Alors que les politiques économiques ou agricoles européennes ont été pilotées avec l’aide de plusieurs indicateurs permettant un évaluation fine et équilibrée des efforts et objectifs communautaires, il est surprenant que dans le domaine, pourtant stratégique, de la construction de l’Europe de la Défense, il n’existe pas d’indicateurs autres que l’effort de défense en valeur absolue, et le rapport de cet effort sur le PIB de chaque état.
Pourtant, ces deux indicateurs sont à la fois imprécis et inefficaces. Ainsi, ils ne tiennent pas compte des réalités sociologiques, démographiques et économiques des pays. Dans le cas de l’Allemagne, par exemple, sa faible natalité endémique restreint le format des armées bien davantage que les contraintes budgétaires, tandis qu’en Pologne ou en Roumanie, c’est l’inverse. De même, le périmètre de ces indicateurs est très flou, avec pour conséquence de grande disparité entre les chiffres présentés par les états. Ainsi, la France ne décompte pas les forces de gendarmerie par exemple dans son périmètre budgétaire Défense, alors que la Grèce et l’Italie les intègrent. Avec de telles faiblesses, ces indicateurs sont incapables de permettre un pilotage cohérent, équilibré et donc, fédérateur, de l’effort de construction de la Défense Européenne.
Lors de la conception du volet européen du Socle Défense, nous parvinrent à cette même conclusion, et dûmes concevoir nos propres indicateurs de pilotage. C’est ainsi que nous avons créé le diagramme DEED. Ce référentiel permet de synthétiser 5 coefficients pertinents relatif à l’effort de Défense dans le contexte propre à chaque pays, et donc de piloter une politique efficace et précise à l’échelon national et européen. C’est sur la base de ce travail que le présent article est bâti, et propose un nouveau référentiel basé sur 5 indicateurs thématiques, un diagramme et un indicateur de synthése.
1- Le Coefficient Démographique Défense ou CDD
Il représente l’effort démographique de l’état pour la Défense, à savoir le nombre de militaires en activité, vis-à-vis de la population « éligible à l’effort de défense », à savoir la population entre 18 et 35 ans. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans une plus grande précision, comme par exemple d’éliminer les personnes inaptes, car le taux d’inaptitude dans les pays de l’Union doit être sensiblement le même.
CDD = Nombre de militaires en activité / Population entre 18 et 35 ans.
Sont considérés militaires en activité tous les militaires de carrière, sous contrat, ou les appelés effectuant un service national supérieur à 10 mois, c’est à dire recevant une instruction militaire suffisante. Les fonctions de sureté et de sécurité (gendarmerie et pompiers hors base, douanes, garde cotes, sécurité civile) ne doivent pas être décomptées.
En France, le CDD est égal à 1,7%.
2- Le Coefficient Démographique Réserve ou CDR
Il représente l’effort démographique de l’état pour la Garde nationale, la Réserve opérationnelle ou la réserve technique, à savoir le nombre de militaire de réserve vis-à-vis de sa population « éligible à l’effort de réserve», à savoir la population entre 18 et 50 ans. Comme pour le CDD, nous n’entreront pas le détail de l’aptitude.
CDR= Nombre de Réservistes opérationnels / Population entre 18 et 50 ans.
Sont considérés réservistes opérationnels tous les réservistes des forces armées effectuant une période d’entrainement supérieure ou égale à 30 jours par an, ou les appelés effectuant un service national supérieur à 3 mois et inferieur à 10 mois. Les fonctions de sureté et de sécurité (gendarmerie et pompiers hors base, douanes, garde cotes, sécurité civile) ne doivent pas être décomptés.
En France, le CDR est égal à 1,6 pour mille.
3- Le Coefficient d’Equipement des Forces ou CEF
Il représente l’effort annuel de l’état pour équiper ses militaires en matériels neufs et modernes. Il est défini par le rapport entre les investissements annuel consacré à l’acquisition d’équipements militaires, et le nombre de militaires mobilisables, à savoir le nombre de militaires en activité additionné du nombre de réservistes opérationnels divisé par 4, chaque réserviste étant considéré comme étant employable dans la durée 3 mois par an.
CEF = Somme Investissements annuels Equipements Défense / Nombre de militaires en activité + (Nombre de réservistes opérationnels / 4)
Seuls les équipements militaires sont considérés. En France, il se compose des crédits consacrés aux programmes à effet majeur, et aux crédits s’équipements consacrés à la mission de dissuasion. Le CDF français est égal à 34 000 € par militaire et par an.
4- Le Coefficient d’Efficacité Opérationnelle ou CEO
Le CEO représente l’effort de maintient en condition opérationnelle des équipements des armées. Il est égal au rapport entre les investissements annuels consacré au maintien en condition opérationnels des équipements et la somme modérée de la valeur des équipements en parc.
Cette valeur est égale à la somme des valeurs des équipements en parc par un coefficient de modération relatif à l’âge de l’équipement tenant compte de l’inflation et du surcout lié à l’âge de l’équipement.
