vendredi, décembre 5, 2025
Accueil Blog Page 151

LPM 2023 : La France doit-elle à nouveau se doter de missiles balistiques tactiques ?

Durant la Guerre Froide, la France, à l’instar des Etats-Unis et de l’Union Soviétique, disposait d’un arsenal nucléaire élargi, s’appuyant à la foi sur des missiles balistiques S2 en silo sur le plateau de l’Albion sur les contreforts des Alpes, de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins armés de missiles balistiques MSBS, de plusieurs modèles de bombardiers allant du Mirage IV de frappe stratégique au Jaguar et Super Etendard pour les frappes tactiques, et remplacés par la suite par le Mirage 2000 et le missile de croisière supersonique ASMP, ainsi, et que de missiles balistiques tactiques, d’abord le système Pluton d’une portée de 120 km armé d’une tête nucléaire tactique de 25 kt, remplacés en 1993 par le système Hades bien plus performant, monté sur un transporteur érecteur en remorque sur roues pour une grande mobilité, et doté de performances considérablement accrues avec une trajectoire semi-balistique, des capacités de manoeuvres évasives rendant son interception difficile, une portée de presque 500 km, une précision accrue et une charge nucléaire TN90 de 80 kt.

Si ces systèmes baltiques tactiques trouvaient leurs justifications opérationnelles pour contrer une éventuelle concentration de blindés soviétiques avant de mener une contre-offensive, et si l’Union Soviétique disposait elle aussi de systèmes équivalents comme les missiles comme le 9M79 Toschka, le Pluton, et plus tard de la Hades, étaient particulièrement peu appréciés des autorités allemandes, la portée des systèmes rendant leur utilisation probable à partir et vers le sol allemand. Les pressions de Berlin d’une part, la « disparition » de la menace de l’autre après l’effondrement du bloc soviétique, amenèrent les autorités françaises à retirer du service en 1996 les systèmes Hades comme les silos et missiles S2 du plateau de l’Albion, pour ne plus s’appuyer que sur une dissuasion à deux composantes, une composante aérienne basée sur le couple Mirage 2000N -ASMP (remplacé ultérieurement par le Rafale/ASMP-A), et la composante sous-marine s’appuyant sur la nouvelle classe de sous-marin nucléaire lanceur d’engins  » le Triomphant », et sur le nouveau missile balistique stratégique naval, le M48, tous deux bien plus performants que le couple Le Redoutable-MSBS qu’ils remplaçaient.

Un Rafale F3 de la composante aerienne de la dissuasion francaise equipe dun missile ASMPA Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
La couple Rafale -ASMPA constitue aujourd’hui le fer de lance de la composante aérienne de la dissuasion française.

Si Paris comme Washington abandonnèrent les missiles baltiques tactiques au cours des années 90, préférant s’appuyer sur les missiles de croisières comme le Tomahawk américain et le Scalp/MdCN français, ce ne fut cependant pas le cas d’autres armées, comme les armées russes qui développèrent le système 9K720 Iskander aux caractéristiques très proches de celles du Hades, mais également de la Chine (DF-21, DF-17), de la Corée du Nord (KN-23) ou de l’Iran (Fateh-110, Shahab 2..). La plupart de ce ces systèmes, en dehors des modèles iraniens, sont armés d’une charge nucléaire tactique ou d’une charge conventionnelle, offrant à leurs détenteurs des capacités de frappe dans la profondeur bien plus véloces et difficiles à contrer que celles proposées par les missiles de croisière et les avions de combat, tout en étendant leurs options de dissuasion. Dans ce contexte, la France n’aurait-elle pas tout intérêt, à l’instar des Etats-Unis, de se doter à nouveau de ce type de capacité dans le cadre de la nouvelle Loi de Programmation Militaire 2023 en cours de conception ?

D’un point de vue technologique, un tel developpement est parfaitement à la portée des savoir-faire de l’industrie de défense française, qui développe déjà des systèmes balistiques intercontinentaux, les plus complexes et les plus critiques, à très hautes performances, des lanceurs spatiaux de différentes tailles, et même des missiles à changement de milieu. De fait, le developpement d’un nouveau système s’appuyant sur les technologies les plus récentes, comme l’emploi de planeurs hypersoniques, est tout à fait à la portée des industriels français, aidés en cela par les recherches de l’ONERA dans le cadre du programme de planeur hypersonique V-MAX, avec une prise de risque et des délais parfaitement maitrisés.

ONERA LEA V MAX e1661778792752 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
L’ONERA étudie, dans le cadre du programme LEA, les solutions technologiques pour concevoir un planeur hypersonique pouvant armer les missiles française dans le futur

Du point de vue militaire, un tel système permettrait aux Armées françaises de disposer d’une plus grande flexibilité et souplesse dans la réponse qu’elles peuvent apporter lors d’un bras de fer stratégique. En effet, aujourd’hui, la dissuasion française est exclusivement stratégique, les missiles balistiques M45/51 armant les sous-marins étant des armes intercontinentales emportant chacune jusqu’à une dizaine de têtes nucléaires à trajectoire indépendante de 100 kt, et le missile ASMP-A, parfois présenté à tort comme une arme « pré-stratégique », étant armé d’une charge nucléaire de 300 kt, 15 fois la puissance de Little Boy, la bombe nucléaire américaine qui ravagea Hiroshima. Il est vrai que ce manque de « progressivité » peut constituer un atout dans les négociations internationales, d’une certaine manière, mais lors de crises diffuses comme aujourd’hui face à la Russie, elle ne sert, dans les faits, qu’à contrôler la menace stratégique adverse, et pas ses options plus limitées, comme celles reposant sur des armées nucléaires tactiques. Peut-on en effet imaginer que la France ferait usage d’un ASMPA ou d’un M51 contre une cible russe, avec le risque très probable d’un emballement du feu nucléaire, si Moscou venait à employer une arme de 10 kilotonnes contre une cible finlandaise ou balte ?

En outre, un système balistique tactique à courte portée (portée inférieure à 1000 km) comme le Hades français, l’Iskander-M russe ou le MGM-140 ATACMS américain, ou à moyenne portée (portée entre 1000 et 3000 km) comme le DF-17 chinois, le Fajr-2 iranien ou le Kinzhal hypersonique aéroporté russe, porte une puissance de négociation bien plus visible et sensible en cas de déploiement, que les systèmes stratégiques actuels par nature discrets. Par ailleurs, leur caractère dual, à savoir la capacité à être armé d’une charge conventionnelle ou nucléaire, renforce la pression sur l’adversaire, tout du moins jusqu’à un certain point. Surtout, au delà de la dimension purement nucléaire de ces systèmes, ils peuvent constituer un moyen très efficace pour frapper de manière strictement conventionnelle des cibles de hautes valeurs dans la profondeur du dispositif adverse, qu’il s’agisse de cibles militaires comme des bunker de commandement ou de communication, des centres logistiques ou des stocks de munitions, que de cibles civiles, comme les centrales électriques ou les noeuds ferroviaires, de manière bien plus certaine et bien moins risquée que par des frappes aériennes.

Iskander systeme Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Si la portée du système russe Iskander-M est officiellement de 490 km afin de respecter feu le traité INF, nombreux sont les experts à estimer que le système serait en mesure d’atteindre des cibles bien au delà de cette portée théorique.

Enfin, la version conventionnelle d’un tel système développé par l’industrie de défense française, pourrait fort bien trouver des débouchés à l’exportation, vers certains des partenaires les plus proches de Paris comme peuvent l’être la Grèce ou les Emirats Arabes Unis. En effet, ces deux pays vivent directement sous la menace de systèmes équivalents turcs ou iraniens, capables de frapper leurs infrastructures sans qu’il puisse leur être possible de riposter rapidement. Dans ce contexte, il pourrait même être envisageable de concevoir certains aspects de ce programme, pour la partie non nucléaire, sous la forme d’une coopération internationale de sorte à en atténuer les couts et en accroitre la soutenabilité pour les armées françaises qui, au delà de ce programme, auront de nombreux autres équipements et infrastructures à financer dans les années à venir pour se mettre au niveau de la menace.

On le comprend, l’hypothèse d’un retour des missiles balistiques tactiques au sein des armées françaises est loin d’être inenvisageable. Au contraire, il conférerait aux armées françaises, et par transitivité au pouvoir politique, des capacités renforcées pour peser dans les bras de fer qui se développent aux frontières de l’Europe. A ce titre, le système pourrait également poser les fondements d’une dissuasion partagée européenne de manière bien plus souple et efficace que ne peut l’être la dissuasion partagée de l’OTAN basée sur la bombe nucléaire gravitationnelle aéroportée B-61, ce d’autant qu’elle pourrait être à « géométrie variable », c’est à dire sans qu’il soit indispensable de pré-déployer en permanence des systèmes nucléaires dans les pays partenaires, surtout si le partenaire exploite, de ce coté, des versions conventionnelles du système.

Les chars légers et blindés de reconnaissance modernes

Il y a quelques jours, le 1ᵉʳ Régiment Étranger de Cavalerie, basé à Carpiagne, a perçu les deux premiers Engins Blindés de Reconnaissance et de Combat, ou EBRC, également désignés Jaguar, pour remplacer ses chars légers AMX-10RC.

Si les armées françaises, habituées des opérations extérieures en Afrique et au Moyen-Orient, n’ont jamais fait l’impasse sur ce type de blindés associant puissance de feu et mobilité avec l’AMX-10RC et l’ERC-90, une très grande majorité des forces armées mondiales les retirèrent de leurs inventaires sur fonds de restructuration après la fin de la guerre froide.

Plus récemment, la conjonction du durcissement des engagements asymétriques d’une part, et le retour de l’hypothèse des combats de haute intensité d’autre part, amenèrent plusieurs grandes armées à reconsidérer leurs positions, et à se doter à nouveau de chars légers pour compléter leurs parcs blindés.

Au-delà du jaguar français, de nombreux nouveaux modèles furent développés ces dernières années pour rejoindre les grandes armées mondiales, comme le Type 15 chinois, le Sprut-SD russe ou le MFP américain. Quelles sont les performances et les doctrines d’emploi de ces matériels appelés à jouer un rôle croissant dans les engagements militaires à venir ?

Cette synthèse présente les caractéristiques des principaux modèles de chars légers en dotation ou en développement dans le monde, avec le Type 15 chinois, l’EBRC Jaguar français, le MFP américain et le 2S25 Sprut-SD russe.

Chine : Char léger Type 15

Présenté pour la première fois publiquement en octobre 2019 à l’occasion de l’imposant défilé militaire célébrant les 75 ans de l’Armée Populaire de Libération, le char léger Type 15 marque, avec le char lourd Type 99/A, l’émancipation des armées et de l’industrie chinoise du modèle soviétique puis russe.

En effet, si les forces terrestres russes n’exploitent pas, à proprement parler, de chars légers identifiés comme tels dans leur inventaire (en dehors des forces aéroportées), déléguant ce type de mission aux véhicules de combat d’infanterie, voire aux chars lourds, les forces chinoises se doivent d’intervenir dans certains environnements particulièrement hostiles aux blindés lourds, comme les hauts plateaux himalayens face à l’Inde, ou les jungles subtropicales face au Vietnam.

Le char léger Type 15 a précisément été développé dans cette optique afin de remplacer le Type-62 (à ne pas confondre avec le T-62 soviétique), un char léger de 20 tonnes armé d’un canon de 85 mm produit de 1962 à 1989 à plus de 1500 exemplaires.

À peine entré en service, le Type 15 fut très rapidement déployé sur le plateau du Ladakh pour faire la démonstration de son efficacité. Il faut croire que la démonstration a porté ses fruits, puisque la DRDO, l’agence de l’armement indienne, a annoncé peu après le développement d’un char léger national, le Zarowar, précisément pour le même type de mission sur les mêmes théâtres que le Type 15.

Type15 e1607949688833 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Type 15 a été déployé dès 2019 sur les plateaux himalayens le long de la ligne de démarcation avec l’Inde

Long de 9 mètres pour 3.3 mètres de largeur et 2,5 mètres de hauteur, le Type 15, également désigné char léger VT-5 à l’export, est un char de 35 tonnes avec blindage réactif, ce qui en son temps aurait pu le classer dans la catégorie des chars moyens, puisque proche dans ses dimensions comme dans sa masse de l’AMX-30 ou du T-62. Il est d’ailleurs armé d’un canon haute pression de 105 mm rayé, comme le char français. Pour autant, les comparaisons s’arrêtent là avec ces chars des années 60.

