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LPM 2023 : La France veut donner à ses Armées les moyens nécessaires pour faire face aux nouvelles menaces

Suite à l’élection de françois Hollande à la présidence de la République en 2013, le nouveau gouvernement de Jean-marc Ayrault entreprit de concevoir une nouvelle Loi de Programmation Militaire, avec l’objectif clairement affiché de réduire au strict minimum les dépenses de l’Etat dans ce domaine. C’est dans ce contexte que les services du Ministère des finances de Bercy entreprit de proposer le fameux « Plan Z », visant à limiter les forces armées françaises à un corps expéditionnaire de 60.000 hommes pour les opérations exterieures, et à la dissuasion pour traiter la menace internationale perçue alors comme particulièrement diffuse, ce en dépit des nombreuses alertes qui montraient depuis 2008 que la Russie, mais également la Chine, la Turquie ou l’Iran, suivaient des trajectoires de confrontation. Il fallut alors tout le poids politique du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, et une position des plus fermes des 4 chefs d’Etat-major de l’époque, pour faire renoncer Bercy comme Jean-marc Ayrault dans leurs objectifs. Bien que le budget des armées ne connut aucune croissance sur ce quinquennat, et que le format des armées fut revu à la baisse, l’action conjointe des chefs des armées permit de limiter considérablement les dégâts en maintenant un format d’armée global, même si certaines de ses composantes étaient réduites au seul maintien de compétences.

C’est notamment grâce à leur opiniâtreté et leur détermination qu’Emmanuel Macron et Florence Parly purent lancer, dès 2017, une trajectoire budgétaire afin de réparer les armées, car il restait quelque chose à réparer? L’application stricte de la Loi de programmation Militaire 2019-2025 permit d’amener le budget des Armées à 41 Md€ en 2022, contre 32 Md€ en 2016, soit une hausse de presque 30% en 5 ans. Alors que le nouveau Ministre des Armées Sebastien Lecornu a entrepris de concevoir une nouvelle Loi de Programmation Militaire sur la période 2023-2029 afin de répondre à la très rapide détérioration des enjeux sécuritaires y compris en Europe, il semble qu’une nouvelle foi, et en dépit des conséquences que l’on peut imaginer si le Plan Z avait été mis en oeuvre en 2013, Bercy entend jouer les arbitres face aux ambitions budgétaires annoncées par l’Hotel de Brienne, mais d’une manière radicalement différente.

le drian hollande Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Il fallut toute la determination de JY LeDrian et des 4 chefs d’état-major en 2013 pour empêcher le sabordage budgétaire des Armées françaises

En effet, Sebastien Lecornu et le Ministère des Armées travaillent aujourd’hui sur une trajectoire globale de 400 à 410 Md€ sur la période 2023-2029, soit une moyenne de 57 à 58 Md€/an, soit une hausse de 16 Md€/an et de presque 40% vis-à-vis du budget 2022. Bercy, pour sa part, reste campé sur une depense globale de 377 Md€ sur la même période, soit un budget moyen de 53 Md€ par an et une hausse limitée à 12 Md€ et 31% par an. Une fois transposé dans une hausse linaire des crédits, le Ministère des Armées viserait un budget des Armées à hauteur de 73 Md€ en 2029 soit un effort de défense de 2,7% (la valeur recommandée à de nombreuses occasions dans nos articles), alors que Bercy voudrait limiter cet objectif à 65 Md€ en 2029 et un effort de défense à 2,4%. Force est de reconnaitre que la proposition de Bercy aurait probablement ravi l’ensemble des militaires il n’y a de cela que quelques années, alors que la trajectoire proposée par le Ministère des Armées répond précisément aux besoins des Armées en tenant compte des réalités objectives françaises. Toutefois, la trajectoire proposée par l’Hotel de Brienne offrirait des opportunités démultipliées à la France, tant en Europe que dans le Monde.

image 2 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France

Ainsi, en tenant compte des effets de l’inflation prévisible dans la décennie à venir, le plan de financement de Bercy permettrait d’augmenter sensiblement le format des Armées. On peut ainsi projeter qu’un tel budget serait adapté pour financer une hausse des effectifs de 50.000 militaires pour atteindre 260.000 soldats et le doublement des effectifs de Reserve pour atteindre 80.000 hommes, la création d’une 3ème division pour l’Armée de Terre, l’augmentation du format de la Marine Nationale de 5 frégates, 3 sous-marins nucléaires d’attaque ainsi que le financement d’un second porte-avions nucléaire, et d’amener l’Armée de l’Air et de l’Espace à mettre en oeuvre entre 270 et 300 avions de chasse, ainsi que 50 avions de transport lourds et une vingtaine d’avions ravitailleurs. Elle permettrait enfin de renforcer la dissuasion, avec un probable 5ème sous-marin nucléaire lanceur d’engins afin de maintenir 2 submersibles en patrouille à chaque instant.

