vendredi, décembre 5, 2025
Accueil Blog Page 149

Azerbaïdjan, Turquie, Chine : Les risques des conflits d’opportunité croissent sur les incertitudes en Ukraine

En attaquant l’Ukraine en février 2022, la Russie aura non seulement mis en péril la paix et la sécurité en Europe, mais dans le monde entier. En effet, de nombreux conflits latents, contraints par l’action conjointe de Moscou et des capitales européennes et américaines, émergent à nouveau, au point que l’on peut craindre de voire surgir des conflits majeurs à plusieurs endroits du globe, certains pouvant potentiellement mettre encore plus à mal les difficiles équilibres économiques sur lesquels l’occident est bâtie. Ces derniers jours, certains de ses théâtres se sont embrasés, ou montrent des signes de tensions de tension extreme, alors que les armées russes subissent une pression sans équivalent de la part des forces ukrainiennes soutenues par les livraisons de materiels militaires occidentaux. Quels sont ces conflits à risque, et quelles peuvent être leurs conséquences sur les équilibres internationaux déjà sévèrement fragilisés ?

Reprise de combat dans le Haut Karabakh

Depuis quelques semaines, peu de temps après le redéploiement vers l’Ukraine d’une partie des troupes russes positionnées en Arménie afin de tenir à distance les belligérants arméniens et azerbaïdjanais suite à la guerre de 2020, les tensions entre Yerevan et Bakou repartirent à la hausse. Rappelons qu’à l’automne 2020, les troupes azerbaïdjanaises avaient sévèrement surclassé les défenses arméniennes du haut-karnabakh et repris l’essentiel de ce territoire contesté depuis le début des années 90. Epaulées par des conseillés turcs et bénéficiants de materiels évolués livrés par Israel, les armées azerbaïdjanaises avaient ainsi balayé les défenseurs arméniens, et auraient probablement pu pousser leur avantage bien au delà du seul Haut-Karabakh dans l’intervention ferme de Moscou, imposant une Pax Ruskova de fait dans la région. Depuis les troupes russes étaient parvenues à tenir à distance les belligérants, sans pour autant parvenir à apaiser la situation.

Russian Peacekeepers Nagorno Karabagh Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le déploiement des forces russes et l’intervention du président Poutine permirent de mettre fin au conflit de 2020 dans le Haut-Karabakh

Le retrait d’une partie des troupes russes déployées en Arménie et le long de la ligne de démarcation, ainsi que l’affaiblissement relatif de l’aura de puissance de l’Armée russe toute entière suite au conflit en Ukraine, auront très probablement fini de convaincre les belligérants de maintenir le statu quo, de violents échanges d’artillerie ayant fait au moins 49 morts cotés arméniens ayant eut lieu la nuit dernière. Si Bakou et Yerevan se rejettent la responsabilité de cette dégradation, force est de constater que l’Arménie n’avait aucune raison de ranimer le conflit, ses armées ayant été largement entamées par le conflit de 2020, sans qu’elles aient pu compenser leurs pertes et renouveler leurs équipements militaires depuis. A l’inverse, les armées azerbaïdjanaises avaient préservé l’essentiel de leurs capacités militaires par ailleurs très supérieures à celles dont disposaient les arméniens en 2020, et purent maintenir leurs efforts de modernisation ces deux dernières années, profitant de la manne que représentent les recettes liées aux exportations de pétroles de la Mer Caspienne.

De par son éloignement et sa position géographique, ce conflit a peu de chances d’influencer significativement les échanges économiques mondiaux, ce d’autant que le PIB de l’Arménie ne représente aujourd’hui que 0,5% du PIB d’un pays comme la France. Toutefois, la diaspora arménienne est importante en Europe, particulièrement en France, en Russie, en Allemagne et aux Etats-Unis, et représente un poids politique significatif dans ces pays. Si le conflit venait à s’étendre, eu égard aux évolutions des prises de positions occidentales bien moins timorées ces derniers mois avec la guerre en Ukraine, il est possible que les occidentaux fassent bien davantage pression sur Bakou qu’ils ne le firent en 2020, y compris avec le soutien paradoxal de Moscou. Reste que le principal soutien de l’Azerbaïdjan, la Turquie, est elle aussi engagée dans un bras de fer avec les européens, en menaçant la Grèce. Il est donc possible que ce Conflit s’inscrive dans un schéma plus large pouvant potentiellement déstabilisé l’ensemble du Caucase, par lequel transit de nombreuses ressources vers l’Europe.

Tensions extrêmes entre Ankara et Athènes

Après un épisode de normalisation apparente des relations entre Ankara et l’Occident, le Président Erdogan a, depuis quelques semaines, relancé le cycle de tensions avec son voisin grec, en annonçant d’une part la reprise des explorations minières maritimes à proximité de Chypre, ce qui avait été à l’origine des tensions d’il y a 2 ans, mais également en multipliant les provocations autours des iles grecques de la Mer Egée, notamment concernant les iles les plus proches des côtes grecques, comme Lesbos. Depuis son accession au pouvoir, Erdogan a effet à plusieurs reprises répétés son ambition de redonner à la Turquie ses frontières de 1905, avant qu’elles ne perdent certains territoires à la suite de la première guerre mondiale, notamment ces iles proches de ses cotes. Pour les autorités turques, ces iles, et le droit qu’elles confèrent aux autorités grecques sur la Mer Egée et l’espace aérien qui le surplombe, est perçu comme un héritage inadmissible et injuste, limitant ses propres accès à certaines ressources certaines capacités d’action.

Mirage2000 mica IR grece Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
la Chasse grecque intervient régulièrement pour intercepter des F-16 turcs ayant pénétré dans la Zone d’authentification aérienne héllénique

De fait, depuis quelques semaines, Ankara a renoué avec les provocations contre les forces aériennes helléniques, envoyant des avions de combat dans ce que seule la Turquie considère comme l’espace aérien international, provoquant naturellement l’intervention de la chasse grecque, et éventuellement de sa défense anti-aérienne. La semaine dernière, le président Erdogan prétexta de l’intervention des appareils grecs contre ses avions de combat pour menacer Athènes d’une intervention militaire dans préavis contre les iles de la Mer Egée, dans un discours d’une rare intensité ces dernières années. Il est vrai que d’une part, le parti du président Erdogan est en mauvaise posture dans les sondages alors que des élections cruciales auront lieux l’années prochaine, et que d’autre part, la Turquie n’est guère parvenue à convertir ses postures plus souples de ces derniers mois afin de lever les sanctions américaines et européennes les plus critiques, notamment pour ce qui concerne certaines technologies de defense. Enfin, Ankara peut considérer que du fait des tensions qui opposent l’Europe et la Russie en Ukraine, les grandes capitales européennes ne réagiraient que peu en cas de conflit limité pour quelques iles de la mer Egée.

orus reis Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le navire d’exploration minière Orus Reis devrait entreprendre une nouvelle campagne de recherche dans les eaux de Chypre, ce qui créera, dans le moindre doute, de nouvelles tensions avec la Marine Hellénique

Reste que si un conflit devait éclater entre Ankara et Athènes, les conséquences pourraient être très significatives. Si sur le papier, Ankara dispose d’un avantage numérique certain, Athènes dispose, de son coté, de certains atouts technologiques importants, comme l’arrivée de chasseurs Rafale, ou ses sous-marins Type 214, ainsi que d’un allier de taille, la France, susceptible de profondément entamer la supériorité militaire turque supposée, ce d’autant que le porte-avions Charles de Gaulle vient de terminer une période d’entretien, et qu’il sera, avec son groupe aéronaval, prêt à reprendre les opérations d’ici quelques semaines, après avoir requalifié les pilotes. D’autre part, Athènes a lié des liens privilégié avec l’Egypte et les EAU, précisément pour contenir la montée en puissance de la Turquie, mais également pour protéger les flux économiques transitant en Méditerranée orientale, stratégiques pour l’Europe mais également pour les pays bordant cette mer. Si depuis les dernières déclarations belliqueuses de son président, la Turquie n’a montré aucun signe de préparation particulier en vue d’un conflit, il est toutefois probable que la prochaine campagne du navire d’exploration minière Orus Reis mettra à nouveau sous tension cette region, alors qu’il semble bien qu’une simple étincelle suffise à provoquer une explosion de violence.

La crainte d’une attaque opportuniste de Taiwan

Comme nous l’avions déjà abordé, la Chine, et son Armée Populaire de Libération, ne seront pas prêtes à mener une action décisive contre Taiwan avant plusieurs années, n’ayant ni les moyens aériens ni navals pour entreprendre sereinement une action militaire d’une telle ampleur avant 2030 voire 2035. Cela n’empêche pas le Pentagone, et les services de renseignement américains, d’être sur le qui-vive, en particulier du fait de l’intérêt tout particulier que semblent porter les autorités chinoises aux stocks d’équipements de défense américains, plus spécifiquement ceux largement entamés par le soutien à l’effort de guerre ukrainien, et de craindre que Pékin n’estime disposer d’une fenêtre d’opportunités potentielle pour s’emparer de Taiwan, potentiellement accentuées si les tensions venaient à croitre en Europe face à la Russie.

US Navy Task force Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
L’US Navy dispose désormais en permanence de 2 groupes aéronavals dans le Pacifique

Reste que même si ces paramètres sont importants, et s’il est naturellement indispensable de se prémunir contre de telles hypothèses, celles-ci demeurent peu probables. En effet, le soutien apporté par les Etats-Unis à l’Ukraine concerne avant tout des stocks appartenant à l’US Army, en particulier de l’armement d’infanterie et des systèmes d’artillerie. En revanche, une hypothétique offensive chinoise pour s’emparer de Taiwan mobiliserait d’abord et avant tout les moyens de l’US Navy, de l’US Air Force et de l’US Marines Corps, dont les stocks de munitions et les moyens n’ont que très peu été entamés par la guerre en Ukraine. En revanche, si la situation venait à se tendre en Europe, nécessitant le déploiement de moyens aériens et navals américains supplémentaires, ou si d’autres conflits venaient à émerger dans le monde en menaçant directement certaines routes commerciales ou certains approvisionnement stratégiques, le déploiement de moyens américains supplémentaires pourraient effectivement ouvrir une telle fenêtre d’opportunités pour Pékin. Mais sachant que Washington est parfaitement conscient des enjeux, il est peu probable que le dispositif militaire et naval américain dans le pacifique et l’Ocean Indien soit appelé à être diminué pour redéploiement dans les années à venir, bien au contraire.

Conclusion

Au delà de ces conflits opportunistes les plus évidents, de nombreux autres tensions et conflits latents peuvent reprendre de la vigueur du fait des conséquences de la crise en Ukraine, et ce sur tous les continents, y compris en Europe (Serbie/Kosovo). Certains d’entre eux, comme les tensions qui opposent l’Iran à ses voisins et à Israel sur fonds de programme nucléaire, ou comme les tensions entre la Corée du Nord et ses voisins, alors que Pyongyang a annoncé qu’il se réservait le droit d’utiliser ses armes nucléaires en première intention, revêtent également des caractères très préoccupants, mais paraissent moins exposés aux conséquences de la guerre en Ukraine dans leurs developpement. Quoiqu’il en soit, on ne peut désormais plus ignorer le fait que le monde est devenu, en quelques années, bien plus dangereux, et que les risques de voir apparaitre des conflits majeurs, qu’ils soient opportunistes ou le fruit d’un processus lent, sont incontestablement très élevés et sans commune mesure avec ce qui prévalait il y a encore de cela quelques années.

Paradoxalement, il semble également que l’affaiblissement relatif de la Russie, suite aux nombreuses pertes enregistrées en Ukraine mais également aux sanctions occidentales, accentue sensiblement cette instabilité et ces risques, en particulier concernant le Caucase et le Moyen-Orient. En outre, l’isolement du pays sur la scène internationale, que l’on peut qualifier de relatif du point de vue de la représentativité démographique, mais qui l’est beaucoup moins des lors que l’on parle d’économie et de technologies, semble pousser Moscou à réviser sa politique d’alignement internationale concernant des pays comme la Corée du Nord ou l’Iran, avec à la clé, on peut le craindre, un réarmement technologique significatif de ces pays, et une profonde évolution des équilibres militaires régionaux les entourant. Reste à voir dans quelles mesures les occidentaux, voire les chinois, seront en capacité ou auront la volonté de compenser le retrait russe pour empêcher l’extension de ces conflits, et pour neutraliser la rupture de statu quo que pourrait engendrer la livraison d’armements russes à Téhéran et Pyongyang.

Pour l’US Air Force, c’est désormais F-35 toutes !

Il y a tout juste 3 ans, sous l’impulsion du directeur des acquisitions de l’époque, le Dr Will Roper, l’US Air Force s’engageait dans une approche industrielle très audacieuse, basée sur des programmes courts et limités, davantage de compétition entre les industriels, ainsi que des cycles de vie raccourcies pour ses materiels volants. Ce modèle avait par ailleurs séduit l’état-major américain, qui y voyait le moyen de résoudre ses problèmes de couts relatifs concernant la mise en oeuvre d’une flotte de F-35 au delà de 1200 unités, en s’appuyant sur des appareils moins évolués mais aux performances plus adaptées comme le F-15EX de Boeing, ou des appareils nouveaux moins onéreux que l’avion de Lokcheed-Martin mais capables de prendre la relève des F-16 actuellement en service, et qui auraient été développés dans le cadre du programme NGAD. Avec le changement d’administration suite à l’élection de Joe Biden, l’ensemble de ces approches furent jetées aux orties, parfois sans ménagement, par le nouveau Secrétaire à l’Air Force, Franck Kendall.

Ainsi, il ne fut rapidement plus question de faire du programme NGAD le réceptacle technologique de développements multiples et itératifs, comme proposé par Roper, mais de recoller à l’approche traditionnelle de l’Air Force, c’est à dire le developpement d’un appareil haut de gamme très complexe et très onéreux, destiné à remplacer, d’ici le début de la prochaine décennie, le F-22 Raptor. Quant à un éventuel remplaçant du F-16 reprenant les atours de la 5ème génération, mais sans les contraintes de maintenance du F-35, l’idée s’évapora le jour même de la nomination de Kendall à son poste par Joe Biden. Celui-ci avait en effet annoncé, lors de son audition devant le Sénat préalablement à sa nomination, que selon lui, le F-35 était la solution de prédilection pour l’US Air Force, et que les problèmes de couts de possession mis en avant par les études mais également par l’US Air Force elle-même, trouveraient leurs réponses par l’augmentation du format de la flotte.

F 22 Raptor Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le remplacement du F-22 doit débuter au début de la prochaine décennie, par l’appareil conçu dans le cadre du programme Next Generation Air Dominance ou NGAD

Depuis, un bras de fer feutré tripartite s’était engagé entre l’état-major de l’US Air Force d’une part, Franck Kendall de l’autre, et avec le Congrès américain comme arbitre. Ainsi, ces deux dernières années, le Pentagone réclama une baisse des commandes de F-35A, mais également une hausse des commandes de F-15EX, l’appareil étant jugé mieux adapté pour répondre aux besoins immédiats, notamment dans le Pacifique. Ainsi, en 2023, seuls 33 F-35A seront commandés, ainsi que 24 F-15EX, alors que le taux de renouvellement de la flotte exige un rythme de 76 appareils neufs livrés par an, ne serait-ce que pour maintenir le format de chasse de l’US Air Force à 1800 appareils. Mais il semble bien que dans cette confrontation à fleurets mouchetés, le Politique soit en train de prendre l’ascendant sur l’opérationnel. En effet, à en juger par les dernières déclarations de Franck Kendall, mais également du Lt Général Moore qui a récemment pris le poste de chef de la planification de l’Air Force, comme celles de Andrew Hunter, le remplaçant de Will Roper, il semble bien que pour l’US Air Force, l’avenir consistera à augmenter massivement les commandes et la flotte de F-35A.

Les événements récents ont largement contribué à cette évolution radicale. D’une part, la guerre en Ukraine marque également la fin de retrait de l’US Air Force des bases européennes, et même son inversion. En outre, le nombre de forces aériennes ayant fait le choix du F-35 ne cessant de croitre, l’appareil est devenu en quelques sortes le standard de fait de la chasse en Europe, obligeant l’US Air Force a rapidement déployer des escadrons équipés de ces appareils, et non de F-16, sur le vieux continent. Dans le même temps, l’excellence de fait de la programmation militaire chinoise, que ce soit dans le domaine naval comme aérien, constitue un challenge sans précédant pour l’US Air Force dans le Pacifique, Challenge contre lequel des appareils de la génération du F-16 ne sont pas taillés, ce d’autant que la majorité des cellules actuellement en service ont plus de 30 ans, là ou la Chine perçoit entre 50 et 100 avions de combat neufs par an. Dans ce contexte, il n’est pas suffisant de moderniser la flotte de chasse US à périmètre constant, il est également nécessaire de l’étendre, de sorte à pouvoir conserver un avantage opérationnel mais également politique sur ces deux théâtres stratégiques pour Washington.