En effet, le Type-15 est un blindé parfaitement moderne, disposant de l’ensemble des acquis technologiques du moment, avec un blindage composite et des tuiles de blindage réactif, une vétronique et des systèmes de communication parfaitement modernes, une visée stabilisée et un système de chargement automatique lui autorisant un équipage de trois personnes.

En outre, le blindé pourrait recevoir un système de protection hard-kill en plus de ces protections actives (brouilleurs, fumigène et leurres). Surtout, il est propulsé par un très puissant moteur 8V132 développant 1000 cv, lui conférant un extraordinaire rapport puissance/poids de 28 cv par tonne, et donc une mobilité remarquable, y compris sur terrain instable.

Les chars légers VT-5 sont la désignation export du Type 15 chinois
Le Type 15 est proposé à l’export sous la destination VT-5 a un prix très attractif de l’ordre de 3 m$ l’unité

Le char chinois a été conçu non seulement pour accroitre la puissance de feu des unités chinoises en terrain difficile, mais également pour être aéro-transportable par avion Y-20. Si l’APL n’a pas communiqué, à son habitude, d’objectifs de dotation concernant ce char, il est probable qu’il soit appelé à être produit entre 800 et 1000 exemplaires pour remplacer les Type 62, en prenant en considération la contraction du format de l’APL suite aux réformes de ces deux dernières décennies.

Il est également proposé à l’export sous la dénomination VT-5, et a déjà été acquis par le Bangladesh à hauteur de 44 exemplaires. Par son format, son efficacité et son cout estimé à 3 m$ l’unité, il est probable qu’il soit appelé dans les années à venir à équiper d’autres forces armées, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Toutefois, comme c’est souvent le cas avec les matériels chinois, il convient d’attendre que le blindé fasse ses preuves sur le terrain avant de conclure quant à son efficacité effective.

France : EBRC Jaguar

Héritier d’une longue lignée de blindés légers sur roues français et successeur de l’ERC-90 Sagaie et de l’AMX-10RC, l’EBRC Jaguar est un char léger original à plus d’un titre. D’une part, il s’agit du seul blindé sur roues de ce panel avec le Centauro II italien, monté sur le même châssis 6×6 que le Véhicule Blindé Multi-Rôle Griffon dont il partage une grande partie de l’ADN au sein du programme SCORPION de l’Armée de Terre, visant à moderniser le segment médian de ses véhicules de combat.

Il est aussi l’un des plus légers, avec une masse au combat de 25 tonnes, ne cédant dans dans domaine qu’au Sprut russe qui, lui aussi, est un cas à part. Enfin, c’est celui qui porte l’armement principal le plus léger, avec un unique canon CTA de 40 mm épaulé de 2 missiles antichars MMP en tourelle et d’un tourelleau armé d’une mitrailleuse de 7,62mm. Mais ce qui peut apparaitre initialement comme des faiblesses, pourraient bien s’avérer des atouts significatifs du point de vue opérationnel.

En effet, la configuration 6×6, associée à un moteur de 490 cv, à une suspension électro-pneumatique très versatile et à une masse par essieux de huit tonnes, offrent au blindé une mobilité hors norme, y compris sur les terrains les plus défavorables.

EBRC Jaguar e1652367121220 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
L’équipage du Jaguar se compose de 3 membres, 2 en tourelles (chef de char et tireur) et un en caisse (conducteur)

Si son canon de 40 mm CTA à munition télescopée et chargement automatique ne peut percer avec une munition flèche que 70 mm de blindage d’acier à 60°, sa cadence de tir de 200 coups par minutes et sa précision, y compris en mouvement, lui permettent de prendre à partie la totalité des véhicules blindés en dehors des chars lourds, tout en disposant d’importants moyens pour immobiliser et rendre aveugles ces derniers le cas échant.

En outre, avec une élévation de 48°, le canon peut être employé contre les drones et les aéronefs lents à basse altitude, une caractéristique clé dans les engagements modernes. Les missiles MMP, quant à eux, peuvent détruire n’importe quelle cible blindée jusqu’à 5 km, y compris en tir masqué.

Enfin, la conjonction du canon principal à haute élévation et à grande cadence de tir, qui plus est armé d’obus adaptés à de nombreux usages, et du tourelleau automatique de 7,62 mm, lui offre des capacités d’engagement importantes en environnement urbain, d’autant que sur un tel terrain, la confirmation 6×6 offre une excellente mobilité et une grande réactivité.

Le blindé ne dispose que d’un blindage STANAG 4, c’est-à-dire capable de protéger des tirs de mitrailleuses lourdes comme la 12,7 mm ou la 14,5 mm soviétique, ainsi que des shrapnels d’obus de 155 mm à 30 mètres de distance. Toutefois, le blindé a fait l’objet d’un soin particulier dans le domaine de la résistance aux mines et engins explosifs improvisés, avec une garde au sol surélevée et une cellule de survie renforcée au planché pour l’équipage.

De fait, le Jaguar est un blindé parfaitement adapté aux engagements des armées françaises en opérations extérieures en Afrique, mais ne se montre nullement désavantagé en matière de combat de haute intensité, affichant des qualités toutes françaises adaptées à la doctrine d’emploi de l’Armée de terre.

Surtout, l’EBRC jouit d’une qualité décisive pour les armées françaises et belges qui en firent l’acquisition, un prix particulièrement bas de l’ordre de 3 m€, très inférieur aux autres modèles occidentaux, permettant à la France de planifier l’acquisition de 300 et à la Belgique de 60 de ces blindés, soit plus qu’elle n’a de chars lourds.

Arquus factory e1635423932560 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Jaguar partage 70% de ses composants avec le VBMR Griffon, ceci expliquant en partie le prix très attractif du blindé

Cependant, le Jaguar, à l’instar des autres blindés modernes français, souffre d’un défaut critique consécutif de ses qualités, et plus particulièrement de son prix. En effet, avec une masse de 25 tonnes en livraison initiale, l’EBRC atteint déjà la limite haute de masse imposée par sa configuration 6×6, comme c’est le cas du reste du Griffon (24,5 tonnes en 6×6), du Serval (16 tonnes en 4×4) et du VBCI (32 tonnes en 8×8).

En d’autres termes, il n’est pas possible d’ajouter des équipements supplémentaires sur ces blindés sans altérer sensiblement leur mobilité tout terrain, sauf à retirer d’autres équipements pour une masse équivalente. Dit autrement, il n’est pas question aujourd’hui d’imaginer équiper le Jaguar ou le VBCI de systèmes de protection hard-Kill, ou de plaques de blindage réactif, ceci venant ajouter plusieurs centaines de kilos sur la balance.

De fait, les capacités d’évolution de ces blindés sont largement compromises, au-delà du remplacement tic pour tac des équipements existants. Si cette contrainte ne pèsera probablement pas dans les prochaines années, le blindé étant moderne et équilibré, elle pourrait contraindre les armées françaises à se doter d’un nouveau modèle de blindés disposant d’une masse au combat plus importante pour répondre aux évolutions des menaces dans les années à venir.

Etats-Unis : char léger MFP – M10 Booker

En 1997, l’US Army retirait du service le char léger M-551A Sheridan, sans qu’un remplaçant ne fut prévu. Vingt ans plus tard, elle lançait le programme Optionnaly Manned Vehicle, destiné à remplacer les véhicules de combat d’infanterie Bradley, mais également à concevoir un nouveau char « léger » destiné à apporter un surcroit de puissance de feu aux unités de contact, le programme Mobile Protected Firepower, baptisé depuis M10 Booker.

En juin 2022, à l’issue d’une compétition houleuse, l’US Army se prononça en faveur du modèle proposé par General Dynamics Land Systems et sobrement désigné MFP, au détriment d’une solution du M8 Buford de BAe. Au total, les armées américaines recevront 504 MFP à raison de 42 blindés par brigades d’ici à 2035, pour un budget d’acquisition de 6 Md$ développement compris, soit 12 m$ par blindé, 4 fois le prix d’un EBRC Jaguar ou d’un Type 15 chinois. Il faut dire que dans ce dossier, tout est question de superlatifs.

MFC GDLS e1656512287579 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Mobile Firepower Protected de GDLS a remporté la compétition de l’US Army pour construire 504 chars « légers » d’ici à 2035

Ainsi, le char léger MFP n’aura de char léger que le nom, avec une masse au combat frôlant les 40 tonnes, et des dimensions supérieures à celles des chars européens des années 60, et sera plus de 2,5 plus lourd que son prédécesseur, le Sheridan et ses 16 tonnes.

Son armement principal, un canon de 105 mm et 52 calibres à haute pression capable de détruire un char lourd à 1000 mètres en secteur frontal et de détruire un véhicule moins lourdement blindé jusqu’à 1800 mètres, en fait un puissant chasseur de char, et un destructeur de bunker au profit des unités d’assaut.

Son blindage reste pour l’heure confidentiel, mais il est probable que, comme le Type 15, il puisse être équipé de plaque de blindage réactif, et ultérieurement d’un système de protection hard-kill, même si l’hypothèse n’a pas été soulevée officiellement.

Enfin, le char disposera de la même vétronique, dispositif de conduite de tir, systèmes de protection et de communication que l’Abrams M1A2, réputés très efficaces et simplifiant la formation de l’équipage.

Pour autant, le MFP ne constituera qu’un épisode secondaire dans la modernisation en cours de la flotte blindée de l’US Army, qui verra ses 5.700 véhicules de combat d’infanterie Bradley remplacés par le vainqueur de la compétition OMFV, et les quelque 5.500 chars Abrams remplacés par le vainqueur de la compétition Decisive Lethality Platform.

En outre, les missions de reconnaissance armées, traditionnelles pour les chars légers, seront assurées par d’autres moyens, le MFP agissant en priorité en soutien des unités de contact.

Russie : canon automoteur 2S25 Sprut-SD

Fréquemment présenté comme un char léger, le Sprut-SD n’en est pourtant pas un, pas au sens de la taxonomie russe tout au moins. En effet, le code de désignation du blindé, 2S25, le classe dans les systèmes d’artillerie autoportée, comme le 2S3 Akatsiya ou le 2S19 Msta-s qui ont funestement fait parler d’eux ces derniers mois en Ukraine. Le Sprut-SD est ainsi considéré par les VDV, les forces aéroportées russes pour lesquelles il fut conçu dans les années 90, comme un canon antichar automoteur.

C’est la raison pour laquelle il arbore un puissant canon de 125 mm 2A75 à âme lisse, qui utilise les mêmes munitions que les chars T-64, T-72, T-80 et T-90, malgré une masse au combat de seulement 18 tonnes. De fait, si les chenilles du blindé sont entrainées par un moteur turbo-diesel de 510 chevaux lui conférant un très important rapport puissance poids de 28 cv/tonnes, le Sprut reste un blindé simple et rustique, par ailleurs très faiblement protégé en dehors des tirs de munitions légères.

Sprut SD e1661614583267 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
La désignation 2S25 du Sprut-SD classe le blindé en tant que canon automoteur et non comme char léger

Conçu pour être aéroporté et même aérolargué, le Sprut-SD devait constituer le fer de lance de la puissance de feu des unités parachutistes russes. Toutefois, à ce jour, il semble que seuls 24 exemplaires aient effectivement été livrés.

En outre, sur la base des rapports de pertes publiques, aucun Sprut-SD n’a été identifié perdu en Ukraine, ce qui laisse supposer que le blindé ne soit, jusqu’à présent, pas parvenu à convaincre les militaires russes de son efficacité. Initialement basé sur un châssis de BMD-3, les ingénieurs russes de l’usine de tracteur de Volgograd, qui produit par ailleurs les véhicules de combat d’infanterie, de commandement et de transport de troupe BMD-1-2-3-4 pour les troupes aéroportées russes, ont entrepris de remplacer le châssis par celui d’un BMD-4 plus puissant et mieux protégé, et le canon de 125 mm 2A75 par la tourelle Epoch qui doit équiper les futurs VCI Armata et Bumerang de l’Armée de terre russe.