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La trajectoire budgétaire prévisible de la prochaine Loi de programmation militaire permettrait de financer la construction d’un second Porte-avions nucléaire de nouvelle génération

La trajectoire proposée par le Ministère des Armées est plus ambitieuse, en ce sens non pas qu’elle permettrait d’accroitre le format des Armées au delà de ce que la trajectoire de Bercy permettrait, mais en permettant d’accélérer la mise en oeuvre de cette trajectoire, et d’étendre et de moderniser les moyens des armées à un rythme beaucoup plus soutenu. Dit autrement, l’approche budgétaire de l’Hotel de Brienne permettrait d’atteindre le format pré-cité entre 2035 et 2040, là ou la trajectoire de Bercy devra attendre 2040 voire 2045 pour y parvenir. En outre, et c’est loin d’être négligeable, les moyens supplémentaires réclamés par le Ministère des Armées permettront à Paris de rester au contact de Londres et de Berlin en matière de dépense de défense, de sorte à préserver l’équilibre hérité de la guerre froide entre ces 3 pays. Enfin, la France serait en mesure de s’aligner sur la hausse de moyens envisagée par Berlin dans le cadre des programmes SCAF et MGCS, de sorte à maintenir le statu quo industriel, tout en envisageant d’accélérer le calendrier de ces deux programmes, tout en offrant plus de flexibilité au Minarm afin de developper certains programmes complémentaires.

On peut s’attendre à d’intenses tractations entre Bercy et l’Hotel de Brienne dans les jours et semaines à venir, afin de parvenir à un accord applicable. Dans ce domaine, le Ministère des Armées n’est pas dénué de munitions, ni d’arguments. En effet, le passage d’un effort de défense de 2,4 à 2,7% PIB, permettrait au ministère des Armées d’accroitre la quote-part consacrée à l’investissement industriel, que ce soit en matière d’achats d’équipements et de Recherche et Développement. Or, comme nous l’avons à de nombreuses reprises abordé, le retour budgétaire des investissements industriels du Ministère des Armées est presque deux fois plus important que celui lié aux dépenses de ressources humaines ou de fonctionnement. En d’autres termes, en concentrant le surplus de crédits réclamé vers l’acquisition et de developpement d’équipements, l’effort budgétaire final, comprendre la différence entre les dépenses de l’Etat dans ce domaine et les recettes et économies générées par ces investissements, évoluerait de manière beaucoup plus limitée, tout en soutenant la compétitivité de cette industrie sur la scène internationale en pleine recomposition, et l’efficacité des armées au combat.

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L’Armée de Terre pourra accélérer le lancement du programme TITAN pour moderniser et étendre sa composante lourde

Reste que même si une trajectoire intermédiaire venait à être retenue, par exemple à 490 Md€ soit un budget de 68 Md€ / 2,55% du PIB en 2029, il est évident que le gouvernement français a effectivement pris la pleine mesure des menaces, et entend mettre à disposition des armées les moyens nécessaires pour répondre aux enjeux sécuritaires à venir. Pour peu que le présent gouvernement respecte lui aussi à la lettre la future trajectoire budgétaire visée par la LPM 2023-2029, comme ce fut le cas pour la précédente LPM, les Armées françaises disposeront à nouveau d’un format et des moyens pour répondre aux menaces et peser sur la géopolitique internationale conformément au poids économique du pays, ainsi que d’un effort de défense comparable à celui qui prévalait au début des années 80. En outre, si Berlin, Londres , Rome et Varsovie venaient eux aussi à suivre les trajectoires évoquées, l’Europe aurait alors, dès le début de la prochaine décennie, les moyens de neutraliser la menace russe sans que l’aide américaine soit nécessaire, et d’assister Washington pour contenir les ambitions de Pékin dans le Pacifique. Une chose est certaine, pendant plusieurs décennies, tous redoutaient le réveil du géant chinois. Si celui-ci a bel et bien eut lieu, il semble aujourd’hui qu’en attaquant l’Ukraine, Vladimir Poutine ait réussi à réveiller le coeur guerrier des européens, ce que pour le coup, personne n’avait anticipé jusqu’ici y a peu.

Quels sont les 4 piliers qui feront de la Chine la super-puissance militaire mondiale en 2035 ?

Si aujourd’hui, la Chine demeure surclassée par les États-Unis, elle pourrait bien, d’ici à 2035, devenir la première super-puissance militaire de la planète, en s’appuyant sur quatre piliers efficacement maitrisés.

Avec 2 millions de soldats, moins de 3000 chars modernes, un millier d’avions de combat de 4ᵉ génération et seulement deux porte-avions et une trentaine de destroyers, les armées chinoises sont, sur le papier du moins, loin de représenter un adversaire potentiel hors de portée des Etats-Unis, et encore moins du camp occidental dans son ensemble.

Pourtant, la construction militaire entreprise par Pékin depuis une trentaine d’années est aujourd’hui l’obsession des militaires et stratèges américains, au point que l’ensemble des évolutions matérielles et doctrinales entreprit outre-atlantique ces dix dernières années, ne vise qu’à contenir la montée en puissance des armées chinoises.

