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L’US Air Force abandonne définitivement les idées novatrices de Will Roper pour son programme NGAD

Aux cours des 3 années qu’il passa à la tête des acquisitions de l’US Air Force de février 2018 à janvier 2021, le docteur Will Roper, alors sous-secrétaire à l’Air Force, développa une doctrine industrielle extrêmement novatrice et en rupture avec la tradition industrielle aéronautique militaire américaine ces 50 dernières années. Selon celle-ci, il était économiquement, téchnologiquement et du point de vue opérationnel, largement préférable de developper des avions de combat en série réduite, spécialisés dans certaines missions, et dotés d’une durée de vie courte d’une quinzaine d’années en se basant sur les nouvelles technologies de conception et de modélisation, plutôt que de tenter de developper des appareils omnirôles et très évolutifs, destinés à rester en service plusieurs décennies, ceci engendrant des surcouts de conception et de maintenance supérieurs à ceux d’appareils spécialisés à durée de vie courte. En d’autres termes, Will Roper préconisait de revenir à la dynamique qui prévalait dans ce domaine dans les années 50 et 60, au point de proposer la création d’une « Digital Century Série », référence à la Century Série des années 50.

Cette dynamique séduisit jusqu’aux chefs de l’US Air Force, qui firent plusieurs déclarations allant dans ce sens en estimant par exemple qu’il serait pertinent de developper, dans le cadre du programme Next Generation Air Dominance, outre le successeur au F-22 Raptor, un appareil de combat monomoteur léger de 5ème génération qui pourrait remplacer efficacement le F-16 dans l’inventaire de l’USAF, quitte à devoir réduire le format de la commande de F-35 prévue, alors que les couts de mise en oeuvre de l’appareil restaient très supérieurs aux budgets prévus. Avec l’élection de Joe Biden à la Maison Blanche, Will Roper, qui occupait un poste civil dans l’administration Trump au sein de l’US Air Force, dû quitter ses fonctions, alors que le poste de Secrétaire à l’Air Force fut alloué au très conservateur (bien que Démocrate) Frank Kendall. Ce dernier, de 20 ans l’ainé de Roper, entreprit rapidement de mettre fin à ce qu’il pense être une hérésie industrielle, pour revenir à une fonctionnement traditionnel. En premier lieu, en dépit de l’attachement de l’Etat-Major de l’US Air Force envers une alternative au F-35A, il annonça que l’objectif de commande restait inchangé, soit 1.762 appareils, en escomptant qu’avec l’augmentation du nombre d’appareils en service, les couts de mise en oeuvre iront décroissants.

Elephant walf F35 USAF Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
L’une des premières mesures annoncées par F. Kendall aprés sa nomination au Secretariat à l’Air Force fut de confirmer l’engagement de commander 1.762 F-35A pour l’USAF

En outre, Franck Kendall se montra rapidement hostile au programme F-15EX, l’ultime version du Eagle américain, conçu précisément en application d’une partie des doctrines de Roper, et tout porte à croire que dans les années à venir, le programme sera progressivement réduit, tant pour financer le NGAD que pour favoriser l’arriver du F-35A. Enfin, depuis quelques mois, le nouveau Secrétaire à l’Air Force, ne cesse de prévenir que le programme NGAD, qui se limite désormais au seul remplacement du F-22 Raptor, sera particulièrement onéreux, chaque appareil coutant plusieurs centaines de millions de $. A l’occasion d’une intervention le 24 juin l’Air&space Force Association, ce dernier tourna définitivement la page Roper, annonçant que le developpement du NGAD prendrait beaucoup de temps, et serait très complexe, tout en jugeant que les « idées de Bill Roper étaient interessantes mais ne pouvaient pas s’appliquer à tout ». En d’autres termes, l’US Air Force rompt définitivement avec les doctrines novatrices et probablement salvatrices de Roper, pour revenir à une approche plus traditionnelle, celle qui fit tant merveille avec le F-22 et le F-35.

Il s’agit sans le moindre doute d’une immense occasion ratée pour l’industrie aéronautique américaine et pour les forces aériennes occidentales, pour tenter de contrer la fameuse loi d’Augustine, présentant comme inéluctable l’augmentation des couts de possession des avions de combat, et avec elle la réduction du format des flottes, alors que la technologie ira croissante dans ces appareils. Pour Will Roper, dont le parcours est essentiellement académique, scientifique et politique, la technologie, précisément, offre une opportunité pour briser cette trajectoire, dès lors que l’on accepte de revoir ses paradigmes fondateurs, en l’occurence la recherche de polyvalence et d’évolutivité. A l’inverse, pour Franck Kendall, sorti de West Point en 1971, et passé par la vice-présidence de Raytheon, il n’est pas question de revenir sur ces paradigmes, une approche jugée trop audacieuse et risquée, surtout alors que les tensions et les risques de guerre ne cessent de croitre.

Franck Kendall Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
Franck Kendall occupa le poste de sous-secrétaire à l’Air Force en charge des acquisitions sous l’administration Obama, durant laquelle il fut un des principaux artisans du programme F-35

Au delà des divergences de vue, d’experience et de formation entre les deux hommes, ont peu se demander quel aura été le rôle de l’industrie aéronautique américaine dans ce nouveau basculement de la stratégie industrielle aéronautique militaire américaine. En effet, l’approche de Will Roper permettait de redynamiser le paysage industriel américain dans ce domaine, avec de nombreuses compétitions permettant l’émergence de nouveaux acteurs, et donc une dynamique concurrentielle renforcée. En outre, elle réduisait l’influence à moyen et long terme des acteurs majeurs de ce marché, comme peuvent l’être Lockheed-Martin, Northrop Grumman ou Raytheon, en abaissant les ambitions technologiques et la durée de vie des programmes. Elle menaçait également directement l’exécution du programme F-35, ce qui, naturellement, n’était pas du tout du gout de Lockheed-Martin. Enfin, elle transférait par essence une grande partie de la marge industrielle vers la production, et non sur la R&D comme c’est le cas aujourd’hui, là encore en rupture avec un modèle qui convient parfaitement aux industriels américains, mêmes si ses résultats ont été loin d’être probants ces 20 dernières années (F-35, LCS, Zumwalt …).

Le fait est, en maintenant des cycles industriels et technologiques de 30 ans, les forces américaines risquent de se voir surclasser dans les années à venir, par la dynamique à l’oeuvre en Chine. Ainsi, les entreprises aéronautiques chinoises développent aujourd’hui au moins deux nouveaux programmes d’avions de combat, le J-35 embarqué et sa version terrestre, ainsi que le JH-XX, le successeur du chasseur bombardier JH-7, tout en continuant à developper de nouvelles versions du J-20, du J-16 et du J-10. Il est d’ailleurs probable que les successeurs de ces deux derniers appareils sont également en cours de developpement, de sorte à disposer d’une gamme d’appareils spécialisés de nouvelle génération entre 2030 et 2035, dans une approche étonnamment proche de la doctrine développée par Roper. La Russie, elle aussi, a entrepris le developpement, au delà du Su-57, d’un chasseur léger Su-75, mais l’avenir de ce programme est incertain du fait du manque de réponse de clients potentiels sur la scène internationale, mais également des difficultés de l’industrie russe suite aux sanctions occidentales.

KF21 presentation Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
Plusieurs pays, dont la Corée du Sud avec le KF-21 Boramae, développent des alternatives économiques au F-35

En outre, plusieurs pays, dont la Corée du Sud, la Turquie, l’Inde, Taïwan et le Japon, ont entrepris de developper des appareils de combat de nouvelle génération destinés précisément au segment abandonné par Kendall dans le cadre du programme SCAF, à savoir un remplaçant économique au F-16. On peut se demander dès lors si, à trop vouloir garder la main mise mise sur le marché domestique de l’US Air Force, et avec lui sur les clients traditionnels de l’industrie aéronautique US, les industriels américains, par la voix de Franck Kendall, ne vont pas permettre l’émergence de nouveaux acteurs majeurs sur la scène internationale, et perdre ainsi de précieuses parts de marchés, ainsi que l’indispensable ascendant technologique sur lequel son influence internationale est construite.

