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Pourquoi le sous-marin russe Belgorod et la torpille nucléaire 2M39 Poseidon ne changent rien ?

A l’occasion de la campagne pour l’élection présidentielle russe de 2018, le président sortant Vladimir Poutine fit naitre une certaine stupeur en occident en présentant publiquement plusieurs programmes militaires « révolutionnaires », sensés donner un avantage décisif aux armées russes pour la décennie à venir.

Parmi ces programmes, le missiles ICBM RS-28 SARMAT et le planeur hypersonique Avangard doivent entrer en service au cours de cette année, alors que le missile hypersonique aéroporté Kinzhal équipe déjà certains Mig-31K modifiés depuis 2019. Le missile de croisière à propulsion nucléaire Burevestnik est, quant à lui, plus ou moins tombé dans l’oubli.

Quant à la torpille lourde à propulsion nucléaire dronisée 2M39 Kanyon, également désignée Poseidon ou Status-6, elle devrait prochainement rejoindre le service actif, alors que le sous-marin Belgorod, qui doit la mettre en oeuvre, a été livré à la Marine Russe au printemps 2022.

Longue de 24 mètres pour un diamètre de 2 mètres, la torpille Kanyon est en réalité un drone autonome propulsé par un réacteur nucléaire miniaturisé, lui permettant d’atteindre des vitesses très élevées de l’ordre de 100 noeuds, et doté d’une autonomie supérieure à 6000 km, soit assez pour traverser l’Atlantique de part en part, à des profondeurs pouvant atteindre 1000 mètres.

En outre, la Kanyon emporte une charge nucléaire de 100 kilotonnes équivalente à celle mise en oeuvre par les systèmes de rentrée atmosphérique individuels MIRV, avec une capacité de destruction stratégique.

Le scénario d’utilisation de cette arme repose sur un pré-déploiement par le sous-marin nucléaire lance-missile modifié Belgorod ou par le Khabarovsk modifié à cet effet, permettant à la torpille de frapper des installations portuaires ou littorales de l’adversaire, comme le port militaire de Norfolk.

De part sa structure, une telle explosion entrainerait de très importants dégâts sur la flotte à quai, la destruction des infrastructures militaires et civiles littorales, et la contamination d’une vaste zone littorale obligeant à l’évacuation définitive de cet espace.

Poseidon Nuclear Torpedo Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
La torpille nucléaire océanique autonome Status-6 Poseidon russe est alimentée par un réacteur nucléaire miniaturisé

Pour transporter la Kanyon, la Marine russe a spécialement modifié le sous-marin lance-missile de croisière Belgorod. La construction du navire fut entamée en 1992, avant d’être abandonnée quelques années plus tard par manque de crédits.

En 2012, l’Etat-Major naval russe relança la construction du sous-marin, sur des plans modifiés vis-à-vis des navires du projet 949AM Antey (Oscar 2 dans la désignation OTAN), pour amener sa longueur de 154 à 184 mètres, et son deplacement en plongée de 20.000 tonnes à 30.000 tonnes, en faisant le plus imposant sous-marin en service dans le monde après la mise en reserve du dernier Typhoon russe.

Ainsi, le nouveau navire pourra mettre en oeuvre jusqu’à 6 torpilles Kanyon, tout en profitant de la discrétion renforcée des Antey, bien supérieure à celle des sous-marins russes plus anciens.

De fait, selon la communication russe, souvent reprise en occident, l’arrivée du couple Belgorod/Kanyon devrait profondément bouleverser les équilibres stratégiques en Atlantique, faisant peser une menace directe sur les ports américains, d’autant qu’avec sa vitesse, sa profondeur et son autonomie, la Kanyon serait impossible à intercepter.

Nous avons là toutes les caractéristiques de ce que les allemands aimaient designer sous le terme de Wunderwaffen, ou arme miracle. Toutefois, la réalité est, quant à elle, bien différente…

En effet, l’utilisation de la Kanyon, ou son simple déploiement à proximité des cotes américaines à bord du Belgorod, constitueraient un casus belli inacceptable pour les Etats-Unis, équivalent au déploiement de missiles SS-4 sur l’ile de Cuba en 1962, ce d’autant que le sous-marin fera l’objet de toutes les attentions de la part de l’US Navy et des flottes alliées, et que la Kanyon, par sa conception, n’est très probablement pas discrète acoustiquement parlant.

En d’autres termes, il est très peu probable que le couple Belgorod/Kanyon puisse franchir le périmètre de protection acoustique qui ceinture la cote orientale des Etats-Unis et du Canada. Reste la possibilité de lancer les torpilles à grande distance, pour profiter de son autonomie, en pariant sur sa vitesse pour sa protection.

Certes, aucune torpille occidentale ne dépasse aujourd’hui les 60 noeuds, rendant l’interception de la Kanyon difficile. Difficile, mais pas impossible.

Pour rappel, à la fin des années 80, la marine soviétique disposait déjà de sous-marins nucléaires, les Alpha, capables de pointe de vitesse supérieures à celles de torpilles occidentales. La solution était, alors, d’attaquer la cible par l’avant, et non par l’arrière, ce qui permettait en outre à la torpille de détonner à proximité des tubes lance-torpilles du sous-marin.

Même sans impact, l’onde de choc pouvait alors déclencher l’explosion des torpilles dans leurs tubes, et donc la perte du sous-marin qui, en évoluant à 35 noeuds comme les Alpha, serait alors aveugle et sourd, et donc incapable d’éviter la menace.

SArmat missile Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
L’ICBM SARMAT pourra mettre en oeuvre le planeur de rentré atmosphérique hypersonique Avangard

Au delà de la vulnérabilité supposée des Kanyon et même du Belgorod, le scénario d’utilisation présenté par la Russie concernant cette arme suppose bien évidemment un engagement majeur ayant franchit le seuil nucléaire stratégique.

Dans une telle hypothèse, l’emploi de la Kanyon n’apporte au final aucune plus value particulière vis-à-vis des missiles ICBM comme le Yard et ou le Sarmat, ainsi que des SLBM BULAVA dont disposent les forces stratégiques russes en plus grand nombre.

Au contraire, par ses contraintes d’utilisation et sa faible vitesse relativement aux MIRV et planeurs hypersoniques armant les missiles russes, l’arme n’a aucun intérêt, même en première intention, son utilisation entrainant de manière certaine et systématique une réplique stratégique de la part des Etats-Unis et probablement de ses alliés contre la Russie, et donc la fameuse destruction mutuelle assurée de l’ensemble des protagonistes, selon une approche très en vogue durant la Guerre Froide.

Rappelons également que l’histoire souvent relayée concernant la capacité de la Poseidon à générer un tsunami sont pour le moins fantaisistes, la puisse nécessaire pour engendrer un tel phénomène, plusieurs dizaines de mégatonnes, dépassant de beaucoup la puissance de 100 kt de la tête nucléaire transportée, et même celle de la plus puissante arme nucléaire jamais construite jusqu’ici.

Le fait est, les limites opérationnelles et stratégiques, voire les risques que le déploiement d’une telle arme à proximité des cotes américaines ou européennes pourraient engendrer, n’aura sans le moindre doute pas échappé à l’amirauté russe, ni au Kremlin. Dans ces conditions, pourquoi developer ce duo qui, au delà de son attrait médiatique, aura probablement couter d’importants crédits à une Marine Russe en manque de frégates et de sous-marins modernes ?

La réponse est, comme souvent, très probablement en partie dans la question elle-même. En effet, à l’instar des Kinzhal, des Tzirkon ou du couple Sarmat/Avangard, la Poseidon ne change que très peu la réalité du rapport de force, y compris dans le domaine stratégique.

En revanche, elle permet aux autorités russes de multiplier les effets d’annonce de sorte à paraitre, sur la scène intérieure comme extérieure, plus menaçante qu’elle ne peut réellement l’être.

Rappelons en effet que la réalité opérationnelle des armées russes aujourd’hui consiste en l’envoie de réservistes hâtivement formés et de T-62 en Ukraine, alors que certains échos font etats d’un important scandale d’état concernant la société Almaz-Antei au sujet du manque d’efficacité des systèmes S-400 et S-300 déployés pour protéger les troupes dans le Donbass.

Avec la Poseidon, comme avec le Kinzhal, les autorités russes prétendent étendre leur options opérationnelles en cas de confrontation avec l’occident, de sorte à compenser un rapport de force numérique, économique et même démographique très défavorable.

Su 30SM fighters Russian Navy aerial refueling Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Su-30SM est vendu aux forces aériennes et aéronavales russes pour un prix équivalent à 25% du prix d’un Rafale

Reste qu’il serait hasardeux de n’évaluer la puissance miltaires russe uniquement sur la base de ces éléments. Ainsi, le pays dispose toujours d’une puissance militaire conventionnelle très supérieure à celle déployée par les pays occidentaux rapportée à la population ou au PIB russes.

En outre, l’industrie de défense russe est capable de produire d’excellent équipements, efficaces et rustiques, pour des couts sans commune mesure avec les production occidentales.

Ainsi, un char T-90M coute aux armées russes à peine plus de 2 m$, et un T-14 Armata moins de 5 m$, là ou les Leopard 2, Challenger 2, Abrams M1A2 et Leclerc coutent tous plus de 10 m$.

Le chasseur polyvalent Su-30SM est vendu moins de 20 m$ aux forces aériennes russes, alors que les bombardiers Su-34 et chasseurs lourds Su-35 le sont à moins de 25 m$, contre plus de 70 m$ pour des chasseurs monomoteurs comme le F-16 Block 70 ou le Gripen E. Quant aux sous-marins nucléaires lance-missiles de la classe Iassen-M, ils ne coutent que 800m$ à la Marine russe, 3 fois moins qu’un Virginia américain.

Pour peu que l’industrie russe parvienne à résoudre ses problèmes de qualité et de corruption, et que l’organisation des armées soit transformée au regard des enseignements de la guerre en Ukraine, Moscou continuera de représenter une menace plus que significative pour l’occident, et pour l’Europe en général, sans que la torpille dronisée nucléaire Kanyon ne joue un quelconque rôle dans ce rapport de force.

Le laser à haute énergie du système aéroporté SHIELD bientôt prêt pour les essais

Depuis le milieu des années 60, les défenses anti-aériennes de plus en plus modernes ne cessèrent de faire peser une menace croissante sur les forces aériennes, et sur les armées qui, comme les forces occidentales, basent l’essentiel de leur puissance de feu sur cette composante. La guerre du Vietnam, puis celle du Kippour, firent prendre conscience aux états-majors de cette menace, entrainant la conception de nouveaux appareils conçus pour défier ces systèmes, soit en se basant sur la furtivité comme le F-117A Nighthawk, soit sur la pénétration à basse altitude et à haute vitesse comme le Tornado, le Su-24 le F-111. La guerre du Golfe marqua la prédominance de la puissance et de la doctrine aérienne américaine et occidentale, alors que la fin de la guerre de la Guerre Froide ainsi que l’effondrement du bloc soviétique portèrent un coup d’arrêt à la perception de la menace, entrainant un ralentissement sensible des investissements et des recherches dans ce domaine pendant prés de 20 ans, d’autant que les Etats-Unis, ainsi que nombre de ses partenaires, prirent fait et cause pour la solution furtive et le F-35 afin de répondre à cet enjeu, le cas échéant.

Pour autant, les menaces, elles, ne cessèrent d’évoluer, avec l’arrivée de nouveaux systèmes anti-aériens de plus en plus performants, comme le S-300 puis le S-400 russe, mais également le HQ-9 chinois, ainsi qu’en matière de missiles air-air à très longue portée, comme le PL-15 chinois, le Meteor européen et le R37M russe, faisant peser des menaces non seulement contre l’aviation de chasse tactique ou les bombardiers stratégiques, mais également contre les appareils de soutien, comme les avions ravitailleurs, les appareils de veille aérienne avancée, ou les systèmes d’écoute électronique aéroportée. Avec l’entrée en service de nouveaux missiles à très longue portée et d’avions porteurs eux-mêmes furtifs comme le J-20 chinois ou le Su-57 russe, c’est donc l’ensemble du dispositif de puissance aérienne occidentale qui se trouve menacé, et avec lui, la puissance de feu des forces dans leur ensemble qui se retrouverait significativement amoindrie. Dans ce domaine, la guerre en Ukraine a également montré qu’en dépit de systèmes d’auto-protection évolués, et d’une couverture de brouillage et de suppression des défenses anti-aériennes, les forces aériennes russes ne sont toujours pas parvenues, après 4 mois de guerre, à prendre la suprématie aérienne au dessus du pays, perdant de fait une grande partie de l’avantage que pouvait lui procurer son aviation tactique 16 fois plus importante que celle de son adversaire.