En effet, au-delà de la perception instantanée des forces de Pékin aujourd’hui, la Chine s’appuie sur 4 piliers stratégiques qui pourront, s’ils sont menés correctement à leur terme, faire du pays la première puissance militaire mondiale dès 2035, et lui conférer des atouts stratégiques qu’il sera très difficile aux Etats-Unis et leurs alliés de contrer.

1- Une stratégie technologique ambitieuse, mais mesurée ;

Sur toute la durée de la Guerre Froide, la stratégie occidentale visa à neutraliser la supériorité numérique des forces soviétiques et de ses satellites du Pacte de Varsovie, en s’appuyant, en grande partie, sur un avantage technologique suffisant pour agir tel un coefficient multiplicateur de forces.

La Guerre du golfe de 1991 confirma, d’une certaine manière, la pertinence de cette doctrine, les forces coalisées ayant balayé les armées irakiennes employant majoritairement des équipements soviétiques en seulement quelques semaines de campagne aérienne et 100 heures de combats terrestres, alors même que les forces terrestres coalisées faisaient jeu égal du point de vue numérique avec les armées irakiennes.

Pour les Etats-Unis, et une grande partie de leurs alliés, démonstration était faite que la supériorité technologique apportait un avantage opérationnel net, et pouvait compenser une faiblesse numérique dans une certaine mesure.

C’est ainsi qu’outre-atlantique, une euphorie technologiste s’empara du Pentagone, avec le développement de nombreux programmes aux ambitions démesurées qui aboutirent à de cinglants échecs, comme les destroyers Zumwalt, l’hélicoptère de combat Comanche ou les nombreuses tentatives pour remplacer le M2 Bradley

La super-puissance militaire chinoise se construit sur d'importants investissements pour développer des équipements modernes et performants
Le J-10C n’est pas supérieur au F-16, mais il est loin d’être désavantagé en comparaison de l’appareil américain

Les stratèges chinois, eux aussi, tirèrent de précieuses leçons de cette guerre. Pour eux, s’ils devaient un jour se confronter aux armées occidentales, il était nécessaire de neutraliser préalablement le gradient technologique de ces forces, non pas en tentant de développer des équipements plus performants que les Etats-Unis ou les Européens, mais en s’équipant de matériels suffisamment proches des leurs, de sorte que le coefficient multiplicateur qui joua à plein lors de la Guerre du golfe, se retrouve neutralisé.

Il n’y a, dès lors, rien de surprenant à constater que le chasseur monomoteur J-10 offre des performances et des capacités très proches de celles du F-16 et du Mirage 2000, que le J-11 s’approche de celles du F-15 et que le J-16 n’a que très peu à envier au F-15E. Quant au J-20, comme le J-35 en cours d’essais, ils n’égaleront probablement pas le F-22 ni le F-35, mais ne permettront pas non plus à ces appareils de prendre un avantage décisif.

De fait, ces 15 dernières années, de nombreux nouveaux équipements chinois, ont clairement été inspirés en design comme en performances de ceux constituant le gros des forces occidentales, comme l’hélicoptère Z-20 vis-à-vis de l’UH-60 Black Hawk et de sa version navale MH-60 Romeo, l’avion de transport Y-20 vis-à-vis de C-17, le destroyer Type 052D vis-à-vis des destroyers Arleigh Burke, ou encore l’avion radar embarqué KJ-600 vis-à-vis de l’E-2D Hawkeye.

Les Etats-unis ne sont d’ailleurs pas la seule source « d’inspiration » des ingénieurs de Pékin, comme le démontre le canon porté sur camion PCL-181 inspiré du CAESAR français. Plus récemment, on a pu observer un certain raccourcissement du temps de réponse chinois vis-à-vis des innovations occidentales, par exemple la présentation d’une copie du drone de combat XQ-58A Valkyrie alors même que ce dernier n’est encore qu’à l’état de prototype.

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La filiation entre le nouveau PCL-181 chinois et le CAESAR français est évidente

La Chine ne s’interdit évidemment pas de faire certaines percées technologiques déterminantes, comme dans le cas des armes hypersoniques par exemple, mais l’essentiel de sa stratégie repose aujourd’hui bel et bien sur la neutralisation du gradient technologique occidental, de sorte à priver les Etats-Unis de cet atout valant coefficient multiplicateur de forces en cas de confrontation.

Qui plus est, afin de ne pas déclencher une course aux armements comme celles que connurent les Etats-Unis et l’Union Soviétique dans les années 50, Pékin reste tout à fait mesuré dans ses ambitions, ne cherchant jamais à surexploiter son avantage, y compris numériquement. Tout au moins pour l’instant.

2- Une planification opérationnelle et industrielle exemplaire

Si la Chine ne veut pas faire de la technologie defense un atout décisif, mais simplement neutraliser cet atout aux mains des occidentaux, c’est qu’elle dispose d’autres atouts beaucoup plus exclusifs. Le premier d’entre eux n’est autre que l’exceptionnelle qualité de sa planification opérationnelle et industrielle défense depuis une trentaine d’années désormais.

