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Le Socle Défense, la solution pour augmenter le budget des armées sans augmenter les déficits

Comme c’est le plus souvent le cas à l’occasion de la conception d’une loi de Programmation Militaire, deux contraintes critiques se font face aujourd’hui entre le ministère des Finances et le ministère des Armées afin de concevoir la trajectoire budgétaire qui sous-tendra la prochaine Loi de Programmation Militaire qui encadrera l’effort de défense français entre 2024 et 2030, ou LPM 2024-2030.

Pour l’état-major des Armées, les besoins d’investissement ont été estimés autour de 435 Md€ sur l’ensemble de cette période, afin de permettre aux Armées françaises de retrouver des capacités opérationnelles compatibles avec l’évolution de la menace, en particulier dans le domaine de l’engagement de Haute Intensité.

Pour le ministère des Finances, cependant, la hausse des crédits consacrés à l’effort de defense ne pourra pas excéder les 377 Md€ sur la même période, ce afin de respecter les engagements du pays à contenir ses déficits publics ainsi que sa dette souveraine déjà lourdement éprouvée par la crise covid et la crise énergétique.

Il semble, dans les faits, impossible de faire cohabiter ces deux contraintes strictes, alors même que toutes deux se parent d’un caractère impératif et stratégique, et l’hypothèse la plus généralement avancée dans ce dossier repose sur une position intermédiaire, avec un budget entre 400 et 410 Md€, ne permettant ni de répondre efficacement aux besoins des armées sauf à créer à nouveau certaines impasses opérationnelles, ni de préserver la dette souveraine au-delà du seuil de soutenabilité défini par Bercy.

Il existe pourtant une troisième voie, basée sur un changement de paradigmes en matière d’investissement industriel de défense, permettant d’amener l’effort de défense français au-delà de 3 % du PIB, le tout sans creuser la dette souveraine française ni altérer la trajectoire budgétaire de la LPM : le Socle Défense.

Dans cet article en deux parties, nous présenterons d’abord les 4 piliers qui permettent à cette approche de répondre à cette équation impossible, puis son application aux armées, à la BITD, aux finances publiques ainsi qu’aux programmes en coopération dans la cadre de la LPM 2024-2030.


Une équation politico-économique impossible ?

Comme l’ont souligné les différents Chefs d’État-Major des forces armées françaises lors de leur récente audition par la Commission Défense de l’Assemblée nationale, les armées françaises souffrent aujourd’hui d’un profond déficit de capacités et de masse pour répondre aux nouveaux enjeux de défense imposés par le retour des tensions internationales entre grandes nations technologiquement avancées, en particulier face à la compétition lancée par Moscou et Pékin dans ce domaine. 

Socle défense

Faisant suite à deux décennies de sous-investissements ayant sensiblement érodé les capacités de nos armées, la Loi de Programmation Militaire 2019-2025 permit de leur redonner une capacité budgétaire permettant de combler certaines défaillances et obsolescences.

Toutefois, qu’il s’agisse du format des armées définit par le LBDSN 2013 et confirmé par la RS 2017, ou des calendriers des programmes visant aujourd’hui à remplacer certains équipements majeurs comme les chars de combat, les avions de chasse, les sous-marins nucléaires et les porte-avions, aucun n’est en mesure de répondre à la profonde et rapide évolution des rapports de force dans le Monde, y compris en Europe.

Pour de nombreux pays européens, la solution repose sur l’augmentation du budget des armées, voire la mise en place de crédits supplémentaires pour combler à court terme les principales obsolescences.

Pour la France, les options sont toutefois beaucoup plus difficiles à avancer, le pays étant contraint par une dette souveraine fortement détériorée et atteignant 113 % PIB à la suite de la crise Covid, un déficit public déjà à son plafond autorisé par le pacte de stabilité de la zone Euro, et une croissance menacée par la reprise de l’inflation et la crise énergétique. Dans ces conditions, répondre aux besoins de modernisation et d’extension des armées imposés par la situation internationale, s’oppose directement à la réalité socio-économique du pays. 

Le Socle Défense : une réponse technique à potentiel politique

Les travaux ayant donné naissance au modèle « Socle Défense », débutés en 2016, visaient précisément à répondre à cette problématique précise, à savoir de permettre à l’État français d’accroitre rapidement son niveau d’investissement dans la défense nationale, en particulier au travers de son industrie, tout en respectant les contraintes légales et économiques du pays, afin de permettre aux armées françaises et à leur Chef de « Choisir nos guerres et de les gagner », selon la formule du Général de Gaulle.

Atelier Rafale 1 Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense

Pour y parvenir, le Socle Défense s’appuie sur 4 piliers complémentaires et interdépendants issus d’une analyse pluridisciplinaire et innovante. 

  • La location des équipements de défense par les armées par l’intermédiaire d’une structure ad hoc en Partenariat Public-Privé respectant les contraintes imposées par l’UE pour ne pas être décompté comme de la dette souveraine.
  • La mise en œuvre d’une solution d’épargne spécialement dédiée au financement de ces investissements
  • Un changement de paradigme industriel et technologique pour optimiser l’efficacité budgétaire, politique et sociale des investissements
  • Une nouvelle doctrine d’analyse économique permettant d’évaluer avec précision l’efficacité sociale et économique de ces investissements, ainsi que leur soutenabilité au travers de l’évaluation du Solde Budgétaire. 

La location des équipements de défense par les Armées

Les Armées ont déjà recours à la location de certains équipements. Ainsi, la Hongrie et la République tchèque louent depuis plus de 20 ans leur flotte respective de chasseur JAS-39 Gripen.

En France, plusieurs services des armées louent également certains équipements, souvent dans le cadre d’une offre de service globale, comme l’EALAT de Dax ou les hélicoptères H160 de la Marine nationale. Ces solutions n’offrent cependant qu’une réponse partielle aux besoins, et sont souvent contraintes par des clauses d’utilisation strictes.

Le Socle Défense propose une solution globale permettant de remplacer la majeure partie des acquisitions d’équipement majeur par un modèle de location au travers d’une unique structure ad hoc en Partenariat Public Privé de sorte à répondre à l’ensemble des contraintes et de disposer de capacités renouvelées d’investissement. 

Les avantages techniques de la location d’équipements militaires

Le recours à la location d’équipements est une solution technique visant avant tout à optimiser le haut de bilan des entreprises, en transférant des investissements soumis à immobilisation, donc à impôt, en charges qui contribuent à réduire les bénéfices affichés, donc les impôts exigibles.

Pour l’État français, qui comme une grande entreprise, fait auditer ses comptes chaque année par Eurostat dans le cadre du pacte de stabilité de la zone Euro, la situation est sensiblement la même. Le pays n’ayant pas un budget équilibré, les investissements en matière d’équipements de défense contribuent à creuser les déficits annuels, et sont financés par de la dette souveraine, celle-ci atteignant désormais 113 % du PIB. 

fremm Bretagne Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense

Dans ce contexte, le recours à un modèle de location permettrait de ne pas décompter ces investissements comme une dette, et de n’intégrer que le paiement des annuités dans le budget de l’État, offrant d’importantes capacités de financement supplémentaires sans affecter les finances publiques au-delà des annuités, et sans affecter la dette souveraine.

Les contraintes européennes 

Afin d’éviter que les offres de location ne deviennent pas une manière commode de faire de la dette déguisée, les instances européennes avaient, à la demande de la France lors de l’étude des Sociétés de Projet en 2014, défini des obligations strictes encadrant la location d’équipements militaires :

  • A1 : Le financement ne peut porter sur plus de 75% de la valeur d’acquisition de l’équipement
  • A2 : La valeur résiduelle ne doit pas être nulle, et le montant des annuités doit respecter la décote de valeur de l’équipement
  • A3 : Le client doit contractuellement pouvoir mettre fin à la location et restituer les équipements pendant toute la durée de la location
  • A4 : L’état ne peut être l’actionnaire ni le contributeur financier majoritaire de l’offre

Les enjeux de la location d’équipements militaires

Pour les Armées, la location d’équipements de défense fait également face à 4 enjeux critiques qui, jusqu’à présent, ont limité l’utilisation de ce modèle :

  • B1 : Les couts de location sont souvent bien plus élevés que les couts de financement d’état
  • B2 : Les matériels doivent être assurés, ce qui augmente sensiblement les couts de location, et empêche le plus souvent l’emploi de ces équipements en zone de combat
  • B3 : L’évolution et la modernisation des matériels loués est contraignante et souvent très limitée par les contrats de location et les contrats d’assurance
  • B4 : Enfin, les entreprises bancaires et d’assurance sont pour le moins rétives à financer des équipements militaires dont elles auraient la nue-propriété, au risque de pouvoir être mises en cause du point de vue légal lors de leur utilisation par les Armées en zone de guerre. 

Ces contraintes expliquent la raison pour laquelle la location des équipements militaires se limite à des équipements dédiés à la formation ou à des missions de service publique.


1ᵉʳ pilier : une structure Ad hoc dédiée à la location d’équipements militaires en France 

Pour répondre aux enjeux et contraintes liés à la location d’équipements militaires par les armées en substitution des acquisitions conventionnelles, le Socle Défense s’appuie sur une structure unique en Partenariat Public Privé dédiée à cette activité. 

L’expérience des Sociétés de Projet

De 2014 à 2016, la DGA, les industriels de défense et le ministère de tutelle étudièrent un modèle dédié à la location de certains équipements militaires, les Sociétés de Projet. Ces structures devaient permettre de financer l’acquisition de certains matériels, en particulier les avions A400M, en créant une société de financement par équipement ou lot d’équipements.

Si ces travaux permirent de définir précisément certains aspects liés à la location d’équipements militaires, en particulier vis-à-vis des instances européennes, elles se heurtèrent au problème de l’attrition et de l’évolution, ainsi qu’aux difficultés de financement récurrent.

En particulier, il apparut rapidement qu’en cas de perte d’un appareil, par accident ou au combat, la société de tutelle verrait ses fonds propres ramenés à 0, entrainant sa faillite, sauf à prendre des assurances aussi difficiles à négocier qu’à financer. 

A400M piste sommaire Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Détachement Air 278 AMBERIEU EN BUGEY_ 17 octobre 2018, Essai A400M ATLAS sur piste en herbe

Une offre globale pour répondre aux contraintes

Le modèle proposé par le Socle Défense pourrait s’assimiler à une « Super Société de Projets », permettant de traiter, par son volume et sa structure, plusieurs des contraintes qui entravèrent l’émergence des Sociétés de Projet en 2015, et plus globalement la location des équipements de défense par les Armées. 

  • Financement global et multiéquipements (B2/B3)

En multipliant le nombre et le type d’équipements financés, les risques de l’attrition sur les fonds propres de la société de financement sont très largement réduits.

  • Respect des contraintes européennes (A1/A2/A3/A4)

Une unique structure globale permet de simplifier l’accréditation de l’offre par Eurostat. En cas de modification des règles, un unique réexamen est suffisant. 

  • Partenariat Public Privé (A4)

La structure PPP offre une grande souplesse d’évolution de l’actionnariat de l’entreprise, notamment pour permettre d’y intégrer de nouveaux partenaires dynamiquement (banques, acteurs européens…) garant de l’évolutivité structurelle de l’offre, tout en permettant à l’état de garder sous contrôle l’offre et l’entreprise. 

  • Gestion spécifique de l’attrition (B2/B4)

Afin de répondre aux enjeux liés à l’attrition, l’offre s’appuiera sur une modalité spécifique du traitement de l’attrition à posteriori, transformant la valeur résiduelle de l’équipement perdu en dette souveraine (pour Eurostat). Un mécanisme permettant la vente de tout ou partie du parc en cas de guerre majeure avec solution de financement attenante devra également être annexée aux contrats.  

  • Supervision de l’efficacité socio-économique de l’investissement (B1)

Pour assurer la soutenabilité budgétaire de l’investissement pour l’État, la société d’investissement pourra également avoir pour mission d’assurer l’évaluation et le suivi du Solde Budgétaire des investissements, et proposer des pistes pour en améliorer l’efficacité. 