R37M shoot Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le missile air-air russe R37M peut atteindre des cibles peu manoeuvrante jusqu’à 400 km

Après avoir misé sur la furtivité, dont on connait désormais les contraintes, l’US Air Force a, depuis 2017, lancé le programme SHIELD, destiné à concevoir un laser d’auto-protection aéroporté embarqué dans un pod, afin de permettre à des avions tactiques ou des avions de soutien de détruire les missiles sol-air et air-air qui pourraient les menacer, à l’instar de ce que font les systèmes hard kill Trophy, Iron Fist ou Afghanit pour protéger les chars et véhicules de combat d’infanterie des roquettes et missiles antichars. Le programme SHIELD vient visiblement de franchir une importante étape, puisque Lockheed-Martin a annoncé avoir livré le système LANCE, pour Laser Advancements for Next-generation Compact Environments, le laser à haute énergie qui alimente le système, alors que Northrop Grumman a livré le système de détection et de ciblage, et que Boeing avait déjà livré le pod permettant d’embarquer, d’aliment en énergie et de mettre en oeuvre le système.

Désormais, donc, l’Air Force Research lab, qui pilote le programme, dispose des 3 composants principaux pour entamer les essais de son SHIELD. Bien que l’on ignore la puissance du laser du système LANCE de Lockheed-Martin, Tyler Griffin, l’un des dirigeants de l’entreprise, a déclaré que le système livré était 6 fois plus petit que le Robust Electric Laser Initiative, un laser de 60 KW développé en 2017 pour l’US ARMY, laissant supposer que la puissance délivrée serait du même ordre. Avec une telle puissance, et un système de détection et de ciblage efficace, il ne faudrait que 1 à 2 seconde d’exposition pour détruite un missile air-air selon sa taille et sa résistance, et 3 à 5 secondes pour les missiles sol-air les plus imposants, des délais cohérents avec l’objectif de protection de cibles à haute valeur évoluant en général à une certaine distance des défenses adverses, et à haute altitude.

Leopard2 trophy Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Les dispositifs de protection active Hard-Kill, comme le Trophy israélien, deviennent désormais indispensables pour la serviabilité des chars de combat des des véhicules de combat d’infanterie évoluant en première ligne

L’entame prochaine des essais du système SHIELD ouvrira très probablement la voie au developpement de systèmes similaires, avec à terme une possible redéfinition des paradigmes de la guerre aérienne moderne. En effet, en préservant les avions de combat et les avions de soutien de la menace sol-air et de la menace air-air à longue portée, la puissance aérienne pourrait à nouveau déployer sa pleine puissance, que ce soit pour mener des frappes en profondeur comme pour mener des frappes de soutien pour les forces engagées au sol, tout en redonnant à la chasse, et à l’interception, une place prépondérante pour s’en prémunir. Pour autant, à l’instar de l’ensemble des systèmes de protection rapprochée, qu’il s’agisse des CIWS pour les navires de combat, ou des APS Hard-Kill pour les blindés, les systèmes de protection laser ne seront pas infranchissables, et seront notamment sensibles aux attaques de saturation. Rest que le système SHIELD pourrait constituer la meilleure réponse à court ou moyen terme au déni d’accès mis en oeuvre par des pays comme la Russie ou la Chine.

Avec KDDX, La Corée du Sud lance son 3ème programme de destroyers nouvelle génération

Au tournant des années 2000, les forces navales sud-coréennes étaient essentiellement composées de navires de protection côtière, comme les frégates de la classe Ulsan de 2.200 tonnes ou les destroyers de la classe Gangwon, des destroyers américains de la classe Gearing de 3500 tonnes destinés à la lutte anti-sous-marine et la lutte anti-navire. Depuis, le profil de ces forces navales a profondément évolué, avec l’entrée en service de grands destroyers comme les navires de la classe Sejong the Great parmi les plus imposants (10.600 tonnes en charge) et les mieux armés (128 silos verticaux) de la planète, mais également les frégates de 3.600 tonnes de la classe Daegu, ainsi que les sous-marins à propulsion anaérobie Dosan Anh Changho de 3.750 tonnes armés notamment de 6 tubes VLS pour missiles de croisière et balistiques.

Cet effort s’est construit autour de plusieurs grands programmes, KDX pour les destroyers, FFG pour les frégates, KSS pour les sous-marins et LPX pour les porte-hélicoptères d’assaut. En 2030, cette marine alignera 18 sous-marins d’attaque avec 9 KSS-II Son Won-il (Type 214 sous licence) et 9 KSS-III Dosan Anh Changho, 20 frégates dont 6 de la classe Incheon, 8 de la classe Daegu et 6 frégates anti-aériennes du programme FFG-iii, ainsi que 18 destroyers avec 6 KDX-I classe Chungmugong Yi Sushin de 6.400 tonnes, 6 KDX-II AEGIS de la classe Sejong the Great (divisée en 2 Batch de 3 navires), et 6 destroyers du programme KDDX.

Sejong the Great DDG 9912 Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Les destroyers lourds KDX-ii Sejong the great sont parmi les unités de surface combattantes modernes les plus puissamment armées de la planète

C’est précisément ce dernier programme qui vient d’être officiellement lancé par Seoul, avec pour objectif de lancer un navire par an entre 2025 et 2030. Beaucoup de mystères entoure encore ce nouveau programme, dont la configuration exacte fait encore l’object d’une féroce compétition entre les deux principaux chantiers navals du pays, Hyundai Heavy Industries et Daewoo Shipbuilding and Engineerings. Toutefois, des informations publiques glanées par les journalistes spécialisés, on apprend que cette nouvelle classe de destroyers sera plus compacte que les grands destroyers de la classe Sejong the Great, avec une longueur de 156 mètre et un deplacement de l’ordre de 8000 tonnes. Surtout, contrairement aux destroyers précédents, les KDDX ne s’appuieront que sur des technologies sud-coréennes, tant dans le domaine de la détection que de l’armement, faisant par exemple l’impasse sur le radar américains SPY-1 ou SPY-6, mais également sur les systèmes de lancement verticaux Mk41 et les missiles SM2 et SM3, en se tournant vers les systèmes locaux comme le système de lancement vertical KVLS et des missiles de conception locale.

Ainsi, les KDDX seront équipées de 8 systèmes VLS à 8 cellules permettant de mettre en oeuvre les missiles anti-aériens à longue portée L-SAM d’une portée de 150 km et dotés de capacités anti-balistiques, des missiles KM-SAM d’une portée de 100 km co-developpés avec la Russie (S-350), des missiles de croisière anti-navires Haesung ainsi que des missiles anti-sous-marins Red Shark. A l’instar des nouvelles frégates FFG-iii, le navire disposera très probablement du nouveau radar à antenne électronique active AESA dont le developpement a été annoncé en 2020. Les maquettes présentées par les deux industriels lors du salon MADEX 2021 montraient également un imposant bulbe sonar d’étrave, ainsi qu’une conception furtive très homogène avec un mat intégré de dimension réduite, des cheminées intégrées à la superstructure, et l’absence de protubérance en dehors du canon de 127 mm. Selon les autorités sud-coréennes, le programme vise en effet à developper un navire performant mais économique à construire (vis à vis des KDX-II) avec un prix unitaire à peine supérieur à 1 Md$ conception comprise, mais également à l’emploi, en particulier en se passant des performantes mais très couteuses technologies américaines comme le radar SPY-1, les VLS Mk41 et les missiles SM2, SM3 et SM6 qui équipent les Sejong.

Lancement du sous marin AIP coreen KSS III Dosan Ahn Chang Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
La Marine sud-coréenne disposera de 9 sous-marins KSS-iii Dosan Anh Changho

Reste qu’en 2030, la marine sud-coréenne disposera d’une puissance opérationnelle de haute mer équivalente à celle des flottes allemandes et italiennes réunies, deux pays qui pourtant affichent une population presque deux fois plus importante, et un PIB 3,5 fois plus élevé. Au demeurant, il en ira de même pour ce qui concerne les forces aériennes avec plus de 450 avions de combat F-15, F-16, F-35, FA-50 et KF-21 contre 330 pour le couple italo-allemand, ou dans le domaine terrestre avec plus de 450.000 hommes, 1500 chars lourds K1 et K2, ainsi que 2800 véhicules de combat d’infanterie et 3000 systèmes d’artillerie automotrice K55, K9 et K105 pour l’Armée de terre sud-coréenne, contre respectivement 160.000 hommes, 550 chars, 1800 véhicules de combat d’infanterie et 200 systèmes d’artillerie et lance-roquettes automoteurs pour les forces terrestres allemandes et italiennes réunies.

Paradoxalement, un tel effort pour assurer la Défense du pays face au très turbulent et menaçant voisin du nord, et à son allié chinois, n’a pas empêché Séoul de soutenir une croissance économique moyenne de plus de 3 % par an entre 2000 et 2020, et avec une dette par habitant de seulement 10.000 $, contre 28.000 $ en Allemagne, et de plus de 45.000 $ pour l’Italie, et ce en dépit d’une démographie très peu favorable pour le pays asiatique. En d’autres termes, l’exemple sud-coréen montre que l’investissement dans l’effort de défense, il est vrai aiguilloné par une menace plus que sensible dans le pays, n’est en rien un frein pour le developpement économique, ni un facteur aggravant pour les finances publiques ou la dette souveraine. Au contraire, Seoul a parfaitement assimilé que le developpement d’une puissante industrie de défense était la condition nécessaire pour soutenir dans la durée un effort de défense important. Il serait donc probablement pertinent pour les pays européens, qui se retrouvent confrontés à la nécessité d’augmenter leurs capacités défensives sur des délais relativement courts, de s’inspirer du modèle sud-coréen, mais également de celui de Taïwan, des pays qui ont su maintenir de hauts niveaux d’investissement dans ce domaine sans creuser leur dette et sans entraver leur propre croissance economique.

L’industrie militaire chinoise produit ses équipements « 6 fois plus vite et 20 fois moins chers » que les États-Unis

En 2021, les forces navales chinoises ont admis au service 5 destroyers Type 052D/DL et 3 croiseurs Type 055, alors que l’US Navy, pour sa part, n’aura admis au service aucun nouveau destroyer Arleigh Burke. Selon la planification en cours, la situation sera comparable dans les années à venir, même si en 2022, 2 destroyers Arleigh Burke, l’USS Franck E.Pertensen Jr et l’USS John Basilone ont été admis au service.

Au total, sur les 3 dernières années (2019-2021), l’industrie militaire chinoise aura livré 11 destroyers Type 052D/DL et 4 croiseurs Type 055 à la Marine chinoise, pour seulement nouveaux trois destroyers au sein de l’US Navy. Cette situation est loin d’être anecdotique dans la course aux armements que se livrent, depuis plusieurs années maintenant, Pékin et Washington, avec objectif le contrôle du Pacifique occidental et de l’Océan Indien, y compris dans le domaine des forces aériennes.

Ainsi, alors qu’il s’exprimait à l’occasion du Government Contracting Pricing Summit, l’assistant au sous-secrétaire à l’Air Force en charge des acquisitions, le Major Général Cameron Holt, estima que la Chine produisait ses équipements de défense 5 à 6 fois plus rapidement que le font les États-Unis. Et d’ajouter qu’aujourd’hui, Pékin pouvait n’investir que 1 $ là où Washington devait investir, pour sa part, 20 $ pour obtenir une capacité opérationnelle similaire.

En conclusion, le général Holt, qui partait en retraite quelques jours plus tard et avait de fait une certaine liberté d’expression, invita ses auditeurs à s’interroger sur les conséquences, mais également les origines de tels déséquilibres pour les années à venir.

L’intervention du général Holt Government Contracting Pricing Summit pose des questions plus que pertinentes

L’écart de prix entre les équipements militaires américains n’est pas, en soi, une nouvelle exceptionnelle. Ainsi, un avion de combat J-10C est proposé sur le marché export à un prix unitaire 2,5 fois plus attractif qu’un F-16 Block 70, et une frégate Type 054A est proposée pour la moitié du prix d’une frégate européenne de même tonnage, comme la FDI.

Toutefois, jusqu’il y a peu, les performances et la fiabilité des matériels militaires chinois étaient réputées sensiblement inférieures à celles de leurs homologues américains ou occidentaux, avec une durée de vie, une évolutivité et des performances opérationnelles moindres. Ces certitudes sont désormais remises en question, tant dans le domaine aérien que naval et même concernant les armements terrestres, alors que dans le même temps, les nouveaux programmes américains ne cessent de voir leurs couts croitre.

Ainsi, le nouveau char léger qui équipera l’US Army, le MFP de General Dynamics Land System, aura un prix unitaire de l’ordre de 12 m$, équivalent à celui d’un char lourd comme le Leclerc ou le Leopard 2, là où son pendant chinois, le Type 15 delà en service, a été acquis dans sa version export pour moins de 2 m$ l’unité par le Bangladesh, ceci incluant munitions et pièces de rechange.