C’est ainsi qu’avec un soutien extérieur très limité, Pékin est parvenu à reconstruire le porte-aéronef Varyag acquis auprès de l’Ukraine aux côtés d’un chasseur embarqué Su-33, pour admettre au service simultanément le nouveau-porte-avions Liaoning et le chasseur embarqué J-15, mais également son équipage y compris les pilotes qualifiés pour opérer à partir du navire, et son escorte composée notamment de la nouvelle frégate anti-sous-marine de haute mer Type 054A et du destroyer anti-aérien Type 052D.

Ce même tour de force semble sur le point de se reproduire avec le nouveau porte-avions Fujian, plus imposant et cette fois dotés de catapultes, avec les avions de combat embarqués J-15T, J-15D et J-35, ainsi que l’avion d’alerte aérienne avancée KJ-600 et les destroyers lourds Type 055.

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le Fujian entrera en service simultanément à plusieurs modèles d’appareils qui composeront son groupe aérien embarqué, comme le KJ-600 et le J-35

Cette capacité spectaculaire à faire converger des programmes complémentaires hautement technologiques avec la constitution et la formation des unités qui les mettront en œuvre sur un calendrier commun, masque cependant une autre dimension bien plus contraignante en matière de rapport de force.

En effet, concomitamment au développement de ces nouvelles capacités opérationnelles, les industries chinoises déploient, de matière parfaitement maitrisée, de nouvelles capacités industrielles, augmentant progressivement, mais rapidement, les capacités de production du pays en matière d’équipements de défense.

C’est ainsi qu’un effort colossal, et pourtant passé relativement inaperçu, a été consenti entre 2015 et 2020 afin de moderniser et d’étendre les capacités de production des chantiers navals chinois pour ce qui concerne les unités de surface combattantes comme les destroyers et les frégates. Aujourd’hui, l’industrie navale chinoise produit en moyenne dix de ces navires chaque année, soit trois fois plus que ne le feront chantiers navals américains si ces derniers parviennent effectivement à augmenter leurs cadences, comme le souhaite l’US Navy.

Un effort comparable a été observé en ce qui concerne les grandes unités de surface, comme les porte-avions et porte-hélicoptères d’assaut, ainsi que pour les sous-marins, en particulier les sous-marins à propulsion nucléaire, sans qu’il soit encore possible d’en évaluer l’effectivité. Dans le domaine aérien, les industries chinoises ont, jusqu’ici, produit entre 60 et 80 avions de combat neufs par an, soit moitié moins que n’en produisent les lignes de production américaines.

Toutefois, il semble que les cadences de production aient récemment sensiblement augmenté, notamment pour ce qui concerne le chasseur furtif lourd J-20 et le chasseur bombardier J-16. Il est probable que Pékin attendait de disposer de turboréacteurs de facture locale suffisamment fiables et performants avant de lancer la production intensive de ces appareils qui, jusqu’ici, étaient équipés de moteurs russes. La production d’équipements terrestre est également difficile à évaluer, Pékin étant particulièrement avare d’informations à ce sujet, mais il est probable qu’elle suive une trajectoire proche de celle suivie par tous les équipements majeurs.

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Les nouveaux chasseurs chinois sont désormais équipés de turboréacteurs de facture locale, et non de modèles russes

De fait, si tant est que Pékin ambitionne de calquer son avantage industriel global sur celui démontré en matière de navires de combat, on peut s’attendre à ce que les industries chinoises produisent des équipements à un rythme 3 à 4 fois supérieur à celui des Etats-Unis, et donc au moins deux fois supérieur à celui de l’ensemble du camp occidental, ce d’autant que Pékin ne souffre d’aucune pénurie critique dans ce domaine en dehors de certains aspects énergétiques et de certaines matières premières, en grande partie disponibles en Russie.

3- Une démographie hautement favorable

Disposer de plus d’équipements modernes que l’adversaire est certes un avantage non négligeable, encore faut-il disposer des hommes entrainés pour les mettre en œuvre efficacement. Or, la démographie chinoise offre précisément un ascendant très important à Pékin sur l’ensemble du camp occidental en matière de forces mobilisables. Certes, avec plus de 1,4 milliard d’habitants, la Chine surpasse en population l’alliance occidentale composée des Etats-Unis, de ses alliés Pacifique et de l’OTAN.

Mais c’est surtout dans la composition même de cette population que réside la main gagnante chinoise. En effet, aujourd’hui, celle-ci dispose de 20 millions d’hommes surnuméraires entre 20 et 40 ans, vis-à-vis de la population de femmes. En d’autres termes, la Chine pourrait perdre au combat jusqu’à 20 millions d’hommes sans que cela vienne impacter significativement sa démographie à venir. Aux Etats-Unis, ce nombre n’est que de 1,5 million d’hommes, alors qu’en ajoutant les alliés occidentaux, il n’est possible que de dégager 2,5 millions d’hommes surnuméraires.

