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Vente de sous-marins français à l’Australie : une hypothèse plus crédible qu’il n’y parait

Lorsqu’en septembre 2021, les autorités australiennes annoncèrent l’annulation du programme SEA 1000 portant sur la conception et la fabrication locale de 12 sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle de la classe Attack par le Français Naval Group, les relations entre Paris et Canberra semblaient avoir été détériorées pour longtemps. Pourtant, moins d’un an plus tard, la presse française comme australienne évoque, sans grande conviction il est vrai, la possibilité pour la France de proposer à l’Australie la vente de 4 sous-marins de sorte à permettre à la Royal Australian Navy de disposer d’une solution intérimaire entre le retrait des 6 sous-marins de la classe Collins en service depuis déjà plus de 20 ans, et l’arrivée des premiers sous-marins nucléaires d’attaque australiens qui doivent être développés dans el cadre de l’alliance Aukus rassemblant Canberra, Washington et Londres. Cette hypothèse, qui peut sembler loufoque de prime abord, pourrait pourtant avoir bien plus de matérialité qu’il n’y parait.

Il est inutile de revenir sur les événements qui se succédèrent entre l’annonce par le premier ministre australien Scott Morrison de l’annulation du contrat, et la rencontre entre son successeur Anthony Albanese et le président Français Emmanuel Macron fin juin, afin de marquer le renouveau des relations franco-australiennes. La brutale décision de Morrison donna en effet lieu à des échanges peu glorieux entre Paris et Canberra, qui cristallisèrent des opinions publiques déjà abreuvées d’informations plus ou moins fausses pendant de nombreux mois. Pour autant, à peine Scott Morrison quitta-t-il the Lodge, que son successeur entreprit de régler la difficile question des indemnités dues à Naval Group pour la fin du programme. Un mois plus tard, il vint rencontrer son homologue français pour faire table rase de cet événement, alors qu’Emmanuel Macron est attendu pour une visite officielle en Australie avant la fin de l’année.

Albanese Macron Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
La rencontre fin mai entre Emmanuel Macron et Anthony Albanese permit de rebâtir une base solide pour les relations entre les deux pays

Même si Paris et Canberra normalisent leurs relations, l’acquisition de sous-marins français comme solution d’attente peut apparaitre incongrue, d’autant que l’opinion publique australienne a été abreuvée de critiques quant à la conduite du programme Attack par Naval Group depuis 2015, avec notamment des dépassements budgétaires pharaoniques largement commentés y compris au parlement australien, des délais à rallonge et des engagements non respectés en matière de production locale. De fait, choisir la France et Naval Group pour produire les sous-marins d’attente semble très improbable, et même très risqué politiquement pour le nouveau premier ministre, ce d’autant que d’autres solutions sont proposées à Canberra, venant d’Allemagne, de Suède et depuis peu, de Corée du Sud. C’est précisément dans ce cadre qu’un memo confidentiel rédigé par l’ancien secretaire adjoint à la Défense australien, Kim Gillis, a subrepticement été rendu public. Et celui-ci décrit une réalité toute autre de celles qui furent distillées à l’opinion publique australienne pendant 4 ans.

Kim Gillis avait rejoint le programme Attack en qualité de directeur indépendant en Janvier 2021, et démissionna de ce poste au sein de Naval Group en juin de cette année. Avant cela, il participa aux négociations préalables à la signatures du contrat au sein du ministère de La Défense, puis participa à de nombreux aspects de sa mise en oeuvre. Dans ce memo, il présente une réalité bien différente de celle perçue par l’opinion publique australienne, démontant point par point les différentes critiques visant le programme et sa conduite par Naval Group. Ainsi, il dénonce avec virulence les accusations de dérive budgétaire du programme, arguant que les valeurs ayant servie à cette argumentation avaient été décontextualisées et manipulées, alors que dans les faits, l’enveloppe budgétaire du programme avait évolué de moins de 1% depuis sa signature. De même, en matière de délais, les critiques faites ne tinrent pas compte de la réalité des négociations et des impératifs très stricts imposés par le contrat australien, ni des contraintes liées à la crise Covid et des restrictions strictes imposées par Canberra à ce sujet. En terme de performances, Kim Gillis précise que les Shortfin Barracuda de Naval Group avaient remporté de beaucoup la compétition de 2015, et proposaient des performances qui surprenaient même ses homologues américains habitués aux performances des sous-marins à propulsion nucléaire. Enfin, et c’est interessant, il semble que Naval Group n’avait aucune capacité à se défendre face aux nombreuses attaques parfois calomnieuses de la part des opposants au programme, étant fermement réduit au silence par le contrat signé avec les autorités australiennes.

Shortfin Barracuda pumpjet Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
Les Shortfin Barracuda de la classe Attack proposés par Naval Group surpassaient très nettement en qualité et performances les offres concurrentes lors de la compétition de 2015

La fuite de ce document, survenue mi-septembre, n’est en rien une coïncidence, alors que précisément, des informations émergent concernant de possibles négociations entre Paris et Canberra au sujet de sous-marins d’attente. Il présente en effet, de manière factuelle et documentée, une perception à l’opposée stricte de celle longtemps présentée aux australiens, et montre même les efforts et la très bonne volonté déployée par Naval Group, y compris par son président Pierre-Eric Pommelet, ainsi que par les autorités françaises, pour mener ce programme dans les meilleures conditions, y compris en prenant certaines responsabilités dépassant de beaucoup les clauses légales traditionnelles attachées à ce type de contrat. En revanche, il dépeint un comportement très critiquable de Scott Morrison, tant vis-à-vis de Naval Group et Emmanuel Macron, que des australiens eux-mêmes, avec de nombreux arguments pour remettre en doute la sincérité de l’ancien premier ministre.

De fait, politiquement parlant, un retour en grâce de la France en Australie, au point d’envisager de se tourner à nouveau vers des sous-marins français, constituerait un coup de massue terrible sur l’opposition conservatrice australienne auquel appartient l’ancien premier ministre. Sans remettre en question l’intérêt de l’alliance AUKUS et des futurs SNA américano-britanniques, un tel rapprochement constitue incontestablement une formidable opportunité pour exposer les travers de l’administration Scott Morrison, et ainsi éloigner durablement une partie de l’électorat centriste du Parti Libéral dont Scott Morrison était le leader de 2018 à son éviction le 30 mai 2022 après sa défaite électorale.

Collins sous marins australie Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
Les 6 sous-marins de la classe Collins australiens ne pourront être prolongés au delà de 2035

Au delà de cet aspect de politique intérieure, se tourner vers Naval Group pour construire les sous-marins d’attente australiens offre également de nombreuses plus-values pour Canberra et la Royal Australien Navy, vis-à-vis des offres concurrentes. D’une part, il serait ainsi possible de mettre à profit une grande partie des études préalables menées en Australie et en France entre 2017 et 2021, en exécution du contrat, et financées sur deniers publiques pour l’heure en pures pertes. En outre, Naval Group dispose déjà d’un réseau d’industriels prêts à être sollicités pour impliquer l’industrie australienne dans un éventuel nouveau programme, même si, comme c’est très probable, les sous-marins venaient à être assemblés à Cherbourg. Enfin, les Shortfin Barracuda sont les sous-marins à propulsion conventionnelle ayant les performances les plus proches de celles d’un SNA du marché. 50% plus imposants que les Dosan Anh Changho sud-coréens, ils emportent en outre des technologies bien plus avancées comme le Pump-jet afin d’offrir au navire une discrétion acoustique accrue à des vitesse élevées, parfaitement adaptées au contexte australien.

Outre ces aspects opérationnels, les sous-marins français, pour peu qu’ils soient effectivement assemblés à Cherbourg, ont un avantage important : ils sont bons marchés. Ainsi, les SNA classe Suffren sont achetés par la Marine Nationale à peine plus d’un Md€, soit 35 à 65% moins chers que les SNA britanniques et américains. Pour peu que la commande australienne prenne corps à la suite de la production des 6 SNA Suffren qui doit prendre fin au début de la prochaine décennie, il est probable que le prix des Shortfin Barracuda australiens serait sans commune mesure avec les couts envisagés dans le contrat SEA 1000, qui supposait d’importants transferts de technologies et le déploiement d’une infrastructure très importante pour construire et entretenir les 12 navires.

Rool Out Virginia Shipyard Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
La production de SNA américains classe Virginia dans les 20 prochaines années ne servira qu’à remplacer les Los Angeles de l’US Navy et à étendre la flotte sous-marine américaine

Reste un dernier aspect qui pourrait faire pencher la balance en faveur de la France dans ce dossier, et ce sans la moindre concurrence : la propulsion nucléaire. En effet, rien n’empêche désormais à Paris de proposer à Canberra que tout ou partie des 4 sous-marins dont il est question, soit pourvu d’une propulsion non pas conventionnelle, mais nucléaire. En effet, contrairement à la Grande-Bretagne et surtout aux Etats-Unis, la ligne de production Suffren de Cherbourg aura de la disponibilité productive, et ce dès 2028, avec capacité de livrer le premier navire en 2033 ou 2034. En outre, les Shortfin Barruda partagent 70% de leurs composants avec les Suffren, ce qui offre une grande souplesse en terme de formation et de gestion des capacités. Par ailleurs, les Suffren, comme tous les navires à propulsion nucléaire français, emploient un combustible nucléaire faiblement enrichi de qualité civile, qui n’est pas soumis aux mêmes contraintes internationales que le combustible enrichi à 97% de qualité militaire employé à bord des SNA américains et britanniques. Enfin, comme dit précédemment, les SNA Suffren sont très économiques, bien plus que ne le sont les Astute britanniques ou les Virginia américains. En d’autres termes, pour une marine qui ambitionne une conversion progressive de sa flotte de SSK vers une flotte de SNA, acquérir une flotte mixte composée de SNA Suffren et de SSK Attack pour assurer cette transition aurait beaucoup de sens, tant du point de vue opérationnel qu’économique.

Reste à voir, désormais, à quel point la volonté de part et d’autres est suffisamment forte pour renouer une coopération aussi structurante, un an à peine après un psychodrame largement dispensable eu égard à la réalité géopolitique dans le Pacifique. Comme nous l’avons vu, de nombreux arguments plaident en faveur d’une telle hypothèse, et la diffusion qui semble bien peu fortuite du memo de Kim Gillis contribue à créer un contexte beaucoup plus favorable pour la France et Naval Group en Australie. Reste à voir, dans ce dossier, quel pourrait être la réaction de Washington voire de Londres, qui eux aussi avaient participé à cette mascarade autour de Scott Morrison, dans le but d’évincer Paris de ce marché stratégique. C’est probablement là que ce situeront les plus grandes oppositions à un nouveau rapprochement entre Paris et Canberra dans ce dossier, et ce même si la manoeuvre américano-britannique n’aura, au final, abouti qu’à considérablement affaiblir les capacités militaires et navales australiennes dans la période 2030-2040 que le Pentagone ne cesse de designer comme le Schwerpunkt dans le Pacifique. Ceci dit, maintenant qu’il est devenu évident qu’aucune solution américaine ou britannique n’est envisageable avant 2040, peut-être que les certitudes et les ambitions dans ce domaine de la Maison Blanche comme du 10 Downing Street auront été adoucies.

Le futur porte-avions sud-coréen pourrait être bien plus imposant que prévu, et doté de catapultes

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le programme de porte-avions sud-coréen ne manque pas de rebondissements. En octobre 2019, le chef d’Etat-major sud-coréen, le Général Park Han-ki, annonçait que l’administration du Président Moon Jae-In avait avalisé la construction de deux porte-aéronefs de 30.000 tonnes capables de mettre en oeuvre des avions de combat F-35B, version à décollage et atterrissage vertical ou court du célèbre appareil de Lockheed-Martin, notamment mise en oeuvre par l’US Marines Corps mais également la Royal Air Force, les forces aériennes d’autodéfense nippones et l’aéronautique navale italienne. Un an plus tard, en 2020, il n’était plus question de 2 porte-aéronefs dérivés de la classe Dokdo, mais d’un unique porte-avions de 40.000 tonnes capable d’emporter 16 F-35B et 8 hélicoptères. Le programme, désigné CVX, commençait alors à se montrer sous forme de maquettes lors des salons, alors que Seoul annonçait que la dernière tranche de 20 F-35 que le pays s’était engagé à acquérir, porterait sur la version ADAC/V F-35B.

