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L’avion de combat de 5eme génération existe-t-il vraiment ?

Lorsque Lockheed-Martin présenta pour la première fois son F-22 Raptor, ce dernier fut présenté comme un avion de combat de 5eme génération, pour marquer son caractère disruptif, tant du point de vue opérationnel que technologique, avec les avions de combat antérieurs.

Son prix unitaire de 160 m$ qui, à lui seul, suffisait à justifier d’un aspect disruptif majeur puisque deux fois plus cher que le F-15E ou le F/A 18 E/F alors les avions de combat les plus onéreux en service ou en préparation outre atlantique.

Au-delà de cela, l’appareil disposait de capacités uniques comme une furtivité multi-aspects très avancée, sans égaler toutefois celle du F-117A en secteur frontal, de la capacité à maintenir un vol supersonique sans postcombustion désignée sous le terme de Super-croisière, et d’une première tentative de concevoir un avion de combat info-centré, avec d’importantes capacités de traitement embarquées pour l’époque et désignées sous le terme de fusion de données.

Depuis, la 5eme génération s’est imposée comme un critère qualitatif, souvent placardé comme argument ultime pour estimer des performances opérationnelles d’un appareil, en particulier depuis l’arrivée du F-35 Lighting II du même constructeur sur le marché international, et ce même si celui-ci ne dispose pas d’une furtivité multi-aspects, mais d’une furtivité sectorielle, et pas davantage de super-croisière.

Premier avion de combat de 5eme génération, le F-22 Raptor a effectivement mis la barre très haut en matière de performances et capacités
Le F-22 Raptor fut le premier appareil désigné comme faisant partie de la cinquième génération

Cette classification a cependant transcendé les seuls avions américains, puisque tant le Su-57 russe que le J-20 chinois sont présentés, eux aussi, comme des appareils de 5ᵉ génération.

Les nouveaux programmes en cours de développement, comme le SCAF franco-allemand, le Tempest britannique ou le NGAD américain, sont présentés quant à eux comme de futurs appareils de 6ᵉ génération.

Toutefois, en étudiant l’histoire du développement technologique des avions de combat depuis plus d’une centaine d’années maintenant, il apparait que cette notion tant usitée pourrait en réalité être, si pas artificielle, en tout cas sévèrement galvaudée, au point que l’on pourrait s’interroger sur sa matérialité.

Ainsi, les quatre générations précédentes, comme la 6ᵉ génération qui arrive, présentent des aspects technologiques et opérationnels bien plus disruptifs et universels que ne l’est l’assemblage de capacités à géométrie variable employé pour définir cette 5ᵉ génération.

Les premiers Su57 entreront en service en 2020 dans les forces aeriennes russes Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Le Su-57 russe arbore de nombreuses caractéristiques lui permettant de revendiquer l’appartenance à la 5eme génération, comme la furtivité, la supercroisière et la fusion de données.

Si l’utilisation de l’avion à des fins militaires débuta dès la fin des années 1900, le premier combat aérien de l’histoire, eut lieu le 5 octobre 1914 au-dessus de Jonchery-sur-Vesles dans la Marne, faisant du Voisin LA Type 3 équipé d’un fusil mitrailleur par son équipage, le pilote Joseph Franz et le mécanicien Louis Quenault, le premier chasseur de l’histoire en abattant un avion de reconnaissance allemand.

Les avions de combat de 1ʳᵉ génération, du Voisin LA Type 3 au A-1 Skyraider

Cette première génération d’avions de combat se caractérisait par des moteurs à piston, des hélices et des ailes droites. Elle perdura jusqu’au-delà de la Seconde Guerre mondiale, avec certains appareils mythiques comme le Camel, le Spitfire et le Tempest britanniques, le SPAD et le MS406 français, le Fokker Dr.1, le Messerschmitt BF109 et le FW190 allemand, les P-38 Lighting, P-51 Mustang et F-6F Hellcat américains, ou encore l’A6M nippon, le célèbre zéro qui s’imposa dans le Pacifique jusqu’en 1943 et l’arrivée du Hellcat.

Certains de ces appareils restèrent en service durant les années 50 et même 60, comme le F-4U Corsair qui servit intensément en Corée, mais également en Indochine aux mains des pilotes de l’aéronavale française, et le célèbre A-1 Skyraider de l’US Navy au Vietnam, le spécialiste des missions Sandies pour protéger les extractions de pilotes abattus.

ls étaient toutefois limités dans leurs performances du fait même des contraintes aérodynamiques liées à l’utilisation d’une hélice, ne leur permettant pas de dépasser des vitesses au-delà de 750 km/h.

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Le Voisin LA Type 3 fut le premier appareil de l’histoire à obtenir une victoire aérienne en octobre 1914

La seconde génération de chasseurs, du Me-262 au Mig-15

La seconde génération d’avions de combat est apparue durant la Seconde Guerre mondiale, et remplaça le moteur à piston de la première génération par les nouveaux turboréacteurs. En Allemagne, ce fut le modèle Jumo qui servit plus tard de base au développement des Atar des mirage français. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis s’appuyèrent sur les turboréacteurs dérivés du W1 du britannique Franck Whittle, qui donnèrent naissance aux premiers avions de combat à turboréacteurs comme le Gloster Meteor.

Progressivement, sous l’impulsion des designs allemands de la fin de la guerre, les appareils développés aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, mais également en France et en Union Soviétique, abandonnèrent les ailes droites du P-80 shooting star ou du Vampire, pour des ailes en flèche permettant le vol transsonique, comme pour le très célèbre MIg-15 (qui était propulsé par une copie de turboréacteur britannique) et F-86 Sabre qui s’affrontèrent dans Mig Alley pendant la guerre de Corée.

À l’instar de certains des appareils de 1ʳᵉ génération, les avions de combat de 2ᵈᵉ génération, s’ils offraient des performances très supérieures à celles de leurs prédécesseurs en termes de vitesse et de plafond. En revanche, ils n’employaient alors que très peu d’équipements électroniques embarqués, au-delà d’un collimateur télémétrique gyrostabilisé et de systèmes de communication.

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Le MIG-15 fut l’un des plus réussis des chasseurs de 2ᵈᵉ génération, et surpris par ses performances l’ensemble des états-majors occidentaux lors de la guerre de Corée.

Mirage, Phantom et MIG-21 : les champions de la 3ᵉ génération d’avions de chasse

Au milieu des années 50, les constructeurs aéronautiques et les forces aériennes s’engagèrent dans le développement de la 3ᵉ génération d’avion de combat. Équipés de turboréacteurs plus performants et d’une aérodynamique optimisée, ces appareils affichaient des performances supérieures à celles de la seconde génération, dépassant le mur du son et bientôt Mach 2.

Mais c’est avant tout l’arrivée de l’électronique embarquée qui justifie de l’existence de cette nouvelle génération, marquée par des appareils de légende comme le F-4 Phantom II américain, le Mirage III français et le Mig-21 soviétique, des appareils qui se sont souvent affrontés au-dessus de l’Asie du Sud-Est ou du Moyen-Orient.

L’arrivée de l’électronique analogique permit de connecter entre eux certains systèmes comme le radar et les missiles, offrant aux appareils des capacités de combat démultipliées à des distances bien plus importantes, et les prémices du combat aérien au-delà de la portée visuelle, ou BVR.

En revanche, l’équipage restait l’interface principale dans l’appareil entre les différents systèmes, qu’il s’agisse du pilotage, de l’attaque ou de la conduite de mission.

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Avec le Mig-21 et le F-4 Phantom II, le Mirage III est incontestablement l’un des appareils les plus performants et efficaces de la troisième génération d’avions de combat.

L’arrivée de l’électronique numérique et de la 4ᵉ génération d’avions de combat

Au début des années 70, et l’émergence du microprocesseur, les avions de combat abandonnèrent leur électronique embarquée analogique pour une architecture numérique.

Cette transformation, à elle seule, suffit à surpasser les appareils de génération précédente. En effet, l’ensemble des systèmes embarqués dans l’avion de combat était désormais capable de communiquer et d’échanger des informations avec l’appareil lui-même, mais également entre eux, libérant l’équipage de cette fonction d’interface lourde et complexe qui caractérisait la 3ᵉ génération.

C’est ainsi que les pilotes de F-16, de Mirage 2000 et plus tard de Rafale et autres Typhoon, purent passer d’un partage de tâches à bord de l’appareil de 80 % dédiée au pilotage et 20 % à la conduite de mission, à des ratios exactement inverses.

Certains appareils particulièrement bien conçus de la troisième génération, comme le Su-27 et le Mig-29, parvinrent à progressivement évoluer vers des versions pleinement de 4ᵉ génération, avec le Mig-35 ou le Su-35.

En termes de performances, la 4ᵉ génération n’apporte que très peu de bénéfices vis-à-vis de la génération précédente, en dehors d’une autonomie et d’une maintenance optimisée. Ces appareils, par leur architecture interne numérique, ont surtout montré d’exceptionnelles qualités d’évolution, ceci expliquant en partie qu’ils représentent encore l’essentiel du parc aérien des forces aériennes mondiales, près de 50 ans après que cette génération eut émergé.

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F-15 et F-16 américains prirent le contrôle du ciel pendant plus de 20 ans et donnèrent naissance à la 4ᵉ génération

Avec les systèmes de combat de 6ᵉ génération, la guerre aérienne sort du cockpit

Désormais, les avionneurs visent à concevoir des avions de combat dits de 6ᵉ génération. Contrairement aux appareils de 4ᵉ génération, dont le système de systèmes se limite à l’appareil lui-même, la 6ᵉ génération d’avions de combat se caractérise par un système de systèmes composé de nombreux systèmes exogènes, qu’il s’agisse de drones, de munitions intelligentes, de capacités de renseignement voire de capacités d’analyse déportées.

De manière conceptuelle, la 6ᵉ génération dépasse donc très largement l’avion de combat lui-même, raison pour laquelle les programmes parlent souvent de systèmes de combat, et non plus d’avions de combat.

Assurément, cette nouvelle approche transformera en profondeur l’exercice même de la puissance aérienne, comme ce fut le cas des sauts générationnels 1 à 4. En effet, unique avion de combat pourra simultanément contrôler plusieurs effecteurs et détecteurs, et ainsi couvrir un large périmètre avec des moyens capables de mettre en œuvre aussi bien des bombes et des missiles, que des systèmes sur le spectre électromagnétique, cyber ou spatial.

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Les appareils de 6ᵉ génération, comme le NGF du programme européen SCAF, se caractérisent par un système de combat qui vient bien au-delà de l’avion lui-même.

Qu’en est-il du fameux avion de combat de 5eme génération ?

Dans les faits, la super-croisière, par ailleurs absente du F-35, pas davantage que la furtivité, ne permettent, en effet, de changer radicalement la nature guerre aérienne comme ce fut le cas pour les générations précédentes. C’est d’autant plus vrai que les systèmes de détection ne cessent d’évoluer, rendant la furtivité de moins en moins déterminante, et d’ailleurs de moins en moins mise en avant par les constructeurs comme Lockheed ou Sukhoï.

Quant aux capacités de détection et de fusion de données, si elles permettent d’améliorer les capacités des équipages pour connaitre et comprendre leur environnement, elles n’apportent rien de si radical que cela justifierait une génération à elle seule.

Du moins pas plus que ne pouvait s’en prévaloir le Harrier et ses capacités de décollage et atterrissage vertical ou court en son temps, ni le Rafale avec une polyvalence et des capacités multimissions très étendues.

Que ce soit du point de vue opérationnel, mais aussi technologique, cette 5eme génération ne représenterait, dans les faits, que l’aboutissement de la numérisation des avions de combat et de leur conception, ce qui n’est autre que le fondement de la 4ᵉ génération.

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Le F-35B a des qualités incontestables, mais ses caractéristiques justifient-elles de créer une « génération » à elles seules ?

Vers une nouvelle nomenclature ?

Il ne faut pas nier que des appareils comme le F-22, le Su-57 ou le F-35 présentent des performances opérationnelles bien supérieures à celles des avions de 4ᵉ génération initiaux comme le F-15, le F-16 ou le Mirage 2000.

Mais cette même progression fut constatée au sein de toutes les générations, le P-51 Mustang n’ayant que peu à voir avec le Spad ou le Camel, le F-100 Super Sabre avec le Vampire, ou le Phantom II avec le Mig-19.