China paratroopers Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
La Chine dispose aujourd’hui d’une reserve de 20 millions d’hommes entre 20 et 40 ans surnuméraires vis-à-vis du nombre de femmes

De fait, aujourd’hui, la Chine a une capacité de mobilisation transparente de 20 millions d’hommes, au moins cinq fois plus importante que l’ensemble du camp occidental. Or, c’est précisément le solde mobilisable visé par la doctrine de Pékin. En effet, si l’APL n’aligne « que » 2 millions d’hommes, dont une grande partie composée de conscrits volontaires effectuant un service de 2 ans, elle ne dispose que d’une réserve officielle de 500.000 hommes, soit un total de 2,5 millions d’hommes très proche des 2,2 millions d’hommes et femmes mobilisables par les forces armées américaines.

En revanche, Pékin peut également s’appuyer sur une force supplétive entrainée composée des milices chinoises, des organes politisés de sécurité entrainés alignant plus de 8 millions d’hommes, une police armée également mobilisable de 5 à 6 millions d’hommes, et un corps des ingénieurs de 4 millions d’hommes, tous pouvant être mobilisés à court terme, et disposant d’un entrainement minimum.

En tenant compte des évolutions démographiques à venir, le nombre de mobilisables dépassera les 25 millions d’hommes surnuméraires en 2035, créant un rapport de force numérique de plus de 6 contre 1 vis-à-vis de l’ensemble du bloc occidental.

4- Un renforcement international opportuniste sur les ruines de l’influence russe

À la sortie de la seconde guerre mondiale, les Etats-unis comme l’Union Soviétique entreprirent de renforcer leurs réseaux d’influence et d’alliance au travers le monde, ceci ayant engendré de nombreux conflits que l’on a plus tard qualifiés de « guerre par proxy ». L’effondrement de l’Union Soviétique en 1991 ébranla considérablement cet équilibre mondial, laissant les Etats-Unis en situation hégémonique et sans concurrence réelle sur l’ensemble de la planète.

La Russie tenta de reconstituer une partie de l’influence soviétique, notamment dans le Caucase, en Afrique et au Moyen-Orient, en s’appuyant en partie sur les ventes d’armes. La Chine, pour sa part, lança l’initiative « Belt and Road », maladroitement traduite en français par « Les nouvelles routes de la Soie », visant précisément à constituer un réseau d’alliance en Eurasie et en Afrique pour palier l’omniprésence américaine.

Cette initiative permit à Pékin de se rapprocher de nombreux pays, y compris en Europe, au Moyen-Orient et dans le Caucase, sans pour autant être en mesure de nouer de réelles alliances militaires en dehors de certains pays, comme le Pakistan.

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Lors de sa visite au Kazakhstan, le président Xi Jinping a assuré son homologue le président Tokaiev de la protection chinoise pour garantir l’intégrité du plus imposant pays du Caucase

Dans ce contexte, la décision de Moscou d’attaquer l’Ukraine, et les revers militaires qui s’en sont ensuivi, ouvrent de nombreuses opportunités à Pékin pour renforcer sa présence dans le Monde, et ainsi contrer la présence américaine. Xi Jinping a déjà entrepris d’activer certains de ces leviers, notamment au Kazakhstan en amont du sommet de l’OCS mi-septembre, en déclarant que la Chine garantissait désormais l’intégrité territoriale du pays, sachant que la seule menace directe pouvant toucher Almaty n’est autre que Russe.

On peut s’attendre à ce que d’autres dirigeants du Caucase, mais également d’Asie et surtout d’Afrique, suivent le même exemple que le président Tokaiev, et permettent prochainement à Pékin de déployer un réseau de bases militaires dans le Monde, sur les ruines de l’influence perdue par Vladimir Poutine en Ukraine.

Conclusion

Pris individuellement, chacun des piliers évoqués ici ne représente pas une menace insurmontable sur les équilibres stratégiques. Toutefois, une fois rassemblés en une stratégie globale sur le long terme, ils constituent une trajectoire contre laquelle il sera très difficile pour Washington et ses alliés de lutter. En effet, Pékin sera en mesure de mobiliser, et d’équiper, des moyens au moins trois fois supérieurs à ceux que les alliés occidentaux peuvent espérer aligner dans un contexte soutenable, sans qu’il soit envisageable de s’appuyer sur un puissant gradient technologique pour rétablir l’équilibre.

De fait, en 2035, il est plus que probable que la Chine s’imposera non seulement comme la puissance militaire dominante sur la zone Asie Pacifique, mais également sur l’ensemble de l’Eurasie, et disposera d’atouts majeurs en Afrique et en Amérique du Sud. On comprend, dans ces conditions, les raisons qui poussent aujourd’hui les armées américaines à se doter le plus vite possible d’une solution robotique globale susceptible de rétablir cet équilibre, ainsi que de doctrines extrêmement réactives pour compenser la sévère infériorité numérique occidentale par une agilité opérationnelle accrue.

Reste à savoir si dans ces domaines également, les armées et les industries chinoises ne s’aligneront pas sur les nouvelles capacités attendues par les armées US, de sorte, là encore, à neutraliser l’avantage escompté.