F16CM 35TFW LiveAmo Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Malgré ses qualités, le F-16 demeure un appareil conçu au début des années 70, et qui atteint ses limites face aux appareils les plus modernes développés en Chine ou en Russie

Reste la question du financement des acquisitions, mais également de la maintenance. Ce problème est complexe et polymorphe, puisqu’il nécessite non seulement de doubler à minima l’enveloppe consacrée à l’achat de F-35A chaque année pour dépasser les 7 à 8 Md$ dans un budget qui doit, par ailleurs, financer de nombreux autres programmes tout aussi critiques pour les 4 armées américaines, mais également de dégager les ressources et les crédits pour mettre en oeuvre cette flotte, bien plus onéreuse et complexe que ne l’est une flotte de A-10, de F-15D ou de F-16. Pour ce dernier point, l’US Air Force a entrepris de vaincre les dernières réticences du Congrès pour retirer du service ses « Legacy Systems », des appareils issus de la guerre froide qui constituent aujourd’hui encore une composante notable de la flotte de chasse, comme la chasseur de char A10 Thunderbolt. Il est probable que les enseignements de la guerre en Ukraine, notamment les lourdes pertes enregistrées par les Su-25 russes comme ukrainiens, et le faible impact opérationnel de ces appareils pendant soviétiques du Warthog, finira de convaincre les plus réticents de parlementaires.

La question budgétaire est, en revanche, bien plus pressante et difficile à résoudre. Le dernier rapport de la GAO, l’équivalent américain de la cours des compte, a une nouvelle fois dénoncé les couts de maintenance excessifs du F-35 pour une disponibilité insuffisante. Il y a 3 ans, face à la levée de bouclier des parlementaires et des services de Will Roper, Lockheed-Martin et la technosphère F-35 s’étaient engagés à ramener le prix de possession du Lightning II au niveau de celui d’un F-16Block 52+, soit autour de 24.000 $ par heure de vol, contre plus de 38.000 $ à l’époque. Des progrès ont été réalisés, le prix de la maintenance ayant été ramené autour de 28.000 $, mais depuis une année, il semble qu’un planché de verre refuse de céder, empêchant les couts de diminuer au delà, avec le risque, selon la GAO, de voire les couts de maintenance de l’US Air Force croitre de 6 Md$ par an d’ici 2035 lorsque la parc de F-35A aura atteint son objectif. Désormais, il ne reste guère au constructeur américain que quelques artifices, comme l’augmentation du nombre d’heures de simulateurs, ou l’extension de la durée de vie de certaines pièces, pour tenter de faire baisser ce prix, qui restera probablement à ce niveau à l’avenir.

NGAD next gen air dominance USAF Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le NGAD sera un appareil très performant et très onéreux, plusieurs centaines de millions de $ par aéronef selon Kendall

Reste que face à la menace que représente désormais la Chine, la Russie mais également les conflits émergents et opportunistes, l’US Air Force n’a plus guère d’alternative que d’augmenter massivement, dans les années à venir, ses commandes de F-35A, ce d’autant que le NGAD tend à devenir un appareil encore bien plus onéreux destiné à des missions bien spécifiques comme la supériorité aérienne, et en aucun cas comme une alternative de masse. La solution viendra peut-être des efforts entrepris depuis plusieurs années afin de developper d’ici la fin de la décennie, une gamme de drones de combat susceptibles d’épauler efficacement le F-35, mais également d’en palier certaines déficiences. Evasif aux réponses directes qui lui sont posées par les journalistes sur ce sujet, Franck Kendall a toutefois précisé que ces drones prendront pleinement part dans l’effort de massification de l’US Air Force, dans une approche qui semble calquée sur celles de l’US Navy concernant les navires et sous-marins autonomes.

Eut égard aux données économiques et de planification actuellement disponibles, il est peu probable que l’US Air Force puisse retourner un format similaire au sien à la sortie de la guerre froide, lorsqu’elle alignait plus de 4500 chasseurs. Toutefois, la conjonction d’une augmentation maitrisée du nombre de F-35A vers 2000 ou 2200 appareils et d’un programme NGAD haut de gamme de quelques centaines d’appareils (le F-15EX étant de toute évidence destiné à se limiter à 80 appareils au final, loin des 240 initialement prévus), associés à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de drones de combat furtifs et autres Loyal Wingmen, pourrait bien permettre à l’US Air Force de révéler le défi capacitaire imposé par la Chine et la Russie dans les 3 décennies à venir. A supposer, bien évidemment, que Pékin et Moscou ne decident pas de faire de même, dans un calendrier comparable voire plus optimisé … Rappelons nous, en effet, qu’au 1er janvier 1949, les Etats-Unis étaient encore convaincus qu’il faudrait au moins 10 ans à l’Union Soviétique pour se doter de l’arme nucléaire. Moins de 9 mois plus tard, le 29 aout 1949, ils comprirent à quel point ils s’étaient fourvoyés.

LPM 2023 : 5 Quickwin technologiques pour renforcer les Armées françaises face à la Haute Intensité

Nous arrivons à la conclusion de cette série d’articles consacrés aux enjeux, risques et opportunités qui encadrent la conception de la prochaine Loi de Programmation Militaire. Ces derniers jours, par la voix du Ministre des Armées Sebastien Lecornu, certaines pistes ont été dévoilées quant aux objectifs prioritaires de cette LPM, comme le doublement de la réserve opérationnel (Hypothèse 1 de l’article « L »Armée de terre à la croisée des chemins »), et comme la réorganisation de l’effort industriel afin de renforcer l’autonomie stratégique du pays. Il est évident que la plus grande inconnue, à ce jour, demeure l’organisation, le financement et l’ampleur de cet effort, sujets qui donneront lieux à de nombreux débats et commentaires dans les semaines et mois à venir. Toutefois, au delà de cet effort global soutenu dans le temps, il existe, au sein des armées françaises, des opportunités technologiques qui permettraient d’accroitre sensiblement les capacités d’engagement dans un contexte de haute intensité, avec des couts et des délais réduits compatibles avec les objectifs et les moyens à courts termes dont elles disposeront probablement.

Dans cet article, nous étudierons 5 des ces opportunités qualifiées de quickwin, en tentant d’en évaluer l’efficacité par l’intermédiaire d’un indicateur unique, le Coefficient Multiplicateur Opérationnel ou CMO, synthèse des bénéfices opérationnels attendus vis-à-vis des investissements requis : un système de protection hard-kill pour le char Leclerc, un système CIWS pour les navires français, un Rafale de guerre électronique, un drone de combat sous-marin, ainsi que l’évolution du système de lancement vertical de missile SYLVER.

Système de protection Hard-Kill pour char Leclerc CMO x3

Qu’on le veuille ou non, il est plus que probable que l’Armée de Terre ne disposera, dans les 15 années à venir, que d’un nombre limité de chars de combat. Dans le meilleur des cas, comme évoqué précédemment, elle pourra espérer aligner 270 de ces blindés, soit une dotation presque 3 fois inférieures par division que les Armées polonaises ou américaines. En l’absence de programme intérimaire, ou d’acquisition sur étagère d’un modèle étranger, il n’existe aucune alternative évidente à cette faiblesse dimensionnante en matière d’engagement de haute intensité, comme l’ont largement démontrés les combats en Ukraine. Pour autant, à l’instar de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne faisant face aux mêmes contraintes, l’Armée de terre pourrait se tourner vers une solution technologique efficace pour compenser cette faiblesse, les systèmes de protection actifs Hard-kill, comme les célèbres Trophy et Iron Fist israéliens, ou ADS et TAPS allemands. Ce système permet en effet d’intercepter avec une très grande efficacité les menaces directes qui visent le char, comme les roquettes et missiles anti-chars, ainsi que les obus à faible vitesse initiale comme les obus à charge creuse. Ainsi, lors de leur premier déploiement de combat en 2011 dans les territoires occupés de Palestine, les chars Merkava israéliens équipés du système Trophy n’enregistrèrent aucune perte au combat, alors même que leurs APS avaient interceptés des dizaines de roquettes et de missiles antichars qui auraient gravement endommagés ou détruits les blindés visés.

Merkava MkIV M Trophy Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Les Merkava Mk-IV israéliens sont tous équipés du systèmes Trophy. Remarquez les radars de part et d’autres de la tourelle

Les APS actuels comme le Trophy ou l’Iron Fist, ne permettent cependant pas d’intercepter toutes les menaces. Ainsi, les missiles à trajectoire plongeante, les munitions vagabondes, les obus d’artillerie lourde et les obus flèches tirés par un autre char, restent hors de portée de ces APS, tout au moins dans leur version actuelle. Toutefois, le plus important conflit de haute intensité de ces 30 dernières années, la guerre en Ukraine, a permis de montrer qu’une majorité de chars et de véhicules de combat d’infanterie, qu’ils soient russes ou ukrainiens, ont été détruits par des missiles antichars et des roquettes en tir tendu, ceux-là même contre lesquels les APS Hard Kill sont les plus efficaces. En outre, les nouvelles versions des APS Hard-kill offrent des capacités de protection contre les menaces plongeantes comme le missile antichar Javelin ou les munitions vagabondes. A ce titre, le prototype KF51 Panther de Rheinmetall est doté d’un APS Hard-kill Active Defence System contre les tirs tendus et les menaces cinétiques (y compris les obus flèches), ainsi que du système hard-kill Top Attack Protection System (TAPS) pour les menaces plongeantes. Ainsi équipé, le char voit sa survivabilité croitre considérablement.

KF 51 Panther Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
le KF51 Panther de Rheinmetall dispose d’un APS Hard-Kill très évolué, basé sur l’ADS pour contrer les menaces cinétiques et le TAPS pour les menaces plongeantes

Le système Trophy israélien actuel offre un gain de survivabilité minimum de 2, puisqu’au moins un char sur deux en Ukraine a été détruit par des munitions contre lesquels le Trophy aurait été efficace. Par ailleurs, l’installation du Trophy sur un blindé existant est facturé 4 m$ en moyenne, tant pour le Leopard 2A7 que pour le Challenger 3. Dans le cas du Leclerc, le Coefficient Multiplicateur Opérationnel ou CMO, serait donc de 2 (gain de survivabilité) x 12(prix unitaire du char en m$) /(12 (prix unitaire du char en m$)+4(prix du Trophy installé), soit un coefficient multiplicateur de 1,5, 1 char équipé du Trophy équivaut donc 1,5 chars qui n’en seraient pas dotés. En revanche, cette vision ne vaut que pour ce qui concerne la différence entre un char neuf équipé du Trophy et un char neuf qui n’en serait pas doté. Dans le cas des Armées françaises, les chars ayant déjà été construits et financés, il n’est pas question de financer deux fois le même char. En d’autres termes, équiper les 200 chars Leclerc français destinés à la conversion MLU de systèmes Hard-Kill, donnerait une flotte de combat équivalente de 400 chars (+200 chars / survivabilité x2) pour le prix de 66 chars supplémentaires (200×4/12), soit un CMO de 200/66.66 = 3.

Système de protection antimissile pour navires de combat CIWS – CMO x4

Les systèmes de protection rapprochée des navires de combat, ou CIWS, constituent le pendant naval des systèmes hard-Kill des blindés. Il peut s’agir de systèmes de missiles à très courte portée comme le SeaRam, de systèmes d’artillerie légère automatique comme le Phalanx, ou de systèmes mixtes comme le Pantsir naval russe. Ces systèmes ont pour fonction d’intercepter les menaces qui auraient franchi les défenses à longue et moyenne portée des navires de combat, en particulier pour contrer les missiles anti-navires. Toutes les grandes marines de la planète équipent leurs bâtiments de surface combattant majeurs de ce type de protection, des Etats-Unis à la Chine, de la Russie à la Grèce. A ce titre, les 3 FDI grecques commandées à Naval Group différent de la version française en deux aspects : l’ajout de 2 systèmes Sylver 50 pour recevoir 16 missiles anti-aériens Aster 30 supplémentaires, et d’un système CIWS SeaRam sur le roof arrière. Car en effet, à ce jour, les bâtiments de la Marine Nationale ne disposent pas de systèmes CIWS.

FDI HN Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
LEs FDI grecques seront équipées d’un système CIWS SeaRAM pour la protection antimissiles rapprochées

Pendant longtemps, en effet, en l’absence de solution technique nationale, la Marine Nationale s’est contentée des défenses anti-aériennes et des systèmes de brouillage et de leurres armant ses navires pour contrer les menaces potentielles de type missiles anti-navires. Fort heureusement, les navires français n’ont jamais eut à faire face, jusqu’ici, à un tir de tel missile, mais de l’aveu même de son chef d’Etat-Major, l’amiral Pierre Vanier, la Marine Nationale pourrait bien dans les années à venir, être engagées dans des engagements navals de haute intensité, et voir ses navires visés par des missiles guidés contre lesquels un CIWS pourrait s’avérer plus que salutaires. On notera à ce titre que les prochains patrouilleurs de haute mer de la Marine nationale, comme les pétroliers ravitailleurs de la classe Jacques Chevallier, ainsi que, semble-t-il, le futur porte-avions nucléaire, emporteront des systèmes anti-aériens CIWS RapidFire basés sur le canon 40CTA qui équipe notamment les blindés EBRC Jaguar, capable d’intercepter des menaces aériennes de type drones et missiles jusqu’à 4 km.

RapidFire Naval thales nexter Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le système RapidFire de Thales protégera les futurs navires de la Marine Nationale, mais aucun signal n’a été donné pour en équiper les frégates qui pourtant en aurait largement l’usage

Reste que les principales unités combattantes de surface de la Marine nationale, les frégates Horizon, FREMM et FDI, en seront elles dépourvues, alors même qu’elles constituent les unités les plus susceptibles d’être prises pour cible par ce type de menace. Le prix d’un CIWS comme le Phalanx ou le SeaRam, de l’ordre de 10 à 15 m$, ne représente que 2,5% du prix d’une frégate comme la FDI. Dans le même temps, cette équipement augmente la survivabilité d’un navire de l’ordre de 10 à 15%, estimation basse, en prenant en compte l’ensemble des types de menace (Missiles, torpilles, mines, drones etc..). Dans ce cadre, le CMO d’un système CIWS évolue, selon ses couts, ses performances, ainsi que les couts et capacités du navire à protéger, de x4 (10% vs 2,5%) à x6 (15% vs 2,5%).

Rafale de Guerre électronique – CMO x7

A l’instar des navires et des blindés, les avions de combat, eux aussi, font face à la densification des menaces opérationnelles, en particulier pour ce qui concerne les systèmes sol-air ou surface-air. De nombreux pays se sont en effet dotés de systèmes anti-aériens évolués et performants, capables de détecter et d’engager les avions de combat à de nombreux régimes de vol, et à des portées de plus en plus importantes. Si les systèmes hard-kill aéroportés sont encore balbutiants, les avions de combat modernes disposent de systèmes d’autodéfense spécialement conçus pour brouiller les radars et les autodirecteurs de l’adversaire, de sorte à se prémunir de ce type de menace. C’est le cas du Rafale avec son Spectra, ou du Typhoon avec son Spartan par exemple. Toutefois, face à un adversaire disposant d’une grande densité de systèmes complémentaires, comme c’est le cas de la Chine, de la Russie et de certains de leurs alliés, ces systèmes de protection auront toutes les chances de ne pas suffire. Il suffit d’observer les pertes des forces aériennes russes au dessus de l’Ukraine, pourtant disposant de systèmes de brouillage performants, pour s’en convaincre, alors même que l’adversaire ne disposait pas d’une defense anti-aérienne des plus modernes.

Spectra Rafale Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le système de Protection SPECTRA du Rafale est très efficace, mais ne pourrait probablement pas se confronter seul à une defense anti-aérienne multicouche intégrée dense

Afin de protéger les avions de combat, mais également les autres aéronefs susceptibles d’opérer à proximité de ces systèmes anti-aériens, plusieurs forces aériennes, comme les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Australie ou la Chine, ont pris le partie de se doter d’appareils de combat dédiés à la guerre électronique, ainsi qu’à la suppression des défenses aériennes de l’ennemie, représentée par l’acronyme anglophone SEAD comme l’EA-18G Growler, le Typhoon ECR et les J15D et J16D chinois. Ainsi, lors de la guerre du Golfe, les EF-111A Raven de l’US Air Force et les EA-6B Prowler de l’US Navy, ont mené un grand nombre de missions pour neutraliser les radars irakiens et les défenses aériennes de l’adversaire, afin de protéger les strikes de F-16, Jaguar, F-18 et Tornado alliés. En moyenne, 1 appareil de brouillage et de SEAD protégeait entre 15 à 20 appareils d’attaque sur l’ensemble de la mission. L’intervention de l’OTAN face à la Serbie dans le cadre de la guerre au Kosovo vit également l’utilisation de nombreux appareils de brouillage pour protéger les avions d’attaque alliés. Dans les deux conflits, les pertes alliées attribuées à la defense anti-aérienne de l’adversaire ont été considérablement amoindries du fait de la présence de ces appareils.

Shenyang J 16D Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
La Chine a développé l’avion de guerre électronique J-16D pour la suppression des défenses antiaériennes adverses

Pour l’Armée de l’Air et de l’espace, comme pour l’aéronautique navale, doter le Rafale de capacités de brouillage renforcées et de munition air-sol anti-radiation permettrait non seulement d’accroitre la protection des Rafale eux-mêmes face à une defense anti-aérienne intégrée dense, mais également d’engager des appareils plus vulnérables et moins bien défendus, comme le Mirage 2000D, qui représente toujours 30% de la flotte de chasse française jusqu’au delà de 2030, ainsi que d’autres types d’aéronefs et de drones, français et alliés. Au delà du bénéfice opérationnel qu’un tel type d’aéronef pourrait apporter aux forces aériennes françaises, il est nécessaire d’en évaluer le CMO. Pour cela, on peut évaluer un gain de survivabilité induite des aéronefs alliés de l’ordre de 50%, avec un ratio de 1 appareil de guerre électronique pour 12 aéronefs de combat. Dans ce contexte, si un Rafale de Guerre Electronique venait à couter à l’achat (hors developpement), 2 fois le prix d’un Rafale, son CMO peut être évalué par la formule 0,5 (gain de survivabilité) x (12 (cout relatif du nb appareils protégés)+2 (cout relatif d’un Rafale ECR))/2 (cout relatif Rafale ECR)) soit x7.