Toutefois, le programme ne manquait pas de détracteurs, notamment au sein du parlement sud-coréens. Plusieurs parlementaires estimaient en effet que le navire serait à la fois très onéreux (2 Md$), et très vulnérable aux nombreux systèmes antinavires adverses potentiels. Outre le fait que ces crédits et moyens humains pouvaient s’avérer, selon eux, plus efficacement dépensés dans d’autres composantes de défense comme les missiles balistiques ou la defense anti-missile, le porte-avions ne répondait pas à la doctrine de défense sud-coréenne, basée sur des capacités de frappes préventives fulgurantes visant à décapiter le commandement, les communications et les capacités de frappes stratégiques de l’adversaire, en l’occurence la Corée du Nord. A l’occasion du changement d’administration au printemps 2022, et l’arrivée du président Yoon Seok-youl à la Maison Bleu, de nombreux facteurs tendaient à indiquer que le programme de porte-avions n’avait plus le vent en poupe à Séoul, et se trouvait même directement menacé.

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Initialement, le programme CVX devait être équipé d’un pont droit, ne permettant de mettre en oeuvre que des appareils ADAC/V comme le F-35B

Ainsi, début juillet, les autorités du pays ont annoncé que la commande portant sur les 20 derniers F-35 sud-coréens ne porteraient pas sur la version B pouvant armer un porte-aéronef, mais sur la version A basée à terre, à l’instar des 40 premiers appareils commandés. A la fin du mois d’aout, dans le cadre de la préparation du budget de la Défense 2023, il est apparut que le programme CVX avait disparu des lignes de crédits, laissant supposer que l’administration Yoon Seok-youl s’était rangée aux avis des détracteurs du programme, alors que dans le même temps, ce budget prévoit une hausse sensible des investissements de défense, pour atteindre 51,9 Md$ en 2023 contre 48 Md$ en 2022. A terme, en 2027, Seoul prévoit de porter son effort de défense à 66 md$, soit 3,3% du PIB, contre 2,85% aujourd’hui. De fait, le destin du programme CVX semblait alors bel et bien scellé, y compris pour la presse locale. Mais les déclarations faites par le Chef d’Etat-major des Armées, le général Kim Seung-kyum,  le 19 septembre lors d’une conférence de presse, rebattent les cartes. En effet, le programme de porte-avions sud-coréen n’est nullement annulé. Au contraire, Séoul s’interrogerait sur l’opportunité de s’équiper d’un porte-avions plus imposant, et peut-être doté de catapultes.

En effet, selon le général Kim Seung-kyum, le programme de porte-avions sud-coréen est d’ores et déjà acté par l’état-major, et n’est donc pas remis en cause. En revanche, il apparait que Séoul entend équiper le navire non pas de F-35B comme initialement prévu, mais d’une version navalisée de son nouveau chasseur KF-21 Boramae, ce qui suppose une redéfinition en profondeur du programme, y compris concernant les dimensions du navire. Il est ainsi question désormais non pas d’un porte-avions « léger », c’est à dire entre 30 et 40.000 tonnes, mais d’un porte-avions « moyen », c’est à dire autour des 60.000 tonnes. En outre, Séoul n’exclut pas de se tourner vers un modèle développé par une autre nation pour en réduire les couts et les délais. Rome, mais également Londres et New Delhi, ont déjà entrepris de faire valoir leurs atours respectifs dans ce domaine auprés de Séoul. Enfin, l’architecture initiale de navire à pont droit dépourvu de catapulte, à l’instar des LHA classe America de l’US Navy, n’est plus d’actualité, le KF-21 n’étant pas capable de décollages de ce type, ni d’appontages verticaux sans brins d’arrêt. Toutefois, la configuration définitive du navire, à savoir CATOBAR (Catapultes et brins d’arrêt) ou STOBAR (Tremplin et brins d’arret), n’est pour l’heure pas arrêtée. Il apparait donc que de nombreuses questions demeurent en suspend concernant ce programme, ceci expliquant que celu-ci n’apparaisse pas dans le budget 2023.

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La navalisation du KF-21 Boramae sera une tache complexe et risquée, d’autant que KAI ne dispose d’aucune experience dans le domaine des avions de combat embarqués

Reste que les annonces général Kim Seung-kyum démontrent une nouvelle fois les grandse ambitions de la part des autorités sud-coréennes, et une prise de risque importante dans ce programme. En effet, il s’agit ni plus ni moins que de se doter d’une compétence globale, tant industrielle que militaire, dans un domaine de très haute technicité qui n’est aujourd’hui maitrisé que par quelques grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine et la France. Non seulement Séoul entend se doter d’un porte-avions imposant, mais également de developper une version navalisée de son premier véritable chasseur, le Boramae. Or, cette démarche est à la fois très complexe et risquée, les contraintes qui s’appliquent à un avion en combat embarqué étant beaucoup plus importantes que pour un appareil basé à terre, du point de vue structurel comme de celui de la maintenance. En outre, la navalisation d’un chasseur initialement basé à terre n’a que rarement donné de bons résultats, en dehors du Mig-29 soviétique.

Force est de constater que ce programme s’inscrit dans une dynamique et une stratégie visant à faire de la Corée du Sud un acteur de premier plan non seulement en matière de capacités militaires sur le théâtre asiatique, mais également dans le domaine de l’armement sur le marché mondial. De toute évidence, Séoul a parfaitement intégré le potentiel que représente ce marché afin de soutenir son propre effort de défense, d’autant que le pays excelle dans une forme de « contre-programmation », en proposant souvent des équipements non alignés avec la structure de l’offre classique occidentale. C’est le cas du char K2 et du canon automoteur K9, tous deux plus légers et sensiblement plus économiques que leurs homologues américains ou européens, comme du sous-marin Dosan Anh-Changho, seul SSK occidental équipé de lance-missiles verticaux à ce jour, ainsi que du chasseur léger FA-50, unique représentant occidental de ce type d’appareil. Cette contre-programmation capacitaire permet à Séoul de proposer des équipements très économiques, souvent moitié moins chers que leurs homologues occidentaux, et ce alors que la main-d’oeuvre sud-coréenne n’est en rien moins onéreuse qu’en Allemagne, en France ou aux Etats-Unis. En bien des aspects, la stratégie sud-coréenne rappelle celle employée par la France dans les années 60 et 70, celle là même qui permit de faire de l’industrie de défense française un des acteurs mondiaux clés de ce marché.

Lockheed-Martin a livré un laser à haute énergie de 300 Kw au Departement de la Défense US

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Les armes à Energie Dirigée constituent, aux yeux du Pentagone et des armées américaines, la solution privilégiée pour répondre aux évolutions des menaces aériennes, en particulier pour ce qui concerne les drones de toute tailles et les missiles de croisière. Dans le cadre du programme Indirect Fires Protection Capability – High Energy Laser, ou IFPC-HEL, l’industriel Lockheed-Martin vient de livrer un laser d’une puissance de 300 Kw au departement de La Défense. Ce laser prendra part aux expérimentations dans le cadre du programme IFPC-HEL d’ici la fin d’année, et constitue l’aboutissement d’un effort unité en 2019 pour se doter d’un laser à haute énergie de 300 Kw ou plus, et désigné High Energy Laser Scaling Initiative (HELSI).

Ce developpement s’inscrit dans un effort global visant à doter les armées US d’une gamme de laser à haute énergie et à hautes performances afin de protéger aussi bien les cibles potentielles terrestres que navales ou aériennes. Ainsi, L’US Army a présenté en début année le prototype du DE-SHORAD Guardian, un blindé de type Stryker équipé d’un laser de 50 Kw destiné à protéger les unités terrestres des menaces à courte portée de type C-RAM (Missile de Croisière – Roquette, obus d’Artillerie et de Mortier), ainsi que des drones et munitions vagabondes. Le laser de 300 Kw livré par Lockheed-Martin est, quant à lui, destiné au programme IFPC-HEL Valkyrie embarquant dans un container de 20 pieds le laser, le système de detection et de visée, ainsi que le système d’alimentation, afin de protéger les sites sensibles de ce type de menaces, y compris saturantes. Enfin, l’US Army a annoncé le developpement d’un laser de 20 Kw embarqué sur un blindé léger 4×4 de type Infantry Squad Vehicle dans le cadre du programme Multi-Purpose High Energy Laser, afin de neutraliser les drones de reconnaissance adverses.

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Le De-SHORAD Guardian met en oeuvre un laser de 50 Kw embarqué sur un blindé 8×8 Stryker. Remarquez les dissipateurs thermiques sur l’ensemble du blindé.

L’US Navy n’est pas en reste dans ce domaine, puisqu’elle vient d’équiper son premier destroyer, l’USS Preble, d’un laser de 60 Kw dans le cadre du programme High Energy Laser with Integrated Optical-Dazzler and Surveillance (HELIOS), initié en 2018. Ce laser a pour objectif d’engager et détruire les cibles légères de type drones de reconnaissance, mais également de contrer les équipements de détection Electro-optiques embarqués à bord de ces appareils, afin de disposer d’une réponse graduée mais efficace. A terme, l’US Navy vise à équiper ses navires d’un laser d’une puissance au moins égale à 500 Kw, seuil estimé nécessaire pour effectivement constituer une parade efficace contre les missiles antinavires.

L’US Air Force, enfin, développe pour sa part non seulement des systèmes d’arme à énergie dirigée destinés à protéger ses infrastructures, comme le canon à micro-onde THOR conçu pour détruire les drones et plus particulièrement les drones évoluant en essaim, mais également un laser à haute energie afin de protéger ses appareils, en particulier ses appareils de soutien dont la vulnérabilité constitue désormais un sujet de préoccupation majeure pour le Pentagone. Là encore, les progrès sont très rapides semble-t-il, Lockheed-Martin ayant annoncé en juillet dernier avoir livré à l’US Air Force son laser de nouvelle génération Laser Advancements for Next-generation Compact Environments, ou LANCE, un laser d’une puissance estimée de 60 Kw destiné à intégrer le programme Self-Protect High Energy Laser Demonstrator, ou SHIELD, afin d’intercepter les missiles air-air ou sol-air qui viendraient menacer ses appareils.

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L’USS Preble est le premier destroyer de l’US Navy à être équipé du système HELIOS, visible sur la superstructure devant la passerelle

L’Europe affiche, dans ce domaine, un certain retard, même si plusieurs programmes ont été annoncés en Grande-Bretagne et en Allemagne dès 2020. En France, c’est la société CILAS, récemment intégrée aux groupes SAFRAN et MBDA, qui dispose du savoir-faire le plus avancé dans ce domaine. Toutefois, l’ensemble des programmes européens sont loin d’avoir la maturité, ou la puissance, des systèmes en cours de developpement outre-atlantique, en dehors du programme Iron Team israélien, qui fit la démonstration de l’efficacité de son laser de 100 Kw pour contrer les menaces de type drones, missiles et obus de mortier au printemps dernier. Pour autant, pour plusieurs armées, notamment pour la Marine Nationale, les armes à énergie dirigée constituent désormais une priorité, et il est probable que des progrès significatifs soient annoncés dans les mois et années à venir.

Si les progrès en matière de puissance et de précision des laser de défense sont nombreux, un autre domaine de recherche vise précisément à doter les menaces d’une résistance accrue face à ce type de système. Plusieurs expérimentations discrètes sont en cours dans le domaine, notamment en exploitant l’oxyde de titane, dont les caractéristiques face à une irradiation laser sont déjà largement employées dans le monde industriel. Toutefois, de tels revêtements, s’ils permettront probablement de mieux résister aux effets thermiques d’un laser à haute énergie, ne constitueront pas une parade absolue, au mieux permettront-ils d’accroitre le temps d’exposition nécessaire pour atteindre l’effet thermique désiré pour endommager la cible.

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L’Iron Beam israélien a montré son efficacité lors d’un essai grandeur nature au printemps dernier

Quoiqu’il en soit, le moment tant fantasmé par la science fiction des années 60 et 70, lorsque les armes laser à haute energie perdront place sur le champs de bataille, est désormais proche, et d’ici la fin de la décennie, il est probable que plusieurs forces armées majeures s’en seront dotées. De nombreuses difficultés restent encore à trouver solution, comme la fourniture de l’energie nécessaire et suffisante pour alimenter ces systèmes, les contraintes thermiques et mécaniques que de tels déploiements d’energie engendreront, ainsi que la robustesse de ces systèmes qui reste à démontrer.

La Pologne commande 48 chasseurs légers FA-50 à la Corée du Sud

En juillet dernier, Varsovie annonçait un accord globale avec Séoul pour un vaste partenariat en matière d’équipements de défense, portant notamment sur 180 chars moyens K2 Black Panther et 670 canons automoteurs K9 Thunder, ainsi qu’un ambitieux programme de coopération industrielle et de transfert de technologies. Outre les blindés, les autorités polonaises avaient également annoncé qu’elles étaient en négociation avec leurs homologues sud-coréennes pour acquérir 48 chasseurs legers FA-50 Golden Eagle, un avion de combat monomoteur biplace dérivé de l’appareil d’entrainement et d’attaque TA-50. De toute évidence, les négociations furent menées tambours battants, puisqu’à peine deux mois plus tard, Varsovie a officialisé cette commande pour une enveloppe de 3 Md$.