L’écart de prix sur la scène export est déjà plus que significatif et problématique en soit, puisqu’il supposerait que les États-Unis devraient investir a minima 3 à 4 fois plus Pékin dans sa propre défense afin de rester à parité avec la Chine. La situation pourrait dans la réalité être bien pire.

Il n’est pas possible de connaitre les prix d’acquisition des équipements militaires acquis par la Chine, l’information étant particulièrement confidentielle. Toutefois, pour peu que Pékin applique une stratégie de tarification équivalente à la Russie sur la scène internationale, il se pourrait que ce coefficient multiplicateur doive être multiplié par 2, voire par 3 pour être réaliste.

En effet, Moscou établit ses prix d’exportation non pas sur la base des couts de production de ses équipements, mais sur une évaluation de l’attractivité commerciale et des prix de marché sur la scène internationale. Ainsi, un Su-30SM est acquis pour à peine plus de 15 m$ par les forces aériennes russes, alors que l’appareil est proposé, à l’exportation, à plus de 35 m$, ce qui demeure un tarif plus qu’attractif face aux 100 m$ moyen des avions de combat équivalents occidentaux, comme le F-15 ou le Typhoon.

FC31 China Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le J-35 chinois se veut l’équivalent du F-35C américain à bord des nouveaux porte-avions de Pékin

Pour autant, le coefficient multiplicateur entre le prix d’acquisition des équipements américains, et dans une moindre mesure, européens, et leurs équivalents chinois, ne serait que de 3 à 6 selon les hypothèses retenues. Le général Holt aurait-il exagéré le trait pour marquer son propose, en affirmant qu’il se situait dans un rapport de 20 contre 1 ? Pas nécessairement.

En effet, le tiers des dépenses annuelles engagées par l’US Air Force se concentrent aujourd’hui sur des investissements de Recherche et de Développement, particulièrement gourmands en crédits. Or, ces dernières décennies, force est de constater que ces investissements ont surtout permis de chercher, et assez peu de trouver, en tout cas pas dans des proportions cohérentes avec les niveaux d’investissement.

Ainsi, il fallut à l’US Air Force, et dans une moindre mesure à l’US Navy et l’US Marines Corps, investir pas loin de 400 Md$ pour le développement du programme F-35. Qui plus est, pendant près de 10 ans, ces 3 armées firent l’acquisition de 70 à 90 F-35A/B/C chaque année, à un tarif unitaire entre 120 et 160 m$, afin de soutenir la mise en route du processus industriel, tout en sachant que ces appareils, livrés à des standards non définis, devraient faire l’objet de couteuses phases de modernisation dans les années à venir.

En d’autres termes, l’US Air Force a acquis ses 300 premiers F-35 pour le prix de près d’un millier de F-16V neufs, ou pour le prix de 2500 J-10C chinois, voire de 5000 appareils en tenant compte des crédits de R&D, se rapprochant bien d’un ratio de 1 pour 20 avancé par le général américain.

La Chine développe en ce moment un appareil similaire au F-35C, le J-35 (désignation non définitive), un chasseur furtif de 5ᵉ génération destiné à opéré sur les nouveaux porte-avions équipés de catapultes de la Marine Chinoise.

Bien évidemment, on ignore le montant des investissements coté chinois pour ce programme, mais si celui-ci s’est basé sur le programme de démonstrateur FC-31, et qui permit de lever de nombreuses erreurs de conception initiales, avant d’aller vers une phase de prototype, ce qui laisse supposer que les investissements consentis par la Pékin dans ce programme sont infiniment moindres que ceux consentis par Washington.

Il est utile de garder à l’esprit que le développement du chasseur KF21 Boramae, développé par la Corée du Sud, dont de nombreuses caractéristiques se rapprochent de celles du J-35, n’aura couté que 8 Md€ à Séoul, 50 fois moins que l’investissement US dans le programme F-35.

MFC GDLS Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Mobile Firepower Protected de GDLS coutera 12 m$ l’unité, soit le prix d’un char lourd de génération précédente, alors qu’il offrira des capacités proches de celles des MBT de la génération du Leopard 1.

De nombreux exemples pointent ce que le général Holt a tenté de dénoncer lors du Government Contracting Pricing Summit, à savoir une structure des couts concernant l’industrie de défense US incompatible avec la compétition qui s’est engagée avec la Chine.

Ainsi, les frégates de la classe Constellation, basée sur le modèle FREMM italien, couteront plus d’un Md$ par unité à l’US Navy, soit presque 50% plus chères que les 700 m$ de leurs homologues italiennes ou françaises, pas moins performantes. De même, les transports de troupe blindés Stryker de l’US Army ont un prix unitaire de l’ordre de 5 m$, soit un prix équivalent à celui du VBCI bien mieux armé (canon de 25 mm) et protégé (Stanag 4 vs Stanag 2a), et là où le VBMR Griffon français a été conçu pour ne couter que 1 m€ par unité avec des capacités opérationnelles très proches, voire parfois supérieures (protection Stanag 4) à celle du blindé américain.

Et si tels écarts tarifaires sont constatés vis-à-vis de matériels européens ou sud-coréens, on imagine bien à quel point ceux-ci peuvent être importants vis-à-vis de la Chine, un pays qui dispose encore d’un salaire moyen mensuel inférieur à 1000 $ par mois, contre 4500$ outre atlantique.

Pour autant, le problème est loin de ne toucher que les États-Unis. En effet, par leur prédominance sur le marché de l’armement occidental, les industries US donnent aujourd’hui le La en matière de prix comme de méthodologie et de doctrines pour l’ensemble des contrats d’équipement des armées occidentales.

On notera ainsi que les avions F-16V, Gripen E, F-35A, Rafale C F3R et autre Typhoon Block III, évoluent tous dans une gamme de prix allant de 70 à 90 m$ l’unité en tarif Fly Away, et que tous proposent une approche similaire en termes de capacités opérationnelles, à quelques détails près. Il en va de même des chars de combat, des hélicoptères et même des satellites miliaires.

Quant aux programmes à venir, ils s’appuient tous sur de très longues phases de R&D, s’étalant parfois sur plus d’une dizaine d’années, comme pour les programmes d’avions de combat NGAD et SCAF, ou de blindés comme OMFV ou MGCS, afin de développer des équipements qui seront beaucoup plus chers que ceux des générations précédentes.

Type15 Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Type 15 chinois, équivalent du FMC, coute 6 fois moins cher que son homologue US sur la scène export.

Une chose est certaine, cette trajectoire suivie de part et d’autre de l’Atlantique, si elle fera très certainement le bonheur des industriels de défense et de leurs actionnaires, ne permettra pas de soutenir longtemps la compétition face à l’effort de défense parfaitement structuré et remarquablement maitrisé de Pékin.

On peut se demander, à ce propos, si les paradigmes technologiques et industriels qui sous-tendent ces développements et ces programmes, ne s’appuient pas sur certaines certitudes auto-entretenues découlant d’une analyse erronée du succès des armées occidentales en Irak en 1991, à l’origine des évolutions qui aujourd’hui handicapent la reconstruction relative des armées occidentales.

En ce sens, alors qu’il était sur le départ, le discours du Général Holt peut apparaitre comme un plaidoyer pour ouvrir de nouvelles approches industrielles en matière de production et de conception de matériel de défense, et peut-être de reconsidérer les ouvertures faites par Will Roper lorsqu’il était le chef civil du général.

Les Armées françaises (aussi) ont besoin d’un plan de recapitalisation de 100 Md€

Quelques jours à peine après le début de l’offensive russe contre l’Ukraine, le chancelier allemand Olaf Scholz présentait devant le Bundestag, le parlement allemand, un plan visant à investir une enveloppe de 100 Md€ destinée à réparer certaines des défaillances les plus critiques constatées au sein de la Bundeswehr, tout en engageant une dynamique afin d’amener l’effort de défense du pays au delà du seuil des 2% de PIB requis par l’OTAN à horizon 2025. Depuis, l’immense majorité des pays européens, qu’ils soient ou non membre de l’OTAN, ont annoncé une augmentation sensible de leurs propres efforts de defense, tous s’engageant, à des échéances plus ou moins proches, à respecter ou dépasser le seuil de 2% de PIB, devenu en quelque sorte le marqueur d’un effort de defense cohérent face à la recomposition stratégique en cours en Europe, mais également dans le Monde.

Les autorités françaises étaient, sur ce domaine, restées particulièrement discrètes. Il est vrai que le pays avait entrepris, dès 2017, un effort visant à inverser la courbe des investissements en matière de Défense, avec une Revue Stratégique et une Loi de Programmation Militaire (LPM) actant une hausse linéaire du budget des armées de 1,7 Md€ par an jusqu’en 2022, puis de 3 Md€ par an en 2023 et 2024. En outre, les questions de défense ne firent pas partie des thèmes majeurs de campagne pour l’élection présidentielle ni pour les élections législatives qui suivirent, ni de la part du président sortant, ni de celle des oppositions, formant une chape opaque autour de sujet sur l’ensemble de cette période. A l’occasion du Salon Eurosatory 2022 en juin dernier, le Président Macron nouvellement réélu, annonça cependant qu’une mise à jour la LPM serait nécessaire pour répondre aux nouveaux enjeux de défense, confirmant que le pays devrait accroitre son effort de défense dans les années à venir. Il y a une semaine, ce fut le ministre des Armées, Sebastien Lecornu, qui confirma que le budget des armées augmenterait bien de 3 Md€ en 2023, répondant ainsi à un rapport de la Cours de Compte récemment publié qui mettait en garde contre la soutenabilité budgétaire d’un tel effort.

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A l’occasion de son discours d’ouverture du salon Eurosatory 2022, Emmanuel Macron annonça la prochaine adaptation de l’effort de défense français aux nouveaux enjeux sécuritaires en Europe et dans le Monde.

A l’occasion de son discours de Politique générale devant le parlement, la première ministre Elizabeth Borne, a précisé les contours de cet effort, indiquant que le président Macron définirait prochainement les contours d’une nouvelle Loi de Programmation Militaire, sans en détailler le calendrier ou les grandes lignes. Pour autant, et même si les Armées françaises ont effectivement grand besoin de voir leurs capacités budgétaires croitre de manière progressive de sorte à répondre à des enjeux sécuritaires pas si nouveau que ça, mais ignorés jusqu’ici de crainte de devoir y répondre, elles souffrent, à l’instar de la Bundeswehr, de certains déficits capacitaires critiques qu’il conviendrait de traiter de manière séparée et immédiate, comme le fit Olaf Scholz le 27 février devant le Bundestag. Dans cet article, nous étudierons l’opportunité pour les armées françaises mais également l’industrie de défense nationale de s’appuyer sur un plan d’investissement similaire de 100 Md€, mais également la façon de financer un tel effort en respectant les contraintes budgétaires du pays.

Des armées conçues sur une doctrine révolue

Si les armées françaises souffrent de nombreuses déficiences critiques, celles-ci sont, bien souvent, très différentes de celles qui touchent les armées allemandes. Là ou la Bundeswehr a largement souffert d’arbitrages politiques mal conçus et inadaptés, entravant son efficacité globale, les armées françaises sont parvenues à maintenir l’essentiel des capacités dont elles disposaient à la fin de la Guerre Froide, mais de manière limitée. Le fait est, les armées françaises aujourd’hui répondent à une doctrine définie par le Livre Blanc de 2013, dont les grandes lignes ont été maintenues lors de la Revue Stratégique de 2017. Elles ont pu ainsi conserver un format d’armée global, et furent contraintes de répondre à une doctrine qui, alors, pouvait faire sens, à savoir de s’appuyer sur la dissuasion pour la préservation et la protection du territoire et des intérêts stratégiques du pays, sur un corps expéditionnaire projetable pour les opérations exterieures, et sur une force limitée mais cohérente pour les interventions en coalition. Pour maintenir et faire vivre l’ensemble de ses impératifs avec un budget d’à peine plus de 32 Md€ par an (2016), les Armées durent réduire le format de certaines capacités, avec une flotte de chasse ramenée progressivement à 185 appareils pour l’Armée de l’Air (contre plus de 450 en 1995), et à 40 appareils pour l’Aéronautique navale (75 en 1995), qui perdit également son second porte-avions.

Rafale e Mirage 2000 D foto Armee de lair Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Il manque aujourd’hui entre 60 et 80 avions de combat à l’Armée de l’Air et de l’espace pour répondre aux réalités opérationnelles du moment

L’Armée de terre subit d’importantes réductions de capacités, en particulier dans les domaines dédiés à la haute intensité, en ramenant son parc de chars lourds à 220 Leclerc dont seulement 200 seront modernisés, en ramenant l’artillerie lourde à 120 tubes et en transférant la capacité sol-air à moyenne portée à l’Armée de l’Air. D’autres capacités, notamment pour ce qui concerne le génie ou le train, furent réduites significativement, au point qu’aujourd’hui, l’Armée de terre n’est en mesure de déployer en cas de conflit de haute intensité, qu’une unique division forte de 3 brigades et 20.000 hommes avec un délais de 6 mois. Pour autant, depuis 2017, de nombreux efforts ont été faits pour palier à certaines de ces défaillances, avec l’arrivée de nouveaux materiels (programme SCORPION, Frégates FREMM, sous-marins Suffren, A400M, NH90, A330 MRTT Phoenix..), la modernisation de plusieurs équipements (Chars Leclerc, Mirage 2000D, porte-avions Charles de Gaulle..), et l’entame de nouveaux programmes (frégates FDI, SCAF, MGCS, Albatros, PANG..). En outre, des efforts particuliers ont été faits pour corriger les effets négatifs de certaines reformes mal conçues, comme dans le domaine de la maintenance aéronautique, ou pour augmenter la disponibilité de certaines capacités, comme dans le cas du doublement des équipages des frégates FREMM.