Bien plus moderne que celle actuellement en service, l’Epoch est armée d’un canon de 30 mm et hypothétiquement d’un 57 mm ultérieurement, ainsi que de 4 missiles anti-chars Kornet-EM dans une configuration proche de celle retenue pour l’EBRC jaguar. Reste qu’à l’heure actuelle, aucune confirmation n’accrédite la commande de ce nouveau blindé, ni même d’une extension de commande du 2S25 initial, alors que les forces aéroportées russes ont subi de très lourdes pertes humaines et matériels lors des premières semaines de conflit contre l’Ukraine.

Quels sont les 5 enjeux critiques de la prochaine Loi de Programmation Militaire française ?

Au lendemain du début de l’offensive russe en Ukraine, une majorité de français ont découvert, ou re-découvert, de manière fort brutale, le rôle des forces armées pour assurer ce qu’ils prenaient pour acquis depuis plusieurs décennies, à savoir leur sécurité. Pour tenter de rassurer les opinions publiques, et pour occuper un espace médiatique délaissé par les politiques sur fond d’élections présidentielles et législatives, les armées françaises ont alors multiplié les communications, tentant de presenter un visage réconfortant aux français, en particulier en insistant sur des exercices dits de « haute intensité », un terme qui lui aussi s’invita brutalement dans les discussions y compris sur les plateaux de télévision. Toutefois, une fois le choc absorbé, et la fièvre électorale évaporée, la réalité s’imposa petit à petit, notamment lors des auditions parlementaires des chefs d’état-major des armées : les armées françaises ne sont pas prêtes pour ce type d’engagement, ni dans leur format, ni dans leur équipement.

Pour répondre à ce constat, les autorités françaises ont annoncé, en juillet, qu’une nouvelle Loi de Programmation Militaire serait conçue à la rentrée, pour être par la suite rapidement votée par le parlement, et prendre effet à partir de 2023. Elle remplacera de fait la présente LPM qui devait initialement s’étendre jusqu’en 2025. Corolaire de cette décision que certains jugent précipitée, cette nouvelle LPM ne sera pas précédée par la conception d’un nouveau document cadre, comme ce fut le cas de la LPM 2014 avec le Livre Blanc de 2013, ou celle de 2019 avec le Revue Stratégique de 2017. De toute évidence, si la précédente mouture 2019-2025 était conçue comme une LPM de réparation à hauteur d’homme, la future Loi sera une LPM d’urgence, pour préparer les armées françaises aux possibles confrontations qui pourraient intervenir à la fin de la décennie. Reste qu’en dépit de son caractère précipité, cette nouvelle Loi de Programmation Militaire devra répondre à plusieurs enjeux critiques, qu’il n’est désormais plus possible d’ignorer ou de repousser dans le temps.

1- Résoudre l’impossible équation budgétaire

Le premier, et plus épineux problème qui devra trouver solution n’est autre que le financement des armées. En effet, la situation budgétaire de l’état français est on ne peut plus difficile, avec un endettement dépassant désormais les 115% de PIB alors que les taux d’intérêts ne cessent de croitre sur fond de crise inflationniste, un budget annuel déjà au delà de la limite imposée par le pacte de stabilité monétaire de la zone euro, et une croissance qui, si elle s’avère meilleure que celle de nombre de nos voisins européens, n’est pas suffisante pour dégager des marges de manoeuvre budgétaires nécessaires, ce alors même que les taux de prélèvement dans le pays sont déjà parmi les plus élevés de l’UE, ne cédant dans ce domaine qu’au Danemark. Dans le même temps, les armées ont besoin, pour répondre aux enjeux sécuritaires, d’une hausse de crédits à la fois massive et rapide, de l’ordre de 10 Md€/an supplémentaires pour l’acquisition et la modernisation des materiels, et autant pour le volet capacitaire et RH.

VBMR Leger Serval de lArmee de terre Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Pour répondre aux évolutions de la menace, les Armées doivent disposer d’un surcroit budgétaire important à court terme, alors que la relative economique et budgétaire du pays est fortement détériorée

En d’autres termes, il serait nécessaire, pour répondre aux enjeux, d’augmenter le budget des armées de 20 Md€, soit d’amener l’effort de defense autour de 2,7% PIB, et de le faire suffisamment rapidement pour disposer des capacités opérationnelles requises à horizon 2030, date estimée probable pour que la reconstruction des armées russes soit effective, et pour que les forces navales et aériennes chinoises soient en mesure de s’opposer à la puissance américaine dans le Pacifique et au sujet de Taïwan. De fait, le principal enjeu de cette prochaine LPM ne sera autre que de proposer une solution permettant de faire cohabiter ces exigences critiques, et ces contraintes inamovibles. Faute de quoi, il n’y aura d’autre alternative que de regarder lentement la France s’effacer de la scène internationale, et de progressivement, comme ses voisins européens, venir se blottir sous l’aile protectrice des Etats-Unis, avec les risques que cela comporte. Reste que si l’équation est de toute évidence difficile, elle n’est pas sans solution, pour peu que l’exécutif accepte d’envisager des modèles de financement originaux.

2- Traiter les urgences capacitaires et opérationnelles

Une fois l’équation budgétaire résolue, pour peu qu’elle puisse l’être, la nouvelle LPM devra s’atteler à traiter de toute urgence les urgences capacitaires et opérationnelles qui handicapent aujourd’hui l’efficacité des armées françaises, en particulier pour ce qui concerne les engagements de haute intensité. En premier lieu, il sera ainsi indispensable de reconstituer les stocks stratégiques des armées, qu’il s’agisse de munitions, de pièces détachées ainsi que d’équipements de réserve, ce qui nécessitera la réorganisation de nombreux services amenés, ces dernières années, à travailler en flux tendu avec les industriels, plutôt que sur une gestion de stock tampon. Au delà de cet aspect, il sera indispensable de doter les armées de certaines capacités qui furent sacrifiées au fil des années sur la certitude que les guerres comme celle qui frappe l’Ukraine aujourd’hui, ne pouvaient plus se produire. Ainsi, l’Armée de terre devra recouvrir des capacités de franchissement, mais également une puissance de feu et de protection adaptée à ce type d’engagement. La Marine Nationale devra probablement revoir l’armement et l’équipement de ces navires, alors que l’Armée de l’Air devra retrouver des capacités de suppression des défenses adverses et de guerre électronique abandonnées depuis prés de deux décennies.

La drone de combat Neuron lors dun vol dessais avec un Rafale 1 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
L’Armée de l’Air et de l’espace devra se doter à court terme de capacités de guerre électronique renforcée et de suppression des défenses anti-aériennes adverses

Au delà de ces urgences critiques, les armées devront, dans un second temps, faire évoluer leurs capacités pour non plus seulement être en mesure de mener des engagements de haute intensité, mais de les gagner. Pour cela, il sera indispensable de faire évoluer les caractéristiques de nombreux équipements, comme les chars Leclerc et les VBCI dépourvus de systèmes de protection hard-kill, les navires dont les systèmes de lancement verticaux sont trop rigides et ne permettent pas le multi-packing, ou en se dotant de drones de combat furtifs capables de mener leurs missions en environnement contestés. Cet objectif nécessitera non seulement une mobilisation sans précédant des armées, de la DGA et du ministère de tutelle, mais également des industriels, dans un effort dont la portée dépassera de loin l’aspect purement commercial ou budgétaire. Dans les faits, pour traiter avec efficacité ces urgences, un effort sans précédant ces 50 dernières années de l’ensemble de l’écosystème défense français sera indispensable.

3- Sortir de l’impasse des programmes industriels franco-allemands

La coopération industrielle défense franco-allemande avait été un marqueur central de l’action du Président Macron et de sa ministre des Armées Florence Parly tout au long du premier quinquennat. Aujourd’hui, cependant, l’ensemble de ces programmes sont soit à l’arrêt, soit enlisés dans des oppositions industrielles qui ne sont plus compatibles avec l’urgence opérationnelle. Dans le même temps, Berlin a pris une distance certaine vis-à-vis de ces programmes, ici en commandant des avions de patrouille maritime P8A Poseidon auprés de Boeing, là en commandant des F-35A auprés de Lockheed-Martin, alors que Rheinmetall vient de presenter une très opportune alternative aux programme MGCS. De l’avis même des industriels, il n’est aujourd’hui plus question de tenir les délais initialement établis pour ces programmes pourtant dimensionnant pour les armées, et dont la criticité s’est vue dramatiquement renforcée par la détérioration des tensions internationales.

SCAF Artiste Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
L’enlisement des programmes franco-allemands fait désormais peser des menaces critiques sur la programmation militaire française

De fait, aujourd’hui, ces programmes, qu’il s’agisse de SCAF, MGCS, CIFS, MAWS et même d’Euromale, constituent des entravent bien davantage que des opportunités pour les armées françaises, et même pour l’industrie de défense nationale. Dans le présent contexte, il s’avère donc indispensable de sortir de cette impasse, de sorte à apporter un minimum de sérénités dans la planification militaire française. Pour cela, la solution triviale serait naturellement de mettre fin à ces programmes. Pour autant, cette solution, si elle permettrait de répondre à court et moyen termes aux blocages constatés, ne ferait que ramener l’industrie de défense européenne dans une situation identique à celle qui est la sienne aujourd’hui, et dont on voit les limites face à l’omniprésence US, en particulier dans le domaine des avions de combat avec le F-35. Une alternative reposerait sur la poursuite de ces programmes sur des paradigmes différents, en permettant par exemple à la France et l’Allemagne de concevoir chacun son propre avion de combat partageant une base technologique commune (moteurs, systèmes embarqués, armement..). D’autre part, en développant des programmes intermédiaires nationaux, il serait possible d’en infléchir la criticité opérationnelle qui aujourd’hui cristallise les divergences entre Paris et Berlin. Dans tous les cas, il sera indispensable qu’une stratégie efficace soit mise en oeuvre dans le cadre de cette nouvelle LPM pour mettre fin au statu quo, et pour, d’une manière ou d’une autre, offrir aux armées la visibilité et la flexibilité dont elles ont besoin pour répondre aux enjeux sécuritaires.

4- Résoudre la difficile équation du format des armées

Au delà de leurs équipements et de leurs stocks, les armées françaises, avec à peine plus de 207.000 militaires et d’un peu plus de 40.000 réservistes opérationnels, souffrent aujourd’hui d’un format trop restreint pour répondre aux besoins, y compris dans le cadre d’une défense collective en Europe. Ainsi, l’Armée de Terre n’est en mesure de ne déployer, dans le meilleur des cas, qu’une division de 20.000 soldats, même si elle dispose de capacités d’encadrement et de commandement pour diriger un corps d’armées de 60.000 soldats. D’autre part, avec 200 chars Leclerc, la France n’alignera, en 2030, que 6% du parc dont disposera la Pologne dont le PIB n’atteint que 25% de celui de la France, et 3% du parc de chars russes une fois reconstitué, alors que son PIB n’équivaut qu’à 65% du PIB français. Toujours face à la Russie, la France n’alignera que 4% des capacités d’artillerie, 20% de la puissance aérienne, 2% de la puissance anti-aérienne et 30% de la flotte de surface et sous-marine, pour 10% des effectifs sous les drapeaux, même si dans ce domaine, Moscou peut s’appuyer sur 40% de conscrits pour ses 2 millions de miltaires. Dans le même temps, le gradient technologique pour ce qui concerne les équipements des armées françaises, n’est pas suffisant pour compenser un tel gradient capacitaire.

Armee de terre Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Avec seulement 200 chars Leclerc en 2030, l’Armée de terre n’alignera que 6% des chars en service au sein des armées russes, et 12% des chars en service en Pologne .

De fait, il sera indispensable d’accroître sensiblement le format des armées, tout en respectant les enjeux budgétaires, ainsi que les contraintes en matière de recrutement qui, comme pour toutes les démocraties occidentales, s’avèrent des plus difficiles à traiter. S’il semble indispensable d’accroitre le format des militaires professionnels, pour atteindre 240.000 ou 250.000 hommes et femmes, il est peu probable qu’il puisse être possible d’aller au delà. En outre, une part non négligeable de ces effectifs supplémentaires sera nécessairement dédiée à la montée en puissance de l’Armée de l’Air et de l’espace et de la Marine Nationale, les armées technologiques étant structurellement plus gourmandes en miltaires professionnels. De fait, il est plus que probable que la prochaine LPM concrétisera l’émergence d’une puissante force de reserve pour répondre aux besoins des armées, en particulier pour ceux de l’Armée de terre, seule solution efficace pour répondre simultanément aux enjeux en terme de format, de stock de materiels de reserve, et de capacités d’engagement dans la durée des forces.