Et comme dit précédemment, il arrive même qu’une famille d’appareils se trouve à cheval entre deux générations, comme ce fut le cas du Mig-21 (2ᵉ vers 3ᵉ génération) ou le Su-27 (3ᵉ vers 4ᵉ génération).

Pour autant, la classification actuelle employée pour la 5ᵉ génération apparait des plus artificielles. Quant à la génération à venir, celle du SCAF et du NGAD, elle devrait, en tout état de cause, devenir la véritable cinquième génération des systèmes aériens de combat, comme c’est d’ailleurs le cas dans la nomenclature chinoise. Qui sait, une fois le temps marketing passé, il est bien possible que ce soit le cas…

La Pologne va commander 180 chars K2, 670 canons K9 et 48 avions de combat FA-50 à la Corée du Sud

Depuis le début de l’attaque russe en Ukraine, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France rivalisent de déclarations et de projets pour se doter qui de la plus importante force armée conventionnelle européenne, qui de la meilleure armée ou de la meilleure marine. Mais dans les faits, en février 2022, la plus importante force armée terrestre conventionnelle en Europe n’était ni française, ni britannique ou allemande, mais polonaise. En effet, Varsovie alignait alors 750 chars de combat Leopard 2A4, PT-91 et T-72, ainsi que 1500 véhicules de combat d’infanterie BWP-1 et KTO Rosomak, prés de 500 canons automoteurs Krab, Dana, Godzik et Rak, ainsi que prés de 200 systèmes lance-roquettes multiples Grad, RM-70 et Langusta, pour une force terrestre de 175.000 hommes, et entend bien accroitre ses moyens avec l’ambition de passer de 4 à 6 divisions d’ici 2035. Bien qu’equipée de materiels souvent anciens hérités de l’époque du Pacte de Varsovie, la Pologne disposait donc d’une force terrestre sensiblement équivalente numériquement à celles des armées britanniques, allemandes et françaises réunies, alors que le pays n’a un PIB que de 600 Md$ et une population de 39 millions d’habitants, à comparer aux plus de 210 millions d’habitants et 9.000 Md$ des trois premières économies européennes.

De part ses réserves importantes d’armement, et la nature de nombre de ses équipements lourds proches de ceux en service dans les armées ukrainiennes, Varsovie a été, depuis le début du conflit, le plus important contributeur européen au soutien des armées de Kyiv, avec notamment le transfert de ses 250 T-72, de plus de 20 systèmes d’artillerie 2S1 Gozdzik, de 18 canons automoteurs Krab et de plus d’une d’une vingtaine de systèmes Grad, alors que le pays s’apprête à livrer ses 250 chars PT-91 Twardy qui seront remplacés par quelques 300 Abrams M1A1 d’occasion acquis en urgence auprés des Etats-Unis. En outre, Varsovie a déjà annoncé de nombreux programmes visants à moderniser ses forces, comme la commande de 250 chars lourds M1A2 Abrams, de 120 systèmes lance-roquettes Himars et de 35 avions de combat F-35 auprés des Etats-Unis, ainsi que de nouvelles frégates auprés de la Grande-Bretagne, et d’hélicoptères de manoeuvre AW149 auprés de l’Italie. Depuis plusieurs mois, Varsovie négociait également avec Seoul un partenariat industriel de défense qualifié d’ambitieux, après avoir déjà collaboré pour la conception du canon automoteur de 155mm Krab. Selon la presse sud-coréenne, ces négociations auraient abouti au plus important contrat d’exportation de l’industrie de défense sud-coréenne, Varsovie ayant commandé 180 chars lourds K2 Black Panther avec une option sur 400 exemplaires supplémentaires, ainsi que 670 canons automoteurs K9 et 48 avions d’attaque légers FA-50, le tout pour un montant évalué à plus de 19.000 Md de Won, soit prés de 15 Md€.

PT91 MBT Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
La Pologne s’apprête à livrer ses quelques 250 chars PT-91 dérivés du T-72 aux forces ukrainiennes

Du point de vue opérationnel, cette commande exceptionnelle fait naturellement sens. Le char K2 Black Panther est un char moyen de 55 tonnes très moderne, disposant d’un armement performant, d’une protection renforcée intégrant notamment un système de protection actif, ainsi que d’une mobilité plus que satisfaisante avec un rapport de puissance de 27 cv par tonnes. S’il n’offre pas certaines capacités des chars occidentaux les plus modernes comme l’Abrams M1A2 SepV3, le Leopard 2A7 ou le Challenger 3, il est cependant plus léger de prés de 15 tonnes, affichant de fait une mobilité supérieure et une consommation moindre, et s’avère surtout sensiblement moins cher, avec un prix unitaire de l’ordre de 8 m$, contre prés du double pour les chars lourds européens et américains. Le fait est, pour les 180 premiers exemplaires commandés par Varsovie, la facture s’élèvera à 3.000 Md won, soit 2,25 Md€, pour un prix unitaire de 12,5 m€ par blindé, ceci incluant les transferts technologies et industriels et le soutien. A titre de comparaison, les 250 Abrams M1A2 commandés par Varsovie à Washington ont été vendus pour 4,6 Md€, sans transfert industriel, soit un prix unitaire à périmètre proche de 18,5 m€, 50% de plus que le K2 Black Panther.

Coté artillerie, Varsovie va donc se doter de 670 canons automoteurs K9 de 155mm, un système d’artillerie autotractée sous blindage comparable au Pzh2000 allemand ou au M109 américain. Equipé d’un canon de 52 calibre à chargement automatique, le K9 Thunder est capable de tirer 8 à 10 obus par minutes à 30 km (obus traditionnels) et jusqu’à 50 km avec des obus à propulsion additionnée pour la version K9A2, soit des performances comparables à celles de ses principaux concurrents. Le blindé de 47 tonnes est propulsé par un moteur diesel de 1000 cv offrant un rapport puissance poids de 21 cv par tonne, lui offrant une mobilité importante pour ce type de véhicule, tout en emportant 48 obus prés au tir. Comme pour le K2, le K9 n’offre pas de performances spectaculaires vis-à-vis des systèmes occidentaux existants, si ce n’est son prix. Ainsi, les 670 exemplaires commandés par Varsovie ne couteront que 5.000 Md de Won, 3,8 Md€, soit un prix unitaire de 5,5 m€, équivalent à celui d’un CAESAR, mais presque trois fois moindre que les 15 m$ généralement facturés pour le Pzh2000 ou le M109.

K 9 Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
le K9 Thunder a été choisit par l’Inde, l’Australie, la Turquie, la Finlande et désormais la Pologne, pour plus de 1140 unités exportées, plus de 4 fois plus que les 239 Pzh 2000 allemands exportés à ce jour.

Si les discussions entre Varsovie et Séoul concernant le K2 et le K9 étaient connues, la surprise est venu de l’annonce d’une commande de 48 chasseurs legers FA-50 pour 2.000 Md de Won, soit 1,5 Md€. Dérivé de l’avion d’entrainement et d’attaque TA-50, le FA-50 Golden Eagle est un chasseur léger biplace compact très capable de 13 mètres de longueurs pour 9,5 mètres d’envergure, affichant une masse à vide de seulement 6,5 tonnes, et une masse maximale au décollage de plus de 12 tonnes. Propulsé par le turboréacteur F414 du Gripen E et du Super Hornet poussant 5,5 tonnes à sec et 9 tonnes avec post-combustion, l’appareil dispose d’un excellent rapport puissance poids même lourdement armé, et peut emporter l’équivalent de sa masse à vide en carburant et armement, notamment grâce à ses 7 points d’emport. Il peut être équipé en outre du radar AESA APG-83 qui équipe notamment le F-16 Block 70, et dispose d’une vaste palette d’armement comprenant notamment les missiles air-air AIM-9 Sidewinder à courte portée et AIM-120 AMRAAM à moyenne portée, le missile anti-navire NSM ou encore la bombe guidée planante JDAM, ainsi que la nacelle de visée Sniper. L’appareil sud-coréen pourra de fait mener des missions d’appui feu aux cotés des 48 F-16 en service et des 32 F-35 commandés, permettant aux forces aériennes polonaises d’aligner 128 avions de combat d’ici 2030, soit autant que les forces aériennes italiennes ou espagnoles, des pays pourtant beaucoup plus riches.

Plus que jamais, avec cette commande massive, la Pologne se positionne comme le pivot du flanc oriental de l’OTAN, surpassant en bien des points les piliers de la Guerre Froide comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, au sein de l’Alliance. Mais l’ambition de Varsovie ne se limite certainement pas à cette position de force militaire. En effet, le contrat signé avec Seoul s’accompagne d’un important partenariat technologique et industriel, potentiellement très bénéfique pour les deux pays. Ainsi, Varsovie disposera bientôt des seules infrastructures industrielles en Europe conçues pour produire des chars de combat et des canons automoteurs chenillés à grande échelle et à des prix particulièrement attractifs, alors que de nombreux pays du vieux continent vont devoir eux aussi moderniser ou étendre leurs propres parcs, et qu’aucun des acteurs traditionnels européens de ce secteur ne sera en capacité de faire de même, tout au moins tant que le programme MGCS ou ses remplaçants ne soient lancés. En outre, à l’image de ce qui fit Bonn pendant la Guerre Froide, Varsovie pourra s’appuyer sur sa prédominance militaire conventionnelle en Europe pour séduire ses voisins en demande de réassurance et d’inter-opérabilité, qui plus est alors que les équipements proposés seront plus économiques tout en étant presque aussi performants que les blindés occidentaux.

FA50 decollage Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
le chasseur léger FA-50 peut emporter des armements évolués, comme le missile AIM-120, le missile antinavire NSM et la bombe guidée planante JDAM

Pour Seoul, il s’agit de mettre un pied industriel sur le vieux continent qui demeure un marché stratégique pour les véhicules blindés comme pour les avions de combat, alors que tous les pays européens se sont lancés dans une augmentation sensible de leurs crédits de défense et de leurs capacités militaires. A ce titre, même si le sujet ne fait pas parti des commandes annoncées, des discussions seraient également en cours entre les deux pays concernant le véhicule de combat d’infanterie K21 Redback qui pourrait être commandé par les polonais aux cotés du VCI de conception locale Borzuk, sachant que Varsovie craint que les capacités de production industrielle de ce dernier ne soient insuffisantes pour remplacer les VCI BWP-1 dans les délais requis. En outre, alors que le chasseur bimoteur de nouvelle génération sud-Coréen KF-21 Boramae vient d’effectuer son premier vol, la décision pour Varsovie d’acquérir 48 FA-50 Golden Eagle met naturellement le pays sur les rangs d’une coopération aéronautique étendue à l’avenir, y compris pour cet appareil qui, comme ses homologues blindés, offrira des performances élevées pour un prix très agressif.

KF21 Boramae first flight Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Le prototype du KF-21 Boramae a effectué son premier vol hier 19 juillet 2022. Remarquez la présence de 4 missiles air-air (factices) sous la cellule, une configuration étonnante pour un premier vol

Le fait est, la stratégie et les ambitions militaires comme industrielles de Varsovie révélées par ce super-contrat mettent en lumière, d’une certaine manière, l’inefficacité relative des grandes capitales européennes dans ce domaine, en particulier pour se préparer à tenir tête à Moscou sur le plan conventionnel, avec ou sans un soutien important des armées américaines. L’aspect le plus déterminant ici n’est autre que le calendrier polonais, qui vise à disposer d’une puissance militaire renouvelée, moderne et homogène à horizon 2030, soit 10 ans plus tôt que l’objectif souvent mis en avant par Paris et Berlin dans leur collaboration (SCAF, MGCS, CIFS), mais également pour des programmes autonomes comme le porte-avions de nouvelle génération, ou le sous-marins nucléaire lanceur d’engins de 3ème génération. Après n’avoir cessé de mettre en garde ses partenaires européens contre la montée en puissance des armées de Moscou ces 10 dernières années, il pourrait être pertinent, pour les grandes capitales européennes, de s’inspirer davantage du calendrier et des ambitions polonaises, tant pour être en mesure de disposer d’une puissance militaire capable de contenir la menace russe au plus vite, que pour éviter de se faire balayer des marchés européens par une stratégie industrielle et politique redoutable mise en oeuvre par Varsovie et Séoul.

