En attaquant l’Ukraine en février 2022, la Russie aura non seulement mis en péril la paix et la sécurité en Europe, mais dans le monde entier. En effet, de nombreux conflits latents, contraints par l’action conjointe de Moscou et des capitales européennes et américaines, émergent à nouveau, au point que l’on peut craindre de voire surgir des conflits majeurs à plusieurs endroits du globe, certains pouvant potentiellement mettre encore plus à mal les difficiles équilibres économiques sur lesquels l’occident est bâtie. Ces derniers jours, certains de ses théâtres se sont embrasés, ou montrent des signes de tensions de tension extreme, alors que les armées russes subissent une pression sans équivalent de la part des forces ukrainiennes soutenues par les livraisons de materiels militaires occidentaux. Quels sont ces conflits à risque, et quelles peuvent être leurs conséquences sur les équilibres internationaux déjà sévèrement fragilisés ?
Reprise de combat dans le Haut Karabakh
Depuis quelques semaines, peu de temps après le redéploiement vers l’Ukraine d’une partie des troupes russes positionnées en Arménie afin de tenir à distance les belligérants arméniens et azerbaïdjanais suite à la guerre de 2020, les tensions entre Yerevan et Bakou repartirent à la hausse. Rappelons qu’à l’automne 2020, les troupes azerbaïdjanaises avaient sévèrement surclassé les défenses arméniennes du haut-karnabakh et repris l’essentiel de ce territoire contesté depuis le début des années 90. Epaulées par des conseillés turcs et bénéficiants de materiels évolués livrés par Israel, les armées azerbaïdjanaises avaient ainsi balayé les défenseurs arméniens, et auraient probablement pu pousser leur avantage bien au delà du seul Haut-Karabakh dans l’intervention ferme de Moscou, imposant une Pax Ruskova de fait dans la région. Depuis les troupes russes étaient parvenues à tenir à distance les belligérants, sans pour autant parvenir à apaiser la situation.

Le retrait d’une partie des troupes russes déployées en Arménie et le long de la ligne de démarcation, ainsi que l’affaiblissement relatif de l’aura de puissance de l’Armée russe toute entière suite au conflit en Ukraine, auront très probablement fini de convaincre les belligérants de maintenir le statu quo, de violents échanges d’artillerie ayant fait au moins 49 morts cotés arméniens ayant eut lieu la nuit dernière. Si Bakou et Yerevan se rejettent la responsabilité de cette dégradation, force est de constater que l’Arménie n’avait aucune raison de ranimer le conflit, ses armées ayant été largement entamées par le conflit de 2020, sans qu’elles aient pu compenser leurs pertes et renouveler leurs équipements militaires depuis. A l’inverse, les armées azerbaïdjanaises avaient préservé l’essentiel de leurs capacités militaires par ailleurs très supérieures à celles dont disposaient les arméniens en 2020, et purent maintenir leurs efforts de modernisation ces deux dernières années, profitant de la manne que représentent les recettes liées aux exportations de pétroles de la Mer Caspienne.
De par son éloignement et sa position géographique, ce conflit a peu de chances d’influencer significativement les échanges économiques mondiaux, ce d’autant que le PIB de l’Arménie ne représente aujourd’hui que 0,5% du PIB d’un pays comme la France. Toutefois, la diaspora arménienne est importante en Europe, particulièrement en France, en Russie, en Allemagne et aux Etats-Unis, et représente un poids politique significatif dans ces pays. Si le conflit venait à s’étendre, eu égard aux évolutions des prises de positions occidentales bien moins timorées ces derniers mois avec la guerre en Ukraine, il est possible que les occidentaux fassent bien davantage pression sur Bakou qu’ils ne le firent en 2020, y compris avec le soutien paradoxal de Moscou. Reste que le principal soutien de l’Azerbaïdjan, la Turquie, est elle aussi engagée dans un bras de fer avec les européens, en menaçant la Grèce. Il est donc possible que ce Conflit s’inscrive dans un schéma plus large pouvant potentiellement déstabilisé l’ensemble du Caucase, par lequel transit de nombreuses ressources vers l’Europe.
