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Le char lourd EMBT de KNDS peut-il s’imposer face au KF-51 Panther de Rheinmetall ?

Le dernier salon Eurodatory 2022 consacré aux armements terrestres fut marqué par la présentation de deux nouveaux chars européens, une première depuis une trentaine d’années. Engagés conjointement dans un programme MGCS franco-allemand visant à concevoir le remplaçant du Leopard 2 et du Leclerc, Rheinmetall d’un coté, et le couple Nexter-KMW regroupé dans le groupe KNDS de l’autre, présentèrent chacun leur champion, le prototype du KF-51 Panther du premier, et le démonstrateur Enhanced Main Battle Tank ou EMBT du second. Si, lors du salon, les deux blindés étaient plus ou moins sur un pied d’égalité, tant en terme de capacités annoncées que d’audience, la situation a rapidement évolué en faveur de Rheinmetall dans les semaines qui l’ont suivi. En effet, alors que l’EMBT était désassemblé pour poursuivre la conception de la tourelle chez Nexter, et de la caisse chez KMW, le KF51 entreprit, pour sa part, une intense campagne médiatique et politique, avec pour objectif d’en faire, dans l’esprit des allemands mais également d’une grande partie des opinions occidentales s’interessant au sujet, le successeur désigné du Leopard 2, et la réponse au fameux T-14 Armata russe.

Ainsi, Rheinmetall multiplia les videos et les articles de presse afin de promouvoir son nouveau poulain dont la conception aurait débuté en 2015 et la présentation de l’Armata sur la place rouge. Il faut dire que le char allemand a de sérieux arguments à faire valoir, avec une conception parfaitement moderne en terme de vétronique et de systèmes de communication; un armement conséquent intégrant notamment le nouveau canon de Rh-130 de 130mm et de 52 calibres, celui-là même constitue aujourd’hui l’un des principaux sujet d’achoppement avec la France et le canon Ascalon de Nexter, pour la poursuite du programme MGCS, mais également des lance-missiles capables de lancer des munitions vagabondes Hero 120, des missiles antichars SPIKE, des drones de reconnaissance ou des missiles sol-air; ainsi que des systèmes défensifs avancés intégrant le système hard-kill APS, des protections actives et passives et une protection spécifiques contre les menaces plongeantes. L’ensemble des videos publiées par Rheinmetall au fil des mois de juillet et aout mettaient en évidence l’ensemble de ces qualités, avec des exemples de tir dynamiques, de franchissement et d’interception de menace, en y associant même un membre du Bundestag allemand visiblement conquis par ce qu’il voyait, pour plus de proximité. Le message était clair : le Panther est prêt pour le combat, et il est redoutable.

KF41 PANTHER Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Le KF51 Panther de Rheinmetall est présenté comme un prototype, et non un démonstrateur.

La seconde offensive de Rheinmetall est venue par la voix de son PDG, Armin Papperger, lorsque ce dernier positionna, sans le dire directement, comme une alternative économique, performante et immédiatement disponible, au programme MGCS. Selon lui, le marché européen des chars de combat sera, dans les années à venir, en demande d’un grand nombre de chars pour remplacer les blindés hérités de la guerre froide, et le MGCS ne sera pas en capacité de répondre à ces besoins dans les délais requis, laissant un espace critique pour les offres alternatives, comme le K2 Black Panther sud-coréen déjà choisi par la Pologne, qui n’est autre que le plus important marché pour ce type de blindés du vieux continent avec une force qui atteindra 1500 chars lourds d’ici 2035. A en jugé par les réactions de la presse spécialisée outre Rhin et dans toute l’Europe, le message a visiblement porté, et le Panther apparait de plus en plus comme le successeur désigné du Leopard 2 de KMW, délégant le MGCS à un très éventuel rôle ultérieur et pour le moins secondaire. La menace n’a visiblement pas échappé à KNDS qui, de manière plus discrète et contenue que son concurrent, a publié cette semaine une video montrant son EMBT, avec un objectif clair, celui de ne pas laisser l’espace médiatique et politique aux mains de Rheinmetall.

L’EMBT, dans sa version présentée au salon Eurodatory de 2022, n’a plus guère à voir avec la première version présentée en 2018 lors de ce même salon. Ainsi, la classe comme la tourelle ont été totalement modifiées, avec pour objectif de répondre aux enjeux du combat de haute intensité blindé dans les années et décennies à venir. Si le démonstrateur présenté était armé du canon de 120 mm à chargement automatique du Leclerc, le blindé serait conçu, selon Nexter, pour pouvoir accueillir le futur et redoutable canon de 140 mm Ascalon. En outre, la tourelle très innovante dans son aspect, dispose d’un canon de 30mm en tourelleau à très fort débattement offrant d’importantes capacités contre les drones et aéronefs légers, alors qu’un second tourelleau léger intégré une mitrailleuse de 7,62mm. La vétronique du char est très évoluée, et profite de l’ajout d’un quatrième membre d’équipage au delà des traditionnels conducteur, tireur et chef de char, assurant la fonction d’opérateur de systèmes, à l’instar de celle assurée par les officiers système d’armes à bord des avions de combat. Enfin, le char dispose d’une excellente mobilité, et d’une importante protection assurée notamment par l’intégration native du système hard-kill israélien Trophy. De fait, l’EMBT de KNDS n’a rien à envier au KF51 de Rheinmetall, ni en terme de puissance de feu, ni en terme de protection, de mobilité ou de létalité. Pour autant, il est encore loin de faire le poids face au char allemand.

Video promotionelle KNDS du démonstrateur de char lourd EMBT

En effet, là ou le KF51 est un prototype, et présenté comme un blindé abouti prêt si besoin à la production industrielle, l’EMBT est un démonstrateur, qui plus est un démonstrateur avant tout destiné aux présentations statiques. Et la video publiée par KNDS pour tenter de contrer l’influence grandissante du Panther, en est la parfaite démonstration. En effet, là ou le KF51 ne cesse de tirer et de manœuvrer en tout terrain dans les videos allemandes, l’EMBT se contente d’un simple aller retour sur route goudronnée dans la video de KNDS, sans jamais faire feu de son canon ni même de ses armements secondaires, employer son APS ou simplement franchir un petit fossé. Et cela n’a rien de surprenant, car l’EMBT présenté à Eurosatory n’a probablement pas été conçu a cette fin, et qu’il est très probablement incapable de réaliser certaines de ces actions sans risquer des dégâts importants. En d’autres termes, si en terme de performances et de capacités théoriques, les deux blindés se valent, le KF51 a plusieurs mois, voire plusieurs années d’avance sur son rival franco-allemand, ce qui en influence les éventuels couts et risques de production.

Malheureusement, là n’est pas la seule faiblesse de l’EMBT face à son rival. En effet, celui-ci est par nature issu d’une coopération franco-allemande, et suppose dont un partage industriel entre les deux groupes format KNDS. De manière simplifiée, on peut penser que si le char devait être produit, KMW s’occuperait de la caisse et du train roulant, là ou Nexter s’occuperait de la tourelle et des armements. Toutefois, ce qui a longtemps été présenté comme une atout en matière de programme de défense, la coopération industrielle européenne, s’avère ici un inconvénient, voir un grave handicap. En effet, là où la décision de production et les retombées budgétaires sont concentrées en un seul pays pour le Panther, celles-ci requièrent un accord binational équilibré entre la France et l’Allemagne pour être efficace dans le cas de l’EMBT. Dit autrement, si la France venait à commander l’EMBT, elle devrait accepter de partager la charge industrielle avec Berlin, même si le Bundestag venait à lui préférer le Panther. Inversement, pour Berlin, il n’y a aucun intérêt à promouvoir l’EMBT face au KF51 d’un point de vue industriel, économique et même budgétaire, même si Paris venait à accepter d’en commander également. En outre, même si français et allemands venaient à s’entendre pour commander l’EMBT en solution d’attente vis-à-vis du MGCS, il est plus que probable que Rheinmetall exigera un partage industriel qui bloquerait le programme de même que MGCS aujourd’hui. A l’inverse, dans le cas du KF51, il est probable que le partage industriel avec KMW serait beaucoup plus aisé, et permettrait même à Rheinmetall de mener à son terme son intention d’acheter son concurrent à la famille Baude, son actionnaire principal.

EMBT KNDS Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
la tourelle de l’EMBT est particulièrement innovante, avec notamment des optiques et des systèmes de détection intégrés directement dans la cellule pour plus de protection – Remarquez les radar AESA du système Trophy intégrés de part et d’autres de la tourelle

On le comprend, en dépit de ses qualités avérées, l’EMBT est aujourd’hui en position de faiblesse dans de nombreux domaines vis-à-vis du Panther, et avec lui, c’est probablement l’avenir de l’ensemble du programme MGCS qui est menacé à relativement court terme. Dans ce dossier, c’est sans nul doute le calendrier du programme MGCS qui aura constitué la principale vulnérabilité de celui-ci. Pour autant, les technologies développées par Nexter dans le cadre du démonstrateur EMBT peuvent constituer le socle sur lequel un éventuel futur char lourd français pourrait voir le jour, le programme MGCS venant à péricliter. Quoiqu’il en soit, il est désormais plus que souhaitable que le sujet soit arbitrer de manière ferme et définitive par Paris et Berlin, quitte à devoir mettre au pas certains industriels le cas échéant, ou à accepter de mettre fin à cette coopération, si les perspectives ou les objectifs nationaux venaient à trop diverger. Dans tous les cas, c’est aujourd’hui le statu quo qui constitue la plus grande menace tant pour les industriels que pour les armées, et ce de part et d’autre du Rhin.

L’acquisition de Su-35 russes par l’Iran pourrait mettre le feu aux poudres au Moyen-Orient

Si l’intervention russe en Ukraine a profondément modifié la géopolitique européenne et déclenché une crise énergétique majeure, son influence sur la géopolitique mondiale avait été jusqu’ici relativement modérée. Le temps faisant, certains pays semblent enclin à profiter de l’isolement relatif de la Russie sur cette scène internationale, à leur profit. C’est le cas de la Corée du Nord qui a intensifié ses échanges avec Moscou ces dernières semaines, en proposant notamment de la main d’œuvre disponible et très bon marché pour soutenir l’effort de guerre russe, en particulier pour les grands travaux d’infrastructures et les besoins agricoles. En échange, Pyongyang entend que Moscou lève le régime de sanction qui frappe le pays suite aux essais nucléaires de 2017 et au developpement des capacités balistiques nord-coréennes, et qui furent, en leurs temps, soutenues par Moscou. Si les autorités nord-coréennes n’ont pas négocié de contrat d’armement avec Moscou, tout au moins publiquement, un autre pays sous sanctions internationales semble décidé à monnayer son soutien auprés de la Russie dans ce domaine précisément, l’Iran.

Depuis décembre 2006 et le vote de la résolution 1737 par le Conseil de Sécurité des Nations Unis, Téhéran est soumis à des sanctions strictes dans le domaine de l’armement, alors que d’autres sanctions internationales, votées dans le cadre des Nations Unis ou annoncées de manière unilatérale, frappèrent le pays et son économie, notamment en restreignant ses capacités d’exportation d’hydrocarbure et en empêchant les grandes entreprises de s’installer dans le pays. L’objectif de ces sanctions est d’amener l’Iran a abandonner son programme nucléaire militaire. De fait, le PIB iranien est passé de presque 600 Md$ en 2012 à moins de 200 Md$ en 2020, amenant ce pays disposant pourtant de 15% des réserves de pétrole mondiales, au 67ème rang mondial en matière de PIB par habitant. Quant aux forces armées iraniennes, si elles disposent de certains équipements performants de facture locale dans le domaine des missiles balistiques ou des drones, elles mettent en oeuvre, pour l’essentiel, des retrofits de materiels hérités de l’époque du Sha, et vieux de plus de 50 ans, comme les F4 Phantom II, F5 Tiger et F14 tomcat qui constituent aujourd’hui encore le fer de lance de ses forces aériennes.

Iran Shahb2 missile Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
L’Iran a fait d’important progrès dans le domaine des missiles, en particulier pour ce qui concerne les missiles balistiques à courte et moyenne portée

A l’occasion d’une relative normalisation des relations entre Téhéran et la communauté internationale, entre 1998 et 2005, les autorités iraniennes firent l’acquisition de certains équipements plus modernes, notamment de chars T-72, de systèmes anti-aériennes Tor et Buk ainsi que de sous-marins Kilo auprés de la Russie, de chasseurs J-7 chinois et de quelques équipements pakistanais et même européens. Toutefois, même si l’industrie de défense iranienne a fait d’importants progrès dans de nombreux domaines, y compris dans la construction de blindés, la construction navale, la missilerie et les radar, les domaines les plus exigeants, comme la conception d’avions de combat performants, lui restent hors de portée. Il n’est donc pas étonnant que dans le contexte actuel, le chef d’état-major des forces aériennes iraniennes, le brigadier général Hamid Vahedi, ait déclaré son intention d’acquérir des chasseurs polyvalents russes Su-35.