SCAF ou pas, le couple Super-Rafale Neuron proposé par Dassault devrait être développé

Comme il est de coutume au début de l’été, les salons de l’armement se sont multipliés ces dernières semaines, avec Eurosatory en France dédié aux armements terrestres mi-juin, le salon ILA aéronautique de Berlin une semaine plus tard, et cette semaine, le salon aéronautique britannique de Farnborough. Ce qui l’est moins, c’est l’extraordinaire discrétion de la France, de ses autorités et de son industrie aéronautique lors de ces salons, en particulier au sujet d’un programme pourtant majeur et dimensionnant, le Systeme de Combat Aérien du Futur, ou SCAF. Le fait est, depuis le début de l’année, le programme rassemblant l’Allemagne, la France et l’Espagne est à l’arrêt, sur fond de désaccord entre Dassault Aviation et Airbus D&S quant au partage industriel autour de la conception du Next Generation Fighter ou NGF, le pilier principal du programme, et le seul qui reste, à ce jour, sous pilotage français. Depuis plusieurs semaines, Dassault Aviation, par la voix de son PDG Eric Trappier, mais également l’ensemble de la Team Rafale, laissaient entendre qu’en cas d’échec des négociations, les industriels français disposaient d’un « plan B ». Plus récemment, il est apparu que cette alternative reposerait sur un couple inédit et très prometteur, associant un Rafale redessiné et designé Super-Rafale, et un drone de combat furtif issu du programme NEUROn.

Pour la Team Rafale, cette approche constituerait une alternative au SCAF économiquement soutenable pour la France et efficace du point de vue opérationnel. Le nouvel appareil de combat permettrait en effet d’étendre les capacités opérationnelles mais surtout le potentiel évolutif du Rafale pour répondre aux exigences du combat aérien dans les années et décennies à venir, à l’image de ce que fit et fait encore le succès du Rafale sur les théâtres d’opération et sur la scène export. Le drone de combat furtif, quant à lui, offrirait au nouvel appareil des capacités de surveillance, de suppression et de détection largement étendues, y compris en environnement fortement contesté, d’autant qu’il pourra probablement, à l’instar du Rafale et du Super-Rafale, s’appuyer sur des drones aéroportés de type Remote Carrier pour en étendre les capacités. Fondamentalement, donc, une telle approche pourrait effectivement se substituer au SCAF à horizon 2040, eu égard à la vision que nous avons aujourd’hui de ce que sera la guerre aérienne à cette date et au delà.

SCAF Artiste Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Le programme SCAF est aujourd’hui à l’arrêt, dans l’attente d’un arbitrage politique de la part de Paris et Berlin

Pour autant, il convient de s’interroger sur la pertinence de developper un tel programme, même si le programme SCAF venait à perdurer, et qu’un accord acceptable venait à être trouvé entre industriels français et allemands. En effet, il ne fait guère de doute désormais que l’entrée en service du NGF issu du SCAF dans une version opérationnelle et non bridée, n’interviendra probablement pas avant 2050. Or, en dépit de ses extraordinaires capacités d’évolution, le Rafale actuel peinera à s’imposer dans le ciel de manière assurée au delà d’une échéance que l’on peut situer entre 2035 et 2040. En effet, la période qui s’annonce n’aura rien à voir avec les 30 dernières années en terme de tempo technologique. Sous l’impulsion de la compétition sino-chinoise, il est plus que probable qu’une nouvelle course technologique aux armements perdurera pendant plusieurs décennies, dans un tempo technologique qui s’apparentera bien davantage aux années 50 et 60 qu’aux années 90 et 2000. Déjà, aujourd’hui, la Chine développe officiellement 3 programmes d’avions de combat furtifs, le chasseur lourd J-20, le chasseur moyen embarqué J-35 et le bombardier stratégique H-20, auxquels il conviendrait d’ajouter, bien que ce ne soit pas officiellement reconnu par Pékin, un quatrième programme de chasseur bombardier JH-XX furtif destiné à remplacer le JH-7 d’ici la fin de la décennie.

Les Etats-Unis, pour leurs parts, développent toujours le F-35 qui semble parvenir à dépasser ses défauts de jeunesse, mais également le NGAD afin de remplacer le F-22 de l’US Air Force à horizon 2035, et le F/A-XX pour remplacer les Super Hornet de l’US Navy à cette même échéance, alors que le bombardier stratégique B-21 devrait effectuer ses premiers roulages d’ici la fin de cette année. A cela doivent s’ajouter le Tempest britannique, le F-X japonais, le KF-21 sud-coréen, et peut être le TFX turc, si tant est qu’il parvienne à résoudre ses problèmes d’accès à certaines technologies critiques, ainsi que les Su-57 et peut-être Su-75 russes. En d’autres termes, sur la période 2025-2035, ce seront pas moins de 10 nouveaux avions de combat majeurs de nouvelle génération qui devraient arriver en unité opérationnelle. Et tout porte à croire qu’il en sera de même lors de la décade suivante, la Chine devant notamment remplacer ses J-10, J-15 et J-16, les Etats-Unis leurs F-16 alors qu’en toute hypothèse, le Tempest, le NGF et le nouvel avion suédois arriveront à cette échéance.

Maquette JHXX Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Le JH-XX serait développé dans le plus grand secret en Chine pour remplacer les chasseur-bombardiers tactiques JH-7

Si le Rafale pourra certainement conserver des capacités d’importance au delà de 2030, il ne fait guère de doute que l’appareil perdra progressivement son ascendant technologique et opérationnel indispensable aux ambitions françaises d’entrer en premier, de dissuasion et d’autonomie stratégique face à l’arrivée de ces nouveaux appareils, mais également face à l’évolution probable des systèmes de défense anti-aérien, de guerre électronique et cyber. De fait, avec un NGF/SCAF qui n’entrerait efficacement en service qu’à partir de 2050, la France perdrait pendant au moins une quinzaine d’années son avantage militaire dans les airs, composante pourtant essentiel au mix opérationnel nationale, tout autant pour le combat aéro-terrestre qu’aéronaval. Dans ce contexte, la conception du couple Super-Rafale NEUROn représenterait, à bien des égards, une excellente solution de transition pour les armées françaises, mais également pour l’industrie nationale, y compris si le SCAF venait à perdurer.

En effet, même conçu en tant qu’évolution structurelle du Rafale afin d’en réduire les couts de developpement, de construction et de maintenance vis-à-vis de l’existant, le Super Rafale pourrait se voir doter de capacités accrues répondant à des besoins de plus en marqués, qu’il s’agisse d’une plus grande furtivité, d’un rayon d’action étendu, ou encore de capacités de guerre électronique et de suppression renforcées. En outre, l’appareil pourra disposer de capacités d’évolutions largement plus importantes, avec par exemple une production électrique renforcée, un bus numérique de nouvelle génération, ou une soute à munition. Dans le même temps, il en conserverait ses attributs clés, comme sa dimension navale embarquée, sa capacité nucléaire, sa fiabilité et sa grande polyvalence. Le NEUROn (faute de nom plus adapté à ce jour), étendrait quant à lui les capacités opérationnelles de ce Super Rafale, en agissant tantôt comme un Loyal Wingmen, tantôt comme un drone MALE ou MAME de nouvelle génération. Ainsi armées, les forces aériennes françaises pourraient alors conserver leur ascendant opérationnel et technologique au delà de 2035, y compris contre des forces aériennes de premier rang, comme la Russie qui opérera à ce moment le couple formé par l’avion de 5ème génération Su-57 et le drone de combat S-70 Okhtonik B, tout comme celui qui sera immanquablement formé par le J-20 et un drone de combat dérivé du programme Sharp Sword, ces binômes pouvant par ailleurs être exportés d’ici là.

okhotnik Su57 Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Les forces aériennes russes misent sur la complémentarité entre le Su-57 et le drone de combat à long rayon d’action S70 Okhotnik-B pour s’imposer dans le ciel à la fin de la décennie

Au delà des aspects opérationnels, le developpement de ces deux programmes bénéficierait également à l’industrie de défense nationale, tant en permettant de conserver et d’approfondir des savoir-faire stratégiques alors que le partage industriel dans le cadre du programme SCAF menace clairement certains d’entre-eux dans plusieurs domaines critiques comme les radar, la guerre électronique, la missilerie et la guerre connectée. D’autre part, il permettrait de maintenir une offre attractive sur la scène internationale jusqu’à l’arrivée du SCAF, et peut être au delà, en particulier vis-à-vis des opérateurs historiques du Rafale. Car outre les bénéfices opérationnels déjà évoqués, le couple Super Rafale NEUROn présentera un atout plus que significatif sur le marché « occidental » des systemes aériens de combat : son cout ! En effet, si le Super Rafale sera de manière prévisible plus onéreux que le Rafale lui même, le NEUROn sera quant à lui bien moins cher qu’un avion de combat traditionnel, au point qu’une patrouille de combat composée d’un Super Rafale et d’un Neuron coutera probablement à l’achat et à la mise en oeuvre sensiblement moins cher qu’une patrouille de deux avions de combat, y compris composée de chasseurs monomoteurs « économiques » comme le F-16V ou le Gripen E. Dès lors, la nouvelle offre pourrait non seulement séduire les forces aériennes clientes de l’industrie française, qui plus est si le Neuron peut également coopérer avec les évolutions du Rafale lui même, mais également convaincre certaines forces aériennes peu fortunées en Europe et dans le monde, et contraintes jusqu’ici de mettre en oeuvre une flotte restreinte comme c’est le cas du Danemark, de la Hongrie ou de la Slovaquie.

Enfin, comme nous l’avions déjà abordé dans un précédent article, un tel programme pourrait fédérer plusieurs partenaires, européens ou non, afin de participer à son developpement. En Europe, la Grèce, la Roumanie, le Portugal et même la Belgique y trouveraient un intérêt certain, de sorte à maintenir l’activité de leur propre industrie aéronautique de défense, ainsi que pour renforcer et faire évoluer leurs capacités de guerre aérienne. La Suède pourrait également y prendre place, comme évoqué hier, surtout si le Super-Rafale s’appuie sur un nouveau turbo-réacteur permettant également de propulser le successeur du Gripen qui serait, dans une telle hypothèse, lui aussi co-developpé avec la France et peut-être d’autres partenaires européens. Au delà des frontières européennes, les Emirats Arabes Unis se montreraient sans le moindre doute intéressés par un tel projet, désireux qu’ils sont de developper leur industrie de défense, tout en disposant d’importantes capacités de financement. Enfin, l’Inde et l’Egypte auraient un intérêt à participer à un tel programme, les premiers pour participer au developpement d’un turboréacteur opérationnel susceptible de propulser l’AMCA, le second pour accroitre les capacités de sa base industrielle de défense.

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le programme F/A-XX de l’US Navy vise à developper le remplaçant du F/A-18 E/F Super Hornet à partir de 2035

Reste que si le developpement du couple Super Rafale / Neuron a beaucoup de sens comme une solution de transition vers le SCAF, il semble difficile de penser qu’il puisse représenter une alternative à ce programme dans la durée, y compris s’il venait à être abandonné à l’échelon européen. En effet, si le Super Rafale sera paré de l’ensemble des vertus de la 5ème génération et de quelques atours de la 6ème génération, surpassant en cela le F-35 ou le Su-57, il ne constituera pas structurellement une alternative au SCAF et au NGF, qui visent à produire un système aérien de combat pleinement ancré dans la 6ème génération, et donc capable de rivaliser avec les NGAD et autres F/A-XX américains, ainsi qu’ avec les avions de combat chinois qui ne manqueront d’apparaitre au delà de 2040. Pour autant, et même si le developpement d’un reboot du SCAF, seul ou avec d’autres partenaires européens et internationaux, est indispensable pour une entrée en service à horizon 2050, le Super-Rafale et le Neuron peuvent s’intégrer dans ce developpement de manière échelonnée, en concevant et en mettant en oeuvre de nombreuses briques technologiques qui prendront place à bord du SCAF. Une telle approche serait réalisable grâce aux capacités de modélisation des systèmes de conception de Dassault System comme Catia et 3DExperience permettant de concevoir des jumeaux numériques à très forte valeur ajoutée. Ainsi, à l’instar du Super-Rafale qui serait une évolution technologique mais une révolution structurelle du Rafale, le SCAF pourrait s’inscrire dans un paradigme similaire vis-à-vis du Super Rafale, de sorte à developper 2 appareils de manière successive sur une trajectoire unique et dans une enveloppe budgétaire visant initialement à ne developper que le SCAF, tout en ouvrant de nombreuses opportunités de coopération au niveau international et européen.