La Grande-Bretagne veut doubler son budget défense à 100 Md£ par an d’ici 2030

La Grande-Bretagne et sa nouvelle Première Ministre entendent bien demeurer la première puissance militaire européenne dans les années à venir. C’est en substance ce qu’a déclaré Ben Wallace, le Secrétaire à La Défense de la nouvelle administration mise en place par la première Ministre Lizz Truss, dans une interview donnée au quotidien The Telegraph. Concrètement, Londres entend amener d’ici 2030 ses dépenses de défense à 100 Md£ par an, une hausse de plus de 100% et de 52 Md£ vis-à-vis du budget 2022, et recoller ainsi à un effort de défense supérieur à 3% de son PIB comme c’était le cas jusqu’au début des années 80, pour répondre aux enjeux sécuritaires imposés par la Russie mais également par d’autres puissances sur la planète. Un tel effort, qui suppose une hausse de plus 6 Md£ par an, soit 7,5 Md€, est plus de deux fois plus important que celui que prévoit de consentir Paris jusqu’en 2024. Cela amènerait également la Défense Britannique à très nettement dépasser l’effort de défense allemand, qui lui vise un effort de 2% de son PIB à cette date, soit 80 Md€.

Pour l’heure, il ne s’agit que d’une annonce globale, et aucun axe stratégique n’a été ne serait-ce qu’abordé par Ben Wallace lors de l’interview, si ce n’est certains aspects spécifiques en terme de guerre électronique, de renseignement électroniques ou de lutte contre les drones qui sont loins de nécessiter de tels investissements. En outre, à l’instar de Berlin ou de Paris, il est peu probable que Londres puisse significativement augmenter le format de ses armées, et ce quel que soit le budget alloué, sauf à constituer une réserve de grande ampleur. Il est donc probable que l’essentiel de cette hausse de crédits soit destiné à soutenir un effort industriel de très grande envergure, notamment dans le domaine aérien avec la poursuite et probablement l’accélération du programme Tempest qui deviendrait encore plus attractif sur la scène internationale, ainsi que l’extension de la flotte de la Royal Navy, de sorte à reconstruire ce qui constituait le principal atout de la Grande Bretagne ces 300 dernières années. On peut, enfin, supposer qu’un effort particulier sera fait pour renforcer la dissuasion britannique, avec l’ajout probable d’une composante aérienne à sa seule composante sous-marine aujourd’hui.

Tempest FCAS Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
L’avenir du programme Tempest vient de s’éclaircir par cette annonce de Ben Wallace

Au delà d’une recomposition des équilibres industriels en Europe en matière de défense, cette annonce engendrera également de nombreux remous sur le vieux continent, y compris en Allemagne qui n’a cessé de se presenter, depuis plusieurs semaines, comme la futur grande puissance militaire fédératrice en Europe. La France également sera mise sous pression, le budget britannique pouvant, en l’état de la planification, être le double de celui de l’hexagone dans ce domaine, ce qui, bien évidemment, constituerait un puissant camouflet pour Paris qui a toujours cherché à rester au contact de Londres dans ce domaine. Enfin, avec un tel budget, la Grande-Bretagne se parerait d’une aura et d’une attractivité incomparable en Europe, susceptible de mettre à mal tous les efforts européens en faveur d’un effort concerté de défense dans le cadre de l’UE.

Reste que l’effort sera des difficiles à soutenir pour Lizz Truss et Ben Wallace. En effet, dans le présent contexte peu porteur du point de vue économique, Londres ne peut espérer s’appuyer sur une croissance soutenue pour dégager les recettes supplémentaires afin de financer une telle hausse de crédits. En outre, Lizz Truss a été élue sur un programme radicalement conservateur et libéral, ainsi que sur la promesse du désengagement de l’Etat de certains domaines, accompagné par une baisse des impôts et prélèvements. De fait, les marges de manoeuvre budgétaires du gouvernement britannique pour doubler son effort de défense peuvent apparaitre trop limitées pour que cette ambition puisse être atteinte. Ce serait sans tenir compte d’un facteur déterminant.

British Army Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Comme la majorité des armées européennes, les armées britanniques ne peuvent envisager un changement radical de format du fait des difficultés de recrutement, sauf à se constituer une reserve importante

En effet, depuis 3 ans, l’ensemble des programmes industriels de défense engagés outre-manche, est accompagné d’une analyse minutieuse des effets socio-économiques liés aux investissements. C’est notamment le cas du programme Tempest qui fait l’objet, à chaque étape, d’une presentation détaillée des emplois directs, indirects et induits générés par l’investissement consentis. Dès lors, les autorités britanniques disposent désormais d’une vision particulièrement fine de la soutenabilité de leurs investissements industriels de défense, en particuliers des recettes budgétaires directes et induites consécutives à leurs investissements. Il est plus que probable que cette dimension sera au coeur du programme qui sera présenté dans les mois à venir par Ben Wallace pour donner corps à l’ambition tracée par la première ministre, qui plus que jamais entend endosser le costume de Margaret Thatcher. Il est probable que beaucoup traiteront cette annonce de Ben Wallace par l’ironie, voire par le dédain, en particulier en France et en Europe. Il semble toutefois que Londres soit bien mieux armés que Paris, Berlin ou Rome pour répondre à ces enjeux.