Pour Varsovie, il s’agit avant tout de retirer du service la quarantaine de Mig-29 et Su-22 d’origine soviétique et hérité de l’époque du Pacte du Varsovie encore en Service. Non seulement les tensions croissantes avec Moscou requièrent des appareils plus modernes afin de maintenir une posture suffisamment dissuasive, mais la maintenance des appareils devenaient complexe et très onéreuse, même si elle ne dépendait plus depuis longtemps de Moscou. En outre, le remplacement rapide d’une partie de ces appareils par les 12 premiers FA-50 Block 10 qui seront livrés dès l’année prochaine, permettra à Varsovie d’accroitre son soutien appuyé à Kiev, notamment en livrant davantage de pièces détachées pour maintenir la flotte de Mig-29 ukrainiens encore en service.

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Les forces aériennes polonaises alignent encore une trentaine de MIg-29

Initialement, Varsovie souhaitait acquérir un lot de F-16 supplémentaires, alors que 48 appareils, dont 12 F-18D dédiés à la transformation des pilotes, constituent aujourd’hui la colonne vertébrale des forces aériennes polonaises. Toutefois, Washington et Lockheed-Martin n’étaient pas en mesure de livrer les nouveaux appareils à court terme, amenant Varsovie à se tourner vers Séoul, la Corée du Sud ayant accepté de flécher 12 appareils initialement destinés à ses propres forces aériennes vers Varsovie pour répondre à l’urgence opérationnelle. Les 36 autres chasseurs légers seront, quant à eux, livrés entre 2025 et 2027, ce d’autant que le petit chasseur asiatique offre des performances avantageuses proches de celles du Mig-29 qu’il remplacera.

En effet, en dépit de dimensions très compactes, avec une longueur de 13 mètres pour 10 mètres d’envergure, l’appareil peut emporter l’équivalent de sa masse à vide de 6 tonnes en carburant et charges externes. Si son ADN d’avion d’entrainement lui confère une configuration biplace et un aspect typique de ce type d’appareil, le FA-50 peut toutefois emporter des armements évolués, notamment des bombes guidées JDAM et des pods de visée comme le Sniper. Si les 12 premiers appareils seront au standard Block 10 ne pouvant emporter que des missiles air-air AIM-9X Sidewinder à courte portée, les 36 autres seront livrés au standard Block 20 équipé d’un radar AESA et semble-t-il de la capacité à tirer le missile air-air à moyenne portée AIM-120 AMRAAM, ainsi que le missile anti-navire Joint Naval Strike. Propulsé par un unique turboréacteur F-414 de General Electric, le FA-50 évolue avec un rapport puissance poids proche de 1 même à charge maximale, lui permettant d’atteindre la vitesse de Mach 1,5 et une altitude de plus de 14.000 mètres. Le rayon d’action au combat inférieur à 500 km est le seul réel point faible de ce petit appareil, d’autant qu’il ne dispose pas de perche de ravitaillement en vol, bien que KAI ait présenté en 2017 une évolution du TA-50 désigné TA-50A, doté d’un réceptacle dorsal de ravitaillement en vol.

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L’appareil d’entrainement à hautes performances T-50 a été le premier avion de combat moderne conçu par la Corée du Sud.

Cette commande polonaise, au delà de son appartenance à un cadre global de négociations entre Varsovie et Séoul, démontre l’intérêt croissant pour les forces aériennes intermédiaires afin de se doter d’un appareil complémentaire au F-35A, Varsovie ayant commandé 32 de ces appareils en 2020. Il est ainsi interessant de constater que les 48 FA-50 auront été acquis pour un tarif inférieur de 35% aux 32 F-35A précédemment commandés, soit un prix de revient unitaire sensiblement égal à 50% de celui de l’avion américain. Ce ratio s’applique également très probablement par excès quant aux couts de possession et de mise en oeuvre. Pour un pays n’ayant qu’un PIB de 700 Md$ comme la Pologne, il représente donc une option de choix pour accroitre la masse des forces aériennes pour un effort budgétaire limité.

On notera cependant que rien n’indique que Varsovie ait mené une consultation étendue autour de ce contrat, en particulier vers le JAS-39 Gripen Suédois, pourtant un appareil offrant des performances bien sensiblement supérieures à celles du FA-50 et comparables à celles du F-16 le plus moderne, pour un tarif sensiblement équivalent voire inférieur à celui de l’avion américain. Pourtant, l’appareil suédois, que ce soit dans sa version standard C/D ou dans sa version de nouvelle génération E/F, aurait constitué un atout de taille dans l’arsenal aérien polonais, et aurait ouvert d’importantes possibilités industrielles comme opérationnelles entre ces deux pays bordant la Mer Baltique, ce d’autant que Stockholm va prochainement rejoindre l’OTAN. Force est de constater qu’une nouvelle foi, Varsovie s’est détournée des solutions européennes, comme c’est souvent le cas, bien au delà du seul cas français.

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Le JAS-39 Gripen C aurait représenté une alternative des plus interessantes pour Varsovie, mais les autorités polonaises n’ont semble-t-il pas considéré cette hypothèse de proximité, européenne par ailleurs.

Reste qu’il ne fait guère de doute que si Lockheed-Martin avait été de livrer des F-16 Block 70 neufs dans des délais courts, Varsovie aurait privilégié cette solution, tant pour simplifier sa gestion de parc que pour disposer d’appareils offrants des performances sommes toutes bien supérieures au FA-50, pour un cout de possession à mi-chemin entre le FA-50 et le F-35. De fait, dans ce contrat comme dans celui des Rafale grecs, les délais de livraison ont constitué un aspect critique dans l’arbitrage mené par Varsovie. Il est d’ailleurs probable que dans les mois à venir, ce critère constituera un paramètre clé des futurs contrats d’armement qui seront annoncés ou signés, alors que la demande croit beaucoup plus rapidement du fait des tensions internationales que ne peuvent produire les industries de défense existantes.

Olaf Scholz veut que l’Allemagne prenne la direction de la Défense européenne, seule !

Il y a quelques jours, nous écrivions que l’Allemagne se détournait de la France sans le dire en matière de défense. Désormais, c’est dit, et de manière très claire. A l’occasion d’une intervention dans le cadre de la conférence « La Bundeswehr dans une nouvelle époque », le chancelier allemand Olaf Scholz a en effet clairement défini la feuille de route de Berlin dans les années et décennies en Europe. « Soyons parfaitement clair, l’Allemagne est prête à prendre une position dirigeante pour la protection du continent Européen ». Et d’ajouter « En tant que pays le plus peuplé, ayant l’économie la plus puissante en Europe et positionné au coeur du continent, notre armée doit devenir le pivot de la defense européenne, et être la mieux équipée ».

De toute évidence, Berlin ne considère plus le moins du monde que l’Europe de La Défense doit être construite autour du couple franco-allemand, ni même que la France puisse jouer un rôle déterminant dans l’organisation de La Défense du vieux continent. Il s’agit, dans les propos d’Olaf Scholz, d’une sujet qui ne concerne que l’Allemagne et l’OTAN, donc les Etats-Unis, les autres acteurs devant s’agglomérer autour du pivot central que représentera l’Allemagne dans cette nouvelle architecture. La position exprimée ce matin par le Chancelier allemand n’est, en fait, en rien surprenante. En effet, depuis plusieurs années, de puissantes forces politiques mais également industrielles et militaires, oeuvraient outre-rhin pour ramener la Chancellerie à de plus justes considérations, que ce fut vis-à-vis des Etats-Unis comme de la France.

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La coopération industrielle en matière de Défense entre Paris et Berlin fut bâtie sur l’objectif de concevoir une Europe de La Défense autour du couple franco-allemand par Angela Merkel et Emmanuel Macron en 2017

En effet, qu’il s’agisse des réticences répétées du Bundestag pour soutenir et financer les programmes industriels de défense franco-allemands, des postures de plus en plus fermes des industriels allemands au sein de ces programmes, en particulier pour ce qui concerne Airbus DS et Rheinmetall, et même des miltaires qui, de manière indirecte après qu’un des leurs ait été envoyé à la retraite pour avoir soutenu publiquement le F-35, ne cessent de miner cette coopération, tous ont méthodiquement érodé les bases sur lesquelles Angela Merkel et Emmanuel Macron avaient, en 2017 et 2018, tracé les grandes lignes de ce qui devait constituer le socle sur laquelle l’autonomie stratégique européenne devait être construite. Et de fait, les signaux d’alertes ont été nombreux et répétés depuis 2019, allant du rejet ferme de l’offre française d’étendre la dissuasion à certains de ses voisins européens, aux reculades répétées concernant le déroulement des programmes industriels. Pourtant, en de nombreux aspects, Berlin est en position de faiblesse pour assurer le rôle de pivot de La Défense européenne.

Du point de vue démographique, déjà, l’Allemagne va faire face, dans les années à venir, à une baisse de sa population associée à un vieillissement rapide de celle-ci, rendant à la fois difficile de mobiliser des forces en âge de combattre en grand nombre, et très complexe de réorienter une masse productive suffisante pour assumer ce rôle, alors que celle-ci sera plus que jamais critique pour maintenir sous controle le modèle social du pays. Du point de vue opérationnel, ensuite, la Bundeswehr n’étant pas une armée globale au sens propre du terme, et ne disposant pas de capacités spécifiques comme d’importants moyens de projection de puissance, ni, bien évidemment, d’une dissuasion nucléaire autonome. Du point du vue industriel, la situation est sensiblement identique. Si les industries allemandes sont très performantes dans de nombreux domaines, comme dans les blindés et les sous-marins conventionnels, Berlin doit s’appuyer également sur de nombreux équipements importés pour couvrir un spectre étendu, en particulier en provenance des Etats-Unis et d’Israël. Enfin, du point de vue politique, avec un parlement très puissant mais sujet à de nombreuses hésitations engendrant des délais importants dans la réponse potentielle de Berlin, comme l’ont montré les longs atermoiements allemands lors des 3 premiers mois de guerre en Ukraine.

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Le programme SCAF est à l’arrêt depuis presque une année sur fond de bras de fer entre Dassault Aviation et Airbus DS

En revanche, force est de constater que par sa puissance economique et son alignement sans faille avec les Etats-Unis, l’Allemagne remportera sans le moindre doute de nombreuses adhésions de la part des capitales européennes, spécialement vis-à-vis d’une France souvent perçue comme frondeuse et peu fiable, en particulier en Europe de l’Est. Il est donc plus que probable que la posture exprimée par Olaf Scholz dans son discours, qui constitue en toute hypothèse une nouvelle étape d’un processus engagé de longue date, convaincra un grand nombre de ses voisins européens, et marginalisera la France ainsi que sa vision d’une Europe de la Défense sur le vieux continent, sans qu’il soit nécessaire de produire de grands efforts pour cela.

Reste que désormais, Paris ne peut plus feindre la surdité face aux propos parfaire clairs et audibles tenus par le Chancelier allemand. En effet, les programmes de coopération industrielle de défense comme SCAF, MGCS ou encore CIFS et MAWS, avaient été entamés afin de donner corps à une vision partagée en matière d’autonomie stratégique européenne, en acceptant notamment de créer une interdépendance industrielle entre Paris et Berlin autour de technologies critiques, comme les avions de combat ou les chars lourds. Maintenant que Berlin a clairement signifié son ambition de faire cavalier seul dans ce domaine, ces programmes ont perdu leur principale justification, et sont donc condamnés, à plus ou moins courts termes, à évoluer vers de cuisants échecs. Si, jusqu’à présent, la position allemande était encore imprécise et ambiguë, tout du moins pour les plus myopes des observateurs, elle ne laisse désormais plus de place au doute, et il apparait, dès lors, indispensable de mettre fin à ces coopérations plutôt que de continuer à faire perdre aux industries et armées françaises, et ceux qui en dépendent, des délais et des crédits précieux pour faire face à la concurrence militaire, politique et technologique qui se dessine.

4 arguments en faveur du développement d’un nouveau chasseur Mirage français

Pilier du succès des exportations militaires françaises pendant plus de 60 ans après-guerre, la famille des Mirage monomoteurs a pris fin avec le chasseur Mirage 2000 au début des années 2010. Toutefois, l’observation des besoins des armées, et des attentes du marché international, montre qu’il existe plusieurs arguments pour amener la France, et Dassault Aviation, d’engendrer un nouveau membre à cette glorieuse famille, au-delà du Rafale et du SCAF.

Qu’il arrive ou non à son terme, le programme d’avion de combat de nouvelle génération SCAF rassemblant l’Allemagne, l’Espagne et la France, ne pourra voir le jour avant la fin des années 2040, et même probablement au début des années 2050, de l’aveu même d’Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation. Il faut dire que pour l’avionneur français, mais également pour son homologue allemand Airbus DS, cette nouvelle date est loin de manquer de sens.