Drone de combat sous-marin – CMO x5

Il y a tout juste un an, Naval Group présentait pour la première fois un nouveau Démonstrateur de Drone Océanique, ou DDO. Ce sous-marin autonome de 10 mètres et de 10 tonnes développé en fonds propres et en grand secret par le constructeur naval français, préfigurait l’émergence d’une nouvelle composante dans la guerre sous-marine, les Drones de combat sous-marins, des navires autonomes capables de mener des missions complexes allant du renseignement à l’attaque, et offrant des caractéristiques des plus prometteuses dans ce domaine. Depuis, Naval Group a entreprit de déployer sur le site de La Londes les Maures en périphérie de Toulon, un centre d’excellence dédié à cette activité, preuve de l’intérêt que porte l’industriel français à ce domaine. Il faut dire que les perspectives sont intéressantes, les drones de combat sous-marins comme ceux conçus par Naval Group pouvant prendre en charge certaines missions dévolues traditionnellement à des sous-marins, qu’ils soient à propulsion conventionnelles ou nucléaires, comme la protection anti-sous-marines d’infrastructures, le renseignement ou la lutte anti-navires. En outres, s’ils n’ont pas l’autonomie ni la vitesse d’un SNA ni même d’un SSK, les drones comme le DDO ont des dimensions et une masse les rendants aéro-transportables, une caractéristique des plus interessantes pour déployer des capacités à longue distance avec des délais contraints.

France NG XLUUV Demonstrator Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le DDO de Naval Group lors de sa présentation publique en octobre 2021

De fait, on peut estimer qu’un drone de combat sous-marin comme ceux de la famille du DDO, est en mesure d’assurer 25 à 30% des missions d’un sous-marins à propulsion conventionnel comme le A26 suédois. En revanche, ils sont considérablement mois chers, entre 15 et 20 fois moins cher qu’un SSK moderne, ceci sans prendre en considération les couts relatifs à l’équipage ou la maintenance nécessairement beaucoup plus lourde. On peut donc définir le CMO des drones de combat sous-marins comme le produit des missions assurables (25% à 30%) par le ratio de prix comparés vis-à-vis d’un SSK (x15 à x20); soit un CMO moyen de 5. Pour des missions spécifiques, comme par exemple pour la protection sous-marine d’une infrastructure, le CMO pourrait être bien plus important, puisque le taux de missions assurables vis-à-vis de la mission elle même serait bien plus élevé. En d’autres termes, le CMO de x5 est une valeur par défaut, révélatrice de l’intérêt opérationnel de ces systèmes pour renforcer certaines capacités opérationnelles spécifiques des armées.

Evolution du VLS SYLVER – CMO x20

Pour le dernier équipement de ce panel de Quickwins technologiques susceptibles de renforcer rapidement et au meilleurs prix les capacités des armées françaises, il ne s’agit pas tant d’améliorer un équipement ou de se doter d’un nouvel équipement pertinent, que de corriger une grave erreur de conception. A la fin des années 70, les marines américaines et russes commencèrent à doter leurs bâtiments de systèmes de lancement verticaux pour missiles. Ces systèmes avaient deux fonctions principales : d’une part accroitre les capacités de réponse des navires face à une menace, en augmentant la cadence de tir de missiles vis-à-vis des rampes à chargement automatiques traditionnelles, d’autre part, en particulier aux Etats-Unis, afin de pouvoir aisément panacher le nombre et le type de missiles embarquer à bord d’un navire en fonction des besoins de la mission. Au début des années 2000, le groupe naval français DCNS (devenu Naval Group depuis), entreprit de concevoir son propre VLS (vertical Launch System), le système SYLVER pour Systeme de Lancement VERtical.

Embarquement MdCN sur FREMM Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Installation d’un missile MdCN dans un silo Sylver 70 d’une frégate FREMM – Ce silo ne permet pas de recevoir d’autres types de missiles à ce jour

En matière de cadence de tir, le SYLVER est sans concurrence. En effet, il permet à un unique système de lancer plus d’un missile par seconde, là ou le Mk41 américain ne peut lancer qu’un missile toutes les 6 secondes, du fait de l’architecture du système d’évacuation des gaz de combustion des missiles. Face à une menace de plusieurs missiles supersoniques fonçant vers leurs cibles, le SYLVER offre donc un très net avantage sur le Mk41, d’autant qu’il permet de mettre en oeuvre le missile surface-air Aster 15 ou 30, réputés bien plus précis et fiable que les SM2ER et ESSM-ER américains, permettant de ne tirer qu’un missile par cible, contre 2 missiles par cible pour le système américain. Malheureusement, afin d’en réduire les couts de developpement, le SYLVER français souffre d’une rigidité hors norme. Là ou le Mk41 peut recevoir tout à la fois des missiles SM2 (anti-aérien longue portée), SM3 (anti-balistique), ESSM (anti-aérien moyenne portée), Tomahawk (missile de croisière) et ASROC (anti-sous-marin), le systeme Sylver impose le type de missile selon son modèle : Aster 15 à moyenne portée pour le Sylver 43 (4,3 mètres de profondeur), Aster 15 ou 30 à longue portée pour le Sylver 50 ( 5 mètres), et le missile de croisière MdCN pour le Sylver 70, long de 7 mètres.

ESSM Mk41 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le système VLS Mk41 américain permet d’accueillir jusqu’à 4 missiles surface air à moyenne portée ESSM par silo

Non seulement est-il impossible d’armer le Sylver 70 de missiles Aster 15 ou 30 si besoin, mais celui-ci ne permet pas le multipacking, c’est à dire l’ensilotage de plusieurs missiles plus petits au sein d’un unique silo, comme le MK41 qui permet d’embarquer jusqu’à 4 missiles ESSM par silo Mk41, soit 32 missiles surface-air à moyenne portée pour un unique système Mk41 à 8 silos. Corriger cette défaillance du système Sylver, en permettant d’une part d’ensiloter le missile Aster dans le Sylver 70, et en permettant le multipacking en embarquant 2, 3 ou 4 missiles à courte portée MICA VL dans un silo SYLVER 70, accroitrait considérablement l’efficacité des navires, ainsi que la souplesse opérationnelle qu’ils peuvent offrir. Les navires équipés de systèmes SYLVER long, et notamment du SYLVER 70, verraient alors leurs capacités anti-aériennes doublées voir quintuplées (64 MICA VL quadpack et 16 Aster 30 vs 16 Aster 30 et 16 MdCN), pour un cout inférieur à 10% du prix du navire (hors missiles), soit un CMO de x20, de loin le plus élevé de cet article.

Conclusion

D’autres équipements et technologies auraient pu figurer dans cet article, comme les drones de combat furtif offrant un CMO de x2,5, les munitions vagabondes terrestres et navales, avec un CMO de x3, ou les systèmes anti-aériens et anti-drones mobiles SHORAD dont le CMO évolue entre 2 et 5 en fonction de la menace. D’autres technologies sont également très prometteuses, comme les armes à énergie dirigée, les armes hypersoniques ou encore les rail gun, mais ces derniers manquent encore de maturité pour pouvoir être considérés comme de potentiels Quickwins. Reste qu’il est évident que certaines technologies offrent des gains potentiels plus que substantiels vis-à-vis des évolutions de menace en cours, et ce pour des couts et des délais réduits. Ils ne peuvent, à eux seuls, constituer une réponse aux exigences de la Haute intensité dans les années à venir, mais ils permettraient aux armées de palier certaines déficiences capacitaires ou quantitatives pour répondre plus efficacement à ces menaces à relativement court terme, dans l’attente que d’autres programmes plus conséquents viennent prendre le relais. La question est de savoir à quel point les autorités, les industriels et les militaires sauront effectivement faire fi de certains blocages afin de s’emparer de ces sujets des plus prometteurs.

Pourquoi la Pologne est-elle atteinte de boulimie de défense ?

Depuis quelques mois, ilm ne se passe plus une semaine sans que les autorités polonaises n’annoncent de nouveaux contrats d’armement ou de nouveaux investissements de défense. Sur fond de guerre en Ukraine, à propos de laquelle Varsovie fit preuve d’un soutien sans égal vis-à-vis de Kyiv, et de menaces croissantes et répétées de la part des porte-paroles russes contre elle et ses voisins, les autorités du pays ont entrepris un effort sans équivalent en Europe afin de transformer les armées polonaises, et les doter de capacités qui en feraient, sans le moindre doute, la plus puissante force mécanisée terrestre en Europe. Après avoir annoncé la commande de chasseurs furtifs F-35A et de systèmes anti-aériens Patriot en 2019, Varsovie entreprit d’acquérir 250 chars de combat M1A2 Abrams, ainsi que des missiles Javelin auprés des Etats-Unis.

Une fois l’offensive russe en Ukraine déclenchée, toutefois, le rythme des annonces s’est considérablement accru, qu’il s’agisse d’un changement de format pour passer de 4 à 6 divisions, d’une hausse de l’effort de defense pour dépasser les 3% de PIB contre 2,12 aujourd’hui, ainsi que de nouveaux contrats d’équipements aussi nombreux que volumineux, comme les frégates Type 31 britanniques, les chars K2 black Panther et les canons automoteurs K9 sud-coréens, ou les lance-roquettes HIMARS américains. Et visiblement, la liste n’est pas close, puisque le ministre de La Défense polonais, Mariusz Blaszczak, a confirmé l’intention de Varsovie de commander pas moins de 96 hélicoptères de combat américain AH-64E Guardian, au grand damn de l’Italien Leonardo qui fit d’énormes efforts pour tenter de placer son nouveau AW249 dans le pays.

AH64E Apache Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le ministre de La Défense polonaise, Mariusz Blaszczak, a annoncé avoir formellement demandé aux Etats-Unis une autorisation d’exportation portant sur 96 hélicoptères de combat AH-64E Guardian

Si l’ensemble de ces annonces sont effectivement suivis d’effets, les armées polonaises disposeront, en 2030, de pas moins de 1500 chars de combat modernes K2 Black Panther, Abrams M1A2 et Leopard 2, de plus de 800 canons automoteurs Krabs et K9 Thunder, de 500 systèmes lance-roquettes Himars et K239, ou encore de plus de 150 avions de combat F35, F16 et FA-50, alors que l’équivalent de sa force opérationnelle terrestre atteindra 90.000 hommes. Il ne fait guère de doute qu’une telle puissance militaire, associant des équipements avancés à une masse plus que significative, serait de nature à dissuader tout aventurisme militaire russe contre la Pologne ou ses voisins, en particulier contre les pays baltes. Toutefois, force est de constater que l’effort annoncé par Varsovie, sera particulièrement difficile à soutenir pour ce pays dont le PIB demeure 3 fois inférieur à celui de la France par exemple, et qui n’affiche plus les mêmes perspectives économiques et sociales très prometteuses qui étaient les siennes il y a encore de cela quelques mois. Aujourd’hui, les annonces d’acquisition annoncées par Varsovie dépassent un montant d’investissement cumulé de 50 Md€, soit 8% du PIB du pays, et l’effort de défense annoncé à plus de 3% du PIB fera augmenter significativement les dépenses publiques qui représentent déjà prés de 45% du PIB de l’Etat. A titre de comparaison, les 100 Md€ d’investissement annoncés par Berlin ne représentent, quant à eux, que 3% du PIB allemand.

De fait, la soutenabilité dans les temps des annonces de defense faites ces derniers mois en Pologne est loin d’être assurée, ce d’autant qu’une transformation aussi radicale en volume comme en technologie d’une force armée moderne, sur des délais aussi courts, est loin d’être l’approche la plus efficace pour construire une armée efficace. Il ne fait guère de doutes que les militaires polonais, comme les cadres du Ministère de la Défense, ont connaissance de ces réserves. Et même si la menace russe sur la Pologne est loin d’être négligeable, il eut été possible, et probablement préférable, d’étaler dans le temps une telle évolution, qui d’ailleurs créera un goulet d’étranglement capacitaire d’ici une trentaine d’années, lorsqu’il faudra remplacer l’ensemble des équipements simultanément.

babcock polish frigate arrowahead140PL Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
La Pologne a retenu l’offre de Babcock sur le modèle Arrowhead 140 pour construire ses 3 frégates du programme Espadon

Il est probable que la justification à ces annonces soit avant politique, comme c’est souvent le cas du reste. En effet, le paysage politique polonais a été largement boulversé ces dernières années avec l’apparition du parti centriste Pologne 2050 du centriste et pro-européen Szymon Hołownia, qui en quelques années est parvenu à rassembler entre 10 et 15% de l’opinion publique. Dans le même temps, les partis d’opposition traditionnels, comme la Coalition civique et la Coalition polonaise, ont maintenu leur représentativité. De fait, le parti de la droite unie rassemblée autour du Pis au pouvoir depuis 2015, a perdu depuis 2019 prés de 10% dans les sondages, et ne rassemblent plus que 35% des intentions de vote. Dans le même temps, la défiance vis-à-vis de la Russie a, comme on pouvait s’y attendre, explosé, seuls 2% des polonais ne considérant pas le pays comme une menace, contre 33% en 2019. De toute évidence, les annonces répétées faites ces derniers mois sur les questions de defense, ont pour objet de tenter de rassembler une partie de l’opinion publique autour de ces craintes, en apparaissant comme le rempart contre la menace russe, là ou les autres partis plus modérés et européens, prônent une approche de défense plus raisonnée et collective.

De fait, les annonces répétées en matière d’acquisition d’équipements de défense, comme celles concernant l’extension des armées et de l’effort de défense, doivent être prises avec précaution. Non seulement celles-ci sont teintées d’un enjeu électoraliste en vue des législatives de 2023, mais elles risquent fort de se heurter à certaines réalités en matière d’applicabilité pour la création d’une force militaire efficace. L’hypothèse d’un changement de majorité en 2023 étant loin d’être peu probable, on peut s’attendre à ce que certaines de ces annoncent ne se transforment jamais en décisions fermes, voire qu’un axe différent soit pris par les autorités au delà de l’échéance électorale, et ce quel que soit le résultat des urnes.

LPM 2023 : 5 opportunités capacitaires pour préparer les armées françaises à la haute Intensité

La série d’articles consacrées à la Loi de Programmation Militaire 2023 touche à sa fin. Nous avons, jusqu’ici, abordé de nombreux sujets, qu’ils soient stratégiques comme le devenir du format d’armée globale hérité du Général de Gaulle, ou de sujets purement techniques, comme l’opportunité de doter la Marine nationale de sous-marins à propulsion conventionnelle aux cotés de ses SNA. Si ces articles permirent de presenter de manière relativement exhaustive les enjeux mais également les contraintes qui s’appliqueront à cette LPM, les deux derniers articles qui concluront cette série, traitent, pour leur part, de Quickwin potentiels, capacitaires d’une part, technologiques de l’autre, susceptibles de procurer aux armées des bénéfices opérationnels significatifs en matière d’engagement de haute intensité, pour des couts sensiblement inférieurs à ceux auxquels elles sont soumises pour developper des capacités similaires, et avec des délais compatibles avec l’exécution de la Loi de Programmation.

Ce premier article traite des Quickwins capacitaires, pardonnez l’anglicisme, mais il n’existe guère de terme dans la langue française susceptible d’aussi bien d’écrire cette notion de gains rapides et à effort restreint, que l’on peut caractériser par le respect de 3 critères strictes, à savoir un gain capacitaire supérieur à 20% vis-à-vis de l’existant, un cout inférieur à 35% du prix standard, et des délais de mise en application inférieurs à 7 ans, donc permettant un gain capacitaire avant 2030. Cet article, non exhaustif, a identifié 5 de ces Quickwins, portant sur la flotte de chasse de l’Armée de l’Air, la flotte de surface et de patrouille Maritime de la Marine Nationale, ainsi que la flotte de chars et d’hélicoptères de combat de l’Armée de Terre, toutes fortement concernées par l’évolution de la menace d’engagement de haute intensité.

1- Ramener le parc de chars Leclerc de l’Armée de Terre à 270 unités

La Loi de programmation militaire 2019-2025, reprenant le format édicté par le Livre Blanc de 2014, prévoit, à ce jour, de ne moderniser que 200 chars Leclerc pour constituer la force de frappe des unités terrestres françaises jusqu’au moins 2035 et l’arrivée des premiers blindés issus du programme MGCS. Or, ce nombre obligera l’Armée de terre à diminuer la dotation de ses 4 régiments de chars armant les 2 divisions françaises, à savoir le 1er régiment de chasseur de Thierville-sur-Meuse en Lorraine, le 501ème régiment de chars de Mourmelon-le-Grand, le 12ème Régiment de cuirassiers d’Olivet, et le 5ème régiment de Dragons de Mailly-le-Camp, ainsi que de supprimer la dotation de 15 Leclerc au 5ème régiment de cuirassiers positionné aux Emirats Arabes Unis. Afin de doter ces 4 régiments des 60 chars Leclerc dont ils ont besoin, et de préserver la dotation du 5ème régiment Cuirassier d’une part, et du 1er Régiment de Chasseurs d’Afrique de Canjuers qui forme les équipages, l’Armée de terre aurait besoin non de 200 chars, mais de 270 Leclerc modernisés. Or, ce besoin pourrait être aisément satisfait, et à moindre frais.