  • Gestion du second marché (B1)

L’entreprise aura enfin en charge la gestion de l’offre de revente des équipements en fin de location, notamment sur le second marché international, de sorte à optimiser l’efficacité budgétaire de l’offre et de réduire les couts de location pour les armées françaises elles-mêmes. 


2ᵉ pilier : un appel à l’épargne pour financer le modèle

L’État ne pouvant être le contributeur principal des fonds investis par une société de leasing (A4), et n’ayant guère d’intérêts à le faire dans le contexte économique et budgétaire présent, les sources de financement permettant à l’offre de leasing de fonctionner de manière efficace doivent reposer sur d’autres canaux. En outre, celles-ci doivent permettre de mobiliser des capitaux importants chaque année, de l’ordre de 15 à 20 Md€, afin d’atteindre le plein potentiel du modèle. 

Un modèle de financement mixte Épargne / marchés

Pour répondre à ces besoins, le Socle Défense repose sur un modèle de financement mixte, basé sur un appel à l’épargne pour parti, et sur un appel aux marchés financiers de l’autre, de sorte à obtenir une efficacité optimisée et sécurisée.

L’appel à l’épargne, qui peut s’effectuer au travers d’un plan d’épargne d’État dédié ou par l’intermédiaire d’une offre de type assurance-vie spécifique, permet de mobiliser des capitaux initiaux plus onéreux et plus complexes à manipuler que les appels aux marchés, tout en offrant d’importants atouts tant du point de vue politique que financier. L’utilisation conjointe des deux modèles confère à l’offre financière à la fois souplesse, compétitivité et résilience.

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Les atouts et difficultés de l’appel aux marchés

L’appel aux marchés est une procédure classique de financement pour une société financière. Cette solution offre un atout déterminant, à savoir un accès souple et peu onéreux à d’importants crédits, adaptés à la réalité exacte des besoins de financement.

Toutefois, cette approche se heurte à la frilosité des marchés pour financer spécifiquement des programmes de défense, de crainte de se voir associer à une potentielle mise en cause juridique engagée contre l’utilisation de ces équipements. E

n outre, les marchés agissent principalement comme coefficient multiplicateur d’un capital d’investissement, et requièrent donc un capital initial suffisant pour constituer la base du financement. Il est donc indispensable d’appuyer sur une seconde source de financement susceptible à la foi de constituer le capital, et d’atténuer les craintes des marchés. 

Des bénéfices financiers et politiques de l’Épargne

L’appel à l’Épargne joue précisément ce rôle dans le modèle Socle défense, car il présente les caractéristiques financières et politiques requises pour lever les objections tant de la part des marchés financiers que des instances politiques :

  • Mobilisation financière patrimoniale privée

En s’appuyant sur de l’épargne privée, le Socle Défense réduit les risques de voir des oppositions juridiques émerger, celles-ci venant par nature menacer directement l’épargne de nombreux français, elles seraient par conséquent extrêmement impopulaires. Ce même argument agit comme élément modérateur de la contrainte A3 européenne concernant l’obligation d’une clause de sortie aux contrats de location.

  • Transformation de la conception régalienne de la propriété des équipements militaires

Le recours à l’épargne privée permet également d’atténuer les objections concernant le non-respect de la dimension régalienne des offres de location d’équipements militaires, puisque la propriété reste détenue par des fonds appartenant aux français eux-mêmes.

  • Renforcement du lien Défense-Société Civile

Alors que les Armées vont faire face à d’importants enjeux RH pour accroitre leurs formats, et que la résilience de la Nation redevient un objectif stratégique pour le pays, l’appel à l’Épargne permet de renforcer les canaux de communication entre l’univers Défense et la Société Civile. 

Il convient toutefois de garder sous contrôle un tel modèle, qui présente également certaines contraintes propres, comme la difficulté de contrôler les flux entrants et sortants des épargnants, en particulier si le modèle s’appuie sur un Livret d’Épargne.


3ᵉ pilier : la Défense à Valorisation Positive, un outil innovant pour le pilotage de la soutenabilité budgétaire de l’effort de défense

Depuis le milieu des années 50, de nombreux efforts ont été menés en France et ailleurs pour tenter de calculer l’efficacité économique de l’investissement de l’État dans l’industrie de Défense, et plus globalement de l’effort de défense.

Pour de multiples raisons, ces travaux ont toujours produit des résultats contestables, en particulier par l’opposition non poreuse entre les analyses de micro et de macro-économie, mais également en raison d’un objectif mal défini, à savoir de rechercher un éventuel coefficient multiplicateur Keynésien résultant de ces investissements.

Le Socle Défense prend le contre-pied de ces approches, avec un outil innovant et applicable désigné sous le terme Défense à Valorisation Positive, ou DVP. 

Évaluer le Solde Budgétaire de l’investissement industriel de Défense

En premier lieu, la DVP ne vise pas à évaluer la valeur d’un éventuel coefficient multiplicateur Keynésien, une approche à la fois datée académiquement, et particulièrement complexe à déterminer de manière efficace.

Surtout, la recherche de cette valeur n’offre qu’un intérêt limité dans l’évaluation de la soutenabilité de l’effort industriel de défense. Au contraire, le calcul du Solde Budgétaire, à savoir la différence entre les investissements consentis par le budget de l’État dans ce domaine, et les recettes et économies budgétaires qui résultent directement ou indirectement de cet investissement, offre un intérêt évident, puisqu’il permet de déterminer de manière précise la soutenabilité, et donc la pérennité de cet effort.

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Une méthodologie pluridisciplinaire 

Pour y parvenir, la DVP s’appuie sur deux analyses successives et complémentaires, issues d’écoles économiques qui souvent ne s’associent pas ou mal :

  • Une analyse micro-économique de plusieurs bassins d’emplois liés à l’industrie de Défense permet de déterminer le nombre d’emplois directs et indirectes créés ou sécurisés par l’investissement, de sorte à concevoir un indicateur présentant le nombre d’emplois par m€ investis et par an. 
  • Une analyse macro-économique prend alors le relais, pour déterminer d’une part le nombre d’emplois induits créés par ces emplois directs et indirects (par consommation essentiellement), puis pour déterminer le retour budgétaire effectif et étendu pour l’état.
  • Le Retour budgétaire effectif s’appuie sur les recettes fiscales et sociales générées par ces emplois sur une année sur la base de statistiques moyennes nationales
  • Le Retour Budgétaire étendu intègre l’application des recettes sociales en réduction des déficits sociaux sur le budget de l’État, ainsi que la transposition des emplois financés en couts sociaux si les emplois n’existaient pas. 

Sur la base des études existantes, l’industrie de défense génère en moyenne 25 à 27 emplois annuels par m€ investis, générant un Retour budgétaire direct de 65% et un retour budgétaire étendu de l’ordre de 100%. Dans le cadre du programme Tempest, PWC a estimé la création de 31 emplois par m£ par an, et un retour budgétaire de l’ordre de 85%, ce ci tenant compte des spécificités du modèle britannique. 

Un outil de pilotage de l’effort industriel

En tenant compte du taux d’exportation moyenne de l’industrie de défense française, de l’ordre de 35% ces 10 dernières années, l’effort industriel de défense en France excède donc un RB effectif de 100% et un RB étendu de plus de 130% sur la base de l’analyse existante.

Une analyse plus méthodique et menée de manière académique permettrait de concevoir un outil de pilotage très performant de l’effort industriel de Défense en France. 


4ᵉ pilier : repenser les paradigmes industriels de défense : le Cycle Défense

D’un point de vue purement conceptuel, l’association des trois premiers piliers du Socle Défense, la location d’équipement, l’appel à l’Épargne et la Défense à Valorisation Positive, suffit à produire un modèle répondant aux principaux enjeux du moment, notamment en permettant d’accroitre sensiblement les investissements industriels de défense à court terme sans affecter la dette souveraine, et sans menacer les équilibres budgétaires grâce à la soutenabilité mise en avant par la DVP.

Toutefois, ce modèle passerait outre les nombreux avantages offerts par le Socle Défense au travers de son 4 et dernier pilier, le Cycle Défense.

L’optimisation du modèle de soutenabilité

Les exemples récents des Rafale grecs et croates, ou des frégates marocaines et égyptiennes, montrent que désormais, la disponibilité et le prix des équipements de défense d’occasion offrent des attraits décisifs, surpassant même des offres compétitives d’équipements neufs.

Dans ce contexte, l’association d’un modèle sur base de leasing à VR non nulle d’abord, et d’un outil d’analyse et de pilotage du Solde budgétaire tel la DVP ensuite, offrirait à la France un formidable outil pour planifier de manière efficace la rotation des équipements des armées, de sorte à atteindre le résultat le plus performant en terme budgétaire, mais également en matière d’emploi et de politique étrangère. 

RAfale grece Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense

À titre d’exemple, un avion Rafale loué pendant 15 ans par l’Armée de l’Air conserverait une VR supérieure à 35%, valorisable à plus de 40 % sur les marchés internationaux du fait de sa disponibilité et de son potentiel de vol restant.

En tenant compte de ces données, mais également du retour industriel annuel par matériel exporté (peu importe qu’il soit d’occasion ou neuf) et des données issues de la DVP, il peut apparaître plus que pertinent pour la France, ses armées et son industrie de renouveler l’ensemble de sa flotte au bout de la durée de leasing optimum, de manière bien plus efficace que l’acquisition standard d’équipements, y compris face aux supposés surcouts liés à la location et à l’appel à l’Épargne.  

Raccourcir les cycles technologiques défense

Le corolaire de ce qui précède, est qu’il devient possible de sensiblement raccourcir les cycles technologiques qui président à la conception des grands programmes d’équipement militaire français.

En effet, s’il est possible et opportun de renouveler à échéance donnée les flottes d’avions de combat, de navires de guerre ou de blindés, il devient possible également de faire évoluer les paradigmes industriels et technologiques qui leur donnèrent naissance, en raccourcissant simultanément les cycles technologiques, voire les cycles générationnels des équipements.

En outre, à l’instar des travaux présentés par le Dr Roper lorsqu’il dirigeait les acquisitions de l’US Air Force, il devient possible de réduire les couts de développement des équipements, mais également les couts de maintenance en diminuant la durée de vie opérationnelle au sein des forces, les appareils étant cycliquement remplacés par des matériels de nouvelle génération à moyen terme, et ce, de manière budgétairement optimisée.

Un outil de conquête pour contrôler les offres émergentes

Alors que la DVP démontre le rôle déterminant des exportations d’équipements de défense pour la soutenabilité budgétaire de l’effort industriel de défense français, l’arrivée de nouveaux acteurs, comme la Chine, la Corée du Sud, le Japon, la Turquie ou l’Inde, risque de menacer l’attractivité des offres tricolores sur la scène internationale, alors que l’omniprésence US réduit déjà le marché adressable.

Dans ce contexte, disposer d’une offre de matériels de haute technologie, à disponibilité planifiée, et à des couts attractifs, pourrait permettre de contrôler l’émergence de ces acteurs, voire de contrôler une partie suffisante du marché international pour mettre à mal leur propre pérennité.


La mobilisation russe pourrait avoir largement dépasser les 300.000 hommes annoncés

Pour faire face aux lourdes pertes enregistrées depuis le début du conflit en Ukraine, Vladimir a annoncé, le 21 septembre, une mobilisation partielle de 300.000 hommes de 18 à 49 ans. Selon les annonces faites par le dirigeant russe et son ministre de La Défense, Sergei Shoighou, il s’agissait avant tout de mobiliser les hommes ayant une experience militaire récente (-5 ans), en écartant toutefois l’idée de mobilisation générale, intimement liée au concept même de guerre, ceci allant à l’encontre de la narrative du Kremlin qui, depuis le début du conflit, parle d’Opération Militaire Spéciale. De nombreux témoignages sur les reseaux sociaux russes ont montré que cette mobilisation, toute partielle qu’elle fut, était très moyennement appréciée des russes eux-mêmes, avec notamment un important exode de jeunes hommes vers la Georgie et les autres pays limitrophes suite à son annonce. D’autres témoignages ont montré que les conditions de recrutement, intégration et entrainement des mobilisés étaient de très mauvaise qualité, et ne sera, des lors, aucune susceptible de produire des troupes efficaces et opérationnelles dans les délais annoncés.