On le voit, alors que le Tempest britannique exploite autant que possible l’espace libéré par le SCAF sur la scène internationale, la France dispose, aujourd’hui, de nombreuses opportunités non seulement pour renforcer sa position en matière d’aéronautique de défense sur la scène européenne et internationale, tant du point de vu opérationnel que commercial, mais également pour developper de multiples coopérations qui s’avèreraient, potentiellement, bien plus prometteuses que celles qui sous-tendent le SCAF aujourd’hui. Reste la question toujours épineuse du financement, souvent placardée comme l’argument absolu du renoncement, mais qui, dans ce cas, n’est guère pertinent. En effet, entre les partenariats internationaux potentiels qu’un tel programme ne manquerait pas de susciter, les emplois créés ou préservés qui généraient des recettes sociales et fiscales équivalentes aux investissements de l’Etat, et la possibilité de s’appuyer sur des mécanismes de financement innovant pour ne pas creser la dette souveraine ou les déficits publics, les solutions existent et sont accessibles. Il ne s’agit donc, au final, qu’une question de volonté politique et industrielle.

Privé de F-16V, le président turc menace de rétablir son veto sur l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN

3 jours ! C’est le temps qu’il aura fallu au Président R.T Erdogan pour brandir à nouveau la menace d’un veto turc quant à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Alliance Atlantique, après que le Congrès Américain ait voté, à l’occasion du vote de la loi de finance 2023 des forces armées US, deux amendements qui entravent les possibilités d’exportation de F-16 Viper mais également d’autres technologies de défense vers Ankara. Bien évidemment, les sujets n’étant pas sensés être liés officiellement, le président Erdogan prend publiquement ombrage du manque de « réactivité » des autorités suédoises concernant la demande d’extradition de 33 réfugiés vers la Turquie, accusés d’appartenir aux mouvements séparatistes kurdes par les autorités turques. Si le discours officiel turc peut laisser planer le doute, le calendrier des annonces, lui, n’en laisse aucun quant à la réalité des sujets de discorde entre Ankara, Washington, Stockholm et Helsinki, et le sort de quelques réfugiés kurdes n’y a que peu de place.

Depuis son accession à la Maison Blanche, le Président Biden et son administration n’ont eu de cesse que de tenter de ramener la Turquie et son président R.T Erdogan, à des positions plus modérées, tant vis-à-vis de l’OTAN que concernant ses ambitions territoriales et politiques. Pour cela, le président américain a, à plusieurs reprises, annoncé qu’il était favorable à la demande faite par Ankara pour acquérir 40 avions de combat F-16 Block 70 Viper, la version la plus évoluée du chasseur de Lockheed-Martin, et de 80 kits permettant de porter autant de F-16 Block 52 en service au sein des forces aériennes turques vers ce standard. Malheureusement, le Congrès américain, tant la Chambre des Représentants à majorité Démocrate, que le Sénat à parité entre Démocrates et Républicains, ne voit pas d’un bon oeil une telle position conciliante, et a, à plusieurs reprises, fait savoir qu’il était majoritairement hostile à la vente de systèmes d’armes évolués à Ankara, en particulier pour des systèmes d’armes pouvant potentiellement être employés pour menacer les alliés grecs et chypriotes. A l’occasion du vote du budget 2023 du Pentagone, c’est la Chambre des Représentants, et des élus démocrates, qui firent voter deux amendements encadrant une telle hypothèse, l’un interdisant la vente de systèmes d’armes à des pays impliqués dans des violation du droit humanitaire, l’autre visant précisément Ankara, demandant au FMS de n’autoriser la vente des F-16V uniquement si les Etats-Unis avaient l’assurance que les appareils livrés ne menaceront pas la Grèce.

220628 madrid Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Le président Turc et ses homologues suédoise et finlandaise parvinrent à un accord lors du sommet de Madrid le 29 juin. Mais les attentes turques étaient, semble-t-il, d’une toute autre nature.

Pour le président Erdogan, il s’agit d’une désillusion teintée d’un soupçon d’humiliation. En effet, celui-ci avait été amené à lever son veto quant à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Alliance Atlantique à l’occasion du sommet de l’OTAN de Madrid, qui s’est tenu à la fin du mois de juin dans la capitale espagnole. Pour y parvenir, la Finlande et surtout la première ministre suédoise, Magdalena Andersson, durent accepter certaines exigences d’Ankara, comme la levée de l’embargo sur les technologies de défense vers la Turquie, mais également, et surtout, une coopération accrue entre les deux pays scandinaves et la Turquie dans le domaine de la lutte « anti-terroriste », alors même que Stockholm accueille une importante diaspora kurde sur son sol. Et ce qui devait arriver, arriva…. D’une part, comme on pouvait s’y attendre, le Congrès américain fut loin d’être aussi permissif que son président vis-à-vis des exigences turques. Sans officiellement déjuger le president en exercice, les représentants démocrates ont toutefois articuler une liste de contrainte rendant très difficile l’exécution de la demande d’exportation de F-16, mais également d’autres technologies de défense critiques, vers Ankara, répondant en cela aux demandes du Premier Ministre grec Kyriakos Mitsotakis, qui avait rencontré les parlementaires américains quelques semaines plus tôt.

Turkish MMU National Combat Aircraft to roll out in 2023 1 Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
La Turquie dépend des technologies occidentales pour poursuivre plusieurs de ses programmes, en particulier son chasseur de nouvelle génération T-FX pour lequel le réacteur doit être américain ou britannique

Pour autant, les sujets n’étant officiellement pas liés, Ankara ne pouvait se rétracter vis-à-vis de l’adhésion de la Suède et de la Finlande sur la seule base de cette décision. Mais les autorités turques avaient, en quelques sortes, anticipé un tel scénario, puisqu’à peine eurent-elles signé l’accord avec les deux capitales nordiques à Madrid, qu’une demande officielle d’extradition de 33 réfugiés kurdes présents en Suède fut envoyée à Stockholm. Et il ne fallut qu’une erreur de la part de Magdalena Andersson devant les médias pour procurer le casus belli requis au président Erdogan. En effet, interrogée par la presse sur les demandes d’extraditions turques, la première ministre suédoise fut contrainte de reconnaitre que les demandes d’extraditions devront être examinées à la lumière de la loi suédoise avant d’être statuées, sachant qu’il s’agissait, en l’espèce, si pas d’une fin de non recevoir vis-à-vis des exigences d’Ankara, en tout cas de la promesse de procédures longues et complexes, avec des chances de succès particulièrement faibles.

De fait, et sans surprise, le président Erdogan a déclaré qu’il était prêt à s’opposer à nouveau à l’adhésion suédoise et finlandaise à l’OTAN si les pays scandinaves venaient à ne pas respecter ce qu’il estime être l’application des accords pris. Bien évidemment, il ne fait désormais plus aucun doute que l’argument avancé par le président turc n’est qu’un prétexte pour tenter de faire plier le Congrès Américain, et qu’à peine l’autorisation d’exportation des F-16V acceptée par celui-ci, l’épisode concernant les réfugiés kurdes en Suède et en Finlande filera aux oubliettes. A moins, évidemment, qu’un tel succès n’enhardisse le président turc, qui serait alors en position de force pour formuler de nouvelles exigences, vis-à-vis des Etats-Unis, mais également des Européens. Nul doute que le sujet sera pris en considération par Paris s’agissant de la demande italienne pour co-developper un système anti-aérien à moyenne portée avec la Turquie basé sur le missile Aster et le système Mamba.

Le Japon s’apprête à supprimer son plafond de dépense pour sa défense

A la sortie de la seconde guerre mondiale, le Japon occupé par les forces américaines fut doté d’une constitution rédigée à la hâte par les services plénipotentiaires de Washington sous le controle strict du Général MacArthur. S’en suivit une constitution très restrictive quant aux capacités de défense du pays. Contrairement à l’Allemagne Fédérale qui obtint dès le milieux des années 50 le feu vert de Washington, Londres et Paris pour accroitre son effort de défense dans le cadre de l’OTAN, pour devenir en quelques années la plus importante force armée conventionnelle du vieux continent, les forces d’auto-défense nippones restèrent contenues dans une effort d’investissement strictement limité à moins de 1% du PIB du pays, il est vrai dans un contexte géopolitique bien moins intense dans le Pacifique qu’en Europe face à l’Union Soviétique durant cette période, et qui fut d’autant plus délicat à gérer pour Moscou lorsque Washington et Pékin entreprirent un rapprochement stratégique au début des années 70.

Contrairement aux pays européens, et sous l’influence de feu le premier ministre Shinzo, le pays entreprit, dès la fin des années 2000, d’accroitre ses dépenses de defense et de moderniser ses forces d’auto-défense, de sorte à faire face à la dégradation du contexte sécuritaire sur le théâtre indo-pacifique, en particulier du fait de la modernisation rapide des forces armées chinoises, mais également de la menace représentée par le programme nucléaire et balistique nord-coréen. Toutefois, si le budget alloué aux forces d’autodéfense nippones subit une croissance de prés de 20% entre 2015 et 2022, atteignant désormais 50 Md$, celui-ci restait capé par le seuil établit à 1% du PIB du pays par son parlement. C’est précisément cette limite qui sera supprimée dès 2023, selon les confidences recueillies par l’Agence Reuters. Ainsi, le premier ministre Fumio Kishida mènerait actuellement les derniers arbitrages afin de lever ce plafond, et permettre au Japon d’accroitre son effort de défense à 2% de son PIB, et ce sur les 5 années à venir.

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La drapeau des forces d’autodéfense nippone s’inspire du Kyokujitsuki, le drapeau de l’empire nippon représentant un soleil levant, mais n’est composé que de 8 branches, contre 16 pour le Kyokujitsuki.

Une telle décision constituerait immanquablement un profond séisme géopolitique, tant sur le théâtre indo-pacifique que pour lé géopolitique mondiale. En effet, la Japon est aujourd’hui la troisième économie mondiale, avec un PIB de plus de 5.000 Md$, le double de celui de la France. Avec un effort de défense à 2% de son PIB, les forces d’autodéfense nippones se verraient alors dotées du troisième budget de défense de la planète, à plus de 100 Md$ par an, bien loin devant l’Allemagne, l’Inde, la Russie, la Grande-Bretagne et l’Arabie saoudite qui aujourd’hui encore surpassent Tokyo dans ce domaine, et qui, en toute hypothèse, devraient plafonner sous la barre des 75 Md$ en 2027/2028 pour ces pays. Le Japon serait, en outre, la plus richement dotée, si pas la plus puissante, des forces armées non nucléaires de la planète, tout en restant dans un effort de défense parfaitement soutenable pour l’économie nippone, puisque limitée à « seulement » 2 % de son Produit intérieur brut.

Reste que, dans ce domaine, Tokyo et ses forces d’autodéfense feront très probablement face aux mêmes contraintes que celles qui se profilent pour Berlin et sa Bundeswehr, alors que la quatrième économie mondiale et première économie européenne a, elle aussi, annoncé son ambition d’atteindre un effort de défense supérieur à 2% de son propre PIB dans les 5 années à venir. En effet, comme l’Allemagne, le Japon souffre d’une démographie plus que problématique, avec une population dont l’âge moyen atteint désormais 48 ans, et une natalité de seulement 1,42 enfants par femme. En outre, contrairement à l’Allemagne avec un solde migratoire de plus 300.000 personnes par an, le Japon ne peut s’appuyer sur une immigration dynamique pour soutenir sa démographie, le pays n’ayant aujourd’hui que 1,5% d’étrangers sur son sol, qui plus est majoritairement des chinois continentaux (32% des étrangers vivants au Japon). De fait, en 2050, le Japon ne devrait avoir que 98 millions d’habitants, contre 122 millions aujourd’hui, qui plus est avec une moyenne d’âge qui aura largement dépassé les 50 ans, et une population active qui sera passée sous la barre des 50% de la population totale.

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Les forces navales d’autodéfense nippones aligneront 2 porte-aéronefs, 8 destroyers Aegis lourds, 22 frégates et 19 sous-marins, soit numériquement le double de la Marine Nationale française.