Quoi qu’il en soit, Ben Wallace vient de lancer non un pavé mais un dolmen dans la marre de la Défense européenne, en renvoyant tous les gouvernements du vieux continent face à leurs ambitions déçues. On peut d’ailleurs s’interroger sur la nécessité d’un tel effort, alors que de toute évidence, la menace russe, tout du moins du point de vue conventionnelle, aura beaucoup de mal à se reconstituer pour au moins une à deux décennies, si tant est qu’elle puisse jamais recouvrir une dimension vraiment menaçante. En revanche, il ne fait guère de doutes que d’autres menaces, qu’elles soient chinoises, iraniennes et même turques, seront amenées à profondément bouleverser le paysage géopolitique mondial. De toute évidence, Londres entend peser pleinement sur ces questions, y compris dans le Pacifique et l’Océan Indien, et jouer un rôle central et fédérateur en Europe, notamment vis-à-vis des pays d’Europe du Nord beaucoup plus alignés avec les positions britanniques qu’allemandes ou françaises sur les questions sécuritaires, en particulier face à la Russie. Sauf à répondre en se dotant, également, d’une approche originale et ambitieuse pour s’aligner sur l’effort britannique en matière de défense, l’ambition révélée par Ben Wallace pourrait bien représenter un bouleversement majeur sur les équilibres géopolitiques européens de ces 70 dernières années.

Rafale, Caesar, FDI, Scorpene… : Quels sont ces équipements de défense français qui s’exportent si bien aujourd’hui ?

Les prises de commande à exportations d’équipements de Défense français ont atteint 11,7 Md€ en 2021, la troisième meilleure année jamais enregistrée par cette industrie alors que l’année 2022 s’annonce, quant à elle, celle de tous les records à plus de 20 Md€, notamment du fait de la commande de 80 avions Rafale par les Emirats Arabes Unis pour plus de 14 Md€. De fait, depuis 1950, la France évolue entre la 3ème et la 4ème place du classement mondial des exportateurs d’armement, derrière les Etats-Unis, l’Union Soviétique/Russie, et faisant jeu égale avec la Grande-Bretagne dans ce domaine. Les exportations françaises représentent aujourd’hui plus de 80.000 emplois directs et indirects, pour une moyenne de facturation de 8,5 Md€ par an représentant 40% de l’activité de ce secteur industriel.

Ces dernières années, certains équipements ont remporté un vif succès sur la scène internationale. Ainsi, le Rafale, que le ministre de La Défense Hervé Morin en 2010 qualifiait de trop complexe, trop cher et d’invendable, s’impose désormais comme un succès historique pour l’Avionneur Dassault Aviation et l’ensemble de la team Rafale, l’appareil ayant été commandé par 7 clients internationaux : l’Égypte pour 54 appareils, le Qatar pour 36 avions, l’Inde pour 36 appareils, la Grèce pour 24 chasseurs dont 12 d’occasion, la Croatie pour 12 appareils d’occasion, les Emirats Arabes Unis pour 80 chasseurs et dernièrement, l’Indonésie qui a officialisé une première commande de 6 appareils pour une commande globale de 42 chasseurs. D’autres pays sont sur les rangs des clients potentiels, tel la Serbie et l’Irak, alors que l’Inde, la Grèce et l’Egypte envisagent de commander de nouveaux appareils. Au final, le Rafale a d’ores et déjà dépassé les espérances des industriels français qui participent à sa fabrication avec Dassault Aviation, comme Safran pour les turboréacteurs M88, Thales pour les systèmes électroniques embarqués dont le radar AESA RBE-2, et MBDA pour les munitions et missiles air-air et air-sol/surface.

nexter caesar 8X8 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
La version lourde 8×8 du CAESAR de Nexter a été commandé par la République Tchèque et le Danemark

Si le Rafale représente, à lui seul, plus de la moitié des exportations françaises d’armement depuis 2015 en valeur, il n’est pas un succès isolé. Ainsi, le canon porté sur camion CAESAR de Nexter s’est taillé en quelques années une importante part de marché dans un secteur très concurrentiel. Il a ainsi été commandé en version 6×6 par l’Arabie saoudite à plus de 130 exemplaires, l’Indonésie à 55 exemplaires, le Maroc à 36 exemplaires et la Thaïlande à 6 exemplaires, alors que l’Ukraine a perçu 18 exemplaires de ce type prélevés sur l’inventaire français pour renforcer ses capacités face à la Russie. Le Danmark et la République Tchèque ont quant à eux opté pour la version 8×8 plus lourde et mieux blindée, respectivement à 15 et 52 exemplaires. Enfin, la Belgique et la Lituanie ont récemment commandé la nouvelle version Mk2 également commandée par Paris pour compléter son inventaire, respectivement à 28 et 18 exemplaires. Comme pour le Rafale, le CAESAR pourrait engranger de nouvelles commandes, notamment de la Colombie, l’Espagne et d’Irak. Il est également question d’une nouvelle livraison de systèmes à l’Ukraine, sans que l’on sache, pour l’instant, s’il s’agit d’une commande ou d’un don, ni de quelle version et selon quel calendrier cette transaction doit s’effectuer.