Leclerc AZUR Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le Leclerc demeure un char de combat très mobile et efficace, y compris vis-à-vis des chars les plus modernes.

En effet, l’Armée de terre alignait encore au début des années 2010, 356 chars Leclerc. En dehors des 220 exemplaires encore en service, les 136 exemplaires ont été mis sous cocon. Comme souvent dans ce cas, ils servirent pour beaucoup de stock de pièces détachées, d’autant que les années 2010 étaient marquées par des budgets faméliques et une pression opérationnelle loin d’être négligeable. Toutefois, à ce jour, une cinquantaine de ces chars pourraient effectivement être sortis de leur reserve et, moyennant une remise en ordre technique et une modernisation MLU, pourraient fort bien venir compléter l’inventaire des régiments de chars français. Au total, les 50 chars préservés, ainsi que les 20 unités encore en service, représenteraient un gain capacitaire de 35% pour l’Armée de terre dans ce domaine clé pour la haute intensité. Les investissements nécessaires pour une telle remise à niveau devraient représenter, pour leur part, entre 3 et 4 m€ par blindé, soit 35% du prix d’un Leclerc modernisé, si tant est que cette notion ait du sens puisqu’il est impossible à la France de produire de nouveaux Leclerc depuis de nombreuses années et le démontage de la Ligne de production. Enfin, les travaux nécessaires pourraient sans grandes difficultés être réalisés dans le courant de la LPM à venir, c’est à dire avant 2030, respectant donc la définition donnée initialement au Quickwin.

2- Acquérir les Mirage 2000-9 Emirati pour l’Armée de l’Air et de l’Espace

L’Armée de l’Air et de l’Espace est aujourd’hui dans une situation capacitaire paradoxale. En effet, celle-ci est sévèrement sous-capacitaire vis-à-vis de son contrat opérationnel, alors que celui-ci n’a pas encore intégré les contraintes liées aux évolutions stratégiques, et notamment au risque d’engagement de haute intensité. Pire, ses options de croissance, en particulier pour ce qui concerne sa flotte de chasse, sont limitées du fait de la saturation de la ligne de production Rafale pour les 5 à 6 années à venir, et ce dans le meilleur des cas. Elle ne peut, dés lors, esperer recevoir que 60 Rafale neufs lors de la prochaine LPM, alors même que 24 d’entre-eux ne feront que remplacer les appareils d’occasion vendus à l’export en Grèce et en Croatie, qu’elle a perdu ses derniers Mirage 2000-C, et que ses 28 Mirage 2000-5 arriveront eux-aussi en fin de potentiel d’ici la fin de la décennie. La seule solution pour accroitre le format de la flotte de chasse française serait alors, en dehors d’une très hypothétique nouvelle ligne de production Rafale, d’acquérir des appareils à l’étranger. Il n’est cependant pas question pour Paris de se tourner vers Washington pour acquérir le F-35 comme le firent tant d’Européens, et pas davantage de commander d’autres modèles d’appareils de combat, furent-ils européens. Heureusement, il existe une opportunité susceptible de satisfaire à l’ensemble de ces contraintes, l’acquisition des Mirage 2000-9 vendus à Abu Dabi par Dassault Aviation il y a une quinzaine d’années.

2000 9 EAU mirage Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
les mirage 2000-9 associent les performances air-air du mirage 2000-5 et les capacités air-sol du Mirage 2000D

Les Emirats Arabes Unis ont en effet annoncé la commande de 80 avions Rafale F4 l’année dernière, constituant au passage le plus important contrat de défense jamais signé par la France à cette date. Dans le même temps, Abu Dabi a signifié à Paris son intention de vendre ses quelques 67 Mirage 2000-9, ceci devant précisément être remplacés par les nouveaux Rafale. Plusieurs hypothèses de rachat ont été émises, concernant le Maroc d’une part, la Grèce de l’autre. Pour l’Armée de l’Air et de l’espace, toutefois, cette revente constitue une opportunité extraordinaire dans le présent contexte pour combler à court terme, et à moindre frais, son déficit capacitaire. En effet, si le Mirage 2000-9 n’est pas au niveau d’un Rafale F3R ou F4, il demeure un appareil parfaitement capable, doté d’attributs très performants notamment dans le domaine de l’interception et du combat aérien, mais également de grandes capacités de frappes Air-sol et Air-surface. De manière synthétique, ont peut dire que les 2000-9 rassemblent, en un unique appareil, les performances et capacités du 2000-5 en matière de supériorité aérienne, et du 2000D en matière d’attaque et de frappe. Il n’a pas l’allonge ni la capacité d’emport d’un Rafale, mais il n’en demeure pas moins un appareil très performant, au niveau des versions les plus évoluées du Gripen et du F-16.

Rafale e Mirage 2000 D foto Armee de lair Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Les Mirage 2000-9 émirats trouveraient parfaitement leur place entre les Rafale et les 2000D de l’Armée de l’Air

De fait, racheter les 67 appareils Emirati seraient une opportunité pour l’Armée de l’Air, qui pourrait ainsi constituer 3 nouveaux escadrons de chasse, et amener sa flotte de chasse à la fin de la décennie de 225 appareils, format visé par le général Mille, à 290 avions de combat, soit une hausse de presque 30%, là ou le prix d’un Mirage 2000-9 d’occasion est inférieur à 30% du prix d’un Rafale. Les Rafale emirati devant être livrés au cours de la présente décennie, les mirage 2000-9 pourraient, quant à eux, rejoindre les unités françaises dans un flux inverse symétrique, permettant ainsi de respecter les 3 critères du Quickwin. On peut discuter des performances comparées ramenées au prix d’une telle transaction, mais la réalité industrielle étant ce qu’elle est, il s’agit là de la seule et unique alternative efficace pour faire croitre significativement et efficacement le format de la Chasse française dans la décennie en cours, de sorte à disposer du parc nécessaire pour aborder les menaces de la prochaine décennie. Notons enfin qu’une fois la chaine Rafale disponible pour la production nationale, les 2000-9 pourront à nouveau être proposés à l’export si besoin.

3- Moderniser les 4 Atlantique 2 restant de patrouille maritime pour la Marine Nationale

En 2018, la Marine Nationale entreprit de débuter la modernisation de 18 de ses 22 avions de patrouille maritime Atlantique 2. Cette modernisation permettra aux appareils de disposer de nouveaux systèmes de détection et d’un potentiel renouvelé pour faire face aux besoins jusqu’au début des années 2030, date supposée de l’entrée en service du remplaçant de l’appareil. Si initialement le programme franco-allemand MAWS (Maritime Air Warfare System) devait assurer la relève, la décision de Berlin de commander 5 puis 12 P8A Poseidon américains mit fin aux espoirs français, et une étude a été signifiée à Dassault Aviation pour la conception d’un nouvel avion de patrouille basé sur son Falcon 10. Quoiqu’il en soit, les Atlantique 2 devront, quant à eux, continuer d’assurer leurs missions tout au long de la décennie, et probablement une partie de la suivante. Si le déploiement de ces frégates volantes au Mali en soutien des forces françaises pour des missions de renseignement électronique fut souvent mis en avant, la mission première de l’appareil reste et demeure la patrouille maritime, et notamment la lutte anti-sous-marine. Et dans ce domaine, la montée en puissance des flottes sous-marins russes, mais également turques, chinoises, algériennes ou iraniennes, que ce soit en Atlantique, en Méditerranée, dans le Golfe persique ou sur le théâtre indo-pacifique, mettra très probablement à mal le format limité de la Patrouille Maritime française aujourd’hui.

Atlantique 2 Marinenationale Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
L’Atlantique 2 modernisé demeure l’un des appareils de patrouille maritime les plus performants du moment, en particulier dans le domaine de la lutte anti-sous-marine

Pour répondre à ce problème, il pourrait être possible de moderniser les 4 derniers Atlantique 2 encore en service, afin de conserver une « patmar » forte de 22 appareils. L’hypothèse avait été écartée en 2018, d’une part pour des raisons d’économies, d’autre part car la perception de la menace était encore teintée d’un optimisme superfétatoire. Surtout, les 4 appareils écartés étaient ceux qui disposaient du potentiel de vol le plus faible, usés qu’ils étaient par les nombreuses missions menées depuis le début des années 90. Toutefois, ces appareils furent proposés par Paris à Berlin comme solution d’attente pour remplacer les P3C allemands dans l’attente du programme MAWS. Si Berlin se tourna finalement vers le Boeing P8A Poseidon, force est de constater que, selon le Ministère des armées, les 4 appareils en question pouvaient, une fois modernisés, disposer du potentiel suffisant pour faire la jonction avec MAWS ou son alternative au début des années 2030.

BAN Hyeres002 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
la base aéronavale de Hyères le Palyvestre est la plus ancienne base aérienne française. Elle dispose des infrastructures pour accueillir une flottille de patrouille maritime dédiée au théâtre méditerranéen.

En outre, ces 4 appareils peuvent constituer le socle d’une nouvelle flottille de Patrouille maritime qui serait basée non pas à Lorient, mais dans le Sud de la France, par exemple sur la base aéronavale de Hyères. Ainsi déployés, ils économiseraient 3 heures de vol de transit à chaque mission de Patmar en Méditerranée, de quoi compenser le potentiel de vol inférieur des 4 aéronefs, tout en économisant des heures de vol stériles du point de vue opérationnel. De fait, déployer les 4 appareils à potentiel restreint, ainsi que deux appareils sur les 18 modernisés, sur une base aéronavale méditerranéenne, permettrait de disposer d’un équivalent potentiel de survol marine de 90 heures (15 heures par avion x 6), soit l’équivalent de 8 appareils basés à Lorient avec 3 heures de transit supplémentaires (15-3=12 heures par avions x 8), soit 96 heures. De quoi pleinement justifier de la création d’un flottille Patmar à 6 Atlantique 2 en Méditerranée, pour 2 flottilles de 8 appareils en Bretagne. En terme de métriques, cette option permettrait d’augmenter de 22% le format de la Patmar française, pour le prix de 4 modernisations d’Atlantique 2, soit un cout inférieur à celui d’un unique appareil.

4- Acquérir les 22 Tigre ARH australiens pour l’Aviation Légère de l’Armée de Terre

Au début des années 90, au lancement du programme d’hélicoptères de combat franco-allemand EC665 Tigre, la France prévoyait de commande 225 appareils, 75 en version appui-feu et 140 en version antichars, alors que la Bundeswehr prévoyait, pour sa part, l’acquisition de 115 hélicoptères d’appui et 100 antichars. L’effondrement du bloc soviétique et les bénéfices de la paix ramenèrent ces formats respectifs à 67 appareils pour l’ALAT française et 56 pour la Bundeswehr. De fait, le prix unitaire de l’appareil grimpa en flèche de prés de 80%, passant pour la version HAP de 17 à 28 m€ l’unité. Aujourd’hui, si une nouvelle version franco-espagnole de l’appareil, désignée Tigre III, est en conception sous forme d’évolution du Tigre HAD, l’appareil n’est plus proposé, pas même dans les compétition internationale, laissant à l’AH64 Apache américain l’essentiel du marché occidental. Comme dans le cas du Rafale pour l’Armée de l’Air, une augmentation de format de la flotte d’hélicoptères de combat de l’ALAT est donc inenvisageable du point de vue industriel, ce d’autant que l’Allemagne s’est retirée du programme Tigre III pour se tourner vers l’Apache américain. Fort heureusement, l’Australie, le seul client export de l’appareil, a annoncé qu’elle ferait elle aussi l’acquisition d’AH64 américains, afin de remplacer ses 22 Tigre ARH, ces derniers étant proposés dès lors sur le marché de l’occasion.

Helicoptere tigre ARH australien Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Dérivés du Tigre HAD, l’ARH australien peut emporter jusqu’à 8 missiles antichars Hellfire.

Les chances que Canberra trouve un acquéreur pour ses 22 appareils sont pour ainsi dire nulles, d’autant que les armées australiennes se sont beaucoup plaints de leur appareil. A leur habitude, les australiens avaient en effet construit un cahier des charges d’une complexité inouïe pour ce programme, avec notamment des obligations industrielles très fortes, et des variations de version aussi inutiles que dispendieuses. Pour autant, l’ARH est loin d’être un appareil inefficace, dérivé de la version antichar HAD actuellement en service au sein de l’ALAT. De fait, il serait possible pour Paris d’acquérir à un tarif nécessairement interessant les 22 appareils, du fait de l’absence de demande. Il serait évidemment nécessaire d’éliminer les technologies les plus problématiques pour se rapprocher du standard HAD, mais au final, chaque appareil ne coulerait que 15 à 25% du prix d’un appareil neuf, tout en permettant à l’ALAT d’augmenter le format de sa flotte d’hélicoptères de combat de presque 33%, et ce dans les délais de la LPM. En outre, et c’est loin d’être négligeable, la France pourrait valoriser politiquement une telle transaction auprés des nouvelles autorités australiennes, par exemple afin de positionner d’autres offres de défense, en particulier, paradoxalement, dans le domaine des sous-marins, afin de procurer une solution intérimaire à Canberra, qu’il s’agisse de l’acquisition de sous-marins à propulsion conventionnelle, ou de la location de sous-marins nucléaires d’attaque.

5- Commander 6 corvettes Gowind 2500 pour la Marine Nationale … assemblées en Grèce

Alors que le président Erdogan attise à nouveaux les braises du nationalisme turc en menaçant son voisin grec, l’alliance formée par Paris et Athènes il y a tout juste un an, constitue très probablement un élément puissant de dissuasion et de stabilité à l’échelle de l’ensemble de la région, pour contenir les aspirations belliqueuses d’Ankara. La Grèce a déjà marqué son attachement à cette alliance en commandant 3 frégates de défense et d’Intervention FDI ainsi que 24 avions Rafale, un effort considérable pour ce pays qui sort à peine d’une grave crise economique et sociale. Athènes a également lancé, il y a une année, une consultation pour la construction de 6 corvettes anti-sous-marines destinées à renforcer sa flotte de surface. Selon les informations distillées à la presse spécialisée hellénique, la corvette Gowind 2500 de Naval Group et la corvette Al Zubarah de Fincantieri sont aujourd’hui en courte finale, sans qu’Athènes ne puisse se prononcer pour l’une ou l’autre offre, la France ayant l’avantage de l’efficacité opérationnelle et de la proximité militaire, l’Italie ayant une offre commerciale qui semble plus agressive. Si le regain de tension avec Ankara peut faire pencher la balance en faveur de la France dans ce dossier, force est de constater qu’une autre alternative permettrait non seulement de garantir le succès de la tractation commerciale, mais également de renforcer significativement le format de la flotte de surface de la Marine nationale. Pour cela, il faudrait que la France commande elle aussi des corvettes Gowind 2500, assemblées en Grèce.

GOWIND at sea 2 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
La corvette Gowind 2500 est performante et très bien armée, avec un canon de 76mm, 16 missiles antiaériens MICA VL, 8 missiles anti-navires Exocet et 2 tubes lance-torpilles triples armés de Mu90. Elle dispose en outre d’un hélicoptère moyen et d’un sonar tracté à profondeur variable CAPTAS-2 capable de traquer les submersibles au delà du plateau continental

Bien que parfaitement contre-intuitive, cette approche aurait beaucoup de sens du point de vue budgétaire et industriel, mais également du point de vue opérationnel. En premier lieu, Paris pourrait proposer d’acquérir 3 corvettes Gowind 2500 au même standard si Athènes décidait de choisir Naval Group pour la construction locale de ses 6 corvettes. Une corvette assemblée en Grèce ayant 50% de sa valeur produite en France (système de combat, systèmes de détection, armement…), les 9 corvettes fabriquées produiraient l’équivalent industriel de 4,5 corvettes produites intégralement en France. Associé à un retour budgétaire de 65%, ceci intégrant la TVA et les recettes sociales et fiscales payées par les 25 emplois par m€ rattachés à l’industrie de défense, le budget de l’etat recevrait donc l’équivalent de 2,925 corvettes en taxes et impôts, soit le prix des 3 corvettes commandées. En d’autres termes, la Marine nationale se verrait doter de 3 corvettes de lutte anti-sous-marine Gowind 2500 sans que cela n’ait rien couté aux deniers publics.