5- Preparer l’avenir

On le comprend, cette LPM, pour peu qu’elle s’attaque avec volonté et imagination aux réels enjeux critiques du moment qui touchent les armées et l’industrie de défense, et plus globalement la resilience de la nation face à l’émergence de « nouvelles menaces » (qui ne sont nouvelles que pour ceux qui refusaient de les voir), sera une LPM d’urgence, dont la fonction sera principalement de remettre en capacité les armées sur des délais relativement courts pour être en mesure de s’engager efficacement dans un conflit dit de haute insanité. Pour cela, nul besoin en effet de Revue Stratégique ou de Livre Blanc, si ce n’est pour accroitre les délais et alimenter les Think Tank, les Armées comme les Industriels sachant parfaitement quels sont leurs besoins critiques dans ces domaines. En revanche, il n’est pas souhaitable que la Programmation militaire soit, à terme, uniquement pilotée par les expressions de besoins des militaires, parfois contestables tant sur le plan industriel que politique, ou par les exigences des industriels, qui visent avant tout à sécuriser et étendre leur activité. De fait, cette LPM devra être relativement courte, idéalement 5 années pour aller jusqu’en 2028, et devra préparer l’avenir.

commission de la defense nationale et des forces armees Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Il revient désormais à l’exécutif comme aux parlementaires de ne pas sombrer dans la résignation pour répondre aux enjeux critiques de la prochaine LPM

Pour cela, il semble indispensable qu’une réflexion stratégique structurante soit menée concomitamment à son exécution, avec la réalisation d’un nouveau Livre Blanc ou d’une Revue Stratégique, idéalement des deux dans un partage souhaitable des taches, la Revue stratégique faisant l’inventaire des menaces et des risques, le Livre Blanc y répondant par les moyens adéquates. En outre, la LPM devra être conçue d’une manière bien plus souple que ne l’avait été la précédente, de sorte à pouvoir tout à la fois s’adapter aux évolutions des besoins, qu’à la préparation de l’avenir et de la prochaine LPM qui lui succédera. Il sera notamment probablement requis d’adapter le dimensionnement de l’outil industriel français pour répondre aux objectifs à terme des armées en terme de format et d’activité, ceci requérant des délais importants pour être efficient.

Conclusion

La conception de la prochaine Loi de Programmation Militaire, par son urgence, ses enjeux et les contraintes qui s’y appliquent, intègre une dimension que l’on pourrait aisément qualifier de dramatique, et constituera, sans le moindre doute, l’une des décisions politiques les plus riches de sens et de conséquences en France depuis plusieurs décennies. Si les contraintes et les enjeux sont nombreux et forts complexes à faire cohabiter, ils ne sont toutefois pas sans solution, pour peu que les personnes en charge de sa conception sachent faire preuve d’imagination et d’une inébranlable volonté de ne pas céder à la résignation. Car, ne nous y trompons pas, il s’agit bien là du plus important risque qui plane sur les Armées françaises, et par transitivité sur la place de la France sur l’échiquier international, selon que les autorités trouveront le pont d’équilibre et les mécanismes adaptés pour répondre aux enjeux, ou qu’elles se tourneront, comme l’avait en partie laissé entendre le DGA Joel Barre dans sa dernière allocution devant l’Assemble nationale, ou certains anciens députés, vers la résignation et l’abandon de capacités.

Le Rafale plus favori que jamais en Inde face au Super Hornet

Afin de moderniser sa flotte de chasse embarquée, et d’armer le nouveau porte-avions INS Vikrant qui entrera en service le 2 septembre, la Marine Indienne avait lancé une compétition portant initialement sur 57 appareils embarqués. Après les évaluations initiales, deux appareils furent sélectionnés pour poursuivre la compétition, le Boeing F/A-18 Super Hornet Block III américain, et le Dassault Rafale M français. Les deux chasseurs participèrent notamment à une campagne d’essais sur tremplin sur la base aéronavale de Goa en début d’année, tous deux ayant montré leur capacité à employer ce type de dispositif pour prendre l’air sans catapulte. Boeing multiplie les communications auprés de la presse indienne dans le but de s’attirer les bonnes grâces de l’opinion publique, bien qu’il soit difficile, dans ce domaine, de faire de l’ombre à l’excellente image publique en Inde du Rafale et de son prédécesseur, le Mirage 2000. L’avion français fait, quant à lui, figure de grand favoris, une position renforcée par les dernières annonces de la Marine Indienne.

En effet, son Chef d’Etat-major adjoint, le vice-amiral S.N Ghormade, a confirmé une rumeur qui circulait depuis plusieurs mois devant la presse ce mardi, selon laquelle la commande de l’Indian Navy ne porterait pas sur 57 appareils comme initialement prévu, mais seulement sur 26 chasseurs, ceux-ci devant jouer le rôle de solution intérimaire dans l’attente de l’arrivée du futur chasseur bimoteur embarqué (Twin-Engined Deck Based Fighter ou TEDBF) développé par l’agence indienne de l’Armement, la DRDO. Dans ce contexte, le Rafale M de Dassault Aviation dispose d’atouts décisifs pour s’imposer face à son rival américain, alors que la compétition était, jusqu’ici, plutôt indécise.

FA18ESuper Hornet Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Selon le « Navigation Plan 2045 » présenté par l’US Navy, celle-ci aura retiré du service l’ensemble de ses Super Hornet d’ici 2040/2045

D’un point de vue des performances, les deux appareils évoluent dans un mouchoir de poche. Ainsi, si le Super Hornet dispose de turboréacteurs F-414 plus puissants que les M-88 français du Rafale, l’appareil américain est également beaucoup plus lourd que son homologue français, le surcroit de puissance de ses moteurs ne faisant que compenser la masse à vide supplémentaire du F/A-18. En matière de capacités d’emport, y compris sur tremplin, les deux appareils ont démontré des performances très proches, même si la configuration aérodynamique du Rafale équipé de plans canards et d’une charge alaire inférieure à celle du Super Hornet privilégie l’avion français en matière de rayon d’action à charge égale. En matière de capacités de détection et d’auto-protection, les deux aéronefs affichent également des performances comparables si pas similaires, tout comme pour ce qui concerne les armements embarqués, le Rafale ayant l’avantage du missile air-air à longue portée Meteor et du très performant MICA NG, le Super Hornet celui du missile air-sol anti-radiation Harm. Toutefois, le Rafale peut s’appuyer aujourd’hui sur un planning de production et d’évolution bien plus riche et serein sur la durée que celui du Super Hornet, qui ne sera plus en service au sein de l’US Navy d’ici 2040/2045, et qui ne sera plus acquis par celle-ci au delà de 2023.

Du point de vue politique, les offres françaises et américaines diffèrent mais se neutralisent également. Les Etats-Unis peuvent effectivement faire valoir l’interopérabilité du Super Hornet avec les avions et les porte-avions de l’US Navy, ainsi que l’implication de Washington pour contenir la montée en puissance chinoise dans le Pacifique et l’Ocean Indien. Toutefois, cette position est à double tranchants pour New Delhi, qui entend également préserver sa coopération avec Moscou, y compris en acquérant des systèmes anti-aériens S-400, des chars T-90 et des frégates Talwar. A ce titre, l’administration Biden a plusieurs fois menacé New Delhi de sanctions si l’Inde persistait dans l’acquisition de S-400 russes, même si Boeing et les services plénipotentiaires américains tentent autant que possible de glisser ces menaces sous le tapis. A l’inverse, la France n’a pas la puissance militaire américaine dans le Pacifique ou l’Ocean Indien, mais a démontré par le passé son engagement plein et entier pour soutenir effectivement New Delhi face à Pékin, ainsi que face à Islamabad, et n’impose pas de restriction concernant l’acquisition de materiels militaires russes, permettant même une interopérabiltié avec ceux-ci.

IAC1 INS Vikrant Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
l’INS Vikrant, premier porte-avions de facture nationale indien, entrera en service le 2 septembre 2022

Si les deux critères déjà abordés mettent en effet Paris et Washington sur un pied d’égalité, les deux suivants, en revanche, donnent un net avantage à l’offre française, du fait de la précédente commande de 36 Rafale B et C à destination de l’Indian Air Force. Du point de vue logistique et opérationnel, d’une part, la mise en oeuvre d’une flotte de Rafale au sein de l’IAF pourrait considérablement faciliter les choses pour l’Indian Navy. Inutile en effet de déployer une solution de maintenance dédiée pour une flotte aussi réduite concernant l’appareil français, les infrastructures de l’IAF ayant déjà été dimensionnée pour assurer la maintenance d’une flotte pouvant atteindre 150 Rafale. En outre, les accords locaux ont déjà été passés et mis en oeuvre pour impliquer l’industrie indienne dans ce processus de maintenance, de sorte qu’il sera aisé pour l’Indian Navy non seulement d’assurer les grandes visites de ces appareils, mais également de former ses personnels techniques voire ses personnels volants en coopération avec l’IAF. Dans ce domaine, le Super Hornet met en valeur l’utilisation du turboréacteur F-414 employé sur le Tejas Mk1A qui doit entrer en service au sein de l’IAF, mais il ne s’agit là que du seul turboréacteur, là ou pour le Rafale, cela concerne l’ensemble de la chaine de maintenance.

Surtout, le Rafale dispose d’un avantage désormais incomparable sur le plan budgétaire sur son homologue américain. En effet, l’appareil a déjà été adapté aux exigences de l’Indian Air Force, que ce soit en terme d’équipement, d’armement et de système, notamment pour permettre à ces appareils de mener des missions nucléaires. En outre, comme dit précédemment, l’IAF dispose d’une infrastructure de maintenance largement dimensionnée pour accueillir les appareils de la Marine indienne pour les phases de maintenance lourdes. En d’autres termes, le Rafale dispose d’un package de services et d’infrastructures existant dépassant les 2,5 Md€, soit presque 100 m€ par appareil, sur lequel le Super Hornet ne peut s’appuyer. De fait, même si Boeing venait à casser ses prix, ce qui est probable puisque cette compétition représente la dernière chance du constructeur américain pour préserver la ligne de production du Super Hornet à Saint Louis, il lui sera très difficile de s’aligner sur l’offre française.

Atelier Rafale 1 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Avec un carnet de commande plein de presque 10 ans, les délais de production du Rafale pourrait jouer contre l’appareil français dans la compétition indienne

Reste que le Rafale souffre également d’une faiblesse qui pourrait bien jouer dans cette compétition. En effet, l’appareil français est soumis aux défauts de ses qualités, en particulier pour ce qui concerne son carnet de commande particulièrement bien garni, ce qui ne manquera pas de poser problèmes si New Delhi avait des exigences importantes en terme de délais de livraison. Pour y répondre, Dassault a annoncé qu’il entendait dimensionner sa ligne de production de Merignac pour produire 3 voire 4 Rafale chaque mois, mais ce processus nécessitera du temps, d’autant que d’autres clients frappent eux aussi à la porte de l’avionneur français. Dans le contexte sécuritaire dégradé qui se dessine, il est possible que ce paramètre joue à plein dans la décision de New Delhi, même si, là encore, la lame est à double tranchants. En effet, au delà d’une éventuelle commande de 26 appareils par l’Indian Navy, il est plus que probable que la ligne d’assemblage de Saint Louis soit transformée, en l’absence de nouvelles commandes très improbables. Dans ces conditions, si le programme TEDBF venait à prendre du retard, ou que la pression opérationnelle venait à s’intensifier, l’Indian Navy serait sans solution pour étendre sa flotte de Super Hornet sauf à acquérir d’éventuels appareils d’occasion auprés de l’US Navy, si tant est que celle-ci accepte de se séparer d’eux, ce qui est une autre histoire.

On le comprend, d’un point de vue purement objectif, le Rafale M offre aujourd’hui le meilleur compromis pour les besoins exprimés par l’Indian Navy dans le présent contexte et pour le format visé. Toutefois, les exemples australiens et suisses montrent que face aux Etats-Unis, l’objectivité n’est parfois pas suffisante pour s’imposer. Il revient donc aux négociateurs et dirigeants français de savoir anticiper les manoeuvres de Washington mieux qu’ils ne le firent précédemment, afin de concrétiser ce qui serait la première commande export de la version Marine du Rafale.