Aujourd’hui, le Su-35 est incontestablement l’avions de combat le plus évolué et le plus performant au sein des forces aériennes russes, dans l’attente de l’entrée en service du Su-57 Felon. Evolution ultime de la famille des chasseurs lourds Flanker qui débuta en 1985 avec le fort redouté Su-27, le Su-35 est un chasseur imposant, 30% plus long et presque deux fois plus lourd qu’un Rafale C. Ses deux turboréacteurs Saturn AL-41F1S développent chacun presque 9 tonnes de poussée à sec, et prés de 15 tonnes avec post-combustion, deux fois la puissance d’un M88, permettant à l’appareil d’atteindre une vitesse maximale de Mach 2,25 à haute altitude, et de Mach 1,1 à très basse altitude, ainsi qu’une super-croisière à Mach 1,1. Il dispose par ailleurs de plus de 11 tonnes de carburant pour ses réservoirs intérieurs, et peut emporter 8 tonnes d’armement et de charge sous ses 12 points d’emport. Conçu pour les hautes performances, le Su-35 a un rayon d’action au combat estimé à plus de 1500 km, un plafond de 18.000 mètres, et une manoeuvrabilité très élevée grâce notamment à ses tuyères à poussée vectorielle. Enfin, l’appareil dispose d’une avionique très moderne, avec le très imposant radar Irbis-E qui, s’il n’est doté que d’une antenne PESA, offre des performances comparables à celles des radars AESA équipant la plupart des chasseurs modernes du moment, un IRST performant, et une suite de défense électronique Khybini-M similaire aux systèmes Spartan du Typhoon ou Spectra du Rafale.

Su35s base syrie Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Le Su-35 est aujourd’hui le plus performant des avions de combat en service au sein des forces aériennes russes. Il a par ailleurs été déployé en zone de combat en Syrie et en Ukraine

Pour Téhéran, l’acquisition de Su-35 auprés de Moscou constituerait un bond capacitaire remarquable, tant pour se tenir à distance d’éventuelles incursions américaines ou israéliennes contre ses installations stratégiques, que pour s’opposer aux forces aériennes de ses voisins directs, comme les Emirats Arabes Unis ou l’Irak, ainsi que pour le pour le controle du Golfe Persique et du Golfe d’Oman, le long rayon d’action et l’armement air-surface de l’appareil s’avérant des atouts précieux pour ce type de mission. En outre, Téhéran a vu ses voisins engager d’importants programmes afin de moderniser leurs forces aériennes, avec notamment l’acquisition de 80 avions Rafale par Abu Dabi, un appareil très supérieur à l’ensemble de ceux dont elle dispose aujourd’hui, et contre lequel le Su-35 constituerait, possiblement, un opposant bien plus sérieux. Enfin, si Téhéran venait à se positionner comme un client clé pour Moscou dans ce domaine, il est possible que les deux pays viennent à évoquer d’autres opportunité d’acquisition, comme dans le domaine des systèmes anti-aériens, des armes anti-surfaces, des sous-marins, des blindés et même des avions de combat de 5ème génération, qu’il s’agisse du Su-57 ou de l’éventuel Su-75.

Pour Moscou, outre l’appuie de Téhéran sur la scène internationale, l’ouverture de certains marchés civils, et un pied de nez sévère aux Etats-Unis et à l’Europe, la vente de Su-35 à Téhéran pourrait également s’avérer une chance inespérée de reclasser les 24 Su-35 commandés par Le Caire, et dont il semblerait bien que la livraison ait été interrompue, probablement à la suite d’une intervention américaine. En effet, pour Washington, le Su-35 est, à l’instar du S-400, un système d’arme sur la liste rouge de la législation CAATSA, celle-là même qui permet au législateur américain d’appliquer unilatéralement de sévères sanctions économiques et technologiques aux clients des industries de pays qui représentent une menace pour les Etats-Unis, Russie en tête. Après une période de froid qui perdura plus de 40 ans, Le Caire avait entreprit, à partir de 2015, de normaliser ses relations avec la Moscou, alors même que des tensions apparaissaient avec la Maison Blanche. C’est ainsi que le pays fit l’acquisition de chasseurs Mig-29, mais également de chars T-90 ainsi que des 2 porte-hélicoptères de la classe Mistral construits par la France pour la Russie, mais finalement non livrés par Paris suite à l’annexion de la Crimée. L’annonce de l’acquisition de 24 Su-35 russes par Le Caire s’inscrivait dans cette dynamique, et dans un bras de fer feutré que se livrait le pays avec les Etats-Unis. Toutefois, et en dépit du fait que les appareils ont bel et bien été construits, rien n’indique qu’ils aient été livrés, alors même que les relations américan-egyptiennes se sont adoucies ces derniers mois. Dans ce contexte, l’opportunité de livrer les appareils déjà construits au standard export pour l’Egypte, vers l’Iran, serait sans le moindre doute bienvenue pour l’industrie aéronautique russe.

Su35S egypt Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Ce cliché montre l’und es Su-35 destiné à l’Egypte dans une livrée identique à celle des Mig-29 déjà en service au sein des forces aériennes égyptiennes. Pour autant, il semble bien qu’aucun de ces appareils n’ait atteint le sol égyptien

Reste qu’un tel contrat aura nécessairement d’importantes conséquences sur les tentatives de négociations que mènent encore européens et américains avec Téhéran au sujet du programme nucléaire iranien. En supprimant l’une des plus importantes contraintes pour le régime iranien, à savoir l’accès à des technologies de défense modernes pour se prémunir d’éventuelles frappes de coercition américaines ou israéliennes, Moscou affaiblirait considérablement la position des négociateurs internationaux pour tenter d’amener Téhéran à renoncer à son programme nucléaire militaire. Rappelons que les autorités iraniennes soutiennent que le programme nucléaire iranien n’a que des visées civiles, mais que dans le même temps, ce dernier produit de grandes quantités de matière fissible de qualité militaire pouvant potentiellement servir à concevoir des armes nucléaires. En levant cette contrainte, il est probable que les autorités iraniennes n’auront plus guère d’interêts à se plier aux exigences occidentales, ce d’autant que si l’unité internationale venait à se fissurer, il est probable que d’autres pays, comme la Chine, en profiteraient pour investir dans le pays, en particulier dans le domaine de l’énergie.

Dès lors, la décision de Moscou au sujet des Su-35 iranien, sera lourde de conséquences non seulement pour ce qui concerne les tensions dans le Golfe persique et par transitivité dans tout le Moyen-Orient, mais également dans le controle de la non-prolifération des armes nucléaires sur la planète, d’autant que l’Arabie saoudite a déjà prévenu que si Téhéran venait à disposer d’armes nucléaires, le royaume s’en doterait également, d’une manière ou d’une autre. D’autre part, on peut largement douter du fait que Jerusalem resterait sans réaction si des Su-35 russes venaient à être livrés à Téhéran, les forces aériennes israéliennes s’entrainant intensément depuis plus de 3 ans pour pouvoir mener, le cas échéant, des frappes à longue distance afin de priver l’Iran de ses capacités nucléaires, balistiques et stratégiques. Alors que le Monde et l’Europe en particulier, sont déjà plongés dans une crise énergétique comparable au choc pétrolier de 1973, l’embrasement du Moyen-Orient qui ferait suite à une attaque israélienne contre l’Iran, créerait sans le moindre doute une interruption des livraisons d’hydrocarbures transitant par le golfe Persique, et mettrait à genou l’ensemble des économies occidentales, avec des conséquences potentiellement cataclysmiques. Dans une telle hypothèse, nul doute que la Russie retrouverait une position de force sans précédant vis-à-vis des Européens et de l’Occident en général, en détenant la clé de l’économie européenne par l’intermédiaire de ses gazoducs et pipelines. Alors que Moscou fait face à des revers importants en Ukraine et à des sanctions de plus en plus dures du point de vue économique, livrer quelques Su-35 à Téhéran pourrait bien s’avérer une manoeuvre salvatrice pour le régime du Kremlin, mais désastreuse pour le reste de la planète.

LPM 2023 : La France va-t-elle devoir abandonner son « Armée Globale » ?

« Un armée d’échantillons ». Cette phrase a été employée en de nombreuses occasions pour définir les Armées françaises et leurs capacités. Elle n’est pourtant pas le moins du monde pertinente, car il laisse supposer que l’ensemble de ses composantes a été sous-dimensionné en deçà d’un seuil garantissant leur efficacité. S’il est vrai que 200 chars Leclerc et 77 canons CAESAR sont insuffisants pour entreprendre un conflit majeur dans des conditions acceptables, d’autres capacités, dans le domaine aérien, naval ou des forces de projection, sont pour leur part dimensionnées afin de répondre aux besoins. Quant à la dissuasion française, si elle peut paraitre insuffisamment dotée face à l’évolution des menaces ces derniers mois, force est de constater qu’elle le fut durant les 30 années qui suivirent l’effondrement du bloc soviétique, dans une période révolue que les historiens qualifieront probablement de « Post Guerre Froide », en espérant qu’elle ne soit pas appelée à être qualifiée de « Pré-quelque chose de très déplaisant ».

Dans le contexte présent, les armées françaises font cependant pâle figure dans certains domaines, alors que d’autres de nos voisins européens moins fortunés produisent des efforts considérables pour être en mesure de contenir la menace que représentent les quelques 3000 chars lourds et 1500 pièces d’artillerie et lance-roquettes multiples dont disposeront les armées russes en 2030, en toute hypothèse. Ainsi, la Pologne, avec un PIB équivalent au tiers de celui de la France, prévoit de se doter de 6 divisions lourdes alignant un total de 1500 chars Leopard 2, Abrams et K2 Black Panther, et soutenues par quelques 800 systèmes d’artillerie mobile sous blindage Krabs et K9 Thunder, ainsi que par 500 lance-roquettes multiples HIMARS et K239, là ou la planification actuelle prévoit d’équiper les armées françaises de 200 Leclerc, de 120 canons Caesar et d’une quinzaine de Lance-roquettes multiples ou unitaires à cette échéance.

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En 2030, les forces polonaises devraient aligner prés de 1500 chars lourds contre 200 pour l’Armée de terre

Alors que la conception de la nouvelle Loi de Programmation Militaire débutera dans les semaines à venir pour entrer en application dès 2023, et dans le contexte budgétaire que l’on connait pour la France, avec une dette souveraine sévèrement détériorée suite à la pandémie Covid, un déficit budgétaire au dessus des seuils autorisés par le pacte de Stabilité de la zone euro et grévé par le cout du bouclier tarifaire préservant les français d’une grande partie de l’explosion des prix de l’énergie, et que les perspectives de croissance sont revues à la baisse sur fond de crise énergétique, est-il pertinent ou même efficace de maintenir l’ambition française de disposer d’une armée globale héritée du gaullisme, ou faut-il, comme les britanniques souhaitent le faire, accepter certains abandons capacitaires afin de concentrer les moyens et les hommes sur les capacités ayant le plus fort potentiel d’efficacité, pour défendre la nation et ses intérêts, seul ou en coalition ?

Les armées françaises de 1945 à aujourd’hui

Les Armées françaises sont sorties très affaiblies de la seconde guerre mondiale, en dépit du statut de vainqueur accordé à la France sur insistance du premier ministre britannique, Winston Churchill. Toutefois, après une courte période marquée avant tout par un important mouvement pacifiste, les autorités françaises entreprirent dès la fin des années 40, de reconstituer ces armées, tant pour répondre aux guerres coloniales qui se profilaient que pour faire face à la menace soviétique. Les années 50 furent l’objet d’un très important effort de Paris afin de redonner aux armées françaises des capacités opérationnelles majeures, tout en développant massivement l’industrie de défense nationale, avec l’émergence de grands noms de l’industrie de défense française comme Avions Marcel Dassault, Thomson et Matra. Dans tous les domaines, la France investit pour retrouver une certaine autonomie stratégique, y compris au travers d’un discret mais ambitieux programme nucléaire. La défaite de Dien Bien Phu en Indochine, puis la piteuse conclusion de l’affaire de Suez en 1956, finirent de convaincre les dirigeants français de la nécessité de se doter d’une armée globale, et d’une autonomie de défense avérée vis-à-vis des Etats-Unis.

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L’échec stratégique de la France et de la Grande-Bretagne pour reprendre le controle du Canal de Suez en 1956, malgré un succès militaire, amena Paris à s’engager dans la voie de l’autonomie stratégique.

A son retour au pouvoir en 1958, le Président de Gaulle accentua cet effort, consacrant initialement plus de 5% du PIB à l’effort de défense en 1960, puis en le ramenant progressivement à 3,5% en 1970, alors que dans le même temps, le PIB du pays avait cru de 140%. Au delà de l’effort colossal produit par la France pour se doter d’une dissuasion nucléaire à 4 composantes, avec les sous-marins nucléaires de la classe Le Redoutable, les bombardiers Mirage IV, les missiles à moyenne portée S2 du plateau de l’Albion et les systèmes balistiques tactiques Pluton, le pays se dota également d’un format d’armée capable de répondre à toutes les menaces directes ou induites pouvant menacer son territoires ou ses intérêts. Ainsi, les armées françaises disposaient au début des années 70 d’une capacité d’engagement de haute intensité alignant plus de 1000 chars AMX30 et capable d’engager plus de 100.000 hommes en Europe centrale, une capacité de projection de puissance reposant sur des forces d’assaut d’élite comme l’infanterie de marine, les troupes de montagne et bien évidemment la Légion Etrangère, une Marine Nationale alignant deux porte-avions équipés de catapultes, un croiseur, une quinzaine de destroyers et frégates et une dizaine de sous-marins, et une force aérienne forte de plus de 700 avions de combat performants, comme le célèbre Mirage III et sa version d’attaque Mirage V.