En d’autres termes, la hausse du budget de La Défense nippon en préparation par l’administration de Fumio Kishida, offrira très probablement d’importants moyens supplémentaires aux forces d’autodéfense japonaises, mais ne permettra probablement pas à celles-ci d’accroitre de manière significative leurs ressources humaines, au delà des 260.000 hommes et femmes qui servent en son sein aujourd’hui. Toutefois, en s’appuyant sur les ressources budgétaires considérables qui seront à sa disposition, mais également sur l’efficacité et l’inventivité des ingénieurs et des industriels nippons, on peut s’attendre à de nombreuses innovations technologiques mais également doctrinales afin de compenser cette faiblesse démographique structurelle face à un adversaire potentiel, la Chine, qui n’y est, pour le coup, pas du tout exposé (en tout cas pour l’instant). Reste que le fait des pays comme l’Allemagne ou le Japon s’engagent de manière résolue, en dépit de leurs contraintes propres, sur une trajectoire budgétaire visant le seuil des 2% de PIB pour leur effort de défense conventionnel, doit inviter des pays comme la France et la Grande-Bretagne, qui consacrent une part significative de leur propre effort de défense au financement de la dissuasion, à re-évaluer leurs propres seuils d’investissement, au risque de marginaliser leur puissance conventionnelle, et avec elle leur capacité à influencer sur les rapports de forces mondiaux.

L’adhésion suédoise à l’OTAN ouvre de grandes opportunités pour une coopération avec la France en matière d’avions de combat

La neutralité suédoise, issue d’une position internationale remontant à 1814, a été l’un des piliers de la politique internationale du pays lors du 19ème et 20 siècle, permettant à Stockholm de préserver la paix sur son territoire pendant plus de 200 ans. Le pays n’a toutefois jamais négligé, au cours de ces années, sa propre défense, et son autonomie stratégique. Ainsi, les entreprises aéronautiques suédoises, comme ASJA et Saab, entreprirent des le début des années 30 de developper des avions de combat de facture nationale, comme le Svenska Aero Jaktfalken biplan qui fit son premier vol en 1929, ou le bombardier en piqué Saab 17, premier appareil entièrement métallique conçu de le pays, et qui fit son premier vol en 1940. A l’issue de la seconde guerre mondiale, Stockholm entreprit d’accroitre son effort dans ce domaine, avec la conception d’appareils de chasse reconnus pour leur efficacité, comme le Saab 19 Tunnan, premier chasseur équipé d’un turboréacteur dont le premier vol eut lieu en 1948 et qui fut construit à 661 exemplaires dont 30 pour les forces aériennes autrichiennes, un autre pays non aligné, puis le Saab 32 Lansen, un chasseur bombardier biplace à long rayon d’action dont le prototype prit l’air en 1952 et qui fut produit à 450 exemplaires pour la Flygvapnet, les forces aériennes suédoises.

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Le Saab 19/29 Tunnan fut le premier chasseur à réaction conçu par Saab après-guerre. Il fit son premier vol en 1948 propulsé par un turboréacteur d’origine britannique.

La construction aéronautique suédoise militaire obtint cependant une réelle reconnaissance internationale en 1960 avec l’entrée en service du J35 Draken, un chasseur polyvalent monomoteur à aile delta capable d’atteindre Mach 2, et produit à 651 exemplaires entre 1955 et 1974, dont 24 pour les forces aériennes autrichiennes, 51 pour les forces aériennes danoises et 50 pour les forces aériennes finlandaises, et dont le dernier exemplaire fut retiré du service en 2009. En 1967, Saab produisit un autre appareil très réussi, le Saab 37 Viggen, un chasseur polyvalent monomoteur à haute performance a aile delta et plans canards, qui fut produit de 1970 à 1990 à 321 exemplaires pour les forces aériennes suédoises, mais qui souffrit de la concurrence du F-16 et du F-18 sur la scène internationale, en dépit de performances remarquables. Depuis 1988, Saab produit enfin un dernier appareil de grande qualité, le JAS 39 Gripen, qui entra en service en 1996 et qui fut notamment choisit par la Hongrie (14 appareils en location), l’Afrique du Sud (16 appareils dont 9 biplaces), la République Tchèque (14 appareils en location) et la Thaïlande (12 appareils dont 4 biplaces). En 2013, Saab remportait également un contrat de 36 JAS 39 Gripen E/F de nouvelle génération au Brésil, alors que le pays a récemment annoncé la prochaine commande d’un second lot d’appareils construits sur place.

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Le J-35 Draken demotra l’expertise suédoise en matière de conception d’avions de combat à hautes performances.

De fait, la Suède est aujourd’hui l’un des rares pays occidentaux ayant démontré sa capacité à concevoir et mettre en oeuvre des avions de combat dans la durée de manière autonome, même si les avions de combat suédois ont toujours intégré des technologies occidentales critiques, en particulier en matière de propulsion. Stockholm entendait bien poursuivre son effort dans ce domaine avec le programme Flysystem 2020 visant à developper le successeur du Gripen E/F à horizon 2035. Pour ce faire, les autorités suédoises se sont rapprochées en 2021 du programme FCAS britannique, mais de manière limitée et uniquement pour co-developper certaines technologies communes, sans rejoindre le programme Tempest lui même. Stockholm souhaitait encore, à cette date, maintenir une posture neutre, et donc disposer d’une autonomie stratégique étendue. La demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Alliance Atlantique, consécutive de l’agression russe contre l’Ukraine en février 2022, rebat les cartes dans ce domaine, tant pour Stockholm que pour la Flygvapnet et le constructeur Saab, avec de nouvelles contraintes d’interopérabilité mais également de nouvelles opportunités de coopération, en particulier avec l’un de ses principaux concurrents jusqu’à présent sur la scène internationale, la France.

En effet, ces dernières années, les avions Rafale et Mirage 2000 français se sont retrouvés à plusieurs reprises en compétition avec le Gripen Suédois, avec des succès des deux cotés, en Republique tchèque et au Brésil pour l’avion suédois, en Inde et en Croatie pour le Rafale. Cependant, les deux appareils européens ont surtout souffert de l’omniprésence américaine avec le F-35 qui s’est imposé dans 8 forces aériennes européennes à ce jour, et le F-16V qui s’imposa contre le Gripen sur les marchés émergents européens et mondiaux. Dans un tel contexte, il semblerait pertinent pour Stockholm et Paris de coopérer afin de co-developper un successeur au Gripen mais également au Mirage 2000, aussi bien à destination des forces aériennes des deux pays que d’un marché export en demande de solution économique et efficace, par ailleurs souvent opérateur ou ancien opérateur de chasseurs monomoteurs à haute performance de la famille des Mirage. En outre, la France est l’un des 3 seuls pays occidental en mesure de fournir les technologies critiques manquantes à Stockholm pour la conception de cet appareil, en particulier le turboréacteur.

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Le JAS 39 Gripen est à ce jour le plus important succès commercial à l’export de Saab dans ce domaine.

Mais la fenêtre d’opportunités sera étroite pour Paris, et très concurrentielle. En effet, selon le Major général Carl-Johan Edstrom, Chef d’état-major de la Flygvapnet, l’adhésion prochaine de la Suède à l’OTAN entraine une refonte en profondeur de la stratégie du pays en matière de puissance aérienne, ainsi qu’en matière industrielle. En outre, Saab collabore déjà depuis plusieurs décennies avec les industries de défense américaines et britanniques, alors que la coopération franco-suédoise dans ce domaine est très limitée. Il en va de même dans le domaine politique, Londres et Washington ayant été très actifs dans le soutien à Stockholm et les pays scandinaves, tant pour la défense en amont de la demande d’adhésion à l’OTAN, que pour soutenir cette adhésion et neutraliser la menace russe lors de la période de transition. Enfin, la France souffre très probablement d’un déficit d’image dans ce domaine avec les difficultés rencontrées dans le cadre du programme SCAF, mais également concernant les positions mal comprises en Scandinavie du Président Macron vis-à-vis de Vladimir Poutine ces derniers mois.

Pour autant, la France dispose de cartes qu’elles seules peut mettre en avant pour séduire Stockholm dans ce dossier. En premier lieu, contrairement aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne ou même l’Allemagne, la France aurait intérêt à acquérir un chasseur monomoteur complémentaire à son Rafale pour remplacer ses Mirage 2000-5 et Mirage 2000-D, et ainsi conserver une masse désormais indispensable aux enjeux de défense du pays. En d’autres termes, Paris pourrait dans une telle hypothèse, commander trois ou quatre escadrons, soit plus d’une centaine d’appareils si une coopération franco-suédoise venait à aboutir. Par ailleurs, la France dispose d’un réseau de vente très étendu sur la planète, avec un crédit d’image très positif lié aux performances des avions Mirage et Rafale. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, une telle coopération permettrait à Stockholm de se rapprocher du programme SCAF, qu’il soit ou non développé avec Berlin et Madrid, de sorte à renforcer l’autonomie stratégique européenne dans ce domaine, mais également afin de se doter, avec des conditions industrielles favorables, d’une flotte de ces nouveaux appareils de 6ème génération, parfaitement complémentaire des capacités offertes par un chasseur monomoteur de 5ème génération, et conçu lui aussi pour répondre aux exigences d’engagement coopératif de l’OTAN.

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La France aurait tout intérêt à co-developper un chasseur monomoteur de 5ème génération en coopération avec la Suède pour remplacer les Mirage 2000 et ainsi accroitre la masse et la flexibilité opérationnelle offerte à ‘lArmée de l’Air et de l’Espace.

La France aurait, elle aussi, grand intérêt à une telle collaboration. D’une part, comme dit précédemment, elle permettrait d’accroitre la masse des forces aériennes françaises, en l’occurence de l’Armée de l’Air et de l’Espace, avec un appareil complémentaire, plus léger et plus économique à la mise en oeuvre que le Rafale, voire que le Super-Rafale qui devient de plus en plus probable, et donc bien adapté aux missions exterieures notamment en Afrique et au Moyen-Orient. En outre, cela permettrait aux industries françaises de participer à la conception d’un appareil de 5ème génération concurrent direct du F-35, de sorte à créer un phénomène marketing de loupe sur les performances du Super-Rafale ou du SCAF lors des compétitions internationales, tout en pouvant participer à des compétitions pour lesquelles le Super Rafale et le SCAF seraient clairement sur-dimenssionés. Enfin, cela permettrait aux forces françaises et aux industriels de mettre en oeuvre un avion de 5ème génération de sorte à disposer de retours d’expériences précieux pour al conception du SCAF à horizon 2050, tout en permettant de faire du Super Rafale un appareil plus lourd taillé pour la très haute intensité à longue distance.

Reste à voir, désormais, si la France saura s’emparer d’une telle opportunité, et faire preuve de la determination et de la force de conviction pour séduire les autorités suédoises. Le contexte est en effet difficile pour Paris, avec une situation politique intérieure inédite dans le pays, des programmes de coopération franco-allemands en grande difficulté, et l’entame de travaux visant à concevoir une nouvelle Loi de programmation afin de répondre aux « nouveaux » enjeux de défense suite à l’attaque russe contre l’Ukraine du 24 février. De fait, il peut sembler difficile pour les autorités françaises de se mettre rapidement en ordre de bataille pour simultanément convaincre Stockholm de la pertinence d’une telle approche, mais également ses propres armées et industriels, chacun ayant des priorités et des échéances à court terme qui peuvent paraître plus urgentes et importantes. Une chose est certaines, les opportunités et les forces dans ce dossier, surpassent clairement les risques et les faiblesses, et ce pour les deux pays, et qu’une telle coopération serait même de nature à séduire d’autres acteurs européens en mal d’activité pour leur propre industrie aéronautique de défense, comme la Grèce, le Portugal, la République tchèque ou la Roumanie.

La Congrès US entrave la vente de nouveaux F-16 à la Turquie

Il y a 10 mois de cela, en octobre 2021, les autorités turques annoncèrent qu’elles avaient envoyé une demande d’exportation au Foreign Miltiry Sales concernant 40 nouveaux avions de combat F-16 au standard Block 70 Viper, ainsi que 80 kits permettant de porter 80 de ses F-16 Block 52 vers ce standard, le plus évolué actuellement disponible pour l’avion de Lockheed. Si l’administration Biden s’était montrée prête à appuyer une telle demande dans l’espoir de renouer des relations normalisées avec Ankara, le Congrès Américains, qui a le dernier mot sur le sujet, s’était montré plus que dubitatif. En effet, pour les sénateurs et représentants américains, les postures internationales prises par le président R.T Erdogan, que ce soit au Moyen-Orient en Syrie et en Irak, en Mer Egée face à la Grèce et Chypre, ou encore dans ses relations ambiguës avec la Russie et l’Iran, ne permettaient pas de livrer en toute sécurité ces nouvelles armes à Ankara, sachant qu’elles pourraient fort bien se retourner contre les Etats-Unis ou certains de ses alliés. En outre, de nombreux parlementaires américains n’étaient pas prêts à oublier la commande de S-400 russes par la Turquie.