Les armées Belges s’apprêtent à commander 19 canons CAESAr NG supplémentaires

Après avoir fait office de mauvais élève de l’OTAN avec un effort de défense à peine supérieur à 1,1% du PIB en 2020, et consacré moins de 1% à sa défense entre 2013 et 2019, les autorités belges ont, à l’instar de nombreuses autres chancelleries européennes, annoncé une augmentation très significative de cet effort dans les années à venir. Cette hausse s’effectuera en deux étapes, une première visant 1,54% du PIB en 2025, et une seconde ayant pour objectif d’atteindre les 2% requis par l’OTAN en 2035, soit 10 ans après l’échéance fixée par l’Alliance Atlantique. Dans ces conditions, les armées belges, exsangues budgétairement depuis près de 20 ans, peuvent à nouveau envisager un plan de developpement capacitaire cohérent avec ses besoins et les menaces existantes, après s’être, durant toutes ces années, principalement appuyées sur la resilience de ses miltaires pour répondre aux missions et sollicitations nombreuses auxquelles elles participèrent. Ce très faible niveau d’investissement sur une durée aussi importante explique, à ce titre et en grande partie, la progressivité de la montée en puissance de l’investissement annoncé. En effet, il eut été probablement inefficace d’amener l’effort de défense à 2% du PIB en 2025, sachant qu’au delà des programmes d’équipements, il faudra de nombreuses années aux armées belges pour monter en puissance, en particulier concernant la dimension RH.

L’une des premières mesures annoncées après cette décision historique et rédemptrice pour les armées belges, n’est autre que la prochaine commande de 19 canons CAESAr de 155 mm supplémentaires, après une première commande de 9 systèmes signée il y a quelques mois, afin de se doter, à nouveau, d’une capacité d’artillerie suffisante pour soutenir l’action d’une brigade de combat. Comme précédemment, les nouveaux canons commandés par Bruxelles seront des CAESAr NG, une évolution du CAESAr 6×6 déjà en service au sein de l’Armée de terre française, et qui semble démontrer d’excellentes capacités au combat en Ukraine. La nouvelle version du CAESAr disposera, entre autres choses, d’une motorisation plus puissante, avec un moteur diesel de 460 cv deux fois plus puissant que le moteur actuel (210 cv), mais également un blindage renforcé porté au standard STANAG 4569 niveau 2, c’est à dire capable de résister à un tir de mitrailleuse légère de 7,62mm à courte portée (30 mètres), d’un IED de 6 kg explosant sous ou à proximité du véhicule, ainsi qu’aux shrapnels d’un obus de 155mm explosant à 80 m. De fait, bien que plus lourd, le nouveau Caesar sera également plus mobile et mieux protégé que son prédécesseur, des qualités plus qu’appréciables dans l’hypothèse d’un engagement de haute intensité.

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Dans le cadre du programme CaMO, la Belgique a commandé 382 VBMR Griffon et 60 EBRC Serval en configuration identique de celle de l’Armée de Terre.

Avec cette prochaine nouvelle commande, Bruxelles affirme encore une fois son attachement à une parfaitement interopérabilité avec les forces françaises de l’Armée de Terre, après avoir commandé, dans le cadre du programme CaMO, 382 Vehicules Blindés Multi-Rôles VBMR Griffon et 60 Engins Blindés de Reconnaissance et de Combat EBRC Jaguar, et s’être engagé dans un partenariat stratégique avancé entre les forces armées terrestres des deux pays. Alors que les cordons de la bourses seront moins distendus, on peut s’attendre à ce que de nouvelles coopérations soient annoncées dans les mois à venir, qu’il s’agisse de developpement du remplaçant du Véhicule Blindé Leger comme de l’acquisition que l’on peut estimer probable de Griffon MEPAC, une version du Griffon équipé d’un mortier automatique de 120 mm déjà commandé à 54 exemplaires par l’Armée de Terre pour ses régiments d’artillerie. Dans ce contexte, il n’y aurait rien de surprenant à ce que Paris et Bruxelles en viennent à developper conjointement une solution de défense anti-aérienne et anti-drones rapprochées de type SHORAD intégrée au dispositif SCORPION, et qui fait défaut de manière critique pour les deux forces armées.

Reste que l’annonce de l’augmentation plus que significative du budget de La Défense belge qui passera de de 4,4 à 6,9 Md€ par an dans les 3 ans à venir, est susceptible d’ouvrir de nouvelles opportunités de coopération entre les deux pays, y compris dans le domaine aéronautique. Certes, Bruxelles s’est prononcé en faveur du F-35A en 2019, tant afin de préserver sa coopération avec Amsterdam dans ce domaine, que du fait d’une proposition pour le moins poussive de la part des industriels français dans cette compétition. Pour autant, alors qu’il fut un temp envisagé d’étendre la flotte initialement commandée de 34 appareils, comme c’est notamment le cas de son voisin flamand, Bruxelles n’a fait, à ce jour, aucune annonce en ce sens, mais a répété à plusieurs reprises sa volonté de rejoindre le programme européen SCAF, ayant même provisionné un montant significatif dans cette hypothèse. Dès lors, il pourrait être opportun de proposer à Bruxelles une nouvelle coopération de défense, portant cette sur l’extension de ses forces aériennes grâce à une offre parfaitement formatée pour un escadron d’avions Rafale complémentaires en de nombreux domaines des F-35A déjà commandés, et sur l’intégration de le Belgique et de son Industrie aéronautique au programme SCAF, ou à son alternative.

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Bruxelles a répété à plusieurs reprises souhaiter rejoindre le programme SCAF

Une chose est certaine, les augmentations rapides et soudaines des efforts de défense en Europe offrent une opportunité unique pour redessiner les rapports de force industriels sur le vieux continent dans ce domaine. Dans ce contexte, il est incontestable que l’industrie française est en mesure jouer un rôle plus important que celui qui est le sien en Europe à ce jour, pour peu que, politiquement comme industriellement, Paris parvienne à trouver le bon dosage dans son discours comme dans ses offres. Dans ce domaine, la Belgique pourrait faire office de « démonstrateur » des bénéfices opérationnels mais également industriels que les pays européens pourraient obtenir en collaborant avec la France, d’autant que certains des programmes déjà engagés, comme le programme de bâtiments de guerre des mines belgo-neerlandais attribué au français Naval Group, offre déjà des retours industriels exemplaires. Dans ces conditions, on peut se demander si Paris n’aurait pas davantage intérêt à developper des coopérations ambitieuses avec ces pays européens moins omnipotents que ne peut l’être l’Allemagne, comme c’est le cas de la Belgique, mais également de la Grèce, de la Croatie, de l’Estonie, de la Suède et de bien d’autres.

La Grèce se tourne vers le F-35A pour compléter sa puissance aérienne

Si pour la majorité des pays européens, la plus grande menace vient, à ce jour, de la Russie, la Grèce, pour sa part, doit faire face à un conflit latent avec la Turquie depuis plusieurs décennies, et ravivé ces dernières années par les ambitions territoriales et maritimes du président R.T Erdogan. Et si les Européens savent pouvoir compter sur le soutien des Etats-Unis et de l’US Air Force face à Moscou, Athènes pour sa part, sait que les Etats-Unis, mais également une majorité de pays européens en premier lieu desquels l’Allemagne, et à l’exception notable de la France, n’interviendront pas en cas de dégradation des tensions avec Ankara. De fait, les forces armées grecques ne peuvent se permettre de faire certaines impasses capacitaires potentiellement comblées par un allié supposé, comme c’est le cas des européens. Dans ces conditions, et sans surprise puisque c’était annoncé depuis plusieurs années, la demande d’information adressée par les autorités helléniques aux Foreign Military Sales américain pour 20 F25A, ainsi qu’une option pour 20 appareils supplémentaires, s’inscrit pleinement dans cette perspective.

Athènes avait déjà soumis une demande portant sur 18 F-35A et 6 appareils en option il y a 2 années de cela, mais celle-ci fut poliment rejetée par Washington, estimant que le processus pour exporter le Lightning 2 était complexe et nécessitait plusieurs étapes successives. Dans les faits, il est probable que cette demande s’était heurtée à l’attitude systématiquement prudente des Etats-Unis alors que les tensions entre Ankara et Athènes étaient au plus haut, de sorte à ne pas prêter le flanc à une quelque forme de soutien vis-à-vis de l’un ou de l’autre de ses alliés au sein de l’OTAN. Alors que l’attention est désormais focalisée sur la Russie et la guerre en Ukraine, et qu’Ankara aura très probablement obtenu, en autorisant l’entrée de la Finlande et de la Suède au sein de l’OTAN, la levée de certaines sanctions de la part des Etats-Unis comme l’acquisition de F-16V et l’importation de turboréacteurs F-414 afin de poursuivre le développement du programme TFX, il est désormais probable que Washington répondra favorablement à la demande d’Athènes, d’autant que la situation financière du pays ne cesse de s’améliorer, crédibilisant la demande grecque.