Le Porte avions Clemenceau emportant des Super Etendrad Alizes et Etendrad IV escorte par la FAA Cassard Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
La France était l’un seuls pays à disposer de deux porte-avions dotés de catapultes et de brins d’arrêt au début des années 70.

Si les forces blindées françaises étaient numériquement inférieures à celles de la République Fédérale d’Allemagne, ou si la Royal Navy surpassait en tonnage et nombre de navires la Marine Nationale, la France disposait cependant d’une armée homogène, fortes d’atouts parfois exclusifs comme le système nucléaire tactique Pluton, et surtout d’une extraordinaire autonomie, en particulier vis-à-vis des Etats-Unis, accentuée par le retrait du commandement intégré de l’OTAN décidé par le président de Gaulle en 1966. Toutefois, pour y parvenir, Paris devait consacrer plus de 3% de son PIB à son effort de défense. Malheureusement, les successeurs du général de Gaulle, y compris son ancien premier Ministre Georges Pompidou, ne voyaient guère la chose de la même manière, et les années 70 et 80 furent marquées par un lent déclin de l’effort de défense français, en partie compensé par la croissance du Produit Intérieur Brut. Ainsi, après qu’il fut ramené par Georges Pompidou à 2,55% en 1974, l’effort de défense français remonta progressivement à 3% lors du septennat Giscard d’Estaing et des deux premières années de Français Mitterand. Suite à quoi, il ne connu que des coups de rabot successifs et linéaires au fil des années, passant de 2,97% du PIB en 1982 à 1,4% en 2016. Il fallut attendre 2017, l’élection d’Emmanuel Macron et surtout la détérioration devenue évidente de la situation des armées comme des menaces, pour que celui-ci reparte à la hausse, pour atteindre, en 2022, 42 Md€ et 1,7% du PIB.

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Evolution de l’effort de défense en France de 1960 à 2015 – source Sénat – Le Point

A partir du début des années 90, alors que le budget des armées françaises passaient sous la barre des 2% de PIB, et qu’il était évident que cette dynamique baissière perdurerait dans le temps, les Etats-majors entreprirent de mener une politique capacitaire originale, destinée non pas à préserver les capacités, ce qui était hors de propos avec un tel budget, mais d’e préserver les savoir-faire et la technicité, et ce pour l’ensemble des capacités nécessaires à une defense moderne. Dans le même temps, les capacités les plus critiques à la vue des besoins immédiats d’intervention et de défense furent préservées, et furent par ailleurs largement mises à contribution lors des opérations exterieures, et interventions coalisées durant cette période. C’est ainsi que les savoir-faire en matière de combat blindé lourd, qu’il s’agisse de l’emploie des chars, de l’artillerie, les capacités de pontonnage et de brechage, furent préservées et continuèrent à être développées, aux cotés de nombreuses autres, à des formats très réduits afin d’en limiter l’empreinte budgétaire. L’Armée d’échantillon décriée souvent, trouve son origine dans cette doctrine, qui pourtant ne concerne que quelques capacités, en ne s’applique nullement à l’ensemble des armées.

Pas d’armée globale sans effort de défense adapté

Que nous enseigne tout cela ? En premier lieu, qu’il est impossible d’envisager de construire ou de developper un format d’armées global effectivement efficace sans y consacrer le budget nécessaire, celui-ci devant dépasser les 2,7% de PIB à minima, et trouvant sa réelle efficacité à partir de 3% de PIB, pour un pays comme la France. Pour la France de 2022, cela équivaut un effort de défense de 67 Md€ minimum, et de 75 Md€ de manière optimum, soit une hausse de presque 80% du budget actuellement consacré aux armées. A raison de 3 Md€ par an, en tenant compte d’une inflation de 3% par an, il faudrait 12 ans pour atteindre ce seuil d’efficacité, et encore une quinzaine d’années pour en tirer les pleins bénéfices. En second lieu, que les armées, et leur chef, ont aujourd’hui à disposition l’ensemble des savoir-faire et des expertises pour reconstruire une armées globale de la manière la plus efficace possible, ceci ayant été précisément l’objectif recherché par les chefs d’état-major qui se succédèrent à la tête des armées françaises ces 30 dernières années.

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Toutefois, deux questions doivent être prises en considération dans une telle hypothèse. D’abord, force est de constater que le calendrier d’une telle stratégie est particulièrement étendu, avec un planché budgétaire qui ne serait atteint qu’en 2035, et un planché capacitaire en 2045, alors qu’il est probable que les crises internationales, en Europe comme dans le monde, atteindront un point culminant lors de la prochaine décennie. En d’autres termes, poursuivre un tel objectif avec des moyens qui n’évolueraient que progressivement, risquerait d’exposer la France dans les deux décennies qui viennent, et ce en dépit d’un effort de défense important. La seconde question, bien plus contraignante, n’est autre que de savoir si les finances publiques, et l’économie dans son ensemble, seront à même de poursuivre un tel effort dans la durée. En d’autres termes, sauf à disposer d’un modèle d’investissement permettant à la France de faire croitre son effort de défense au delà des 2,7% de PIB dans des délais très courts, et de manière soutenable pour les caisses de l’Etat, cette solution est loin de garantir une efficacité suffisante pour protéger la nation face aux défis qui se présentent.

Réduire le périmètre des armées pour gagner en performances

L’autre alternative, car il en existe une, serait de concentrer les crédits et efforts disponibles dans les domaines ayant la plus forte valeur ajoutée pour les objectifs de défense français. En d’autres termes, il s’agirait d’accepter de quitter le modèle d’armées global, pour devenir une armée spécialisée, et donc, par voie de conséquences, d’accepter que ces capacités abandonnées soient comblées par des armées étrangères, comme des armées européennes par exemple. L’hypothèse peut apparaitre choquante pour l’opinion publique française, habituée à concevoir La Défense comme un exercice nationale. En revanche, pour l’immense majorité de nos voisins européens, il s’agit d’une approche parfaitement assimilée et acceptée. Ainsi, l’ensemble des pays membre de l’OTAN à l’exception de la France et de la Grande-Bretagne, accepte de confier aux Etats-Unis la responsabilité de la dissuasion, mais également l’organisation du commandement, une grande partie de la recherche technologique, ou encore l’essentiel du renseignement et de la logistique. Même les armées françaises, toutes autonomes qu’elles soient, n’auraient pas pu mener une opération militaire comme Serval sans le soutien logistique et le renseignement américain, ainsi que l’appui de nombreux pays européens, en particulier afin de mener le pont aérien qui permit de déployer la Brigade française à Bamako.

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Si l’opération Serval au Mali a été menée par les forces françaises, celle-ci obtint un très important soutien logistique et en matière de renseignement de la part des Etats-Unis

Dans une telle hypothèse, la France concentrerait ses moyens sur des capacités qui, précisément, font défauts à ses alliés, comme dans le domaine de la dissuasion, ainsi que dans des domaines d’excellence comme la projection de puissance, le combat aéronaval, la lutte anti-sous-marine. Cette liste n’est, bien évidemment, pas exhaustive, et peut notamment s’ouvrir à des savoir-faire émergents, comme en matière de guerre de l’information. En outre, la France pourrait s’appuyer sur ses forces propres, en particulier sur ses territoires ultra-marins, dont aucun de ses alliés européens ne disposent, afin de renforcer le poids relatif de la France et de l’Europe dans le Pacifique, dans l’Ocean Indien, en Amérique du Sud ou dans l’Arctique et l’antarctique. Par sa dissuasion, la France préserverait ses capacités à se protéger des menaces les plus graves, tout en développant des piles de compétences et d’excellences complémentaires de ceux dont se dotent nos voisins et alliés, dans le but ultime de dissuader un adversaire potentiel, quel qu’il puisse être, et de peser de manière décisive dans les crises à venir.

Conclusion

La pire des solutions, en revanche, serait de persister à vouloir préserver un format d’armées qui n’a de global que le nom, n’étant pas capable d’engager plus de 20.000 hommes en cas de conflit de haute intensité, alignant moins de 250 avions de combat et un unique porte-avions, et ne disposant que d’une dissuasion stratégique faisant fi de pans entiers de menaces qu’une telle dissuasion ne saurait en rien dissuader. Car si les chefs d’Etat-major ont fait des miracles afin de permettre aux dirigeants français de décider aujourd’hui, une non décision, ou une décision trop empreinte de compromis, ne rendrait ni justice aux efforts des militaires français ces 30 dernières années pour préserver ces savoir-faire, ni ne permettrait de répondre aux enjeux sécuritaires qui se dessinent.

Triomphant SNLE Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
La dissuasion reste aujourd’hui un outil critique aux mains des dirigeants français sur la scène internationale

Quoiqu’il en soit, il apparait que la prochaine Loi de Programmation Militaire portera une dimension critique quant au devenir des armées françaises, bien au delà d’un simple empilement de crédits et de programmes. Il sera en effet nécessaire d’arbitrer entre une trajectoire très ambitieuse afin de préserver ce format d’armées global cher à l’héritage gaullien, ceci supposant très probablement de s’appuyer sur un nouveau modèle pour soutenir l’effort budgétaire nécessaire sur des délais particulièrement réduits et dans un contexte pour le moins dégradé, et une trajectoire alternative misant sur les points forts des armées et de la nation, mais acceptant de déléguer à d’autres certaines capacités critiques.

Le futur drone furtif embarqué turc va-t-il humilier l’industrie aéronautique de défense européenne ?

Suite à l’intervention militaire dans le nord de la Syrie, au soutien militaire de l’une des factions dans le conflit libyen, et surtout à l’acquisition d’un batterie anti-aérienne S-400 auprés de la Russie, l’industrie de défense turque, en plein essor jusqu’en 2019, connut un coup d’arrêt sévère suite aux sanctions imposées par les Européens et surtout les américains concernant l’exportation de technologies de défense. Mais si certains programmes, comme le char lourd Altay ou l’avion de combat TFX furent très handicapés par ces mesures, il est un domaine dans lequel l’industrie de défense turque continua de se developper, et de remporter des succès commerciaux importants, celui des drones. Après la démonstration faite de l’efficacité du drone MALE léger TB2 Bayraktar de la société Baykar en Azerbaïdjan, en Libye et en Syrie, les clients se pressaient déjà pour acquérir ce système à la fois simple, efficace et très économique. Les succès enregistrés par les TB2 livrés à l’Ukraine lors des premiers mois du conflit qui l’oppose à la Russie, finirent de convaincre les acquéreurs, et le petit drone turc est désormais commandé par pas moins d’une quinzaine de forces armées, et de nombreuses autres seraient en négociation pour faire de même.

Pour Selçuk Bayraktar, président de la jeune société, par ailleurs gendre du président R.T Erdogan et surtout diplômé du MIT, il n’était cependant pas question de se satisfaire de ce succès. Alors que le TB2 multipliait les succès opérationnels et commerciaux, l’entreprise développa un nouveau drone de combat, plus lourd et bimoteur, l’Akinci, un appareil 6 fois plus lourd que le TB2 avec une masse à vide de 4500 kg, une capacité d’emport de 1.500 kg et une autonomie de 24 heures, capable de jouer dans la même court que le célèbre MQ-9 Reaper américain qui reste, à ce jour, le drone MALE le plus employé au sein des forces armées occidentales. La jeune entreprise fut également appelée à la rescousse par le pouvoir turc pour trouver une alternative à l’éviction d’Ankara du programme F-35, et en particulier pour remplacer les F-35B qui devaient armer le flambant neuf porte-aéronef Anadolu et son sister-ship à venir. De toute évidence, les ingénieurs turcs n’ont guère perdu de temps pour répondre aux besoins du beau-père de leur dirigeant. En effet, à l’occasion du Teknofest Black Sea, Baykar a présenté le drone de combat furtif Kizilelma (en illustration principale), un appareil autonome turbopropulsé destiné à opérer à partir des porte-aéronefs de la marine turque.

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Il ne fallut que 2 ans à Baykar pour faire admettre au service son drone Akinci après son premier vol en 2019

On sait encore peu de chose sur ce nouveau drone. Selon ses concepteurs, l’appareil pourra évoluer à une vitesse de 980 km à 11.000 mètres d’altitude, et atteindre Mach 1 en vitesse de pointe. D’une masse à vide de 4,5 tonnes, il pourra emporter jusqu’à 1500 kg de charges utiles, ceci comprenant le carburant et des munitions air-air, air-surface et air-sol. Son autonomie annoncée serait de 5 heures, pour un rayon d’action de prés de 1000 km. Le drone est propulsé par un turboréacteur ukrainien Ivchenko-Progress d’une poussée de 2 tonnes, alors que l’emploi d’une version du turboréacteur doté de post-combustion et poussant 4,5 tonnes est également prévue. Les photos publiées concernent les deux prototypes en cours d’assemblage, et laissent supposer un caractère furtif, sans que l’on puisse effectivement juger de l’efficacité de celle-ci. Enfin, selon Baykar, le Kizilelma pourra décoller et apponter sur les porte-aéronefs de la classe Anadolu, bien que la présence d’une crosse d’appontage n’ait pas pu être confirmée visuellement.