De nombreuses défaillances ou faiblesses capacitaires à combler

Reste qu’en dépit des efforts faits depuis 5 années maintenant, les armées françaises continuent de souffrir de nombreuses défaillances ou de faiblesses capacitaires, en grande partie du fait de l’inadéquation de la doctrine issue du LBDSN 2013 avec la présente réalité géopolitique et sécuritaire. Ainsi, l’Armée de terre, au delà d’un format de la Force Opérationnel Terrestre trop réduit, ne disposent que de 200 blindés chenillés lourds, en l’occurrence les 200 chars Leclerc. Si elle aligne plus de 600 véhicules de combat d’infanterie VBCI 8×8, ceux-ci ont été conçus pour des théâtres de faible intensité, principalement en Afrique et au Moyen-Orient, et pour pouvoir être aérotransportés, ces blindés sont aujourd’hui trop faiblement protégés (blindage Stanag 4569 4 pour résister aux tirs de mitrailleuses lourdes ou de canons de moins de 20 mm), et insuffisamment armés (canon 25 mm et mitrailleuse 7,62mm) pour l’engagement de haute intensité. En outre, aucun des blindés de l’Armée de terre, ni les Leclerc, ni les VBCI, ni les blindés du programme Scorpion, ne dispose de systèmes de protection hard-kill. Le constat est identique concernant les systèmes d’artillerie, avec moins de 120 systèmes CAESAR en ligne de mire et 54 mortiers automoteurs, soit une densité d’artillerie 6 fois moins importante que pour l’armée russe. Les capacités de lutte anti-aérienne à courte et moyenne portée, indispensables pour soutenir une manoeuvre de haute intensité, sont limitées à l’utilisation de missiles MANPADS Mistral, alors que les capacités de guerre électronique dont elle dispose sont echantillonaires.

VBCI Mali Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Parfaitement adapté aux OPEX en Afrique et au Moyen_Orient, le VBCI français est insuffisamment protégé et armé pour les engagements de haute intensité, alors que sa configuration 8×8 ne permet pas d’augmenter sa masse au delà des 32 tonnes actuelles.

La Marine Nationale souffrent également de plusieurs défaillances, avec un nombre de navires de combat de surface (frégates, destroyers) limité à 15 unités par le LNDSN 2013, alors que l’Etat-Major estime qu’un minimum de 18 à 20 navires serait requis, et qu’une flotte à 24 frégates serait idéalement dimensionnée pour répondre aux enjeux présents et à venir. En outre, ces navires profiteraient largement d’une évolution du système de lancement vertical de missiles SYLVER, de sorte à lui conférer une plus grande souplesse et surtout la capacité d’embarquer en multi-pack certains missiles aux dimensions plus réduites. La flotte sous-marine tactique, forte de 6 sous-marins nucléaires d’attaque, est également sous-dimensionnée vis-à-vis des besoins, même si ces navires disposant de double équipages offrent d’excellentes performances et une impressionnante disponibilité à la mer. Surtout, la Marine nationale souffre de ne disposer que d’un unique porte-avions, le PAN Charles de Gaulle, alors que les besoins pour ce type de navire iront croissant, en Méditerranée, dans l’Atlantique nord mais également dans le Pacifique et l’Ocean Indien.

L’Armée de l’Air et de l’espace, enfin, ne dispose aujourd’hui que de moins de 80 avions Rafale en unités opérationnelles aprés que 24 de ces appareils aient été vendus d’occasion à la Grèce et à la Croatie, épaulés d’une soixantaine de Mirage 2000-5 et D, ces derniers étant en phase de modernisation. Cette flotte est d’ores-et-déjà sous-dimensionnée vis-à-vis des besoins opérationnels présents et à venir, alors que l’objectif visé à horizon 2030 se limite à 185 Rafale, là ou 60 à 80 appareils supplémentaires seraient nécessaires, à minima, pour répondre à l’activité opérationnelle actuelle. En outre, aucun de ses Rafale n’est spécialisé dans la suppression des défenses anti-aériennes adverses ou dans la guerre électronique, alors que cette capacité est désormais indispensable pour l’engagement de haute intensité. Elle souffre également de l’absence de programme de drone de combat furtif, tel le Loyal Wingman américain ou australien ou le S70 Okhotnik B russe pour les missions en espace hautement contesté, et pour étendre les capacités opérationnels des Rafale dans l’attente des drones de combat du programme Remote Carrier. Dans le domaine anti-aérien, elle ne dispose que de 6 batteries SAMP/T MAmba, là où 12 batteries seraient nécessaires simplement pour protéger les bases aériennes et les espaces critiques en métropole et outre-mer. Enfin, elle ne dispose d’aucune hélicoptère de transport lourd, une capacité pourtant jugée indispensable par l’immense majorité des forces aériennes d’importance en Europe.

FREMM Mistral Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le doublement des équipages des frégates FREMM permit à la Marine Nationale d’accroitre la disponibilité de ses navires de haute mer, sans user les équipages outre mesure.

Enfin, les 3 armées françaises souffrent, à l’instar des armées allemandes, des effets de la réorganisation de la gestion des flux de munitions et de pièces détachées effectuées au début des années 2010, sur des paradigmes de conflits de faible intensité et de courte durée. De fait, il serait nécessaire de reconstituer ces stocks, tant pour soutenir dans la durée une éventuelle opération militaire que l’on sait désormais excessivement gourmande en munition de précision et d’artillerie, que pour être en mesure, le cas échéant, de soutenir l’action militaire d’un allié employant des materiels de facture nationale.

Une indispensable évolution de l’industrie de Défense

La période de profonde transformation des armées européennes qui a débuté il y a quelques mois, s’accompagne d’une évolution tout aussi radicale des industries de défense susceptibles d’alimenter cette mutation. Or, à l’instar de la majorité des industries européennes, les entreprises de la BITD françaises ont évolué, ces deux dernières décennies, de sorte à s’adapter au fonctionnement de la commande publique, souvent emprunt d’arbitrages contradictoires et de délais itératifs sur fonds de contraintes budgétaires, et d’un marché export particulièrement tendu et concurrentiel. Aujourd’hui, celles-ci fonctionnent, peu ou proue, telles des entreprises de l’industrie du luxe, investissant principalement dans la Recherche et lue Developpement, et abordant l’aspect productif à la demande d’une manière proche de l’artisanat. Or, comme l’avait souligné le président Macron lors de son discours en ouverture du salon de l’armement terrestre Eurosatory 2022, il convient désormais de faire évoluer ce modèle productif, de sorte à permettre une augmentation sensible des capacités de production sur des délais courts. En d’autres termes, l’industrie de défense va devoir évoluer de son modèle actuel vers un modèle productif se rapprochant de celui mis en oeuvre par les grandes industries européennes, comme l’automobile ou l’aéronautique civile.

Atelier Rafale 1 Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
l’Industrie de défense française s’est adaptée, au fil des années, aux changements de contrats et de calendriers imposés par l’Etat, mettant en pauvre une réponse industrielle alliant qualité et flexibilité, mais ne permettant pas de soutenir des cadences élevées de production

Cette transformation donnera lieu à une redistribution sensible des rapports de force industriels en Europe et dans le monde, avec une évidente prime aux premiers qui parviendront à promettre des délais de livraison réduits pour des équipements répondant aux attentes. Dans ce contexte, la stratégie allemande, visant à alimenter rapidement son tissus industriel defense de moyens importants pour engendrer une mutation rapide, fait évidemment sens, et pourrait, au même titre, être appliquée en France, d’autant que contrairement à Berlin, Paris ne ventilera pas 40 à 50% de ses investissements outre-atlantique. Au delà des capacités industrielles finales, un effort de cet ordre permettrait également de renforcer sensiblement la chaine de sous-traitance de ces industries, avec des avantages concurrentiels évidents à moyen terme bien au delà du secteur de la défense, et des bénéfices socioéconomiques très largement accentués. Reste une question plus que critique dans ce dossier, celle du financement.

En France, on n’a pas de pétrole, mais on a …

De l’épargne ! (si vous avez pensé « des idées », c’est probablement que vous avez plus de 50 ans). Contrairement à l’Allemagne, la France a des marges de manoeuvres limitées en terme d’endettement et de financement, avec une dette équivalente à 115% de son PIB, et un budget en déficit chronique aux limites des seuils autorisés par la zone euro. Dans ces conditions, il parait illusoire d’espérer pouvoir dégager une enveloppe d’investissement de 100 Md€, tout au moins sans en obtenir préalablement une improbable autorisation de la part de Bruxelles. Pour autant, avec un minimum d’ingénierie financière, et un modèle adapté, il est possible d’y répondre. D’une part, les français disposent de plus de 5.000 Md€ d’épargne financière, dont presque 400 Md€ pour le seul livret A. Cette épargne est à ce point importante que les banques en charge de la collecter, peinent aujourd’hui à l’employer efficacement et à des taux d’intérêt compatibles avec la rémunération de ces livrets. Dans ces conditions, financer une telle enveloppe, dans l’absolue, ne pose guère de problème. Encore faut-il, d’autre part, pouvoir s’appuyer sur un modèle permettant de ne pas décompter cet investissement dans la dette souveraine et dans le déficit public de l’état français.

Parlement europeen Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
la réglementation européenne impose des contraintes strictes mais soutenable concernant la location des équipements par l’état sans que l’investissement total ne soit intégré dans la dette souveraine à l’instar d’un financement classique.

Pour cela, il est possible de s’appuyer sur le modèle Socle Défense, plusieurs fois abordé sur ce site. Celui-ci repose sur une société de financement en partenariat public-privé, qui exploiterait les dépôts d’épargne, soit directs par l’intermédiaire d’un livret, soit de manière plus efficace, en ouvrant des possibilités d’investissement garantis à taux fixe pour les dépôts sur-numéraires sur les livrets d’état. La société réaliserait les acquisitions et les investissements pour le compte des armées en matière d’équipements, pour les louer sur une durée cohérente avec leur nature et dans le respect des contraintes imposées par la réglementation européenne, de sorte à contourner la classification en dette souveraine. L’Etat, pour sa part, pourra financer les surcouts de location, qui seront progressifs, par les recettes sociales et fiscales supplémentaires générées par l’industrie de défense et la supply chain suite à l’augmentation de la production. Sur la base d’un surinvestissement de 100 Md€ ventilés sur 10 ans, soit +10 Md€ par an, prés de 250.000 emplois directs, indirects et induits seraient créés, générant plus de 6 Md€ de recettes sociales et fiscales par an, et permettant une economique sociale de presque 4 Md€ par an, ce sans tenir compte des capacités de productions supplémentaires disponibles pour l’exportation.

Conclusion

On le voit, il existe aujourd’hui une conjonction de besoins, d’opportunités et de moyens afin de permettre à l’Etat français de s’aligner sur l’initiative allemande pour soutenir son effort de défense. De part sa capacité d’autofinancement, un tel modèle basé sur le Socle Défense, permettrait non seulement de palier certaines des déficiences les plus critiques des armées françaises, mais également de concentrer l’effort budgétaire annuel vers les questions de format des armées, avec le recrutement de miltaires supplémentaires et le renforcement rapide de la Reserve opérationnelle et citoyenne. Cette approche permettrait également d’accompagner efficacement la nécessaire transformation de l’industrie de défense nationale pour qu’elle recolle à un modèle productif répondant aux nouveaux besoins de ce marché, alors que les questions de délais de livraison vont probablement devenir aussi importants, voire davantage, que les questions budgétaires ou de compensations industrielles et économiques sur le marché export.

L’Allemagne peut-elle devenir la première force armée conventionnelle en Europe ?