Il semble cependant que le nombre de mobilisés ait très largement dépassé le seuil de 300.000 annoncé par le Kremlin. En effet, selon le site d’information indépendant russe Mediazona, celui-ci pourrait presque atteindre les 500.000 hommes. Pour parvenir à ce chiffre, les journalistes du site ont compilé les données relatives à la hausse très sensible des mariages dans les oblasts et régions russes suite à l’annonce de la mobilisation. En effet, pour bénéficier des pensions et indemnités versées par le Ministère de La Défense russe en cas de mort au combat, les conjointes des militaires russes doivent être légalement mariées, et identifiées comme tel dans les documents militaires du soldat. De fait, le nombre de mariage à considérablement augmenté suite à l’annonce du 21 septembre, avec 31.000 nouveaux mariages célébrés lors des 3 semaines ayant suivi cette annonce dans 75 des 85 régions administratives du pays , 6 fois plus qu’en temps normal sur une période identique.

Russian Tank Factory uralvagonzavod Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Selon certaines informations, le réseau de sous-traitance industriel défense russe a considérablement augmenté ses cadences de production, passant notamment à une production en 3×8 et à des équipes renforcées.

Selon le site, cette hausse permet de déterminer que le taux de mobilisation atteint non pas inférieur à 1% comme annoncé par les autorités russes, mais 1,56%, et représente donc un total compensé de 492.000 hommes mobilisés sur cette période, 64% de plus qu’annoncé par les autorités du pays. En outre, il existe une forte disparité régionale dans le taux de mobilisation, les régions de Sibérie et du Caucase étant de loin les plus représentées, les grandes villes, comme Moscou et Saint-Petersbourg, les plus préservées, notamment du fait de l’action déterminée de leurs maires comme Sergueï Sobianine, maire de Moscou depuis 2013, et qui s’est montré très prompt à minimiser les effets de la mobilisation dans sa ville. Au delà de cette mobilisation par nature très visible, l’effort de defense russe semble s’être intensifié dans de nombreux autres domaines, notamment dans celui de la production d’armement. Ainsi, plusieurs témoignages que nous avons recueillis indiquent que le réseau de sous-traitance industrielle des grandes entreprises de défense russes, est désormais sous pression, avec une accélération très sensible des cadences de production, et des objectifs très ambitieux, de faire croitre les cadences de livraison jusqu’à 7 fois les cadences d’avant guerre.

Ces deux informations, mises bout à bout, laissent supposer que la stratégie de Moscou vise une exécution en deux temps. Dans un premier temps, il s’agirait de limiter les pertes territoriales des forces russes engagées en Ukraine, en densifiant le dispositif défensif grâce au déploiement de troupes plus nombreuses et plus fraiches, d’appuyant sur des positions défensives préparées faute de disposer des materiels suffisant pour manoeuvrer. Dans un second temps, probablement au delà de l’hiver, il semble que Moscou prépare activement la constitution d’un ou plusieurs nouveaux corps, mieux équipés et entrainés dans la longueur, susceptibles de reprendre l’offensive en disposant, cette fois, d’une masse suffisante pour espérer neutraliser l’avance ukrainienne.

russian tank losses Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Avec plus de 1400 chars perdus documentés depuis le début du conflit, il faudra au moins 3 ans à l’industrie russe pour reconstituer le parc des armées russes, si la production était multipliée par 5, ce qui est très improbable.

Reste que ces ambitions, si elles peuvent faire sens dans le discours servit par les autorités russes à leur propre opinion publique, semblent davantage destinées à garder celle-ci sous controle, qu’à effectivement renverser le rapport de force en Ukraine. En effet, même si l’industrie russe parvient à accroitre ses cadences de production, elle sera incapable de remplacer les très lourdes pertes matérielles enregistrées depuis le début du conflit, sachant que même dans le cas très improbable d’une augmentation par 7 des cadences de production il faudrait 3 ans pour remplacer les 1400 chars et quelques 3500 blindés perdus par les forces russes depuis le 24 février. En outre, s’il ne fait guère de doute que Moscou puisse accroitre les cadences de production de son réseau de sous-traitance, il restera un puissant goulet d’étranglement technologique lorsqu’il s’agira de remplacer les composants ou d’entretenir les machines outils venus d’occident, qui jusqu’ici étaient employés par l’industrie russe. Enfin, pour former et encadrer efficacement les centaines de milliers de mobilisés rassemblés par Moscou, il serait indispensable de disposer d’un important corps de sous-officiers et d’officiers subalternes aguerris, ceux-là même qui payèrent le plus lourd tribu depuis le début du conflit, et qui, aujourd’hui, ne peuvent simultanément entrainer les conscrits et encadrer les soldats qui tiennent la ligne de front.

Dans ce contexte, on imagine aisément que cette mobilisation surnuméraire, comme l’effort apparent consenti par l’industrie russe, servent avant tout des objectifs de politique intérieure, dans le but de temporiser notamment les éventuels mouvements de contestation qui pourraient apparaitre suite aux nombreuses pertes enregistrées depuis le début du conflit. Pour autant, aucune hypothèse de sortie de crise ne se détache clairement des actions entreprises par le Kremlin ces dernières semaines, si ce n’est d’accroitre les tensions autour d’une possible utilisation d’armes de destruction massive, qu’elle soit ou non justifiée par une quelconque manoeuvre de type false flag. De toute évidence, Moscou entend faire durer ce conflit, quitte à sacrifier pour cela une grande partie de ses forces vives, probablement dans l’espoir d’atteindre le point de rupture du soutien occidental et européen à l’Ukraine, ou d’un emballement des crises au travers le monde qui redistribuerait les cartes. Cette stratégie serait loin d’être dénuée de sens, d’autant que le soutien occidental à l’Ukraine semble avant tout conditionné par des réponses émotionnelles à des initiatives russes, et non à une véritable stratégie de victoire. En collant à une stratégie défensive basée sur la masse, et en évitant tout débordement excessif provoquant une nouvelle réaction occidentale en matière de livraison d’armes, Moscou peut effectivement espérer user le soutien occidental et la détermination ukrainienne, de sorte à forcer ces derniers à la négociation.

Pékin peut-il imposer un blocus de Taïwan avant 2027 ?

Plutôt qu’une action amphibie risquée et couteuse, l’hypothèse d’un blocus de Taïwan imposé par la Marine chinoise et les forces aériennes de l’Armée populaire de libération, apparait désormais la plus susceptible d’intervenir rapidement, selon plusieurs spécialistes du sujet.

Il y a quelques jours, le Chef des Opérations Navales américain, l’amiral Gilday, insistait sur les risques d’emballement d’un hypothétique conflit entre la République Populaire de Chine et Taïwan, sur un calendrier raccourci.

Pour l’officier américain, l’US Navy estime à présent qu’une offensive chinoise contre l’ile autonome depuis 1949 est probable d’ici à 2027, et pourrait même intervenir dans un avenir très proche, précisant que la fenêtre d’opportunités avait déjà débuté.

Ses propos furent largement accrédités par les déclarations du président Xi Jinping à l’occasion du XXᵉ Congrès du Parti communiste chinois, mais également par la réorganisation du haut commandement chinois qui lui fit suite, mettant à la tête de l’Armée Populaire de Libération des officiers généraux de renom pour leur expérience et leur fidélité au président chinois.

L’hypothèse d’un blocus de Taïwan de plus en plus crédible

C’est dans ce contexte que le directeur du National Security Bureau taïwanais, Chen Ming-tong, s’est exprimé au sujet de l’actualisation de la menace chinoise sur l’ile. Selon lui, il ne fait guère de doute que Pékin souhaite accélérer l’ensemble de son calendrier visant à réintégrer l’ile au sein de la République Populaire de Chine.

À l’instar de l’amiral Gilday, il estime que la Chine pourrait entreprendre des opérations visant à forcer Taïwan à la soumission à Pékin par la force, et ce, dès 2023.

Selon lui, l’hypothèse d’un blocus de l’ile est aujourd’hui la plus probable, et celui-ci pourrait intervenir dès l’année prochaine, sachant que la prise de Taïwan constitue désormais un marqueur clé de l’action politique de Xi Jinping, et qu’il semble indispensable que celle-ci soit effectivement réalisée avant la fin de son 3ᵉ mandat en 2027, surtout s’il entend, comme c’est probable, briguer d’autres mandats par la suite.

Le blocus de Taïwan nécessitera une importante flotte d'avions ravitailleurs comme le YU-20
Les forces aériennes chinoises disposent d’une trentaine d’avions de transport lourd Y-20, mais seulement d’une dizaine de ces appareils dédiés au ravitaillement en vol, un parc insuffisant pour soutenir un blocus naval autour de Taïwan.

Pour autant, imposer un blocus naval et aérien de l’ile sera une action ardue à mener pour les forces chinoises, qui plus est en 2023 alors que la transformation de l’Armée Populaire de Libération n’aura atteint que la moitié de ses objectifs.

La puissance de la Marine et des forces aériennes chinoises

Ainsi, à cette date, la Marine chinoise disposera de 3 porte-avions, de 55 sous-marins d’attaque modernes dont 6 à propulsion nucléaire, de 10 grands navires d’assaut amphibies épaulés de 40 navires d’assaut de plus faible tonnage, de 8 croiseurs, 45 destroyers, 30 frégates et cinquante corvettes de lutte anti-sous-marines.

Dans les airs, Pékin pourra s’appuyer sur 1600 chasseurs et chasseurs bombardiers modernes, dont une centaine de J-20 de 5ᵉ génération et de 200 bombardiers à long rayon d’action, mais de seulement 60 avions de transport lourds, 35 Awacs et à peine autant d’avions ravitailleurs.

Si une telle force est incontestablement plus que significative, elle n’est pas exempte de certaines faiblesses pouvant mettre à mal l’application d’une stratégie de blocus contre Taïwan.

Les limites actuelles de la Marine chinoise

En effet, avec seulement trois porte-avions disponibles, dont un qui sera encore en phase d’essais, la Marine chinoise ne pourra déployer qu’un unique navire de ce type à l’est de Taïwan, tant pour coordonner le blocus que pour éventuellement tenir en respect une éventuelle flotte américaine et alliée venue lever le blocus chinois.

En outre, le navire ne pourra s’appuyer que sur un ou deux sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire pour assurer sa sécurité, même s’il pourra mettre en œuvre une importante escorte de destroyers et de frégates.

Enfin, en l’absence d’une flotte d’avions ravitailleurs suffisamment dimensionnée, les forces aériennes chinoises ne pourront renforcer la couverture aérienne de leur dispositif aéronaval, ni même escorter au-delà de la cote est taïwanaise les bombardiers stratégiques et les bombardiers navals chinois, laissant ces appareils très vulnérables face à la chasse américaine et alliée le cas échéant.

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Si le nouveau porte-avions Fujian apportera de nombreuses capacités nouvelles à la Marine chinoise, il ne sera pleinement opérationnel qu’à partir de 2025.

En d’autres termes, eu égard aux forces effectivement disponibles pour Pékin en 2023, la mise en œuvre d’un blocus naval global de l’ile ne pourra être que relativement réduite dans le temps.

Surtout, il ne pourra pas s’opposer effectivement à une force navale occidentale sous bannière américaine venue lever le blocus le cas échéant, sauf à limiter le blocus aux ports et aéroports de la côte occidentale de l’ile faisant face au détroit de Taïwan.

En procédant de cette manière, les forces chinoises bénéficieraient en permanence de la couverture offerte par les avions de chasse de l’Armée Populaire de Libération basés sur les nombreux aérodromes bordant le détroit.