Si âge > 30 ans alors Cm = 2
Si âge > 20 ans alors Cm = 1,75
Si âge > 15 ans alors Cm = 1,5
Si âge > 10 ans alors Cm = 1,25
CEO = Valeurs des Investissements MCO annuels / Sommes des valeurs modérés équipements en parc
Seuls les équipements majeurs sont prix en compte. En France, ils se composent des équipements des programmes à effet majeur, et des équipements participants à la mission de dissuasion.
En France, le CEO est égal à 35.700 € par million d’euro de valeur.
5- Le Coefficient d’Aguerrissement des Forces ou CAF
Dernier indicateur du diagramme thématique, le CAF représente l’effort des armées pour disposer de forces entrainées et aguerries. Il se compose du rapport entre le nombre de jours d’entrainement et d’opérations annuel enregistré par l’ensemble des forces (modéré), et le nombre de militaires en activité additionné du nombre de Réservistes opérationnels divisé par 4, comme pour le CEF.
Il s’agira de l’indicateur requérant le plus de travail pour être construit. En effet, le nombre de jours d’entrainement ne peut se résumer à la simple addition des jours de stages et d’entrainement des militaires. Il se compose comme suit :
1 jour d’entrainement ou de stage technique/opérationnel = 1
1 jour d’opération OPINT ou en maintient de la paix = 1,5
1 jour d’opération zone de conflit = 2
1 jour de mer entrainement = 1 jour
1 jour de mer en zone opérationnelle : 1,5 jours
1 heure de vol d’entrainement = 1
1 heure de vol en zone opérationnelle : 2
CAF = Nombre de jours d’entrainement modéré / Nombre de militaires en activité + (Nombre de réservistes opérationnels / 4)
D’après les chiffres disponibles pour la France, le CAF devrait se situer autour de 110 jours par an par militaire.
6- Le Diagramme d’Evaluation de l’Effort de Défense ou DEED
Les 5 indicateurs définis, nous disposons désormais d’informations à la fois utiles et précises pour évaluer la composition de l’effort de défense de chaque pays, et donc de piloter une politique européenne visant é corriger les déséquilibres et à optimiser les ressources.
Toutefois, du point de vue politique, la manipulation de 5 indicateurs en terme de communication n’est pas adaptée. C’est pour cela que nous allons ajouter 2 éléments à notre démonstration : un diagramme graphique, et un indicateur synthétique.
Comme vous le constatez, il n’est pas aisé de rassembler des données aussi disparates que 1,6 pour mille et 35 000 Euro par an et par militaire. Pour résoudre ce problème, nous allons procéder à une correction d’échelle entre les valeurs. Dans le tableau ci dessous, chaque coefficient est multiplié/divisé par un coefficient d’échelle propre, de sorte à ce que les valeurs de sortie soient comparables. Certes, les valeurs ainsi crées perdent de leurs substances, et ne doivent pas être considérés en tant que telle, mais le graphique ainsi créé gagne en clarté et il sera aisé de comparer les états entre eux.
Dans le tableau ci dessus, nous avons défini le coefficient d’échelle de sorte à ce que la valeur optimum soit 50. Nous constatons que la France est très performante en matière d’aguerrissement, et que sa composante Réserve est particulièrement sous-dimensionnée. Le graphique permet de prendre en rapidement en compte les ponts faibles et forts de notre effort de Défense.
L’échelle choisie dépendra des objectifs d’efficacité définis par les états-majors, et par les instances dirigeantes européennes. Les valeurs proposées n’ont qu’un rôle de démonstration.
7- Le Coefficient d’Effort de Défense, le CED
Comme déjà abordé, la manipulation publique de nombreux indicateurs n’est pas très indiquée. C’est la raison pour laquelle, en complément du DEED, un indicateur synthétique peut être créé, égal à la somme des valeurs modérées divisé par 5 (le nombre d’indicateurs thématiques), rapporté à la valeur de référence (50 dans notre modèle)
Dans notre démonstration, le CED France est égal à 37,64 / 50
Conclusion
L’approche proposée à pour objectif d’ouvrir le débat concernant la question des indicateurs clés utilisés à l’échelle politique pour piloter à la fois les questions de défense, et les relations internationales. Il est possible d’accroitre la pertinence des indicateurs, voir de les spécialiser / synthétiser, de sorte à permettre une gestion simultanément macro-stratégique et micro-stratégique, sans complexifier les messages politiques. En revanche, même si l’indicateur des investissements défense ramenés au PIB représentait, en 2014, le seul indicateur susceptibles de fédérer l’ensemble des membres de l’Alliance Atlantique dans un effort commun pour relancer les investissements de Défense, la situation stratégique et géopolitique en Europe aujourd’hui ne permet plus de se satisfaire d’une approche aussi « grossière ».
Comme le montre l’actualité récente, l’effort de Défense sur la base du PIB ouvre la voie à une certaine forme d’instrumentalisation ne répondant pas à des réalités stratégiques, alors qu’il est indispensable que les européens consolident conjointement leurs capacités défensives sur la base d’indicateurs efficaces et performants. Reste à voir si les dirigeants, qu’ils soient européens ou alliés, accepteront de faire les efforts nécessaires pour mettre en oeuvre de tels indicateurs…
Article publié initialement sur LinkedIn en Février 2018.
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