La situation est restée relativement figée pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que le début de l’invasion russe de l’Ukraine ne précipite les événements, amenant les autorités turques à soutenir les défenseurs ukrainiens en leur livrant notamment le désormais célèbre (mais de moins en moins efficace) drone MALE TB2 BAyraktar, ainsi qu’en fermant les détroits de la Mer Noire, bloquant de fait plusieurs grandes unités navales russes, y compris les croiseurs Marechal Oustinov et Varyag de la classe Slava, en Méditerranée plutôt qu’au large des cotes ukrainiennes. Surtout, la demande d’adhésion à l’Alliance Atlantique de la Suède et de la Finlande fut l’occasion pour le président turc de prendre une position de force dans ses négociations avec les Etats-Unis et plus largement, avec les autres membres de l’alliance, dont beaucoup avaient mis en place des sanctions importantes concernant l’exportation de technologies de défense vers la Turquie ces dernières années.

TB2 drone Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
La livraison de drones TB2 à l’Ukraine par la Turquie permit aux forces ukrainiennes de résister aux premières offensives russes, en particulier contre Kyiv, tout en contribuant à redorer le blason de la Turquie auprés des dirigeants occidentaux.

Officiellement, il n’y eut aucune négociation entre les Etats-Unis et la Turquie afin de lever le veto d’Ankara quand à ces deux adhésions. Pourtant, dans le vote final du budget des armées pour 2023, les parlementaires américains prirent de nombreuses réserves afin d’encadrer la possible vente de nouvelles technologies de défense à la Turquie, mais également à l’Arabie saoudite et à l’Egypte. Ces trois pays sont en effet visés par un amendement déposé par le représentant Démocrate du Massachusetts James McGovern, par ailleurs présidant la commission défense de la chambre des représentants, qui encadre strictement l’exportation de technologies de Défense US vers des pays participant ou ayant participé à des actes de génocide ou en violation avec les lois internationales humanitaire. En outre, deux représentants Démocrates, Frank Pallone du New-Jersey, et Chris Pappas du New Hampshire, firent voter un amendement obligeant l’exécutif américain de prendre des mesures concrètes afin « d’empêcher que les F-16 vendus à la Turquie ne soient employés pour violer l’espace aérien grec en Mer Egée ». On peut naturellement y voir les effets de la visite du premier ministère grec au Capitole il y a tout juste deux mois.

Ces amendements vont sans le moindre doute sensiblement handicaper la liberté d’action et de négociation de l’administration Biden pour vendre des technologies de défense à la Turquie, et en particulier pour l’exécution de la demande de nouveaux F-16 par Ankara. Ils pourraient même empêcher l’exportation de certaines technologies indispensables à la poursuite de plusieurs programmes turcs, en particulier pour ce qui concerne la motorisation des hélicoptères et des navires turcs, mais également celle du programme de chasseur de nouvelle génération T-FX, alors même qu’il y a quelques jours à peine, Ankara annonçait le début de la compétition précisément pour ce besoin, s’appuyant en grande partie sur le turboréacteur américain F-110 de General Electric, ne laissant que l’offre britannique basée sur l’EJ200 comme unique alternative effective.

TF X Le Bourget Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Le programme TFX dépend d’une solution de motorisation exogène, qu’elle vienne des Etats-Unis (F-110) ou de grande-bretagne (EJ200)

La position du Congrès américain, si elle ne s’oppose pas stricto-sensu à l’exportation de nouveaux F-16 et d’autres technologies de défense vers la Turquie, la rend cependant très difficile. En effet, il ne sera pas aisé pour l’exécutif américaine de presenter aux commissions parlementaires américaines des rapports garantissant que les technologies exportées ne seront pas employées contre la Grèce, comme l’exige pourtant l’amendement Pallone/Pappas. Pour autant, il ne s’agira, dans une telle hypothèse, que d’une appréciation relative des parlementaires quant aux garanties offertes par Ankara. Il serait ainsi possible que les commissions estiment comme suffisante la promesse d’Ankara de ne déployer ses nouveaux appareils que sur des bases aériennes bordant la Mer Noire et ses frontières continentales avec la Syrie, l’Irak et l’Arménie. Bien évidemment, une telle promesse ne garantirait aucunement que les nouveaux appareils ne participent à des actions en Mer Egée (amendement Pallone/Pappas) voire contre les populations Kurdes en Syrie et en Irak (amendement McGovern), mais elle pourrait être jugée suffisante par les parlementaires US dans certains contextes. En revanche, si le Congrès américain entend faire respecter ces amendements dans l’esprit comme dans la loi, il sera très difficile pour Ankara d’obtenir des licences d’importation technologiques de défense de la part des Etats-Unis.

Reste à voir, en outre, quelles seront les positions des alliés des Etats-Unis face à la Turquie dans ce dossier. Les réserves prises par le Congrès américain pourraient en effet dissuader certaines chancelleries d’adoucir leurs positions vis-à-vis d’Ankara. S’il est peu probable que la Corée du Sud ne reviennent sur ses accords avec la Turquie concernant la motorisation et la transmission du char Altay, il est possible que certains pays européens se montrent finalement plus prudents quant à la levée des sanctions. A l’inverse, si Ankara venait à se sentir floué dans ses compensations négociées concernant l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, rien n’empêchera les autorités turques de revenir sur leur engagement de levée de leur veto, tout au moins tant que l’adhésion des deux pays scandinaves à l’Alliance ne sera pas actée et définitive.

Les programmes FCAS/Tempest britanniques et F-X Japonais d’avion de combat pourraient bientôt fusionner

Alors que le programme SCAF d’avion de combat de nouvelle génération qui rassemble la France, l’Allemagne et l’Espagne, est à l’arrêt depuis plusieurs mois faute d’un accord équilibré autour du partage industriel, les britanniques et leur programme concurrent FCAS avec l’avion de combat de nouvelle génération Tempest continue d’avancer, en dépit des menaces qui pèsent sur son financement. Ce risque pourrait bien être très prochainement entièrement traité. En effet, après avoir séduit Rome et, dans une moindre mesure, Stockholm pour rejoindre le programme et participer à son financement, Londres serait, selon l’agence Reuters, sur le point de signer un accord historique avec Tokyo pour fusionner son programme avec le programme nippon F-X, destiné à remplacer les avions de combat Mitsubishi F-2 au sein des forces aériennes d’autodéfense japonaises.

Cet accord, qui pourrait être annoncé dans les prochaines semaines, est le résultat d’un long et patient travail diplomatique et industriel de la part des britanniques, qui mènent depuis plus de 5 ans maintenant, un effort très appuyé pour consolider un tel rapprochement. Jusqu’à présent, il était question pour Tokyo de se tourner vers le britannique Rolls-Royce, et non vers les motoristes américains General Electric ou Pratt&Whitney, pour la motorisation du F-X, un programme pour lequel les autorités japonaises ont provisionné 40 Md$. Londres et Tokyo pourraient en effet largement profiter d’une coopération allant bien au delà de la propulsion. Pour les autorités britanniques, il s’agirait de résoudre l’épineux problème de l’équation budgétaire qui jusqu’ici pesait sur l’avenir de son programme, en dépit de l’arrivée réelle mais plus que modeste de Rome et Stockholm en son sein, et ainsi de pérenniser une bonne foi pour toute sa poursuite. Pour les autorités japonaises, cette coopération permettrait à sa propre industrie aéronautique de défense de faire un bon technologique, mais également de s’ouvrir le marché européen jusqu’ici opaque aux armements nippons.

F X Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Le programme F-X vise à developper un appareil de 5ème génération avancé

Si le rapprochement venait à se concrétiser, les conséquences pourraient largement dépasser les frontières britanniques et japonaises. En effet, en pérennisant le programme FCAS/Tempest, Londres deviendrait immédiatement un partenaire bien plus attractif dans ce domaine, y compris en Europe. Ainsi, pour l’Allemagne, mais également l’Espagne, celui ci pourrait représenter une alternative au programme SCAF en mauvaise posture, quitte à négocier un partenariat par briques technologique à l’instar de celui qui lie déjà la Grande-Bretagne et la Suède dans ce domaine. Ainsi, Berlin (et Madrid au sein d’Airbus D&S), pourraient fort bien rejoindre le programme FCAS sans rejoindre le Tempest, de sorte à faire developper son propre appareil par Airbus D&S, tout en profitant d’une mutualisation importante dans le developpement de plusieurs technologies critiques, comme pour ce qui concerne la propulsion ou l’armement. Il est d’ailleurs fort probable que le rapprochement entre Londres et Tokyo s’appuie, lui aussi, sur une approche similaire, les besoins nippons et britanniques étant relativement différents.

XASM 3 F2 Japan JASDF anti ship missile 1 Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Le programme F-X nippon a pour objectif de remplacer les avions de combat F2 dérivés du F-16 et construits par Mitsubishi

Après avoir été au coeur de la création de l’alliance AUKUS, avec l’espoir de participer à la conception des sous-marins nucléaires australiens, Londres confirme son ambition de peser sur le théâtre Indo-Pacifique. A ce titre, la Royal Navy multiplie les déploiements sur ce théâtre, y compris concernant ses nouveaux porte-avions. Pour autant, si les objectifs politiques et stratégiques sont importants dans ce rapprochement, il est surtout évident qu’il s’agit avant tout d’une coopération en devenir basée sur des considérations très pragmatiques, tant du point de vue budgétaire que technologique et même opérationnel. Il serait probablement pertinent, pour ce qui concerne les programmes de coopération européens et en particuliers franco-allemands, de s’inspirer d’une telle approche, moins idéologique mais visant à trouver des solutions efficaces et pérennes, sachant que désormais, le calendrier n’est plus en faveur des tergiversations et des hésitations.

Quelles seront les priorités de la prochaine Loi de Programmation Militaire française ?

Jusqu’au début de l’intervention russe en Ukraine, l’exécutif français avait un mot d’ordre et un seul concernant la conduite de l’effort de défense : Toute la Loi de Programmation militaire 2019-2025, mais que la LPM 2019-2025. Conçue sur les bases de la Revue Stratégique 2017, elle-même fortement contrainte par le Livre Blanc de 2013, la LPM 2019-2025 visait à réparer les importants dégâts consécutifs à deux décennies de sous-investissements dans les armées françaises, alors même que la pression opérationnelle demeurait très élevée. Force est de constater qu’en 5 ans, la situation des armées s’est grandement améliorée, avec un budget annuel augmenté de 8,5 Md€ soit plus de 25%, plusieurs programmes critiques respectés comme SCORPION pour l’Armée de terre, le renouvellement des frégates et sous-marins de la Marine Nationale, ou encore l’arrivée des avions ravitailleurs A330M Phoenix et des avions de transport A400M pour l’Armée de l’Air et de l’Espace. Toutefois, cette LPM restait inspirée par une doctrine basée sur l’association d’une dissuasion à deux composantes, d’un corps expéditionnaire projetable rapidement pour les Operations Extérieures, et d’une puissance conventionnelle réduite uniquement capable d’intervenir en coalition. La guerre en Ukraine, mais également les tensions croissantes dans le Pacifique, en Afrique et au Moyen-Orient, ont désormais rendu cette approche défensive, si pas obsolète, tout au moins inadaptée aux enjeux auxquels les armées françaises devront répondre dans les mois et années à venir.

Si les questions de défense furent totalement ignorées du débat public pendant les campagnes présidentielles et législatives, l’actualité internationale, et la pression relative posée par l’ensemble des voisins européens de la France qui, tous, ont annoncé un important effort pour accroitre les investissements de défense, amenèrent le président Macron nouvellement réélu à passer d’une ambition de révision de la LPM en cours, à l’annonce d’une nouvelle LPM qui pourrait être lancée avant la fin de celle en cours, c’est à dire dès 2023. Mais quelles seront les priorités de cette nouvelle Loi de Programmation Militaire, qui va s’inscrire dans un contexte géopolitique international et européen particulièrement tendu, avec l’augmentation sensible des risques de conflits y compris sur le sol national, qu’il soit métropolitain ou outre-mer, le retour de la menace nucléaire à grande échelle, et des programmes en coopération européenne moribonds pour ne pas dire très menacés ? Dans cet article, nous étudierons les principaux programmes qui pourraient représenter le fer de lance de cette nouvelle LPM, selon deux hypothèses, l’une conservatrice et probable, l’autre optimisée pour l’efficacité des armées, la compétitivité à l’exportation de l’industrie de défense et donc la soutenabilité budgétaire à moyen et long terme.