Toutefois, une telle approche serait également l’occasion de proposer à Athènes de lever l’option posée sur les 2 dernières FDI, en proposant de commander, en compensation, 3 corvettes Gowind 2500 supplémentaires assemblées en Grèce. En effet, une frégate représentant le prix de 2 corvettes, un tel accord permettrait à Paris de construite 2 FDI supplémentaires avec un retour budgétaire de 65%, soit l’équivalent du prix de 2,6 corvettes, alors que les 3 corvettes supplémentaires verraient, comme précédemment, 50% de leurs couts produits en France, soit un retour budgétaire équivalent à 1 corvette. Au total, les 6 corvettes acquises par la France et assemblées en Grèce, ainsi que les 6 corvettes grecques produites localement et les 2 FDI supplémentaires produites en France, auront généré un retour budgétaire égal au prix de 6,4 corvettes, soit davantage que les 6 corvettes commandées. Pour la Grèce, les 12 corvettes produites sur place généreraient un retour budgétaire de 50% des 50% de la valeur produite localement, soit l’équivalent du prix de 3 corvettes, ou de 1,5 frégates. Enfin, ce modèle ne prend pas en considération les effets sur les couts de production liés au passage de 6 à 12 corvettes Gowind 2500 à produire, ou de 8 a 10 FDI. Pour peu que dans le cadre de la LPM, l’hypothèse d’une commande de 3 FDI soit envisagée, le passage à un planning à 13 frégates FDI permettrait incontestablement d’en réduire les couts, comme ce fut le cas pour le programme FREMM initialement.

FDI HN Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
La commande de Gowind 2500 pour la Marine Nationale pourrait non seulement sécuriser le contrat de corvettes grecques, mais également donner à Athènes les moyens de lever l’option sur les deux dernières frégates FDI. Avec 5 FDI et 6 Gowind, la marine hellénique peut entièrement verrouiller la Mer Egée, aussi bien dans le domaine aérien que sous-marin.

Quoiqu’il en soit, bien que plus complexe que les 4 autres cas abordés dans cet article, la commande de 6 corvettes Gowind 2500 assemblées à en Grèce pour la Marine nationale répond bien à notre définition de Quickwin. En effet, les 6 navires permettrait d’accroitre la flotte de surface combattant de 30% sur base Horizon, FREMM, FDI et FLF, en particulier dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, pour un cout d’acquisition nul du point de vue des finances publiques, alors que la production aurait, elle aussi, lieu au cours de la présente LPM soit avant 2030. Dans une telle hypothèse, on peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de poursuivre le programme de patrouilleur hauturier, bien moins armés que les Gowind, et dont il serait possible de remplacer les 9 unités par 4 Gowind produites en France, au bénéfice des capacités offensives et défensives des navires, en particulier dans le domaine de la lutte anti-sous-marine et de la lutte anti-surface.

Conclusion

On le voit, il existe aujourd’hui de nombreuses opportunités à saisir pour accroitre significativement et efficacement certaines capacités des forces armées françaises liées à l’engagement de haute intensité. Reste que, dans ces domaines, les conservatismes sont extrêmement puissants dans les armées comme chez les industriels, et il est peu probable que de telles hypothèses puissent être sérieusement envisagées, même si elles permettraient de résoudre certains déficits capacitaires sans solution à court terme et à moindre couts. C’est probablement dans ce conservatisme puissant, ainsi que dans une aversion marquée au risque, que se trouvent nombres d’explication au sujet de la faiblesse relative des armées françaises aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, force est de constater que des solutions existent, et qu’elles ne demandent qu’à être mise en oeuvre afin de répondre à certains problèmes capacitaires sans solution.

LPM 2023 : une trajectoire déjà tracée pour l’Armée de l’Air et de l’espace ?

Au cours des années 2000 et jusqu’en 2015, l’Armée de l’Air française, devenue depuis Armée de l’Air et de l’Espace, était largement privilégiée, et parfois enviée, vis-à-vis des autres armées. En effet, elle captait, à elle seule, presque la moitié des crédits d’équipements consacrés aux Programmes a effets majeurs, obligeant tant l’Armée de terre que la Marine Nationale à revoir certains de leurs programmes en en diminuant les volumes et étalant les calendriers. Cette situation n’était pas tant du à une préférence gouvernementale ou à une forme de lobbying, qu’à des contraintes industrielles fortes. En effet, il était alors nécessaire afin de maintenir en activité la ligne d’assemblage du Rafale qui à cette époque ne s’exportait pas et était loin de faire une telle unanimité comme aujourd’hui y compris au sein de la classe politique dirigeante, de produire 11 appareils par an. Et il revenait à l’Armée de l’Air d’en acquérir la majorité. Dans le même temps, Paris devait respecter ses engagements européens dans le cadre du programme A400M, lui aussi particulièrement dispendieux et sujet aux dérives. Ces deux programmes représentaient presque 2 Md€ par an d’investissements, soit 5la moitié des 4 Md€ alors consacrés aux Programmes à effets majeurs, dans le cadre d’un effort largement sous-financés durant l’ensemble de cette période.

Pour autant, ces crédits, pris en valeur absolue, étaient loin de permettre à l’Armée de l’Air de moderniser significativement ses forces, ou de prendre une avance significative dans ce domaine. Ainsi, elle ne pouvait, en 2015, mettre en oeuvre qu’une centaine de Rafale alors que seuls 3 A400M avaient été livrés à cette date, et que les flottes de Jaguar et Mirage F1CT/CR avaient été retirées du service respectivement en 2005 et en 2014. Le dernier Mirage 2000N devait, lui, quitter le service en 2018. Quant au dernier C160 Transall, il quitterait le service en 2022. De fait, aujourd’hui, cette force aérienne critique en occident, qui dispose notamment d’une composante de dissuasion, et qui fut très largement mise à contribution sur l’ensemble des théâtres d’opération au dessus desquels opérèrent les armées françaises, est gravement sous-capacitaire, comme l’a d’ailleurs souligné son Chef d’Etat-Major, le général Mille, lors de sa dernières audition devant la commission défense de l’Assemblée nationale, estimant qu’il manquait, pour la seule composante chasse, 40 appareils à son armée pour répondre aux enjeux à court et moyen terme. Il reviendra donc à la prochaine Loi de Programmation Militaire qui entrera en application en 2023, de répondre à ces besoins loin d’être sur-évalués.

Un format déjà insuffisant en 2014

Le format actuel de l’Armée de l’Air et de l’Espace fut défini dans le cadre du Livre Blanc rédigé de 2014 suite à l’élection de François Hollande à la magistrature suprême. Marqué dés sa conception par une sous-evaluation critique des menaces, y compris immédiates, ce document cadre prévoyait de doter l’Armée de l’air d’une flotte de 185 avions de chasse, de 50 avions de transport lourds ainsi que de 12 avions ravitailleurs, pour ne citer que les flottes les plus significatives. Rédigé en 2013, le Livre Blanc était obsolète avant même qu’il ne fut présenté publiquement en avril 2014, alors que les Armées françaises intervenaient au Mali dans le cadre de l’opération Serval dés le mois de janvier 2014, à peine un mois après le début de l’opération Sangaris en République Centre-Africaine. Un mois plus tard, les armées russes s’emparaient militairement de la Crimée ukrainienne, marquant le début d’une crise qui aujourd’hui conditionne les efforts de défense de toute l’Europe. Pourtant, les autorités françaises n’amendèrent pas ce Livre Blanc ni sa trajectoire budgétaire et capacitaire de toute évidence insuffisante après sa publication en dépit des évolutions sensibles du contexte sécuritaire international. Il fallut même l’intervention forte et déterminée du Ministre de La Défense, Jean-Yves le Drian, ainsi que des 4 chefs d’état-major de l’époque, pour empêcher le gouvernement socialiste d’aller encore plus loin dans les réductions de format et d’effectifs.

Atelier Rafale 1 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Afin de maintenir en activité la ligne de production Rafale, l’Armée de l’Air a commandé 11 appareils par an jusqu’en 2015, et la signature des premiers contrats à l’exportation

Reste que le format alors défini pour l’Armée de l’Air, comme pour les deux autres armées, demeure la référence en matière de planification, celle-ci ayant notamment été posée comme base de travail inamovible lors de la rédaction de la Revue Stratégique de 2017, comme lors de sa révision de 2021, et ce, même s’il était évident que ce format n’était pas même suffisant pour soutenir la pression opérationnelle des opérations exterieures françaises ces dernières années. En outre, si les livraisons d’A400M et d’A330 MRTT continuèrent au delà de 2015, celles de Rafale furent suspendues avec la signature des premiers contrats à l’exportation, permettant notamment de libérer des crédits pour financer d’autres programmes critiques comme Scorpion pour l’Armée de terre, ou le remplacement des SNA, frégates et pétroliers ravitailleurs de la Marine nationale. Non seulement l’Armée de l’Air ne perçut plus de Rafale entre 2016 et 2022, mais elle dut, dans le même temps, retirer du service ses Mirage 2000N, puis ses Mirage 2000C, alors que 24 de ses Rafale lui furent soustraits pour être exportés d’occasion vers la Grèce et la Croatie. De fait, aujourd’hui, la flotte de chasse française se compose de 96 Rafale B et C, dont une vingtaine sont dédiés à la mission de dissuasion et 3 à la formation, de 28 Mirage 2000-5, ainsi que de 66 Mirage 2000D, soit moins de 200 appareils, là ou elle en alignait 380 au début des années 2000.

La flotte de transport tactique n’est guère mieux lotie, avec 19 A400M Atlas évoluant aux cotés de 18 C-130 Hercule et de 27 avions de transport tactique légers CN-235, là ou elle alignait plus de 80 C160 Transall auparavant. Au final, seule sa flotte d’avions ravitailleurs a vu son format maintenu, les 15 KC-135 stratotanker acquis dans les années 60 auprés des Etats-Unis devant être remplacés par 15 A330 MRTT Phoenix, un appareil par ailleurs beaucoup plus performant. En revanche, la flotte de satellites militaires français, désormais sous le controle de l’Armée de l’Air devenue Armée de l’Air et de l’espace, s’est considérablement accrue, avec l’arrivée des satellites de reconnaissance optique NCO (2 satellites), Pléiades (2 unités) et Pléiades Neo (4 satellites), ainsi que les satellites de renseignement électromagnétiques Elisa et CERES (7 satellites), et de satellites de communication avec les 3 satellites du système Syracuse IV et 2 satellites franco-italiens. Enfin, l’Armée de l’Air s’est dotée de 12 drones Male MQ-9A Reaper auxquels viendront s’ajouter les 6 systèmes Euromale en cours de conception, et s’est vue attribuée le controle de la dDéfense anti-aérienne à longue portée jusqu’ici du ressort de l’Armée de Terre, et met en oeuvre 6 batteries SAMP/T Mamba, soit 2% du nombre de batteries S300-400 en Russie.

Reaper Armee de lair Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
l’arrivée des MQ9A Reaper joua un rôle important dans le soutien aérien apporté par l’Armée de l’Air aux forces françaises engagées au Mali dans le cadre de l’opération Barkhanne

Pour autant, et bien qu’en de nombreux aspects, l’Armée de l’Air dispose encore d’un format supérieur à celui visé par le Livre Blanc de 2014, l’expérience a montré sans le moindre doute qu’elle était gravement sous-capacitaire, alors même qu’il ne s’agissait, alors, que de soutenir des actions militaires au dessus de théâtres de basse ou de moyenne intensité, comme en Afrique sud-saharienne et au Levant. En effet, l’effet cumulé d’une utilisation intense des moyens aériens en opération extérieure entrainent une consommation très rapide du potentiel des aéronefs, de l’attrition liée aux programmes de modernisation, et d’une flotte sous-dimensionnée, entrainèrent un effondrement des taux de disponibilité de l’ensemble des flottes, accentué il est vrais par une mauvaise organisation de la maintenance liée en partie à la gestion des pièces en flux tendue incompatible avec la réalité opérationnelle. Or, si 200 avions de combat ne suffisent pas à soutenir une activité opérationnelle en soutien de quelques opérations exterieures de faible intensité, il est clair que ce format ne sera pas suffisant pour soutenir une action de haute intensité dans la durée au profit des armées françaises ou alliées.

Des impasses capacitaires critiques

Au delà des questions de format déjà déterminantes, l’Armée de l’Air et de l’Espace souffre également de certaines impasses capacitaires pouvant se révéler de profonds handicapes dans l’hypothèse d’un engagement de haute intensité. En premier lieu, seule la moitié de sa flotte de chasse est aujourd’hui susceptible d’évoluer efficacement dans un tel environnement. En effet, si le Rafale dispose de systèmes d’auto-protection efficaces capables de contrer, jusqu’à un certain point, la menace sol-air et air-air d’un adversaire symétrique, ce n’est pas le cas du Mirage 2000D, beaucoup plus vulnérable face à une defense anti-aérienne dense, le Mirage 2000-5 étant pour sa part un appareil de supériorité aérienne encore parfaitement efficace pour ce type de mission. En outre, les Rafale français, pas davantage que les 2000D, ne sont dotés de systèmes de brouillage de forte puissance susceptibles de neutraliser les radars adverses au profit d’autres aéronefs, ni de missiles anti-radiations conçus pour éliminer ces radars. De fait, l’élimination des systèmes anti-aériens adverses, indispensable pour s’assurer efficacement de la supériorité aérienne, ne peut être effectuée qu’avec des munitions à guidage laser ou GPS comme la bombe planante A2SM ou le missile de croisière SCALP, des armes peu efficaces pour cette mission, par ailleurs disponibles en faible quantité pour ce qui concerne le SCALP.

Rafale.SCALP EG AdlA 1068x710 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Seuls 100 missiles SCALP ont été modernisés, un nombre bien insuffisant pour en faire une arme de suppression des défenses anti-aériennes adverses

Dans ce contexte, équiper l’Armée de l’Air et de l’espace, mais également l’aéronautique Navale qui souffre des mêmes contraintes, d’une version spécialisée du Rafale dédiée à la guerre électronique et à la suppression des défenses anti-aériennes, à l’instar du Typhoon ECR commandé par la Luftwaffe, ou tout du moins des pods de brouillage et missiles anti-radiation nécessaires à la mission comme le fait la Flygvapnet suédoise avec ses Gripen F, est aujourd’hui si pas indispensable puisque d’autres forces aériennes alliées disposent de ces capacités, tout au moins très souhaitable pour préserver les objectifs d’armée globale et d’autonomie stratégique souvent mis en avant y compris par l’exécutif. De la même manière, l’absence de programme visant à équiper les forces aériennes françaises de drones de combat, qu’ils soient autonomes comme le S70 Okhotnik B et le MQ-25 Stingray, ou dédiés à la fonction de Loyal Wingman, préfigure un probable déclassement à relativement court terme, alors que toutes les grandes puissances miltaires aujourd’hui ont entrepris de se doter de tels systèmes avant la fin de la décennie.

Quelle Armée de l’Air et de l’Espace pour 2030 ?

La prochaine Loi de programmation Militaire qui couvrira l’essentiel de la décennie en cours, va donc jouer un rôle décisif pour le futur de la puissance aérienne française, ce d’autant qu’elle ne sera pas précédée par la redaction d’un document cadre pour définir et mettre en cohérence l’effort de défense national. S’il semble désormais impensable de reconduire le format défini par le Livre Blanc de 2014, il est toutefois peu probable que la LPM définisse un format allant au delà de sa propre durée, c’est à dire jusqu’en 2028 ou 2029, alors que le quinquennat en cours prendra fin, pour sa part, en 2027. Dans ce contexte, il est probable qu’effectivement, le format visé par la LPM se concentre sur une flotte de chasse de 225 appareils comme demandé par le Chef d’Etat-Major, ce qui suppose la livraison d’une soixantaine de Rafale sur cette période, soit les 27 appareils de la tranche IV restant à livrer, les 24 appareils compensés des prélèvements Croate et Grec, ainsi qu’une première commande concernant le tranche 5. Au delà des couts que représentent déjà de telles livraisons, et de ceux liés à la conception des futurs standards de l’appareils F5 puis F6 et la modernisation du parc existant, il est probable que Dassault Aviation ne sera pas en capacité de livrer davantage de Rafale à la France alors qu’il devra, concomitamment, livrer les 80 Rafale Emiratis et les 30 Rafale Egyptiens, et que d’autres commandes à visée court terme, comme l’Indonésie, l’Inde et l’Irak, restent à confirmer. La livraison des A400M, pour atteindre un format final de 50 appareils, et d’A330 MRTT Phoenix, pour atteindre 15 appareils, continuera probablement sans variation au cours de la LPM, alors que certains appareils spécialisés comme les appareils de renseignement électronique Archangel, entreront eux aussi en service au cours de celle-ci.

Morphee A330 MRTT Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
les A330MRTT phœnix ont été mis a contribution en 2020 lors du pic épidemique de Covid afin de transporter des malades vers des hôpitaux de province

Les opportunités de progression doivent donc être recherchées ailleurs dans le cadre de cette LPM. En particulier, celle-ci pourra donner lieu à des programmes de developpement visant à concevoir les équipements qui pourront être produits à la fin de la décennie, et qui s’avèreront indispensables lorsque le pic de tensions international sera atteint, probablement à partir de 2030. il pourrait s’agir, comme évoqué dans un précédent article, d’une capacité de suppression des défenses adverses pour le Rafale, d’un drone de combat furtif, ou des deux, afin d’être en mesure se confronter aux défenses antiaériennes multicouches les plus évoluées. Il peut également s’agir du developpement d’un avion de transport tactique destiné à remplacer le Transall, d’ores et déjà entreprit dans le cadre de la coopération permanente structurée ou PESCO. La conception d’un avion d’entrainement et d’attaque de nouvelle génération peut être envisagée, possiblement dans le cadre du programme SCAF, afin de remplacer les Alpha jet qui arrivent au terme de leur potentiel, ainsi que d’une alternative française, et éventuellement italienne, au programme anti-missiles TWISTER européen, attribué à l’Espagne au détriment de la France en dépit de l’experience technologique sensiblement supérieure de MBDA france dans ce domaine. Enfin, cette LPM pourrait concrétiser l’acquisition ou la conception d’hélicoptères de combat lourds afin de conférer à l’Armée de l’Air et de l’espace des capacités comparables à la Luftwaffe ou la Royal Air Force dans ce domaine.