Selon Baykar, l’appareil serait doté d’une section radar diminuée, et disposerait d’une avionique évoluée et d’un haut niveau d’automatisation. Ainsi, l’appareil disposerait d’un radar à antenne AESA pour surveiller l’espace l’entourant, de capacités de décollage, d’atterrissage et d’appontage automatisées, de capacités de manoeuvres avancées et de capacités de décollage et atterrissage courts, mises à profits pour son utilisation aéronavale. Le controle de l’appareil est assuré par une connexion avec ou sans ligne de visée, ce qui suppose l’utilisation d’un module de communication par satellite. Enfin, il disposera de deux soutes à munition permettant d’accueillir une vaste variété de munitions sans dégrader sa furtivité.

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le porte-hélicoptères amphibie Anadolu pourra mettre en oeuvre le drone Kizilelma afin de remplacer les F-35B qu’Ankara ne recevra pas

Outre ces performances interessantes qui devront cependant être démontrées, Baykar a annoncé que le premier prototype du Kizilelma volera d’ici le début de l’année 2023, Il pourrait entrer en service rapidement si les essais s’avèrent concluant. Rappelons à ce titre que l’Akinci entra, pour sa part, en service moins de deux ans après son premier vol. Si le projet remonterait à 2013, son developpement effectif n’a, quant à lui, débuté qu’à partir de 2021, remontrant l’extraordinaire réactivité des équipes de Baykar, mais également une grande confiance dans les technologies employées. En tout état de cause, si le nouveau drone de Selçuk Bayraktar tient ses promesses et ses délais, il constituerait, sans le moindre doute, un outil précieux pour renforcer les capacités aéronavales d’Ankara, et il est probable qu’il suscitera un intérêt marqué de la part de nombreuses forces aériennes et forces navales dans le monde. Surtout, il représentera un formidable camouflet pour les ingénieurs européens qui, en dépit de crédits colossaux et d’une avance technologique incontestable, ne parviennent pas à ne serait-ce que s’approcher de la vélocité et des performances des drones produits en Turquie.

Un second porte-avions est-il possible pour la Marine nationale ?

S’il est un sujet clivant aussi bien au niveau des états-majors que de la classe politique en France, c’est bien la question d’un second porte-avions pour la Marine nationale. La situation est pourtant paradoxale, puisqu’il n’existe sur la planète que deux Marines disposant de porte-avions à propulsion nucléaire, qui plus est, équipés de catapultes et de brins d’arrêt permettant de mettre en œuvre une vaste panoplie d’appareils.

Quant aux autres marines, elles doivent se contenter de porte-avions ou porte-aéronefs armés d’avions à décollage court ou vertical comme le F-35 et le Harrier, ou capable d’employer un tremplin comme le Mig-29 ou le J-15, ceci se faisant au détriment de la charge de l’appareil ainsi que du nombre de rotations aériennes supportées par le navire. Les avantages du porte-avions CATOBAR (CATapultes et Brins d’ARrêts) sont tels que Pékin a consenti des efforts colossaux pour s’en doter, alors que le nouveau porte-avions Type 003 Fujian a été lancé le 17 juin de cette année.

Le remplaçant du Charles de Gaulle sera sécurisé dans la LPM

En 2020, la ministre des Armées Florence Parly annonça le lancement du programme destiné à concevoir et construire le remplaçant du porte-avions nucléaire (PAN) Charles de Gaulle, en service depuis 2001, et qui devra quitter la ligne en 2038. Le nouveau navire sera également à propulsion nucléaire, comme son prédécesseur, mais bien plus imposant, avec un tonnage estimé de 70.000 à 80.000 tonnes, presque deux fois les 45.000 tonnes du Charles de Gaulle, afin de mettre en œuvre le successeur du Rafale M, lui aussi plus imposant que l’appareil qu’il remplacera.

En outre, le navire disposera de catapultes, non pas à vapeur comme le Charles de Gaulle et les porte-avions Foch et Clemenceau avant lui, mais électromagnétiques, qui seront acquises aux États-Unis et du même modèle que celles qui équipent les nouveaux super porte-avions nucléaires de l’US Navy de la classe Ford.

Toutefois, comme son prédécesseur, le nouveau porte-avions français souffrira d’une faiblesse de taille, celle d’être le seul porte-avions en service au sein de la Marine nationale, ne permettant pas d’assurer l’indispensable permanence aéronavale indissociable de son efficacité, ainsi que de son caractère dissuasif.

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Le Charles de Gaulle est aujourd’hui le seul porte-avions CATOBAR à propulsion nucléaire en service n’appartenant à l’US Navy

Néanmoins, alors que la construction du remplaçant du Charles de Gaulle avait déjà engendré de nombreuses protestations, il est vrai émanant en grande partie d’une unique source, l’effort budgétaire lié à la construction d’un second bâtiment et de son groupe aéronavale est pour l’heure jugé à ce point élevé qu’il n’est pas envisagé, et reporté à une décision ultérieure, dans une redite de ce qui fut fait ces 20 dernières années au sujet d’un éventuel sister-ship du Charles de Gaulle.

Alors que la situation sécuritaire a considérablement évolué ces derniers mois, en Europe, comme dans le Pacifique et au Moyen-Orient, et qu’une nouvelle Loi de Programmation Militaire sera conçue en urgence cet automne pour répondre à ces évolutions géopolitiques, est-il pertinent, ou tout simplement possible, d’acter la construction d’un second porte-avions destiné à évoluer aux côtés du remplaçant du Charles de Gaulle, alors que l’ensemble des Armées souffre de nombreuses faiblesses capacitaires à traiter de toute urgence ?

Forces, faiblesses et contraintes d’un second porte-avions pour la Marine nationale

Si le porte-avions est plébiscité dans la plupart des grandes forces armées du monde, il ne manque pas de détracteurs en France. Selon les arguments avancés fréquemment, ce navire serait onéreux et vulnérable, et consommerait des crédits qui seraient bien plus efficacement dépensés pour accroitre d’autres capacités, comme la flotte de chasse, la flotte sous-marine ou la flotte de surface.

Un arbitrage de moyens complexe et difficile à réaliser

En outre, le binôme formé par le Rafale et le nouvel avion de ravitaillement en vol A330 MRTT permettrait à l’Armée de l’Air de mener des opérations à longue distance, sans qu’il soit nécessaire de déployer un porte-avions dont le bénéfice opérationnel serait dès lors, selon ses détracteurs, contestable si pas superfétatoire.

L’aspect budgétaire est incontestable, puisque pour le prix d’un second porte-avions nucléaire et des navires et aéronefs nécessaires à sa mise en œuvre, l’Armée de l’Air et de l’espace pourrait acquérir 80 Rafale supplémentaires, soit cinq escadrons de chasse, ainsi qu’un escadron d’A330 MRTT supplémentaires, doublant de fait son format théorique. Et si la Marine nationale venait à renoncer à son premier porte-avions, elle pourrait se doter de six frégates et trois sous-marins nucléaires d’attaque supplémentaires.

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Armés des missiles de croisière SCALP, les Rafale de l’Armée de l’Air ont mené un raid sur plus de 3000 km en avril 2018 pour détruire les installations chimiques syriennes

Toutefois, qu’il s’agisse de Rafale ou de frégates et sous-marins supplémentaires, aucune de ces capacités n’est en mesure de remplacer l’apport que représente un porte-avions à un dispositif naval.

Ainsi, en avril 2018, l’Armée de l’Air démontra son savoir-faire en menant, dans le cadre de l’opération Hamilton, une frappe contre les installations chimiques syriennes en parallèles de frappes américaines et britanniques. Cette opération a également démontré les limites de ce que l’Armée de l’Air est en mesure de faire, ainsi que celles de ne disposer que d’un porte-avions.

Les limites imposées par un unique porte-avions

Rappelons qu’à cette date, le Charles de Gaulle avait entamé une période d’indisponibilité périodique afin d’entreprendre la refonte à mi-vie du navire, privant la Marine nationale et la France de son unique porte-avions pendant plus de 18 mois.

Pour mener cette opération décidée à l’Élysée, l’Armée de l’Air employa un dispositif mis en œuvre dans le cadre de la composante air de la dissuasion, et désignée Poker, en déployant des Rafale à partir de la base de Saint-Dizier escortés de Mirage 2000-5 et soutenus par des avions ravitailleurs et un avion Awacs, afin de frapper les installations syriennes à l’aide de missiles de croisière SCALP.

En bien des aspects, Hamilton fut une consécration pour l’Armée de l’Air, qui démontra toute l’étendue de ses capacités dans cette mission. Toutefois, celle-ci montra également les limites de l’exercice. Ainsi, les Rafale et Mirage français durent soigneusement éviter le survol des autres pays européens, prenant une route Méditerranée dépourvue de contrainte, mais aussi plus longue pour effectuer la mission.

De même, l’Armée de l’Air ne put pas mettre en œuvre ses appareils à partir de la base aérienne projetée H5 en Jordanie, qui pourtant accueillait alors des Rafale pour soutenir la lutte contre l’Etats Islamique au Levant, et qui aurait été bien plus proche pour mener cette mission.

En effet, frontalière de la Syrie, la Jordanie aurait pu faire l’objet de mesures de rétorsion suite à ces frappes de la part de Damas, ou pire, de ses alliés russes ou iraniens. En outre, il est probable que la question ne fut pas même posée aux autorités jordaniennes afin d’éviter toute fuite qui aurait pu compromettre l’efficacité de la mission.

Qui plus est, les moyens mis en œuvre, notamment en termes de soutien, pour cette mission, marquent la limite de distance pour ce type de mission, et donc pour l’Armée de l’Air, soit un rayon de 3000 km autour des bases aériennes françaises.

Enfin, les missions Poker sont conçues comme des missions uniques, et ne peuvent en aucun cas servir de base à une intervention longue distance soutenue, contrairement à un porte-avions qui peut, lui, soutenir une activité de plusieurs dizaines de sorties aériennes chaque jour pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois.

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Le Charle de Gaulle peut soutenir une activité de 60 à 80 opérations aériennes par jour pendant plusieurs semaines et même plusieurs mois au besoin

En d’autres termes, l’argument selon lequel l’Armée de l’Air pourrait, avec plus de moyens, faire aussi bien que l’aéronavale quel que soit le scénario, n’est pas réaliste. C’est d’ailleurs bien pour cela que l’US Navy a décidé de revenir à un format de 12 porte-avions d’ici à 2040, que la Grande-Bretagne s’est dotée de deux porte-avions, et que la Chine recevra bientôt son 3ᵉ porte-avions, avec plusieurs autres à suivre, y compris à propulsion nucléaire.

La vulnérabilité du porte-avions, un argument récurrent, mais sans fondement

Quant à la supposée vulnérabilité des porte-avions face aux nouvelles armes hypersoniques, force est de constater qu’il ne s’agit que d’une redite d’un discours répété depuis des dizaines années à chaque nouvelle menace, et qui n’a jamais marqué la fin de ce type de navire, au contraire.

Enfin, à ce sujet, il serait pertinent d’observer la vulnérabilité des bases aériennes russes face aux frappes de missiles et de saboteurs ukrainiens ces dernières semaines, afin de juger de la vulnérabilité comparée du groupe aéronavale mobile et très protégé, et celle d’une base aérienne parfaitement immobile et accessible.

Reste que si les critiques opérationnelles sont contestables, le constat budgétaire est, quant à lui, implacable. Si le remplaçant du Charles de Gaulle coutera de 8 à 10 Md€ à l’État français, il n’engendrera aucun surcout spécifique pour ce qui concerne la constitution de son groupe aéronaval hérité de son prédécesseur.

En revanche, un second porte-avions, qui couterait de 6 à 7 Md€ supplémentaires, nécessiterait l’ajout d’une frégate antiaérienne et d’une frégate anti-sous-marine afin de respecter le format de la Marine nationale d’une frégate anti-aérienne et une frégate ASM par Capital Ship, ainsi qu’une frégate par océan. Il en irait de même concernant un sous-marin nucléaire d’attaque et un pétrolier ravitailleurs supplémentaires.

Enfin, il serait nécessaire d’ajouter une flottille de chasse, deux E-2D Hawkeye et quelques hélicoptères à l’aéronautique navale. Au total, l’investissement initial atteindrait donc les 13 à 15 Md€, un montant qui permettrait à l’Armée de l’Air d’accroitre son format de chasse de 50%.

Surtout, cet investissement n’atteindra pas l’efficacité budgétaire que peuvent atteindre d’autres programmes qui, eux, peuvent générer des recettes et économies budgétaires égales, voire supérieures, aux dépenses. En effet, le porte-avions nucléaire a un défaut considérable, il ne s’exporte pas.

Existe-t-il une alternative à un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération pour la Marine nationale ?

Dans ce contexte, il est très peu probable que la décision concernant la construction d’un sister-ship au successeur du Charles de Gaulle puisse être prise lors de la prochaine Loi de Programmation Militaire, qui devra combler de nombreuses urgences capacitaires dans un budget probablement contraint.

Toutefois, cette hypothèse, telle qu’elle est le plus souvent posée, aujourd’hui, de manière parfois triviale, n’est peut-être pas la seule approche possible afin de répondre à ce besoin, et de rendre cet investissement soutenable pour les finances publiques, y compris dans le présent contexte budgétaire et sécuritaire.

L’exemple de la classe de porte-avions légers britannique de la classe invincible

Il peut, en effet, être utile de se rappeler que face à un choix identique dans les années 70, la Royal Navy britannique avait imaginé une solution qui permit de préserver la permanence aéronavale, et qui joua un rôle déterminant dans la reprise des iles malouines en 1982.

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le HMS illustrions fut l’un des 3 porte-avions légers de la classe Invincible à rejoindre la Royal Navy dans les années 70 et 80.