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Athènes a commandé en 2021 24 avions de combat Rafale F3R, et entend se doter, d’ici la fin de la décennie, d’un second escadron de l’avion français

Pour les forces aériennes helléniques, il s’agit de remplacer les F-4 Phantom 2 encore en service à horizon 2028, dans un important effort visant à moderniser sa chasse avec l’acquisition de 40 F-35A, mais également de 40 avions Rafale et la modernisation de 85 F-16 au standard Block 70+ Viper. La modernisation des chasseurs monomoteurs de Lockheed-Martin a été entamée en 2018 et réalisée directement par l’industrie aéronautique hellénique, alors qu’en 2021, Athènes commanda successivement 18 puis 6 avions de combat Rafale auprés de la France, sachant que les autorités grecques ont déjà annoncé leur intention de se doter d’un second escadron de l’avion français, pour une flotte totale de 40 appareils d’ici la fin de la décennie. Dans ce contexte, l’arrivée d’une quarantaine de F-35A permettra effectivement de compléter la panoplie opérationnelle des forces aériennes helléniques, notamment pour l’élimination des défenses anti-aériennes adverses grâce à la furtivité de l’appareil, et pour optimiser l’efficacité des F-16V grâce à ses nombreux capteurs et ses capacités de traitement de ‘l’information. Le Rafale, pour sa part, apporte des capacités de frappes dans la profondeur, d’interception et de frappes navales bien supérieures à celles du F-35A, alors que le F-16V, pour sa part, apporte une masse opérationnelle plus que significative pour un pays de seulement 10 millions d’habitants.

Dans ces conditions, il se pourrait bien qu’Athènes dispose, à horizon 2030, de la flotte de chasse la plus performante en Europe, alliant des capacités avancées et complémentaires à un masse significative de 160 avions de combat, soit autant que la Royal Air Force britannique par exemple, ou que les forces aériennes et aéronavales italiennes, deux pays pourtant autrement plus riches et peuplés que la Grèce. Surtout, cette configuration originale et unique pourrait offrir certaines opportunités pour le Rafale en Europe, souvent perçu comme le concurrent malheureux du F-35A lors des compétitions, mais qui dispose de nombreuses capacités parfaitement complémentaires à celles offertes par l’avion américain. Alors que la réalité F-35 est incontestable en Europe, avec plus de 10 pays ayant ou allant commander l’appareil sur le vieux continent, faisant de l’avion américain le plus représenté dans les forces aériennes européennes au début de la prochaine décennie, il pourrait être judicieux, pour la France et la Team Rafale, de valoriser cet aspect en s’appuyant sur l’exemple grec, tout en proposant des offres packagées attractives permettant la mise en oeuvre d’une flotte réduite d’appareils aux cotés d’une flotte existante de F-35 dans une complémentarité opérationnelle optimisée.

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La compagnie grecque Hellenic Aerospace Industrie est en charge de la modernisation de 85 F-16 grecs vers le standard Block 70 Viper doté d’une nouvelle avionique et d’un radar EASA

En revanche, l’exemple grec montre également, de manière incontestable, que l’indispensable masse d’une force aérienne passe également par la capacité à se doter d’un appareil performant mais peu onéreux à l’usage, si pas à l’acquisition, comme peut l’être le F-16 Viper. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’avenir qu’aurait été celui des mirage 2000-5 RDY helléniques, des appareils très appréciés des pilotes grecs car plus performants, rapides et manoeuvrants que les F-16 Block 52 en service en Turquie mais également en Grèce, si ceux-ci avaient disposé d’un kit de modernisation comparable à celui du F-16V, avec une électronique modernisée, un radar EASA et la capacité de mettre en oeuvre de nouvelles munitions, comme le missile air-air européen à longue portée Meteor. Il apparait évident donc qu’il subsiste un besoin bien présent pour un héritier à ces deux appareils emblématiques des années 80, le Mirage-2000 et le F-16, tant pour permettre à certaines forces aériennes de se doter de la masse indispensable aux missions qui lui sont confiées (y compris pour l’Armée de l’Air et de l’Espace française), mais également afin de permettre à certaines forces aériennes restreintes de se doter d’avions de combat de première ligne à des couts soutenables, comme c’est le cas de nombreux pays européens de l’est et du sud.

Alors que l’avenir du programme SCAF d’avion de combat de nouvelle génération rassemblant Paris, Berlin et Madrid, est des plus incertains, il serait probablement pertinent de s’interroger sur la possibilité, pour l’industrie aéronautique française, de nouer d’autres partenariats européens en parallèles de ceux existants avec des pays qui peineront à acquérir et mettre en oeuvre des appareils de la gamme du NGF, afin de developper un successeur au Mirage-2000, au Gripen et au F-16 susceptible de constituer une réponse au TFX turc ou au KF-21 Boramae sud-coréen sur un calendrier raccourci, de sorte à préserver les capacités industrielles nationales mais également à offrir aux forces aériennes françaises et européennes une solution à ce problème de masse qui se veut de plus en plus pressant.

L’US Army choisit son nouveau char léger pour renforcer ses unités d’infanterie

L’US Army vient d’annoncer avoir arbitré en faveur du char léger MFP de General Dynamic Land System dans le cadre de son programme Mobile Protected Firepower. Mais le M10 Booker, tel est son nom, n’a de char léger que le nom…

Après plusieurs échecs liés à des ambitions technologiques et opérationnelles excessives, l’US Army devait, en 2015, engager de toute urgence un ambitieux programme pour la modernisation de son parc de véhicules blindés hérités de la fin de la guerre froide, comme le char lourd M1 Abrams, le véhicule de combat d’infanterie M2/M3 Bradley, ainsi que le véhicule de transport de troupe chenillé M113.

Après l’annulation du programme Ground Combat Vehicle en 2014, un nouveau programme fut lancé en 2017, désigné Next Generation Combat Vehicle, avec l’ambition de remplacer l’ensemble du parc chenillé de l’US Army.

Ce programme se compose du programme Armoured MultiPurpose Vehicle destiné à remplacer les M113 américains par 2.897 blindés chenillés dont la conception et la construction avaient déjà été attribués à BAE Systems en 2014, du programme Optionnaly Manned Combat Vehicle portant sur le remplacement des quelque 5.700 VCI Bradley en service au sein de l’US Army, au sujet duquel une nouvelle compétition a été lancée en juillet 2021 après l’échec de la précédente quelques mois plus tôt.

Le programme Decisive Lethality Platform devra permettre de remplacer les 5.500 chars lourds Abrams américains, alors que du programme Mobile Protected Firepower, visant à redonner aux unités d’infanterie américaines une puissance de feu perdue depuis le retrait des chars légers M551 Sheridan en 1997.

L’US Army a désormais officialisé son choix concernant le programme MFP, après une compétition ayant opposé 12 prototypes livrés par les deux finalistes qu’étaient BAE avec une évolution du M8 Buford, un char léger initialement développé dans les années 90, mais abandonné au profit du véhicule blindé à roues Stryker, et General Dynamics Land Systems avec une évolution du Griffin III (en illustration principale), également en lice pour la compétition OMFV.

À l’occasion d’une conférence de presse, le sous-secrétaire à l’US Army Doug Bush (sans aucun lien, il est fils unique et démocrate, NDLR) a confirmé le choix de l’US Army en faveur du modèle de GDLS, sans grande surprise puisque de nombreux échos faisaient état depuis mars 2022 de l’élimination du M8 Buford de BAE System à l’issue de la campagne de tests.

Le char léger M8 Buford de BAE n'a pas été retenu par l'US Army
LE M8 Buford modernisé présenté par BAE Systems n’a pas convaincu l’US Army

L’industriel se voit donc attribué un budget de 1,14 Md$ pour produire et livrer les 96 premiers blindés d’une commande totale de 504 exemplaires, avec une première livraison d’ici seulement 19 mois, et une montée en puissance industrielle rapide pour atteindre la pleine capacité de production d’ici à la fin de 2023.

L’ensemble du parc devra être en service d’ici à 2035, à raison de 42 chars légers par brigade d’infanterie, pour un budget total d’acquisition de 6 Md$ et un budget total sur le cycle de vie estimé à 17 Md€, soit un cout d’acquisition conséquent de 12 m$ par blindé.

Il faut dire que si le char de GDLS est présenté comme un char « léger » et un héritier du M551 Sheridan, il a bien peu à voir avec ce blindé et même avec cette notion. En effet, le MFP atteint une masse au combat de 38 tonnes, soit très proche de celle qu’avait le Leopard 1 original (40 tonnes), et la même que celle de l’AMX-30B2, deux blindés considérés en leurs temps comme des chars de bataille, et non des chars légers, et bien loin des 16 tonnes du Sheridan ou de l’AMX-10RC.