Tensions extrêmes entre Ankara et Athènes
Après un épisode de normalisation apparente des relations entre Ankara et l’Occident, le Président Erdogan a, depuis quelques semaines, relancé le cycle de tensions avec son voisin grec, en annonçant d’une part la reprise des explorations minières maritimes à proximité de Chypre, ce qui avait été à l’origine des tensions d’il y a 2 ans, mais également en multipliant les provocations autours des iles grecques de la Mer Egée, notamment concernant les iles les plus proches des côtes grecques, comme Lesbos. Depuis son accession au pouvoir, Erdogan a effet à plusieurs reprises répétés son ambition de redonner à la Turquie ses frontières de 1905, avant qu’elles ne perdent certains territoires à la suite de la première guerre mondiale, notamment ces iles proches de ses cotes. Pour les autorités turques, ces iles, et le droit qu’elles confèrent aux autorités grecques sur la Mer Egée et l’espace aérien qui le surplombe, est perçu comme un héritage inadmissible et injuste, limitant ses propres accès à certaines ressources certaines capacités d’action.

De fait, depuis quelques semaines, Ankara a renoué avec les provocations contre les forces aériennes helléniques, envoyant des avions de combat dans ce que seule la Turquie considère comme l’espace aérien international, provoquant naturellement l’intervention de la chasse grecque, et éventuellement de sa défense anti-aérienne. La semaine dernière, le président Erdogan prétexta de l’intervention des appareils grecs contre ses avions de combat pour menacer Athènes d’une intervention militaire dans préavis contre les iles de la Mer Egée, dans un discours d’une rare intensité ces dernières années. Il est vrai que d’une part, le parti du président Erdogan est en mauvaise posture dans les sondages alors que des élections cruciales auront lieux l’années prochaine, et que d’autre part, la Turquie n’est guère parvenue à convertir ses postures plus souples de ces derniers mois afin de lever les sanctions américaines et européennes les plus critiques, notamment pour ce qui concerne certaines technologies de defense. Enfin, Ankara peut considérer que du fait des tensions qui opposent l’Europe et la Russie en Ukraine, les grandes capitales européennes ne réagiraient que peu en cas de conflit limité pour quelques iles de la mer Egée.

Reste que si un conflit devait éclater entre Ankara et Athènes, les conséquences pourraient être très significatives. Si sur le papier, Ankara dispose d’un avantage numérique certain, Athènes dispose, de son coté, de certains atouts technologiques importants, comme l’arrivée de chasseurs Rafale, ou ses sous-marins Type 214, ainsi que d’un allier de taille, la France, susceptible de profondément entamer la supériorité militaire turque supposée, ce d’autant que le porte-avions Charles de Gaulle vient de terminer une période d’entretien, et qu’il sera, avec son groupe aéronaval, prêt à reprendre les opérations d’ici quelques semaines, après avoir requalifié les pilotes. D’autre part, Athènes a lié des liens privilégié avec l’Egypte et les EAU, précisément pour contenir la montée en puissance de la Turquie, mais également pour protéger les flux économiques transitant en Méditerranée orientale, stratégiques pour l’Europe mais également pour les pays bordant cette mer. Si depuis les dernières déclarations belliqueuses de son président, la Turquie n’a montré aucun signe de préparation particulier en vue d’un conflit, il est toutefois probable que la prochaine campagne du navire d’exploration minière Orus Reis mettra à nouveau sous tension cette region, alors qu’il semble bien qu’une simple étincelle suffise à provoquer une explosion de violence.