Un blocus restreint au détroit de Taïwan

En limitant le blocus à la passe de Taïwan, Pékin pourrait, en effet, neutraliser le transport maritime taïwanais transitant par le premier port de l’ile, Kaohsiung, et par celui de son port de dégagement d’Anping, ainsi que le trafic aérien sur l’aéroport international de Taipei.

Cette stratégie aurait d’importants impacts sur l’économie de l’ile comme sur l’ensemble du commerce maritime international transitant dans cette zone, notamment vers et à destination du Japon et de Corée du Sud.

En outre, en limitant le blocus à la passe de Taïwan, Pékin disposerait d’arguments certes contestables, mais potentiels pour en faire valoir la dimension de mer intérieure et d’eaux territoriales, comme c’est le cas en Mer de Chine du Sud.

Il semble à ce titre relativement aisé de créer un prétexte pour justifier d’une telle intervention, par exemple, en incitant Taipei à abattre un appareil chinois ou à frapper un navire dans ces eaux.

En outre, cela rendrait beaucoup plus difficile et risquée, une éventuelle intervention américaine pour lever le blocus par la force. Les forces aériennes chinoises basées à terre, mais également les multiples batteries anti-aériennes et antinavires disposées par l’APL le long du détroit, seraient, en effet, capables de couvrir l’intégralité de la passe jusqu’au-dessus des côtes occidentales de l’ile.

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Les forces aériennes chinoises disposent de près de 700 chasseurs lourds de la famille Flanker. Cependant, le rayon d’action de ces appareils est trop limité pour assurer une couverture aérienne efficace au-delà de Taïwan.

D’un point de vue politique, une telle manœuvre militaire offrirait évidemment de nombreux intérêts pour Pékin. Tout d’abord, il ne s’agirait ni d’une attaque effective contre l’ile, ni d’un blocus imperméable, privant potentiellement l’ile des ressources élémentaires en matière d’alimentation et d’énergie, puisque les ports de la côte orientale, en particulier ceux de Keelung, Suao et Hualien, suffisamment dimensionnés pour assurer ces fonctions vitales.

En revanche, l’économie taïwanaise serait lourdement touchée, particulièrement pour ce qui concerne ses exportations technologiques, avec des effets très importants sur l’ensemble de l’économie occidentale.

En outre, un tel blocus partiel ne représenterait pas un effort extraordinaire pour l’APL, celle-ci disposant du nombre de frégates, destroyers et corvettes pour en assurer l’application en surface, et d’une vaste flotte de sous-marins à propulsion conventionnelle parfaitement adaptés à une telle mission pour le volet sous-marin.

Au-delà des effets immédiats d’un tel blocus, celui-ci ferait peser une menace permanente sur l’ile, si tant est que Taïwan tente une action militaire pour le briser, avec la possibilité de frapper massivement et durement l’ensemble des infrastructures militaires de l’ile par des missiles balistiques et de croisière, tout en se justifiant d’une simple riposte pour Pékin.

Si les Etats-Unis et leurs alliés venaient à tenter une action pour déployer des forces sur ou à proximité de l’ile, l’APL disposerait des moyens de réagir rapidement en maîtrisant intégralement le détroit.

Elle pourrait ainsi mener une action amphibie de grande envergure contre les cotes taïwanaises y faisant face, sans qu’il soit aisé de s’y opposer pour les forces américaines.

Enfin, le probable statu quo qui ferait suite à une telle manœuvre, jouerait sans le moindre doute en faveur de Pékin, qui pourrait notamment s’accaparer les iles taïwanaises du détroit.

Dans le même temps, cette manœuvre ferait croitre la pression politique et économique sur l’ile et son gouvernement, en espérant un basculement de l’opinion publique en faveur d’une « réintégration pacifique » au sein de la république populaire de Chine.

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En cas de la flotte taïwanaise n’est pas dimensionnée pour résister à la puissance navale chinoise, y compris dans l’hypothèse d’un blocus de la passe de Taïwan.

Reste qu’un tel scénario, probablement tel qu’il a été envisagé par Pékin, s’appuie sur les mêmes biais que ceux qui amenèrent Vladimir Poutine à déclencher son invasion de l’Ukraine en février.

Les dangers d’une action militaire chinoise contre Taïwan

D’abord, l’opinion publique taïwanaise semble effectivement plus que déterminée à résister à une éventuelle tentative d’annexion par la force de l’ile, et l’on a pu voir à quel point ce type de détermination peut s’avérer efficace sur le terrain en Ukraine.

En outre, dans une telle hypothèse, il est probable que l’occident, une fois encore, réagirait avec fermeté, notamment en imposant d’importantes sanctions économiques contre la Chine, et en accroissant le soutien militaire à Taïwan, au point de faire de l’ile une forteresse qu’il sera très difficile, et très couteux, de contraindre par la force pour l’APL.

Par ailleurs, une telle initiative chinoise pourrait finir de rassembler le camp occidental dans le Pacifique comme l’invasion de l’Ukraine rassembla les européens, à la surprise de tous, et en particulier du Kremlin.

Or, si le Japon, la Corée du Sud, l’Indonésie et l’Inde venaient à durcir leurs positions et à accroitre leur coopération avec les Etats-Unis, mais également entre eux dans le Pacifique et l’Océan Indien, les effets sur l’économie et la position internationale de Pékin pourraient être aussi dévastateurs qu’ils ne le sont aujourd’hui pour la Russie.

Quoi qu’il en soit, on peut raisonnablement craindre, désormais, que Xi Jinping et son régime entendent effectivement régler la question taïwanaise avant 2027, même si, objectivement, l’APL ne sera pas en position de le faire de manière efficace et garantie avant 2035, dans une redite de ce qui amena Vladimir Poutine à sous-évaluer dramatiquement la résistance ukrainienne et la réponse occidentale à son projet d’invasion.

De toute évidence, dans ce dossier, des considérations de politique intérieure, mais également d’ambition personnelle et historique, sont à la manœuvre, et œuvrent bien plus efficacement que la raison et l’objectivité, d’autant que tous ceux qui pouvaient porter un tel discours ont été minutieusement écartés du pouvoir.

Une chose est certaine cependant : quelle que soit l’hypothèse retenue par Pékin, toute initiative visant à s’emparer militairement de Taïwan sera extrêmement risquée, ce d’autant que contrairement à l’Ukraine, l’Occident en général, et les Etats-Unis en particulier, semblent désormais pleinement se préparer à un tel scénario.

L’US Army reporte la production de son Stryker DE M-SHORAD Guardian

Avec les armes hypersoniques et les systèmes de commandement et de communication avancés au coeur de la doctrine JDAC2, les armes à énergie dirigée sont aujourd’hui l’une des grandes priorités du Pentagone, et l’ensemble des armées américaines est engagé dans le developpement de plusieurs de ces systèmes, qu’il s’agisse de laser à haute énergie ou de canon à micro-ondes, aussi bien pour protéger les troupes et infrastructures au sol, que les navires de combat et même les aéronefs. Si l’US Navy avait longtemps été en pointe dans ce domaine, avec le système de 60 Kw Helios, l’US Army a produit un très important effort ces dernières années dans ce domaine, en développant simultanément 4 programmes dans ce domaine : le fusil anti-drones de brouillage C-sUAS, le canon à micro-ondes IPFS-HPM pour contrer les essaims de drones, le laser à haute énergie de 300 Kw et plus IFPC-HEL Valkyrie pour la protection des infrastructures et le système mobile DE M-SHORAD Guardian pour la protection des unités de contact, un laser de 50 Kw autonome monté sur un véhicule blindé Stryker qui en assure l’alimentation électrique et la mise en oeuvre.

Les premiers essais opérationnels du Guardian ont débuté en milieu d’année 2021, et avaient, semble-t-il, montré des résultats prometteurs, au point que l’US Army annonça que les premiers systèmes d’essais seraient livrés dès le mois de septembre 2022 à Fort Sill, dans l’Oklahoma, afin d’être testé par des unités opérationnelles. Il faut dire que l’attente est forte au sein des unités de l’US Army pour ce type de systèmes, particulièrement bien adaptés pour contrer la menace des drones légers de catégorie 1, 2 ou 3, mais également des munitions vagabondes et dans une certaine mesure, des obus de mortier et des roquettes (on parle alors de système C-RAM pour Cruise-Racket Artillery and Mortar), domaine dans lequel l’US Army, comme l’immense majorité des forces terrestres occidentales, est particulièrement mal dotée, et ce en dépit de l’arrivée dans les unités du système IM-SHORAD également monté sur blindé Stryker, et disposant d’un canon de 30mm ainsi que de missiles Stinger et Hellfire pour assurer cette mission.

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L’US Army a commandé 144 systèmes M-SHORAD pour assurer la protection anti-aérienne rapprochée de ses unités combattantes dans l’attente de l’arrivée des systèmes à énergie dirigée comme le Guardian (en illustration principale)

Alors que la production industrielle du Guardian devait initialement être lancée en 2023 pour une entrée en service entre 2024 et 2025, l’US Army a décidé de reporter d’au moins une année l’entrée en service de ce système, selon les dires du lieutenant général Rasch, commandant le bureau de developpement des capacités et technologies critiques (Rapid Capabilities and Critical Technologies Office). Pour l’officier américain, il ne s’agit pas ici d’un arbitrage opérationnel, le système ayant montré son efficacité et sa fiabilité lors des essais, mais de s’assurer que la réponse industrielle autour de ce programme sera optimale, et que les engagements pris par les prestataires seront effectivement respectés, en terme de délais comme de couts. De toute évidence, l’US Army entend temporiser la poursuite de ce programme mené tambour battant, et ayant laissé sur le bas coté les offres industrielles alternatives à celle de Raytheon qui développe le Guardian, alors que les autres solutions avaient été écartées les unes après les autres lorsqu’elles rencontraient des délais supplémentaires.

Au final, début 2022, seule la solution de Raytheon était parvenue à suivre le planning imposé par l’US Army, laissant cette compétition avec un unique compétiteur, une solution bien peu satisfaisante pour le Pentagone, d’autant que depuis, les solutions de Northrop-Grumman et de Lockheed-Martin sont parvenues à refaire leur retard et à proposer, elles aussi, des solutions applicables. En tout état de cause, et comme ce fut le cas avec la précédente itération du programme OMFV qui, par les contraintes strictes imposées par l’US Army, ne laissa qu’un unique compétiteur en lice (le Griffin III de GDLS), avant d’être relancé sur des bases plus réalistes, il apparait que l’US Army n’entend plus se livrer pieds et poings liés à un industriel unique du fait d’une compétition trop ambitieuse. En conservant le programme DE M-SHORAD sous la houlette du RCCTO une année supplémentaire, l’US Army s’assure donc d’effectivement faire jouer à plein la concurrence entre industriels, et ainsi de sélectionner l’offre la plus efficace dans ce domaine.

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LE Guardian est appelé à assurer une mission critique au sein de l’US Army, en interceptant les drones legers et les munitions vagabondes menaçant les unités de contact.

Reste qu’en terme de besoin, ce délais supplémentaire va peser dans la remontée en puissance de l’US Army, et peut-être de certains des alliés des Etats-Unis qui, eux aussi, attendent avec impatience qu’une telle solution soit proposée sur le marché pour s’en équiper. En effet, au delà de la démonstration faite de l’efficacité des drones et des munitions vagabondes lors de la guerre du Haut-Karabakh, le conflit en Ukraine montre de manière éclatante le rôle désormais central des drones légers dans un conflit moderne, et surtout du manque d’efficacité des systèmes existants pour contrer de telles menaces, comme les systèmes de defense anti-aérienne conventionnels et les missiles sol-air légers MANPADS. Dans ce domaine, l’arrivée des systèmes à énergie dirigée mobile comme le Guardian, va probablement sévèrement diminuer l’efficacité de ces drones dès lors qu’ils seront suffisamment en dotation pour couvrir l’ensemble des cibles d’opportunité, et donc rétablir le rapport de force notamment en cas d’engagement asymétrique.