Même vis-à-vis du T-72B3M et de ses 45 tonnes, le MFP ne fait pas pâle figure, ne cédant nettement qu’aux 70 tonnes des Leopard 2A7, M1A2 Abrams et Challenger 2. En matière d’armement, le MFP se rapproche également de ce dont étaient capables les chars de bataille européens des années 70, avec un canon de 105 mm de 52 calibres à chargement automatique capable de tirer tous les obus de 105 mm occidentaux, y compris les obus flèches, tout en bénéficiant d’une vétronique dérivée de celle de l’Abrams, permettant au MFC d’engager des cibles blindées jusqu’à 1800 mètres en tir direct, y compris en mouvement.

En revanche, et de manière plus que surprenante, il n’est pas fait référence à ce jour de la présence d’un système de protection hard-kill pour ce blindé. Il est vrai que les industriels américains n’ont à ce jour pas été en mesure de produire un système de ce type satisfaisant, capable de concurrencer les performances des Trophy et Iron Fist Israéliens.

C’est la raison pour laquelle l’US Army a décidé d’équiper une partie de ses Abrams de systèmes Trophy, et une partie de ses Bradley du système Iron Fist, et envisage désormais de faire de même pour une partie de ses blindés à roues Stryker, tous étant particulièrement exposés en première ligne face aux missiles et roquettes anti-chars adverses.

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Le MFP de GDLS est dérivé du Griffin III présenté par l’industriel dans le cadre du programme OMFV

Dans ces conditions, il semble surprenant que le MFC, pourrait par essence un blindé de première ligne destiné à soutenir de sa puissance de feu les forces d’infanterie, mais moins protéger que ne peuvent l’être les M1 Abrams, n’en soient pas dotés.

On peut penser que, dans ce domaine, l’US Army attendent les conclusions de la compétition OMFV de sorte à uniformiser les systèmes de protection de ses blindés moyens, d’autant que le Griffin III de GDLS, dont est dérivé le MFC, fait office de grand favori dans cette compétition également.

Il est intéressant de constater qu’en lançant en 2017 la compétition MFC, l’US Army a fait preuve d’une réelle capacité d’anticipation, face aux évolutions des besoins en matière d’engagement de haute intensité terrestres.

En effet, la guerre en Ukraine semble montrer que les engagements de forces blindés tendent à s’effectuer à relativement courte portée, de l’ordre de quelques centaines à 1500 mètres, soit une distance à laquelle les 105 mm des MFC peuvent s’avérer efficaces, y compris contre des véhicules lourdement blindés.

En outre, les blindés plus légers et plus mobiles, même s’ils sont moins protégés, ne semblent pas particulièrement désavantagés lors de ces engagements, alors même qu’ils nécessitent un flux logistique moins important.

Type15 Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
le MFC évoluera dans une catégorie proche de celle du nouveau char léger chinois Type 15

On notera également que les militaires chinois ont, eux aussi, suivi la même piste, avec la conception du char léger Type 15, un blindé de 32 tonnes lui aussi armé d’un canon de 105 mm à chargement automatique et d’une vétronique évoluée, mais disposant d’un APS Hard-Kill semble-t-il, conçu entre autres pour manœuvrer sur des terrains inaccessibles aux chars lourds Type 96 ou Type 99, comme sur les cotes escarpées des plateaux tibétains.

Cette tendance à « l’allègement » des blindés de combat a également été observée lors du dernier salon Eurosatory, avec plusieurs modèles de chars légers présentés dont un très remarqué Leopard 1 retrofité par la société belge CockerHill, ainsi que la présentation des chars « moyens » E-MBT du franco-allemand KNDS et Panther de l’allemand Rheinmetall, tous deux affichant fièrement une masse au combat inférieure à 60 tonnes, comme un argument clé de son efficacité.

La Finlande et la Suède pourront rejoindre l’OTAN, mais les concessions à la Turquie sont élevées

La Turquie faisant l’objet de nombreuses sanctions européennes suite à son intervention en Syrie, en Libye et ses déploiements de forces en Méditerranée Orientale face à la Grèce et Chypre, le président Erdogan savait que la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède serait, pour lui, un formidable moyen de pression pour atténuer ces sanctions, et pour forcer la mains aux deux pays scandinaves dans leur soutien aux mouvements kurdes. En tenant ferme sur son opposition à l’adhésion des deux pays à l’Alliance Atlantique, R.T Erdogan est en effet parvenu à ses fins, et si les communiqués officiels se félicitent de la levée du veto d’Ankara pour ces adhésions, ouvrant la voie à un processus accéléré d’adhésion afin de répondre à la menace russe grandissante, Stockholm et Helsinki, mais également les Américains très probablement, ont du céder à de nombreuses exigences turques, dont certaines n’iront pas sans poser certains problèmes dans leur mise en oeuvre.

Les exigences turques portaient sur plusieurs points, qui toutes ont été acceptées par les suédois et les finlandais lors des négociations qui se sont tenues en marge du somme de l’OTAN de Madrid. En premier lieu, Ankara exigeait la fin de l’embargo suédois sur les livraisons de systèmes d’armement vers la Turquie, et que les deux pays scandinaves entament une coopération technologique de défense avec l’industrie turque. Cette demande est significative, puisque dans certains domaines, elle permet de contourner les sanctions mises en oeuvre par d’autres pays européens qui handicapent l’effort industriel et technologique de défense engagé par R.T Erdogan depuis une quinzaine d’années. C’est notamment le cas pour les technologies navales et de propulsion sous-marine, ainsi que pour certains matériaux composites et alliages de haute technologie qui font défaut en Turquie pour la poursuite de certains programmes, comme le char Altay.

Altay char de combat Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
Star du salon Eurosatory 2018, le programme de char lourd turc Altay est à l’arrêt depuis que certaines technologies européennes ont été mises sous embargo vers la Turquie

En second lieu, la Suède et la Finlande s’engagent à ne plus soutenir les mouvements politiques kurdes du YPG, et à mener une politique ferme contre les organisations terroristes kurdes qui menacent la Turquie, en particulier le PKK. Or, Helsinki et surtout Stockholm avaient pris des positions bienveillantes vis-à-vis de la diaspora kurde, en accueillant notamment des leaders du YPG et des Peshmergas. Ce point sera particulièrement critique en Suède, puisque le gouvernement de Magdalena Andersson n’a résister à une motion de censure il y a quelques semaines uniquement grâce au soutien de la député Amineh Kakabaveh d’origine Kurde et elle-même ancienne Peshmerga, celle-ci ayant clairement signifié que ce soutien politique était conditionné à un soutien national suédois à la cause kurde. En outre, Ankara a obtenu de Stockholm et d’Helsinki la garantie que les deux pays scandinaves répondraient favorablement aux demandes d’extradition turques concernant d’éventuels leader de mouvement terroristes, ce qui n’ira pas sans poser d’importantes vagues de protestation dans les deux pays, au niveau politique comme au niveau social.

Enfin, Ankara a obtenu des deux capitales scandinaves un soutien appuyé en faveur d’une participation de l’industrie turque aux programmes de défense développés dans le cadre de l’Union européenne, et en particulier dans celui de la Coopération Permanente Structurée, ou PESCO. En d’autres termes, Ankara s’est garantie le soutien politique de Stockholm et d’Helsinki pour pouvoir, à l’instar des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne ou de la Norvège, participer à certains de ces programmes financés sur fonds européens. On notera, à ce titre, que les négociateurs turcs n’ont probablement pas dû faire d’importants efforts pour obtenir cette concession, la Finlande ayant été l’un des plus fervents soutiens d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne en son temps, et la Suède ayant été l’un des principaux instigateurs de l’ouverture du programme PESCO à des nations n’appartenant pas l’Union européenne. Ce dernier point n’ira pas sans poser certaines réticences, notamment pour la Grèce, Chypre et pour la France, sachant que ces trois pays sont toujours en situation de tension face à Ankara en Mer Egée, et en Méditerranée Orientale.

F16 Greece HAF Block70 Viper Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
A l’instar de la Grèce qui porte 80 de ses F-16 au standard Block 70 Viper, la Turquie veut acquérir 40 nouveaux appareils à ce standard, ainsi que 80 kits permettant la conversion d’une partie de sa flotte vers celui-ci

Officiellement, ces négociations n’ont concerné que la Turquie, la Suède et la Finlande, et aucune autre forme d’accord ou de compensions n’a été annoncée par d’autres pays afin d’amener Ankara à lever son veto statutaire. Pour autant, il est plus que probable que les Etats-Unis ont, eux aussi, largement participé, de manière discrète mais déterminante, à celles-ci, et des annonces de Washington sont très probables dans les jours à venir au sujet d’un allègement significatif des sanctions concernant l’exportation de technologies de défense vers la Turquie. Il semble désormais presque acquis qu’Ankara sera autorisé à acquérir de nouveaux F-16 au standard Block 70 Viper, ainsi que des kits de modernisation afin de moderniser une partie de ses forces aériennes. Mais les concessions américaines iront probablement plus loin, sans pour autant permettre à Ankara de revenir dans le programme F-35, ce qui provoquerait immanquablement l’opposition féroce du Congrès. On peut ainsi penser que Washington autorisera ainsi à nouveau l’exportation de turboréacteurs F-414 permettant la poursuite du programme chasseur de nouvelle génération turc T-FX, ainsi que de turbines d’hélicoptères et de navires, de sorte à redonner de l’air aux programmes turcs.