C’est en effet en 2050 que le remplacement d’une majorité des Rafale et Typhoon, mais également des F-35A vendus récemment, commencera à être envisagé. Or, le Next Generation Fighter du SCAF évoluera dans une gamme adaptée au remplacement de ces aéronefs, initialement les Rafale français et les Typhoon allemands et espagnols durant la première décennie, puis les appareils exportés au-delà.

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La famille des chasseurs mirage a été le pilier des forces aériennes mais aussi des exportations défense française à partir de 1955 jusqu’en 2010

De toute évidence, pour Dassault comme pour Airbus DS, il n’est guère intéressant d’arriver sur le marché trop tôt, au risque de répéter le phénomène qui donna la préférence au F-35A dans de nombreuses compétitions, avec comme argument que Rafale et Typhoon étaient des appareils conçus dans les années 80, là où le F-35 avait été conçu 20 ans plus tard.

Toutefois, si un tel calendrier satisfait probablement les avionneurs et leurs actionnaires, ce d’autant qu’ils auront une activité industrielle suffisante jusqu’en 2040 en produisant les derniers appareils commandés, et en assurant la modernisation du parc, celui-ci est beaucoup plus problématique pour les forces aériennes, en particulier pour l’Armée de l’Air et de l’Espace.

En effet, quoi qu’en dise Dassault Aviation, le Rafale, même dans ses versions itératives futures, ne sera pas en mesure de conserver un ascendant technologique marqué sur les appareils qui entreront en service d’ici à la fin de la présente décennie, sauf à développer une nouvelle branche évolutive de l’appareil, sans même parler des opportunités d’exportation qui seront probablement sensiblement plus faibles entre 2030 et 2050.

Dans ce contexte, il pourrait être pertinent, pour les forces aériennes françaises, mais également pour l’ensemble de l’industrie aéronautique nationale, de développer un appareil complémentaire au Rafale, mais également au NGF/SCAF, positionné sur un segment d’excellence traditionnel de l’industrie aéronautique de défense française, un chasseur monomoteur à hautes performances héritier de la célèbre famille des Mirage. Dans cet article, nous étudierons cette hypothèse au travers de quatre arguments complémentaires en faveur d’une telle approche.

1- L’arrivée d’une nouvelle génération d’avions de combat dès 2030

Il existe, à ce jour, pas moins de 6 programmes dans le monde visant à développer, pour 2030, des avions de combat de nouvelle génération offrant des performances au moins aussi élevées que celles que l’on peut attendre des futures versions du Rafale. Il s’agit, aux États-Unis, du programme NGAD de l’US Air Force qui porte sur le développement d’un chasseur de supériorité aérienne destiné à remplacer le F-22 Raptor, un appareil pourtant toujours considéré aujourd’hui comme le meilleur avion de combat du moment.

Doté de technologies très avancées et d’un prix tout aussi élevé, il est probable que comme le F-22, le NGAD ne soit pas destiné à être proposé sur la scène internationale, sauf éventuellement à certains alliés très privilégiés comme Israël ou le Japon. Il ne représentera donc probablement pas un compétiteur pour le Rafale, ni du point de vue commercial ni opérationnel, les chances qu’un NGAD ne se retrouve face à un Rafale étant très limitées.

Ce ne sera probablement pas le cas du F/A-XX de l’US Navy, le programme destiné à remplacer le F/A-18 E/F Super Hornet, et qui sera lui probablement proposé à l’export comme le fut le Super Hornet et le Hornet avant lui. Enfin, le F-35, et ses évolutions peut être motorisées d’ici là, continueront de s’imposer sur de nombreux marchés.

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Le KF-21 Boramae a fait son premier vol début juillet, et doit entrer en service en 2026

Les plus importants compétiteurs, qu’ils soient commerciaux ou opérationnels, du Rafale et de ses évolutions au-delà de 2030 ne seront toutefois probablement pas fabriqués outre-Atlantique. Il s’agit d’appareils comme le KF-21 Boramae sud-coréen, un chasseur moyen ayant des attributs de la 5ᵉ génération, qui entrera en service d’ici à la fin de la décennie, comme du Su-57e russe, la version export du successeur désigné de la famille Flanker.

D’autres programmes sont à différents niveaux de développement, comme le T-FX turc pour peu qu’il parvienne à résoudre certains aspects technologiques critiques, ou du Su-75 Checkmate russe, si tant est que le programme soit effectivement poursuivi alors que l’industrie de défense russe, comme l’ensemble du pays, s’enfonce dans de sérieuses difficultés. La Chine, pour sa part, développe le J-35, un chasseur embarqué bimoteur de 5ᵉ génération plus léger et moins onéreux que le J-20, et qui pourrait servir de base au remplacement du J-10 au sein des forces aériennes de l’APL, et être de fait proposé à l’exportation dans un avenir relativement proche.

Ces appareils de nouvelle génération vont considérablement réduire l’avance technologique et capacitaire du Rafale dès le début des années 2030, même si l’avion français se voit doter de technologies avancées en matière de fusion de données, d’engagement coopératif et de guerre multidomaines, avec l’ajout probable de drones de combat dès le début de la prochaine décennie. En d’autres termes, si le Rafale F4 puis F5 ne sera pas dépassé en 2030 ni même en 2040, il est probable qu’il ne conférera plus aux forces aériennes le mettant en œuvre, des atouts technologiques capacitaires marqués vis-à-vis de ces nouveaux appareils.

Dans ce contexte, l’arrivée d’un nouvel appareil s’appuyant sur les caractéristiques ayant fait le succès de la famille Mirage, à savoir un chasseur monomoteur à hautes performances capable de rivaliser avec les appareils les plus évolués du moment, permettrait non seulement aux forces aériennes de conserver jusqu’en 2050 et l’arrivée du NGF la fameuse capacité « d’entrer en premier », si souvent mise en avant, mais également à la France de se positionner sur un segment relativement vierge de concurrence, le remplacement des F-16, Mirage 2000 et Mig-29, pour des pays n’ayant pas les moyens ou la volonté de s’équiper d’appareils plus lourds et plus onéreux.

2- Un chasseur Mirage pour palier les limites de l’évolution du Rafale

Le Rafale a de nombreuses qualités, dont la plus spectaculaire et disruptive n’est autre que son extraordinaire capacité à évoluer. C’est ainsi que les premiers Rafale M livrés à la Marine Nationale au début des années 2000 au standard F1, et uniquement dotés de performances Air-Air, évoluent désormais à bord de Charles de Gaulle au standard omnirôle F3R, et bientôt au standard F4 flirtant avec la 5ᵉ génération. Le développement de cette nouvelle version arrivera bientôt à son terme, et la version suivante, désignée F5 et qui semble se diriger vers l’intégration de drones et systèmes exogènes, est déjà en préparation.

Pour autant, les évolutions futures du Rafale sont limitées par des contraintes qu’il est très difficile, voire impossible, de contourner sauf à redessiner une bonne partie de l’appareil. Ainsi, si Safran soutien que son turboréacteur M88 peut être amené à délivrer une poussée bien supérieure, plus de neuf tonnes avec postcombustion, soit des performances comparables au F414 américain, cela ne peut se faire qu’en en modifiant la dimension et la masse, chose impossible pour la cellule du Rafale, du moins pas sans dégrader le centrage et donc les performances de l’appareil.

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Le Rafale F4 disposera de nombreuses avancées comme un nouveau système d’auto protection SPECTRA ou le missile MICA NG.

De même, bien que discret, le Rafale n’est pas furtif. En outre, à l’instar des autres appareils de sa génération comme le Typhoon ou le Super Hornet, il n’est pas équipé d’une soute pour réduire la dégradation de sa signature radar liée à l’emport de munitions sous voilure. Certes, on sait désormais que la furtivité passive, comme celle du F-35, n’est pas une garantie absolue de survivabilité ou de non-détection, notamment avec l’apparition des radars basse fréquence et des radars passifs. Toutefois, elle constitue un avantage non négligeable au combat, en limitant la portée de détection de nombreux radars, notamment les radars de conduite de tir.

Le Rafale peut éventuellement emporter des capacités de brouillage renforcées pour pallier cette faiblesse, mais celles-ci engendreront davantage de trainées, et nuiront aux actions discrètes. De fait, ne pouvant ni faire évoluer ses performances pures, ni sa furtivité, le Rafale ne peut que faire évoluer ses équipements embarqués, ou s’appuyer sur des appendices opérationnels comme des drones, pour coller aux évolutions opérationnelles à venir. Là encore, le développement d’un nouvel appareil, conçu sur des paradigmes technologiques beaucoup plus actuels, permettrait de conférer aux forces aériennes françaises et alliées des capacités renouvelées, adaptées aux enjeux opérationnels à venir.

En outre, un tel appareil offrirait de nombreuses plus-values opérationnelles aux Forces aériennes françaises, que ce soit en termes de masse avec un appareil conçu pour être par définition plus économique à l’acquisition comme à la mise en œuvre grâce à sa configuration monomoteur, mais également en lui permettant de disposer d’une flotte mixte, et donc de ne pas dépendre d’un unique modèle, ce que de nombreuses forces aériennes modernes considèrent comme une vulnérabilité significative.

Qui plus est, pour peu que l’appareil respecte l’ADN de la famille Mirage, il offrira des capacités optimisées en matière de défense aérienne, y compris dans le domaine de l’interception. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, un Mirage NG disposant des attributs de la 5ᵉ génération, permettrait aux forces aériennes françaises d’accroitre leur expertise dans l’utilisation de ces appareils, tant pour préparer l’arrivée du NGF que pour mieux s’opposer aux forces aériennes disposant d’aéronefs de ce type dans les années à venir.

3- Mobiliser la BITD aéronautique française

En dépit de ses récents et nombreux succès sur la scène internationale, force est de constater que le Rafale est le dernier avion de combat conçu par l’industrie de défense française, et ce, du milieu des années 80 au milieu des années 90. Cela concerne bien évidemment l’avion lui-même, sa cellule et ses commandes de vol, mais également le turboréacteur M88, qui aujourd’hui affiche une génération de retard sur les turboréacteurs les plus récents et les plus modernes, comme le F-135. En outre, dans le cadre du programme SCAF, si tant est qu’il aille à son terme, une grande partie de cette industrie n’aura qu’un rôle partagé dans le développement de l’appareil, 5 des 7 piliers du programme étant sous pilotage allemand et espagnol.

C’est notamment le cas pour deux industriels majeurs de la BITD, l’électronicien Thales et le missilier MBDA. En d’autres termes, et bien que le sujet soit fréquemment minimisé, voire éludé tant par les industriels que par les politiques de tutelle, l’Industrie aéronautique de défense française est aujourd’hui proche d’une situation de perte de savoir-faire et de compétences, ceci étant par ailleurs accentué par le fait que pour l’ensemble des grandes entreprises aéronautiques françaises, la composante Défense ne fait que rarement l’objet d’investissements qui ne soient pas directement financés par l’État.

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Les chaines de production de Dassault Aviation tournent à plein régime pour répondre aux nombreuses commandes exports enregistrées ces dernières années,

Dans ce contexte, le développement d’un programme haut de spectre sur la période 2025-2035 pour concevoir un successeur au Mirage 2000 de nouvelle génération, permettrait non seulement une remobilisation salutaire de l’ensemble de l’industrie aéronautique de défense française, y compris de sa supply-chain, mais également de palier les trous technologiques et capacitaires auxquels elle sera exposée dans le programme SCAF.

En outre, et c’est loin d’être négligeable, ce programme pourrait permettre d’appliquer certaines avancées technologiques qui n’auraient initialement dû voir le jour que pour SCAF, et donc d’accumuler une expérience industrielle, mais également technologique et opérationnelle susceptibles de réduire les risques et les couts du remplaçant du Rafale. Au final, il est probable qu’une partie significative des investissements nécessaires pour développer ce nouveau Mirage soit directement déductible des investissements requis pour la conception du SCAF.

4- De nombreuses opportunités de coopération internationale

La coopération franco-allemande est aujourd’hui menacée de toutes parts, ce n’est plus un secret. Dans ce cadre très contraignant, le développement d’un programme intermédiaire et complémentaire permettrait à la France de nouer des liens de coopération avancés avec d’autres nations, tant pour réduire le poids budgétaire d’un tel développement que pour consolider le marché adressable par un éventuel appareil une fois conçu.