SCAF Artiste Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
l’avenir incertain du SCAF va jouer un rôle critique dans la conception de la LPM 2023-XX

Mais le schwerpunkt demeurera, pour cette LPM, d’appréhender l’avenir du programme SCAF, ou de ses alternatives. En effet, si la conception de cette loi intervient comme prévu d’ici la fin d’année 2022, il est peu probable qu’à cette date, une posture ferme et définitive soit actée par la France et l’Allemagne dans ce dossier. Or, c’est précisément au cours des quelques années à venir que la conception du remplaçant du Rafale devra être effectuée, ce afin de disposer effectivement d’un nouvel appareil opérationnel à la fin de la prochaine décennie, comme requis notamment pour la dissuasion. Il est toutefois peu probable qu’un tel objectif, pourtant indispensable pour les forces aériennes françaises qui ne peuvent s’appuyer sur le F-35 comme solution intérimaire comme l’Allemagne et probablement l’Espagne, puisse être respecté. Dès lors, la LPM aura la difficile tache d’être suffisamment souple pour s’adapter à de telles retournement, sauf bien entendue, si elle décide d’entreprendre la conception d’un Super Rafale comme solution intérimaire, ce indépendamment de l’avenir du programme SCAF.

Conclusion

On le voit, concernant les composantes clés pour l’Armée de l’Air et de l’espace, il est peu probable que la prochaine LPM vienne à innover ou à surprendre, s’inscrivant dans une trajectoire déjà presque intégralement définie, et peu encline à évolution du fait des contraintes industrielles de production. En revanche, celle-ci aura un rôle décisif pour préparer l’avenir de ce que sera l’AAE au delà de 2030, en décidant ou non d’engager le developpement de plusieurs programmes qui, tous, auront un impact déterminant sur les capacités opérationnelles des forces aériennes comme de l’ensemble du dispositif militaire français qui en dépend directement, et à tous les échelons, qu’il s’agisse de protection, de logistique, de renseignement ou de puissance de feu. Si, pour l’Armée de terre ou la Marine nationale, des arbitrages peuvent être menés dans le cadre de cette LPM avec des conséquences capacitaires à relativement court terme, ceux qui s’imposent à l’Armée de l’Air et de l’Espace ne pourront porter leurs fruits qu’au cours de la prochaine décennie, là où, du reste, ils seront probablement nécessaires voire décisifs. On ne peut qu’espérer que la nature urgente de cette nouvelle Loi de Programmation Militaire, ne négligera pas cette dimension au profit exclusifs de gains capacitaires immédiats. Faute de quoi, il se pourrait bien que les incertitudes qui s’appliquent aux forces armées françaises aujourd’hui perdurent bien au delà de la présente décennie.

Erdogan mobilise son électorat nationaliste en menaçant la Grèce d’une attaque sans préavis

Pendant un temps, on eut pu penser que le président turc, R.T Erdogan, tentait de se racheter une virginité vis-à-vis de ses partenaires de l’OTAN et des Etats-Unis, après que la Russie ait attaquer l’Ukraine. Initialement ferme avec Moscou, Ankara avait notamment soutenu la défense ukrainienne en livrant des drones TB2 Bayraktar, devenus rapidement l’un des symboles de la résistance du pays, et en fermant les détroits menant à la mer noire afin d’empêcher la Marine russe d’y transférer des navires. Dans le même temps, la Turquie faisait pression sur Washington et la Maison Blanche afin que celle-ci autorise l’acquisition de nouveaux chasseurs F-16 et des kits de modernisation pour ses propres appareils, ainsi que pour pouvoir à nouveau acquérir des turbines d’hélicoptères pour sa propre industrie. Par la suite, alors que la Finlande et la Suède posaient leurs candidatures pour rejoindre l’OTAN, le président turc opposa son veto, officiellement pour amener Stockholm et Helsinki à durcir leurs positions contre les militants kurdes réfugiés dans ces pays, mais également pour amener Washington à céder sur la question de l’armement.

Malheureusement pour le dirigeant turc, le Congrès américain semble ne pas être enclin à céder rapidement sur le sujet, alors que dans le même temps, ce dernier fait face avec son parti à une baisse sensible dans les sondages à quelques mois seulement des prochaines échéances législatives et présidentielles dans le pays. Ne pouvant se tourner contre l’ennemi kurde en territoire syrien comme il l’avait annoncé précédemment, alors que la Russie est déjà à couteau tirée avec l’occident, il semble que R.T Erdogan ait décidé de relancer une dynamique de tension avec le voisin grec, d’abord en rompant les discussions bilatérales en Mai, puis en annonçant la reprise des explorations minières en mer Egée, et en multipliant les incursions aériennes dans la zone d’identification aérienne sous controle grecque, tout en accusant Athènes de provocation en faisant intervenir sa chasse et sa défense anti-aérienne. Dernier argument en date, les autorités turques ont dénoncé la remilitarisation des iles grecques de mer Egée bordant ses cotes, comme l’ile de Lesbos, et le président Erdogan de menacer directement Athènes d’une possible attaque militaire sans préavis en représailles, usant de symbole nationalistes forts pour cela, notamment la bataille d’Izmir qui vit une victoire turque sur les forces grecques en 1922.

Le president R.T Erdogan Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
En baisse dans les sondages et à quelques mois d’une échéance électorale nationale, le président Erdogan se tourne vers son électorat nationaliste en relançant les tensions avec Athènes

Il faut dire que les élections présidentielles et législatives de 2023 se présentent mal pour le président Erdogan et son parti AKP. Donné à plus de 45% dans les sondages à la mi-2021, le parti est descendu entre 30 et 35% des intentions de votes aujourd’hui, ayant notamment perdu une grande partie de l’adhésion de la jeunesse turque. Dans le même temps, le principal parti d’opposition kemaliste, le CHP, est passé au delà des 30% d’intention de vote, ayant même surpassé l’AKP temporairement en Avril, avant qu’Erdogan ne relance les tensions avec Athènes. Ne pouvant ni se prévaloir d’une grande victoire symbolique dans le cadre de l’OTAN, ni d’avoir fait plier Washington au sujet des F-16, il est nécessaire pour le président turc de s’appuyer sur son électorat nationaliste pour tenter de renverser la tendance, alors que l’inflation dans le pays reste galopante, ayant dépassé la barre des 80% en aout, et que le chômage reste très élevé, notamment pour les jeunes au delà de 20%.

Reste que si les menaces et les rodomontades ne suffisent pas à inverser la dynamique électorale pour le président turc, il faut craindre qu’il ne joigne le geste à la parole. En effet, alors que l’Europe est empêtrée dans une crise énergétique sans précédant et un bras de fer avec Moscou, il est parfaitement possible que les autorités turques en viennent à estimer que personne en Europe ne bougerait en cas d’attaque sur quelques obscures iles de la mer Egée, fussent-elles grecques. Et force est de constater qu’il est probable que beaucoup de capitales européennes tenteraient alors de transiger plutôt que de risquer une confrontation avec Ankara, surtout que le pays dispose d’une importante force militaire. Quant aux Etats-Unis, leur doctrine séculaire en cas de conflit entre alliés est de mettre les deux belligérants sous embargo et d’attendre de voir ce qui émerge. Pour autant, Athènes pourrait être bien moins isolé qu’il n’y parait dans une telle hypothèse.

F16 Greece HAF Block70 Viper Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Les F-16 grecs auraient intercepté des appareils turcs en Mer Egée selon les autorités turques.

D’une part, la Grèce et la France ont signé il y a tout juste un an, un accord de défense bilateral impliquant un engagement de défense réciproque si l’un ou l’autre des deux pays venait à subir une attaque sur son sol. Si, comme à l’accoutumée, les moyens engagés restent à l’appréciation des pays, il s’agit d’un engagement fort de la part de la France pour protéger l’intégrité territoriale grecque, celle-ci s’étendant aux iles de la Mer Egée. A ce titre, la ministre des affaires étrangères française Me Colonna, a rencontré son homologue grec Nikos Dendias a Athènes pour répondre conjointement, et fermement, aux menaces proférées par Ankara, et pour rappeler la determination française à défendre l’intégrité territoriale de son allié. En outre, Athènes s’est rapprochée d’autres alliés potentiels dans une telle hypothèse ces derniers mois, en particulier de l’Egypte et des Emirats Arabes Unis, deux pays qui disposent eux aussi d’une puissante force militaire, et dont les dirigeants vouent une haine féroce aux Frères Musulmans et à leurs alliés, dont fait parti l’AKP du président Erdogan.

Reste qu’au delà des positions publiques et d’éventuelles déploiements de forces françaises visant à dissuader toute initiative malheureuse de la part d’Ankara, il semble désormais nécessaire que Paris fasse pression sur certains de ses partenaires proches pour mettre fin à certains programmes militaires turcs, tout au moins jusqu’au élections de l’année prochaine. Ainsi, l’allemand TKMS assiste le pays dans la construction de 6 sous-marins d’attaque à propulsion anaérobie Type 214 de la classe Reis, dont le premier navire a été lancé en 2019. Selon Berlin, l’embargo européen sur les armes décrété contre Ankara suite à l’intervention en Syrie, ne s’appliquait pas à ce programme, puisqu’il s’agissait de sous-marins et non d’armement terrestre. Dans le même temps, l’Italie a repris sa collaboration avec Ankara concernant les programmes d’hélicoptères, et tente également de convaincre Paris d’autoriser certains transferts de technologies autour du système antiaérien ASMP/T Mamba et du missile sol-air Aster pour developper un système anti-aérien à moyenne portée turc. Enfin, la Grande-Bretagne, et en particulier Rolls-Royce et BAe, ont renoué des relations avec la Turquie dans le but de developper le programme de chasseur de nouvelle génération TFX.

Type 214 classe Reis Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
le sous-marin Type 214 Pirireis, première unité de la classe Reis, a été lancé en 2019

Une chose est certaine, tant que le président Erdogan restera à la tête de l’état turc, le pays continuera de représenter une menace pour ses voisins, en particulier pour la Grèce, mais également pour l’Arménie, alors que les tensions entre Erevan et Bakou allié très proche d’Ankara, repartent elles aussi, et menacent de se transformer à nouveau en guerre ouverte. Dans ce contexte, il semble aberrant que des pays européens continuent d’alimenter Ankara en technologies de défense alors même que la Turquie menace directement un membre de l’Union Européenne, allié de l’OTAN comme la Grèce. Quant à la France alliée d’Athènes, il semble indispensable qu’elle déploie des unités navales et/ou aériennes dans la région pour signifier, de manière non ambiguë, son soutien indéfectible, et dissuader les autorités turques de toute mauvaise interprétation sur fond de pression électorale. Faute de quoi, il pourrait bien surgir une seconde guerre sur le sol européen en moins d’une année de temps ….

LPM 2023 : La Marine Nationale face au défi indo-pacifique

Interrogé le 27 juillet par les députés de la commission Défense de l’Assemblée nationale, l’Amiral Pierre a répété ce qu’il ne cesse de dire depuis sa nomination au poste de Chef d’Etat-major de la Marine nationale en septembre 2020 « Le réarmement massif observé dans le Monde fera de la mer une zone de conflit dans les années à venir ». En effet, en quelques années seulement, la Marine française est passée d’une posture de paix, certaine que la meilleure défense dont disposait ses bâtiments était le pavillon qu’ils arboraient, à une préparation active à des engagements de haute voire de très haute intensité. Le fait est, le contexte stratégique naval a considérablement évolué en deux décennies, avec d’une part une dépendance accrue des états au transport maritime sur fond de mondialisation galopante, et d’autre part l’émergence conjointe de grandes puissances navales comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Japon ou la Corée du Sud, ainsi que la dissémination de nombreuses technologies critiques comme les sous-marins, les frégates armées de missiles et même des porte-aéronefs, au sein de marines qui, jusque là, se limitaient à des fonctions de garde cotes. Dans ce contexte, quels pourraient être les arbitrages menés par la prochaine Loi de Programmation Militaire, alors que les contraintes budgétaires restent très fortes dans le pays ?

La Marine nationale aujourd’hui

Si la Marine Nationale et son format font l’objet d’une grande attention, et de nombreuses attentes, force est de constater que des 3 armées françaises, c’est elle qui, aujourd’hui, a su le mieux se préserver face aux ravages budgétaires de ces 20 dernières années. Elle a bien perdu un porte-avions avec son unique navire de la classe Charles de Gaulle contre deux navires de la classe Clemenceau dans les années 80, mais le navire est autrement plus performant, avec un groupe aérien embarqué moderne et d’une grande efficacité pour l’ensemble des missions, ce qui n’était pas le cas du Foch ou du Clemenceau. Elle a cependant conservé ses 3 grands navires d’assaut, remplaçant très avantageusement les TCD Orage et Ouragan ainsi que le porte-hélicoptères Jeanne d’arc, par 3 Porte-hélicoptères d’assaut de la classe Mistral.

french mistral class assault ship Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Les PHA de la classe Mistral offrent des capacités opérationnelles démultipliées vis-à-vis des navires qu’ils ont remplacé

Elle est également parvenue à préserver sa flotte de 6 sous-marins nucléaires d’attaque, les 6 Rubis devant être remplacés par 6 Suffren au cours de la décennie, alors que sa flotte de frégates de premier rang a également été maintenue, avec 2 frégates de défense aérienne Horizon et 2 frégates FREMM anti-aériennes Alsace pour remplacer les 2 destroyers classe Suffren et les 2 frégates Cassard d’une part, ainsi que 11 frégates de lutte anti-sous-marine, 6 frégates FREMM Aquitaine et 5 FDI Amiral Ronarc’h, pour remplacer les 3 F67 classe Tourville et les 7 F70 Georges Leygues. Et si les 17 avisons A69 ne seront remplacés que par 9 Patrouilleurs de Haute Mer, l serait question qu’une commande de 3 FDI supplémentaires soit annoncée afin de remplacer les 5 Frégates Légères furtives Lafayette, celles-ci ayant par ailleurs remplacé les 8 A69 retirés du service pour être vendues à l’export au début des années 90. Seule l’aéronautique navale, qui est passée de 80 à 40 chasseurs embarqués, de 38 à 18 avions de patrouille Maritime, et de plus de 120 hélicoptères à 70; ainsi que la flotte de guerre des mines, qui ne recevra que 6 nouveaux Bâtiments de Guerre des Mines contre 13 chasseurs de mines Eridan, ont connu des coups de rabot comparables à ce qu’ont subi l’Armée de Terre ou l’Armée de l’Air, mais également d’autres marines comme la Royal Navy qui aura perdu la moitié de ses frégates et destroyers entre 1985 et 2030.

La fregate de defense aerienne Forbin de la Marine Nationale issue du programme franco italien Horizon Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
les deux frégates de défense aérienne Forbin et Chevalier Paul sont aujourd’hui les navires de surface combattant les plus puissamment armés de la Marine nationale avec 48 missiles anti-aériens Aster

Dans le même temps, et au delà des progrès technologiques eux-mêmes, les nouveaux navires et aéronefs dont dispose et disposera la Marine nationale lui offre d’importants gains capacitaires, comme c’est le cas des FREMM Aquitaine et des SNA Suffren, tous deux armés de missiles de croisière MdCN permettant de frapper des cibles terrestres à plus de 1200 km, ou de l’ensemble des frégates qui sont désormais équipées de missiles anti-aériens Aster, et notamment de l’Aster 30 d’une portée de plus de 100 km, capable de developper une stratégie de déni d’accès dont seuls les 4 navires spécifiquement anti-aériens de la génération précédente étaient capables, au prorata des capacités technologiques du moment. De même, les PHA Mistral offrent une panoplie de capacités opérationnelles bien plus étendue que celle dont disposaient les TCD précédant, tant pour mener un assaut amphibie qu’aéroporté, ou pour soutenir au combat une flotte ou un corps expéditionnaire. L’aéronautique navale, enfin, aligne désormais des avions Rafale capables de se mesurer aux meilleurs appareils adverses y compris basés à terre, mais également de mener des missions anti-navires ou des frappes vers la terre à grande distance, bien au delà que ce que la couple Super Etendard et F8 Crusader pouvait offrir précédemment à la chasse embarquée.