Il est cependant plus que probable que ces annonces interviendront non pas de manière globale à court terme, ce qui serait incontestablement perçu comme une réponse favorable à la forme de chantage mise en oeuvre par Ankara, mais de manière progressive, sous couvert de normalisation des relations entre Washington et Ankara. Reste que, là encore, de tels retournement n’iront pas sans poser des problèmes, en particulier pour l’alliance franco-grecque, mais également dans la gestion des crises en Méditerranée, en Syrie et en Afrique du Nord. Toute la question est de savoir à quel point les deux pays scandinaves et les Etats-Unis entendent effectivement respecter leur signature une fois l’adhésion de la Suède et de la Finlande au sein de l’OTAN actée, et qu’avec elles, les moyens de pression de R.T Erdogan se seront envolés. Car si l’intégration des deux pays scandinaves à l’Alliance Atlantique permet effectivement à celle-ci de sensiblement renforcer ses capacités en Scandinavie, en Mer Baltique et en Mer du Nord, au point de bouleverser l’équilibre des forces vis-à-vis de la Russie sur ces théâtres, ilm ne fait aucun doute que le président turc poursuit, pour sa part, un agenda qui lui est propre en Mer Noire et au Levant, potentiellement antagoniste avec les intérêts de plusieurs membres de l’Alliance.

Les Etats-Unis préparent la livraison de systèmes anti-aériens moyenne portée pour l’Ukraine

Si les armées ukrainiennes reçoivent désormais de manière presque continue de nouveaux blindés et systèmes d’artillerie fournis par les occidentaux, elles souffrent en revanche d’une érosion très significative de ses moyens anti-aériens et anti-missiles, comme de ses moyens aériens. C’est la raison pour laquelle, à de nombreuses reprises, les autorités civiles comme miltaires ukrainiennes ont appelé leurs alliés occidentaux à livrer des avions de combat et des systèmes anti-aériens de moyenne ou longue portée, afin d’être en mesure de contenir les frappes à longue portée menées par les missiles de croisière et avions de combat russes qui frappent presque quotidiennement les grandes villes et les infrastructures ukrainiennes depuis plusieurs semaines. Jusqu’à présent, les Etats-Unis comme les Européens avaient refusé de céder à Kyiv sur ce domaine, officiellement afin d’éviter une implication trop directe dans ce conflit et d’en contenir l’extension. Ces derniers jours, toutefois, la ligne rouge concernant la livraison de systèmes anti-aériens à moyenne portée semble avoir, elle aussi, volé en éclat, comme ce fut le cas avant elle pour la livraison de blindés et de systèmes d’artillerie.

En effet, selon plusieurs sources concordantes citées par les médias américains, Washington aurait décidé d’intégrer des systèmes anti-aériens de ce type au prochain package de livraison d’armes à l’Ukraine, qui sera annoncé d’ici quelques jours. Selon ces sources, les Etats-Unis s’apprêteraient en effet à livrer un nombre indéterminé de ces systèmes, le NASAMS étant le plus communément cité, afin de protéger les grandes villes et les infrastructures clés du pays des frappes aériennes et de missiles de croisière russes, de sorte à prendre la relève des S-300 et Buk ukrainiens qui arrivent à court de munitions, et dont une grande partie du parc aurait été détruit par les frappes aériennes russes au fil des combats. Conçue par le norvégien Kongsberg et l’américain Raytheon, une batterie de NASAMS se compose de 8 radars AN/MPQ-64F1 Improved Sentinel et de 12 véhicules de lancement emportant chacun 6 missiles AIM-120 AMRAAM d’une portée pouvant atteindre les 30 km contre des cibles évoluant jusqu’à 21 km d’altitude, interconnectés entre eux par liaison radio cryptée.

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Le NASAMS 2 emploie le radar Improved Sentinel AN/MPQ-64F1 d’une portée de 120 km

L’arrivée de systèmes NASAMS pourrait permettre de protéger les grands centre urbains ukrainiens, comme Kyiv, Lviv, Odessa, Kharkiv, Dniepo et Zapoijja, régulièrement visés par les missiles de croisière russes, qu’ils soient aéroportés, lancés de navires en Mer Noire ou à partir de batteries terrestres, essentiellement des systèmes anti-navires P800 Onyx utilisés comme missile de croisière. En revanche, le NASAMS n’est pas en mesure d’intercepter des missiles balistiques, comme l’Iskander-M ou le Toshka-M, également employés par les forces russes pour frapper les villes ukrainiennes. De même, il est peu probable que le système ne soit déployer prés des zones d’engagement, le NASAMS n’étant pas particulièrement mobile et donc relativement vulnérable aux frappes d’artillerie russes, en particulier des systèmes lance-roquettes Tornado d’une portée de 90 km, bien au delà des 30 km de portée des AIM-120. À noter que le NASAMS dans sa version Block 3 est également en mesure de mettre en oeuvre des missiles à courte portée AIM-9X Sidewinder, ainsi que des missiles allemands IRIS-T SLS et des AMRAAM-ER d’une portée de 50 km, mais il est peu probable que ce soit la version livrée aux ukrainiens, notamment du fait de son nouveau radar GhostEye MR employant la même technologie que les systèmes Patriot.

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Les nouveaux systèmes anti-aériens livrés par les USA à l’Ukraine auront pour mission principale d’intercepter les missiles de croisière russes, notamment le missiles Kalibr lancés régulièrement par les navires de la flotte de la Mer Noire contre les grands centre urbains ukrainiens

Si l’arrivée désormais probable à relativement court terme de ces systèmes permettra effectivement de protéger les grandes agglomérations ukrainiennes des missiles de croisière russes, elle ne permettra pas de changer en profondeur le rapport de force dans l’engagement, en particulier dans le Donbass. Toutefois, en protégeant ces sites, les armées ukrainiennes renforceront le moral des civils mais également des militaires qui les protègent, et nous savons désormais que le rôle du moral reste déterminent, y compris dans les engagements de haute intensité. Reste à voir quelle sera la réponse de Moscou dans une telle hypothèse, à force de pousser la ligne rouge par petit pas, d’autant que la prochaine étape pourrait reposer, cette fois, sur les avions de combat ou les blindés lourds réclamés par Kyiv depuis le début du conflit. Il est possible que les autorités russes en viennent à jouer la carte de l’escalade pour tenter d’arrêter cette progression, pour autant qu’elle en ait effectivement les moyens militaires, ce qui est loin d’être acquis.

L’OTAN va se doter d’une force de riposte de 300.000 hommes pour faire face à la menace Russe

Il y a quelques années seulement, sous les coups de boutoir de Donald Trump et de R.T Erdogan, plusieurs chancelleries européennes commencèrent à douter de l’efficacité de l’Alliance Atlantique, au point que le président français, en référence au manque de réaction de l’alliance face aux provocations turques en Méditerranée occidentales, jugea que celle-ci était en état de « mort cérébrale », et que les Européens, France et Allemagne en tête, entreprirent de tenter de consolider les capacités de réponse européennes face aux menaces émergentes. Quatre années plus tard, alors que la Russie a relancé une crise sécuritaire en Europe d’une ampleur comparable à celle de la Guerre Froide, l’OTAN est redevenue le pivot de toutes les politiques et stratégies de défense communes aux alliés sur le vieux continent et a retrouvé, aux cotés de l’UE et des Etats-Unis, son statut d’acteur majeur de la réponse coordonnée des occidentaux face à l’agression russe, dans une unité qui surprit jusqu’aux plus atlantistes. Dans ce contexte, le sommet de l’OTAN qui se déroulera du 28 au 30 juin à Madrid, marquera un profond bouleversement au sein de l’Alliance, son Secrétaire Général, Jens Stoltenberg, ayant annoncé qu’il porterait, entre autres, sur la constitution d’une force de riposte de 300.000 hommes pour répondre à la menace russe.