En outre, dans le cas regrettable mais prévisible où le programme SCAF viendrait à être abandonné sur fonds de divergences stratégiques et/ou industrielles entre Paris et Berlin, de telles coopérations pourraient constituer un socle efficace pour lancer également la conception d’un SCAF bis pour remplacer le Rafale à horizon 2050. Plusieurs pays auraient en effet intérêt à s’investir dans le développement d’un chasseur monomoteur français successeur du Mirage 2000, en premiers lieux desquels se trouvent certaines nations ayant mis en œuvre l’appareil, comme la Grèce qui cherche plus que jamais à développer sa propre industrie aéronautique ainsi qu’à trouver une solution pour remplacer ses F-16 à partir de 2040 par un appareil plus économique que le Rafale ou le F-35, mais capable de s’imposer face aux appareils turcs, y compris le futur TFX.

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Comme de nombreux pays, la Grèce devra remplacer ses F-16 à horizon 2035 ou 2040, sans qu’aucune alternative économiquement viable ne soit en vue à ce jour

Dans le même domaine, les Emirats Arabes Unis investissent massivement dans le développement de leur propre industrie de défense, au point d’avoir longuement étudié la conception d’un chasseur monomoteur avec la Russie, projet qui inspira probablement le Su-75 Checkmate. En outre, Abu Dhabi dispose d’importants moyens pour soutenir ses ambitions, ainsi que d’une influence significative au Moyen-Orient pour soutenir les offres d’exportation. C’est également le cas de son proche allié, l’Égypte, qui, comme les deux précédents, mettait en œuvre une flotte de Mirage 2000 avant de se tourner vers le Rafale, et qui devra, d’ici à une quinzaine d’années, remplacer une très importante flotte de F-16.

En Europe, la Suède pourrait être un partenaire de premier plan, d’autant que le pays peine à placer son JAS 39 Gripen E/F, et qu’il lui sera difficile, dans ces conditions, de développer seul son remplaçant prévu lui aussi pour 2035-2040. On notera à ce titre que Stockholm a récemment pris une certaine distance, pour ne pas dire une distance certaine, avec sa participation au programme britannique FCAS. Toujours en Europe, le Portugal et la Roumanie devront remplacer d’ici à une dizaine d’années leurs flottes de F-16, alors que leurs moyens rendent le Rafale, le Typhoon ou le F-35 difficile à acquérir.

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Les difficultés à l’exportation du Gripen E de Saab compromettent l’avenir de la filière aéronautique militaire suédoise

Dans les faits, de nombreux pays sur tous les continents vont bientôt se retrouver dans une position difficile pour remplacer leurs F-16 ou Mig-29, sans qu’aucune solution comparable ne soit proposée par les grandes nations aéronautiques militaires, en dehors de la Chine et de son J-10C. Dans ce contexte, la France serait probablement en mesure de fédérer plusieurs acteurs significatifs pour participer au développement et à la construction d’un successeur au Mirage, ce d’autant que beaucoup de pays non européens sont enclins à prendre de la distance avec le bras de fer diplomatique que se livrent États-Unis, Chine et Russie désormais.

Conclusion

Si l’hypothèse du développement d’un Super-Rafale comme alternative à l’échec du SCAF offre certains intérêts, il ne fait guère de doute que la conception d’un successeur au Mirage présenterait, elle aussi, des atouts propres des plus significatifs, tant en termes de capacités que de marché adressable et de coopération. Dans une telle hypothèse, la France serait alors en capacité de se repositionner sur un segment pour lequel la demande à venir sera incontestablement importante, alors que l’offre concurrente sera, quant à elle, bien moins dense que pour le segment des chasseurs bimoteurs moyens auquel appartiennent le Rafale et le futur NGF.

Reste qu’aujourd’hui, les ambitions politiques d’une part, la frilosité industrielle d’autre part, rendent difficile l’émergence d’un tel programme pourtant des plus prometteurs. Il est bon de se rappeler, alors, ce que disait le Général de Gaulle au sujet de l’effort industriel de Défense « Si on laissait faire les Français, ils fabriqueraient des porte-clés, pas des porte-avions. Le porte-clés est facile à fabriquer, et facile à vendre. Mais on ne construit pas une grande nation en vendant des porte-clés. »

L’US Army présente ses 6 priorités pour relever le défi chinois et russe en 2030

Jusqu’il y a peu, l’US Army s’appuyait sur deux piliers pour se préparer aux enjeux militaires à venir. D’une part, elle était pleinement partie prenante de la doctrine Joint All-Domain Command-and-Control, ou JADCC, destinée à permettre une inter-opérabilité renforcée entre ses unités, mais également avec les autres armées américaines tel l’US Air Force ou l’US Navy, ainsi qu’avec ses alliés. D’autre part, elle s’était engagée, lors de la mandature précédente, dans le developpement d’un super-programme baptisé BIG-6, en référence au célèbre super programme BIG 5 du début des années 70, qui donna naissance notamment au système Patriot, au véhicule de combat d’infanterie Bradley ou à l’hélicoptère UH-60 Black Hawk. Si l’implication dans la doctrine JADCC reste prioritaire, la guerre en Ukraine ainsi que les tensions autour de Taïwan ont progressivement relégué le BIG 6 aux oubliettes, remplacé par un amas de programmes baptisé les 35 Signatures, des programmes prioritaires pour la modernisation de nombreux équipements hérités pour la plupart de la Guerre froide, notamment ceux appartenant au BIG 5. Reste qu’il manquait un axe stratégique mettant en cohérence ces efforts autour d’objectifs qualitatifs précis et temporalisés. C’est précisément ce que vient de faire Christine Wormuth, la Secrétaire à l’Armée, lors d’une conférence donnée à Fort Benning dans le cadre de la Maneuver Warfighter Conference.

Une chose est certaine, les enseignements de la guerre en Ukraine ont été, de toute évidence, largement pris en compte dans cette stratégie qui repose sur des objectifs qualitatifs à atteindre d’ici 2030, c’est à dire au moment ou l’Armée Populaire de Libération, sa marine et ses forces aériennes, disposeront de la puissance requise pour éventuellement mener une action militaire contre Taïwan. Ces objectifs sont au nombre de 6, allant du renseignement au commandement, de la puissance de feu à la furtivité, et de la coordination à la logistique, et offrent effectivement une cohérence globale aux efforts que devra fournir l’US Army pour répondre au défis chinois dans le Pacifique, ainsi qu’au défi russe en Europe.

PLA Drill Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
Pour faire face aux moyens dont dispose l’Armée Populaire de Libération au début de la prochaine décennie, l’US Army doit profondément repenser ses doctrines et ses moyens

En premier lieu, l’US Army devra disposer de capacités de Renseignement et d’Observation plus étendues, plus performantes et plus denses, lui permettant d’observer en permanence les mouvements de ses adversaires, la composition des forces et les moyens à leur disposition. Ce pilier reposera sur plusieurs programmes visant à conférer à l’US Army des moyens d’observation multi-domaines dans l’ensemble du spectre visuel comme électromagnétique, et ce à tous les échelons, mais également des moyens pour analyser les données produites et les convertir en informations exploitables par les miltaires américains. Cette composante a montré toute son efficacité dans le cadre de l’engagement de haute intensité en Ukraine, ayant joué un rôle que l’on imagine décisif dans la résistance ukrainienne face à la puissance de feu très supérieure des armées russes.

Second enseignement de cette guerre en Ukraine transposé en pilier capacitaire, l’US Army devra être en mesure d’exploiter ses capacités de renseignement supérieures dans des délais raccourcis, la mobilité accrue des unités de combat modernes accélérant l’obsolescence des informations dans le temps. Pour cela, il sera nécessaire de se doter de capacités de commandement et de coordination plus efficaces, et surtout beaucoup plus rapides qu’elles ne le sont aujourd’hui. Cela suppose naturellement des capacités de communication améliorées et robustes, mais également la réorganisation de la chaine de commandement, de sorte à en diminuer les latences structurelles. Cela suppose également de disposer de forces ayant une mobilité sensiblement améliorée vis-à-vis des systèmes existants, de sorte à pouvoir réorganiser rapidement le dispositif pour faire face à une menace ou pour exploiter une faiblesse.

Systeme HIMARS des forces americaines Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
Depuis leur déploiement en Ukraine, les systèmes lance-roquettes de précision HIMARS ont démontré leur efficacité face au dispositif russe en détruisant de nombreux stocks de munitions et postes de commandement

Gagner le défi de la puissance de feu constitue l’objectif du troisième pilier de cette stratégie. Pour cela, l’accent sera mis sur des capacités de frappe à moyenne et longue portée, de sorte à pouvoir atteindre l’adversaire dans la profondeur de son dispositif, tant pour saisir des opportunités que pour désorganiser sa logistique, ses communications et son commandement. Là encore, on voit en entrefilet les enseignements du rôle décisif que jouent les systèmes HIMARS livrés aux forces ukrainiennes depuis quelques semaines, et qui ont déjà lourdement handicapé par leur précision et leur puissance de feu, les capacités de manoeuvre et de coordination des armées russes dans une bande de 50 km à proximité du front.

Si les forces américaines disposeront de capacités de renseignement, de coordination et de frappes accrues dans les années à venir, il est raisonnable de penser que russes et chinois feront de même. D’où le quatrième pilier de cette stratégie, qui ne porte sur rien d’autre que sur la capacité des unités américaines à effacer leur présence du champs de bataille, tant sur le spectre visible qu’électromagnétique. En d’autres termes, pour survivre, les unités de l’US Army devront elles aussi, à l’instar des avions et navires de combat, devenir furtives. Bien évidement, cette furtivité revêt ici d’autres attributs, en misant notamment sur une mobilité renforcée, mais également sur des capacités de camouflage de nouvelle génération, ainsi que sur des leurres et autres systèmes d’obfuscation électromagnétique. Cela suppose également qu’à l’instar de la nouvelle doctrine de l’US Marines Corps, l’US Army s’appuiera sur des unités plus compactes, donc plus faciles à cacher et à mobiliser, tout en s’appuyant sur une coordination accrue pour conserver les bénéfices de la fulgurance et de la puissance de feu quand nécessaire.

US Army rail transport Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
L’US Army devra être en mesure de rapidement déployer ou déplacer ses unités pour exploiter au mieux le bénéfice de la doctrine JADCC

Le cinquième pilier, la capacité de coordination et de communication renforcée avec les forces alliées, peut apparaitre de prime abord comme secondaire. Il n’est en effet pas question de technologies disruptives, ni d’effort capacitaire majeur. Pour autant, il s’agit probablement du plus profond bouleversement qu’entameront les armées américaines depuis la seconde guerre mondiale. En effet, jusqu’à présent, si les armées américaines et alliées avaient coutumes d’agir de manière coordonnée, c’était avant tout à un échelon supérieur. Ainsi, lors de la Guerre du Golfe, les secteurs opérationnels américains, britanniques et français étaient parfaitement séparés, et chaque corps agissait de manière autonome ou presque dans celui-ci. Face à un adversaire de 1,5 milliards d’habitants, il n’est plus question d’agir ainsi, et il s’avère indispensable de permettre aux unités alliées de se coordonner, et ce à tous les échelons, de sorte à conférer une souplesse opérationnelle décuplée au commandement allié, donc à l’US Army.

Enfin, le dernier pilier identifié par Christine Wormuth n’est autre que la capacité de flux logistique, non seulement pour soutenir l’engagement des forces déployées, mais également pour être en mesure de déployer et déplacer de grandes quantités de materiels et d’hommes sur de grandes distances et des délais réduits. Cette capacité est naturellement consubstantielle des 5 autres, puisqu’il s’agit d’exploiter à court terme toutes les failles dans le dispositif adverse, tout en étant en mesure d’en entraver les initiatives. Dans ce domaine, le défi posé par le théâtre indo-pacifique est sans commune mesure avec celui que représente l’Europe, et qui demeure relativement proche dans ce domaine de ce qu’il était durant la Guerre Froide. En effet, s’il est envisageable de prépositionner materiels voire des forces en Europe pour réagir rapidement à une initiative russe, un tel déploiement anticipé est inenvisageable dans l’immensité du Pacifique, offrant des opportunités multiples à l’adversaire pour frapper là ou les défenses sont les plus faibles. Pour y répondre, il est indispensable d’être en mesure de déplacer plus rapidement que l’adversaire des forces suffisantes pour entraver son action, ceci posant un challenge de taille concernant le dimensionnement de l’effort logistique de l’US Army, et plus globalement, de l’ensemble des forces américaines.