Un format hérité de la guerre froide mais daté

De fait, la Marine Nationale en devenir aujourd’hui, et qui aura atteint son plein potentiel en 2030, n’aura guère à envier à la Marine nationale de 1985, à l’exception de son second porte-avions. Alors que l’Armée de l’Air a perdu plus des 2 tiers de ses avions de combat sur la même période, et l’Armée de terre autant de ses blindés chenillés et de ses pièces d’artillerie, la Marine Nationale a préservé l’essentiel de son format, s’appuyant notamment sur les progrès de l’automatisation qui ont permis de diviser par 2 les équipages armant la plupart de ses navires pour réaliser les économies budgétaires demandées. Qui plus est, si la menace terrestre de haute intensité semblait avoir disparu après la chute du bloc soviétique, les tensions navales, elles, ne s’estompèrent que partiellement, même si elles changèrent de nature au cours des 20 premières années ayant suivi la fin de la guerre froide. On pourrait donc penser que dans de telles circonstances, et considérant les besoins critiques de l’Armée de terre et de l’Armée de l’Air et de l’Espace dans le domaine capacitaire, la prochaine Loi de Programmation Militaire qui prendra effet en 2023, pourrait se contenter de sécuriser les programmes déjà engagés, comme les sous-marins nucléaires d’attaque Suffren, les frégates FDI, les pétroliers ravitailleurs Chevalier, les European Patron Corvette destinées à remplacer les 6 frégates de surveillance ainsi que les hélicoptères Guepard et les avions de surveillance maritime Albatros.

fdi 1 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Compacte, furtive, économique et bien équipée, la FDI classe Amiral Ronarc’h complètera efficacement la flotte de frégates de 1er rang de la Marine Nationale. 5 unités sont déjà commandées, mais il est question d’une commande de 3 navires supplémentaires.

Ce serait toutefois sans tenir d’un facteur critique et déterminant : le théâtre opérationnel dans lequel évoluait la Marine Nationale en 1985, n’a plus aucun rapport avec celui dans lequel elle évoluera en 2030. Ainsi, d’un point de vue purement géographique, les navires français de la guerre froide devaient avant tout participer à la sécurisation de la Mer Méditerranée, de la Mer du Nord et de l’Atlantique nord, face à une menace unique, la Marine soviétique, et surtout à ses deux composantes clés, les sous-marins d’une part, et ses bombardiers à long rayon d’action Badger (Tu-16), Blinder (Tu-22) et Backfire (Tu-22M) d’autre part. En 2030, avec l’émergence de la menace que représente la flotte chinoise et le retour de la Marine russe, les zones potentielles de conflictualité se repartiront, quant à elles, jusque dans l’océan indien et le Pacifique, mais concerneront également l’Atlantique sud, le Moyen-orient et l’arctique. En d’autres termes, là ou la Marine nationale avait un contrat opérationnel principal que l’on peut qualifier de régional en 1985, elle devra répondre à un contrat opérationnel mondial en 2030.

Sous marin russe de la classe Iassen Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
La flotte sous-marine russe retrouve des niveaux opérationnels élevés ces dernières années, notamment avec l’arrivée de nouveaux navires comme les sous-marins de la classe Iassen-M

Au delà de l’extension considérable de la surface maritime à protéger, la Marine nationale devra également faire face à la multiplication des menaces, avec l’émergence de nombreuses marines ayant de fortes capacités de nuisance potentielles, et ce sur l’ensemble des océans. Ainsi, en Méditerranée, si la marine russe reste relativement discrète et peu présente en dehors de sa base syrienne de Tartous, les marines égyptiennes et algériennes ont considérablement développés leurs capacités, tout comme c’est le cas de la marine turque, alors que la Méditerranée Orientale est plus que jamais un hub stratégique pour l’Europe, par lequel transit un important fret maritime ainsi que plusieurs gazoducs et pipeline et d’importants backbones de communication. Il en va de même dans le Golfe persique et dans tout le Moyen-Orient, avec le renforcement rapide des capacités de la marine et des forces aériennes iraniennes, ainsi que de celles de ses voisins et parfois adversaires déclarés. L’Ocean indien est pour sa part désormais une zone de transit stratégique pour les échanges commerciaux entre l’Asie et l’Europe, alors que plusieurs puissances moyennes, comme l’Inde, le Pakistan, la Malaisie ou l’Indonésie développent activement leurs marines militaires. Il en va de même dans le Pacifique occidental, avec un bras de fer naval qui ne cesse de se croitre entre la Chine d’une part, et ses voisins japonais, sud-coréens, philippins ou vietnamiens, sur fond de contestations territoriales en Mer de Chine du sud. Surtout, ce théâtre est l’objet d’une confrontation larvée entre Washington et Pékin au sujet de Taiwan, les deux pays ayant désormais ouvertement déclenchés une course aux armements, en particulier dans le domaine naval.

Type 055 new Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
La Chine poursuit un effort considérable pour se doter rapidement d’une puissante flotte capable de rivaliser avec l’US navy dans le pacifique, notamment avec l’arrivée des nouveaux croiseurs Type 055

L’ensemble de ces tensions et conflits potentiels viennent directement menacer certains territoires français ultra-marins, mais également des lignes d’approvisionnement stratégiques pour le pays et son économie, et en tant que tels, devraient être en mesure de disposer d’une protection navale efficace et permanente, allant bien au delà de la posture actuelle qui s’apparente davantage à une fonction de gardes cotes que de marine militaire. En d’autres termes, le format en devenir de la Marine nationale, s’il répond effectivement aux besoins de la guerre froide, n’est plus adapté aux exigences et aux menaces qui se dessinent aujourd’hui.

Quel format pour répondre aux enjeux à venir

Alors, quel serait le format nécessaire pour que la Marine nationale puisse répondre à de tels enjeux. Etonnement, la question trouve sa réponse dans la programmation navale française des années passées. En effet, au milieux des années 2000, l’Etat-major de la Marine nationale entreprit de concevoir un plan et une flotte pour répondre à de telles hypothèses. Pour cela, elle entendait se doter de 4 frégates Horizon et de 17 frégates FREMM en deux versions, l’une spécialisée dans la lutte anti-sous-marine, l’autre dans la lutte anti-surface à l’appuie des forces, soit un total de 21 frégates de 1er rang. Dans le même temps, il militait pour que le nombre de frégates anti-aériennes passe de 4 à 6, et le nombre de SNA de 6 à 8, ainsi que pour que la construction du PA2 soit entamée. Ainsi dimensionnée, la flotte française aurait eut un format proche de celui visé aujourd’hui par la Royal Navy avec 2 porte-avions, 25 frégates dont 7 anti-aériennes et 7 SNA, et les deux marines auraient été en capacité, avec leurs alliées européens, de tout à la fois contenir la menace russe mais également d’assurer la sécurité de l’Atlantique Nord, de la Méditerranée et désormais de la mer Baltique et de la Mer Noire, tout en conservant de significatives capacités de déploiement dans le Golfe Persique, l’océan indien et l’océan pacifique.

porte avions charles de gaulle FREMM Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le Charles de Gaulle armé de Rafale et une frégate FREMM de la classe Aquitaine symboliser l’évolution opérationnelle de la marine nationale

La LPM en devenir pourrait relativement aisément recoller à cet objectif. En effet, il est désormais question de manière récurrente que le nombre de FDI commandées soit amené de 5 à 8 unités, faisant passer le nombre de frégates de 1er rang à 18. Tout comme il est fréquemment fait référence à la construction d’un 7ème sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Suffren. De fait, il ne manquerait alors que 2 frégates spécialisées en matière de défense anti-aérienne pour se rapprocher des ambitions exprimées. Si la conception d’une nouvelle classe de destroyer anti-aérien, à l’instar de Type 45 Daring britannique ou de la nouvelle classe de destroyer italien, aurait naturellement de l’intérêt, il ne fait guère de doute que la Marine nationale se satisferait de deux FDI armées de 4 systemes SYLVER 50, lui permettant d’emporter 32 missiles Aster 30 comme les 2 frégates FREMM DA Alsace et Lorraine, pour assurer cette fonction. En matière de sous-marins, comme nous l’avions déjà abordé, la France aurait par ailleurs tout intérêt à commander deux sous-marins à propulsion conventionnelle de nouvelle génération aux cotés d’un SNA supplémentaire, de sorte à soutenir la compétitivité de son offre industrielle dans ce domaine pour les 2 à 3 décennies à venir. Au total, les 3+2 FDI supplémentaires, ainsi que le SNA et les deux SSK, représenteraient une enveloppe de 7 à 8 Md€ pour compléter la dotation de la flotte et faire face aux exigences opérationnelles à venir, soit un peu plus de 1 Md€ par an sur la durée de la LPM à venir.

Le cas du porte-avions 2

Reste, bien évidemment, la question du second porte-avions, autrement plus difficile à traiter. Pourtant, dans le contexte actuel, le porte-avions s’avère une arme sans équivalent dans le combat naval, capable aussi bien de s’assurer de la supériorité aérienne dans un espace couvrant 1,5 millions de km2, que de mener des frappes anti-navires ou contre des cibles terrestres à longue distance jusqu’à 2000 km, ainsi que d’assurer le soutien aérien rapproché de forces amphibies. En d’autres termes, pour disposer d’une puissance de feu et d’une allonge comparable à celle d’un porte-avions de la classe du Charles de Gaulle, il serait nécessaire de disposer de plus d’une douzaine de frégates, sans qu’elles puissent être en mesure de soutenir l’activité opérationnelle sur une durée équivalente. Or, pour qu’une telle puissance militaire s’avère dissuasive, il est indispensable de disposer d’au moins deux de ces navires, de sorte à garantir une permanence opérationnelle, si pas un permanence à la mer qui nécessiterait, elle, 3 bâtiments. Malheureusement, depuis jacques Chirac, les présidents qui se sont succédés à l’Elysée ont tous reporté à la prochaine mandature la décision de construire un second navire de ce type. Quant au président Macron, s’il a annoncé la conception du remplaçant du Charles de Gaulle pour 2038, il a également enterré définitivement l’hypothèse d’un PA2 à court ou moyen terme, reportant à une date ultérieure la décision de doter le futur PAN d’un sister-ship ou non. Or, aujourd’hui, tout porte à croire que le pic de tensions, en particulier dans le Pacifique autour de la confrontation autour de Taiwan, débutera bien avant l’échéance de 2038, sans même parler d’une échéance ultérieure pour un éventuel second porte-avions. Dans ce domaine, et à l’instar des programmes comme SCAF et MGCS, la programmation française semble figée dans un tempo technologique hérité de la période post guerre froide, alors que tout indique que celui-ci a considérablement accéléré pour se calquer sur ce qu’il était dans les années 70 et 80, au plus fort de la course aux armements.

PANG1 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le PANG doit entrer en service en 2038, mais aucune décision concernant un éventuel sister-ship n’a été annoncée

Dans les faits, si l’hypothèse d’un second porte-avions devait être envisagée lors de cette LPM, deux options s’offriraient aux décideur français. En premier lieu, il serait possible d’accélérer sensiblement la conception du PANG, de sorte à viser une entrée en service 5 ans plus tôt que l’échéance actuelle de 2038. Dans une telle hypothèse, le Charles de Gaulle jouerait alors le rôle de PA2, dans l’attente qu’un sister-ship au PANG soit construit, quitte à étendre la durée de vie du navire, qui n’aura que 38 ans de vie opérationnelle en 2038, là ou le Nimitz américain, par exemple, est toujours en service après 47 années. Cela permettrait de viser une format à deux porte-avions, qui plus est tous deux nucléaires, à horizon 2033, soit dans la fenêtre de fortes tensions identifiées. L’autre possibilité, également évoquée lors d’un article précédant, serait de lancer concomitamment au developpement du PANG, le developpement d’un porte-avions léger à tremplin destiné à remplir le rôle de PA2 pour le Charles de Gaulle initialement, puis du PANG par la suite. Selon l’hypothèse étudiée, une telle classe forte de deux navires, apporterait non seulement un important relais opérationnel à l’unique porte-avions CATOBAR en service, pour un cout d’acquisition et de mise en oeuvre bien inférieur, mais à l’instar du SSK vis-à-vis du SNA, ouvrirait d’importantes opportunités à l’export à l’industrie navale française, avec la possibilité d’ne neutraliser les couts de developpement et de fabrication, ce dont il est difficilement question avec PANG.

Conclusion

La Marine Nationale sera amenée à relever de nombreux défis dans les années à venir, qu’ils soient opérationnels, avec une répartition géographique plus étendue que jamais et des menaces polymorphes et dispersées, technologiques, avec l’arrivée des systèmes autonomes et des armes hypersoniques, ou humain, avec une difficulté croissante pour faire cohabiter les exigences de la vie de marin et celles de la vie moderne. Pour autant, la question du format de la flotte demeure au coeur de tous ces enjeux, aussi bien pour contenir les menaces que pour lisser la pression opérationnelle sur les équipages. En outre, alors que les risques de confrontation vont croissants, il est désormais indispensable de considérer les effets de l’attrition potentielle sur les capacités d’action, et donc de dimensionner la flotte au regard de ces paramètres.

Si la Marine nationale a su, notamment en réduisant le format de ses équipages, atténuer les effets des coupes budgétaires qui ont sévèrement handicapé l’Armée de terre et de l’Air, elle n’en demeure pas moins aujourd’hui sous-capacitaire vis-à-vis des évolutions de son contrat opérationnel. Dans ce contexte, la prochaine Loi de Programmation Militaire aura la responsabilité de déterminer si la Marine française a effectivement vocation à intervenir sur l’ensemble des mers et océans, ou si elle devra à l’avenir se contenter de jouer le rôle de marine regionale forte, en Méditerranée et dans l’Atlantique Nord. Une chose est certaine, l’un ne va pas sans l’autre, et il ne sera pas possible d’afficher des ambitions françaises dans le Pacifique et l’Ocean Indien, sans que le format de la flotte ne soit adapté en conséquence.

L’industrie de défense russe à la peine face à la pression opérationnelle en Ukraine

Depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine, de nombreuses sources se sont faites l’écho d’importantes difficultés rencontrées par l’industrie de défense russe. Qu’elles soient ou non contestées, force est de constater que les déploiements de materiels militaires russes en Ukraine tendent à baisser en gamme technologique, et non l’inverse. Ainsi, si lors des premières semaines du conflit, les pertes russes documentées en matière de chars de combat portaient essentiellement sur des modèles récents comme le T-72B3obr1989 ou obr2016, et le T80BV et BVM, les observations de destruction de T-72A ont augmentés à partir du mois d’avril, alors que les pertes de chars modernes diminuaient. Depuis juin, on a même vu l’apparition de T62M, d’abord sur les reseaux sociaux puis dans les inventaires détruits ou endommagés, alors que ces chars étaient sensés avoir été retirés du service il y a plus d’une dizaine d’années. La situation est identique dans de nombreux domaines, avec le retour de systèmes d’artillerie anciens comme le Tulpan, ou de munitions air-sol datées, comme le KH-22. Enfin, les interceptions de communication entre soldats russes, qui valent ce qu’elles valent, semblent également indiquer que ceux-ci peinent désormais à recevoir une peine dotation de munitions, ou tout simplement à équiper convenablement les nouvelles recrues.

Dans ce contexte, l’information révélée par le New York Times, selon laquelle Moscou aurait négocié avec Pyongyang l’acquisition d’un important stock de munition d’artillerie de 152 mm et de roquettes de 122mm, des systèmes extrêmement rustiques et non guidés, tend à renforcer la conviction selon laquelle l’industrie de défense russe rencontrerait aujourd’hui d’importantes difficultés pour répondre aux besoins des forces engagées en Ukraine. Toutefois, si le constat souffre peu de contestation, même s’il ne constitue en rien une tendance transposable de manière certaine en avantage ou faiblesse sur le terrain, les raisons avancées pour expliquer cette situation, sont pour leur part très nombreuses, parfois antagonistes entre elles, et souffrent le plus souvent d’une vision plus globale.

BM 21 LRM Russie 001 e1662477293185 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
la Russie aurait commandé un important stock de munition d’artillerie de 152 mm et de roquettes de 122 mm auprés de la Corée du Nord selon le New York Times

En premier lieu, il est utile d’observer quelle était l’efficacité et la productivité de cette industrie dans les mois et années ayant précédé le conflit. Ainsi, l’industrie de défense constituait en 2021, la première activité industrielle secondaire du pays, employant entre 2,5 et 3 millions de collaborateurs, soit 20% de l’activité manufacturière du pays. Celle-ci réalisait un chiffre d’affaire annuel de plus de 15 Md$, la moitié étant dédiée à l’exportation. Cependant, si cette industrie représentait, en terme de volume humain, plus de 10 fois la taille de la base Industrielle et Technologique de Défense française, elle ne produisait que 10 à 15% de chiffre d’affaires supplémentaires que la France, et environ 2,5 fois plus d’équipements que les grandes entreprises de défense françaises chaque année. En d’autres termes, cette industrie était déjà, en amont du conflit, particulièrement peu efficace, et si les équipements russes étaient performants y compris en terme de tarifs sur la scène internationale, c’était avant tout du fait du très faible cout de la main d’œuvre dans le pays, en particulier pour cette activité.

Depuis l’entame de la guerre en Ukraine, le pays fait par ailleurs l’objet de sévères sanctions émanant des Etats-Unis, d’Europe mais également du Japon ou d’Australie. L’attention médiatique s’est beaucoup focalisée sur la pénurie supposée de composants électroniques pour la conception d’armes de précision, ceci trouvant sa justification dans le fait que les armées russes étaient contraintes d’employer des armement non guidés ou des armements de génération antérieure pour frapper les ukrainiens. Toutefois, cette explication est très peu satisfaisante. En effet, s’il est vrai que les composants électroniques sensibles n’étaient plus exportés en Russie, cela ne concernait pas les composants plus conventionnels, qui eux continuaient d’être acquis par les entreprises russes, notamment en provenance de Chine et de Corée du Sud. A ce titre, les autorités américaines ont annoncé, il y a quelques jours seulement, qu’elles entendaient désormais bloquer la livraison de certains composants chinois et sud-coréens conçus avec des licences US vers la Russie, faute de quoi les entreprises responsables seraient interdites de marchés US. Dans ces conditions, et sachant que les équipements russes emploient pour l’essentiel des composants relativement classiques, en particulier pour ce qui concerne les munitions guidées, le rôle de la supposée pénurie de composants électroniques pour expliquer le décrochage de l’industrie russe a été très probablement largement sur-évalué.