Depuis 2004, l’OTAN dispose d’une force de riposte de 40.000 hommes alimentée en unités de manière tournante par ses membre, et désignée NATO Response Force, ou NRF. En 2014, à l’occasion du sommet de Cardiff qui marqua également l’engagement des membres à atteindre un effort de défense à 2% du PIB pour 2025, la NRF se dota d’une force de réaction rapide, désignée Very High Readiness Joint Task Force , rassemblant au moins 5000 hommes et susceptible d’être mobilisée en 48 à 72 heures de temps. Pour autant, comme le montrèrent de nombreux exercices ces dernières années, l’OTAN peine à répondre aux défis posés par la Russie, capable de mobiliser et déployer à ses frontières des forces de 100.000 à 180.000 hommes dans des délais particulièrement courts de 1 à 2 mois, bien en deçà des 3 à 6 mois de délais requis par les armées européennes pour mobiliser et déployer des forces significatives en Europe de l’Est, par exemple. Il est très probable que la nouvelle force de riposte de 300.000 hommes annoncée par Jens Stoltenberg en amont du sommet de Madrid, vise précisément à répondre à cette capacité de mobilisation dont ont fait preuve les armées russes face à l’Ukraine en décembre 2021 et janvier 2022.

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Lors de l’exercice Vostok 2018, les armées russes annoncèrent avoir mobiliser 300.000 hommes, soit le plus important exercice réalisé depuis la fin de la Guerre Froide

Une telle annonce engendrera de profonds bouleversements au sein des armées européennes de l’OTAN, mais également pour ses alliés outre-Atlantique. Il est ainsi probable qu’à l’instar de ce qui se faisait pendant la guerre froide, Washington s’engage à nouveau à prépostionner des équipements lourds en Europe, de sorte à ne devoir déployer, si besoin, que les hommes nécessaires pour leur mise en oeuvre par avion, dans des délais compatibles avec les impératifs opérationnels. Coté Européen, il sera très probablement indispensable d’engager une évolution des formats des armées, en particulier des forces terrestres, ainsi que d’entreprendre des déploiements permanents en Europe de l’Est, de sorte à disposer de capacités de riposte immédiate significatives afin de dissuader Moscou de tout aventurisme, en particulier dans les Pays Baltes, ou en Scandinavie. On notera enfin que le format de cette force, 300.000 hommes, est égal à celui mobilisé par les armées russes lors de l’exercice Vostok 2018, le plus imposant exercice post-guerre froide réalisé par Moscou.

Les évolutions indispensables des forces armées des membres de l’OTAN pour passer d’une NRF de 40.000 hommes à une force de riposte de 300.000 hommes nécessiteront d’importantes hausses de crédits, en corrélation avec le seuil d’effort de défense de 2% du PIB présenté désormais par l’OTAN comme un planché minimum, mais également des délais plus que significatifs. Pour autant, les très lourdes pertes enregistrées par les forces russes en Ukraine, en particulier celles ayant décimées une part significative des unités d’élite des forces aéroportés, des Spetnaz et de la Garde russes, obligeront, elles aussi, Moscou à une longue et difficile recapitalisation de ses forces, de l’ordre d’une dizaine d’années minimum, permettant aux armées de l’OTAN d’engager une montée en puissance raisonnée sur des délais cohérents avec leur fonctionnement. Et si les dernières menaces émanant de Moscou, notamment le réarmement nucléaire de la Biélorussie, entraineront sans le moindre doute des réponses à court terme des membres de l’Alliance, avec le renforcement des forces anti-missiles et des forces aériennes le long des frontières avec la Russie et la Biélorussie, la montée en puissance des capacités de mobilisation de l’OTAN sera, elle, bien plus progressive et étalée dans le temps.

NATO Mobility Abrams Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
Le deplacement des forces en Europe est l’un des enjeux majeurs pour l’OTAN, alors que, dans ce domaine, les armées et les chemins de fer russes ont montré d’excellentes dispositions

Reste que l’effort attendu par l’OTAN devra majoritairement être fourni par les membres européens de l’Alliance. En effet, même si les Etats-Unis continueront à jouer un rôle central dans le commandement, le renseignement et probablement la logistique de l’Alliance, leurs capacités à fournir un corps de bataille équivalent à celui de la Guerre Froide seront largement amoindries dans un avenir proche, alors que pour Washington, la menace chinoise dans le Pacifique est tout aussi pressante, si pas davantage, que celle venue de Moscou. De fait, les forces armées américaines ne pourront plus, à l’avenir, consacrer à la protection de l’Europe plus de 20 à 30% de leurs capacités, sachant qu’elles devront en permanence assurer une posture dans le Pacifique suffisamment dissuasive pour prévenir toute manoeuvre offensive de la part des forces de Pékin. Il est d’ailleurs probable qu’au delà du vieux continent, le périmètre d’intervention de l’OTAN, ou tout au moins d’une partie de ses membres, s’étendra à l’avenir pour englober l’Afrique et le Moyen-Orient, de sorte à libérer des ressources américaines pour contenir la menace chinoise.

On le comprend, le sommet de l’OTAN de Madrid de cette fin de semaine sera, en bien des aspects, bien davantage un sommet de transformation qu’un sommet d’évolution pour répondre à des enjeux sécuritaires dépassant largement le cadre du vieux continent et de l’Atlantique nord. En revanche, il demeure une question essentielle qui, très probablement, ne sera pas débattue lors de ce sommet, et qui pourtant mériterait de l’être au plus haut point. En effet, si l’OTAN s’est construite en 1949 pour lutter contre la menace communiste, elle est désormais dépourvue de ce liant justifiant de l’unité de cette alliance. Et si, face à l’urgence, il est bienvenu de concentrer son attention sur des questions capacitaires et opérationnelles, il n’en demeure pas moins vrai qu’aujourd’hui, au delà de l’adhésion elle-même, rien ne permet de designer clairement pourquoi un pays répond ou ne répond pas aux valeurs de l’Alliance Atlantique, afin de constituer un véritable bloc de nations unies et robustes, comme ce fut le cas lors de la Guerre Froide. Faute de s’attaquer à ces questions fondamentales au sens littéral du terme, l’OTAN pourrait bien n’avoir qu’une unité et une puissance militaire de façade dans les années et décennies à venir.

En annonçant la livraison de missiles Iskander-M à la Biélorussie, V.Poutine lance une nouvelle crise majeure en Europe

En 1997, l’OTAN et la Fédération de Russie signaient un accord bilateral engageant, notamment, les deux parties à ne pas étendre leurs capacités de frappe nucléaire tactique respectives au delà de leur format existant. En d’autres termes, l’OTAN s’engageait à ne pas déployer d’armement nucléaires au delà des 5 pays participant à la dissuasion partagée de l’Alliance (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas et Turquie), alors que la Russie s’engageait à ne pas déployer ou transférer ses armements nucléaires au delà de ses frontières. De fait, lorsqu’à l’occasion d’une nouvelle rencontre avec son homologue biélorusse Alexandre Lukashenko, le président russe Vladimir Poutine a annoncé que la Russie allait livrer à son voisin et allié des systèmes balistiques à courte portés Iskander-M, en précisant qu’ils pouvaient être armés de têtes nucléaires, et d’ajouter que la Russie allait moderniser les Su-25 biélorusses pour pouvoir emporter des bombes nucléaires, celui-ci lance incontestablement une nouvelle crise sécuritaire en Europe, potentiellement aussi risquée que ne le fut la crise des euromissiles au milieu des années 80.

Pour le président Biélorusse, il s’agit, selon ses dires, de répondre aux vols répétés d’avions de l’OTAN armés d’armes nucléaires à proximité de ses frontières, et de se doter d’une capacité de réponse symétrique en cas d’agression nucléaire de la part de l’Alliance Atlantique. Dans les faits, il est extrêmement improbable que Moscou ne donne à Minsk une quelconque capacité de ce type, qu’elle soit ou non controlée, comme c’est le cas au sein de l’OTAN, par un système à double clés. En revanche, une telle annonce permettra très probablement à la Russie de déployer des Iskander-M sur le territoire biélorusse, tout en en gardant fermement le controle, en prétendant qu’ils sont mis en oeuvre par des troupes locales, tout en dénonçant, comme elle l’avait déjà fait, l’accord de 1997 et la présence d’armes nucléaires US en Europe, en contradiction, selon Moscou, avec le Traité de Non Prolifération. En outre, il est très surprenant que Vladimir Poutine ait annoncé la modernisation des Su-25 biélorusses en vue d’être en mesure de conduire des frappes nucléaires, ces appareils n’étant pas taillés pour cette mission, alors que d’autres appareils de l’arsenal biélorusses, en particulier le Mig-29, seraient bien plus adaptés.

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Selon Vladimir Poutine, l’industrie aéronautique Russe va moderniser la flotte de Su-25 biélorusse pour leur permettre de mettre en oeuvre des bombes nucléaires

On notera également que Vladimir Poutine parle, dans ses déclarations, de systèmes Iskander-M, et non de Iskander -E, la version dédiée à l’export du missile Sol-Sol balistique russe, qui fut mise en oeuvre, sans grand succès, par l’Arménie lors de la Guerre du Haut-Karabakh. En effet, l’Iskader-E a des performances moindres, n’est pas conçu pour porter une frappe nucléaire, et n’est par exemple pas doté des mêmes capacités de manoeuvre, ni des systèmes d’autodéfense et de leurres dont sont dotés les Iskander-M. Ces systèmes ont été employés pour la première fois en Ukraine par les forces russes, et se sont montrés efficaces contre les S-300 protégeant les grandes villes ukrainiennes.