Armée de terre

Des 3 armées française, l’Armée de Terre fut celle qui paya le plus lourd tribu à la professionnalisation des forces, voyant son format opérationnel divisé par presque 3 en 30 ans, et perdant, pour l’occasion, l’essentiel de ses capacités dédiées à la haute intensité. La nouvelle LPM portera donc sans le moindre doute sur une reconstruction rapide de ces capacités, et vers une augmentation des effectifs et des équipements en dotation.

Hypothèse probable

Si le programme SCORPION, avec les véhicules blindés VBMR Griffon et Serval, les véhicules de reconnaissance EBRC Jaguar, et la modernisation de 200 chars Leclerc permet à l’Armée de Terre de sensiblement renforcer ses capacités de manoeuvre, y compris dans une contexte de haute intensité, celle-ci souffre d’un manque flagrant de puissance de feu, en particulier dans le domaine de l’artillerie lourde, ainsi que de capacités d’auto-protection contre la menace aérienne et drone. En outre, les Leclerc, même modernisés, ainsi que les véhicules de combat d’infanterie VBCI, manquent de capacités défensives pour un tel engagement. Enfin, il apparait indispensable d’augmenter les effectifs opérationnels dont dispose l’Armée de Terre, afin d’être en mesure d’augmenter les forces projetables dans le cadre de l’OTAN.

EBRC Jaguar Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis

De fait, il est très probable que la nouvelle LPM s’attaquera à ces aspects, tout en préservant la poursuite de SCORPION. On peut donc s’attendre à une augmentation sensible de la dotation de l’Armée de terre en système CAESAR, probablement 60 à 80 pièces de sorte à disposer de 2 à 3 régiments d’artillerie supplémentaires, ainsi que l’acquisition, sur étagère ou en conception rapide, de capacités d’artillerie à très longue portée, ce d’autant que le programme CIFS franco-allemand semble désormais, si pas abandonné, en tout cas reporté à des dates incompatibles avec la pression opérationnelle immédiate. Il est également très probable qu’un programme visant à doter les unités terrestres de capacités de défense anti-aérienne, anti-drone et anti-missile de croisière à courte portée, soit lancé à court terme. Pour faire face à la réalité de la menace antichar lors des engagements de haute intensité, on peut s’attendre à ce que le programme de modernisation des chars Leclerc déjà en cours, mais également celui à venir concernant la modernisation des VBCI, intègre des capacités d’auto-protection de type Hard-Kill. Enfin, si le format des forces professionnelles sera sans le moindre doute augmenté, avec une Force Opérationnelle Terrestre amenée à 85.000 ou 90.000 hommes, il est surtout probable qu’un important effort sera réalisé vis-à-vis de la Reserve Opérationnelle, avec l’objectif de constituer davantage d’unités de reserve autonomes à l’image de 24ème régiment d’infanterie.

Hypothèse alternative

Reste que même en s’appuyant sur l’ensemble de ces programmes, qui fourniraient incontestablement des plus-value opérationnelles sensibles à l’Armée de Terre, il apparait que l’essentiel des forces mécanisées françaises emploieraient des véhicules blindés relativement légers sur roues, qui offrent de fait un faible potentiel d’évolution sans venir menacer leur mobilité au delà de 24 tonnes pour les véhicules 6×6 comme le Griffon, le CAESAR le Jaguar, ou de 32 tonnes pour les blindés 8×8 pour le VBCI. Dans les faits, les régiments français ne disposeront dans un avenir proche que de 200 blindés chenillés, les chars Leclerc. Dans le même temps, il semble très improbable que le programme MGCS de char lourd franco-allemand puisse être accéléré, si tant est qu’il parvienne à surmonter les obstacles qui s’accumulent dans la coopération industrielle franco-allemande. Il serait donc pertinent pour l’Armée de Terre de developper une nouvelle famille de blindés chenillés destinée à s’insérer entre les véhicules blindés legers et moyens du programme SCOPRION, et les blindés lourds du programme MGCS, tout en renforçant la puissance de feu et l’efficacité des Leclerc en sous-nombre.

ASCALONf Nexter Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
le canon ASCALON est proposé par Nexter pour équiper le MGCS, au plus grand déplaisir de Rheinmetall

Un tel programme, qui viserait donc à developper une plate-forme blindée chenillée de nouvelle génération de la gamme 40-50 tonnes, permettrait notamment de developper un char moyen chasseur de char pouvant être équipé du nouveau canon ASCALON développé par Nexter et du missile antichar Akeron, ainsi qu’un véhicule de combat d’infanterie plus lourd, mieux protégé et mieux armé que le VBCI. Le blindé pourrait également représenter une plate-forme parfaitement adaptée pour developper un système d’artillerie automoteur sous blindage, ainsi qu’un système de protection anti-aérienne à courte portée. Le programme permettrait en outre de réduire les risques autour du programme MGCS, avec une dépendance moindre à son calendrier ainsi qu’aux arbitrages industriels pour la pérennité des savoir faire de la base industrielle défense et de sa chaine de sous-traitance, tout en augmentant sensiblement les opportunités d’exportation et de coopération autour de ce sujet. Plusieurs pays, en effet, seraient sans le moindre doute prêts à monter à bord d’une telle initiative française, sur Europe comme la Grèce, mais également au Moyen-Orient, comme les Emirats Arabes Unis.

Marine Nationale

En matière de capacités opérationnelles, la Marine Nationale aura été la force armée française la mieux préservée ces 30 dernières années. Ainsi, la flotte de haute mer française vise à s’appuyer sur 1 porte-avions nucléaire, 3 porte-hélicoptères d’assaut classe Mistral, 3 pétroliers-ravitailleursvclasse Chevalier, 15 frégates (Horizon, FREMM et FDI) et 10 sous-marins, dont 6 sous-marins d’attaque classe Suffren, un format relativement proche des 2 porte-avions classe Clemenceau, 2 TCD classe Ouragan, 1 porte-hélicoptères Jeanne d’Arc, 3 pétroliers classe Durance, 14 destroyers & frégates (F70, F70AA, T67 et C69), 1 croiseur Colbert, et 12 sous-marins dont 6 SNA classe Rubis de la fin des années 80. Pour réaliser ce tour de force, la Marine Nationale s’est grandement appuyée sur la réduction des effectifs embarqués, alors que les 600 membres d’équipage du croiseur Colbert suffiraient à armer les 5 frégates FDI à venir. Malheureusement, dans le même temps, le contexte géopolitique a considérablement évolué depuis la Guerre Froide, en particulier du fait de l’émergence de la très puissante force navale chinoise, qui fera jeu égal avec l’US Navy d’ici la fin de la décennie concernant la flotte de haute mer. Cette nouvelle surpuissance navale oblige la Marine Nationale à faire évoluer ses déploiements dans le Pacifique et dans l’Ocean Indien, tant pour protéger les territoires d’outre mer et le million de français qui y vivent, que pour préserver les intérêts stratégiques du pays. Dans le même temps, cela oblige l’US Navy à concentrer l’essentiel de ses moyens dans le Pacifique et dans l’Océan Indien, laissant aux Européens la charge de contrôler la puissance navale russe en évolution rapide.

FREMM Mistral Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
La Marine Nationale achève la modernisation de ses grandes unités de haute mer, comprenant les frégates, les navires d’assaut et aéronavals, les navires de ravitaillement et les sous-marins

Hypothèse probable

De fait, le format actuel de la Marine nationale n’est plus en adéquation avec la réalité de la menace. Pour y répondre, il est très probable que la nouvelle LPM acte une nouvelle commande de frégate FDI, entre 3 et 5 unités, permettant notamment de maintenir une présence navale armée significative dans le Pacifique, sans handicaper les déploiements en Atlantique, Méditerranée et au Moyen-Orient. En outre, on peut s’attendre à ce que l’armement et l’équipement des frégates françaises soit revu à la hausse, notamment pour ce qui concerne les capacités anti-aériennes et anti-navires, avec les enseignements de la guerre Ukraine mais également de l’exercice Poseidon 2021. La flotte de sous-marins d’attaque sera également très probablement augmentée d’une ou deux unités supplémentaires, là encore afin de permettre un déploiement dans le Pacifique. Enfin, il est probable que la flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engin, ou SNLE, sera amenée de 4 à 5 unités à l’occasion du developpement du SNLE 3G, pour faire face à l’augmentation du risque nucléaire.

Hypothèse alternative

A l’instar de l’Armée de Terre avec le programme MGCS et CIFS, et de l’Armée de l’Air avec le SCAF, la Marine est contrainte par certains engagements internationaux, comme le programme MAWS franco-allemand de patrouille maritime (probablement mort-né avec la commande de 12 P-8A par Berlin), et le programme Européen Patron Corvette développé dans le cadre du PESCO pour remplacer les frégates de surveillance classe Floreal. Au delà de la gestion du risque, en particulier sur les délais inhérents aux programmes en coopération peu compatibles avec l’urgence opérationnelle, la Marine Nationale et l’Industrie navale française pourraient largement optimiser leur évolution. Ainsi, Naval Group est aujourd’hui en compétition avec Fincantieri pour la vente de 6 corvettes à la Grèce. Il serait possible de proposer à Athènes une commande de 6 corvettes Gowind 2500 à destination de la Marine Nationale assemblées en Grèce en parallèle des 6 Gowind 2500 pour la Marine Hellénique, et la levée de l’option pour les 2 dernières FDI assemblées à Lorient. En procédant ainsi, non seulement Naval Group s’assurerait de la commande grecque, mais le volume de FDI commandées, soit 15 unités dont 5+5 pour la France (hypothèse probable) et 3+2 pour la Grèce, permettrait à l’industriel de mettre en oeuvre un plan industriel comparable à celui qui était prévu pour les 17 FREMM, avec à la clé une diminution sensible des couts, et donc une bien meilleure compétitivité sur la scène internationale. En outre, le cout des 6 corvettes Gowind 2500 commandées par la France et assemblées en Grèce, serait compensé par un ratio d’équipement de valeur de 50% produits en France pour ces 12 navires. Les 6 corvettes, quant à elles, permettraient à la Marine Nationale de mieux repartir l’utilisation de ses moyens notamment autour de la Metropole, tout en libérant les frégates de haute mer pour des missions plus distantes.

Suffren Submarine SSN SNA Marine Nationale 1 Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
La Marine Nationale aura très probablement besoin de plus de sous-marins pour assurer ses missions. Mais faut-il simplement augmenter le nombre de SNA de la classe Suffren, ou existe t il une solution plus efficace pour la France ?

Un raisonnement comparable peut s’appliquer à la flotte sous-marine. En effet, plutôt que de commander 2 SNA classe Suffren supplémentaires, ce qui sans le moindre doute aura la préférence de la Marine Nationale, il pourrait être bien plus pertinent de commander un unique Suffren supplémentaire, et 3 nouveaux sous-marins à propulsion conventionnelle AIP développés par Naval Group, qui seraient en charge de la protection des accés notamment aux arsenaux, mais également d’évoluer dans des mers étroites ou fermées, comme la Mer du Nord, la Baltique ou la Mer Egée. En effet, si le groupe français a pu s’appuyer sur un contexte favorable pour la commercialisation de ses sous-marins Scorpene dans les années 90 et 2000, bien que ceux-ci n’étaient pas en service au sein de la Marine Nationale, il est des plus hardis de penser qu’il pourrait en être de même pour les sous-marins conventionnels de nouvelle génération, alors même que la concurrence internationale s’est considérablement durcie avec l’arrivée des sous-marins chinois, sud-coréens et même japonais dans les compétitions internationales. Or, la vente de sous-marins conventionnels à l’export représente depuis deux décennies la plus importante activité internationale de Naval Group, et la perdre pourrait menacer à terme la pérennité de ce savoir-faire indispensable à la dissuasion française. Enfin, cette approche pourrait être appliquée pour l’extension de la capacité aéronavale embarquée de la Marine Nationale, dans l’attente de l’entrée en service du remplaçant du PAN Charles de Gaulle prévue pour 2038, en s’appuyant sur une nouvelle classe de porte-avions d’escorte plus légers et dotés de tremplin. Cette hypothèse avait déjà fait l’objet d’un article détaillé.