Pour cela, les chantiers britanniques construisirent non pas un sistership au porte-avions Hermes de 30.000 tonnes, mais trois porte-avions légers, les navires de la classe Invincible, afin de remplacer les derniers porte-avions à catapultes de la Royal Navy, les HMS Ark Royal et Eagle. Ces bâtiments de 20.000 tonnes pouvaient mettre en œuvre une vingtaine d’aéronefs Sea Harrier, Harrier et Sea King, contre 30 pour l’Hermes.

Surtout, ils coutaient moitié moins à construire que l’Hermes, de sorte que la Royal Navy put financer la construction de trois bâtiments pour à peine plus qu’un unique Hermes.

En outre, il est désormais démontré que le Rafale M est parfaitement capable d’employer un tremplin de type Ski Jump pour prendre l’air d’un porte-avions, et ce avec une charge utile proche de celle communément employée pour les aéronefs à bord de Charles de Gaulle.

Un nouveau porte-avions léger pour compléter le Porte-avions nucléaire de nouvelle génération ?

De fait, il serait parfaitement possible, pour la Marine nationale, de se doter non pas d’un second porte-avions nucléaire pour assurer la permanence du groupe aéronaval, mais de se doter de porte-avions légers à propulsion conventionnelle, bien plus économiques, mais aux capacités plus réduites, équipés d’un tremplin plutôt que de catapultes, pour un budget total inférieur ou égale à celui d’un sister-ship au nouveau porte-avions.

L’intérêt de cette approche, outre le fait qu’elle offrirait à la Marine nationale une plus grande souplesse opérationnelle dans l’utilisation de son groupe aéronaval, réside dans le caractère exportable de ce type de navire.

En effet, en se dotant d’une telle offre, la France serait alors, avec les États-Unis et la Chine, le seul pays susceptible de fournir une solution de chasse embarquée complète, avec porte-avions et avions de combat, le tout dans une enveloppe à la portée de certaines nations ambitieuses, ou tout simplement en besoin de ce type de capacités.

Une dimension industrielle et commerciale non négligeable pour la soutenabilité d’une nouvelle classe de porte-avions légers

Aujourd’hui, plusieurs pays pourraient y voir un intérêt important, comme l’Égypte, l’Indonésie et le Brésil. D’autres pays, traditionnellement plus éloignés de l’offre défense française, pourraient, eux aussi, y voir une réponse à leurs besoins, dont l’Australie, le Japon et la Corée du Sud. Enfin, la Grèce et les EAU auraient peut-être de l’intérêt pour une telle offre, pour tenir en respect la Turquie et l’Iran.

Or, si le retour budgétaire pour l’État autour de la construction d’un porte-avions nucléaire est de 40%, ceci tenant compte des couts importés comme les catapultes et les Hawkeye, ceux concernant la construction d’un porte-avions léger doté de tremplin pourraient atteindre, voire dépasser, les 50 %.

En d’autres termes, il faut et il suffit à la France de vendre deux porte-avions légers à l’export pour neutraliser budgétairement le poids de l’acquisition de deux de ces navires et de son groupe aérien embarqué.

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Le Fujian est le nouveau porte-avions chinois. Il dépasse les 80.000 tonnes et dispose de 3 catapultes Electro-magnétiques, mais sa propulsion reste conventionnelle

Cette approche offre, par ailleurs, deux atouts significatifs vis-à-vis de l’hypothèse d’un sister-ship pour le PANG. D’une part, par son empreinte plus réduite, avec un navire que l’on peut estimer à 30/35.000 tonnes, les délais d’immobilisation de l’outil industriel afin de construire les bâtiments sera réduite, et pourrait même se satisfaire de darses moins imposantes que celle qui sera nécessaire pour la construction du navire.

Surtout, cette solution peut être mise en œuvre en avance de phase vis-à-vis nouveau navire, de sorte à doter le Charles de Gaulle d’un allié précieux, dès le début des années 2030, plutôt que d’attendre les années 2040 pour éventuellement voir arriver un second porte-avions.

Or, dans le contexte géopolitique et sécuritaire d’aujourd’hui, de nombreux paramètres pointent vers une période d’instabilité et de risques accrus à partir de 2030, disposer d’un second porte-avions, à l’instar des britanniques, à cette date, permettrait à la France, et par transitivité à l’Europe, de peser bien davantage sur la géopolitique régionale et mondiale, notamment en permettant de préserver le Charles de Gaulle pour les missions critiques et la permanence opérationnelle, y compris dans le domaine de la dissuasion.

Conclusion

On le voit, la question d’un second porte-avions est un sujet complexe, qui n’offre pas de solution évidente à court terme, en particulier dans le cadre de la prochaine Loi de Programmation Militaire.

Sauf à redéfinir les priorités opérationnelles des Armées et d’accepter de concentrer efforts et investissements sur certains domaines clés comme la dissuasion et la projection de puissance, il est très peu probable que la décision de construire un sistership au PANG puisse être prise lors de cette LPM.

Toutefois, à l’instar de la démonstration faite au sujet des sous-marins dans un précédent article, il est possible d’aborder la problématique sur des paradigmes renouvelés ouvrant des alternatives jusqu’ici inenvisagées.

Surtout, la question de la soutenabilité de l’effort industriel de défense, et donc du retour budgétaire des investissements, doit être posée sur l’ensemble des raisonnements capacitaires et des arbitrages qui seront menés. Faute de quoi, il n’y aura guère d’autres trajectoires que l’érosion lente, mais inéluctable, des capacités des armées françaises, y compris si l’effort de défense venait à croitre dans les années à venir, comme on peut raisonnablement l’espérer.

Face à la Chine et la Russie, Tokyo veut se doter d’un millier de missile à longue portée

De toutes les transformations en cours de la géopolitique mondiale, le renforcement sans précédant des capacités miltaires des grandes puissances asiatiques est sans conteste celui qui aura, dans la durée, la plus grande influence sur les équilibres mondiaux. Outre la Chine qui, en quelques décennies, est venue tangenter la puissance militaire américaine au point que cette dernière doive désormais accroitre son effort pour y résister, la montée en puissance des dragons asiatiques, Taiwan, Singapour, le Japon et la Corée du Sud, va profondément bouleverser les rapports de force militaire et politique bien au delà du seul théâtre indo-pacifique. Ainsi, Séoul entend porter son effort de défense au delà des 3% de son PIB, alors que Taiwan va augmenter ses dépenses de défense de presque 14% en 2023. Quant au Japon, la troisième économie mondiale avec un PIB de plus de 5.000 Md$ deux fois plus important que celui de la France, il entend porter son effort de défense à 2% de son PIB dans les années à venir, faisant du pays la troisième puissance militaire de la planète avec un budget dépassant les 100 Md$ par an, du moins du point de vue budgétaire.

En parallèle de cette hausse de credit inédite alors que le pays du soleil levant n’avait jamais dépensé plus de 1% de ses richesses pour ses forces d’autodéfense, Tokyo entend également profondément faire évoluer son industrie de défense, avec l’annonce de nombreux programmes ambitieux ces derniers mois, ainsi que ses doctrines de défense, y compris en prenant certaines libertés avec la Constitution du pays. Il est vrai que celle-ci, rédigée par une poignée de diplomates américains lorsqu’ils arrivèrent dans le pays après la défaite de 1945, était particulièrement contraignante, rédigée sous le coup d’une émotion héritée de la difficile et couteuse campagne du Pacifique pour les forces américaines, privant Tokyo de nombreuses attributs régaliens quant à l’emploi potentiel de ses forces armées. Cependant, le théâtre Pacifique ayant été une zone de confrontation secondaire entre les Etats-unis et l’Union Soviétique pendant la Guerre Froide, et la Chine communiste n’ayant alors pas de capacités de projection de puissance, ces contraintes ne furent pas un grand handicap pour la sécurité de l’archipel nippon durant cette période.

LHD japonais de la classe Izumo qui emportera des F35B dans le futur Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Le porte-hélicoptères d’assaut Izumo et son sister-ship, le Kaga, pourront mettre en oeuvre le chasseur à décollage vertical J-35B

La situation a de toute évidence profondément évolué ces dernières années, et à l’instar des autres dragons asiatiques, Tokyo n’a pas souffert de la myopie qui affecta les européens lors de la précédente décennie, ayant repris les investissements envers ses capacités de défense dès 2015 afin, notamment, de moderniser et d’étendre sa flotte en se dotant de nouveaux destroyers, de nouvelles frégates et de nouveaux et très performants sous-marins, ainsi qu’en transformant deux de ses LHD en porte-aéronefs capables de mettre en oeuvre le chasseur F-35B. Le pays entreprit également de moderniser sa force aérienne avec l’acquisition de plus de 140 F-35, la modernisation de ses F-15J et le developpement d’un nouveau chasseur polyvalent, en coopération avec les britanniques. Enfin, il s’engagea dans le développement de systèmes de très haute technologie, comme un rail gun, des systèmes à énergie dirigée, un drone de combat ainsi que de missiles dotés de planeurs hypersoniques capables de frapper des cibles navales ou terrestres à plusieurs centaines de kilomètres. De toute évidence, ce dernier programme sera stratégique pour Tokyo, les autorités nippones ayant annoncé que pour contenir la menace russe et chinoise, elles se doteraient d’un millier de ces missiles hypersoniques.

Cette déclaration est interessante à plus d’un titre. En premier lieu, elle indique de Tokyo envisage désormais de se doter de capacités de riposte massives, voire de frappe préventive, pour tenir en respect ses adversaires. Si les performances des missiles n’est pas évoquées en dehors de leur caractère « à haute vélocité », les forces d’autodéfense nippones disposent déjà de missiles anti-navires JSM et JASSM d’une portée de 1000 km, c’est-à-dire dépassant de loin les performances des systèmes d’arme dédiés à l’autodéfense jusqu’ici en service. Dès lors, on peut sans grand risque spéculer sur le fait que ces nouveaux missiles japonais auront une portée suffisante pour atteindre le sol chinois, nord coréen et russe, d’autant qu’ils ont une vocation sol-sol et non uniquement anti-navire.

JASSM F16 Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Les forces aériennes nippones ont commandé le missile américain JASSM d’une portée de 1000 km

D’autre part, Tokyo identifie, dans sa déclaration, de manière non ambiguë la Chine et la Russie comme des menaces directes qu’il convient de contenir pour justifier de cette décision., sur une ligne similaire de celle qui présida à la rédaction du nouveau Livre Blanc de La Défense nippon. Cette répétition n’est pas tant destinée à faire passer un message sur la scène internationale, en particulier à Moscou et Pékin, qu’à faire évoluer l’opinion publique du pays, qui vécut, à l’instar de leurs homologues européennes, dans une bulle de perception sécuritaire quasi absolue ces 30 dernières années (exception faite du terrorisme en Europe), et qui doit désormais accompagner et soutenir la transformation nécessaire de la société nippone pour s’adapter aux réalités géopolitiques en devenir. En cela, nommer sans phare les menaces permet de lever les ambiguïtés, mais également d’affaiblir le discours de ceux qui continuent de voir en la Chine et en la Russie plus des partenaires incompris que des adversaires en devenir.

La position japonaise met également en évidence le rapprochement stratégique de plus en plus sensible entre la Chine et la Russie, plus évidente sur le théâtre pacifique qu’en Europe, mais non moins problématique de part et d’autres de l’Eurasie, d’autant que d’autres acteurs, comme la Corée du Nord et l’Iran, semblent déterminés à profiter de la situation pour sortir de leur isolement sur la scène internationale, en particulier pour avoir à nouveau accès aux exportations de technologies militaires russes et chinoises. Dans ce contexte, le discourt de Tokyo, qui est également celui de Séoul et de Taipei, semble bien plus efficace que les demi-positions et postures choisies par les capitales européennes, qui peinent aujourd’hui encore à designer la Russie comme un adversaire potentiel, et la Chine comme une menace à moyen terme, ainsi qu’à prendre les mesures conservatoires pour éviter que l’épisode énergétique russe ne se reproduise.

LPM 2023 : Drone furtif ou Rafale de guerre électronique, il faudra l’un des deux

Pour s’engager au dessus d’un théâtre d’opération fortement contesté, les forces aériennes françaises disposent d’un appareil très performant, le Rafale de Dassault Aviation. Par sa capacité à évoluer à grande vitesse à très basse altitude, l’avion français peut en effet mettre à profit le masquage du terrain pour éviter la détection radar, tout du moins pour ce qui concerne les radars terrestres. En outre, l’avion dispose d’une signature radar réduite, sans être qualifié de furtif, même si cette caractéristique tend à s’étioler lorsque le Rafale emporte plusieurs bidons de carburant et des missiles ou bombes sur pylônes. L’appareil dispose également d’un système d’auto protection très évolué, le SPECTRA, capable de contenir la menace venant de missiles aussi bien à guidage radar qu’infrarouge. Enfin, il met en oeuvre des munitions dites « stand-off », comme le missile de croisière SCALP ou la bombe planante guidée A2SM, conçues pour être larguées à distance de sécurité de la cible, et ainsi éviter les ripostes Sol-Air. Qui plus est, le système a fait ses preuves au combat en 2011, lorsque les Rafale français s’emparèrent du ciel libyen au dessus de Benghazi, alors de la DCA adverse était encore active.

