs locaux ainsi que les instances européennes, agissant tel un coefficient multiplicateur de l’efficacité économique et sociale du Socle Défense. 

  • Grappes technologiques

La hausse des investissements d’équipement des Armées induit une hausse des crédits consacrés à la Recherche et au Développement des technologies de défense embarquées, engendrant par la suite des grappes technologiques qui stimulent l’économie et la compétitivité industrielle. Une étude menée aux États-Unis avait ainsi montré que 40% du PIB californien résultaient de technologies développées initialement par les Armées américaines. 

  • Effets de la hausse du nombre d’emplois industriels qualifiés

Pour répondre à la hausse de l’activité induite par l’application du Socle Défense, les industriels français de défense, épaulés par l’état et les collectivités territoriales, devront fournir un important effort de recrutement, mais également de formation pour pourvoir les quelque 200 000 emplois industriels directs et les 160 000 emplois industriels indirects ainsi créés.

La hausse du nombre de personnels qualifiés en France ainsi que les infrastructures de formation qui auront été créées à cet effet, renforceront sensiblement l’attractivité française en matière d’implantation industrielle, ce d’autant que les infrastructures auront, elles aussi, évoluées positivement. 

Vers une soutenabilité globale de l’effort de défense

L’application du Socle Défense permet, comme le suggère la DVP, de neutraliser pour les finances publiques l’augmentation progressive, mais indispensable, des crédits de défense jusqu’à 3% du PIB.

En étendant cette doctrine à l’ensemble du budget des Armées, il serait possible de parvenir à un équilibre global autour de l’activité défense nationale, tenant compte des retours budgétaires spécifiques de chaque type d’activité, de sorte à atteindre un seuil de soutenabilité globale de l’effort de défense.

Sur la base des premières conclusions de la DVP, avec un retour budgétaire industriel de 130%, un retour budgétaire de 100% pour l’activité de soutien, et de 60% pour la dimension RH des armées, il serait possible de ramener le cout effectif annuel des armées pour les finances publiques à moins de 5 Md€ en ventilant les investissements de manière équilibrée entre ces trois grands postes de dépense. 

Limites et Effets de seuil

Si l’efficacité budgétaire de l’investissement industriel de défense en France est établie, elle ne représente cependant pas une martingale socio-économique absolue. En effet, celle-ci est contrainte par plusieurs effets de seuil qui limitent son applicabilité :

  • Marché de l’emploi

Le retour budgétaire de l’investissement dépendant du nombre d’emplois directs, indirects et induits créés, un marché de l’emploi en tension (chômage < 5%) entraverait sa pleine efficacité.

  • Marché export

L’équilibre du solde budgétaire est lié à la performance des exportations, qui doivent se maintenir au même taux qu’au cours de 20 dernières années. Si le modèle est conservatoire (le marché export était réduit durant cette période), il ne peut pas excéder le marché effectivement adressable par les industries de défense françaises. 

  • Déficits sociaux

Enfin, le modèle suppose de l’existence de déficits sociaux compensés par l’état pour atteindre sa pleine efficacité. Si les déficits sociaux venaient à être résorbés, y compris par l’action du Socle défense, l’efficacité budgétaire du modèle serait altérée. En d’autres termes, le Socle Défense ne peut pas être appliqué au-delà de 20 Md€/an et 500.000 emplois dans la conjoncture socio-économique actuelle.  


Le Socle Défense et la coopération internationale et européenne

Bien que conçu sur des bases économiques et industrielles nationales, les effets et l’applicabilité du Socle Défense dépassent largement les frontières, avec une influence positive et de nouvelles opportunités en matière de coopération européenne et internationale. 

Adaptation aux équipements développés en coopération

En premier lieu, rien ne s’oppose à ce que le Socle Défense puisse financer l’acquisition d’équipements conçus et construits dans le cadre d’une coopération européenne ou internationale. Il conviendra toutefois que les dits matériels respectent certaines contraintes de fonctionnement relatives aux mécanismes du modèle : 

  • Contraintes de propriété

Les partenaires contribuant au programme en collaboration devront préalablement accepter que l’équipement puisse être vendu à la société PPP Ad hoc au cœur du modèle. 

  • Contraintes de réexportation

Les partenaires des programmes devront également accepter la notion de réexportation des équipements financés au-delà de la période de location, au seul arbitrage des autorités françaises dans ce domaine. 

  • Contraintes d’efficacité socio-économique

Enfin, afin de garantir l’efficacité budgétaire du modèle dans le cadre de la DVP, il convient que les investissements financés par le Socle Défense correspondent proportionnellement parlant à l’activité industrielle déployée en France par l’ensemble du programme.

Corolaire : Baisse de pression sur les programmes en coopération

En étendant les capacités d’investissement et d’équipements des Armées à court et moyen terme, le Socle Défense permettrait, de manière induite, de réduire la pression qui aujourd’hui entrave les avancées de certains programmes de coopération, comme SCAF ou MGCS.

Ainsi, le Socle Défense permettrait à la France de développer, par exemple, une solution intermédiaire pour succéder au Rafale et au Leclerc, moins ambitieuse que celle visée par les programmes européens, mais sur des calendriers plus réduits.

Ceci permettra de réduire la dépendance des Armées françaises vis-à-vis du calendrier de ces programmes, tout en permettant aux industriels de préserver et de développer les savoir-faire ,qui auraient été perdus dans le cadre de la coopération du fait du partage industriel. 

Modèle transnational : exemple de la Grèce

Le Socle Défense peut également servir de base à des coopérations étendues transnationales. Ainsi, le projet avait été étudié par le parti politique Nouvelle Démocratie en Grèce dans le cadre des élections législatives de 2019, et avait donné lieu à l’élaboration d’une stratégie transnationale pour l’acquisition de Rafale, de FDI et de Gowind dans un partage industriel mutuellement profitable. 

Renforcement de l’autonomie stratégique 

Enfin, par le changement de format des armées et de l’industrie de défense française induit par l’application du Socle Défense, celui-ci contribuera de manière sensible au renforcement de l’autonomie stratégique nationale et par transitivité européenne, notamment en constituant des armées susceptibles de constituer le pilier fédérateur d’une stratégie défensive purement européenne y compris pour faire face à la Russie.

Un tel outil pourrait de fait constituer l’argument le plus efficace pour faire émerger une notion effective d’Europe de la Défense.  


ANNEXE : ANALYSE COMPARATIVE des MODES de FINANCEMENT

Notes : l’analyse initiale ayant été réalisée en 2022, elle portait sur la période 2023-2030. Il convient, aujourd’hui, de la considérer sur la période 2025-2032, avec les mêmes progressions.

Hypothèses Socle Défense : 3% PIB en 15 ans – Invest PEM 25 Md€ – Leasing 2,5% – 15 ans – V0=10% – VR = 35%

Hypothèses Classique : 2,65 % PIB en 9 ans – Invest PEM 15Md€/an/30 ans (==25 Md€/an/15 ans SD)

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