Avec le RapidFire, la Marine Nationale tient enfin son système de protection rapprochée CIWS

Dès le milieux des années 60, les nouveaux navires de combat soviétiques se virent doter de systèmes de protection rapprochés AK-630, un canon hexatubes de 30mm à guidage radar destiné à intercepter avions de combat, hélicoptères et missiles anti-navires menaçant le bâtiment, et ayant franchit sa défense à longue et moyenne portée assurée par les missiles surface-air et l’artillerie navale. Une quinzaine d’années plus tard, l’US Navy commença a déployé sur ses nouveaux bâtiments le désormais célèbre système Phalanx, un canon de 20 mm lui aussi hexatubes capable de très grandes cadences de tir au delà de 4000 coups par minutes, pour intercepter les menaces aériennes en rapprochement à très courte portée. C’est ainsi que naquit en occident la notion de Close-In Weapon System, ou CIWS (prononcer Si-oui-s) afin d’assurer l’ultime protection des navires de surface face aux missiles, roquettes, aéronefs et même obus d’artillerie.

Depuis, le système s’est largement démocratisé, et plusieurs systèmes équipements désormais les marines occidentales, qu’il s’agisse de systèmes d’artillerie comme le Phalanx ou le Goalkeeper, ou à base de missiles à très courtes portées, comme le SeaRam américain et le Simbad français, mais également en Russie avec le Kashtan et le nouveau Pantsir-M naval, et en Chine avec le Type 730 (artillerie 30 mm heptatubes) et le HQ-10 (missiles). Et l’immense majorité des navires de combat de surface dits de 1er rang entrés en service depuis 1990 en furent dotés. Une seule grande marine mondiale fit l’impasse sur ce type de système, la Marine Nationale française. Pour Paris, en effet, ces systèmes étaient jugés superfétatoires, sachant que les navires français disposaient d’une importante et performante panoplie de guerre électronique et de leurres pour compléter les missiles surface-air et l’artillerie navale pour faire face à la réalité de la menace durant cette période. Le fait est, entre 1990 et 2010, les risques qu’une frégate française fut effectivement visée par un nombre important de missiles anti-navires dépassant les capacités de defense offertes par la panoplie défensive dont elle dispose, étaient très faibles.

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Le système Phalanx équipe les navires de plus d’une vingtaine de forces navales dans le monde

Mais depuis quelques années, le risque a considérablement évolué, et désormais, il est loin d’être exclue qu’un navire français soit pris pour cible par des missiles et des drones adverses. Il devint donc désormais indispensable de protéger contre ce type de menaces non seulement les frégates et destroyers disposant déjà de systèmes de guerre électronique et de missiles surface-air, mais également les navires de soutien et de second rang, comme le nouveau Bâtiment Ravitailleur de la Flotte, ou BRF, de la classe Jacques Chevallier, ou les nouveaux Patrouilleurs Océaniques qui remplaceront les aviso A69 dans les années à venir. Pour cela, les groupes Thales et Nexter se sont associés pour developper le système RapidFire, une tourelle navale armée du canon franco-britannique 40 CTA de 40 mm à munition télescopée qui équipe déjà les blindés EBRC Jaguar, et jouer ainsi le rôle de CIWS pour les navires de la Marine Nationale. Alors que la version définitive du RapidFire a été présentée lors du salon Euronaval 2022, force est de constater que le nouveau CIWS français offre effectivement des performances très prometteuses, tant pour protéger les unités de seconde ligne que pour renforcer la survivabilité des grandes unités de surface de première ligne.

En matière de conception de systèmes d’armes, tout est question de compromis entre les performances promises et les contraintes induites. Pour ce qui concerne un système CIWS, c’est d’autant plus sensible que les espaces disponibles sur les navires de combat et de soutien pour accueillir ces systèmes sont limités. De fait, un CIWS se doit d’avoir une empreinte limitée sur le pont ou les infrastructures, mais également dans les entrailles du navire, tout en offrant une capacité de defense la plus étendue possible. Dans ce domaine, le RapidFire offre un compromis proche de l’optimum, avec une masse inférieure à celle du Phalanx, pour des capacités largement accrues. Ainsi, avec ses munitions ainsi-aériennes télescopées de 40 mm conçues pour projeter une nuée de projectiles en amont de la trajectoire suivie par la cible, le RapidFire dispose d’une allonge de 4 km deux fois supérieures à celle du système américain, et donc une capacité d’engagement double de celui-ci. En outre, du fait de sa précision, le système n’a besoin de ne tirer que 3 obus par cible, pouvant de fait traiter plusieurs cibles évoluant simultanément, même à grande vitesse, dans le délais particulièrement court à sa disposition, de l’ordre de 12 secondes pour des cibles supersoniques. Enfin, grâce à cette caractéristique de munitions télescopées, le canon est capable de sélectionner dynamiquement le type de munition employée, lui offrant des capacités aussi bien anti-aérienne qu’anti-surface.

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Le RapidFire équipera également les futurs navires de guerre des Mines de la Marine Nationale

Par ailleurs, si le RapidFire peut recevoir un radar dédié et s’intégrer au système de combat du navire d’accueil, donc bénéficier du guidage des radars en service, il dispose surtout d’un système de visée Electro-optique multi-spectral visuel et infra-rouge couplé à un télémètre laser à haute fréquence, permettant au système d’assurer sa mission même lorsque le navire navigue radar et communication coupés pour assurer sa furtivité, ce qui, là encore, accroit considérablement l’efficacité du système, en particulier dans le contexte probable d’utilisation dans les années à venir. De fait, si le RapidFire va permettre de protéger les navires de seconde ligne et de soutien, il est également parfaitement calibré pour équiper les navires de premier rang comme les frégates, ainsi que les navires d’assaut et les porte-avions. On constate à ce titre qu’il est d’ores et déjà présent sur les modèles présentés du futur porte-avions nucléaire de nouvelle génération qui entrera en service en 2038.

Reste à voir, désormais, si la Marine Nationale entreprendra ou pas d’équiper ses frégates modernes, comme les Horizon de défense aérienne, les FREMM et les FDI, mais également les Porte-hélicoptères d’Assaut voire le PAN Charles de Gaulle, de ce système à l’occasion de leur modernisation. Il ne fait guère de doute que de tels ajouts renforceraient sensiblement la survivabilité de ces navires, tant pour contrer la menace que représente les missiles anti-navires que les drones, et complèteraient parfaitement les systèmes déjà présents, qu’il s’agisse de missiles surface-air, de l »artillerie navale, ainsi que des systèmes de guerre électronique ou des armes à énergie dirigée en cours d’expérimentation. Alors qu’à l’occasion du salon Euronaval 2022, l’entame de travaux a été annoncé afin de conférer aux systèmes de lancement vertical de missiles SYLVER la souplesse requise pour étendre leurs capacités d’emport, ouvrant la voie non seulement au chargement dynamique des silos mais également au multi packing, et avec l’arrivée tant attendue d’un véritable CIWS français avec le RapidFire, l’industrie navale française a définitivement pris la mesure des évolutions en cours, tant du point de vue technologique qu’opérationnel, et offre désormais des réponses parfaitement adaptées aux enjeux à venir dans ce domaine.

L’US Navy confirme ses craintes d’une annexion de Taïwan par Pékin d’ici à 2027

Une annexion de Taïwan par la République Populaire de Chine d’ici à 2027 constitue désormais le scénario de travail de l’ensemble des forces américaines, qui doivent rapidement se transformer pour répondre au défi considérable posé par l’Armée Populaire de Libération.

En mars 2021, le commandant en chef des forces américaines du Pacifique, l’Amiral Phil Davidson, stupéfia son auditoire en annonçant que, selon lui, il fallait s’attendre à ce que les autorités chinoises déclenchent les opérations militaires en vue d’annexer l’ile de Taïwan d’ici à 2027.

Selon l’officier américain, il y avait en effet une dichotomie flagrante entre la trajectoire présentée par Pékin selon laquelle la Chine devait devenir une puissance militaire mondiale d’ici à 2050, et la réalité de l’effort constaté, qui laissait supposer un croisement des courbes entre les Etats-Unis et la Chine bien plus tôt que cela.

En outre, en prenant en considération les bénéfices que procure la faible distance qui séparent les cotes chinoises de celles de Taïwan, et les progrès réalisés en matière d’interdiction navale par les forces armées chinoises, tout portait à croire que Pékin disposerait d’une fenêtre d’opportunités opérationnelles avant même la fin de la décennie, c’est-à-dire avant que les effets des programmes de modernisation et d’extension des forces américaines entrepris à partir de 2017, ne puissent effectivement peser dans le rapport de force.

Il semble que cette échéance de 2027 soit désormais l’hypothèse de travail pour l’ensemble de l’US Navy. En effet, le Chef des Opérations Navales, l’amiral Gilday, n’a pas dit autre chose lors de son intervention à l’occasion d’un colloque numérique organisé l’Atlantic Council.

Selon lui, tout porte en effet à croire que Pékin envisage une action militaire contre Taïwan avant 2027, à savoir la fin du nouveau mandat du président Xi Jinping. Pour argumenter ses prédictions, le CNO a précisé que la Chine avait, jusqu’ici, parfaitement respecté son calendrier de montée en puissance, et que rien ne laissait penser qu’il en irait autrement dans les années à venir.

Et d’ajouter que cette échéance de 2027 représentait une échéance haute, et qu’il se devait d’anticiper une possible offensive chinoise contre Taïwan dès aujourd’hui, et sur l’ensemble de cette période.

Annexion de Taïwan par les forces chinoises

L’hypothèse soulevée par l’amiral Gilday est loin d’être dépourvue de sens, même si elle suppose une très importante prise de risques de la part de la Chine. En effet, aujourd’hui, les armées chinoises sont loin d’être effectivement en mesure de mener une vaste opération amphibie contre Taïwan, et encore moins une stratégie de blocus naval, alors que la Marine chinoise n’aligne qu’une trentaine de destroyers modernes, autant de frégates, bientôt trois porte-avions et une dizaine de grands navires amphibie, ainsi qu’une quarantaine de sous-marins modernes.

En matière de forces aériennes, Pékin peut s’appuyer sur un millier de chasseurs modernes, dont une centaine de chasseurs de nouvelle génération J-20, mais moins d’une vingtaine d’avions de soutien (Awacs, ravitaillement en vol) ; alors que ses forces terrestres alignent une cinquantaine de brigades opérationnelles, dont huit brigades amphibies.

En tout état de cause, ces forces semblent insuffisantes pour mener une opération militaire contre Taïwan, qui dispose de défenses considérables avec notamment 350 avions de combat modernes, 3000 blindés et 300 systèmes d’artillerie mobile, et qui peut potentiellement recevoir l’appui des forces américaines, soit deux ou trois groupes aéronavals, deux groupes amphibies et plusieurs centaines d’avions de combat à partir des bases japonaises ou de Guam.

En outre, plusieurs pays de la ceinture Pacifique, dont le Japon et l’Australie, ont annoncé leur intention de participer à la protection de Taïwan le cas échéant, offrant potentiellement des moyens démultipliés aux forces américaines.

Si la Chine n’est, de toute évidence, pas en mesure de s’opposer aujourd’hui à la puissance militaire américaine et alliée, elle n’en dispose pas moins de plusieurs atouts susceptibles de lui conférer d’importants avantages.

En premier lieu, comme dit précédemment, la conjonction de la proximité entre les cotes chinoises et taïwanaises d’une part, et les progrès réalisés par les armées chinoises en matière de déni d’accès à longue portée, peut permettre aux Armées chinoises de tenir à distance les forces américaines et alliés un temps, de sorte à permettre une action militaire qui se devra d’être fulgurante pour être couronnée de succès.

En outre, la multiplication des zones de conflits dans le monde, en Europe face à la Russie, mais également, potentiellement, au Moyen-Orient face à l’Iran ou encore sur la péninsule coréenne face à la Corée du Nord, peut amener les forces américaines à devoir se disperser, et donc à entraver une éventuelle concertation de forces pour faire face à la Chine.