Toutefois, si le Rafale est capable de se mesurer aux SA-6 et SA-8 datant des années 70 comme en Libye, et s’il est probable qu’il soit même capable de se confronter à une batterie S-400 parfaitement moderne, l’avion n’est pas conçu, à l’instar de l’ensemble des appareils de sa génération, pour pénétrer une defense anti-aérienne multi-couche moderne comme celles mises en oeuvre par la Russie ou la Chine, composées des radars terrestres et aéroportés de fréquence et de puissance différentes, des systèmes sol-air à longue, moyenne, courte et très courte portée, le tout agissant de manière coordonnée. Face à une telle menace, ni le radada (vol à très basse altitude), ni Spectra ni la discrétion radar du Rafale ne seront de taille, et l’on peut même douter qu’un appareil furtif comme le F-35 puisse le faire du fait de l’entrée en service accélérée de radar basse fréquence. Dans ce contexte, comment les armées françaises peuvent-elles préserver leurs capacités de manoeuvre et de frappe pour soutenir l’action terrestre et navale, ou pour frapper le dispositif adverse dans sa profondeur afin d’en perturber sa logistique et son commandement ?

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Le vol à très basse altitude et haute vitesse permet au Rafale de rester hors de portée des radars terrestres, mais pas des radars aéroportés

Répondre à ce défi nécessite de disposer d’au moins un des trois types d’équipement adaptés. D’une part, il est possible de s’en remettre à des capacités de frappe balistique ou de missiles de croisière, le sujet ayant d’ailleurs été traité en partie dans un précédant article. Toutefois, cette solution est onéreuse et inadaptée pour les actions militaires dans la durée, en témoigne l’épuisement des stocks russes en Ukraine. S’il est déjà difficile de produire les obus d’artillerie à un rythme suffisant pour compenser leur utilisation sur le terrain, il est impossible de faire de même avec des missiles à plusieurs millions de $ l’unité, chacun nécessitant plusieurs semaines à plusieurs mois pour être assemblé. Cette capacité a un intérêt évident, mais elle n’est, intrinsèquement, pas suffisante pour soutenir un engagement de haute intensité dans la durée. Si les armées françaises disposent déjà d’équipements de ce type, les missiles de croisière SCALP et MdCN, les deux autres solutions qui nous intéressent aujourd’hui, une version spécialisée du Rafale pour la Guerre électronique et la suppression des défenses adverses, et d’un modèle drone de combat furtif, sont absentes de ses inventaires.

Un Rafale dédié à la guerre électronique

La suppression des défenses anti-aériennes adverses n’est pas un sujet nouveau. Pendant la Guerre froide, l’Armée de l’Air française disposait même d’escadrons spécialement entrainés et équipés pour cela, avec le missile anti-radiation (comprendre anti-radar, rien à voir avec le nucléaire) AS 37 Martel. Cependant, cette capacité fut abandonnée en 1997, pour ne pas être remplacée, l’Etat-Major devant alors faire face à des arbitrages budgétaires et capacitaires critiques qui n’ont pas cessés jusqu’il y a peu. Cependant, si les Jaguar et Mirage IIIE de la guerre froide étaient en capacité d’effectuer des missions SEAD (Suppression of Enemy Air Defense), ils faisaient pâle figure face aux deux appareils spécialisés dans cette mission mis en oeuvre par l’US Air Force et l’US Navy, respectivement l’EF-111a Raven et l’EA-6B Prowler. En effet, ces appareils disposaient, outre de missiles anti-radiation Shrike puis Harm, de puissants brouilleurs capables de neutraliser les radars adverses sur l’ensemble d’un espace aérien, permettant aux autres appareils d’y pénétrer et de mener leurs missions. Leur efficacité fut en particulier démontrée lors de la campagne aérienne contre l’Irak en 1990, ainsi qu’au dessus de la Serbie et du Kosovo quelques années plus tard.

Growler Kosovo Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Deux EA-6b Prowler au décollage de la base aérienne d’Aviano en 1999 pour protéger les forces aériennes de l’OTAN dans les Balkans

Si l’US Air Force a renoncé à ses EF-111a sans les remplacer au profit d’appareils furtifs comme le F-22 et le F-35, l’US Navy, elle, n’a pas fait une telle impasse, et développa une version spécialisée de son nouveau F/A-18 F Super Hornet pour reprendre les missions du Prowler, l’EA-18G Growler entré en service en 2008. De toute évidence, les capacités fournies par le Growler restèrent d’actualité, puisque l’US Navy a du armer 5 escadrons équipés chacune de 5 appareils, non pas pour armer ses porte-avions, mais pour servir d’escorte aux aéronefs de l’US Air Force et de ses alliés en zone contestée. Du reste, le Congrès américain fait désormais pression sur l’US Air Force pour qu’elle se dote à nouveau de cette capacité. En effet, aujourd’hui, très peu de pays disposent de ce type de capacité, en dehors de Growler qui équipent l’US Navy et la Royal Australian Air Force, de l’Allemagne qui dispose de Tornado ECR qui seront remplacés par des Typhoon ECR dans les années à venir, de la Chine qui développe deux versions de guerre électronique de ses chasseurs bombardiers J-15 et J-16 respectivement désignées J-15D et J-16D, et de la Russie qui emploie toujours quelques Su-24 dédiés à cette mission.

Pour l’Armée de l’Air et de l’espace, mais également pour l’Aeronautique navale, l’arrivée d’une version dédiée du Rafale à ce type de mission, c’est à dire emportant de puissants brouilleurs et armés de missiles anti-radiation, constituerait un bon capacitaire majeur. En effet, non seulement pourraient-elles opérer avec un risque maitrisé au dessus d’un espace fortement contesté avec leurs Rafale, mais elles pourraient également y déployer des appareils plus vulnérables, comme le Mirage 2000D qui constituera jusqu’à 2030 35% du parc de chasse français. Elles pourront également permettre à d’autres forces aériennes alliées d’y intervenir, même sans disposer de F-35, de Rafale ou de Typhoon. Enfin, les missions d’aérocombat, sur base d’assaut héliporté ou parachutiste, seraient grandement facilitées. En un mot comme en cent, un tel appareil constituerait, en bien des aspects, un Game Changer pour la puissance aérienne française, et par transitivité, pour l’efficacité de l’ensemble des forces armées. Et la réponse apportée par le Ministère des armées en début d’année à la question d’un député sur le sujet, parait encore plus déconnectée de la réalité opérationnelle qu’elle ne l’était il y a 9 mois de cela.

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Les forces aériennes qui mettent en oeuvre le Rafale, comme l’Inde, montreraient très certainement un grand intérêt pour une version dédiée à la Guerre Electronique de cet appareil

Reste naturellement la question budgétaire, le noeud gordien de toutes les décisions en matière de politique de défense. En effet, developper un tel appareil couterait probablement plusieurs Md€ sur un budget déjà en tension, alors que les 3 armées, ainsi que les services, ont de nombreuses urgences à financer. En outre, une foi développé, il faudra construire un nombre suffisant d’appareils pour être efficace, soit au moins 30 pour l’Armée de l’Air et 10 pour l’aéronautique navale, ajoutant au moins 4 Md€ à la facture. Alors, le Rafale GE, un rêve hors de portée ? Cela n’a rien d’une fatalité ! En effet, non seulement le developpement et la construction de ces appareils s’appuierait sur un segment de la BITD extrêmement peu exposé aux importations, avec au final un retour budgétaire pour l’Etat très important en matière de recettes sociales et fiscales, et d’économies sociales, mais il ne manquerait pas de susciter un grand intérêt de la part des forces aériennes qui mettent déjà oeuvre ou ont commandé l’avion français. En tout étant de cause, on peut raisonnablement penser que la Grèce, l’Inde, l’Egypte et les EAU (qui voulaient commander le Growler américain), sont des prospects à très fort potentiel pour cet appareil. Et il suffirait que ces pays commandent plus de 20 appareils pour équilibrer les comptes de l’Etat dans ce dossier, tout en conférant aux forces aériennes françaises des capacités de tout premier plan, et une expertise rare sur la planète susceptible d’attirer d’autres clients vers le Rafale ou son successeur.

Le Drone de combat furtif

L’autre alternative qui se présente pour les forces aériennes françaises, repose sur le developpement et la mise en oeuvre de drones de combat furtifs, sur le modèle du démonstrateur NEUROn développé par Dassault en coopération a avec plusieurs pays européens au début des années 2010. Conceptuellement, le drone de combat furtif est l’exact anti-thèse du Rafale de Guerre électronique. En effet, si ce dernier permet aux avions alliés d’évoluer en sécurité (relative) au dessus d’un espace aérien contesté pour mener leurs missions, le drone furtif permet, lui, de n’en envoyer aucun, tout en menant les missions. Pour cela, l’appareil s’appuie sur deux caractéristiques propres. En premier lieu, celui-ci est furtif, et même très furtif. Par sa structure, sa forme et son profil de vol, il est difficile à détecter même pour des radar à basse fréquence, bien davantage que ne peut l’être un F-35 dont la furtivité est concentrée sur le secteur frontal, et qui du fait de ses plans verticaux et horizontaux, est sensible aux phénomènes de résonance qui font l’efficacité des radar basse fréquence en bande UHF ou VHF contre ce type d’appareil.

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L’absence de plan horizontal et vertical sur le Neuron lui offre une furtivité renforcée y compris face aux radar basse fréquence

En second lieu, le drone furtif est sensiblement moins onéreux qu’un avion de combat, ou du moins est sensé l’être, faisant l’économie de nombreux systèmes qui agissent comme des contraintes pour les avions de combat pilotés et en augmentent le prix, en particulier pour ce qui concerne la survie et l’interaction avec l’équipage. Qui plus est, il est, par nature, dépourvu d’équipage, et peut donc être, si besoin, employé dans des espaces aériens très contestés ou des missions à haut risque en admettant relativement sereinement l’hypothèse de sa destruction. Enfin, à l’instar des avions de combat modernes, il est versatile, et peut adapter sa charge utile à la mission, qu’il s’agisse d’éliminer les défenses de l’adversaire, de frapper des cibles d’intérêt comme des centres logistiques ou des postes de commandement, d’appuyer les forces engagées au sol, ou d’étendre les capacités de détection et d’engagement d’un avion piloté, quel que soit sa mission. En cela, l’arrivée du drone de combat furtif constitue un apport bien plus significatif à ce que l’on pourrait qualifier de « 5ème génération des avions de combat », que ne peuvent l’être la furtivité, la super-croisière ou la fusion de données. Et il ne fait que peu de doute que la France, seule ou en coopération, devra rapidement se doter d’une telle capacité pour maintenir son rang sur la scène industrielle et militaire mondiale.

De nombreuses grandes puissances ont d’ailleurs entrepris de se doter de ce type d’aéronefs. Aux Etats-Unis, l’US Air Force développe simultanément plusieurs approches au sein de ce que fut le programme Skyborg, qui sera probablement intégré bientôt au sein de NGAD, alors que l’US Navy développe pour sa part le MQ-25 Stingray pour les missions de ravitaillement en vol initialement, et bien d’autres en perspective. La Russie développe depuis plusieurs années son drone de combat furtif lourd S-70 Okhtonik-B, un appareil imposant de prés de 20 tonnes destiné à épauler les Su-57 et peut-être à armer les porte-aéronefs de sa marine, ainsi qu’à remplacer, semble-t-il, les avions de combat « légers » comme le Mig-29 et le Su-25. La Chine développe de manière discrète mais intense plusieurs programmes de ce type, en partie basé sur le prototype de drone de combat Sharp Sword, afin de couvrir de nombreux aspects opérationnels y compris dans le domaine de l’appui rapproché et du transport stratégique. L’Australie fait également office de front runner dans cette compétition mondiale avec sa « Chauve-souris », un drone de combat destiné à la fonction de Loyal Wingmen développé avec le concours de Boeing. La Grande-Bretagne, l’Inde, l’Allemagne, la Corée du Sud et le Japon ont également des programmes plus ou moins avancés et avérés dans ce domaine.

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Les forces aériennes russes envisagent le S70 Okhotnik B comme un remplaçant des Mig-29 et Su-25 capables d’évoluer au profit des Su-57

La France avait une avance considérable dans ce domaine il y a quelques années avec le succès du démonstrateur NEUROn. Et si l’occasion ne fut pas saisie par les autorités de l’époque, elle reste parfaitement dans la course du point de vue technologique pour s’y repositionner rapidement avec des arguments mordants. A l’instar du Rafale de Guerre Electronique, un programme visant à developper un drone de combat furtif de la classe 8-10 tonnes basé sur le démonstrateur NEUROn couterait plusieurs Md€ à l’Etat, et il faudrait là aussi quelques Md supplémentaires pour financer la construction des appareils en nombre suffisant pour l’Armée de l’Air et de l’Espace et l’aéronautique Navale. Toutefois, comme le Rafale GE, un tel programme ne manquerait pas de susciter l’intérêt des utilisateurs de Rafale présents et à venir, les deux appareils étant naturellement conçus pour évoluer de concert. Et ces mêmes pays qui représentent des prospects de choix pour le Rafale GE, le sont tout autant pour un drone de combat furtif capable de l’accompagner. En d’autres termes, l’équation budgétaire est strictement similaire pour ces deux programmes, avec des risques technologiques et budgétaires aisément maitrisables.