Armée de l’Air et de l’Espace

Si pendant de nombreuses années, l’Armée de l’Air française fut la plus gourmande de crédits d’équipement, avec l’arrivée des avions Rafale mais également le developpement du programme A400M et du programme A330MRTT, elle est aujourd’hui, paradoxalement, à la fois la plus handicapée et la plus sollicitée du point de vu opérationnel. Ainsi, Elle s’est vu priver de 24 de ses avions Rafale pour les contrats exports français en Grèce et en Croatie, alors même que la chaine de production de l’appareil de Dassault Aviation tourne déjà à plein régime pour répondre à un carnet de commande export bien rempli. De même, elle vient de perdre ses Mirage 2000C, alors qu’une partie de sa flotte de Mirage 2000-D est en cours de modernisation. Surtout, elle est contrainte par un format définit en 2013 par le Livre Blanc de La Défense, qui vise une flotte de chasse de 185 appareils, bien inférieure à celle dont elle a besoin dès aujourd’hui.

Un A330 MRTT de lArmee de lAir accompagne dun Rafale B dun mirage 2000 5 et dun mirage 2000D Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
Rafale, Mirage 2000-5 et D et A330MRTT constituent l’avenir des forces aériennes tactiques et stratégiques

Hypothèse probable

Ce contexte n’aura pas échappé à l’exécutif français, et il est plus que probable qu’un effort particulier sera consenti pour non seulement accélérer les livraisons d’avions Rafale à destination de l’Armée de l’Air et de l’Espace dans les années à venir, mais également en augmentant le format final visé, probablement autour de 250 appareils, voire plus. En tout état de cause, il serait nécessaire de fournir à l’Armée de l’Air entre 12 et 18 nouveaux Rafale par an dans les années à venir, de sorte à recapitaliser rapidement les forces de chasse française, et ses capacités d’intervention. Dans le même temps, on peut s’attendre à ce que certains aspects du programme SCAF, qu’il soit ou non maintenu, soient accélérés, comme la conception des drones aéroportés Remote Carrier. Il sera également indispensable d’accroitre la flotte de transport, en l’occurence en commandant de nouveaux A400M dans l’attente du developpement d’un éventuel A200M tactique européen, et de remplacer les E3 Sentry qui arrivent en limite d’âge et d’efficacité, soit par un appareil de facture national basé sur l’avion A330M, soit en se tournant vers une solution sur étagère, probablement l’E7 Américain récemment sélectionné par l’US Air Force et la Royal Air Force. Enfin, on peut s’attendre à ce que le nombre de batteries de système antiaérien SAMP/T Mamba soit augmenté, probablement doublé, et l’on peut espérer qu’un arbitrage soit enfin fait pour ce qui concerne l’acquisition ou le developpement d’un hélicoptère lourd.

Hypothèse alternative

Reste que le seul Rafale, y compris dans ses versions itératives à venir F4/F5/F6, atteindra relativement rapidement ses limites face à l’arrivée d’appareils évolués comme le Su-57 russe, ou les J-20 et J-35 chinois. Que le programme SCAF soit ou non maintenu, il semble désormais indispensable de concevoir une solution technologique permettant à l’Armée de l’Air, mais également à l’aéronautique navale embarquée, d’assurer une transition efficace. Nous avions déjà abordé l’hypothèse du Super-Rafale, qui semble de plus en plus se profiler comme une solution alternative au SCAF si celui-ci venait à échouer. Mais l’approche présentée par Dassault Aviation semble encore plus pertinente que celle envisagée, en s’appuyant sur un Super Rafale d’une part, et sur un drone de combat lourd de type Loyal Wingman basé sur le démonstrateur NEUROn. Dans les faits, une telle approche permettrait en effet de répondre à l’immense majorité des scénarios opérationnels présents et à venir, y compris pour la suppression des défenses adverses anti-aériennes. Surtout, du point de vu commercial, elle permettrait de positionner le nouvel avion sur un marché très prometteur, en proposant pour le prix de deux chasseurs monomoteurs, un couple basé sur un chasseur moyen à très hautes capacités, et un drone de combat lourd.

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Le Neuron semble revenir sur le devant de la scène en cas d’échec du SCAF

En d’autres termes, pour les forces aériennes en mal de masse, cette approche permettrait de se doter d’une force aérienne numériquement équivalente à celle d’une flotte de chasseurs monomoteurs comme le F-16V ou le Gripen E, tout en bénéficiant de capacités inaccessibles à celles-ci, tant dans le domaine de la pénétration, que de la défense aérienne, de la suppression ou du renseignement. En outre, si le Super Rafale serait naturellement conçu pour opérer en tandem avec ces drones, les futurs évolutions du Rafale F5 ou F6 pourraient, elles aussi, permettre de coopérer avec des appareils, peut-être sous la forme d’un binôme là ou le Super Rafale pourrait en contrôler 3 ou davantage simultanément, de sorte à proposer aux clients existants du Rafale une plus-value valant largement les capacités offertes par le F-35A. D’autre part, contrairement au Mirage NG évoqué dans un précédent article, un drone de combat de type NEUROn pourrait lui s’appuyer sur le turboréacteur M88 sans qu’il soit nécessaire de developper un nouveau moteur à court terme. De fait, que le programme SCAF soit ou non maintenu, la proposition présentée par Dassault Aviation et la Team Rafale mérite une attention particulière, d’autant que même si Paris et Berlin parvenaient à trouver un compromis acceptable politiquement et industriellement, il est désormais acquis que le nouvel appareil ne pourrait voir le jour avant 2045 ou 2050, soit bien au delà de la limite d’efficacité optimum des évolutions du Rafale.

Conclusion

On le voit, les besoins sont très importants pour les 3 armées, afin de répondre aux nouveaux enjeux sécuritaires et stratégiques qui se sont dessinés ces dernières années. Toutefois, au delà de la réponse immédiate aux urgences opérationnelles, il serait pertinent de systématiquement mettre en perspective les besoins des armées avec les objectifs de pérennité de l’industrie de défense, et donc ses capacités à rester pertinente et attractive sur le marché international dans les années et décennies à venir. Et parfois, dans ce domaine, le mieux est l’ennemi du bien, et les aspirations immédiates des Etats-majors face à des urgences opérationnelles à court terme s’opposent à une vision stratégique à moyen terme intégrant la pérennité de l’industrie de défense. Rappelons nous, à ce titre, qu’au début des années 90, l’ensemble de l’Etat-Major de la Marine Nationale s’était rangé en faveur de l’acquisition de F/A-18 Hornet d’occasion auprés de l’US Navy, plutôt que de commander les Rafale français, jugés trop chers et impliquant des délais de livraison plus élevés. Et de se demander où serait Dassault Aviation et le Rafale aujourd’hui fleuron des exportations françaises, si le Ministère avait cédé aux demandes des amiraux français.

La Turquie lance la compétition pour la motorisation de son avion de combat TF-X de nouvelle génération

Lors du salon du Bourget de 2019, la maquette présentée par la Turquie du programme TF-X visant à developper une nouvel avion de combat moyen aux caractéristiques proches de la 5ème génération, avait fait sensation, d’autant qu’elle semblait alors bien plus aboutie que celle présentée en grande pompe par la France, l’Allemagne et l’Espagne concernant le programme SCAF. Toutefois, entre les conséquences de crise Covid, et surtout des sanctions occidentales contre Ankara suite aux interventions turques en Syrie et Libye, à ses provocations en Méditerranée Orientale, et surtout à l’acquisition d’une batterie S-400 auprés de la Russie, portèrent un coup sévère aux ambitions industrielles de défense du pays et de son président R.T Erdogan. Celui-ci a en effet fait du renouveau de l’industrie de defense turque un marqueur politique de son action. Plusieurs programmes majeurs furent ainsi lourdement handicapés, notamment en raison du refus des sociétés européennes et américaines de livrer des systèmes de motorisation, que ce soit pour les frégates et corvettes du programme MILREM, des hélicoptères T-129 et T-629, du char de combat Altay ainsi que du programme phare de cet effort, le TF-X.

Initialement, les prototypes du nouveau chasseur devait être équipés de turboréacteurs F-110 de l’américain General Electric, identique à celui qui propulse les F-16 Block 50 qui équipent les forces aériennes turques et qui sont produits localement sous licence depuis 30 ans par la société TUSAS. Pour la propulsion des appareils de série, le F-110 était également considéré, mais Ankara s’est également rapproché dès 2015 du britannique Rolls-Royce pour une production locale avec transfert de technologie d’un turboréacteur dérivé de l’Eurojet EJ-200-A1 qui équipe les Eurofighter Typhoon. Toutefois, en 2017, soit bien avant les sanctions occidentales, les négociations entre le motoriste britannique et la Turquie furent abandonnées, les positions des deux protagonistes étant jugées trop éloignées pour aboutir. La mise sous sanction d’Ankara à la fin de l’année 2019, en particulier concernant les turboréacteurs américains, infligèrent un coup d’arrêt au programme TF-X, et même si les autorités turques annonçaient en public qu’elles pouvaient se tourner vers d’autres partenaires, comme la Russie, la réalité était bien plus contraignante. Dans ce contexte, la guerre en Ukraine permit à Ankara de débloquer la situation.

TF X Le Bourget Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire | Etats-Unis
La maquette du TF-X avait fait sensation en juin 2019 lors du salon du Bourget

En effet, par ses positions fermes contre la Russie perçues comme rassurantes par les occidentaux, Ankara parvint à adoucir les positions de certains d’entre eux. Ainsi, les négociations avec le britannique Rolls-Royce reprirent quelques semaines à peine après le début du conflit, alors que les autorités turques revirent à la charge avec l’appui de Rome pour tenter d’obtenir l’accord de Paris concernant des transferts de technologies concernant le système anti-aérien à moyenne portée SAMP/T Mamba et le missile Aster. Mais ce furent très probablement les demandes d’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande qui permirent à Ankara de faire évoluer les positions américaines, même si officiellement, il n’y eut aucune négociation liant les deux sujets. Quoiqu’il en soit, il n’est guère surprenant que la compétition concernant la motorisation du programme TF-X ait été lancée cette semaine, à peine deux semaines après qu’Ankara ait levé son veto sur l’adhésion des deux pays scandinaves à l’Alliance Atlantique.

Selon le directeur de l’agence de l’armement turque, Ismael Demir, deux sociétés turques auraient déjà répondu à la demande de quotation concernant ce programme, la société TUSAS qui produit le F-110 de General Electric, et TRMotor, une filiale de TUSAS créée en 2017. En outre, une troisième proposition émanant du groupe TEAC, un partenariat entre le conglomérat industriel turc Kale Group (51%) et le britannique Rolls-Royce (49%) va prochainement être transmise. La demande de cotation impose plusieurs critères pour cet appel d’offre, avec une production intégrale des moteurs en Turquie, l’absence de restriction à l’exportation, ainsi que l’intégralité de la propriété intellectuelle détenue par la Turquie. Toutefois, il est très improbable que Rolls-Royce comme General Electric ne répondent favorablement à ce dernier point, alors que l’industrie turque est dans l’incapacité de developper un turboréacteur d’avion de combat par elle-même, ni même avec l’aide d’industries tiers comme la Russie ou l’Ukraine, parfois envisagée.

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Rolls-Royce propose de motoriser le TF-X avec une variante de l’EJ-2000 qui équipe les Eurofighter Typhoon

Reste que la reprise du programme TF-X ne constitue probablement qu’une première étape pour l’industrie de défense turque, qui voit encore nombre de ses programmes handicapés par les sanctions occidentales. Il est probable que dans les semaines et mois à venir, d’autres annonces allant dans le même sens, portant sur les F-16 Block70 demandés par Ankara, mais également sur la reprise des programmes d’hélicoptères de combat, voire peut-être du char Altay au delà des accords trouvés avec la Corée du Sud, émergeront suite aux négociations « qui n’ont pas eu lieu » au sujet de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. Malheureusement, ces levées de sanction ne sont pas le fait d’un changement d’ambition ou de stratégie de la part des autorités turques, qui il y a quelques jours encore menaçait d’une offensive majeure dans le nord de la Syrie contre les forces kurdes, et qui continuent de faire croitre la tension en Mer Egée et autour de Chypre, mais d’une évolution de l’appréciation occidentale par effet de leurre face à la Russie. Il faudra très probablement que les pays qui soutiennent activement la Grèce et Chypre en Mer Egée, comme la France mais également l’Egypte et les Emirats Arabes Unis, fassent montre de la plus grande vigilance maintenant que les cordons de la bourse technologique défense vis-à-vis d’Ankara ont été détendus.