Quoiqu’il en soit, cette annonce appellera, sans le moindre doute, une réponse de la part de l’OTAN, et il ne fait guère de doute que des pays comme la Pologne, la République Tchèque voire la Finlande si celle-ci venait à effectivement franchir l’opposition turque pour son adhésion, demanderont eux aussi à héberger des bombes nucléaires B-61Mod12, d’autant que ces pays ont commandé des avions F-35A compatibles avec cette mission. Mais la plus grande inquiétude viendra sans le moindre des pays baltes, déjà sous le feu des menaces venues de Moscou après que la Lituanie ait fermé la liaison routière sur son territoire pour l’enclave de Kaliningrad, mais dépourvus de force aérienne de chasse. Dans une récente interview, la première ministre estonienne, Kaja Kallas, dont on connait la determination face à la Russie, s’est à ce titre émue du fait que les plans de l’OTAN face à une agression russe contre les pays Baltes passent par une reconquête de ces pays au bout de 180 jours après une retraite initiale, et non par une résistance forte pour empêcher la progression d’une éventuelle offensive russe contre ces pays.

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Il est probable que les pays menacés par l’arrivée des Iskander-M en Biélorussie et ayant déjà fait le chois du F-35, demanderont à rejoindre la dissuasion partagée de l’OTAN pour stocker et mettre en oeuvre la bombe nucléaire de 75 kt B-61Mod12

En d’autres termes, il est probable que par cette manoeuvre, Vladimir Poutine cherche a provoquer une réponse des alliés orientaux de l’OTAN, de sorte à pousser l’alliance vers une escalade comparable à celle qui intervint en 1982 suite au déploiement de missiles SS-20 soviétiques en Allemagne de l’Est, et qui donna naissance à la crise des Euromissiles, soit la plus grave crise de la période de la Guerre Froide avec celle des missiles de Cuba. Qui plus est, et contrairement aux années 80, les pays occidentaux, américains comme français, ne disposent pas de systèmes balistiques équivalents à l’Iskander-M susceptibles d’être déployés en protection des alliés les plus directement exposés par ces systèmes, ne laissant comme capacités de réponse que les armes stratégiques, ou les bombes gravitationnelles embarquées à bord des F-16, Tornado et F-35 des membres de l’alliance, sans qu’aucun de ces systèmes n’ait la réactivité d’une frappe balistique à courte portée.

Dans ce contexte, et au delà du très probable déploiement de nouvelles capacités anti-balistiques par l’intermédiaire de systèmes Patriot PAC-3, SAMP/T Mamba ou de navires Aegis-SM3 aux frontières de la Biélorussie, la France, et ses capacités de dissuasion, ont probablement un rôle crucial à jouer, en particulier pour amener les Européens à considérer des positions plus équilibrées entre l’Europe et les Etats-Unis dans leurs capacités défensives. En effet, l’Armée de l’Air et de l’Espace, ainsi que l’Aéronavale française, mettent en ouvre le missile de croisière supersonique ASMPA, l’arme nucléaire la plus adaptée de l’arsenal occidental pour contenir la menace que représente un déploiement d’Iskander-M à proximité des frontières européennes. Par sa vitesse dépassant Mach-3, sa portée de 500 km, sa charge militaire de 300 kilo-tonnes, et sa dimension aéroportée, le missile français peut être en mesure de répondre dans des délais extrêmement courts à une attaque par missile Iskander-M, et donc d’en dissuader l’utilisation.

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Les Rafale français équipés du missile de croisière supersonique ASMPA sont probablement les plus à même, à court terme, de contrôler la menace que représente l’arrivée des Iskander-M en Biélorussie

Reste à voir, désormais, quelles seront les réponses à cette provocation incontestable de la part de Moscou de la part des occidentaux. Il semble peu probable que l’OTAN, Washington, Paris et Londres restent de marbre et decident d’ignorer ce déploiement des plus agressif et menaçant, au risque de provoquer un excès de défiance de la part des alliés d’Europe de l’Est les plus exposés. En revanche, une réponse parfaitement symétrique, c’est à dire en déployant des armes nucléaires sous controle partagé dans les pays Baltes, en Pologne, et de manière élargie, dans tous les pays à porté des Iskander-M déployés en Biélorussie, ne ferait que faire le jeu de Vladimir Poutine, qui se nourrit de cette tension pour affermir son pouvoir sur son pays, mais également sur la Biélorussie, et sur les territoires controlés en Ukraine, tout en déclenchant des mouvements anti-nucléaires en Europe de l’Ouest, comme ce fut le cas dans les années 80. Il s’agit donc, pour les dirigeants occidentaux, de faire preuve de fermeté tout autant que de modération dans cette nouvelle crise, tant pour en contrôler la menace que pour en limiter les conséquences.

Les Pays-Bas confirment la commande de 6 F-35A supplémentaires et de 4 nouveaux drones MQ-9 Reaper

A l’instar d’une majorité de pays européens et suite à l’attaque russe contre l’Ukraine, les Pays-Bas, jusqu’ici particulièrement rétif à augmenter son effort de défense, ont annoncé il y a quelques semaines une augmentation rapide de l’effort de défense du pays pour atteindre l’objectif de 2% de PIB en accord avec les exigences de l’OTAN, pour 2025. Et comme cette même majorité de pays Européens, Amsterdam a annoncé un renforcement capacitaire de ses armées, par l’intermédiaire de nouvelles commandes d’armement. En l’occurence, le ministère de La Défense néerlandais a confirmé, il y a quelques jours, sa volonté de commander 6 avions de combat F-35A supplémentaires pour atteindre une flotte de 52 appareils, mais également 4 nouveaux drones MALE MQ-9 Reaper en plus des 4 delà commandés, et un nouveau lot de missiles Tomahawk auprés des Etats-Unis, tout en marquant un intérêt appuyé pour le système lance-roquette mobile HIMARS déjà commandé en Europe par la Pologne et la Roumanie.

Après une compétition aux conclusions contestables, Amsterdam s’est prononcé en faveur du F-35A américain en 2010, avec une commande initiale de 85 appareils pour 5,5 Md€, permettant à l’industrie aéronautique néerlandaise de rejoindre le programme au statut de partenaire de niveau 2 comme l’Italie. Mais la hausse des couts d’acquisition et l’hostilité parlementaire batave pour les questions d’investissement de défense, amenèrent ces derniers à limiter le budget d’acquisition dédié à cette commande à 4,5 Md€, obligeant le gouvernement à réduire considérablement ses ambitions à seulement 37 appareils en 2013. En 2018, toutefois, cette limitation fut révisée, permettant aux Forces Aériennes Royales Néerlandaises de commander 15 appareils supplémentaires, soit un troisième escadron, amenant le total d’appareils visé à 52, bien que seuls 9 nouveaux F-35A furent effectivement commandés. Par cette nouvelle commande de 6 appareils, concomitante avec l’ambition renouvelée d’Amsterdam d’amener son effort de défense à 2% PIB d’ici 2025, les forces aériennes néerlandaises complètent donc leur dotation pour mettre effectivement en oeuvre les 3 escadrons de 15 appareils visés, sachant qu’il est probable qu’elle se dotera, à terme, d’un quatrième escadron pour un total de 67 appareils.

MQ 9 Reaper taxis Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
Le drone Reaper n’a pas, à ce jour, d’alternative en Europe.

Reste que, à l’Instar de la Pologne ou de l’Allemagne, les nouvelles ambitions budgétaires néerlandaises semblent profiter presque exclusivement à l’industrie de défense américaine, et en aucune manière à l’industrie européenne. De toute évidence, pour ses pays piliers de l’Atlantisme, il est indispensable, en ces temps de crise, d’accroitre rapidement les capacités d’interopérabilité de leurs forces armées avec les forces US, mais également, sans le moindre doute, de donner des gages à Washington pour s’assurer, si tant est que cela soit possible, de son soutien face à la menace russe. Pour autant, dans ce cas précis, force est de constater que l’industrie de défense européenne aurait été incapable de répondre aux besoins néerlandais, celle-ci ayant déjà fait le choix du F-35A et n’ayant, de fait, aucun intérêt à se doter d’une nouvelle flotte d’avions de combat en parallèle, alors que l’industrie européenne n’a, à ce jour, aucune alternative à proposer face au MQ-9 Reaper. Dans ce contexte, seul le MdCN français aurait pu rivaliser avec le Tomahawk, mais cela aurait obligé les navires néerlandais à changer de VLS, ce qui est évidemment hors de propos.

