Lorsque Lockheed-Martin présenta pour la première fois son F-22 Raptor, ce dernier fut présenté comme un avion de combat de 5eme génération, pour marquer son caractère disruptif, tant du point de vue opérationnel que technologique, avec les avions de combat antérieurs.
Son prix unitaire de 160 m$ qui, à lui seul, suffisait à justifier d’un aspect disruptif majeur puisque deux fois plus cher que le F-15E ou le F/A 18 E/F alors les avions de combat les plus onéreux en service ou en préparation outre atlantique.
Au-delà de cela, l’appareil disposait de capacités uniques comme une furtivité multi-aspects très avancée, sans égaler toutefois celle du F-117A en secteur frontal, de la capacité à maintenir un vol supersonique sans postcombustion désignée sous le terme de Super-croisière, et d’une première tentative de concevoir un avion de combat info-centré, avec d’importantes capacités de traitement embarquées pour l’époque et désignées sous le terme de fusion de données.
Depuis, la 5eme génération s’est imposée comme un critère qualitatif, souvent placardé comme argument ultime pour estimer des performances opérationnelles d’un appareil, en particulier depuis l’arrivée du F-35 Lighting II du même constructeur sur le marché international, et ce même si celui-ci ne dispose pas d’une furtivité multi-aspects, mais d’une furtivité sectorielle, et pas davantage de super-croisière.
Cette classification a cependant transcendé les seuls avions américains, puisque tant le Su-57 russe que le J-20 chinois sont présentés, eux aussi, comme des appareils de 5ᵉ génération.
Les nouveaux programmes en cours de développement, comme le SCAF franco-allemand, le Tempest britannique ou le NGAD américain, sont présentés quant à eux comme de futurs appareils de 6ᵉ génération.
Toutefois, en étudiant l’histoire du développement technologique des avions de combat depuis plus d’une centaine d’années maintenant, il apparait que cette notion tant usitée pourrait en réalité être, si pas artificielle, en tout cas sévèrement galvaudée, au point que l’on pourrait s’interroger sur sa matérialité.
Ainsi, les quatre générations précédentes, comme la 6ᵉ génération qui arrive, présentent des aspects technologiques et opérationnels bien plus disruptifs et universels que ne l’est l’assemblage de capacités à géométrie variable employé pour définir cette 5ᵉ génération.
Si l’utilisation de l’avion à des fins militaires débuta dès la fin des années 1900, le premier combat aérien de l’histoire, eut lieu le 5 octobre 1914 au-dessus de Jonchery-sur-Vesles dans la Marne, faisant du Voisin LA Type 3 équipé d’un fusil mitrailleur par son équipage, le pilote Joseph Franz et le mécanicien Louis Quenault, le premier chasseur de l’histoire en abattant un avion de reconnaissance allemand.
Les avions de combat de 1ʳᵉ génération, du Voisin LA Type 3 au A-1 Skyraider
Cette première génération d’avions de combat se caractérisait par des moteurs à piston, des hélices et des ailes droites. Elle perdura jusqu’au-delà de la Seconde Guerre mondiale, avec certains appareils mythiques comme le Camel, le Spitfire et le Tempest britanniques, le SPAD et le MS406 français, le Fokker Dr.1, le Messerschmitt BF109 et le FW190 allemand, les P-38 Lighting, P-51 Mustang et F-6F Hellcat américains, ou encore l’A6M nippon, le célèbre zéro qui s’imposa dans le Pacifique jusqu’en 1943 et l’arrivée du Hellcat.
Certains de ces appareils restèrent en service durant les années 50 et même 60, comme le F-4U Corsair qui servit intensément en Corée, mais également en Indochine aux mains des pilotes de l’aéronavale française, et le célèbre A-1 Skyraider de l’US Navy au Vietnam, le spécialiste des missions Sandies pour protéger les extractions de pilotes abattus.
ls étaient toutefois limités dans leurs performances du fait même des contraintes aérodynamiques liées à l’utilisation d’une hélice, ne leur permettant pas de dépasser des vitesses au-delà de 750 km/h.