L’entame de l’offensive russe en Ukraine provoqua un profond électrochoc dans la société allemande, comme partout en Europe : Soudain, le risque de guerre devenait bien plus pressant sur le vieux continent, et les opinions publiques se tournèrent avec empressement vers certains sujets, en particulier sur la capacité dont disposaient leurs forces armées pour les protéger face à ce qui était alors souvent présenté comme une déferlante potentielle de puissance de feu et de chars russes. Au lendemain du début de cette offensive, le chef d’Etat-Major allemand, le Lieutenant General Alfons Mais, publiait un post sur le réseau social LinkedIn qui ébranla encore davantage une société allemande biberonnée pendant 30 ans aux bienfaits du soft-power et à l’inutilité de la puissance militaire, annonçant qu’en l’état actuel, la Bundeswehr, l’Armée allemande, n’était pas en capacité de mener un tel combat, handicapée par des décennies d’arbitrages budgétaires et politiques ayant profondément détérioré les capacités de ce qui fut, au plus fort de la Guerre Froide, la plus puissante armée occidentale conventionnelle en Europe, alignant 2 fois plus de chars et 50% davantage d’avions de combat que la France ou la Grande-Bretagne.

Depuis, les choses ont très largement évolué à Berlin. À peine quelques jours après le post du général Mais, le nouveau chancelier Allemand, Olaf Scholz, présenta un très ambitieux plan d’investissement devant le Bundestag, promettant une enveloppe immédiate de 100 Md€ afin de palier les défaillances les plus critiques des forces armées, et engageant un effort pour atteindre un niveau d’investissement dépassant le seuil des 2% de PIB d’ici 2025. Les premiers contrats d’équipements ont été rapidement annoncés, avec la commande de 35 F-35 et d’une nouvelle version du Typhoon dédiée à la mission de guerre électronique pour remplacer les Tornado assurant encore cette mission, la commande d’un nouveau lot de véhicules de combat d’infanterie Puma et la modernisation des 350 premiers exemplaires livrés, l’acquisition de 2 nouveaux sous-marins d’attaque Type 212CN, de 7 nouveaux avions de patrouille Maritime P-8A, ou encore d’hélicoptères lourds CH-47F Chinook et de systèmes anti-aériens à longue portée. En outre, 20 Md€ seront consacrés à la recapitalisation des stocks de munitions et de pièces détachées afin de palier certaines des plus importantes défaillances de la Bundeswehr, qui affiche depuis plusieurs années des taux d’indisponibilité catastrophiques pour ses équipements majeurs, tant dans le domaine terrestre qu’aérien ou naval.

F35A USAF Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
L’Allemagne va acquérir 35 avions F_35A Lighting 2 pour assurer les missions de partage nucléaire de l’OTAN

Cette nouvelle dynamique engagée depuis 4 mois à peine outre Rhin, semble avoir donner des ailes au Chancelier Scholz qui, après avoir fait montre d’une extreme prudence vis-à-vis de Moscou au début du conflit, notamment pour préserver les approvisionnements en gaz et pétrole venus de Russie indispensables au pays, se montre désormais des plus offensifs, promettant à plusieurs reprises que l’Allemagne sera le pivot capacitaire de la Défense européenne au sein de l’OTAN, et que le pays disposera bientôt de la plus puissante force armée conventionnelle sur le vieux continent. Toutefois, au delà des opportunités politiques à faire de telles déclarations vis-à-vis d’une Europe de l’Est en manque de réassurance, et des Etats-Unis soucieux de ne pas s’engager outre mesure sur le vieux continent afin de maintenir les capacités nécessaires et suffisantes pour faire face à la Chine, on peut s’interroger sur la matérialité effective de ces déclarations, et sur la possibilité, pour Berlin, de prendre une position aussi centrale en Europe sur le plan militaire.

Les moyens budgétaires de ses ambitions

Pour construire cette super-Bundeswehr dont rêve Olaf Scholz, le chancelier allemand peut s’appuyer sur la plus grande force du pays, son économie très dynamique, exportatrice, et sur une santé budgétaire enviée de nombreux autres européens. En effet, en consacrant « plus de 2% » de son PIB à son effort de défense, l’Allemagne pourra allouer chaque année plus de 75 Md€ à ses armées, positionnant le pays à la troisième position mondiale dans ce domaine, pour peu que les autres grandes nations comme la Russie, l’Inde, l’Arabie saoudite ou le Japon, n’augmentent pas leurs propres investissements non plus. En outre, Berlin dispose d’importantes réserves budgétaires, puisque la dette publique du pays ne dépasse pas les 70% du PIB aujourd’hui (contre 113% pour la France), et que la dette publique par habitant est 40% moins importante Outre-Rhin. Les perspectives sont également plus favorables aujourd’hui pour l’Allemagne qu’elles ne le sont pour la France, en dehors des considérations énergétiques, puisque l’economie exportatrice germanique profite pleinement d’un euro faible.

Puma IFV Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le VCI Puma de la BundesWehr

En d’autres termes, l’Allemagne dispose non seulement des capacités budgétaires pour accroitre son effort de défense sans déstabiliser à court ou moyen terme ses équilibres budgétaires, mais elle dispose d’une capacité d’endettement bien supérieure à celle des autres pays européens, qui eux aussi font face à la même difficile équation du réarmement en sortie de crise Covid, et en pleine crise énergétique et inflationniste. Le pays dispose par ailleurs d’une industrie de défense capable de soutenir cette expansion, et qui, elle aussi, dispose d’importantes capacités d’exportation dans certains domaines, comme dans celui des véhicules blindés, des sous-marins, des corvettes et des missiles. Enfin, Berlin aura très certainement la possibilité de valoriser budgétairement ses investissements à venir, y compris en matière d’importation de matériels américains, Washington étant par nature enclin à soutenir ce qui peut lui permettre de contrôler l’émergence de compétiteurs trop influents sur le marché de l’armement mondial.

Une position géographique centrale et un leadership européen

Pour soutenir cette ambition, Berlin peut également s’appuyer sur deux caractéristiques importantes du pays. D’une part, l’Allemagne est positionnée au coeur de l’Union européenne comme du dispositif defensif de l’OTAN, le pays ayant des frontières avec 9 pays Européens, dont 7 appartiennent à l’OTAN et 8 à l’Union européenne. En outre, il fait la jonction avec l’Europe de l’Est (frontières avec la Pologne, la Slovaquie, la Republique Tchèque), et l’Europe de l’Ouest (France, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), tout en ayant une position privilégiée en Mer baltique et Mer du Nord. En d’autres termes, si la RFA avait une position stratégique au sein de l’OTAN face au Pacte de Varsovie et été considérée comme le lieu probable d’un affrontement hypothétique entre les deux alliances, l’Allemagne aujourd’hui représente le pivot géographique naturel autour duquel s’articule toute la stratégie de l’OTAN dans le nord de l’Europe face à la Russie, mais également une base arrière idéale pour les opérations en Europe du Sud, en Méditerranée, en Mer Noire et au Moyen-Orient.

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la position géographique centrale de l’Allemagne en Europe en fait la plate-forme idéale pour le déploiement des forces US

D’autre part, les autorités allemandes entendent bien s’appuyer sur le Leadership economique incontesté du pays en Europe pour fédérer les européens autour de la stratégie défensive germanique, comme elle le fit au cours des 30 dernières années après la réunification dans le domaine economique, industriel et politique. La dynamique est d’ailleurs engagée de longue date, puisque deux des trois brigades néerlandaises sont d’ores et déjà intégrées à des divisions allemandes, et que Berlin entend multiplier ce type d »initiative auprés de l’ensemble de ses voisins du nord comme de l’Est. Par ailleurs, après les craintes générées par le spectre Trump et le fameux « Fort Trump » polonais, Berlin s’efforce de renouer des liens plus qu’étroits avec Washington pour rester le pivot de la stratégie US en Europe, et ainsi accueillir l’essentiel des forces américaines déployées sur le vieux continent.

Deux décennies de sous-investissements et d’arbitrages politiques défavorables

Pour autant, si l’afflux de moyens et de capacités budgétaires sera incontestablement bénéfique pour la Bundeswehr, il faudra de nombreuses années, si pas de décennies, à celle-ci pour retrouver des capacités opérationnelles efficaces. En effet, les Armées allemandes ont profondément souffert ces 20 dernières années d’un sous-investissent chronique sur l’autel des bénéfices de la paix. Mais si cette situation fut globalement partagée par l’ensemble des armées européennes occidentales, elle fut aggravée outre-Rhin par des arbitrages politiques extrêmement handicapants, privant les armées de certaines capacités clés. Ainsi, les processus de maintenance des materiels en service au sein des armées allemandes furent presque entièrement externalisés vers certains sous-traitants industriels, entrainant d’immenses difficultés en matière de disponibilité pour l’ensemble des équipements majeurs. A titre d’exemple, en avril 2019, les 6 sous-marins Type 212 de la Marine allemande étaient à quai en attente de maintenance ou de réparation, alors que moins d’une centaine de chars Leopard 2 étaient effectivement potentiellement opérationnels. La situation était identique concernant les avions de combat, les hélicoptères, ou encore les unités de surface.

bundestag allemand Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Bundestag allemand à souvent entravé l’action de la Bundeswehr

En outre, le Bundestag imposa, au fil des années, des contraintes parfois ridicules aux armées allemandes, que ce soit en matière d’armement des drones de combat, mais également dans les procédures de mise en oeuvre des appareils. Parfois issues d’un intense lobbying politique de la part des industriels eux-mêmes, parfois dictées par des positions idéologiques empreintes d’un anti-militarisme primaire, les positions des parlementaires allemands entravèrent souvent, détériorèrent parfois, les capacités des forces armées allemandes qui, contrairement à leurs voisins français, ne parvinrent pas à maintenir des ilots de compétences permettant une éventuelle remontée en puissance rapide des capacités, le moment venu. Et aujourd’hui, malheureusement, le moment est là, et il faudra aux armées allemandes de longues années pour se doter à nouveau de ces capacités opérationnelles perdues par incompétence législative au fil des années, domaine dans lesquels l’afflux de moyens budgétaires n’améliorera pas la situation, ou très peu, à mois évidemment de s’en remettre, une nouvelle fois, à des partenaires industriels et prestataires de service non militaires, ce qui au final préservera le statu quo, et ne permettra aucune mutation réelle des performances opérationnelles des armées.

Des programmes de défense parfois mal calibrés

Les Armées allemandes devront également composer avec certains arbitrages ayant empiété sur les acquittons opérationnels, pour produire des équipements peu adaptés aux missions qui les attendent. C’est en particulier le cas dans le domaine naval, alors que la marine allemande est engagée dans un important effort de modernisation de sa flotte surface. Toutefois, les navires qu’elle à reçu, et ceux qu’elles doit recevoir, sont extraordinairement mal équipés pour répondre aux enjeux d’une guerre de haute intensité, comme c’est désormais le scénario qui prédomine. Ainsi, les 4 frégates de la classe Baden-Württenberg, des navires de 7,200 tonnes, qui remplacent les frégates anti-sous-marines de la classe Bremen, n’ont été conçues que pour les missions de basse intensité, et n’emportent, en dehors d’un canon de 5 pouces, que deux systèmes antimissiles à courte portée SeaRam, et 8 missiles antinavires Harpoon, alors qu’elles sont dépourvues de capacités de lutte anti-aérienne ou de lutte anti-sous-marine. De même, le nouveau programme de frégate F126 ne disposeront que de deux systèmes VLS MK41, soit 16 silos verticaux, et 8 missiles antinavires, alors que ces navires afficheront un deplacement équivalent à celui des destroyers de la classe Arleigh Burke Flight III (10.000 tonnes) armés eux de 96 silos et de 16 missiles anti-navires. Au final, les F126 couteront le prix de 2 frégates FDI françaises, pour une capacité opérationnelle inférieure ou égale à ces navires.

Fregate baden Wuttemberg F125 allemande Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
la frégate F222 Baden-Wurttenberg est dramatiquement mal armée pour les missions à venir

Ce type de dérive est également perceptible dans les programmes européens pilotés par Berlin, comme c’est le cas du drone Mâle Eurodrone co-developpé avec l’Italie, la France et l’Espagne. Du fait de tergiversations politiques sans fin, le programme aboutit aujourd’hui à un modèle hybride ayant les performances d’un drone MALE haut de gamme et les couts d’un drone HALE, tout en s’éloignant de sa dimension européenne en privilégiant une motorisation américaine à une motorisation française. Cet exemple, et les conditions qui lui ont donné naissance, semblent aujourd’hui se reproduire dans d’autres programmes comme SCAF et MGCS, soumis à des pressions politiques et industrielles venues d’outre-Rhin, à l’encontre des accords préalablement pris par les partis, comme dans le cas de l’intégration de Rheinmetall à MGCS, ou la volonté de Airbus DS de partager le pilotage du pilier NGF avec Dassault Aviation, alors que la France avait accepté de nombreux compromis précisément pour empêcher cela. Et l’apparition au salon Eurosaroty du Panther de Rheinmetall n’est qu’une nouvelle démonstration du fonctionnement de la prise de décision outre-Rhin dans ce domaine.