Conclusion

Alors, Rafale de Guerre électronique ou Drone de combat Furtif ? On le comprend, chacun de ses programmes auraient des arguments à faire valoir, l’idéal étant probablement de developper les deux. Du reste, une LPM qui déciderait de developper ces deux programmes ainsi qu’une solution d’artillerie balistique à longue portée pour l’Armée de terre intégrant une possible composante nucléaire, ne serait certainement une LPM pour rien, comme il y en eut tant d’autres. Cependant, pour parvenir à financer simultanément ces programmes, en plus des autres urgences à traiter pour donner aux armées françaises la capacité de peser efficacement dans un engagement de haute intensité éventuel à la fin de la décennie, il serait nécessaire de profondément faire évoluer les paradigmes industriels et budgétaires qui président depuis plusieurs décennies au pilotage de l’effort de défense. Dans le cas contraire, il sera indispensable de faire un arbitrage entre ces programmes, la pire des solutions étant qu’aucun d’entre eux ne soit retenu au prétexte de limitation budgétaire.

L’Allemagne veut une défense anti-aérienne européenne intégrée, mais sans la France …

Qu’il est loin le temps ou Emmanuel Macron et Angela Merkel répétaient en boucle les bienfaits de la coopération franco-allemande afin de construire « l’Europe de La Défense », et que tous les sujets étaient envisagés au spectre de cette coopération, même lorsque celle-ci n’était ni adaptée, ni performante. Aujourd’hui, la plupart des programmes franco-allemands de co-developpement d’équipements de défense, comme SCAF, MGCS, MAWS ou CIFS, sont à l’arrêt ou sévèrement entravés, quant ils ne sont pas, purement et simplement, abandonnés comme Tigre III coté allemand. Ce qui peut apparaitre comme l’émergence de divergences techniques entravant le déroulement de ces programmes industriels, pourrait être dans la réalité l’expression de divergences profondes et conceptuelles quant à la nature même de cette coopération et de ses objectifs. C’est en tout cas ce qui transparait dans le discours tenu par les autorités allemandes ces derniers mois, montrant une volonté affichée de se démarquer de cette coopération héritée d’une période révolue.

Le dernier coup d’estoc porté par Berlin à cette conception commune de l’Europe de la Défense est venu du Chancelier Olaf Scholz lui même, à l’occasion d’une discours donné à l’université Charles de Prague, en République Tchèque, ce 29 aout. Pour le chef d’état allemand, il est en effet nécessaire de construire une défense aérienne européenne intégrée et coordonnée, pour être en mesure de neutraliser la puissance aérienne et balistique russe, ainsi que la menace qu’elle fait peser sur les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale. Et d’ajouter que Berlin entendait investir massivement dans ce domaine dans les années à venir, afin de developper des capacités de détection et d’engagement renforcées, y compris dans le domaine anti-balistique, tout en appelant ses voisins européens à rejoindre ce programme afin d’en accroitre l’efficacité.

Sholz Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT

Mais en terme de partenaires européens cités par le Chancelier allemand, s’ils s’y trouvent la Pologne, les pays Baltes, la République Tchèque, la Slovaquie, les etats scandinaves et les Pays-Bas, point de Belgique, d’Italie, de Bulgarie, de Roumanie, de Grèce, d’Espagne ou de Portugal, et pas davantage de pays des Balkans ou de Hongrie, pourtant un client fidèle de l’industrie allemande de Défense. Certes, Rome, Madrid et Bilbao sont plus éloignés des frontières russes, donc peut-être moins vulnérable aux attaques éventuelles de l’aviation et des missiles de Moscou. Mais qu’en est-il de Bruxelles siège de l’OTAN et de l’UE qui n’est à 175 km d’Amsterdam, de la Roumanie en première ligne sur le flanc sud, tout comme la Bulgarie et de la Grèce ? Surtout, la France, ce partenaire clé au coeur de l’ensemble des grands programmes industriels de défense qui sont destinés à structurer l’Europe de La Défense lors de la prochaine décennie, n’est pas évoquée, et il est probable que Paris n’a pas même été consulté sur le sujet.

Il faut dire que, dans ce domaine particulier, la France et l’Italie pourraient jouer les trouble-fêtes quant aux ambitions allemandes. En effet, ces deux pays ont co-developpé le seul système anti-aérien de défense de zone à capacité anti-balistiques en Europe, le système SAMP/T et le missile Aster. De fait, si Paris et Rome venaient à être intégrés à une telle initiative, ils proposeraient fort logiquement d’employer le système européen par ailleurs très performant mais pas le moins du monde allemand, pour tenir en respect missiles et aéronefs russes. Et de cela, visiblement, Berlin ne veut pas entendre parler, s’étant déjà rapproché de l’israélien IAI pour évaluer son système anti-balistique Arrow-3 à cet effet, complété par l’Iris-T de l’allemand Diehl pour l’interception à moyenne portée, le tout mis en musique par les systèmes de détection et de commandement conçus par Hensoldt et Rheinmetall. En d’autres termes, il ne s’agit nullement pour Berlin de promouvoir la defense européenne, ni l’autonomie stratégique du vieux continent dans cette initiative, mais simplement de faire main mise sur un marché lucratif avec l’industrie allemande en son coeur.

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le système anti-aérien et anti-balistique franco-italien SAMP/T et le missile Aster 30 représentent aujourd’hui le seul système sol air à longue portée et à capacité anti-balistique développé en Europe. Il est par ailleurs réputé très efficace

Reste que cette digression à la coopération franco-allemande n’est en rien isolée, et s’inscrit dans une stratégie de plus en plus évidente au fil des mois, visant à Imposer l’Allemagne au coeur de La Défense Européenne au travers de l’OTAN, ceci supposant au préalable de raboter les atours dont dispose la France dans ce domaine, et qui sont susceptibles de faire de l’ombre à Berlin ou, tout du moins, d’entraver ses plans. Pour l’heure, il semble que les autorités françaises aient choisi de faire le dos rond et de feindre la surdité, de sorte à ne pas venir ébranler l’ambition présidentielle dans ce domaine. Pourtant, à force de reculade, la France a fini par se trouver au bout de la planche, et il est désormais indispensable de prendre acte du changement radical si pas clairement affiché, de position de Berlin sur ces questions, afin de ne pas venir affaiblir la position française sur la scène européenne et internationale et, pire, venir affaiblir les capacités des armées qui protègent la nation. En effet, la situation sécuritaire internationale ne se prête désormais plus à l’idéalisme pas davantage qu’à l’attentisme. On ne peut donc qu’espérer que la conception de la prochaine Loi de Programmation Militaire amènera les autorités françaises à plus de pragmatisme sur ces sujets critiques et dimensionnants, en particulier pour ce qui concerne la poursuite de ces programmes franco-allemands de défense.

Nucléaire ou conventionnelle, quelle propulsion pour d’éventuels sous-marins français supplémentaires ?

La nécessité d’étendre la flotte de sous-marins français de la Marine Nationale est, aujourd’hui, l’un des sujets qui fait le moins débat auprès des experts, mais également de plusieurs politiques s’étant exprimés à ce sujet, et il n’est plus à espérer qu’elle sera prise en compte par la prochaine Loi de Programmation Militaire en cours de conception, et qui devra être appliquée à partir de 2023.

Toutefois, si aujourd’hui la Marine Nationale n’aligne et ne prévoit d’aligner que des sous-marins à propulsion nucléaire, la question se pose quant à déterminer si ces futurs sous-marins d’attaque devraient être appartenu à la nouvelle et très performante classe de SNA Suffren, ou s’il serait plus pertinent de doter la Marine d’une flotte de sous-marins à propulsion conventionnelle pour compléter sa flotte nucléaire.

Pour la Marine Nationale, la question ne se pose pas. En effet, de l’avis de son État-major, mais également de nombreux sous-mariniers, un sous-marin nucléaire d’attaque, ou SNA, peut faire tout ce qu’un sous-marin à propulsion conventionnelle, ou SSK, alors que l’inverse n’est pas vrai.

Ainsi, un SNA n’est pas limité dans la durée de sa plongée contrairement aux SSK qui doivent s’approcher de la surface pour faire tourner leurs moteurs diesels afin de recharger leurs batteries.

En outre, un SSK, même équipé des nouveaux systèmes de propulsion aérobie ou AIP (Air Independante Propulsion), doit en permanence composer entre sa vitesse et son autonomie de plongée, là où le SNA peut parcourir des milliers de miles nautiques à grande vitesse et à grande profondeur sans jamais devoir faire surface.

Enfin, les SNA de nouvelle génération comme le Suffren ne souffrent plus de ces bruits parasites générés par le système de refroidissement du réacteur, et se montrent désormais tout aussi discrets et furtifs que les navires conventionnels en propulsion électrique.

Quel format pour la flotte de sous-marins français ?

De fait, pour la Marine Nationale, la question n’est pas de savoir quel modèle de sous-marin acquérir, mais de combien de SNA, elle doit disposer pour accomplir ses missions. Depuis le retrait des derniers sous-marins Agosta, la flotte sous-marine d’attaque française se compose de 6 SNA.

Ce format correspond à un sous-marin par navire majeur (Capital Ship), à savoir porte-avions (1) et Porte-hélicoptères d’assaut (3), un navire pour assurer la protection des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins lors de leurs départs et retours de la base sous-marine de l’ile-longue, et un navire considéré en maintenance.

C’est ainsi que les 6 SNA de la classe rubis fonctionnèrent durant plus de 30 années depuis 1983 et l’arrivée du Rubis, même si l’attribution des missions étaient naturellement beaucoup moins rigide qu’évoqué.

Rubis class 03 Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
La Marine nationale a mis en oeuvre 6 sous-marins nucléaire d’attaque de la classe Rubis à partir de 1983

Toutefois, ce format a montré ses limites ces dernières années, en particulier par son manque de résilience. En effet, coup sur coup, la Marine Nationale dut faire face à des délais supplémentaires quant à la livraison des SNA de la classe Suffren appelés à remplacer les Rubis, ainsi qu’à un incendie terrible qui détruisit une partie du SNA Perle, le dernier navire de la classe, lors d’une procédure de maintenance.

De fait, de 6 SNA en parc théorique, la Marine Nationale s’est retrouvée avec seulement 3 navires opérationnels, avec un SNA, le Saphir, retiré du service en juillet 2019 et qui fut utilisé pour réparer la Perle, la Perle en cours de réparation, et un troisième SNA en maintenance programmée.

Si, depuis, le Suffren a rejoint le service actif, la Marine nationale reste sous-capacitaire d’un navire, et fut obligée de prolonger le Rubis dans l’attente du retour de la Perle et la livraison du Duguay-Trouin, deuxième SNA de la classe Suffren, l’année prochaine pour une entrée en service en 2024.

Cette défaillance capacitaire intervient, qui plus est, alors que les tensions internationales n’ont cessé de croitre ces dernières années, avec une recrudescence très sensible de l’activité sous-marine russe en Mer du Nord, Atlantique et Méditerranée, y compris à proximité des côtes françaises, ainsi qu’avec une hausse des tensions avec la Chine dans le Pacifique, amenant la Marine Nationale à devoir déployer plus de navires, y compris des sous-marins, sur le théâtre indo-pacifique.

Perle incendie Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Le SNA Perle a été gravement endommagé par un incendie ayant détruit la tranche avant du navire. Les ingénieurs français réalisèrent une prouesse technologique en greffant la tranche avant du Saphir retiré du service quelques mois plus tôt au navire endommagé afin de pouvoir le remettre en service.

Dans ce contexte, il est évident que la flotte de SNA devrait croitre pour répondre à ces enjeux, mais également pour gagner en résilience et conserver une capacité opérationnelle pleine, y compris si elle devait faire à nouveau face à la perte, temporaire ou définitive, d’un de ses bâtiments.

De fait, si le chiffre de 1 SNA supplémentaire est souvent avancé, il apparait qu’il serait nécessaire d’ajouter deux de ces bâtiments aux six déjà en cours de livraison, de sorte à disposer d’un navire projetable en particulier dans le Pacifique, et d’un navire assurant la fonction de pied de pilote, une sécurité dans le jargon marin, pour un total de 8 SNA.

En outre, une telle flotte permettrait, le cas échéant, de conserver sa couverture de capital ships si l’idée venait aux dirigeants français de construire un indispensable second porte-avions. Enfin, en tenant compte des 7 SNA classe Astute dont disposera la Royal Navy, cela mettrait les flottes européennes et russes sur un pied d’égalité en termes de SNA, ce qui est loin d’être négligeable si les Etats-Unis venaient à devoir concentrer leurs moyens dans le Pacifique face à la Chine.

Face aux SNA, quels sont les atouts des sous-marins à propulsion conventionnelle ?

À 1,5 Md€ le Suffren supplémentaire, le surcout serait donc de 3 Md€ sur la LPM, un effort largement acceptable aux vues des bénéfices, ce d’autant que l’état récupérerait une grande partie de ses investissements en recettes sociales et fiscales.

Pour autant, en dépit de ses atouts opérationnels incontestables, le SNA, tout performant que puisse être le Suffren, souffre d’un grave défaut : il ne s’exporte pas.

Ou du moins devons nous considérer que le marché de l’exportation de SNA est encore non structuré, et en grande partie impossible à évaluer, même si les Etats-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne ont ouvert la boite de Pandore dans ce domaine avec l’alliance AUKUS.