La seconde génération de chasseurs, du Me-262 au Mig-15
La seconde génération d’avions de combat est apparue durant la Seconde Guerre mondiale, et remplaça le moteur à piston de la première génération par les nouveaux turboréacteurs. En Allemagne, ce fut le modèle Jumo qui servit plus tard de base au développement des Atar des mirage français. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis s’appuyèrent sur les turboréacteurs dérivés du W1 du britannique Franck Whittle, qui donnèrent naissance aux premiers avions de combat à turboréacteurs comme le Gloster Meteor.
Progressivement, sous l’impulsion des designs allemands de la fin de la guerre, les appareils développés aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, mais également en France et en Union Soviétique, abandonnèrent les ailes droites du P-80 shooting star ou du Vampire, pour des ailes en flèche permettant le vol transsonique, comme pour le très célèbre MIg-15 (qui était propulsé par une copie de turboréacteur britannique) et F-86 Sabre qui s’affrontèrent dans Mig Alley pendant la guerre de Corée.
À l’instar de certains des appareils de 1ʳᵉ génération, les avions de combat de 2ᵈᵉ génération, s’ils offraient des performances très supérieures à celles de leurs prédécesseurs en termes de vitesse et de plafond. En revanche, ils n’employaient alors que très peu d’équipements électroniques embarqués, au-delà d’un collimateur télémétrique gyrostabilisé et de systèmes de communication.
Mirage, Phantom et MIG-21 : les champions de la 3ᵉ génération d’avions de chasse
Au milieu des années 50, les constructeurs aéronautiques et les forces aériennes s’engagèrent dans le développement de la 3ᵉ génération d’avion de combat. Équipés de turboréacteurs plus performants et d’une aérodynamique optimisée, ces appareils affichaient des performances supérieures à celles de la seconde génération, dépassant le mur du son et bientôt Mach 2.
Mais c’est avant tout l’arrivée de l’électronique embarquée qui justifie de l’existence de cette nouvelle génération, marquée par des appareils de légende comme le F-4 Phantom II américain, le Mirage III français et le Mig-21 soviétique, des appareils qui se sont souvent affrontés au-dessus de l’Asie du Sud-Est ou du Moyen-Orient.
L’arrivée de l’électronique analogique permit de connecter entre eux certains systèmes comme le radar et les missiles, offrant aux appareils des capacités de combat démultipliées à des distances bien plus importantes, et les prémices du combat aérien au-delà de la portée visuelle, ou BVR.
En revanche, l’équipage restait l’interface principale dans l’appareil entre les différents systèmes, qu’il s’agisse du pilotage, de l’attaque ou de la conduite de mission.
L’arrivée de l’électronique numérique et de la 4ᵉ génération d’avions de combat
Au début des années 70, et l’émergence du microprocesseur, les avions de combat abandonnèrent leur électronique embarquée analogique pour une architecture numérique.
Cette transformation, à elle seule, suffit à surpasser les appareils de génération précédente. En effet, l’ensemble des systèmes embarqués dans l’avion de combat était désormais capable de communiquer et d’échanger des informations avec l’appareil lui-même, mais également entre eux, libérant l’équipage de cette fonction d’interface lourde et complexe qui caractérisait la 3ᵉ génération.
C’est ainsi que les pilotes de F-16, de Mirage 2000 et plus tard de Rafale et autres Typhoon, purent passer d’un partage de tâches à bord de l’appareil de 80 % dédiée au pilotage et 20 % à la conduite de mission, à des ratios exactement inverses.
Certains appareils particulièrement bien conçus de la troisième génération, comme le Su-27 et le Mig-29, parvinrent à progressivement évoluer vers des versions pleinement de 4ᵉ génération, avec le Mig-35 ou le Su-35.