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Les grandes concentrations de moyens appartiennent désormais au passé face à l’efficacité des moyens de détection et de frappe à longue distance modernes

Bien que par nature qualitatifs, ces 6 piliers stratégiques définis par Christine Wormuth représentent des évolutions considérables et pourtant nécessaires pour l’US Army afin de relever le défi que représenteront les armées russes et surtout chinoises dès le début de la décennie prochaine. Reste que leur mise en oeuvre, qui plus est sur des délais aussi courts, sera tout sauf aisée, d’autant que la pression opérationnelle n’ira probablement pas en faiblissant dans les années à venir. Par ailleurs, ces efforts devront être produits concomitamment à l’arrivée de nombreux nouveaux équipements majeurs, d’une génération toute autre que les materiels encore en service, et ce dans les 4 armées américaines. De toute évidence, le défi à relever sera donc de taille pour l’US Army, qui devra, pour répondre aux enjeux à venir, se transfigurer totalement et rapidement. Y parviendra-t-elle ? C’est toute la question…

La Rusticité redevient un atout pour les équipements de Défense

La technologie ou la masse ? Cette question a été au coeur des efforts de planification de l’ensemble des armées majeures dans le monde ces 50 dernières années, chacun de ces attributs ayant ses points forts et ses points faibles. Ainsi, la technologie accroit sensiblement l’efficacité et la polyvalence des équipements, tout comme leur survivabilité, mais induit une augmentation des couts de conception et de production non linéaire, et parfois des impasses opérationnelles, comme ce fut le cas pour plusieurs grands programmes américains ces dernières décennies comme les destroyers Zumwalt, les Littoral Combat Ship et le programme GCV de l’US Army. A chaque fois, ces programmes se heurtèrent à des ambitions technologiques excessives entrainant l’explosion des couts, et par la suite l’arrêt de la production. Même pour le très prolifique programme Joint Strike Fighter qui donnera naissance au F-35, s’est confronté a une explosion des couts de developpement, et fait toujours face à des couts de maintenance très supérieurs à ce qui était prévu initialement pour cet appareil visant à remplacer le F-16.

A l’inverse, la masse, qui fut au coeur des préoccupations des armées des deux camps lors de la Guerre Froide, si elle offre une grande resilience et étend les options opérationnelles au combat, souffre de couts de possession très élevés, et se heurte aux difficultés que rencontrent aujourd’hui les armées pour compléter leurs effectifs pourtant déjà réduits. De fait, il était aisé pour les décideurs politiques mais également militaires de se convaincre que la technologie constituait une alternative à la masse, et de concentrer les investissements dans ce domaine, parfois au delà du raisonnable, au point de se doter d’équipements non seulement bien plus onéreux, mais également beaucoup plus fragiles et difficiles à maintenir au combat. Ce difficile arbitrage eut, cependant, des conséquences relativement minimes ces 30 dernières années avec la disparition des conflits de grandes envergures et de haute intensité. La guerre en Ukraine, et les menaces croissantes sur de nombreux théâtres, ont mis fin à ce statu quo. Désormais, pour l’ensemble des armées, il est devenu indispensable de se montrer bien plus regardant et équilibré dans leurs arbitrages.

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Le programme de destroyer Zumwalt est un exemple des excès d’ambitions technologiques ayant mené le programme à sa perte

C’est dans ce contexte que Sebastien Lecornu, le ministre des Armées français, a tenu a redéfinir les priorités d’équipement dans le cadre de la prochaine Loi de Programmation Militaire, qui prendra le relai en 2023 de la LPM 2019-2025. Et parmi les différents axes d’amélioration présentés par le ministre, allant de relaocaition de certaines capacités industrielles à la création de stocks de matériels comme de matière première pour les produire et les entretenir, une notion abandonnée depuis de nombreuses années à refait surface, la rusticité des équipements militaires. « On peut se demander si un équipement à la pointe technologiquement, mais en faible quantité, est préférable à des matériels nombreux, plus rustiques mais indispensables. C’est une question qui se pose dans le cadre du retex Ukraine et de la réflexion sur la résilience de la BITD » a-t-il notamment déclaré dans un discours prononcé le 7 juillet devant l’Assemblée Nationale. Depuis, cette notion de rusticité des équipements a été reprise par le Ministre lui même, comme par le nouveau Délégué Général à l’Armement Emmanuel Chiva. Même pour le Chef d’Etat-Major des Armées, le général Burkhard, la rusticité redevient un enjeu, même s’il fait référence à la rusticité du combattant plutôt que de ses équipements.

Il faut dire que le sujet est loin de faire l’unanimité, en particulier au sein des armées qui craignent de voire les efforts de modernisation des armées à moyen et long terme s’effacer face à des considérations à plus court terme et à moindre ambition. Il est donc indispensable, avant toute chose, de définir ce que recoupe le terme en matière d’équipement de défense. De l’avis du DGA, il s’agit avant tout de disposer du bon équipement pour la bonne mission, en excluant de complexifier, et donc de rendre plus chers, plus long à produire et plus difficile à maintenir, les équipements et leurs cahiers de charge au delà de ces fonctionnalités, qu’il a illustré sur le plateau de BFMTV Business par l’image « Il ne faut pas un couteau suisse pour couper une entrecôte« . A titre d’exemple, il est commun que les systèmes de vision nocturne occidentaux proposent une vingtaine de mode de fonctionnement, alors que dans les faits, les opérateurs n’en utilisent sur le terrain que 2 ou 3. De fait, le terme Rusticité ici employé recouvre une conception plus simple et plus robuste, sans toutefois éluder le bénéfice technologique visé, de sorte à en optimiser les couts et les délais de conception et de fabrication, mais également d’en améliorer la disponibilité et la maintenance, y compris en environnement dégradé.

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Leger, robuste et létale, le CAESAR est un équipement qui porte avec lui une bonne dose de Rusticité, bien qu’il emporte des technologies avancées à son bord.

Au delà des gains de production et des couts réduits, les autorités françaises visent probablement à miser sur l’un des points forts de l’Industrie de Défense nationale. En effet, la Rusticité, au sens tel que défini, est au coeur de la conception de nombreux équipements de défense produits par la BITD. Le canon CAESAR qui démontre depuis plusieurs mois son efficacité en Ukraine, en est un exemple. Ce système d’artillerie sur camion coute en effet moins de 3 fois moins cher que le Pzh2000 allemand, tout en offrant des performances opérationnelles et une survivabilité au moins aussi importantes que le système allemand. De même, les blindés du programme SCORPION, les VBMR Griffon et Serval, et l’EBRC Jaguar, offrent des capacités technologiques avancées mais spécialisées, pour un prix très compétitif. Le Rafale, quant à lui, permet d’effectuer une dépose et remplacement d’un turboreacteur M88 en seulement 3 heures pour une équipe de 4 hommes, là ou le F-35, pour sa part, nécessite une équipe de plus de 20 personnes et plus de 12 heures, uniquement pour la dépose moteur. En d’autres termes, la Rusticité est d’ores et déjà une composante clé du cahier des charges de la majorité des équipements français. Le problème, pour Paris, se trouve probablement davantage dans les programmes internationaux, et en particuliers les programmes Européens, réputés pour leurs complexités, leurs options à rallonge et leurs difficultés de maintenance. Des programmes comme NH90 et A400 ont été marqués par des dépassements de budget importants, des délais non respectés et des difficultés de maintenance, amenant même certains des utilisateurs à renoncer à utiliser le NH90 dans leurs flottes militaires.

Quoiqu’il en soit, alors que les risques d’engagement de haute intensité ont fait à nouveau leur apparition, les industries de défense doivent être en mesure du produire plus d’équipements, plus rapidement et à moindre cout, tout en leur conférant une plus grande robustesse et des procédures de maintenance plus efficaces, y compris en environnement dégradé. Dans ce contexte, la notion de rusticité prend tout son sens, même si elle ne doit pas être opposée, en aucune manière, à la notion d’avantage technologique. Cela suppose également que la prestation de maintenance soit davantage réalisée au sein des armées, ce qui suppose la réorganisation de l’ensemble de la filière y compris pour les industriels eux-mêmes, pour lesquels la maintenance a constitué un excellent relais d’activité ces 20 dernières années avec la diminution des investissements d’équipement. En d’autres termes, la notion de Rusticité recouvre de nombreux aspects, allant bien au delà de la perception triviale que l’on peut lui associer de prime abord. Il ne s’agit donc pas d’être pour ou contre, mais bel et bien d’en appréhender la portée pour en faire une force disruptive, tant pour la conduite des opérations militaires que pour s’imposer dans les compétitions internationales.

5 révélations surprises sur l’Armée russe en Ukraine

Quelques semaines à peine avant le début de l’offensive russe en Ukraine, la presse polonaise se faisait l’écho des résultats d’un exercice de simulation bien inquiétant. Désigné « Zima-2020 » (Hiver 2020), celui-ci montra qu’une offensive russe contre la Pologne verrait la chute de Varsovie en seulement 4 jours, et de l’ensemble des points clés du pays en une semaine seulement. Quatre semaines plus tard, les forces russes qui menaient l’offensive sur Kyiv étaient bloquées dans les faubourgs de la ville, et subissaient de très lourdes pertes de la part d’une armée ukrainienne très combative mais encore mal équipée et désorganisée. Un mois plus tard, Moscou décida de retirer son dispositif dans le nord de l’Ukraine, pour tenter de se tourner vers le Donbass et Kharkiv qui continuaient de résister effrontément aux offensives successives menées par les troupes russes et leurs supplétifs du Donbass, et le sud du pays afin de s’emparer de Marioupol et ainsi faire la jonction avec le Donbass d’une part, et pour s’emparer d’Odessa d’autre part. Aujourd’hui, nous savons que seul Marioupol finit par céder après un combat d’un rare héroïsme, alors que les forces ukrainiennes ont lancé, depuis quelques jours, de vastes offensives pour reprendre une partie du territoire perdu dans le Donbass comme face à Kherson.

De toute évidence, la perception de la puissance militaire russe qu’avaient les experts, qu’ils soient militaires ou civils, était largement erronée. Le comportement des troupes russes en Ukraine, mais également l’efficacité des materiels et celle du commandement, remirent en question de nombreuses certitudes qui existaient en amont de cette guerre. Parmi ces découvertes et révélations surprises, 5 d’entre elles méritent un regard plus particulier : les défaillances de la planification et du renseignement, les difficultés de l’action interarmes, la faiblesse de la puissance aérienne, l’inefficacité de la force navale ainsi que la resilience du pays et des armées face aux pertes.

1- Les défaillances de la planification et du renseignement russe

Jusqu’au 23 février 2022 au soir, de très nombreux experts miltaires, ainsi qu’une majorité de services de renseignement à l’exception notable des Etats-Unis, estimaient qu’une offensive russe contre l’Ukraine était improbable, voire impossible. Au pire s’agissait-il, selon eux, d’un nouveau déploiement de forces aux frontières ukrainiennes pour peser sur les négociations avec l’Europe et l’OTAN. Pour ces experts, il ne s’agissait nullement de naïveté vis-à-vis du régime russe, ni d’une complaisance mal placée pour son président, mais d’une analyse factuelle de la situation. En effet, le dispositif militaire déployé par Moscou, un peu plus de 200.000 hommes, aux frontières de l’Ukraine, semblait bien trop limité pour s’assurer d’une victoire sur les quelques 300.000 défenseurs ukrainiens, même en tenant compte de la supériorité alors supposée du commandement, du matériel, de la puissance de feu, de la puissance aérienne et des troupes russes.

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Les autorités militaires et civiles russes ont de toute évidence sévèrement sous-estimé la résistance des ukrainiens, comme elles ont sur-estimé les capacités de leurs propres unités

En outre, si l’offensive venait à ne pas atteindre ses objectifs en quelques semaines, les armées russes pouvaient alors se retrouver sévèrement handicapées dans leurs manoeuvres par le dégel dans le nord et l’Est du pays. En d’autres termes, les armées russes n’avaient pas les moyens de mener de manière sereine une offensive aussi élargie géographiquement que celles que pouvaient laisser supposer les déploiements de forces. La suite, évidemment, nous la connaissons. L’offensive russe fut stoppée à Kyiv, Kharkiv et dans le Donbass, et seule le front sud permit aux armées russes de réaliser des gains territoriaux substantiels. L’arrivée du dégel à la fin mars obligea l’Etat-major russe à retirer ses troupes du nord du pays, incapables qu’elles étaient de manoeuvrer efficacement, alors qu’elles subissaient des pertes croissantes et lourdes de la part d’unités ukrainiennes plus légères et très mobiles.

De toute évidence, l’opération militaire russe avait souffert de graves défaillances, tant en matière de planification que de renseignement. Les stratèges russes, en premier lieu desquels Vladimir Poutine paré de toutes les vertus y compris d’un talent de grand maitre en matière de jeu d’échec, n’avaient visiblement pas su anticiper les revers auxquels les armées allaient être exposées, et avaient gravement sous-estimé la combativité et la capacité de résistance des ukrainiens eux-mêmes, comme de leurs chefs. A ce jour, on ignore encore les raisons de telles erreurs, qui pourtant apparaissaient évidentes aux yeux des analystes occidentaux. Il est probable que, comme souvent, plusieurs facteurs concomitants ont engendré un tel échec, allant des pressions exercées par le pouvoir à la sur-evaluation des capacités opérationnelles des unités russes sur fonds de corruption endémique, ainsi qu’à la grave sous-estimation du potentiel de résistance et de mobilisation du pouvoir ukrainien. Reste que, de toute évidence, la supériorité stratégique et tactique des armées russes, encore supposée au début de l’année 2022, a largement été battue en brèche par une armée composée de conscrits et de réservistes, et il est probable que si « Zima 2020 » venait à être rejoué aujourd’hui, les résultats seraient très différents.