Or, pour la France, et pour son constructeur naval militaire Naval Group, l’exportation de sous-marins est indispensable pour maintenir et developper les savoir-faire et les compétences industrielles et technologiques sur un cycle générationnel complet de 30 à 35 ans. Et 6 ou 8 SNA ainsi que 4 SNLE ne suffisent pas à cela sur cette durée.

INS Kalvari sent to the dock for setting afloat to Naval Dockyard Mumbai e1634215958315 Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
La marine indienne a commandé 6 sous-marins type Scorpène de la classe Kalvari à Naval Group. Les navires ont été assemblés aux chantiers navals Mazagon de Goa.

Naval Group (ex-DCNs) a exporté de nombreux sous-marins aux cours des décennies passées, 11 Agosta à l’Espagne et au Pakistan dans les années 80 et 90, 14 Scorpène au Chili, à la Malaisie, à l’Inde et au Brésil depuis les années 2000 et jusqu’à aujourd’hui.

Si la Marine Nationale aligna 4 Agosta de 1977 à 2001, elle ne commanda pas de Scorpène, et le développement tumultueux de ce sous-marin dut se faire uniquement sur le marché export, en grande partie grâce à la confiance de la Marine Chilienne qui permit de faire naviguer les deux premiers navires.

Ces derniers démontrèrent rapidement leurs performances, y compris face aux modèles stars du moment, le Type 214 allemand ou le 636 russe, amenant la Malaisie à commander deux sous-marins, puis permettant à Naval Group de remporter les compétitions en Inde (programme P75 pour six navires) et au Brésil (4 navires).

Toutefois, si des négociations sont encore en cours avec les Philippines, l’Indonésie et la Roumanie, le Scorpène ne pourra plus longtemps s’imposer lors des compétitions internationales face aux nouveaux submersibles qui pointent, comme le A26 suédois, le Type 212CD allemand, le Taigei japonais ou encore le Dosan Anh Changho sud-coréen, tous s’appuyant sur de nouvelles technologies de propulsion, et tous ayant été commandés par leurs marines respectives.

Taigei class submarine e1634645210141 Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Les SSK nippons de la classe Taigei sont de sérieux concurrents sur la scène internationale vis-à-vis des navires européens

Pour faire face à ces navires, Naval Group n’est pas désarmé, et propose d’une part le modèle de sous-marin océanique Shortfin Barracuda conçu initialement pour l’Australie, mais également proposé aux Pays-bas, un navire à propulsion conventionnelle s’appuyant sur les acquis de la classe Suffren, et le concept SMX 31 de sous-marins côtiers plus compact et très automatisé.

Cependant, en l’absence de commande nationale, il est beaucoup plus difficile pour le groupe français de s’imposer dans les compétitions, ce d’autant que les clients se montrent beaucoup plus regardants en termes de respect de délais et de fiabilité démontrée des technologies proposées que par le passé, en lien avec le durcissement des tensions internationales.

C’est ainsi qu’après avoir conçu et livré les six sous-marins de la classe Kalvari indien dans le cadre du programme P75, Naval Group dut se retirer de la compétition P75i pour six navires supplémentaires, New Delhi exigeant que la technologie AIP qui équipera les navires ait fait ses preuves en termes de fiabilité et de performances.

Et si Naval Group ne peut plus s’imposer dans les comptions internationales, c’est l’ensemble de la filière sous-marine du groupe qui peut se retrouver menacée, et avec elle l’autonomie stratégique de la France, y compris dans le domaine de la dissuasion. Il ne resterait alors à la France qu’à suivre le modèle britannique, et d’accepter de dépendre en partie des Etats-Unis pour la mise en œuvre technologique de ses sous-marins.

Vers un flotte mixte SNA-SSK ?

Dans ce contexte, une solution pourrait être de se tourner vers une flotte mixte allant SNA et SSK. En l’occurrence, un SSK côtier comme le SMX 31 coutant, peu ou prou, la moitié du prix d’un SNA, il pourrait être pertinent de remplacer un des deux SNA supplémentaires précédemment évoqué par deux SSK de ce type, et de leur confier la mission de protection des SNLE en Bretagne.

De fait, d’un point de vue opérationnel, la Marine Nationale conserverait un format utile de SNA identique à celui basé sur 8 SNA, tout en assurant efficacement la protection de ses SNLE. Pour Naval Group et l’industrie navale française, les deux SSK pourront alors faire la démonstration de leurs performances et de leur fiabilité à d’éventuels acquéreurs étrangers.

On peut même se demander si, dans une telle hypothèse, il ne serait pas possible pour Naval Group de recoller au programme P75i indien en promouvant l’idée d’un codéveloppement de la technologie de propulsion comme le firent les Allemands avec la Norvège.

Les sous-marins français peuvent être très innovants, comme le concept SMX-31 de Naval group
Le Concept SMX 31 de Naval Group propose une évolution radicale des capacités des sous-marins à propulsion conventionnelle

Si l’empreinte budgétaire pour la Marine Nationale serait sensiblement là même, les perspectives d’un telle décision seraient autrement favorables pour Naval Group, mais également, par transitivité, pour les finances publiques, qui captent a minima 50% des investissements étrangers réalisés en France dans le domaine de l’armement, au point de pouvoir imaginer une stratégie plus agressive

Celle-ci ne s’appuierait pas sur un SNA classe Suffren et deux SSK dérivés du concept SMX 31, mais sur un Suffren, deux SMX 31 ainsi que deux Shortfin Barracuda, de sorte à optimiser les développements déjà réalisés pour ce modèle lors du contrat australien, et disposer de démonstrateurs pour les deux modèles proposés sur la scène internationale.

Les Shortfin pourraient alors renforcer les capacités de la sous-marinade française, que ce soit par des déploiements outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Réunion) ou pour accroitre la présence française en Méditerranée et en Mer du Nord, des espaces maritimes adaptés aux performances de ces navires.

Là encore, il serait possible de se montrer proactif, soit vis-à-vis des Néerlandais à qui le Shortfin a déjà été proposé, soit vers d’autres prospects pour qui un navire océanique de ce gabarit aurait un intérêt significatif, y compris les Indiens. Il s’agirait certes d’un investissement supplémentaire pour l’état, mais dans une démarche de risque calculé, avec à la clé, un retour budgétaire potentiel bien supérieur à l’effort consenti.

Suffren barracuda e1632318516996 Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Le maintien des compétences et des savoir-faire indispensables à la conception des SNA et SNLE français repose en partie sur la capacité de Naval Group à exporter des SSK dans les années à venir

Conclusion

Comme nous l’avions écrit il y a quelques jours, la prochaine Loi de Programmation Militaire en cours de préparation sera une LPM d’urgence, destinée à préparer les armées à une éventuelle confrontation majeure d’ici à la fin de la décennie, en espérant pouvoir l’éviter.

Si celle-ci devra faire face à de nombreux enjeux critiques, elle devra également préparer l’avenir, et en particulier s’assurer de la pérennité de l’industrie de défense française, garante de l’autonomie stratégique du pays.

Dans ce contexte, il convient parfois de regarder au-delà des évidences, et de prendre en considération l’ensemble des facteurs qui influencent aujourd’hui et influenceront à l’avenir l’effort et la capacité de défense de la nation.

Les options concernant l’évolution de la flotte sous-marine de la Marine Nationale, développées dans cet article, sont un excellent exemple de ces enjeux qui dépassent de loin ce que beaucoup considèrent comme une réponse évidente.

Sans surprise, le programme CVX de porte-avions sud-coréen devrait disparaitre du budget 2023

En 2019, sous l’impulsion du gouvernement du président Moon Jae-in, la Marine sud-coréenne annonça son intention de se doter, à l’instar du Japon avec la transformation des destroyers porte-hélicoptères de la classe Izumo en porte-aéronefs capables de mettre en oeuvre l’avion F-35B à décollage et atterrissage vertical ou court, de porte-avions légers, initialement sous la forme de deux LHD de 30.000 tonnes adaptés à cette mission, puis, une année plus tard, sous celle d’un porte-avions léger de 40.000 tonnes pouvant accueillir jusqu’à 20 avions de combat. En juillet 2020, les autorités sud-coréennes annoncèrent à ce titre que la dernière commande de F-35 planifiée, pour atteindre une flotte de 60 appareils, porterait sur 20 appareils F-35B précisément pour cet usage. Rapidement, toutefois, des voix s’élevèrent pour remettre en question la pertinence d’un tel investissement, face à la réalité des menaces qui touchent le pays.

En effet, si Séoul investit déjà 2,85% de son PIB dans sa défense, soit 48 Md$ en 2022, les armées sud-coréennes ont pour mission principale de contenir la menace que représente toujours la Corée du Nord, d’autant que ces dernières années, Pyongyang a fait d’importants progrès en matière de capacités de frappe nucléaire comme conventionnelle, avec la démonstration de nouveaux missiles balistiques hypersoniques, de missiles balistiques à changement de milieux et de missiles de croisière. Plus récemment, les bouleversements engendrés par l’agression russe contre l’Ukraine, ont amené Moscou à reconsidérer ses relations avec certains de ses partenaires, en particulier ceux sous sanctions internationales comme la Corée du Nord, l’Iran ou le Venezuela, laissant supposer qu’ils pourront, dans un avenir proche, disposer d’équipements militaires russes beaucoup plus modernes que ceux actuellement en service.

KF21 Boramae first flight Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Le prototype du chasseur de nouvelle génération sud-coréen KF-21 Boramae a effectué son premier en juillet 2022

Dans ce contexte, le programme de porte-avions sud-coréen, qui ne participe guère à la stratégie de frappe préventive et de décapitation établit par Séoul pour contenir la menace nucléaire nord-coréenne, a rapidement perdu de son attractivité face à d’autres enjeux, comme le developpement de nouveaux sous-marins capables de traquer les submersibles lance-missiles nord-coréens, d’avions furtifs capables de supprimer les défenses anti-aériennes et les sites de lancement mobile adverses, et de missiles balistiques et de croisière pour éliminer la menace avant qu’elle ne puisse être mise en oeuvre. De fait, après l’élection du président Yoon Suk-yeol en mai 2022, ce programme fut rapidement mis sur la sellette, et son avenir était clairement plus que menacé. Selon le site d’information Chosun, la messe serait désormais dite. En effet, le site sud-coréen déclare savoir de sources sures que les financements qui devaient permettre la poursuite du programme auraient été supprimés du budget des armées sud-coréennes 2023 en préparation.

Pour autant, Séoul n’entend pas réduire son effort en matière de défense dans les années à venir. Ainsi, le budget 2023 en cours de préparation atteindra 51,9 Md$, et vise à dépasser les 66 Md$ d’ici 2027, au travers d’une hausse annuelle moyenne de 6,5% jusqu’à cette date, soit 3 points de plus que la croissance annuelle anticipée. De fait, en 2027, l’effort de défense sud-coréen atteindra 3,3%, et dépassera, selon toute probabilité, tous les budgets européens de défense en valeur nominale à cette date, ce malgré un PIB de 1,700 Md$ très inférieur à ceux de la France (2500 Md$), de la Grande-Bretagne (2800 Md$) et de l’Allemagne (3500 Md$), pour une population de 52 millions de personne, là aussi très inférieure à celle de la France (68m), du Royaume-Uni (69 m) et de l’Allemagne (84 millions).

Sejong the Great DDG 9912 Allemagne | Analyses Défense | Chars de combat MBT
Les destroyers de la classe Sejong le Grand sont aujourd’hui parmi les bâtiments de surface les plus puissamment armés de la planète

Avec plus de 650.000 militaires en service, dont une majorité de conscrits qui effectuent un service militaire de 2 ans entre l’âge de 18 et 25 ans, et plus de 4,5 millions de réservistes, le pays dispose déjà d’une des forces armées les plus importantes de la planète du point de vue des effectifs, comme du point de vue des équipements, avec plus de 2000 chars, 3000 véhicules de combat d’infanterie, 6000 pièces d’artillerie, 19 sous-marins, 30 destroyers et frégates, ou encore 500 avions de chasse. Le pays a également produit un effort très conséquent pour se doter, ces 20 dernières années, d’une industrie de defense de premier rang, lui permettant désormais de produire plus de 80% de ses équipements de défense, et de se positionner dans de nombreuses compétitions internationales grâce à des équipements performants et économiques, comme le chasseur de nouvelle génération KF-21 Boramae, le char moyen K-2 Black Panther, ou le sous-marin Dosan Anh Changho.

Une chose est certaine, en dépit de l’accord de défense particulièrement stricte qui lie Séoul et Washington, les autorités sud-coréennes n’entendent pas, de toute évidence, se satisfaire de la seule protection américaine, et investissent massivement pour se doter d’une puissance militaire et d’une industrie de défense de premier plan à l’échelle mondiale. Reste qu’en dépit de cette puissance militaire incontestable, rien n’indique de que Séoul envisage de prendre part, aux cotés des Etats-Unis, à une action pour contenir la Russie au nord, ou la Chine à l’ouest, y compris dans le cas d’une attaque chinoise contre Taïwan. Dans ce contexte, le developpement d’un porte-avions, fut-il léger, et les couts qui en découlent, apparaissent sans le moindre doute superfétatoires, alors que bien d’autres programmes méritent un investissement accru dans le pays. Sa disparition annoncée du budget 2023 n’est donc en rien surprenante, et était même attendue depuis que Séoul avait annoncé que la dernière commande de F-35 porterait non pas sur des modèles B embarqués, sur le modèle modèle A basé à terre, à l’instar des 40 appareils déjà livrés.