L’hypothèse du F-35 en Espagne croit sur les tensions autours du programme SCAF

A l’occasion de l’International Fighter Conference de Londres 2021, une confidence d’un directeur exécutif de Lockheed-Martin au magazine spécialisé Défense Janes provoqua un certain émois au sein du programme SCAF rassemblant l’Allemagne, l’Espagne et la France pour la conception du remplaçant des avions de combat Rafale et Typhoon, ainsi que de ses systèmes attenants, à horizon 2040. Selon le magazine de référence, Madrid avait en effet entrepris de négocier de manière discrète avec le constructeur américain l’acquisition de 50 F-35, 25 en version B à décollage et atterrissage vertical ou court pour remplacer les AV-8B Harrier II armant le porte-aéronefs Juan Carlos, et 25 en version A basée à terre pour remplacer pour partie les F/A-18 Hornet en service au sein des forces aériennes espagnoles. A ce moment, Paris et Berlin étaient encore vent debout contre l’acquisition de F-35, l’appareil étant alors perçu comme une menace directe contre l’industrie aéronautique européenne. De fait, quelques jours plus tard, le ministère de La Défense espagnol publia un vigoureux démenti, jurant ses grands dieux qu’aucune négociation de ce type n’était en cours.

Depuis, un volume d’eau considérable a coulé sous les ponts. D’une part, Berlin s’est officiellement tourné vers le F-35A pour remplacer ses avions Tornado assurant la mission de partage nucléaire au sein de l’OTAN, en commandant 35 F-35A capables d’emporter la nouvelle bombe nucléaire B-61Mod12 américaine. Dans le même temps, le programme SCAF entra dans une zone de grandes turbulences, sur fond d’opposition féroce entre Dassault Aviation et Airbus DS quant au pilotage du 1er pilier du programme, celui qui doit précisément concevoir l’avion de combat de nouvelle génération, ou NGF selon l’acronyme anglophone retenu par le programme. En conséquence, le SCAF est aujourd’hui à l’arrêt, et le calendrier initial qui visait une entrée en service avant 2040 est très largement compromis, de l’aveu même du CEO de Dassault Aviation Eric Trappier, ce sans parler des menaces de plus en plus sensibles qui pèsent sur la poursuite du programme lui-même. Enfin, plusieurs autres forces aériennes européennes se sont, dans l’intervalle, prononcées en faveur de l’avion américain, dont la Finlande, la Grèce et la République tchèque, faisant de l’appareil un standard de fait au sein de l’OTAN.

Spanish air force F18 Hornet Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Les F/-18 Hornet espagnols ne pourront être maintenu en service jusqu’à l’arrivée potentielle des premiers appareils du programme SCAF

Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que l’Etat-major des forces aériennes espagnoles se soit prononcé, selon le quotidien El Pais, en faveur du F-35A pour remplacer le F/A-18 en son sein, et ce même si il y a quelques mois, Madrid avait commandé 20 Eurofighter Typhoon pour remplacer les Hornet qui assurent aujourd’hui la protection aérienne des iles Canaries. Selon les militaires espagnols, les F-18 en service devront être remplacés avant que les premiers SCAF soient livrés, les obligeants à se tourner vers une solution alternative effectivement disponible. Dans ce domaine, toujours selon l’Etat-major espagnol, le F-35 est sans nul autre comparaison le meilleur appareil, très supérieur à l’Eurofighter Typhoon dans de nombreux domaines, sans parler des bénéfices de la standardisation vis-à-vis des autres forces aériennes européennes. L’acquisition de F-35A permettrait également d’améliorer la soutenabilité de la maintenance des F-35B qui seront acquis pour remplacer les Harrier embarqués, aucune autre alternative n’étant disponible pour ce besoin précis. Enfin, dernier argument avancé, il est beaucoup plus prudent et efficace de disposer d’une flotte de chasse qui ne s’appuierait pas sur un unique appareil.

De manière objective, les arguments avancés par les forces aériennes espagnoles font sens. Si le Typhoon dispose désormais de capacités d’attaque dans sa version Long Term Evolution, l’appareil n’est toutefois pas taillé pour l’attaque ou la pénétration, bien qu’il excelle dans la défense aérienne. En effet, de par la disposition de ses entrées d’air, et la position de ses plans canards, le Typhoon n’est pas conçu pour la pénétration à très basse altitude à haute vitesse, comme peut l’être le Rafale français. A l’inverse, il ne dispose pas de la furtivité du F-35 pour la pénétration furtive à moyenne ou haute altitude, limitant de fait son efficacité pour ce type de mission. Or, si les forces aériennes disposent de de 70 Typhoon pour la supériorité aérienne, ses F-18 agissent précisément pour les missions de pénétration et de frappes, même s’ils disposent de capacités de supériorité aérienne. Pour les remplacer, le F-35A s’avère donc un choix justifié, d’autant que Madrid ne peut guère être blâmé des retards et menaces qui pèsent sur le programme SCAF. Quant à l’acquisition de Rafale, elle ne saurait être envisagée, ne permettant ni de solutionner le dimensionnement des flottes pour leur soutenabilité, ni de répondre aux exigences des industriels du pays.

Typhoon AIM120 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
S’il excelle en matière de supériorité aérienne, le Typhoon souffre de défauts qui entrave son efficacité pour les missions de pénétration et de frappe

Pour autant, si la direction prise par Madrid, et qui doit encore être confirmée d’autant qu’il serait question de commander de nouveaux Typhoon aux cotés des F-35A pour apaiser les industriels ibères, peut apparaitre justifiée, elle n’en représente pas moins une grave menace quant à la poursuite du programme SCAF. En effet, l’investissement pour le remplacement des Hornet et Harrier, soit hypothétiquement 25 F-35A, 25 F-35B et 25 Typhoon LTE, dépasserait les 10 Md€, et handicaperait très lourdement les capacités d’investissement espagnoles dans le cadre du programme SCAF, ce pour de nombreuses années. En outre, à l’instar de Berlin, dont il est probable que le nombre de F-35A commandés ira croissant dans les années à venir, la dépendance des forces aériennes espagnoles au calendrier du programme européen sera largement réduite, en particulier vis-à-vis de la France qui, de son coté, ne se tournera pas vers l’appareil américain pour seconder ses Rafale dans les années à venir. Sont-ce les prémisses d’un désengagement espagnol vis-à-vis d’un programme problématique et menacé ? Quoiqu’il en soit, il ne fait guère de doutes qu’il s’agit la des conséquences des positions antagonistes prises par Paris et Berlin ces derniers mois sur ce dossier.

Reste que si ce scénario, au demeurant très probable, venait à se réaliser, quelle devrait être la position de la France ? Blâmer Madrid serait vain, d’autant que Paris a été plutôt discret après l’annonce de la décision allemande en faveur du Lightning II il y a quelques mois. En revanche, entre les délais et les menaces qui touchent SCAF, et l’alternative que représente le F-35 à court et moyen termes, il est désormais indispensable pour la France de developper, elle aussi, une solution palliative susceptible de s’immiscer entre le Rafale actuel, et le SCAF au delà de 2045. Dans ce domaine, comme nous l’avions abordé, le developpement d’un Super Rafale pleinement ancré dans la 5ème Génération, ainsi que d’un drone de combat furtif dérivé du programme Neuron, constitueraient la meilleure réponse tant pour préserver les capacités opérationnelles relatives des forces aériennes françaises, y compris contre de puissants adversaires potentiels comme la Russie et son Su-57, que pour préserver la position de l’industrie aéronautique militaire nationale sur la scène internationale, chose que le Rafale, en dépit de ses qualités et de ses évolutions successives, ne pourra effectuer au delà de 2030 ou 2035.

La drone de combat Neuron lors dun vol dessais avec un Rafale Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Face aux délais qui frappes le programme SCAF, la France aurait tout intérêt à s’engager dans le developpement d’une solution intérimaire de 5ème génération.

Dès lors, loin de représenter un argument de brouille entre Paris et Madrid, la décision probable espagnole en faveur du F-35 pourrait représenter l’aiguillon ultime et pourtant nécessaire pour amener les autorités françaises à réviser leurs paradigmes en matière de politique industrielle, et d’accepter que la dépendance complète vis-à-vis de programmes européens constitue, dans les faits, une contrainte telle qu’elle en vient à menacer l’exécution du programme lui-même. Dit autrement, quel aurait été le destin de l’A400M en l’absence de la solution C-130, ou du NH90 en l’absence du Caracal ? En développant des solutions intermédiaires permettant à la fois de créer un tuilage opérationnel et technologique au sein des forces armées, et de maintenir l’attractivité de l’offre industrielle sur la scène internationale, Paris lèverait de nombreuses contraintes qui aujourd’hui entravent la poursuite des programmes SCAF mais également MGCS, CIFS ou MAWS. Il n’y a plus qu’à espérer que dans le cadre des travaux préparatoires à la conception de la prochaine Loi de Programmation Militaire, de telles considérations soient étudiées et éventuellement retenues.

Sur fond de tensions croissantes avec Pékin, Taïwan veut augmenter ses dépenses de Défense de 13,9% en 2023

Il y a tout juste une année, les autorités de Taipei annonçaient une hausse du budget de défense de l’ile autonome depuis 1949, pour porter à 16,8 Md$, 418 Md$ Taiwan, le budget 2022, soit une hausse de 5,2% vis-à-vis de 2021, afin de répondre à la montée de la menace que faisait peser le renforcement rapide des forces armées de la République Populaire de Chine. Ce faisant, Taiwan entendait dépasser le seuil actuel de son effort de défense fixé à 2% de son PIB, pour le faire croitre progressivement vers 3%. La guerre en Ukraine, mais également la hausse sensible des tensions avec Pékin ces derniers mois, et les démonstrations de force de l’APL suite à la visite de la President de la Chambre des Représentants US sur l’ile il y a quelques semaines, ont semble-t-il convaincu les autorités taïwanaises d’accélérer le rythme de cette croissance, puisqu’elles ont annoncé, aujourd’hui, qu’elles entendaient faire croitre cet effort de défense à 586,3 Md$ Taiwan, soit 19,4 Md€ US, une hausse de 108,Md$ T et de 13,9% en valeur relative.

Pour Taiwan, il s’agit avant tout d’accroitre la modernisation et le renforcement de ses capacités défensives. Ainsi, ce nouveau budget servira en partie à financer l’acquisition de nouveaux avions de combat chargés de tenir en respect les chasseurs, bombardiers et drones chinois de plus en plus nombreux à être déployés face et autour de l’ile, y compris par delà la ligne de séparation dans la passe de Taiwan jusqu’ici considérée comme ligne de démarcation entre les deux pays. De manière interessante, cette hausse est toutefois inférieure à la hausse global du budget de l’Etat, qui atteindra plus de 20% en 2023. En effet, le budget de La Défense taiwanais ne représente que le 4ème poste budgétaire de l’Etat pour 14,6% de celui-ci, se plaçant après les budgets consacrés aux prestations sociales, à l’éducation et au soutien à l’économie.

Brave eagle taiwan Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Après le chasseur bimoteur F-CK-1 dérivé du F-16, l’industrie aéronautique taïwanaise a conçu le Brave Eagle, un avion d’entrainement et d’attaque destiné à former les pilotes de F-16V, et a entrepris le developpement d’un chasseur de 5ème génération

Il faut dire que Taiwan dispose, contrairement aux démocraties européennes, d’un contexte economique et budgétaire favorable, avec une croissance annuelle de plus de 4%, et un endettement inférieur à 25% de son PIB. En outre, le pays peut s’appuyer sur plusieurs points forts économiques valorisables à l’échelle mondiale, en particulier dans le domaine de la production de semi-conducteurs. Ainsi, le géant taiwanais TSMC controle aujourd’hui à lui seul presque 25% des semi-conducteurs dans le monde, 49% du marché mondial de production, et même 92% des puces d’ordinateurs, loin devant son premier compétiteur, Samsung, qui n’atteint que 12% de parts de marché. A elle seule, l’entreprise contribue à hauteur de 6% du PIB de l’ile, et sa valorisation boursière de 540 Md$ représente presque 65% de ce même PIB. Lé dépendance occidentale aux semi-conducteurs de TSMC constitue aussi bien un motif supplémentaire pour Pékin de réintégrer l’ile à la République Populaire de Chine, que la meilleure garantie de Taipei concernant l’implication occidentale dans sa défense. En effet, perdre cette capacité industrielle pourrait représenter, pour l’occident, une catastrophe economique bien supérieure à celle que pouvait constituer l’annexion du Koweit par l’Irak de Saddam Hussein sur le marché des hydrocarbures, et qui mobilisa pourtant la plus grande coalition militaire de l’histoire moderne.