Enfin, et l’amiral Gilday le sait parfaitement, le format de l’US Navy ne pourra aller, dans les sept années à venir, que diminuant, alors que le nombre de navires devant quitter le service excédé très nettement celui des livraisons de navires neufs, comme c’est le cas, par ailleurs, pour les avions de combat de l’US Air Force.

XI Jinping Commisionning PLA Navy Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense

Il existe donc un nombre important de facteurs structurels, mais également conjoncturels susceptibles d’entraver les capacités de réponse de l’US Navy comme de l’ensemble des forces américaines dans le Pacifique, et qui représentent autant d’opportunités à disposition de Pékin pour déclencher son opération contre Taïwan.

Dans le même temps, le président Xi Jinping a, lors de son discours introductif du XXᵉ congrès du Parti communiste chinois, une nouvelle fois fait de la réintégration de l’ile dans le giron national le marqueur central de sa politique internationale dans les années à venir, sachant qu’un tel succès pourrait s’avérer déterminant en 2027 pour ce dernier s’il entendait briguer un quatrième mandat à la tête du pays.

Et de toute évidence, pour l’amiral Gilday, les craintes sont élevées que Xi Jinping entende à ce point ancrer son action dans l’histoire, qu’il pourrait faire fi d’un rapport de force plus favorable pour se saisir d’une opportunité.

Reste qu’en l’absence de facteurs extérieurs sur lesquels Pékin a bien peu d’emprise, il semble peu probable que la Chine ne décide d’une action militaire contre Taïwan avant 2027, sauf à prendre de très importants risques, notamment de s’embourber dans un conflit comparable à l’agression russe contre l’Ukraine.

Il paraît évident que le CNO entende, par cette déclaration, préserver, voire étendre les niveaux d’investissements dont disposera l’US Navy dans les années à venir, alors que toutes les armées américaines font face, de la même manière, à d’importants enjeux en termes de modernisation, et donc tentent d’augmenter leurs propres investissements dans un budget qu’il semble difficile d’étendre eu égard à la réalité économique du pays.

Et il est peu probable que l’US Navy, comme l’US Army et l’US Air Force, puissent relever le défi chinois à venir sans une profonde restructuration de l’industrie de défense du pays et de ses centres de couts, tous deux fortement détériorés par les 30 dernières années et les interventions militaires en Irak et en Afghanistan.

Comment les drones collaboratifs vont-ils bouleverser le marché des avions de combat ?

Les nouvelles capacités offertes par les drones collaboratifs de combat vont non seulement faire évoluer les stratégies et doctrines, mais également le marché des avions de combat dans les années à venir.

Depuis son arrivée sur le marché international des avions de combat il y a une quinzaine d’années, le F-35 Lighting II de Lockheed-Martin s’est largement taillé la part du lion lors des compétitions internationales, avec des commandes fermes émanant de pas moins de 14 forces aériennes en dehors des États-Unis.

Et la dynamique ne semble pas vouloir se tarir, avec de nombreux autres pays, donc cinq pays européens (Allemagne, Espagne, Grèce, République Tchèque et Roumanie) ayant annoncé leur intention de s’en équiper à court ou moyen terme.

Dans de nombreux cas, l’appareil américain s’est imposé au terme d’une compétition l’opposant à d’autres chasseurs américains et européens, notamment le Rafale français, le Gripen suédois, le Typhoon européen ou encore le Super Hornet de Boeing.

Lors de chacune d’elles, le Lighting II fut déclaré vainqueur, notamment du fait de sa conception plus récente, mais également de sa furtivité, sachant également que le poids politique et militaire des États-Unis jouèrent à plein dans de nombreux cas.

Toutefois, cette hiérarchie, pourtant bien établie, pourrait être remise en question d’ici à quelques années, et l’arrivée des nouveaux drones de combat dits collaboratifs, ces drones qui seront capables d’évoluer aux côtés et au profit des avions de combat pilotés, et qui sont activement développés au travers le Monde, avec les programmes Skyborg et Loyal Wingman américains et australiens, ou les Remote Carrier européens.

En effet, ces nouveaux appareils, qui agiront tels des appendices des avions de combat, démultipliant leurs capacités de détection et d’action, vont profondément bouleverser la conduite des opérations de guerre aérienne, et avec elles, le rôle même des avions de combat dans ce futur dispositif.

Or, dans une telle hypothèse, les arguments clés qui firent le succès du F-35 ces 15 dernières années, risquent fort de ne plus s’avérer décisifs face aux caractéristiques que pourront mettre en avant d’autres appareils parfois plus anciens, comme le Rafale de Dassault Aviation.

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Malgré ses qualités, le Rafale français ne s’est jamais imposé face au F-35A américain lors des compétions passées. Mais l’arrivée prochaine des drones collaboratifs pourrait bien changer la donne dans ce domaine.

Les drones collaboratifs, qu’ils soient Loyal Wingmen ou Remote Carrier, représentent une nouvelle génération de drones de combat destinés à être contrôlés par un avion de combat, de sorte à en étendre les capacités. Contrairement aux drones actuels, comme les drones MALE, ceux-ci ne seront pas pilotés à distance, mais simplement contrôlés par l’équipage de l’avion de combat, la fonction de pilotage étant gérée par une intelligence artificielle.

Ces nouveaux drones seront de tailles, de formes et de capacités variables, selon leurs missions, et pourront emporter des senseurs et des effecteurs (missiles, bombes, brouilleurs…) de sorte à démultiplier les capacités de combat ainsi que les options tactiques de l’appareil piloté, d’autant qu’un unique chasseur sera en mesure de contrôler plusieurs de ces drones simultanément.

On comprend, dès lors, à quel point l’arrivée de ces nouveaux systèmes va bouleverser la conduite des opérations de guerre aérienne, la faisant entrer, cette fois de manière bien sensible, dans une véritable nouvelle génération, bien plus surement que n’a pu l’être l’arrivée de la fameuse 5ᵉ génération d’avions de combat.

Cette transformation va également changer radicalement le rôle de l’avion de chasse dans ce nouvel environnement, avec à son terme, une redistribution des cartes quant aux capacités à forte valeur ajoutée de ces derniers, critères déterminants aussi bien au combat que lors des passations de marchés.

En effet, l’avion de chasse va voir son rôle premier évoluer d’une fonction de vecteur, à une fonction de coordinateur. Aujourd’hui, un avion de combat constitue avant tout une plate-forme centralisée capable d’accueillir, de transporter et de mettre en œuvre des systèmes de détection et ainsi que des munitions, que ce soit pour des missions de supériorité aérienne, de frappes ou de renseignement.

L’avion de chasse est donc avant tout un vecteur, qui se doit d’être lui-même sur place et en bonne position pour mener sa mission, ce qui naturellement l’expose à de nombreuses menaces. De fait, des qualités comme la furtivité s’avèrent très importantes pour accroitre la survivabilité de l’appareil, et donc son efficacité au combat.

En revanche, les qualités aéronautiques, comme la vitesse, l’autonomie ou la capacité d’emport de charge, s’avèrent moins critiques face à ces capacités à forte valeur ajoutée. Cette grille de lecture évoluera profondément avec l’arrivée des drones collaboratifs, puisque ce seront eux, et non l’avion lui-même, qui joueront le rôle de vecteur, et l’avion de combat.

En d’autres termes, les qualités plébiscités au sujet des avions de 5ᵉ génération, seront aisément et économiquement transposées sur ces drones, comme la furtivité, alors que l’avion de combat, lui, devra s’appuyer sur des qualités autres, comme une grande autonomie, une grande vitesse, voire la capacité à emporter de lourdes charges dans le cas des Remote Carrier par exemple.

Les drones collaboratifs vont bouleverser les attentes des forces aériennes en matière de performances et capacités des avions de combat
Les Remote Carrier, ici le modèle d’Airbus, sont développés dans le cadre du programme SCAF, mais équiperont les Rafale français et Typhoon allemands et espagnols bien avant que le NGF n’entre en service.

La seconde caractéristique critique d’un avion de combat pour contrôler efficacement des drones collaboratifs, sera naturellement la taille de son équipage. Pour les chercheurs américains, il semble aujourd’hui très hasardeux de s’appuyer sur des appareils monoplaces pour mettre en œuvre efficacement plusieurs de ces drones autour et au profit d’un avion de combat, la charge cognitive supplémentaire imposée au pilote par le contrôle de ces drones étant largement excessive pour une conduite efficace de mission.

De fait, si un chasseur monoplace, comme le F-35A ou le Rafale C, sera en mesure de contrôler un ou deux de ces futurs drones simultanément, un chasseur biplace, comme le Rafale B, pourra lui en contrôler plus du double, offrant des capacités opérationnelles démultipliées à l’équipage comme à la force aérienne qui le met en œuvre.

La troisième caractéristique, devenant indispensable pour la mise en œuvre de ces futurs drones, n’est autre que la capacité de l’appareil à évoluer pour intégrer cette évolution majeure.

Outre le fait que les appareils devront subir une évolution radicale pour pouvoir communiquer et interagir efficacement avec ces drones, ces derniers seront appelés à évoluer beaucoup plus rapidement que les avions de combat eux-mêmes, probablement à rythme aussi soutenu que le fut celui des avions de chasse dans les années 50 et 60, lorsqu’un nouveau modèle de chasseur entrait en service tous les 3 ou 4 ans.

Pour y parvenir, les appareils pilotés devront alors faire preuve d’une extraordinaire capacité à évoluer, tant pour intégrer ces nouveaux systèmes que pour préserver l’ergonomie et l’efficacité de l’interface homme-machine, ce qui suppose, au-delà de qualités de conception technique, une grande stabilité du système de systèmes au cœur des appareils.

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La configuration biplace du Rafale B offre un atout important à l’appareil pour intégrer et contrôler efficacement plusieurs drones collaboratifs à partir du standard F5.

D’autres qualités, comme la disponibilité et la maintenabilité, prendront, elles aussi, un poids plus important dans les grilles d’analyse à venir, avec l’arrivée des drones de combat, tant il est probable que l’intensité opérationnelle par appareil ira croissant du fait de la diminution du risque sur l’avion et son équipage.

Mais les points évoqués ici suffisent à imaginer à quel point la supériorité du F-35 dans les années à venir sur le marché des avions de combat pourrait être amoindrie. En effet, la furtivité de l’appareil, l’un de ses principaux atouts, perdra beaucoup de son aura face à la capacité de ne mettre en œuvre efficacement qu’un ou deux drones du fait de sa nature monoplace.

D’autres appareils, comme le Rafale B dans sa version F5, afficheront des performances et des capacités bien plus valorisables que par le passé du fait des évolutions du champ de bataille aérien, ainsi que de sa configuration biplace et bimoteurs, de son rayon d’action ou encore de sa vitesse.

Surtout, l’évolutivité du Rafale, largement démontrée jusqu’ici, ainsi que la stabilité de son système, seront de précieux atouts face au F-35 qui peine toujours à stabiliser son système d’information embarqué, et pour qui chaque évolution représente un défi critique.

On comprend, dès lors, à quel point l’assurance dont peut faire preuve Dassault Aviation et la Team Rafale dans son ensemble quant à la pérennité de son appareil dans les années à venir, peut être effectivement fondée, au point qu’il se pourrait bien qu’à l’avenir, une fois les premiers Remote Carrier de MBDA intégrés à l’avion français, celui-ci puisse faire bien plus que jeu égal avec le F-35 lors d’éventuelles compétitions internationales à venir.

Il en ira, naturellement, tout autant d’autres modèles, comme le Typhoon européen, le Gripen E/F suédois, et l’on pense également au Boeing F-15EX qui semble particulièrement bien taillé pour le contrôle de drones coopératifs lui aussi.

Il sera à ce titre particulièrement intéressant d’observer l’influence qu’aura l’arrivée de ces drones, et l’expérience acquise notamment pour les intégrer aux avions d’ancienne génération, sur la conception des avions de combat de 6ᵉ génération, comme le NGAD américain, le Tempest britannique et le SCAF européen.