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Le missile Tomahawk est mis en oeuvre à partir du VLS Mk41 particulièrement versatile, et pouvant mettre en oeuvre également des missiles anti-aériens SM2 et ESSM, ainsi que des missiles anti-sous-marins ASROC

Dans ce contexte, et même s’il est indéniable qu’il existe une dimension politique forte aux acquisitions récentes de materiels militaires américains annoncées par certaines capitales européennes, il convient également de s’interroger sur l’adéquation de l’offre émanant de l’industrie européenne de défense avec ce type de besoin, qui plus est lorsque les pays acquéreurs ont des moyens limités obligeants à une plus grande interopérabilité avec l’OTAN, donc avec les Etats-Unis, pour être efficaces. Ainsi, si le MdCN est effectivement une alternative au Tomahawk, il ne peut être mis en oeuvre qu’à partir du système VLS Sylver 70, ce dernier n’étant d’ailleurs capable que de recevoir ce missile, là ou le VLS MK41 américain peut recevoir le Tomahawk, mais également les missiles surface air SM2, SM6 et ESSM, ainsi que le missile porte-torpille ASROC, offrant une souplesse opérationnelle bien plus importante à une flotte néerlandaise n’alignant que 6 frégates. De même, si l’Euromale peut éventuellement être présenté comme une alternative au MQ-9, force est de constater que l’appareil n’entrera pas en service avant 2027, et qu’il aura un prix d’acquisition bien plus élevé que le système américain. Enfin, si le F-35A a ses défauts, il n’en reste pas moins mieux armé que le Rafale, le Typhoon ou le Gripen pour faire face aux défenses anti-aériennes russes à ce jour, même si cet avantage est probablement limité dans le temps.

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Le succès du CAESAR en Europe montre qu’il n’y a pas de fatalité à l’omniprésence des materiels US dans les armées européennes

De fait, s’il est tentant de vilipender Berlin, Amsterdam ou Varsovie pour leurs choix en matière d’acquisitions de matériel militaire récentes, ce qui ne manquera pas d’arriver dans les commentaires à cet article sur les reseaux sociaux, il serait certainement plus efficace et constructif de s’interroger sur les raisons ayant amené à ces arbitrages, au delà des seuls arguments politiques, et d’envisager de concevoir l’effort industriel de défense, en particulier en France, de sorte à être en mesure de répondre effectivement et efficacement à ces besoins, mais également à ceux qui ne manqueront pas d’émerger dans les mois ou les années à venir, comme les systèmes SHORAD, les drones de combat aéroportés, les blindés moyens ou les drones navals et sous-marins. Car, à l’instar du CAESAR qui répond effectivement à un besoin évident avec des capacités uniques, et qui rencontre un important succès à l’export y compris en Europe, c’est probable par ce biais que pourra effectivement se reconstruire l’autonomie stratégique européenne, ou qu’il sera tout au moins possible de la renforcer.

La Royal Air Force renonce à son drone de combat Mosquito

Ces dernières années, les armées britanniques ont été particulièrement prolixes en matière de nouveaux programmes de Défense, sous l’impulsion de l’axe politique choisi par le 10, Downing Street depuis 3 ans et l’annonce d’une augmentation sensible des moyens à disposition de La Défense dans les années à venir. Toutefois, force est de constater que, bien souvent, ces annonces tournent courts, et qu’au delà des annonces et des promesses initiales, beaucoup de ces programmes n’arrivent pas à leur terme.

C’est une nouvelle foi le cas aujourd’hui, avec l’annonce par la Royal Air Force de l’abandon du programme LANCA, pour Lightweigth Affordable Novel Combat Aircraft, et son drone de combat Mosquito. En effet, le Royal Air Force Rapid Capabilities Office (RCO), en charge de ce programme, a annoncé le 24 juin que celui-ci ne dépasserait pas le stade de l’étude initiale, tout en précisant que son abandon n’entamerait pas l’engagement de la Royal Air Force de se doter du meilleur « mix » de capacités au meilleur prix, et que celle-ci se dotera bien d’une capacité de type Loyal Wingmen dans les années à venir.

Il est donc probable que Londres envisage désormais de se rapprocher d’un autre programme en développement chez un de ses alliés, qu’il s’agisse du programme Loyal Wingmen de l’US Air Force, ou de celui développé par la Royal Australian Air Force et Boeing, dont deux prototypes sont déjà en vol. Initialement, le programme Mosquito visait à developper un drone de combat léger et économique apte à évoluer aux côtés des F-35 et Tempest britanniques d’ici la fin de la décennie.

Dans ce contexte, il semble, en effet, que cette fonction pourrait être assurée par le Loyal Wingmen australien, la RAAF mettant également en œuvre, comme la RAF, des F-35A ainsi qu’un appareil de 4ᵉ génération, le F/A-18 E/F Super Hornet. En outre, ceci pourrait renforcer les liens entre les deux pays et les deux industries dans le cadre de l’Alliance Aukus, alors que la RAF peut également s’appuyer sur la composante Remote Carrier développée par MBDA dans le cadre du programme FCAS/Tempest pour assurer les missions les plus risquées nécessitant des drones à couts réduits.

Boeing Australia Loyal Wingman Concept Analyses Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
L’Australie développé depuis plusieurs années en partenariat avec Boeing le programme Loyal Wingmen, qui pourrait bien intéresser Londres.

Lancé en janvier 2020 avec un budget initial de 40 m£, le programme LANCA devait produire un premier drone à cout réduit susceptible d’accompagner les avions de combat britanniques pour 2023. C’est donc à l’issue de cette phase initiale d’étude de faisabilité que la décision a été prise de ne pas poursuivre vers la construction d’un prototype.

Pourtant, l’industrie aéronautique britannique dispose d’un important savoir faire dans le domaine des drones de combat furtifs, ayant conçu notamment le drone Taranis, pendant du Neuron européen dans le cadre du programme franco-britannique FCAS lancé par les accords de Lancaster House en 2010, pour être finalement abandonné par Londres en 2018 après plusieurs phases de Stop@Go.

Il est interessant de rappeler, à ce titre, et alors que les difficultés rencontrées dans les partenariats de défense franco-allemands sont souvent comparés à une soit-disant meilleure collaboration franco-britannique, que le nombre de programmes en coopération entre Londres et Paris avortés ces 20 dernières années, excède très largement celui des programmes franco-allemands en échec : Destroyer Horizon, Porte-avions franco-britannique, drone de combat, missiles ….

Reste que, pour la Royal Air Force comme pour les forces aériennes françaises, allemandes ou italiennes, il est désormais indispensable de se doter, dans des délais les plus courts possibles, de capacités robotisées permettant d’étendre les capacités opérationnelles des avions de combat pilotés, tout en préservant ces derniers en environnement non permissif.

Les enseignements de la guerre en Ukraine ont montré que même des appareils disposant de systèmes d’auto-protection très évolués, comme le chasseur bombardier Su-34 et le chasseur polyvalent Su-35, ne parvenaient pas à évoluer dans un tel environnement, alors même que La Défense anti-aérienne ukrainienne était moins évoluée et moins dense que celle mise en place par les forces russes dans le Donbass aujourd’hui.

De fait, les avions de combat russes comme ukrainiens sont contraint de recourir à des profils de vol à très basse altitude et haute vitesse, avec les risques que cela entraine (les forces russes ont perdu 2 Su-25 la semaine dernière suite à des collisions avec les lignes électriques dans le Donbass), pour mener leurs frappes. En outre, même les drones MALE discrets mais non furtifs comme le TB2 Bayraktar ne parviennent plus à pénétrer les défenses anti-aériennes russes au dessus de ce théâtre.

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Les drones Remote Carrier développés par MBDA UK dans le cadre du programme FCAS/Tempest constituent une alternative economique à l’abandon du programme Mosquito

Dans ces conditions, et sachant que le soutien aérien est une composante indispensable à la doctrine militaire occidentale, le recours à des drones furtifs et économiques, comme ceux développés dans le cadre du programme Remote Carrier, ou à des drones plus lourds mais très discrets, comme dans le cas des programmes Loyal Wingmen américains et australiens, s’avère indispensable pour être en mesure d’assurer ces missions aériennes sans enregistrer des pertes insoutenables, et ce dès à présent.

Tout comme il apparait indispensable que chacune des grandes forces aériennes occidentales, y compris en Europe, dispose de capacités de suppression des défenses anti-aériennes adverses, en se dotant d’appareils ou de drones susceptibles d’assurer les missions de guerre électronique et de SEAD contre ces mêmes défenses.