En termes de performances, la 4ᵉ génération n’apporte que très peu de bénéfices vis-à-vis de la génération précédente, en dehors d’une autonomie et d’une maintenance optimisée. Ces appareils, par leur architecture interne numérique, ont surtout montré d’exceptionnelles qualités d’évolution, ceci expliquant en partie qu’ils représentent encore l’essentiel du parc aérien des forces aériennes mondiales, près de 50 ans après que cette génération eut émergé.
Avec les systèmes de combat de 6ᵉ génération, la guerre aérienne sort du cockpit
Désormais, les avionneurs visent à concevoir des avions de combat dits de 6ᵉ génération. Contrairement aux appareils de 4ᵉ génération, dont le système de systèmes se limite à l’appareil lui-même, la 6ᵉ génération d’avions de combat se caractérise par un système de systèmes composé de nombreux systèmes exogènes, qu’il s’agisse de drones, de munitions intelligentes, de capacités de renseignement voire de capacités d’analyse déportées.
De manière conceptuelle, la 6ᵉ génération dépasse donc très largement l’avion de combat lui-même, raison pour laquelle les programmes parlent souvent de systèmes de combat, et non plus d’avions de combat.
Assurément, cette nouvelle approche transformera en profondeur l’exercice même de la puissance aérienne, comme ce fut le cas des sauts générationnels 1 à 4. En effet, unique avion de combat pourra simultanément contrôler plusieurs effecteurs et détecteurs, et ainsi couvrir un large périmètre avec des moyens capables de mettre en œuvre aussi bien des bombes et des missiles, que des systèmes sur le spectre électromagnétique, cyber ou spatial.
Qu’en est-il du fameux avion de combat de 5eme génération ?
Dans les faits, la super-croisière, par ailleurs absente du F-35, pas davantage que la furtivité, ne permettent, en effet, de changer radicalement la nature guerre aérienne comme ce fut le cas pour les générations précédentes. C’est d’autant plus vrai que les systèmes de détection ne cessent d’évoluer, rendant la furtivité de moins en moins déterminante, et d’ailleurs de moins en moins mise en avant par les constructeurs comme Lockheed ou Sukhoï.
Quant aux capacités de détection et de fusion de données, si elles permettent d’améliorer les capacités des équipages pour connaitre et comprendre leur environnement, elles n’apportent rien de si radical que cela justifierait une génération à elle seule.
Du moins pas plus que ne pouvait s’en prévaloir le Harrier et ses capacités de décollage et atterrissage vertical ou court en son temps, ni le Rafale avec une polyvalence et des capacités multimissions très étendues.
Que ce soit du point de vue opérationnel, mais aussi technologique, cette 5eme génération ne représenterait, dans les faits, que l’aboutissement de la numérisation des avions de combat et de leur conception, ce qui n’est autre que le fondement de la 4ᵉ génération.
Vers une nouvelle nomenclature ?
Il ne faut pas nier que des appareils comme le F-22, le Su-57 ou le F-35 présentent des performances opérationnelles bien supérieures à celles des avions de 4ᵉ génération initiaux comme le F-15, le F-16 ou le Mirage 2000.
Mais cette même progression fut constatée au sein de toutes les générations, le P-51 Mustang n’ayant que peu à voir avec le Spad ou le Camel, le F-100 Super Sabre avec le Vampire, ou le Phantom II avec le Mig-19.
Et comme dit précédemment, il arrive même qu’une famille d’appareils se trouve à cheval entre deux générations, comme ce fut le cas du Mig-21 (2ᵉ vers 3ᵉ génération) ou le Su-27 (3ᵉ vers 4ᵉ génération).
Pour autant, la classification actuelle employée pour la 5ᵉ génération apparait des plus artificielles. Quant à la génération à venir, celle du SCAF et du NGAD, elle devrait, en tout état de cause, devenir la véritable cinquième génération des systèmes aériens de combat, comme c’est d’ailleurs le cas dans la nomenclature chinoise. Qui sait, une fois le temps marketing passé, il est bien possible que ce soit le cas…




