Russian Tank Factory uralvagonzavod Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Ligne d’assemblage Uralvagonzavod de Nijni Taguil

En revanche, les sanctions européennes ont porté sur d’autres domaines bien plus problématiques pour Moscou, en particulier pour ce qui concerne l’acquisition et l’entretien de machines outils. Spécialité allemande et plus globalement européennes, les machines outils jouent un rôle clé dans l’efficacité d’une industrie technologique comme l’industrie de défense. Privée de la possibilité d’étendre son parc de machines outils, l’Industrie Russe se retrouvait, de fait, dans l’impossibilité d’augmenter son activité de manière sensible et rapide, alors que dans le même temps, la consommation de materiels explosait du fait de l’engagement en Ukraine. Pire, le fonctionnement de ces machines de haute technologie nécessite un entretien permanent et le remplacement de nombreuses pièces. Une fois les stocks de pièces détachées épuisés, celles-ci ne peuvent plus fonctionner, et il est probable que les industriels ait décidé d’économiser le potentiel de leurs machines outils restante pour répondre la durée aux besoins des armées, même si pour cela, il était nécessaire de diminuer la productivité immédiate.

En d’autres termes, l’explication la plus probable concernant la baisse de production apparente de l’industrie russe, ne s’appuie pas sur une unique cause, mais sur plusieurs facteurs concomitants. D’une part, il est probable que l’industrie de défense russe n’était tout simplement pas dimensionnée pour répondre à un tel besoin, même si les autorités russes tenteront d’en masquer la réalité. D’autre part, les sanctions occidentales ont probablement joué dans ce dossier, initialement en déstabilisant la supply chain de cette industrie dépendante en de nombreux points d’un approvisionnement occidentale, mais surtout en bloquant l’accès à la maintenance et l’acquisition des machines outils indispensables à la production, entravant fermement une éventuelle hausse de production liée à la hausse de la demande. Dès lors, plus la pression industrielle était élevée pour répondre aux besoins des armées en Ukraine, plus vite le potentiel industriel s’est érodé, au point d’amener Moscou à se tourner vers la Corée du Nord pour reconstituer ses stocks de munitions non guidées.

knaaz Su 57 factory Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Ligne d’assemblage du Su-57 Felon

De fait, la conjonction de ces deux facteurs explique bien plus efficacement les constatations directes et indirectes au sujet de l’appauvrissement des moyens technologiques et conventionnels dont disposent les armées russes en Ukraine, et surtout de son incapacité à reconstituer ses stocks, ou tout du moins de compenser l’utilisation faites des materiels en zone de combat. Pour autant, cette situation n’est pas destinée à perdurer indéfiniment. En effet, la Chine dispose elle aussi d’une offre croissante en termes de machines outils, certes toujours moins performantes que leurs homologues allemandes ou néerlandaises, mais disponibles, et impossibles à tracer par les sanctions occidentales. En outre, les ingénieurs russes sont loins d’être démunis, et peuvent eux aussi entreprendre de combler cette lacune, tout au moins partiellement, par exemple en procédant à une retro-ingénierie des systèmes existants. Reste que ces hypothèses nécessiteront d’importants délais incompatibles avec la pression opérationnelle et probablement avec la durée du conflit en Ukraine.

LPM 2023 : l’Armée de Terre à la croisée des chemins

Si la prochaine Loi de Programmation Militaire, qui sera conçue dans les mois à venir pour entrer en application dès 2023, aura forte à faire pour répondre aux enjeux capacitaires et technologiques des 3 armées, il est probable qu’elle revêtira une dimension toute particulière pour l’Armée de Terre. En effet, au delà des sujets triviaux comme la recapitalisation des stocks de munitions et de pièces détachées indispensable à la conduite d’une action militaire de haute intensité dans le temps, celle-ci devra également répondre à une question essentielle voire existentielle, à savoir le rôle que veut lui donner la France dans les conflits et confrontations à venir. A ce titre, plusieurs axes de developpement sont envisageables dans le présent contexte, en tenant compte des contraintes qui s’appliquent à cette armée et à ses caractéristiques propres, chacune ayant des justifications et des atouts qui lui sont propres.

L’Armée de Terre française en 2022

Souvent critiquée et même parfois raillée pour son manque d’épaisseur, l’Armée de terre française en 2022 n’en est pas moins une force armée d’une grande homogénéité, conçue pour répondre à de nombreux scénarios opérationnels, tels qu’ils étaient envisagés il n’y a de ça encore que quelques mois. Son bras armé, la Force Opérationnelle Terrestre ou FOT, est forte de 2 divisions, elles-mêmes composées de 3 brigades chacune, une brigade lourde armée pour le combat blindé, une brigade moyenne pour le combat d’infanterie, et une brigade légère pour les actions aéroportées, amphibies ou en milieux montagneux. Au total, la FOT aligne aujourd’hui 77.000 hommes et femmes, 220 chars lourds, 650 véhicules de combat d’infanterie et de commandement VBCI, 120 systèmes d’artillerie mobile, 250 chars légers, 3000 véhicules de transport de troupe sous blindage dont nombreux sont spécialisés, 400 véhicules du génie, 2500 véhicules blindés légers, 8500 véhicules logistiques ainsi que 270 hélicoptères de combat. En bien des aspects, elle surclasse la majorité des armées de l’OTAN, avec par exemple un taux de transport sous blindage de 10 soldats par blindé, là ou la moyenne au sein de l’OTAN est de 30 soldats par blindé.

Armeeterre Hauteintensite Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
L’Armée de terre ne dispose que de 220 chars Leclerc, dont 200 seront modernisés dans les mois à venir, mais elle dispose d’un nombre de blindés très conséquent au regard des standards de l’OTAN

Au delà de ses équipements, dont une grande partie est en cours de remplacement au travers du programme SCORPION, ou de modernisation, l’Armée de Terre dispose de personnels aguerris par de nombreuses opérations exterieures, entrainés et parfaitement encadrés, en faisant une force armée à la fois efficace et particulièrement réactive. Pour autant, du fait de la doctrine qui prévalue dans les années 2000 et 2010, fortement teintée des contraintes liées aux engagements en Afrique, au Moyen-Orient et en Afghanistan, l’Armée de Terre a concentré l’essentiel de ses moyens dans ses composantes projetables et adaptées à ce type d’engagement, au détriment de l’engagement dit de Haute intensité, c’est à dire face à un adversaire disposant potentiellement de moyens symétriques, et notamment de forces blindées, d’artillerie et de moyens aériens. A ce moment, les autorités françaises estimaient en effet que la dissuasion suffisait à prévenir ce type de conflit à proximité des frontières françaises, ignorant, volontairement ou non, certains signes comme le réarmement rapide de certains pays, ou des actions militaires de ces pays contre leurs voisins.

Pour atténuer les effets de ces décisions et permettre aux armées une remontée en puissance plus rapide, l’Etat-Major prit le partie de préserver les savoir-faire critiques au sein d’unités dédiées, certes bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour s’engager efficacement dans ce type de conflit, mais suffisamment dimensionnées pour assurer leur mission et éventuellement jouer un rôle limité en cas d’engagement. C’est notamment le cas de la composante char, qui n’aligne aujourd’hui que 220 chars repartis en 3 régiments cuirassiers et dans quelques unités de cavalerie, mais également des capacités de pontonage et de brechage, dans le domaine de la guerre électronique ou encore de la défense anti-aérienne rapprochée. En outre, du fait de son format, elle n’est en mesure de déployer dans le cadre de l’OTAN qu’une division composée de 2 brigades et d’un état-major capable de commander un corps d’Armée de 60.000 hommes. En outre, pour de nombreux domaines critiques comme la logistique et le renseignement, le corps français comme ses alliés dépendront du soutien de l’OTAN, et en particulier des Etats-Unis.

Hypothèse 1 : Extension verticale des capacités d’engagement

De fait, les axes de progression sont nombreux pour l’Armée de Terre, en particulier pour maintenir son rang au sein de l’Alliance Atlantique et de l’Union européenne, alors que d’autres pays, comme la Pologne et l’Allemagne, ont déjà annoncé des efforts sans précédant pour accroitre et renforcer leurs capacités opérationnelles. En outre, il est désormais indispensable pour les nations cadres de l’effort de défense en Europe, d’envisager que le soutien opérationnel et logistique des Etats-Unis pourrait s’avérer bien moindre qu’espéré ou planifié, qu’il s’agisse d’une résurgence de l’isolationnisme dans le pays avec par exemple le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, ou plus probablement, de l’émergence d’un conflit direct ou larvé entre les Etats-Unis et la Chine obligeant Washington à concentrer l’essentiel de ses moyens dans le Pacifique.

Mamba Aster30 Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
L’Armée de terre pourrait bénéficier de retrouver la capacité à mettre en oeuvre des systèmes sol-air à moyenne et longue portée pour protéger l’espace aérien au dessus de sa zone d’engagement

De fait, pour répondre à de tels risques et enjeux, la prochaine Loi de Programmation Militaire pourrait concentrer les éventuels moyens supplémentaires alloués à l’Armée de Terre, afin d’en accroitre l’autonomie et les capacités de commandement en matière d’engagement de haute intensité. Pour cela, il serait nécessaire d’accroitre l’efficacité au combat des unités françaises, notamment en augmentant la puissance de feu et la protection de ses troupes, mais également en étendant l’offre de service à l’échelle du corps d’armée, en mettant notamment en oeuvre une défense anti-aérienne multicouche capable de protéger l’ensemble des unités françaises et alliées, des unités de guerre électronique et cyber pour entraver l’adversaire sans son commandement et ses communication, des capacités de frappe à très longue portée pour entraver ses flux logistiques, ou encore des moyens de reconnaissance et de renseignement, qu’il s’agisse de drones ou de satellites, et des forces spéciales capables de donner l’avantage aux unités engagées sur le terrain. Surtout, l’Armée de Terre aurait, dans cette hypothèse, la responsabilité de l’ensemble du flux logistique pour le corps d’Armée, ce qui suppose d’importants moyens de transport mais également de franchissement et de protection, susceptibles de garantir le flux logistique dans la durée.

Si cette hypothèse, qui correspond à une extension verticale des moyens disponibles, ne s’appuie pas sur une augmentation sensible du format de la FOT, elle ne pourra s’effectuer sans que de nouvelles unités spécialisées voient le jours, sans toutefois nécessiter d’extension massive en volume des forces. Cependant, afin de renforcer la resilience des unités au combat, il serait probablement indispensable d’accroitre la dotation de certains équipements sous tension, comme ls chars lourds ou les pièces d’artillerie, de sorte à soutenir une éventuelle attrition dans la durée. En outre, pour les même raisons, il serait également nécessaire d’accroitre le format de la réserve opérationnelle, aujourd’hui forte de 40.000 hommes, pour atteindre un format de 80.000 hommes, et permettre ainsi d’envisager une rotation sereine de la FOT dans la durée. Au final, cette hypothèse suppose le recrutement de 5000 miltaires professionnels, de 40.000 réservistes, et l’acquisition d’équipements nouveaux ou surnuméraires, soit un investissement initial de 5 à 7 Md€, et un cout annuel de 1,5 Md€, ceci comprenant les couts de personnels, de maintenance et d’entrainement des nouvelles capacités.

Hypothèse 2: Extension homothétique du format de la FOT

Si l’hypothèse 1 a ses attraits, elle constitue cependant une approche par défaut, alors qu’avec 85.000 hommes dans la FOT et 80.000 réservistes disponibles, l’Armée de Terre française ne représenterait, en terme de moyen, qu’une force équivalente en terme de personnels à ce dont disposeront les armées polonaises en 2035, alors que celles-ci aligneront 7 fois plus de chars lourds et 10 fois plus de systèmes d’artillerie. Rappelons que le PIB polonais équivaut à 35% du PIB français, et la population polonaise n’est égale qu’à 60% de la population de l’hexagone. Certes, en terme de forces aériennes et de forces navales, Paris surclasse très nettement Varsovie, et dispose en outre d’une dissuasion de premier ordre, mais de tels écarts ne contribuent nullement à accroitre l’audience de la France en Europe, et en particulier en Europe de l’Est, bien au contraire. En outre, l’Allemagne a elle aussi annoncé qu’elle entendait accroitre son effort de défense à 2% de son PIB, et Berlin aura alors un budget de plus de 70 Md€ par an susceptible de largement surclasser les armées françaises dans de nombreux domaines, en particulier les plus visibles.

EBRC Jaguar Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Le programme Scorpion prévoit la livraison de plus de 3500 véhicules blindés dans le segment médian pour remplacer les VAB, AMX10RC et ERB90 datant des années 80.

Pour y répondre, il serait nécessaire d’accroitre sensiblement le format de l’Armée de Terre, notamment en la dotant d’une troisième division dédiée au combat de haute intensité, de sorte à permettre à l’Etat-major de déployer une division forte de 3 brigades, soit 30.000 hommes, dont au moins une serait une brigade blindée, dans le cadre de son commandement OTAN. Toutefois, une telle hypothèse ne peut s’envisager que dans le cadre d’une extension massive de la reserve. En effet, augmenter le format de l’Armée de terre de 30.000 hommes représenterait non seulement un surcout annuel de plus de 3 Md€, mais serait potentiellement impossible à réaliser tout en maintenant les hautes exigences des Armées en matière de qualité du recrutement. A l’inverse, la constitution d’une division de 3 brigades blindées formées à 80% de réservistes et à 20% de cadres professionnels, ne nécessiterait le recrutement que de 6000 militaires professionnels supplémentaires pour maintenir la répartition des effectifs au sein de la FOT, ainsi que de 90.000 réservistes supplémentaires, qui représentent un équivalent temps plein en terme de charge RH que de 15.000 militaires professionnels, soit un surcout annuel de 2 Md€ en terme RH, tout en ayant entièrement reproduit le format de cette FOT étendue de 120.000 hommes par un nombre équivalent de réservistes.

L’investissement initial, en revanche, pour constituer les quelques 22 à 24 unités supplémentaires formant cette nouvelle division de Garde nationale, serait évidemment plus que conséquent, que ce soit en terme d’équipements (150 à 200 chars lourds, 150 à 200 EBRC, 250 à 350 VBCI, 600 à 800 VBMR, 60 à 80 systèmes d’artillerie, 2000 véhicules et quelques 100 hélicoptères soit entre 15 et 18 Md€), mais il permettrait également aux armées de disposer d’une reserve de dotation significative permettant de soutenir un engagement de haute à très haute intensité dans la durée, y compris face à une importante attrition. Il serait également indispensable d’implanter ces nouvelles unités, ce qui suppose des investissements en terme d’infrastructure importants, même si dans ce domaine, le poids économique que représenteraient ces unités attirera sans le moindre doute la convoitise de collectivités locales prêtes à soutenir de telles implantations. Rappelons également que l’investissement industriel engendre un retour budgétaire bien supérieur à celui dans le domaine des ressources humaines, ce dernier plafonnant à 50% là ou le retour budgétaire industriel dépasse les 70% pour l’état, et 100% en tenant compte des effets sur les exportations.

Conclusion

On le voit, l’Armée de terre se retrouve aujourd’hui, du fait des arbitrages antérieurs ayant modelé son format et de l’évolution du contexte international, à la croisée des chemins, et les décisions qui seront prises dans le cadre de la prochaine LPM conditionneront son efficacité mais également son rôle et son poids militaire sur la scène internationale pour les années et décennies à venir. Plusieurs alternatives s’offrent à elles, selon que les autorités françaises privilégient effectivement un format d’armée global, ou une armée spécialisée développant des capacités spécifiques au service de ses alliés. En outre, quelle que soit l’hypothèse retenue, il est indispensable de faire croitre la réserve opérationnelle de sorte à lui permettre d’absorber la pression opérationnelle y compris en cas d’engagement de haute intensité. Le Ministre de la Défense Sebastien Lecornu, n’a d’ailleurs pas dit le contraire dans une récente interview.

EMBT KNDS Alliances militaires | Analyses Défense | Arménie
Il est fort probable que d’une manière ou d’une autre, l’Armée de terre sera appelée à renforcer sa composante de chars de combat dans les années à venir, et ce avant l’arrivée éventuelle du MGCS.

Reste que, dans le cadre la prochaine LPM, l’Armée de terre ne pourra se contenter de demi-mesures ou d’arbitrages mous. La pire des situations seraient en effet de se contenter de quelques mesures et décisions visant à combler les défaillances les plus critiques qui entravent aujourd’hui son efficacité, au détriment de la cohérence de son ensemble. Dans ce domaine, comme dans plusieurs autres, la LPM 2023-XX devra porter une vision claire du devenir de cette force d’exception, et mettre en oeuvre les moyens nécessaires à sa réalisation dans la durée. Faute de quoi, il est probable qu’au delà du danger que représentent les adversaires potentiels déclarés ou en devenir de la France, celle-ci en vienne à perdre de son influence y compris auprés de ses alliés les plus proches qui, eux, n’auront pas tergiversé sur le sujet.