Dans ce domaine, même les entreprises chinoises dépendent pleinement des exportations taïwanaises de semi-conducteurs, ceci expliquant très probablement la retenue de Pékin concernant l’annexion de l’ile, et la patience dont font preuves dirigeants et stratèges chinois afin de ne déclencher les opérations qu’une fois l’ensemble des conditions réunies, et que l’opération militaire, qu’il s’agisse d’un assaut amphibie ou d’un blocus naval, puisse se faire en préservant les capacités industrielles stratégiques de l’ile, et sur une durée suffisamment courte pour ne pas handicaper dans la durée l’economie chinoise elle-même. A l’inverse, les stratèges taiwanais savent parfaitement que plus la confrontation, y compris à fleuret moucheté, durera, plus il sera compliqué pour Pékin d’atteindre ses objectifs stratégiques, et de préserver cet outil, face à la probable mobilisation massive des occidentaux. Là encore, l’exemple du conflit en Ukraine, très mal évalué par Moscou sous couvert probable de pressions politiques, démontre toute la difficulté de s’emparer militairement d’un pays qui s’est préparé à cette hypothèse, et qui dispose du soutien des économies occidentales.

Taiwan to launch next year upgrade program of its Chien Lung class submarines 925 001 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Dans une relative discrétion, Taiwan a entreprit de construire une nouvelle classe de sous-marins à propulsion conventionnelle avec le soutien des Etats-Unis

Pour autant, au-delà de ses capacités d’investissement et de mobilisation, Taiwan souffre, pour renforcer sa défense, d’un isolement stricte imposé par Pékin concernant les technologies de défense, en dehors des Etats-Unis. En effet, dans certains domaines critiques comme celui des sous-marins à propulsion conventionnelle, des frégates ou des blindés, les capacités industrielles et technologiques européennes excèdent très largement celles des Etats-Unis, et seraient un atout de poids pour Taipei afin de garder l’Armée Populaire de Libération en respect. Toutefois, les économies européennes sont à ce point liées à la production chinoise qu’il leur est impossible d’accorder à Taipei des licences d’exportation de matériel militaire, de crainte de devoir subir l’ire de Pékin, d’autant que dans ce domaine, les autorités chinoises savent pertinemment jouer de la menace et de la rétorsion, comme ce fut le cas contre l’Estonie en 2021 sur fonds d’approfondissement des relations diplomatiques entre l’Etat balte et l’ile autonome.

Reste qu’il sera probablement nécessaire pour les pays européens, en particulier les plus actifs sur la scène internationale comme la France, l’Allemagne ou l’Italie, de se pencher sur les risques que représentent une trop grande dépendance economique et industrielle vis-à-vis de la Chine Populaire, et du risque que représenterait la perte de souverainement de Taiwan sur le marché des semi-conducteurs. Dans ce domaine, l’exemple des conséquences de la naïveté européenne vis-à-vis de la dépendance aux hydrocarbures russes devrait probablement appeler à une posture beaucoup plus ferme de la part des européens en faveur d’un soutien militaire et technologique à Taïwan, mais également pour un diminution des relations économiques avec Pékin, tant pour se prémunir des conséquences de ce qui se dessine comme une très probable confrontation à venir, que pour amener Pékin à plus du prudence dans ses ambitions, et plus de modération dans ses exigences. Car si le temps de l’abondance a pris fin, il serait également plus que temps que celui de la naïveté vienne également à son terme face aux ambitions chinoises, russes, iraniennes ou turques.

Rheinmetall fourbit sa stratégie pour déloger le programme de char franco-allemand MGCS

A l’instar du programme d’avion de combat de nouvelle génération SCAF qui rassemble Paris, Berlin et Madrid, le programme Main Ground Combat System ou MGCS, qui vise à concevoir le remplaçant des chars français Leclerc et allemands Leopard 2, fait aujourd’hui l’objet de nombreuses interrogations et craintes. Si SCAF est avant tout menacé par l’opposition entre Dassault Aviation et Airbus DS, MGCS est, pour sa part, attaqué par l’allemand Rheinmetall, invité de dernière minute dans ce programme qui devait initialement être développé par le groupe KNDS résultat du rapprochement entre le français Nexter à l’origine du Leclerc, et le groupe allemand Krauss Maffei Wegman, père du Leopard et du Leopard 2. Pour Rheinmetall, premier groupe de défense allemand, qui participa notamment à la conception du Leoaprd 2 en fournissant, entre autres, son canon, il n’était en effet pas question que le nouveau char allemand se fasse sans lui. Depuis, les difficultés se sont accumulés, Rheinmetall qui jouit de puissant appuis politiques au Bundestag, jouant des coudes pour s’imposer, notamment au détriment du français Nexter, alors même que le programme doit respecter une stricte parité industrielle entre la France et l’Allemagne.

De fait, le groupe rhénan semble, depuis quelques mois, déployer une stratégie visant non pas à s’imposer au sein du programme MGCS, mais à le faire dérailler. Et l’arme choisie par Rheinmetall pour cela n’est autre qu’un autre char de combat, développé en fonds propres, le KF-51 Panther. Présenté lors du salon Eurosatory 2022, le Panther est un char de 59 tonnes parfaitement moderne, armé du nouveau canon Rh-130 L/52 de 130mm proposé précisément par Rheinmetall pour armer le MGCS face à l’ASCALON de 140mm de Nexter, d’un moteur MB 873 Ka-501 V12 turbodiesel à refroidissement liquide de 1500 cv, d’un blindage composite de dernière génération ainsi que d’un système APS ADS développé par ce même Rheinmetall. Désigné comme un prototype, et non un démonstrateur, le KF-51 Panther est, selon son concepteur, prêt à produire, et peut constituer, dans les faits, une alternative à l’arrivée du K-2 Black Panther sud-coréen en Europe, ce dernier ayant justement obtenue une commande historique de 500 exemplaires de la part de la Pologne il y a quelques semaines.

ASCALONf Nexter Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le Rh-130 de Rheinmetall s’oppose à l’Ascalon de Nexter pour armer le MGCS

Au delà du char lui-même, Rheinmetall développe une stratégie en pleine adéquation avec la réalité géopolitique, en insistant sur le fait que le Panther est prêt à produire, là ou le MGCS ne le sera, dans le meilleur des cas, d’ici une dizaine d’années. Or, la Bundeswehr comme l’immense majorité des armées européennes, souhaitent désormais accroitre leur parc de chars et de véhicules blindés pour répondre à l’évolution stratégique en Europe, et notamment à la menace russe. En outre, au delà du MGCS, les autres programmes franco-allemands initiés par Angela Merkel et Emmanuel Macron en 2017, sont tous plus que menacés, avec un SCAF à l’arrêt sur fond de désaccord industriel, un MAWS (patrouille maritime) stoppé par l’acquisition de P8A Poseidon par Berlin, un CIFS (Artillerie) à l’arrêt depuis 2 ans, et l’abandon de la participation allemande au programme Tigre III (hélicoptère de combat). Enfin, Berlin semble déterminé à devenir, dans les années à venir, la principale force armée conventionnelle européenne, ce qui ne peut se faire qu’en accroissant sensiblement le parc de chars lourds en service, au delà des 380 Leopard 2 en parc.

Dans ce contexte, le Panther de Rheinmetall s’avère non seulement une alternative séduisante politiquement et industriellement pour Berlin, mais la seule alternative applicable à court ou moyen terme, c’est-à-dire dans dans la fenêtre d’opportunité stratégique identifiée par le Chancelier allemand pour s’imposer en Europe. En effet, selon Armin Papperger, le CEO de Rheinmetall, les armées européennes s’apprêteraient à remplacer, d’ici 2030, 1000 des 8000 chars en service sur le vieux continent. Et d’ajouter que le KF-51 Panther pouvait s’imposer sur plus de la moitié de ces besoins, sachant qu’il en ira probablement au moins autant sur la période 2030-2035. Sans le dire, Papperger invite Berlin à passer commande de son nouveau char, condition nécessaire mais également suffisante pour lancer la dynamique industrielle et commerciale en Europe, et ainsi ne pas laisser pleine liberté au K2 Black Panther polono-coréen. Et de d’appuyer sur le demi échec du KF-41 Lynx, ce véhicule de combat d’infanterie haut de gamme boudé par la Bundeswehr et qui peine à s’imposer en Europe et dans le Monde, laissant des espaces importants à l’AScod et au CV-90.

K2 tout terrain Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le K2 Black Panther commandé par la Pologne à la Corée du Sud est perçu comme une menace très sérieuse à l’hégémonie allemande en Europe concernant les materiels blindés

En d’autres termes, Rheinmetall met aujourd’hui Berlin fasse à ses responsabilités, pour préserver son industrie et son influence dans le domaine des blindés en Europe et dans le monde, influence menacée par l’émergence d’offres alternatives et surtout par l’inadéquation du calendrier du MGCS avec les besoins émergents et accélérés par la crise en Ukraine. Toutefois, il est probable que les ambitions du groupe bavarois dépasse ce seul aspect. En effet, contrairement au Leopard 2 conçu et construits par KMW avec l’aide de Rheinmetall, le Panther est un produit exclusivement développé par ses équipes, sans l’intervention de son concurrent direct germanique. En outre, pour peu que le Panther offre des performances jugées satisfaisantes par la Bundeswehr, il pourrait non seulement porter un coup fatal au MGCS en renforçant la main mise de Rheinmetall sur l’évolution des forces blindées allemandes, mais il pourrait contraindre la famille Baude à accepter son offre de d’achat dans une stratégie de consolidation industrielle probablement très bien vue du Bundestag et d’une majorité des autorités allemandes, qui permettrait au groupe d’amener la Bundeswehr à reconsidérer son KF-41 Lynx pour accroitre son infanterie mécanisée, tout en renforçant l’attractivité de l’offre allemande dans les compétitions internationales.

On le voit, la stratégie de Rheinmetall dépasse probablement très largement le seul périmètre du marché européen d’ici 2030 présenté par son président. Le groupe allemand, qui base une grande partie de sa stratégie sur des opportunités de croissance externe, vise probablement à éliminer par la même occasion KMW de l’équation, pour s’emparer de manière exclusive du marché des blindés allemandes, et avec lui, d’une bonne partie du marché européen. Reconnaissons qu’une telle conjonction d’ambitions et d’opportunités est rare, et qu’elle valait probablement les investissements consentis pour developper en fond propre le Panther ….Quant à la France dans cette équation, elle ne joue probablement que très peu de rôles à la marge, à moins qu’elle entreprenne, elle aussi, de son coté, le developpement d’une nouvelle famille de blindés chenillés moyens, probablement le marché le plus prometteur dans les années à venir, à la vue des retours d’experience en Ukraine.

Que nous apprend l’effort de défense chinois sur les ambitions réelles de Pékin ?

L’effort de défense chinoise, rarement évoqué par les autorités du pays, est souvent difficile à évaluer. Pourtant, l’analyse des informations publiques permet d’en déterminer les ambitions réelles visées par Pékin, ainsi que la stratégie qui sera employée pour y parvenir.

Début aout, le Chef des opérations navales américains, l’amiral Mark Gilday, présentait le plus ambitieux plan de monter en puissance de l’US Navy depuis la fin de la guerre froide.

Désigné « Navigation Plan 2022« , le document présentait une stratégie pour amener l’US Navy à disposer, en 2045, de 12 porte-avions à propulsion nucléaire, de 66 sous-marins nucléaires d’attaque, de 96 destroyers et 56 frégates ainsi que de 3 000 aéronefs dont 1300 avions de chasse, aux côtés de 12 sous-marins lanceurs d’engin, de 31 grands navires amphibies et de 150 navires de surface et sous-marins autonomes.

L’objectif de ce plan, qui doit encore être approuvé par l’exécutif et soutenu par le législatif alors qu’il suppose une hausse significative des investissements, est de maintenir sous contrôle la montée en puissance de la flotte chinoise, et dans une moindre mesure, des autres flottes potentiellement hostiles, comme la Marine russe.