La crainte d’une attaque opportuniste de Taiwan
Comme nous l’avions déjà abordé, la Chine, et son Armée Populaire de Libération, ne seront pas prêtes à mener une action décisive contre Taiwan avant plusieurs années, n’ayant ni les moyens aériens ni navals pour entreprendre sereinement une action militaire d’une telle ampleur avant 2030 voire 2035. Cela n’empêche pas le Pentagone, et les services de renseignement américains, d’être sur le qui-vive, en particulier du fait de l’intérêt tout particulier que semblent porter les autorités chinoises aux stocks d’équipements de défense américains, plus spécifiquement ceux largement entamés par le soutien à l’effort de guerre ukrainien, et de craindre que Pékin n’estime disposer d’une fenêtre d’opportunités potentielle pour s’emparer de Taiwan, potentiellement accentuées si les tensions venaient à croitre en Europe face à la Russie.

Reste que même si ces paramètres sont importants, et s’il est naturellement indispensable de se prémunir contre de telles hypothèses, celles-ci demeurent peu probables. En effet, le soutien apporté par les Etats-Unis à l’Ukraine concerne avant tout des stocks appartenant à l’US Army, en particulier de l’armement d’infanterie et des systèmes d’artillerie. En revanche, une hypothétique offensive chinoise pour s’emparer de Taiwan mobiliserait d’abord et avant tout les moyens de l’US Navy, de l’US Air Force et de l’US Marines Corps, dont les stocks de munitions et les moyens n’ont que très peu été entamés par la guerre en Ukraine. En revanche, si la situation venait à se tendre en Europe, nécessitant le déploiement de moyens aériens et navals américains supplémentaires, ou si d’autres conflits venaient à émerger dans le monde en menaçant directement certaines routes commerciales ou certains approvisionnement stratégiques, le déploiement de moyens américains supplémentaires pourraient effectivement ouvrir une telle fenêtre d’opportunités pour Pékin. Mais sachant que Washington est parfaitement conscient des enjeux, il est peu probable que le dispositif militaire et naval américain dans le pacifique et l’Ocean Indien soit appelé à être diminué pour redéploiement dans les années à venir, bien au contraire.
Conclusion
Au delà de ces conflits opportunistes les plus évidents, de nombreux autres tensions et conflits latents peuvent reprendre de la vigueur du fait des conséquences de la crise en Ukraine, et ce sur tous les continents, y compris en Europe (Serbie/Kosovo). Certains d’entre eux, comme les tensions qui opposent l’Iran à ses voisins et à Israel sur fonds de programme nucléaire, ou comme les tensions entre la Corée du Nord et ses voisins, alors que Pyongyang a annoncé qu’il se réservait le droit d’utiliser ses armes nucléaires en première intention, revêtent également des caractères très préoccupants, mais paraissent moins exposés aux conséquences de la guerre en Ukraine dans leurs developpement. Quoiqu’il en soit, on ne peut désormais plus ignorer le fait que le monde est devenu, en quelques années, bien plus dangereux, et que les risques de voir apparaitre des conflits majeurs, qu’ils soient opportunistes ou le fruit d’un processus lent, sont incontestablement très élevés et sans commune mesure avec ce qui prévalait il y a encore de cela quelques années.
Paradoxalement, il semble également que l’affaiblissement relatif de la Russie, suite aux nombreuses pertes enregistrées en Ukraine mais également aux sanctions occidentales, accentue sensiblement cette instabilité et ces risques, en particulier concernant le Caucase et le Moyen-Orient. En outre, l’isolement du pays sur la scène internationale, que l’on peut qualifier de relatif du point de vue de la représentativité démographique, mais qui l’est beaucoup moins des lors que l’on parle d’économie et de technologies, semble pousser Moscou à réviser sa politique d’alignement internationale concernant des pays comme la Corée du Nord ou l’Iran, avec à la clé, on peut le craindre, un réarmement technologique significatif de ces pays, et une profonde évolution des équilibres militaires régionaux les entourant. Reste à voir dans quelles mesures les occidentaux, voire les chinois, seront en capacité ou auront la volonté de compenser le retrait russe pour empêcher l’extension de ces conflits, et pour neutraliser la rupture de statu quo que pourrait engendrer la livraison d’armements russes à Téhéran et Pyongyang.


