On peut notamment s’interroger sur la pertinence de concevoir ces appareils en version monoplace, alors que certains experts mettent en garde contre cette configuration pour interagir et contrôler ces drones.

Une chose est certaine cependant, il semble indispensable pour la France non seulement de maintenir son effort pour faire évoluer son Rafale, mais également pour développer, à un rythme soutenu, les premières solutions de type Remote Carrier destinées à évoluer avec le futur standard F5, et ce, afin d’accumuler le plus rapidement possible une expertise technique, mais également opérationnelle dans ce domaine appelé à devenir critique, tant pour la conduite de la guerre aérienne que pour promouvoir l’appareil et son techno-système sur la scène internationale.

L’US Army accélère le tempo pour le remplacement du char Abrams

Il ne fait aucun doute que le chars de démonstration AbramsX de General Dynamics Land Systems aura été la star incontestable du salon AUSA 2022 qui s’est tenu la semaine dernière dans la banlieue de Washington. Est-ce du fait de l’existence d’une alternative américaine, ou de la pression qui fit peser l’annonce chinoise concernant le developpement d’un char de combat de nouvelle génération « au moins aussi performant que l’armada russe », mais il semble bien que la question du remplacement du char de combat lourd M1 Abrams ait connu une certaine accélération ces derniers jours. En effet, pour le Major Général Glenn Dean, supervisant les systèmes de combat terrestres au sein de l’US Army, le temps est venu de penser à l’avenir de l’Abrams, et même à son remplacement dans un avenir relativement proche.

Interrogé par le site spécialisé américain Defense News lors du salon AUSA, le général Dean a confirmé que la prochaine évolution de l’Abrams, la M1A2 SEPv4, entrerait en service dès 2023. Toutefois, il a également indiqué que toutes les options étaient désormais sur la table quant à la suite de ce programme, qu’il s’agisse d’un éventuel SEPv5, ou du developpement d’un nouveau char américain. En effet, l’US Army a recueilli de nombreux retours d’experience lors d’une mission d’analyse en Europe, mais également lors du conflit en Ukraine, montrant que désormais, les paradigmes constitutifs de l’Abrams moderne n’étaient plus aussi performants qu’ils ne pouvaient l’être jusqu’ici. En particulier, la mobilité des chars représente (à nouveau) un enjeu critique, en particulier pour exploiter les faiblesses du dispositif adverse, domaine dans lequel la masse excessive du M1A2, plus de 68 tonnes au combat, représente un réel handicap désormais. Au delà des enjeux de mobilité, la protection du char ne peut désormais plus se satisfaire du seul blindage, et doit incorporer des systèmes de nouvelle génération pour contrer les obus, mais également les missiles et les munitions rôdeuses.

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Le char Abrams est passé de 57 à 67 tonnes au fil de ses évolutions, entravant sa mobilité et sa transportabilité

Or, ces nouveaux impératifs s’accommodent mal d’une nouvelle évolution de l’Abrams, et l’hypothèse d’un remplaçant au célèbre char, jusque là repoussée au delà de 2025, devient beaucoup plus pressante désormais, en particulier si la Chine a effectivement développé un char de nouvelle génération. En effet, si l’on pouvait raisonnablement penser que les conséquences de la guerre en Ukraine allaient encore ralentir le programme Armata russe, et durablement altérer les capacités offensives terrestres des armées de Moscou permettant à l’US Army de developper le remplaçant de l’Abrams à horizon 2035, tout comme le MGCS européen, l’émergence annoncée d’un nouveau modèle chinois rebat en profondeur les cartes, ce d’autant que Pékin n’aurait aucun problème pour produire le blindé en masse, celui-ci étant effectivement prêt à être produit de façon industrielle. Et si Washington garde sous surveillance les avancées technologiques russes, celles venues de Pékin ont un retentissement tout autre, au Pentagone comme à la Maison Blanche et au Capitole.

En se basant sur les points clés avancés par le Général Dean concernant l’évolution des besoins de l’US Army en matière de chars lourds, on comprend à quel point la presentation de l’AbramsX par GDLS était opportune lors du salon AUSA 2022. Plus léger que l’Abrams, s’appuyant sur une propulsion hybride électrique, et disposant d’une panoplie de protection, de communication et d’engagement coopératif des plus modernes, le démonstrateur répond, dans les grandes lignes, aux attentes abordées par l’US Army, tout en conservant une filiation avec l’Abrams, et donc en facilitant une éventuelle transition des équipages. On comprend également à quel point il était indispensable pour GDLS de presenter son nouveau blindé lors de cet événement, de sorte à couper l’herbe sous le pied à une solution sur étagère importée comme le KF-51 Panther de Rheinmetall, l’US Army n’hésitant pas à se tourner vers des solutions importées en l’absence de solution nationale, comme c’est le cas pour les APS Trophy et Iron Fist ou les hélicoptères d’instruction Lakota par exemple.

KF 51 Panther Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
En l’absence de l’AbramsX, le KF-51 Panther de Rheinmetall aurait fort bien pu constituer une alternative pour le remplacement de l’Abrams au sein de l’US Army

Reste que les besoins de l’US Army en terme de chars lourds dans les années et décennies à venir seront particulièrement difficiles à évaluer. En effet, si durant la guerre froide, les deux principaux théâtres d’affrontement potentiels, l’Europe et le Moyen-Orient, étaient adaptés à l’utilisation de vastes formations blindées, certains des théâtres d’affrontement probables à venir, comme dans le Pacifique, l’Ocean Indien mais également l’Asie centrale, voire l’Afrique et l’Amérique du Sud, le sont beaucoup moins. En outre, la guerre en Ukraine a déjà considérablement affaibli le potentiel militaire conventionnel terrestre russe, et il est désormais plus que probable que Moscou ne parviendra pas avant une voire deux décennies à reconstituer une force capable de menacer l’OTAN sur son front oriental. Il en va de même au Moyen-Orient, où les grandes armées de l’époque de la guerre froide, comme l’Irak, l’Iran ou la Syrie, ont vu leurs potentiels considérablement érodés. En d’autres termes, si un char de nouvelle génération s’impose probablement, celui-ci devra avant tout répondre à des environnements d’exploitation beaucoup plus contraignants, et à des besoins de distribution de forces bien plus importants.

Dans ce contexte, on comprend le rôle déterminant que va jouer l’éventuelle presentation à venir du nouveau char chinois, celui-là même qui pourrait, bien davantage que l’Armata russe en Europe, conditionner de nombreuses décisions pour l’US Army, ainsi que l’empressement mesuré dont fait preuve le général Dean quant il évoque le sujet. Toutefois, si ce char de nouvelle génération venait effectivement à être révélé prochainement, et si ses caractéristiques avérées sont en effet proches de celles évoquées sur les reseaux sociaux chinois, il ne fait guère de doute que l’US Army accélérera considérablement son programme pour remplacer l’Abrams, peut-être même avec un telle précipitation que l’AbramsX pourrait s’imposer de fait.

La Pologne commande 300 lance-roquettes multiples sud-coréens K239 Chunmoo pour constituer la plus formidable force terrestre en Europe

En 2020, Varsovie entama des négociations avancées avec la Corée du Sud, initialement dans le but d’évaluer la possibilité d’acquérir le nouveau char de combat K2 Black Panther de Hyundai Rotem afin de remplacer ses PT-91 vieillissants, alors que l’Allemagne et la France avaient refusé que la Pologne ne rejoigne le programme MGCS, tout au moins lors de sa phase de conception initiale. De toute évidence, ces négociations ont été plus que fructueuses, puisque depuis quelques mois, les annonces officielles de contrats majeurs entre Varsovie et Séoul ne cessent d’arriver. Ainsi, en juillet de cette année, les autorités polonaises annoncèrent la commande de 180 chars K2, et un mois plus tard, le parlement polonais validait la commande de 212 canons automoteurs chenillés de 155 mm K9A1 Thunder, alors que des négociations étaient entamées pour une construction locale de 800 chars et 400 automoteurs. En septembre, Varsovie annonça la commande de 48 chasseurs légers FA-50 sud-coréens, pour remplacer ces derniers Mig-29 et Su-22 dans l’attente de la livraison des F-35 commandés en 2020 aux Etats-Unis.

Le dernier volet en date de cette coopération stratégique a été dévoilée aujourd’hui par Mariusz Błaszczak, le ministre de La Défense polonais. En effet, celui-ci a confirmé qu’il signerait, à l’occasion de sa visite en Corée du Sud la semaine prochaine, une commande pour 300 systèmes lance-roquettes multiples K239 Chunmoo, un système sensiblement équivalent au désormais célèbre HIMARS américain, dont les premières livraisons pourraient intervenir dès l’année prochaine. Le montant de ce contrat, ainsi que ses modalités notamment de production, n’ont pas été dévoilés par le ministre polonais, mais avec une telle commande, l’armée polonaise disposera, entre les 670 K9 de 155 mm, les 300 K239 et les HIMARS déjà commandés et en négociation, non seulement la plus formidable artillerie en Europe, mais également une puissance de feu supérieure à celle de l’ensemble des autres pays du vieux continent, ne cédant, dans le domaine, qu’à l’US Army dans le camp occidental.

Systeme HIMARS des forces americaines Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Varsovie entend toujours acquérir un grand nombre d’HIMARS, probablement 200 exemplaires pour coller à l’objectif de 500 lance-roquettes multiples modernes d’ici la fin de la décennie.

Si Mariusz Błaszczak ne s’est pas montré particulièrement prolixe sur le contrat à venir, il a toutefois précisé que celui-ci ne remettait pas en question l’intention de Varsovie d’acquérir des HIMARS américain. En Mai dernier, celui-ci avait en effet signé une lettre d’intention pour acquérir 500 de ces systèmes auprés de Lockheed-Martin. Toutefois, la Pologne estime désormais que les Etats-Unis ne seront pas en mesure de livrer les systèmes voulus dans les temps espérés par Varsovie, comme ce fut le cas pour les FA-50 préférés à de nouveaux F-16 américains en raison des délais de livraison. Et décision fut prise de scinder la commande en deux, avec 300 K239 Chunmoo d’un coté, et très probablement 200 HIMARS de l’autre, pour un total de 500 systèmes effectivement disponibles. Elle alignera alors plus de 80 systèmes par division de combat, une densité deux fois plus importante que celle des unités américains, et 12 fois supérieure à la ventilation des 13 lance-roquettes unitaires en service au sein des 2 divisions françaises.

Le K239 Chunmoo a été développé au début des années 2010 afin de remplacer le K136 de 130mm, tout en offrant des capacités proches de celles de l’HIMARS américain. Comme ce dernier, celui-ci peut mettre en oeuvre différents types de roquettes, la K33 de 130mm héritée du K136 portant à 36 km (40 roquettes) et la KM26A2 de 230mm portant à 45km (12 roquettes), toutes deux non guidées; mais également des roquettes de 239mm portant à 80km et de 400mm portant à 180km à guidage GPS. En outre, Séoul a annoncé, en début d’année, le developpement d’un missile balistique à courte portée désigné KTSSM-II, d’une portée de 300 km, à guidage mixte GPS/Inertiel, pour équiper le K239 à raison de 2 missiles par système, soit l’équivalent du missile ATACMS du système HIMARS. Le Chunmoo est monté sur un camion à 4 essieux propulsé par un moteur de 450 cv pour une masse au combat de 31 tonnes, soit une configuration plus lourde que celle de l’HIMARS, ceci expliquant la capacité d’armement supérieure du système sud-coréen.

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Le K239 est plus lourd que l’HIMARS, et dispose d’une capacité d’emport de roquette sensiblement deux fois supérieures à ce dernier

De toute évidence, les autorités polonaises ont décidé de constituer une force armée sans équivalent en Europe dans le domaine terrestre, probablement capable, à elle seule, de tenir à distance ce qu’il restera des armées russes pour la prochaine décennie, et selon les conséquences à venir de la guerre en Ukraine, peut-être même au delà. Cette puissance en devenir est telle qu’il sera probablement beaucoup moins nécessaire aux Etats-Unis de déployer d’importantes forces terrestres en Europe pour contenir la menace conventionnelle russe, sachant que dans les domaines aériens et navales, les forces européennes sont déjà sensiblement supérieures à ce dont dispose la Russie, avec 1300 avions de chasse contre 1100 et 90 frégates et destroyers contre 45, ne laissant à la Russie que la puissance nucléaire et sa flotte sous-marine pour venir challenger la puissance européenne occidentale.