La Chine, pour sa part, ne communique pas sur ses objectifs de format, et très peu sur ses objectifs stratégiques. Il est donc nécessaire d’extrapoler ces informations sur la base de données périphériques.

Pour ce faire, il est pertinent de se pencher sur le dimensionnement de l’outil industriel militaire chinois, et sur ses capacités de production constatée ces dernières années, et plus particulièrement sur les capacités industrielles navales démontrées ces dernières années.

Type 055, Type 052D, Type 054A : la Marine chinoise développe une flotte qui surpassera en nombre l’US Navy dès 2035

En effet, depuis 2015, les forces navales de l’Armée Populaire de Libération ont connu une rapide et massive évolution, avec l’arrivée de nouveaux navires comme les destroyers Type 052D puis leur version allongée DL, ainsi que les croiseurs Type 055.

Plus amont, l’entrée en service des frégates de lutte anti-sous-marine Type 054A à partir de 2008 permit à Pékin d’accroitre sensiblement ses capacités hauturières, aux côtés des navires d’assaut LPD Type 071, alors que la protection ASM côtière était confiée à une vaste flottille de corvettes Type 056A et de sous-marins à propulsion conventionnelle Type 039A.

Dans les faits, de 2017 à aujourd’hui, les forces navales chinoises ont perçu 10 nouveaux destroyers Type 052D, 8 Type 052DL et 6 Type 055, soit une moyenne de 4,5 nouveaux destroyers par an, alors que sur les 3 dernières années, ce nombre se rapproche de six destroyers livrés par an.

le Effort de defense chinois dans le domaine naval permettra à la Marine chinoise de faire jeu égal avec l'US Navy dans le pacifique dès 2035.
Les chantiers navals chinois produisent en moyenne 5 destroyers Type 052D et DL par an, un navire de 7 500 tonnes armés de 64 silos verticaux pour la defense anti-aérienne et antinavire.

Rien n’indique que ce rythme effréné de production soit appelé à ralentir. Ainsi, aujourd’hui, il n’y a pas moins de 12 destroyers à différents stades de construction dans les chantiers navals chinois, alors que la production de frégate Type 054A ou B semble destinée à reprendre à une cadence moyenne de 2 à 3 nouveaux navires par an.

De fait, à ce rythme, la Marine chinoise alignera, en 2035, de 20 à 25 croiseurs, de 60 à 65 destroyers, ainsi qu’une cinquantaine de frégates, soit sensiblement le même format que celui visé par l’US Navy, mais en 2045.

Dans cette dynamique, pour peu que Pékin maintienne son effort dans ce domaine, celle-ci disposera en 2045 de plus de 50 croiseurs, plus de 125 destroyers et de 80 à 100 frégates, soit une flotte deux fois plus importante que l’ensemble de la flotte de surface combattante de l’US Navy à cette date. Elle serait même à égalité avec l’agglomération des flottes alliées américaines, australiennes, néo-zélandaises, japonaises et sud-coréennes.

Une centaine de sous-marins chinois en 2040

La situation sera probablement similaire concernant les flottes sous-marines, avec une centaine de submersibles de part et d’autres, même si la Chine disposera très probablement de moins de navires à propulsion nucléaire que l’alliance Pacifique.

En revanche, rien ne permet de penser que Pékin viserait à égaler l’US Navy et ses alliés en termes de nombre de porte-avions ou de navires amphibies, avec un objectif probable plus proche de 7 à 8 porte-avions et d’une vingtaine de grands navires amphibies, soit moitié moins que n’en auront les Etats-Unis et leurs alliés régionaux.

Il semble donc évident que Pékin se prépare activement à un bras de fer naval tendu avec les Etats-Unis et leurs alliés, mais dans un périmètre relativement peu éloigné des côtes chinoises, comme le confirment les investissements plus modérés de Pékin dans d’autres domaines, comme celui de la construction de véhicules blindés, ou encore d’avions de combat.

En effet, si les chantiers navals chinois produisent aujourd’hui trois fois plus vite que leurs équivalents de la zone pacifique, les constructeurs aéronautiques, eux, délivrent leurs nouveaux avions de combat à un rythme beaucoup plus proche de ceux appliqués en Europe, et non aux Etats-Unis.

J-10, J-15, J-16, J-20 : la production aéronautique chinoise handicapée par les délais de mise au point des turboréacteurs nationaux

Ainsi, les forces aériennes et aéronavales chinoises perçoivent en moyenne chaque année une quinzaine de chasseurs bombardiers J-16, autant de chasseurs embarqués J-15, une vingtaine de chasseurs furtifs lourds J-20 et de 20 à 30 chasseurs légers J-10C, soit entre 70 et 80 nouveaux appareils. La seule ligne de production du F-35 de Forte Worth assemble, pour part, plus de 135 appareils par an, et ‘elle prévoit d’en livrer plus de 160 une fois la pleine production industrielle lancée.

Sur cette trajectoire, les forces aériennes chinoises viseraient un format de l’ordre de 2.500 à 3.000 avions de combat, contre plus de 4 000 pour les seuls Etats-Unis (USAF, USN et USMC).

WS10B J10C e1620821405613 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
La production de chasseurs chinois est probablement handicapée par les difficultés rencontrées par Pékin pour produire des turboréacteurs garantissant des capacités et une fiabilité comparables aux moteurs russes qu’ils remplacent.

Notons toutefois que pour ce qui concerne la relative faible cadence de production des avions de combat chinois, celle-ci pourrait aussi bien résulter d’une stratégie politique et militaire parfaitement maîtrisée en vue des besoins à court et moyens termes, que de la résultante de certaines contraintes technologiques.

En effet, jusqu’il y a peu, les avions chinois étaient propulsés par des turboréacteurs de facture soviétique puis russe. Depuis une dizaine d’années, les ingénieurs chinois sont parvenus à mettre au point de nouveaux turboréacteurs, comme le WS-10, qui remplacent progressivement les Klimov et Saturn russes à bord des J-10C, J-16 et J-20.

Toutefois, les performances, la fiabilité et la durée de vie de ces moteurs semblent encore inférieures à celles des modèles russes, et très loin des qualités démontrées des moteurs occidentaux.

Il est possible que, dans ce contexte, Pékin attende de disposer de modèles de turboréacteurs de facture nationale parfaitement fiables avant de dimensionner son effort industriel pour produire des avions de combat en plus grande quantité. Ce fut, soit dit en passant, exactement cette stratégie qui fut appliquée pour ce qui concerne les frégates et les destroyers chinois.

Des ambitions plus mesurées pour la composante terrestre chinoise

La situation est sensiblement similaire pour ce qui concerne les avions de transport et de ravitaillement, les hélicoptères ou encore les véhicules blindés. Ainsi, l’APL aligne uniquement 1 200 chars modernes Type 99 et 99A, ainsi que 2500 Type 096 bien plus anciens et moins performants, et rien n’indique à ce jour qu’un effort particulier soit en préparation pour modifier sensiblement ce format.

Il est aujourd’hui difficile de suivre avec précision le renouvellement des moyens militaires de l’Armée Populaire de Libération, les données publiques étant rares sur le sujet. Toutefois, aucune information récente ne pointe vers un changement sensible de format, ou une accélération notable de l’effort de Pékin dans ce domaine.

Rattraper le retard vis-à-vis des Etats-Unis et de la Russie en matière de dissuasion

Le seul autre domaine dans lequel l’Armée Populaire de Libération semble concentrer effectivement des moyens plus importants est celui de la dissuasion.

Ainsi, celle-ci s’est dotée récemment du nouveau missile balistique à carburant solide DF-41, un système basé sur un missile de 4ᵉ génération d’une portée de 15 000 km, et capable d’emporter jusqu’à 10 têtes nucléaires mirvées. Il est mis en œuvre à partir d’un transporteur-érecteur à 10 essieux, rendant le missile difficile à localiser et à détruire par des frappes préventives.

DF-41 et Type 096, des game changers stratégiques en devenir

Dans le même temps, des observations satellites permirent de mettre au jour la construction de 3 sites de silos de missiles intercontinentaux pour un total de presque 400 silos, soit sensiblement autant que le nombre de missiles Minuteman IV en service au sein de l’US Air Force et que de missiles SS-18, SS-19, SS-25 et SS-27 en service dans les forces stratégiques russes.

Dans le même temps, Pékin poursuit le développement de son futur sous-marin nucléaire lanceur d’engin Type 096, qui lui permettra enfin de mettre sa force océanique stratégique à niveau de celles des quatre autres grandes nations nucléaires mondiales. De même, il multiplie les développements de vecteurs à capacité nucléaire, qu’ils soient aéroportés, navals ou terrestres, mais aussi balistiques, de croisière ou hypersoniques, et qu’ils soient à vocation tactique ou stratégique.

silos China e1629114976685 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Pas moins de 380 silos verticaux seraient en cours de construction sur différents sites en Chine

Que nous disent ces données ? En premier lieu, tout indique que Pékin se prépare activement à un rapport de force musclé avec les Etats-Unis, puisqu’il est évident que son effort est pleinement dimensionné pour cette perspective.

Un effort de défense chinois dimensionné pour le futur blocus de Taïwan

En revanche, rien ne permet de penser que la Chine ambitionne de se lancer dans une campagne navale et aéroterrestre comparable à celle entreprise par l’empire du Japon en 1941. En effet, Pékin semble, pour l’instant, ne pas anticiper de grandes confrontations terrestres, et ne dimensionne de fait ni ses forces terrestres, ni ses forces aériennes pour une telle campagne.

De même, l’effort mesuré dans le domaine aéronaval et amphibie laisse penser que les objectifs militaires chinois demeureront à proximité de ses propres bases aériennes, de sorte à bénéficier de la puissance de son armée de l’air, là où les Etats-Unis et leurs alliés devront s’appuyer sur leurs forces aéronavales.

Enfin, cela nous indique que Pékin entend jouer la carte du Pat Stratégique, c’est-à-dire mobiliser ses forces stratégiques pour empêcher une escalade conventionnelle, en assumant pleinement le concept de destruction mutuelle assurée.

Une fois remis dans le contexte géopolitique du moment, on comprend que l’essentiel de l’effort de défense chinois aujourd’hui se concentre sur une mission, et une seule, la prise de Taïwan, de la manière la plus fulgurante possible.

Pour ce faire, Pékin entend mobiliser une flotte d’une telle densité qu’elle sera en mesure de dissuader toute velléité de soutien ou d’intervention de la part des Etats-Unis et de leurs alliés. Si toutefois cette stratégie venait à ne pas suffire, Pékin jouera, de toute évidence, la carte de dissuasion, pour bloquer en ultime recours les initiatives américaines.

En outre, le dimensionnement et la composition de la flotte de surface en cours de constitution, accrédite l’hypothèse d’une stratégie de blocus naval, et non d’assaut amphibie frontal, pour faire plier la résistance des Taïwanais. Raison pour laquelle la flotte doit être volumineuse et très visible, sur la base de navires de surface bien armés évoluant sous le couvert des forces aériennes et aéronavales chinoises.

Type 99A APL e1630333094112 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
L’APL n’aligne à ce jour que 1200 chars lourds modernes Type 099 et 099A

Peu d’alternatives pour l’US Navy et l’occident

Si tel est bien le cas, il parait des plus difficile d’envisager que les forces navales et aéronavales américaines et alliées puissent effectivement prévenir la mise en place d’un tel blocus au-delà de 2030, date à laquelle la flotte chinoise aura un avantage numérique net sur celles déployées sur ce théâtre par l’US Navy.

Il le serait encore davantage d’espérer pouvoir rompre ce blocus par un affrontement direct qui entraînerait, selon toute probabilité, la mobilisation des forces stratégiques des deux camps.

Une fois le blocus établit, et tout espoir de renfort américain éliminé, on peut imaginer que les stratèges chinois espèrent une reddition relativement rapide, et surtout peu couteuse en hommes et matériels, de la part des Taïwanais, même s’il ne fait guère de doute que ceux-ci tenteront de le briser militairement.

En revanche, et de manière objective, rien n’indique à ce jour que Pékin ambitionne d’accroitre ses conquêtes territoriales au-delà des quelques espaces contestés proches autour de Taïwan et en Mer de Chine du Sud, ses forces terrestres et aériennes conventionnelles n’évoluant pas dans ce sens, tout au moins à ce jour.