D’importantes difficultés de recrutement et une équation démographique impossible au delà de 2030

Au delà de ses atouts économiques, géographiques et politiques, et des ambitions parfois excessives de son industrie défense, les ambitions affichées par Olaf Scholz de doter l’Allemagne de la plus puissante armée conventionnelle en Europe risquent de se heurter à une difficulté encore plus grande que l’immense effort que devront fournir les armées allemandes pour se relever de ces décennies de sous-investissements. En effet, bien que les effectifs des armées allemandes aient été divisés par 3 en 25 ans, et que la condition militaire ait fait l’objet d’un traitement plus que profitable ces 10 dernières années, la Bundeswehr peinent à maintenir ses effectifs de seulement 187.000 hommes et femmes, au point d’avoir ouvert, depuis 2019, les recrutements aux mineurs de moins de 18 ans, ainsi qu’aux étrangers. En effet, d’ici 2030, la moitié des effectifs militaires allemands partiront en retraite, et leur remplacement s’avère un casse-tête d’une immense complexité pour les responsables RH des armées. En outre, la Bundeswehr a peu de moyens pour inverser le processus. En effet, les miltaires allemands font déjà parti des militaires occidentaux ayant le cout annuel le plus élevé, au delà de 200.000 € par miltaires et par an, armement compris, soit bien davantage que les 160.000 $ des forces américaines, ou les 120.000 € des forces françaises. Et il ne serait guère raisonnable, ou utile, d’augmenter ce niveau d’investissement, sauf à artificiellement faire croitre les dépenses sans obtenir en retour une augmentation des capacités militaires.

Leopard 2 allemand lors de lexercice Noble Jump 2019 Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Leopard 2 de la Bundeswehr lors d’un exercice en 2019

Surtout, le pays souffre d’une démographie plus que problématique pour les ambitions affichées par Olaf Scholz. En effet, le renouvellement démographique du pays est extrêmement faible, avec un taux de natalité inférieur à 1,5 enfant par femme, et une population en vieillissement rapide, la moyenne d’âge étant déjà de 47,5 ans. De fait, le pays verra non seulement sa population stagner dans les années à venir, mais fera également face à un effondrement de sa population active, qui passera de 72% de la population aujourd’hui, à à peine plus de 50% de 2050. En outre, les tranches d’âge de 0 à 24 ans, celles qui représentent le vivier potentiel des armées dans les années à venir, ne représentent que 20 % de la population aujourd’hui, et 16% au delà de 2035. En d’autres termes, l’Allemagne ne peut ni accroitre ses effectifs militaires professionnels par manque de candidat, ni se permettre de remettre en place un système de conscription sans venir déstabiliser profondément les équilibrés sociaux qui sous-tendent sa capacité à soutenir l’effort de défense dans la durée. La seule alternative, dans ce contexte, serait de doter la Bundeswehr d’une nouvelle reserve opérationnelle massive, bien au delà des 15.000 hommes actuels, de sorte à effectivement augmenter les effectifs sans venir menacer l’economie du pays. Encore faudra-t-il que les volontaires soient nombreux pour rejoindre une telle réserve, ce qui est loin d’être acquis…

Conclusion

On le voit, refaire de la Bundeswehr une force armée de premier plan sera tout sauf une tache aisée ou rapide pour les autorités allemandes, même si celles-ci peuvent d’appuyer sur des atouts indiscutables, notamment au plan budgétaire. Il semble difficile, aujourd’hui, d’envisager dans le présent contexte une évolution rapide des capacités opérationnelles du fait des limitations dans le domaine des ressources humaines, sauf à mettre en oeuvre de nouvelles approches qui prendront beaucoup de temps et de pédagogie pour convaincre l’opinion publique du pays. Quant à savoir si celle-ci sera, ou pas, effectivement la première puissance militaire conventionnelle en Europe, la réponse sera très probablement liée aux arbitrages que réaliseront d’autres pays, comme la Grande-Bretagne, la France mais également la Pologne, eux-aussi désireux de rester ou de devenir une référence incontestable dans ce domaine sur le vieux continent.

Proche de son premier vol, le KF-21 Boramae sud-coréen pourrait se révéler l’antithèse réussie des programmes d’avions de combat occidentaux

Avec plus de 550 avions de combat dans leur inventaire, les forces aériennes sud-coréennes se classent au 7ème rang des forces aériennes mondiales selon ce critère, ne cédant la sixième place à son voisin du nord que de quelques dizaines d’appareils. Pour autant, et à l’instar de la Corée du Nord, du Pakistan ou encore de l’Inde qui la précède, la Corée du Sud aligne encore un grand nombre d’appareils d’ancienne génération, parmi lesquels 156 F-5 Tiger II et 69 F4 Phantom II. Face à l’aggravation des tensions internationales, mais également au renforcement des capacités de frappe nucléaire de son voisin et ennemi héréditaire depuis 70 ans maintenant, ainsi que la crainte de voir Pékin et/ou Moscou autoriser l’exportation d’avions de combat modernes vers Pyongyang, les autorités de Corée du Sud sont engagées dans un vaste effort de modernisation de leurs forces, y compris de leurs forces aériennes. Cet effort passe par la modernisation des quelques 167 F-16 en service pour les porter au standard Block 70 Viper, l’acquisition de 20 F-35A supplémentaires en plus des 40 déjà en service, l’entrée en service de 50 chasseurs legers FA-50 de facture locale, ainsi que le developpement d’un avion de combat avancé, le KF-21 Boramae.

Pilier du programme KFX, l’assemblage du premier prototype du KF-21 Boramae a débuté il y a tout juste trois ans, alors que le programme est parvenu à developper cet appareil à mi-chemin entre la 4ème et la 5ème génération dans une enveloppe budgétaire de seulement 8,5 Md$. Présenté officiellement en version statique en avril 2021, le premier prototype vient d’être observé menant des exercices de roulage et de course de décollage sur le site de son constructeur, KAI, à proximité de l’aéroport de Sacheon. Selon l’industriel et les autorités sud-coréenne, l’appareil devrait effectuer son premier vol dans les jours ou semaines à venir, en tout état de cause avant la fin du mois du juillet, conformément à la planification du programme pourtant frappé, comme de nombreux autres, par les effets de la pandémie de Covid 19 les deux années précédentes. Dans une video publiée sur Youtube, on peut en effet observer l’appareil effectuer un roulage sur le taxiway, puis entamer un début de course de décollage convainquant, laissant supposer que le premier vol n’est plus qu’à quelques encablures.

roulage et course de décollage du prototype K-21

Destiné à être commandé à 120 exemplaires par les forces aériennes sud-coréennes, et à 40 exemplaires par l’Indonésie (si celle-ci respecte ses engagements), le KF-21 remplacera les F-5 Tiger et les F-4 Phantom II encore en service aux seins des forces aériennes sud-coréennes. Toutefois, si les performances sont au rendez-vous lors des essais, et si le prix unitaire Fly-away se maintient au niveau de l’objectif annoncé de 65 m$, il est probable que d’autres commandes suivront, l’appareil répondant à un besoin de plus en plus sensible au sein de nombreuses forces aériennes en matière de masse opérationnelle. Il faut dire que, contrairement au F-35, KAI a semble-t-il su doser les apports technologiques de son appareil au regard des contraintes engendrées, et des surcouts potentiels générés. Ainsi, si l’appareil à une forme et emploi des matériaux favorisant la furtivité, il ne dispose pas d’une soute à munition interne, mais de 10 points d’emports pour embarquer munitions, réservoirs supplémentaires et pods. En outre, KAI a opté pour une configuration bimoteurs, équipant son appareil de 2 turboréacteurs F414 de l’américain General Electric, offrant une poussée totale de 195 KN avec post-combustion, soit 20 tonnes, pour un appareil dont la masse maximale au décollage ne sera que de 25 tonnes.

De fait, le KF21 disposera d’un excellent rapport poussée/poids, même à charge max, et pourra atteindre des vitesses et altitudes élevées pour un appareil de ce type. A titre de comparaison, le KF21 sera 2 tonnes plus léger à vide que le F35A, 5 tonnes plus légers au décollage, pour une surface allaire de 46 m2 supérieure de 3m2 à celle de l’appareil de Lockheed-martin, tout en emportant 13 tonnes de charge utile contre 15 pour le Lightning 2, mais en disposant d’une poussée identique à celle de l’appareil américain à sec comme avec post-combustion, garant d’une consommation moindre et de performances aéronautiques plus élevées. En outre, si l’appareil sud-coréen n’a nullement la prétention de faire jeu égal avec le F35 en matière de furtivité et d’électronique embarquée, il n’en sera pas moins bien équipé, avec un radar AESA, un IRST de détection infrarouge, un système d’autodéfense évolué ainsi qu’une panoplie de communication et de traitement de l’information avancée, faisant au moins jeu égale, dans ce domaine, avec le F16V.

FA50 Philippines Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le FA-50 est un chasseur léger disposant d’une avionique moderne basé sur une évolution de l’avion d’entrainent et d’attaque TA-50.

Reste à voir, désormais, à quel point l’appareil répondra effectivement aux attentes et si les performances attendues, en terme de vitesse, manœuvrabilité, plafond et rayon d’action, seront bien atteintes. En outre, il conviendra de vérifier à quel point l’appareil pourra être maintenu aisément, s’il disposera d’une bonne disponibilité, et surtout à quel point il pourra évoluer, s’agissant d’un des points les plus différenciants pour les avions de combat modernes aujourd’hui. Pour autant, en se basant sur les qualités observées concernant le précédent avion d’entrainement et d’attaque développé par KAI, le FA-50, il est possible en effet d’escompter que ces critères soient atteints, ou tout au moins approchés. Dans ces conditions, et en tenant compte du retard pris par les programmes alternatifs comme le TFX turc, le Su-75 Checkmate russe ou les performances décevantes du Tejas indien, il est possible que le KF-21 permette effectivement de révéler l’industrie aéronautique de défense sud-coréenne sur la scène internationale, d’autant que sur ce segment n’évoluent aucun appareil européen ou russe, ni même américain à ce jour. Une chose est certaine, ce programme fait peser une réelle menace à court terme sur les exportations à venir des avions de combat européens.

Qui plus est, et c’est loin d’être négligeable, si l’appareil sud-coréen répond aux attentes, il conviendra de s’interroger sur les paradigmes industriels et technologiques qui sous-tendent le developpement des programmes majeurs aéronautiques en Occident, y compris en France. En effet, KAI sera parvenu a developper et construire deux prototypes d’un avion de combat parfaitement capable et moderne, dans une enveloppe de seulement 8 Md$, soit seulement 2% du budget de developpement initial du F-35. Certes, la Corée du Sud s’appuie sur un moteur importé. Naturellement, le KF21 ne représente pas le potentiel opérationnel d’un F35 ou d’un Typhoon. Pour autant, un tel écart de couts interroge sur la méthodologie employée par les constructeurs aéronautiques, voire sur le manque de discernement des autorités politiques qui les financent. Au final, le Boramae pourrait être la parfaite illustration des observations faites par Will Roper lorsqu’il dirigeait les acquisitions de l’US Air Force, et qu’il préconisait de revenir à des développements courts, des series réduites et spécialisées, et un cycle de vie raccourcie pour les avions de combat, de sorte à sortir du piège de la loi d’Augustine.

L’US Air Force et l’US Navy testent une munition à impulsion électro-magnétique aéroportée

Durant les années 2000, l’US Air Force Research Laboratory développa une munition dont le potentiel opérationnel n’était pas basé sur l’utilisation de l’énergie cinétique ou d’une charge explosive importante, mais sur l’émission d’une Impulsion Electro-Magnétique susceptible de détruire les équipements électroniques à proximité. En 2012, Boeing procéda à un essai de démonstration du programme Counter-electronics High-Power Microwave Advanced Missile Project, ou CHAMP, en détruisant l’électronique embarquée de 7 cibles avec ce nouveau missile. Toutefois, si l’efficacité de la technologie était effectivement avérée, ses contraintes empêchaient d’en faire un usage militaire performant, puisque les dimensions du générateur d’impulsion Electro-magnétique embarqué obligeait l’emploi d’un missile de plus de 6 mètres de long. soit 50% de plus que le missile de croisière aéroporté JASSM par exemple (4,5 mètres).

Pour autant, l’USAF RL, mais également l’US Navy, considérèrent qu’il était interessant de persévérer dans cette voie, en vue de developper une munition aussi efficace mais plus légère et plus réduite, capable d’être embarquée dans des missiles existants, précisément comme le JASSM-ER, mais également dans d’autres munitions plus réduites pouvant notamment prendre place dans les soutes des chasseurs de nouvelle génération, mais également à bord de drones ou de roquettes guidées, tout en continuant a exploiter la technologie CHAMP. Ce nouveau programme, désigné High-Powered Joint Electromagnetic Non-Kinetic Strike Weapon ou HiJENKS, va donner lieu cet été sur la base aéronavale californienne de China Lake, à une phase d’essais marquant la fin de son developpement technologique, ouvrant la voie, si le succès est au rendez-vous, à une entrée en service dans les années à venir.