2- Les difficultés des unités russes en matière d’action interarmes

Dans la plupart des publications doctrinales russes de ces 30 dernières années, ainsi que dans celles des forces soviétique depuis le milieu des années 70, le батальонная тактическая группа (БТГ), Battalion Tactical Group ou BTG, représentait l’alpha et l’oméga de l’organisation des unités au combat. Pionnière dans le domaine de l’interarmes, les armées soviétiques avaient en effet théorisé et organisé leurs capacités autours d’un Bataillon de combat d’infanterie mécanisée ou de chars, en y intégrant des éléments inter-armes comme de l’artillerie, du génie, des capacités de renseignement ou de transmission, de sorte à leur conférer une grande autonomie opérationnelle sur le terrain. Les armées russes ont naturellement hérité de cette organisation, et des efforts furent même faits ces dernières années pour en accroitre l’efficacité. Toutefois, durant les deux premières phases du conflit ukrainien, la majorité des unités engagées par l’Etat-major russe le furent non pas en tant que BTG, mais en tant qu’unité organique, et l’action interarme était déléguée à l’échelon de la brigade voire de la division, perdant au passage une grande partie de son efficacité.

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Lors des grands exercices annuels, les armées russes ont toujours déployé leurs unités sous la forme de BTG

Alors qu’en amont de l’offensive, les experts les plus reconnus estimaient le nombre de BTG constitués déployés aux frontières ukrainiennes entre 80 et 100, très peu de ces unités interarmes furent effectivement observées une fois l’offensive déclenchée. De toute évidence, l’état-major russe n’avait pas voulu, ou n’avait pas pu, constituer ces BTG en amont de l’engagement, et dut alors se contenter d’employer les unités dans leur dimension organique sur le terrain. Plusieurs explications ont été données à ce sujet. Ainsi, il est possible que le temps vint à manquer pour effectivement constituer les BTG, ce d’autant qu’une grande partie des troupes ignoraient jusqu’au début de l’offensive la finalité de la manoeuvre. En outre, il est apparu que les armées russes manquaient cruellement de cadres intermédiaires, ceux qui constituent le ciment efficace des unités, et qui sont encore davantage nécessaire dans le cas de BTG. Enfin, il est possible que l’état-major russe était à ce point certain de l’effondrement rapide de la résistance ukrainienne, qu’il était au final pas nécessaire d’organiser des unités aussi complexes que les BTG.

Après le redéploiement des forces entre la fin mars et la mi-avril, il semble que les unités déployées dans le Donbass, autour de Kharkiv et de Marioupol, avaient effectivement une structure de BTG. Toutefois, celles-ci avaient déjà subi de lourdes pertes liées aux combats précédents, et là ou un BTG russe doit aligner entre 800 et 1000 hommes de manière optimale, ceux-ci ne disposaient que de 500 ou 600 hommes, parfois moins, entamant naturellement leur efficacité. Quoiqu’il en soit, il est évident que les armées russes ont rencontré, en Ukraine, d’importantes difficultés pour mettre en oeuvre les unités et leurs doctrines interarmes, ceci étant, pour partie, à l’origine de leurs mauvaises performances constatées sur le terrain.

3- la faiblesse de la puissance aérienne russe

Avec 1200 chasseurs et chasseurs-bombardiers en ligne, dont 400 avaient été déployés à proximité des frontières ukrainiennes, les forces aériennes russes surclassaient numériquement très nettement les quelques 70 chasseurs ukrainiens en capacité de voler avant le début du conflit. En outre, les forces russes alignaient des appareils bien plus modernes comme le Su-30SM, le Su-34 et le Su-35s, face aux anciens Su-27, Su-24 et Mig-29 ukrainiens. De fait, personne n’imaginait, au début du conflit, que la supériorité aérienne puisse échapper aux russes, d’autant que ceux-ci avaient déployé de nombreuses unités de défense anti-aérienne, y compris les très modernes S-400 et Pantsir, et que Moscou annonça quelques heures seulement aprés le début de l’offensive que ses frappes de missiles et d’aviation avaient totalement éliminé les forces aériennes ukrainiennes au sol comme en vol. Là encore, la surprise fut grande quand il devint évident que les armées russes peinaient à s’imposer dans le ciel, entravées qu’elles étaient par une chasse ukrainienne faible mais tenace, et par une defense anti-aérienne bien organisée par l’état-major ukrainien.

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Les forces aériennes russes disposent d’appareils bien plus modernes que ceux en service au sein des forces ukrainiennes, comme le Su-30SM

Au bout de 6 mois de conflit, et en dépit de plusieurs milliers des missiles tirés contre les infrastructures, les bases aériennes et les défenses anti-aériennes ukrainiennes, les fores aériennes russes ne sont toujours pas en mesure d’assurer une supériorité aérienne permanente, et continuent de perdre de nombreux appareils du fait de la DCA et de la chasse ukrainiennes. En outre, les appareils russes n’ont toujours aucune liberté de manoeuvre au dessus du champs de bataille, et ont, semble-t-il, consommé l’essentiel de leurs stocks de munitions aéroportées de précision, obligeant les chasseurs bombardiers engagés au soutien des unités au sol, à employer des munitions lisses et à suivre des profils de vol les exposant davantage aux ripostes ukrainiennes.

Si les forces aériennes russes ont montré des faiblesses évidentes, il est cependant nécessaire de relativiser les effets de cette faiblesse sur la conduite des opérations terrestres. En effet, la flotte de chasse russe est avant tout composée de chasseurs purs, comme le Su-27 et le Su-35s, ainsi que d’intercepteurs Mig-31. Les appareils polyvalents comme le Mig-29 et le Su-30, et les bombardiers comme le Su-24, le Su-25 et le Su-34, ne représentent que la moitié de celle-ci. A titre de comparaison, l’US Air Force aligne 200 chasseurs F-22 et autant de chasseurs F-15, pour 1400 chasseurs bombardiers F-15, F16, F-35 et A10, la puissance de feu déployée par la force aérienne étant autrement plus déterminante pour les armées américaines et occidentales que pour les armées russes, par ailleurs très largement dotées en matière d’artillerie et de lance-roquettes multiples. Reste que ce qui était considéré jusqu’ici comme la seconde puissance aérienne mondiale a été neutralisée en grande partie par des appareils de combat et des systèmes anti-aériens d’ancienne génération, par ailleurs conçus en Russie, et en infériorité numérique sévère.

4- L’inefficacité de la puissance navale russe en Mer Noire

Le 13 avril 2022 fut incontestablement une date clé dans le déroulement du conflit en Ukraine. C’est ce jour que deux missiles anti-navires R-360 Neptune ukrainiens parvinrent à frapper le croiseur russe Moskva, entrainant la perte du plus important navire de guerre en action de combat depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Quelques jours plus tôt, le 24 mars, le navire de débarquement Saratov de la classe Alligator fut coulé à quai dans le port de Berdiansk récemment capturé par les forces russes, alors que deux navires d’assaut plus légers de la classe Ropucha étaient endommagés dans une attaque ukrainienne, handicapant sévèrement les capacités d’assaut amphibie de la flotte russe de la Mer Noire. Par la suite, les actions de cette flotte que l’on imaginait décisive au début du conflit, se limitèrent à des tirs de missiles de croisière, sans jamais être à l’origine d’une action militaire significative, si ce n’est le blocus des ports de commerce ukrainiens indispensables à l’exportation des céréales cultivées dans le pays. En Méditerranée Orientale, les deux croiseurs Varyag et Marechal Oustinov, sister-ships du Moskva, déployés initialement pour contre-carrer les déploiements potentiels des navires de l’OTAN, eurent eux aussi un rôle des plus symboliques. Ces derniers jours, la situation ne s’est guère améliorée pour la flotte de la Mer Noire russe, celle-ci ayant du évacuer la majorité de ses unités navales du port de Sevastopol en Crimée vers les ports russes de Mer Noire, la Crimée étant de toute évidence à portée des missiles et des saboteurs ukrainiens.

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La perte du Moskva constitue une humiliation qu’il sera difficile d’effacer pour la Marine russe

Pourtant, avec un croiseur, cinq frégates, 6 sous-marins et une vingtaine de corvettes et patrouilleurs lance-missiles, la flotte de la Mer noire russe était considérée comme sans égale sur ce théâtre, et en capacité de s’emparer sans coup férir de l’ensemble de cette mer n’ayant qu’un accès exigu avec la Méditerranée. En outre, Moscou avait la possibilité, au besoin, de transférer des éléments de la flotte de la Mer Caspienne en Mer Noire par l’intermédiaire des fleuves Volga et Don et du canal les reliant. En outre, le croiseur Moskva et les 3 corvettes Admiral Grigorovich disposaient à eux seuls d’une puissance anti-aérienne et anti-navire des plus conséquente, sensée interdir le survol et la navigation dans l’ensemble du bassin. Enfin, les 3 grands navires de débarquement de la classe Alligator, et les 5 navires de débarquement de la classe Ropucha, devaient permettre aux troupes de marines de la 810ème brigade d’infanterie de marine de mener des actions amphibies déterminantes. Force est de constater que l’ensemble de la puissance navale russe a été d’une efficacité toute relative sur le déroulement du conflit depuis le 24 février. En particulier, elle n’a été en mesure de mener aucune grande action amphibie, si ce n’est quelques déploiements ponctuels en zone contrôlée pour renforcer l’offensive contre Marioupol, sans jamais, comme attendu, venir effectivement menacer Odessa.

5- La resilience de l’opinion publique et des armées russes face aux pertes

De toute évidence, les armées russes n’ont montré, dans ce conflit en Ukraine, qu’une vision décevante des capacités qu’il était commun de leur prêter avant-guerre. Toutefois, il est un domaine dans lequel celles-ci, mais également l’opinion publique du pays, ont montré une force bien supérieure à celle anticipée auparavant. En effet, beaucoup d’experts estimaient que la société russe, et par voix de conséquence ses armées, avaient une tolérance limitée aux pertes humaines. Cette perception n’était pas infondée. Que ce fut lors des guerres de Tchétchénie ou lors du conflit afghan durant l’époque soviétique, la société civile russe avait joué un grand rôle sur le déroulement de ces conflits et sur leur conclusion, lorsque les pertes commentèrent à grimper. Au point que l’on attribue à la guerre d’Afghanistan et à ses 15.000 soviétiques tués (officiellement), une des causes de la chute de l’Union Soviétique, et aux terribles pertes enregistrées lors de la bataille de Grozny la fin de l’ère Eltsine, alors que l’image publique de Vladimir Poutine a beaucoup bénéficié du fait qu’il ait mis fin aux déploiements de miltaires et de conscrits russes en Tchétchénie.

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Les forces russes auraient perdu plus de 1000 chars de combat depuis le début de la guerre

Pourtant, après la désastreuse entrée en matière que furent les offensives sur Kyiv et Kharkiv, il devint vite évident que les pertes materiels comme humaines enregistrées par les forces russes étaient très importantes. Selon les sources, elles atteignaient entre 30.000 et 50.000 hommes, dont un quart de tués, à la fin du mois de Mai, alors que prés de 10.000 pièces d’équipements avaient également été perdues. En dépit de ces pertes très importantes, qui auraient suffit à dissuader l’immense majorité des forces armées occidentales, les armées russes maintinrent leurs présences et leurs offensives contre les positions ukrainiennes, en particulier dans le Donbass. En outre, là ou l’Ukraine put rapidement s’appuyer sur le soutien d’un grand nombre de pays occidentaux envoyant sans discontinuer munitions, vivres, équipements de protection et même armements de plus en plus lourds et sophistiqués, les troupes russes durent maintenir leur effort sur les seules réserves nationales, avec parfois quelques anachronismes comme le déploiement observé de chars T-62 qui, comme le nom l’indique, datent du milieux des années 60.

Le plus surprenant reste incontestablement l’absence de réaction de l’opinion publique russe elle-même, alors que près de 20.000 de ses fils auraient perdu la vie en 6 mois, 30% de plus que les 15.000 tués en Afghanistan sur 9 années de temps. Certes, le régime de Vladimir Poutine a une main mise des plus fermes sur les médias et sur la société civile, mais c’était également le cas à la fin des années 80 en Union Soviétique, ce qui n’empêchât pas l’émergence du mouvement des mères de soldat qui joua un rôle déterminant dans le retrait russe d’Afghanistan. Evidemment, la majorité des tués venait des républiques du Caucase et des régions excentrées de Sibérie, moins réactives que les grandes villes comme Moscou, Saint-Petersbourg, Rostov ou Samara. Mais là encore, la situation était similaire lors de la guerre d’Afghanistan, la majorité des conscrits déployés venant alors des républiques du Caucase, d’Asie centrale ou des Pays Baltes.