La Corée du Sud lance le developpement d’une famille de drones de combat furtifs

Longtemps largement dépendante des materiels militaires occidentaux, en particulier américains et allemands, la Corée du Sud a entreprit, il y a une vingtaine d’années, de developper rapidement et avec des grandes ambitions sa propre industrie de défense. Ces dernières années, Séoul récolte les lauriers de ses investissements, non seulement en ayant augmenté son autonomie stratégique de manière spectaculaire avec le developpement de nouveaux équipements performants comme les destroyers de la classe Seijong le Grand, les sous-marins Dosan Anh Changho ou les systèmes d’artillerie K9, mais également en multipliant les succès sur la scène internationale pourtant très concurrentielle, dont le récent super-contrat signé avec Varsovie représente un aboutissement. Loin de se reposer sur ses lauriers, Séoul poursuit ces efforts, avec le developpement de materiels de très haute technologie, comme le nouveau chasseur furtif KF-21 Boramae ou les nouveaux missiles balistiques à changement de milieux Hyunmoo.

Le 12 aout, l’Agence coréenne de developpement de La Défense a annoncé le lancement d’un nouveau programme, attribué à la société Korean Air, en vue de developpement une famille de drones de combat furtifs capables d’assister les avions de combat mais également d’évoluer de manière autonome en zone contestée, dans le cadre d’un super-programme visant à developper des technologies de défense innovante. Selon le site du constructeur, les travaux concernant la conception initiale du programme débutèrent en novembre dernier, et furent menés à leur terme avant l’annonce officielle de l’ADD. L’objectif visé par le programme est de permettre à 3 ou 4 drones furtifs d’évoluer sous le controle d’un unique appareil piloté, et comprend notamment les interfaces de connexion et de controle entre appareils pilotés et autonomes, mais également de doter les drones de capacités avancées en matière d’intelligence artificielle pour mener des actions autonomes. Pour l’heure, aucune information n’a été publiée concernant le calendrier du programme, son budget ou encore les capacités opérationnelles visées. Les images d’illustration publiée par Korean Air montre un drone furtif proche dans sa forme et ses dimensions du Valkyrie américain, sans que l’on puisse déterminer les performances visées ou les capacités d’emport de ces drones.

UAV Korean Air Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Image d’illustration du programme de Koean Air de drones furtifs de combat – Remarquez le chasseur de 6ème génération au centre.

L’annonce sud-coréenne s’inscrit dans une dynamique internationale très active pour le developpement de ce type de matériel. Aux Etats-Unis, outre le MQ-25 Singray de l’US Navy destiné au renseignement et au ravitaillement en vol, plusieurs programmes visent à developper une nouvelle génération de drones de combat furtifs, qu’ils soient destinés à remplacer les drones MALE et HALE afin d’en accroitre la survivabilité, ou de drones de type Loyal Wingmen pour accompagner et étendre les capacités de avions de combat pilotés. La Russie, pour sa part, développe conjointement le drone de combat furtif lourd à long rayon d’action S-70 Okhtonik-B destiné à accompagner les Su-57 et, semble-t-il, remplacer les chasseurs legers au sein des forces aériennes étrangères aéronavales du pays, ainsi qu’un programme de drone plus léger de type loyal wingmen désigné GROM. La Chine développe depuis plus d’une décennie la famille des drones de combat furtif Sharp Sword, dont le GJ-11 présenté officiellement en 2019 serait le premier modèle opérationnel. Plus récemment, elle a présenté elle aussi un modèle de type Loyal Wingmen très semblable au XQ-98A Valkyrie américain. Le turc Baykar développe de son coté un drone de combat furtif destiné a prendre la relève du célèbre TB-2 et à accompagner le futur chasseur TFX. L’Australie, la Grande-Bretagne et le Japon développent eux -aussi des programmes de type Loyal Wingmen.

Et la France ? L’industrie aéronautique française avait entrepris de developper la technologie des drones de combat furtif de longue date, en particulier au travers des démonstrateurs petit duc et grand duc de Dassault Aviation, qui aboutirent au début des années 2010 à la conception du démonstrateur de drone de combat furtif Neuron. Malheureusement, l’abandon par Londres du programme FCAS qui visait à co-developper avec la France un appareil de ce type à horizon 2030, mit à l’arrêt les développements dans ce domaine, ce d’autant que la composante drone et Remote Carrier du programme SCAF rassemblant l’Allemagne, l’Espagne et la France de plus en plus menacé, est sous le controle de l’allemand Airbus Defense and Space, le français MBDA n’ayant qu’un rôle de partenaire dans ce pilier. De fait, il n’existe plus en France, depuis l’abandon de FCAS par Londres en 2014 confirmé en 2017, de programme actif visant à developper ce type de capacités, en dépit des besoins de plus en plus évidents dans ce domaine.

La drone de combat Neuron lors dun vol dessais avec un Rafale Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le programme Neuron pourrait bien être ressuscité par Dassault Aviation dans le cadre des mesures alternatives au SCAF

Toutefois, les enseignements de la guerre en Ukraine, mais également les tensions croissantes dans le monde face à des nations téchnologiquement avancées, ont conduit l’exécutif français à annoncer la conception d’une nouvelle Loi de Programmation Militaire qui devra prendre effet dès 2023, et qui visera à adapter l’outil militaire mais également industriel et civil français aux changements en cours. Il est donc probable, dans ce contexte, que des initiatives nationales seront annoncées dans ce domaine, ce d’autant que le programme SCAF semble de plus en plus menacé dans sa pérennité comme dans son calendrier.

Il n’est pas anodin, dans ce contexte, que Dassault Aviation ait proposé, comme alternative au SCAF, de developper un drone de combat furtif dérivé du Neuron, ce qui permettrait potentiellement à la France de combler son retard dans ce domaine, pour peu que la décision ne soit pas retardée par des hésitations autour de l’avenir de la coopération franco-allemande. En outre, le missilier MBDA a, de son coté, mené des études avancées afin de developper des drones de combat furtifs légers aéroportés de type Remote Carrier, offrant des capacités complémentaires à celles d’un drone plus lourd comme le Neuron. Reste à voir comment les autorités françaises vont pouvoir répondre à ces enjeux dans le contexte économique et budgétaire du moment. En effet, la question des drones de combat furtifs, toute critique qu’elle puisse être, ne représente qu’un des aspects des besoins des armées françaises à court et moyen termes pour répondre aux évolutions des enjeux sécuritaires.

L’hypothèse du chantage nucléaire se concrétise à Pékin sur le dossier Taïwanais

Dès l’entame des opérations militaires en Ukraine fin février 2022, Moscou entreprit de faire croitre les tensions avec l’occident en multipliant les démonstrations de force, les exercices et les déclarations concernant l’usage possible de ses capacités nucléaires. Pour le Kremlin, il s’agissait d’empêcher les Européens et les Américains de répondre favorablement aux demandes ukrainiennes quant à la mise en oeuvre d’une zone d’exclusion aérienne mais également contre la livraison de systèmes d’armes performants occidentaux aux armées ukrainiennes. Si effectivement la « No Fly Zone » au dessus de l’Ukraine n’a jamais été mise en place, à juste titre puisque le risque d’une globalisation du conflit aurait été bien trop élevé, les européens et américains ont augmenté progressivement les quantités et les performances des materiels militaires fournis aux ukrainiens, sans que Moscou, et la menace nucléaire brandie de manière répétée, ne puissent effectivement s’y opposer.

Toutefois, les résultats obtenus semblent avoir convaincu les autorités chinoises. En effet, à l’occasion de la controversée visite de la présidente de la Chambre des Représentants américaine, la députée démocrate du Californie Nancy Pelosi, Pékin a multiplié les démonstrations de force, y compris en ce qui concerne ses armes nucléaires, ainsi que les annonces laissant entendre qu’une intervention militaire américaine pour s’opposer à l’annexion de Taïwan par la République Populaire de Chine, pourrait donner lieu à l’utilisation d’armes nucléaires, y compris stratégiques. C’est ainsi que plusieurs videos montrant le déploiement et le ravitaillement de missiles balistiques intercontinentaux DF-5 furent publiées quelques jours après la visite éclair de la parlementaire américaine à Taipei, ainsi que divers photos et videos d’autres systèmes d’armes à plus courte portée, comme le DF-16, le DF-27 et le DF-15B. Quant à la menace, elle fut portée dans la presse chinoise par différents analystes et anciens officiers de l’APL, une manière de ne pas impliquer directement l’Etat chinois tout en faisant clairement passer le message.

DF 5 Silo e1627389420857 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Le DF-5A est un missile balistique intercontinental à carburant liquide d’une portée de 15.000 km capable d’emporter jusqu’à 6 ogives nucléaires MIRV

La nouvelle posture chinoise, qui jusqu’à présent n’avait jamais, même indirectement, développé de telles méthodes, n’est en soit pas une surprise. En mai 2022, le commandant l’US Strategic Command, l’Amiral Charles Richard, avait ainsi prévenu qu’il fallait désormais s’attendre, à la vue des postures employées par Moscou dans le cadre du conflit ukrainien, à ce que la Russie, mais également la Chine, multiplient ce type de menaces et postures afin d’entraver les capacités de nuisance voire d’intervention des pays occidentaux. Il n’aura donc guère fallu attendre pour que cette prédiction se concrétise, même si, dans le cas chinois, la menace est plus indirecte que dans le cas russe, le conflit l’étant lui aussi de la même manière.

Pour autant, si les premières menaces russes avaient effectivement fait quelques effets notamment dans les médias européens, celles-ci atteignirent rapidement leurs limites. En mars, déjà, les nations nucléaires de l’OTAN répondirent avec force à la menace en augmentant sensiblement leurs capacités de riposte nucléaires, notamment sous-marines, alors que les dirigeants politiques occidentaux montrèrent leur determination à ne pas se laisser intimider par Moscou. Qui plus est, sous l’impulsion des pays les plus déterminés comme la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et les pays baltes, les grandes nations occidentales augmentèrent relativement rapidement les quantités et les performances des materiels militaires livrés aux défenseurs ukrainiens, passant de systèmes non létaux à des systèmes désignés « défensifs », puis à des systèmes de plus en plus lourds, incluant désormais blindés, systèmes anti-aériens, drones, aéronefs et munitions de plus en plus performants, susceptibles désormais de mettre à mal la suprématie militaire russe sur le terrain.

CAESAR Ukraine e1655123372240 Alliances militaires | Analyses Défense | Armes nucléaires
Les menaces et postures nucléaires répétées de Moscou n’ont pas empêché les forces occidentales de livrer des materiels de plus en plus performants aux armées ukrainiennes

Les menaces répétées de Pékin n’ont d’ailleurs ni arrêté, ni même altéré l’augmentation des livraisons de systèmes d’armes américains vers Taïwan ces dernières années. Ces dernières années, Washington a ainsi multiplié les autorisations d’exportation de materiels militaires vers Taipei, avec la vente d’avions de combat F-16V, de chars de combat M1A2 Abrams, ou encore de missiles anti-navires Harpoon, provoquant de manière récurrente l’ire des autorités chinoises. Et si le soutien des autres nations démocratiques vis-à-vis de Taiwan reste très limité, en particulier pour ce qui concerne la livraison d’armes, c’est aujourd’hui encore bien davantage par crainte de mesures de rétorsion économiques de la part de Pékin, qu’en réponse à la menace nucléaire brandit désormais par la Chine.

Reste qu’il serait hasardeux de négliger la portée des menaces chinoises. Contrairement à la Russie qui aujourd’hui est dans une guerre d’invasion, Pékin estime que la question taïwanaise est exclusivement intérieure, et que le territoire séparatiste est d’ores et déjà de plein droit chinois. En d’autres termes, une intervention américaine contre une réunification par la Force lancée par Pékin pourrait fort bien être considérée comme une agression directe des Etats-Unis et de ses alliés contre le territoire chinois, justifiant donc l’emploi d’armes de dissuasion. Une chose est désormais certaine : la question n’est plus aujourd’hui de savoir si Pékin tentera de s’emparer y compris par la force de Taïwan, mais de savoir quand une telle offensive interviendra, et quelle forme prendra-t-elle, et quelles conséquences cette intervention pourra avoir sur les équilibres et la géopolitique mondiale. Malheureusement, ces questions se doivent d’être envisagées à relativement court terme, et intégrer l’hypothèse de l’utilisation d’armes nucléaires contre les forces américaines et alliées, celles-ci venant au secours des défenseurs taïwanais.