JASSM F16 Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
La munition CHAMP peut équiper désormais les missiles de croisière JASSM-ER, mais reste trop imposante pour armer des missiles plus compacts

A l’instar du CHAMP, l’HiJENKS s’appuie sur la technologie des impulsions Electro-magnétiques non nucléaires, une technologie mise en évidence dès 1951 par le physicien soviétique Andrei Sakharov. Des condensateurs chargés permettent de créer un puissant champ magnétique dans un solénoïde dont la taille est réduite brutalement par l’utilisation d’une charge explosive, provoquant l’émission d’une puissante impulsion Electro-magnétique sur une durée très courte. L’impulsion , quant à elle, provoque une inversion brutale de polarité au sein des composants électroniques à proximité, entrainant leur destruction. Cette technologie permet effectivement de détruire de manière ciblé les composants électroniques embarqués d’une cible, pour peu que le générateur de l’impulsion et celle-ci soit très proches. En effet, à charge explosive équivalente, cette technologie ne peut produire une IEM un million de fois moins puissante que celle produite par une exposition nucléaire de même intensité. Il s’agit donc d’une arme de précision ayant l’avantage d’être non létale. En outre, contrairement à l’utilisation de munitions conventionnelles, cette technologie produit des dégâts électroniques souvent plus difficiles et contraignant à réparer, que les dégâts de structure ou mécanique d’une arme cinétique.

Le Reseau electrique des Etats Unis est tres expose aux attaques cyber Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Une arme à Impulsion Electro-Magnétique représente une capacité très efficace pour frapper les grilles électriques ou les relais de communication d’un adversaire

Au delà des cibles miltaires, en particulier celles embarquant de nombreux composants électroniques comme les stations radars ou les navires de combat, ces armes peuvent également être employées pour cibler certaines infrastructures civiles et les endommager de manière temporaire, comme par exemple les systèmes de communication ou la grille électrique, permettant de neutraliser les capacités de riposte ou de coordination de l’adversaire, ou pour neutraliser, à l’échelle tactique, les capacités de manoeuvre d’une cible dans le cas, par exemple, d’un véhicule ou d’un navire, sans risquer la vie des passagers. Toutefois, en l’état de l’énergie potentiellement dégagée par ce type de munitions, il est très peu probable qu’elles puissent, dans un avenir même relativement lointain, se substituer aux munitions traditionnelles en dehors de certaines missions spécifiques.

La Corée du Sud va commander 20 F-35A supplémentaires

En Février 2022, Seoul recevait le 40ème et dernier des F-35A qui avaient été commandés à Lockheed-Martin dans le cadre du programme F-X visant à moderniser ses forces aériennes afin de disposer d’une force globale susceptible de neutraliser la menace nucléaire de son voisin du nord, et qui s’appuie, entre autres choses, également sur le developpement de missiles balistiques et de croisière capables de mener des frappes préventives contre les installations nucléaires adverses. De toute évidence, Seoul semble satisfait des capacités offertes par l’avion américain, puisque le ministère de la Défense a reçu l’autorisation de la part des instances de regulation pour commander un nouveau lot de 20 F-35A afin de renforcer les capacités offertes par les 40 appareils déjà en service.

Cette annonce est interessante à plus d’un titre. En premier lieu, il s’agit, à l’instar de ce qu’ont annoncé les Pays-bas, la Norvège, le Japon ou l’Australie, d’une extension de la flotte initialement commandée, et dont une partie au moins est déjà en service. En d’autres termes, malgré ses défaillances et certains défauts, le F-35A continue de convaincre ses utilisateurs, au point qu’ils procèdent à une augmentation de la flotte. En outre, à l’instar de la Norvège, les autorités sud-coréennes s’étaient un temps émues des surcouts budgétaires liés à la mise en oeuvre de leurs F-35, mais également à leur évolution. Là encore, il semble que les efforts déployés par Lockheed-Martin mais également par Prattt&Withney, le constructeur du turboréacteur F-135 qui posait d’importants problèmes de disponibilité à l’appareil, commencent à porter leurs fruits, faute de quoi il est peu probable que les autorités de ces pays ne se soient engagées dans une augmentation de format.

KF21 assemblage Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
La Corée du Sud développe également un chasseur de 4.5 génération pour remplacer ses F-5 et une partie de ses F-16, le KF-21 Boramae

Enfin, et surtout, cette annonce accrédite les échos selon lesquels le programme de porte-avions sud-coréen serait en mauvaise posture. En effet, initialement, cette nouvelle commande, la Corée du Sud s’étant engagée initialement pour 60 appareils, devait porter sur 20 F-35B, la version à décollage et atterrissage court et vertical du chasseur de Lockheed-Martin, précisément pour armer ce nouveau porte-avions. En arbitrant en faveur du F-35A, Seoul laisse planer une menace sur la pérennité de ce programme, par ailleurs largement décrié dans la presse et surtout au parlement sud-coréen, et qui ne semble pas non plus avoir les faveurs de la nouvelle administration entrée en fonction ce printemps. Toutefois, la DAPA, la direction en charge des programme de défense, tout comme le ministère de tutelle, laissent entendre que de nouvelles commandes pourraient avoir lieu dans les années à venir, en particulier lorsqu’il s’agira de remplacer certains des appareils vieillissants encore en service, ce qui laisse encore planer le doute à ce sujet, même si de nombreux signes semblent pointer vers un abandon de ce programme de porte-avions léger.

F35 netherlands Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
La flotte de F-35A des Pays-bas atteindra les 52 exemplaires, contre 37 initialement prévus

Reste que ces derniers mois, les commandes de F-35 se succèdent à un rythme effréné, permettant même à l’US Air Force et l’US Navy de ralentir le rythme des acquisitions sans venir menacer les cadences de production de Lockheed-Martin. En une année, le Lightning II s’est imposé dans 3 compétitions majeures (Suisse, Finlande et Canada), a eut la préférence de plusieurs pays pour la modernisation d’une partie ou de l’ensemble de leur flotte de chasse (République tchèque, Grèce), s’est imposé en Allemagne face au Super Hornet, et a obtenu des commandes supplémentaires de la part des Pays-bas et de la Corée du Sud, là où, il y a seulement 3 ans, le F-16V enregistrait encore plus de commandes annuelles que le F-35 hors des Etats-Unis. Un tel succès ne saurait s’expliquer par les seules paramètres politiques et sécuritaires liés à l’implication des Etats-Unis dans la Défense de ces pays, et démontre que l’appareil parvient, désormais, à proposer des performances et une disponibilité suffisamment satisfaisantes pour convaincre ses utilisateurs d’en étendre la flotte. Si tant est que l’administration Biden, ou celle qui lui succédera, venait à se montrer moins exigeante sur l’éligibilité à l’exportation de son appareil pour ses futurs clients potentiels, les autres appareils du marché, qu’ils soient américains ou européens, pourraient faire face à d’immenses difficultés pour s’imposer dans les années à venir, ceci pouvant, potentiellement, venir menacer la pérennité même des industries aéronautiques européennes.

Super-Rafale, Mirage NG : La France doit étudier une alternative à moyen terme au SCAF

Dire que le programme d’avion de combat de nouvelle génération SCAF qui rassemble la France, l’Allemagne et l’Espagne, suit aujourd’hui une mauvaise pente tiendrait de l’euphémisme. Après plusieurs épisodes de tension au sujet du partage industriel entre Paris, Berlin et Madrid, le programme est désormais à l’arrêt face à l’impossible accord que l’Allemagne et Airbus Défense & Space tentent de faire accepter à Paris et Dassault Aviation, et qui obligerait le groupe aéronautique français à partager le pilotage du premier pilier concernant la conception du Next Generation Fighter, ou NGF, avec son homologue allemand. Depuis plusieurs semaines maintenant, la situation est totalement figée, Eric Trappier, PdG de Dassault Aviation ne cessant de multiplier les déclarations aux médias pour faire savoir que son groupe ne ferait aucune concession supplémentaire à Airbus DS. Le trajectoire mortifère suivie par le programme semble avoir même atteint Berlin, puisque selon un rapport du Ministère allemand de la défense, les autorités allemandes seraient prêtes à renoncer au programme SCAF, eu égard aux profondes divergences dont il fait l’objet.

On notera, à ce titre, l’extreme discretion des autorités françaises autours de ce sujet. S’il est vrai que l’exécutif a probablement, aujourd’hui, de nombreux sujets à traiter, il n’en demeure pas moins vrai que le programme SCAF, comme son pendant blindé lourd le MGCS, sont avant tout des émanations d’une volonté politique partagée entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, le premier afin de donner corps à son ambition d’Europe de la Défense, la seconde comme une porte de sortie face aux difficultés anticipées pour l’Allemagne suite à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en 2016. Depuis, le contexte à profondément évolué, puisque Joe Biden a remplacé Trump et relancé la coopération trans-atlantique et le rôle central des Etats-Unis au sein de l’OTAN. Quant aux ouvertures répétées d’Emmanuel Macron en faveur d’une Europe de La Défense, elles sont toutes restées lettres mortes chez ses voisins européens. Ne restent alors que les programmes SCAF et MGCS pour soutenir cette ambition, alors même qu’ils se confrontent désormais à certaines réalités industrielles, opérationnelles et doctrinales, certes parfaitement identifiées de longue date, mais qui aujourd’hui ne sont plus compensées par la volonté politique forte du couple Macron-Merkel.

Maquette du SCAF Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
La presentation de la maquette du NGF du programme SCAF au salon du Bourget de 2019

Quoiqu’il en soit, avec l’avenir plus que sombre qui se dessine pour le SCAF, on voit mal comment un Emmanuel Macron affaiblit politiquement et un Olaf Scholz plus atlantiste que jamais pourraient s’investir pour le sauver, ce qui n’ira pas sans poser d’importants défis pour l’industrie de défense française, mais aussi et surtout pour les forces aériennes et aéronavales du pays, alors qu’une nouvelle course technologique aux armements a débuté. Certes, pour Dassault Aviation, le Rafale dispose du potentiel d’évolution pour tenir la ligne plusieurs décennies. Pour autant, et sans douter du fait qu’une telle hypothèse conviendrait parfaitement à l’industriel et à ses actionnaires alors que le carnet de commande du Rafale est plein pour 10 ans, se borner à faire évoluer itérativement l’appareil dans les années à venir pourrait conduire à scléroser les savoir-faire et la performance concurrentielle de l’ensemble de ce secteur critique pour l’economie et comme pour la Défense nationale. Dans ce contexte, 3 hypothèses peuvent être étudiées afin de répondre à ces enjeux industriels, technologiques et sécuritaires : la conception d’un Super-Rafale, celle d’un Mirage NG, ainsi qu’un reboot du SCAF avec d’autres partenaires, européens ou non.

Le Super-Rafale : un chasseur de transition

Le Rafale est un formidable avion de combat, et son succès à l’export en est une parfaite démonstration, en particulier face aux offres agressives et attractives de l’industries US avec ses F-35, ses F-16V et ses F-15EX. Au delà de ses performances avancées, et d’une polyvalence unique sur le marché, le Rafale brille avant tout par sa capacité à évoluer, au point que les premiers Rafale F1 livrés à la Marine Nationale au début des années 2000 ont été portés au standard F-3R omnirole, équipés du radar EASA RBE2 et du missile Air-Air à longue portée Meteor, et qu’ils seront même portés, à l’avenir, vers le standard F4 et ses capacités empiétant sur la 5ème génération. Pour autant, la conception actuelle du Rafale commence à atteindre ses limites, ceci ayant amené Dassault à concevoir l’évolution F4 en deux standards, l’un pour les avions de batchs antérieurs, l’autre pour les nouveaux appareils, de sorte à disposer de nouvelles capacités d’évolution à l’avenir. Ce principe pourrait être étendu comme ce fut le cas pour le Gripen E/F vis-à-vis du Gripen C/D, du F/A-18 E/F Super Hornet vis-à-vis du Hornet, ou du Super-Etendard vis-à-vis de l’Etendard, à savoir de concevoir, à relativement court terme, un nouveau Rafale adapté aux besoins à venir, en particulier ceux vers lesquels le Rafale actuel ne pourra pas évoluer.