Le partenariat entre Varsovie et Séoul va également venir menacer l’industrie de défense européenne sur son propre terrain, sachant que celle-ci doit déjà se battre bec et ongles contre l’omniprésence de l’industrie américaine dans ce domaine. En effet, la mise en place probable d’une ligne de production de chars K2 en Pologne, mais également de systèmes d’artillerie K9 et désormais de lance-roquettes multiples K239, va nécessairement permettre à la Pologne de s’inviter avec des arguments de poids, que ce soit en terme de prix mais également de performances, face aux industries européennes encore mal dimensionnées pour répondre à ce type de besoin. Il est également question que Varsovie s’intéresse au véhicule de combat d’infanterie AS21 Redback, et l’on peut s’attendre à plus d’informations sur ces négociations à l’occasion de la visite de Mariusz Błaszczak à Séoul la semaine prochaine. Dans une telle hypothèse, Varsovie deviendrait, en un rien de temps, un acteur majeur et peut-être même dominant en Europe en matière de systèmes de combat terrestre, même si l’on peut s’interroger que les conséquences d’un potentiel changement de tempo technologique à venir impulsé par les Etats-Unis dans ce domaine, ce qui pourrait rapidement frapper d’obsolescence les systèmes sud-coréens face à l’émergence d’une réelle nouvelle génération de blindés, comme griffonnée par l’AbramsX.

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Varsovie s’intéresse désormais au véhicule de combat d’infanterie AS21 Redback pour remplacer ses BWP

Reste que l’effort fourni par Varsovie devrait également interroger les autres pays européens, France, Allemagne et Grande-Bretagne en tête, sur la réelle portée de leurs efforts de defense respectifs. En effet, même s’il est incontestable que les Armées Polonaises seront extrêmement spécialisées et manqueront d’homogénéité, avec notamment une puissance aérienne, navale et une aeromobilité très inférieures à sa puissance terrestre dédiée à la haute intensité, force est de constater que Varsovie va s’imposer comme une puissance militaire majeure en Europe, capable à elle-seule de contenir la menace russe, pour un pays de seulement 40 millions d’habitants et dont le PIB n’excèdera pas les 1000 Md$ d’ici 2025, à comparer aux 68 millions d’habitants et 2700 Md$ de PIB de la France, ou aux 83 millions et 3800 Md$ de l’Allemagne à cette date. Il serait évidement inutile de viser, pour la France, un parc de 1200 chars ou de 500 lance-roquettes multiples comme la Pologne, ceci créant hypothétiquement une surcapacité inutile dans ce domaine en Europe. Toutefois, Varsovie montre clairement que les pays européens ont capacité à se doter de moyens militaires en nombre suffisants pour recoller avec la puissance internationale, et que le déclassement inéluctable souvent avancé n’existe que dans le renoncement des dirigeants eux-mêmes.

Pour les drones de combat coopératifs, les enjeux technologiques et opérationnels sont à l’échelle des bénéfices attendus

Pour une majeure partie de l’opinion publique, y compris pour de nombreux militaires, le futur des drones de combat s’inscrit dans une évolution linéaire engagée depuis une quarantaine d’années. Il est vrai que durant cette période, les drones ont essentiellement gagné en capacités avec une autonomie, une vitesse et des capacités d’emport accrues, et avec des senseurs et des effecteurs de plus en plus performants. Et force est de constater que les dernières versions du Reaper n’ont plus guère à voir avec la première version du Predator, et encore moins avec les drones légers employés par Tsahal en 1982 en Syrie pour localiser les sites de DCA. Pour autant, les évolutions à venir des drones de combat, en particulier l’arrivée des systèmes de combat coopératifs comme les Remote Carrier européens ou les Loyal Wingmen américains, supposent des évolutions technologiques, doctrinales et capacitaires sans commune mesure avec ce qui fut fait de manière linéaire par le passé. Et selon l’institut Mitchell, qui a rendu une étude de 40 pages sur le sujet au Pentagone, les bonds technologiques et opérationnels nécessaires pour parvenir à franchir cette marche, sont à la mesure des bénéfices attendus par l’US Air Force et l’ensemble des armées occidentales.

Rappelons en effet que pour l’US Air Force, la conception des drones de combat coopératifs de nouvelle génération, destinés à évoluer aux cotés et au profit des avions de combat de nouvelle génération comme le F-35A et le futur NGAD, représente un pilier capacitaire stratégique pour être en mesure de faire face, à l’avenir, à la montée en puissance des forces aériennes chinoises, comme c’est le cas, par ailleurs, pour l’US Navy concernant sa future flotte de navires autonomes. Dans la vision proposée par Franck Kendall, le secretaire à l’Air Force actuel, ces drones permettront en effet d’étendre les capacités de détection et d’engagement des appareils pilotés, ainsi que de protéger aéronefs et équipages le cas échéant, de sorte à en démultiplier l’efficacité y compris en infériorité numérique. Pour y parvenir, l’US Air Force, au travers de son Research Lab, et en coopération avec la DARPA et les industriels, fournit un effort important depuis plusieurs années, tant pour developper des modèles de drones répondant aux besoins à venir, mais également pour concevoir les systèmes de pilotage et de coopération dirigés par une IA pour contrôler ces aéronefs sans pilote.

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Les technologies envisagées par l’US Air Force pour tenir sous controle la puissance aérienne chinoise sont encore en developpement, et certaines, comme les drones de combat coopératifs, sont encore loin d’être opérationnelles

Pour autant, pour la Mitchell Institute, le compte est loin d’y être pour atteindre les objectifs visés par l’US Air Force. En effet, selon le Think tank américain, les principaux enjeux et difficultés auxquels seront confrontés ces programmes ne reposent pas sur les performances ni sur les capacités de combat de ces nouveaux drones, qui aujourd’hui focalisent souvent l’attention des médias comme des décideurs politiques, mais sur leur capacité à agir et interagir avec les avions pilotés et surtout avec leurs équipages, y compris dans un contexte opérationnel très dynamique et intense. Or, cette capacité porte en elle de très nombreuses difficultés loin d’être résolues à ce jour, et parfois même mal appréhendées par les concepteurs de ces programmes. Ainsi, l’arrivée de ces systèmes autonomes va considérablement accroitre la charge de travail des équipages, au point de créer un gap comparable à celui qui eut lieu lors de la transition des avions de combat de seconde génération vers ceux de la troisième génération, avec l’ajout de nombreux systèmes de détection comme le radar, et de communication, ainsi que de nouveaux systèmes d’armes, surchargeant significativement le travail des équipages, au point d’avoir du, comme pour le cas du F-4 Phantom, du F-14 Tomcat et du F-111 Ardvaark, ajouter un membre d’équipage pour s’occuper précisément de ces nouveaux systèmes, donnant naissance à une nouvelle spécialité, celle d’officier systèmes d’arme ou OSA.

Au delà de cet aspect de surcharge cognitive probable des équipages, l’arrivée des systèmes de combat autonomes collaboratifs ne sera efficace, selon l’institut Mitchell, que proportionnellement à la confiance qu’auront les équipages des avions pilotés en ces systèmes. Et d’ajouter qu’aujourd’hui, le principal enjeu technologique dans ce domaine réside non pas dans les performances avancées de ces nouveaux drones, mais bel et bien dans leur capacité à collaborer dynamiquement et efficacement avec les appareils pilotés, mais également dans la capacité qu’auront les équipages à les contrôler et même à en anticiper les réactions. Or, les différents enjeux technologiques participant à ces aspects sont aujourd’hui les plus difficiles à developper, mais également les plus chers et les plus risqués.

F 35 simulator cockpit Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
la charge cognitive des pilotes de combat modernes est déjà très importante, même si de nombreux progrès ont été faits en matière d’interface homme-machine. L’ajout du controle des drones de combat coopératifs représente un enjeu critique pour rendre cette technologie efficace.

C’est d’ailleurs là que réside l’un des points les plus importants soulevé par le Think tank américain. En effet, aujourd’hui, la stratégie visant à s’appuyer, dans les années à venir, sur les drones de combat collaboratifs constitue la principale réponse stratégique et technologique de l’US Air Force, et par transitivité de ses alliés, pour être en mesure de contenir la montée en puissance des forces aériennes, navales et terrestres chinoises. Or, comme le montre l’analyse de l’institut Mitchell, il est encore loin d’être évident que les ingénieurs américains soient effectivement en mesure de répondre à l’ensemble des critères identifiés pour pouvoir envisager effectivement s’appuyer sur de tels équipements dans un contexte opérationnel et selon le calendrier visé. Il sera, notamment, indispensable d’accroitre sensiblement les investissements consacrés aux aspects de controle et de coopération évoqués par l’étude, pour espérer, sans garantie absolue de succès, satisfaire aux besoins et contraintes qui entourent ces programmes.

De fait, les Etats-Unis devront, sans le moindre doute, accroitre les investissements dans ces domaines le plus tôt possible, ceci se faisant, immanquablement, au détriment d’autres programmes. C’est la raison pour laquelle l’US Air Force milite depuis plusieurs années pour retirer du service un grand nombre de ses systèmes d’armes hérités de la guerre froide, comme les F-15C ou la A-10, de sorte à libérer les crédits et les ressources humaines pour préparer l’avenir. Malheureusement pour Frank Kendall, fervent supporter de cette stratégie, le Congrès Américain est le plus souvent hostile à l’idée d’affaiblir les capacités militaires immédiates avec la promesse de mieux répondre aux besoins à venir d’ici quelques années. Non sans raison il est vrai, eu égard aux nombreuses dérives dont furent victimes les programmes de l’US Air Force ces dernières décennies, en premier lieu desquels le programme F-35 et le KC-46 Pégasus, tous deux ayant connu d’importants retards, surcouts et de nombreuses déficiences technologiques.

FCAS remote carriers mock up at Paris Air Show 2019 Planification et plans militaires | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Les difficultés et risques auxquels se confronteront les programmes européens en matière de drones de combat collaboratifs sont similaires à ceux des programmes américains mis en avant par l’étude de Mitchel Institut

Dans tous les cas, l’étude publiée par the Mitchell Institute appelle incontestablement à plus de prudence quant aux décisions et stratégies s’appuyant, de manière probablement optimiste, sur l’intégration de drones de combat coopératifs autours des avions de combat pilotés, en particulier pour ce qui concerne leur calendrier. De manière évidente, ces difficultés, risques et couts mis en avant par le Think tank américain, s’appliquent également aux programmes hors des Etats-Unis, qui eux aussi visent à intégrer ces drones de combat aux avions de combat pilotés d’ici 2030 à 2035. Si le fait de mettre en oeuvre un drone lourd piloté à distance, comme c’est le cas de nombreux drones aujourd’hui, reste parfaitement réalisable, la notion de Remote Carrier ou de Loyal Wingman, des drones autonomes coopératif participant notamment aux programmes SCAF et Tempest, mais également aux évolutions à venir du Rafale et du Typhoon, sera beaucoup plus ardue à concevoir et mettre en oeuvre de manière efficace qu’anticipé aujourd’hui, tout au moins selon l’analyse proposée. Or, comme pour NGAD et F-35 aux Etats-Unis, ces appareils européens devront supporter la confrontation potentielle pour les 2 décennies à venir, avec ou sans drones alliés. On peut dès lors se demander s’il ne conviendrait pas de faire preuve de plus de prudence dans la programmation militaire, notamment en renforçant en volume et en capacités les flottes d’avions de combat pilotés, de sorte à anticiper les probables difficultés que rencontreront les programmes de drones et leur intégration avec les avions de combat dans les années à venir.