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Les pertes russes pourtant très sévères n’ont pour l’heure pas déclenché de mouvement de protection dans le pays

Reste que cette resilience à l’attrition, en hommes comme en matériel, constitue aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur, nonobstant les nombreuses défaillances démontrées de l’Armée russe en Ukraine. En effet, aucune armée occidentale n’a eu, dans son histoire récente, à faire face à une attrition aussi importante, et il est difficile de penser que celles-ci, comme les opinions publiques qui les soutiennent et les conditionnent, seraient en mesure de demeurer aussi stoïque dans ce telles circonstances, sans même faire état des rudes contraintes que subissent les populations russes sous l’effet des sanctions occidentales depuis 6 mois. Au final, cette force démontrée par la Russie, mais également par l’Ukraine dans des proportions similaires mais dans un contexte bien différent, peut constituer un pilier sur lequel le régime russe peut espérer maintenir son rapport de force avec l’occident dans les années à venir, même si l’efficacité de ses armées peut faire débat.

Conclusion

On le voit, en de nombreux aspects, les armées russes n’ont pas démontré, dans cette campagne, les capacités qu’on leur prêtait volontiers jusqu’ici. Il faut reconnaitre que Moscou, au travers d’imposants exercices annuels, de déploiements limités mais audacieux comme en Syrie ou en Arménie, et d’actions d’éclat comme la capture de la Crimée, avait su parfaitement dépeindre une image des plus flatteuses de l’ensemble de ses forces armées ces dernières années. En outre, l’apparente confiance inébranlable du Kremlin dans la supériorité de son outil militaire, tendait également à accroitre cette perception de puissance. De fait, tous les experts, y compris les plus importants et mieux renseignés agissant au profit de la simulation, ont semble-t-il sensiblement sur-évalué les capacités réelles des unités russes, de leur équipement et de leurs capacités opérationnelles. Il sera difficile désormais pour le Kremlin d’inspirer la même inquiétude en Europe qu’il n’y a de cela que quelques mois. Toutefois, il serait bien imprudent de penser que ce constat peut s’appliquer, par transitivité, à d’autres forces, en particulier aux forces chinoises, comme de se persuader que les faiblesses russes démontrées ici ne seront pas analysées et corrigées dans les mois et années à venir.

Arrow 3, KF-51 Panther, F-35.. : l’Allemagne tourne le dos à la France sans le dire

Depuis plusieurs mois, les programmes de coopération industrielle de défense franco-allemands souffrent d’une divergence industrielle profonde, comme c’est le cas de l’opposition entre Dassault Aviation et Airbus DS dans le domaine du programme d’avion de combat de nouvelle génération SCAF, ou entre Nexter et Rheinmetall dans celui du programme de chars de combat du futur MGCS. Par ailleurs, Berlin a pris des distances voire s’est retiré de certaines coopérations, comme du programme MAWS d’avion de patrouille maritime sabordé par l’acquisition de P-8A Poseidon américains, le programme d’évolution de l’hélicoptère de combat Tigre 3 qui ne sera réalisé que par Paris et Madrid (mais auxquels les entreprises allemandes participeront), ou le programme mort né CIFS d’artillerie du futur, relégué aux calendes grecques officiellement, sachant qu’il est désormais très improbable qu’il puisse véritablement émerger un jour. Au delà des oppositions industrielles, un subtil mais de plus en plus marqué mouvement de recul a été entamé de la part des autorités allemandes depuis 2 ans, et accentué depuis le départ d’Angela Merkel de la Chancellerie. Toutefois, les déclarations faites ces derniers jours, comme les décisions annoncées par Berlin, font aujourd’hui franchir une nouvelle étape à ce divorce probable en devenir entre Paris et Berlin dans le domaine de la Défense.

En effet, les déclarations se sont multipliées outre-Rhin pour remettre en question la pertinence de cette coopération, au sens élargi du terme. La plus spectaculaire fut incontestablement faite par le Chef d’Etat-Major de la Bundeswehr lui-même, le général Eberhard Zorn. Alors qu’il s’exprimait le 12 septembre devant le conseil fédéral des affaires étrangères, la DGAP, celui-ci a en effet déclaré qu’il avait besoin aujourd’hui de materiels qui roulent, qui voguent et qui volent, effectivement disponibles et opérationnels, et non de vagues projets européens à l’avenir et aux performances incertaines. Et d’ajouter que les exemples récents accréditaient ses réserves, en précisant qu’il ne souhaitait pas donner d’exemple pour ne pas viser certains industriels. Cette déclaration a fait l’effet d’une bombe dans la presse allemande, de nombreux experts ayant notamment dénoncé le manque de progrès des programmes SCAF et MGCS, et n’ayant pas manqué de faire valoir des solutions alternatives, comme le programme FCAS britannique, et le KF-51 Panther de Rheinmetall.

Tempest 3D Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
Le Tempest britannique est de plus en plus fréquemment évoqué comme une alternative efficace pour l’Allemagne que programme SCAF franco-allemand

Cette déclaration intervint alors qu’officiellement, la position de Berlin est toujours de soutenir la coopération Européenne, comme la répété Olaf Scholz le 30 aout à Prague. Toutefois, elle n’est probablement pas le fait d’un général Zorn exaspéré par l’absence de progrès de certains coopération. Rappelons nous en effet que lorsque son homologue de la Luftwaffe avait exprimé sa préférence pour le F-35 américain face au Typhoon et au Super Hornet pour la modernisation de son armée, celui-ci avait été vertement remercié par Angela Merkel, pour ne pas avoir collé à la doctrine officielle. A l’inverse, les déclarations du Général Zorn aujourd’hui semblent fédérer de nombreux voix outre-Rhin, experts comme politiques, qui estiment notamment que Berlin est le seul acteur européen en mesure de financer des programmes comme SCAF/FCAS et MGCS. Dernière annonce fracassante bien qu’anticipée, les autorités allemandes ont annoncé hier avoir sélectionné le système anti-balistique Arrow 3 de l’israélien IAI conçu en collaboration avec Boeing pour armer le bouclier anti-aérien et anti-missile européen proposé par Olaf Scholz il y a deux semaines, et ce, alors que la France et l’Italie développent de leur coté le missile anti-balistique Aster Block 1NT, pour le coup vraiment européen et capable d’intercepter des missiles d’une portée de plus de 1500 km, soit l’essentiel de l’arsenal tactique russe.

Coté français, on tente de temporiser. Ainsi, des avancées ont été mises en avant dans les négociations entre Dassault Aviation et Airbus DS au sujet du SCAF, sans que l’on sache précisément comment les positions antagonistes des deux avionneurs pourraient trouver un terrain commun pour effectivement avancer. Le nouveau DGA, Emmanuel Chiva, a par ailleurs indiqué qu’il était désormais envisagé que SCAF produise non pas un mais deux appareils, l’un français et l’autre allemand, sur une base technologique commune, bien que cette approche n’était pas celle privilégiée par Paris, a-t-il précisé. Dans les faits, et comme nous l’avions déjà abordé et ce depuis plusieurs mois, cette hypothèse représente probablement la seule alternative pour effectivement répondre aux exigences divergentes des deux partis.

Eurodrone en vol Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
Parmi les nombreuses provocations de Berlin au sujet de la coopération franco-allemande de Défense, figure le choix d’Airbus DS d’équiper le drone Euromale de moteurs italiens de conception américaine, plutôt que le moteur entièrement français proposé par Safran

Elle ne sera pour autant pas simple à mettre en oeuvre. En effet, la répartition industrielle des 7 piliers du programme SCAF, mais également du programme MGCS et du programme Euromale, fut organisée afin de contre-balancer le fait que Dassault Aviation allait effectivement concevoir le NGF, l’avion de combat du programme. Du fait de l’impact industriel, technologique et budgétaire de ce pilier, Berlin fit main basse sur la presque totalité des autres piliers et programmes, dirigeant pleinement MGCS et Euromale, ainsi que 4 des 7 piliers de SCAF, alors qu’un pilier était attribué à l’Espagne, et que le pilier motorisation était co-developpé par Safran et MTU. Dès lors, si le plier NGF venait à être scindé, il serait nécessaire de redistribuer les attributions industrielles dans les 6 autres piliers afin d’équilibrer la coopération industrielle, mais également au sein des programmes MGCS et Euromale, ce qui provoquerait, sans le moindre doute, un puissant mouvement de recul de la part de Berlin.

Si la programme SCAF est sous menace, le programme MGCS, lui, est directement visé par le KF-51 Panther de Rheinmetall. Ce char de combat, développé en fonds propres par l’industriel, représente en quelques sortes l’anti-thèse du programme franco-allemand, puisqu’il a été développé rapidement, de manière economique, qu’il est, aux dires de Rheinmetall, prêt à être produit, et qu’il répond aux exigences immédiates, et non aux exigences supposées de dans 15 ans. De fait, l’hypothèse de voir la Bundeswehr se tourner vers ce char dans les mois ou années à venir, est très sérieuse, d’autant que la pression opérationnelle exige que celle-ci renforce ses moyens lourds. En outre, une telle décision étant actée, elle permettrait le rapprochement entre Rheinmetall et KMW, tant pour préserver l’outil industriel que pour faire émerger un super acteur européen de défense allemand. Un tentative avait déjà eut lieu il y a deux ans, mais s’était heurtée au refus de Paris de vois Nexter dilué au sein de KNDS par l’intégration de Rheinmetall dans le groupe. Du point de vue allemand, un tel rapprochement permettrait non seulement d’optimiser les capacités industrielles du pays dans le domaine des blindés, mais également de faire face à l’émergence probable d’autres acteurs, comme le couple formé entre la Pologne et la Corée du Sud.

Type212 allemagne Air Independant Propulsion AIP | Alliances militaires | Analyses Défense
Au printemps 2019, les 6 sous-marins Type 212 de la Marine allemande étaient à quai et incapables de prendre la mer. Pourtant, ce sont des navires entièrement allemands, n’intégrant aucun composant européen à blâmer.

Au delà de ces aspects purement factuels qui tendent vers un effilochage de la coopération franco-allemande en matière d’industrie de défense, une narrative particulièrement efficace a été mise en place pour convaincre l’opinion publique germanique, naturelle encline à soutenir la coopération entre Paris et Berlin, de la nécessité d’un tel revirement. Ainsi, bien que du point de vue budgétaire, les participations françaises et allemandes sont strictement équilibrées au prorata de l’effort industriel et des investissements prévus, le discours visant à presenter l’Allemagne comme le financier de ces programmes est répété en boucle outre-Rhin. Or, le sujet est très sensible dans une opinion publique allemande biberonnée depuis deux décennies à ce type d’arguments, vis-à-vis de la Grèce d’une part, de la dette des pays méditerranéens d’autre part, et désormais concernant la coopération européenne en generale, et franco-allemande en particulier. Ainsi, les arguments avancés par le général Zorn, visant spécifiquement des équipements européens, passent largement sous silence le fait qu’il y a peu encore, une grande partie de la flotte allemande, pourtant composée exclusivement de navires conçus et fabriqués outre-Rhin, de sa force aérienne alignant Tornado et Typhoon, de ses hélicoptères lourds (des CH-53) ou de son parc blindé (exclusivement made in Germany), présentaient des disponibilités catastrophiques, alignées avec celles des Tigre et autres A400M. Dans ce contexte, ce n’est pas tant l’origine des équipements que les défaillances de la Bundeswehr qui devraient être pointées du doigt. Evidemment, le message passerait probablement moins bien ….

Quoiqu’il en soit, la dynamique engagée il y a un an avec la commande de 5 P8A Poseidon, confirmée par la commande d’avions F-35, et désormais de missiles anti balistiques Arrow 3, et mise en scène dans une narrative qui semble parfaitement orchestrée par les autorités allemandes, ne laisse que peu de doute quant à l’avenir effectif de ces coopérations franco-allemandes. De toute évidence, Berlin veut faire main basse sur la Défense européenne comme elle le fit sur de nombreux leviers économiques, et la marginalisation de la France en est l’un des pré-requis. Dans ce contexte, le temps perdu dans ces coopérations stériles profite de toute évidence à la concurrence, comme le démontre l’émergence surprise du KF-51 Panther, alors que les alternatives comme évoquées autour du SCAF, ne semblent plus désormais apporter de réponse adaptées aux ambitions allemandes récemment dévoilées. Dans ce bras de fer, l’Allemagne défend avec une grande énergie ses intérêts. Il est plus que temps que Paris fasse de même, en prenant, de la même manière, des positions nationales alternatives.