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L’extraordinaire évolutivité du Rafale permit à la Marine Nationale de porter ses Rafale M du standard F1 au standard F3R

Ce « Super-Rafale », puisque tel pourrait être son nom, serait effectivement un appareil de 5ème génération, avec une discrétion renforcée et une panoplie de senseurs et de capacités de traitement avancée et évolutive, tout en s’appuyant sur certains des atouts technologiques du Rafale, comme le radar RBE2 AESA, le système d’autodéfense SPECTRA NG (Rafale F4), ainsi qu’une évolution du turboréacteur M88, celle-là même qui fut proposée par Safran aux EAU au début des années 2010 et dotée d’une poussée de 9 tonnes, mais dont l’intégration à la cellule Rafale posait problème du fait d’une altération du centrage de l’appareil. L’objectif d’un tel programme serait de produire une alternative de transition entre le Rafale actuel et le SCAF qui, s’il devait être conçu sans l’Allemagne, pourrait ne voir le jour qu’au delà de 2045, voire 2050, tout en en réduisant les implications logistiques et en terme de maintenance, en particulier pour les forces aériennes susceptibles de mettre en oeuvre les deux types d’appareils. A ce titre, un tel programme pourrait attirer certains partenaires qui mettent en oeuvre ou vont mettre en oeuvre le Rafale et qui sont dotées d’une industrie aéronautique, comme la Grèce, les EAU ou l’Inde, de sorte à en alléger le poids budgétaire pour la France et à garnir le carnet de commande du nouvel appareil lors de sa sortie.

super hornet boeing 2 Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Super Hornet de Boeing n’a été retenu, l’export, que par l’Australie et le Koweit, et sa ligne de production de Saint-Louis est désormais maintenue sous respirateur par les coups de pouce budgétaire du Congrès US

Reste que si les « Super » connurent de beaux succès dans les années 60 et 70, avec notamment le Super-Sabre F-100, les exemples récents, comme le Gripen E/F et le Super Hornet, semblent indiquer que la notion d’héritage n’est plus garante d’une attractivité significative de la part des opérateurs historiques. Ainsi, le nouveau chasseur de Saab n’est parvenu à convaincre aucun des utilisateurs du Gripen E/D, ces derniers se tournant soit vers le F-35A soit vers le F-16V. De même, le Super-Hornet fut systématiquement battu en Suisse, en Finlande et au Canada face au Lightning 2, alors que ces pays ont mis en oeuvre pendant plusieurs décennies et avec satisfaction le Hornet, au point que dans les deux cas, la pérennité industrielle du programme est sévèrement menacée à relativement court (Super Hornet) et moyen (Gripen E/F) termes. Dans les faits, un Super Rafale ne peut représenter qu’une alternative temporaire au SCAF, ou au programme qui lui succédera, de sorte à renforcer les capacités des forces aériennes nationales face aux évolutions rapides en cours, à maintenir l’attractivité de l’offre industrielle française jusqu’en 2040/2045 et assurer une transition technologique souple vers le SCAF.

Le Mirage NG : La réponse à un marché en forte demande

Si le Rafale, comme le Typhon et le F-35, offrent des hautes performances et une grande polyvalence, ces appareils ont un cout de possession à ce point élevé qu’ils découragent de nombreuses forces ariennes, y compris en Europe, de s’en doter, préférant se tourner vers des appareils monomoteurs plus abordables comme le F-16V, voire vers des solutions alternatives comme le FA-50 sud coréen. Et beaucoup de ceux qui font le choix du F-35 ou du Rafale, comme la Belgique, le Danemark ou la Croatie, sont contraints de se doter de forces aériennes réduites, rendant difficile l’exécution du contrat opérationnel. Enfin, et on peut le regretter, aucun programme n’a été lancé en occident, et ce des deux cotés de l’Atlantique, afin de developper une réponse à ce besoin et remplacer les F-16 et Mirage 2000 encore en service dans de nombreuses forces aériennes, mais également afin de permettre aux forces aériennes majeures d’accroitre leur propre « masse opérationnelle », sans en venir à faire exploser leurs propres budgets. Dans ce contexte, la France et son industrie aéronautique pourraient developper un chasseur monomoteur de nouvelle génération de la classe 15/18 tonnes, identique à celle du Mirage 2000 et du F-16, là encore comme une solution de transition vers un reboot du SCAF qui n’entrerait en service qu’en 2045 ou 2050.

Mirage2000 5 de lArmee de lair hellenique Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Les forces aériennes helléniques apprécient beaucoup leurs Mirage 2000-5

A l’instar du Super-Rafale, le Mirage NG serait un appareil de 5ème génération, c’est à dire doté d’une discrétion avancée (sans chercher à atteindre celle du F-35 trop contraignante), et d’importantes capacités de traitement. En revanche, l’appareil serait conçu avec des objectifs de couts de possession ambitieux, de sorte à permettre aux forces aériennes majeures, y compris l’Armée de l’Air et de l’espace, de renforcer leurs flottes, et aux forces aériennes plus modestes de se doter d’un avion de combat à haute performance. Là encore, il s’agirait de s’appuyer autant que possible sur certains atouts du Rafale, comme son radar RBE2, son système d’autodéfense SPECTRA ou sa panoplie d’armement, de sorte à favoriser une maintenance allégée pour les opérateurs de l’avion français, ainsi qu’à réduire les couts de developpement du nouvel appareil. En revanche, contrairement au Super-Rafale, il serait probablement nécessaire de concevoir effectivement un nouveau réacteur, quitte à s’appuyer sur les acquis technologiques du M88, car une poussée de plus de 10 à 12 tonnes est indispensable pour propulser efficacement un tel appareil.

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Il n’existe aucun programme à ce jour en occident afin de remplacer les Mirage 2000 et F-16 à horizon 2030/2040

Comme dans le cas du Super-Rafale, de nombreux partenariats industriels internationaux sont envisageables pour le Mirage NG, qu’il s’agisse de la Grèce dont les forces aériennes helléniques apprécient beaucoup leurs Mirage 2000-5 et qui dispose d’une industrie aéronautique efficace, ou comme l’Inde qui partage avec Athènes de nombreux aspects. Mais le Mirage NG peut séduire, par ses ambitions, d’autres acteurs y compris en Europe, comme la République Tchèque, le Portugal et la Roumanie qui tous trois disposent d’une industrie aéronautique, mais également la Suède qui, face à l’échec du Gripen E/F, pourrait vouloir se tourner vers de nouveaux partenaires pour developper son remplaçant. En outre, d’autres pays européens, jusqu’ici dépourvus de force aérienne de chasse, pourraient voire un intérêt à rejoindre un tel programme, comme c’est le cas des pays baltes, de Chypre, ou de manière plus ambitieuse encore, de l’Ukraine.

Le Reboot SCAF : Changer les paradigmes industriels pour garantir son succès

Si la programme SCAF, dans sa structure actuelle, venait à échouer, il est plus que probable que Berlin, mais également Madrid, se tourneront vers Londres et Rome et le programme Tempest, dans une redite des programmes Panavia Tornado et Eurofighter Typhoon, d’autant que ces deux pays, comme la Grande-Bretagne et l’Italie, s’appuieront très probablement eux aussi sur le F-35 pour assurer la transition comme les missions d’attaque. De fait, la France sera privée, comme précédemment, de partenaires majeurs européens pour réaliser son propre avion de combat de 6ème génération, sachant que même si elle venait à réaliser le Super Rafale ou le Mirage NG, il serait nécessaire, à horizon 2045/2050, de developper un appareil de ce titre pour rester un acteur majeur de l’aéronautique mondiale, et une force aérienne de référence en Europe. Bien évidemment, la France pourrait envisager de developper seule un tel système, mais le niveau d’investissement, estimé à plus de 100 Md€ aujourd’hui, obligerait le Ministère des Armées à consacrer 10% de son budget pendant 20 ans pour y parvenir. Une autre alternative, bien peu satisfaisante, serait de réduire les ambitions technologiques du programme, ce qui dirigerait l’industrie aéronautique française et les forces aériennes du pays vers un lent mais inexorable déclassement, sans parler de l’atteinte que cela porterait aux capacités de dissuasion de la Nation.

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Le NGF du SCAF répond aux besoins de la guerre aérienne à venir à horizon 2050, et les forces aériennes françaises devront se doter d’un tel appareil à cette date, faute de quoi elles pourraient perdre de leur efficacité relative.

Fort heureusement, il existe une troisième voie, celle de s’appuyer sur des partenariats internationaux moins ambitieux budgétairement, mais plus performants du point de vue industriel. Ainsi, comme ce fut le cas lors du programme NEURON, Paris pourrait solliciter certains de ses partenaires européens pour rejoindre le programme, sachant que la France assumerait la plus grande partie des investissements et des développements, de sorte à accroitre la représentativité du programme en Europe mais également vers d’autres partenaires, et donc le marché potentiel final. En outre, en s’appuyant sur certains partenaires comme la Grèce, le Portugal ou la Roumanie, l’industrie française pourrait, à l’instar de ce qui firent initialement les Etats-Unis et Lockheed-Martin au sein du programme JSF avec la Turquie, obtenir des couts de production moindre sur une partie des pièces de l’appareil, de sorte à en réduire le prix d’acquisition final.

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Le M88 du Rafale est un moteur très efficace, mais dont la conception remonte aux années 90. copyright Philippe Stroppa / Safran

Il est également possible de s’appuyer sur d’autres partenariats internationaux, y compris hors d’Europe, pour boucler le financement d’un tel programme. Ainsi, l’Inde semble prête à s’appuyer sur une partenariat avec le motoriste français SAFRAN pour developper le turboréacteur de nouvelle génération qui propulsera l’AMCA, son avion de combat de 5ème génération, turboréacteur qui pourrait également prendre place dans le nouvel avion français. De même, les EAU et l’Indonésie, ainsi que, dans une moindre mesure, l’Egypte, souhaitent activement developper leur industrie aéronautique et de défense, et pourraient fort bien prendre place à bord d’un tel programme. Reste que si les opportunités sont nombreuses, il serait illusoire d’espérer parvenir, dans les délais impartis, à rassembler suffisamment d’acteurs prêts à s’y engager simultanément. Il sera alors nécessaire, pour aller dans cette direction, de lancer le programme de manière unilatérale, tout en entamant immédiatement, voire de manière préalable, les discussions avec ces partenaires, de sorte à les intégrer de manière successive, à l’instar de ce que fit, par exemple, la Grande-Bretagne avec le Tempest.

Conclusion

On le voit, l’échec du SCAF dans sa forme actuelle, pourrait bien ouvrir davantage d’opportunités qu’il ne fermerait de portes pour l’avenir de l’aéronautique de défense française, y compris dans le domaine de la coopération européenne. Toutefois, pour transformer cet échec en un succès, il est indispensable de disposer, dès à présent, de Plans B correspondant aux besoins et ambitions de l’Etat, faute de quoi Paris pourrait bien n’avoir d’autre alternative que de s’en remettre au Plan B de Dassault Aviation, dont le premier bénéficiaire sera, de manière bien évidente et naturelle, l’entreprise elle-même, et non l’Etat ni les Armées. De toute évidence, si Paris devait envisager d’aller seule, du moins au départ, vers un reboot du SCAF, il serait nécessaire de developper une solution de transition, qu’il s’agisse du Super Rafale ou du Mirage NG, les deux projets ayant leurs propres atouts à faire valoir, ainsi qu’une complémentarité technologique certaine avec Rafale et SCAF. En revanche, à aucun moment il ne serait pertinent de ne s’en remettre qu’à un de ces programmes pour assurer la pérennité des capacités industrielles et militaires françaises, et le developpement d’un SCAF devra être maintenu, quel que soit les arbitrages menés par Paris.

Gripen E fires first missile Rapport de force militaire | Analyses Défense | Armes nucléaires
Face à l’échec commercial du Gripen E/F, Saab et la Suède pourraient apprécier de rejoindre un programme européen pour préserver leurs capacités et spécificités.

Quoiqu’il en soit, il est clair désormais que le programme SCAF dans son format actuel, ne produira pas les résultats escomptés. Dans ce contexte, il semble largement préférable de mener un arbitrage ferme, quitte à abandonner certaines ambitions politiques, plutôt que de continuer dans une situation qui, non contente d’être figée depuis plusieurs mois, en vient à crisper les relations entre Paris et Berlin, et à faire perdre un temps précieux aux ingénieurs de part et d’autres du Rhin, alors qu’à Moscou, à Washington ou à Pékin, ceux-ci continuent d’avancer avec célérité. On peut penser que, dans ce dossier, les autorités françaises préféraient que la décision vienne le Berlin, sachant que c’est déjà de là que sont venues les arbitrages marquant la fin de CIFS (Artillerie NG) et de MAWS (Patrouille Maritime), et que l’abandon du SCAF pourrait également marquer l’abandon de MGCS (char de combat), alors même que la fusion Nexter/Krauss-Maffei-Wegman au sein du groupe KNDS avait été faite précisément autour de ce programme. Pour autant, contrairement à la France, l’Allemagne a deux « Plan B » prés à l’emploi, d’une part en augmentant les commandes de F-35A auprés des Etats-Unis, d’autre part en rejoignant le programme Tempest italo-britannique. De fait, dans ce dossier, l’Allemagne a largement plus le temps d’attendre que la France, et ne se privera pas d’user de cet atout afin de ne pas apparaitre comme le « partenaire difficile » à l’échelle européenne. Malheureusement pour la France, chaque mois de perdu sera difficile à rattraper, et plus vite un arbitrage sera réalisé, plus vite industriels, militaires et services de l’Etat pourront se consacrer pleinement à la mise en oeuvre d’une alternative.