Le domaine naval, mené par le champion Naval Group, n’est pas en reste, avec 3 navires rencontrant un important succès sur la scène internationale. En premier lieu, le sous-marin à propulsion conventionnelle Scorpene a été retenu par 4 marines étrangères, le Chili et la Malaisie pour 2 unités chacun, le Brésil pour 4 navires et l’Inde pour 6 exemplaires, faisant de cette classe l’un des mieux mieux exportés de l’histoire des sous-marins français, juste derrière la Daphné exportée à 15 exemplaires pour 4 pays, et loin devant l’Agosta exporté à 9 exemplaires auprés du Pakistan et de l’Espagne. On notera que des discussions seraient en cours avec la Roumanie et les Philippines pour construire d’autres Scorpene. Dans le domaine des corvettes, c’est la famille des Gowind 2500 qui permit à Naval Group de se positionner sur un marché jusqu’ici largement dominé par l’Allemagne. La modèle a en effet été commandé par la Marine Malaisienne à 6 exemplaires, par la marine Egyptienne à 4 exemplaires et par les Emirats Arabes Unis pour 2 navires. En outre, la Roumanie a annoncé avoir sélectionné ce modèle pour 4 navires, et la Grèce envisagerait d’en construire 6 unités, même si le contrat n’est pas arbitré à ce jour, et que la décision a été reportée pour des raisons budgétaires à 2023. On notera que ces deux succès ont été bâtis sur des bâtiments qui ne sont pas en service au sein de la Marine Nationale, ce qui est un handicap important dans ce domaine.

Corvette El Fateh Gowind 2500 en 2017 a Lorient Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
La corvette Gowind 2500 offre des capacités avancées notamment en terme de lutte anti-navire et anti-sous-marine pour un navire de ce tonnage

En matière de frégates, Naval Group n’est pas parvenu à imposer sa FREMM sur la scène internationale, seuls le Maroc et l’Egypte ayant acquis un exemplaire du navire, loin des 8 exemplaires vendus par l’Italie à l’Indonésie et à l’Egypte, alors que la FREMM italienne a également été retenue par l’US Navy pour concevoir la classe de frégate Constellation qui devrait être produite au moins à 20 unités, et plus probablement 50. Le groupe français fonde désormais ses espoirs sur la nouvelle Frégate de Défense et d’Intervention, ou FDI, un frégate polyvalente compacte de 4500 tonnes très bien armée et équipée de senseurs surpassant même la FREMM. Déjà commandée à 3 exemplaires plus une option par la marine Hellénique, elle représente désormais le cheval de bataille des exportations françaises dans ce domaine, d’autant que le navire est évolutif et peut, à l’instar des destroyers Type 42 britanniques ou Type 052D chinois, recevoir un tronçon supplémentaire pour augmenter le nombre d’armement embarqués.

D’autres domaines d’excellence de l’industrie de défense française devraient, dans les années à venir, renouer avec le succès sur la scène internationale. C’est notamment le cas dans le domaine des hélicoptères militaires avec l’arrivée prochaine du H160M Guépard, un hélicoptère moyen à haute performance taillé pour prendre la suite des Dauphin et autres Panther largement exportés dans les années 80, 90 et 2000 à plus de 1100 exemplaires. Les véhicules blindés légers devraient eux-aussi remporter de nouveaux succès, notamment les blindés de la famille Scorpion avec les VBMR Serval et Griffon et l’EBRC jaguar proposant un excellent rapport performances/prix, après la mévente du VBCI et les faibles résultats du Leclerc. Dans le domaine des missiles, la nouvelle version du missile sol-air Aster à capacité anti-balistique, Aster Block1NT, devrait également susciter de l’interêt sur lal scène internationale, d’autant que l’offre occidentale dans ce domaine se limite aux seuls systèmes américains Patriot, SM3 et Thaad, ainsi qu’au système Arrow 3 israélien qui ne pourra probablement jamais être exporté. Au delà de ces équipements majeurs qui font ou feront les gros titres, de nombreuses entreprises de la BITD françaises contribuent de manière moins visible mais toute aussi déterminante au succès des exportations françaises dans ce domaine, notamment Thales qui demeure le champion français du secteur de l’armement avec un chiffre d’affaire consolidé de plus de 10 Md€ dans le domaine de la Défense, et le missilier MBDA qui réalisa en 2021 une année record, notamment porté par l’excellente tenue du Rafale et des FDI/Gowind sur la scène internationale.

Mamba Aster30 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Le système Mamba et le missile Aster constituent aujourd’hui l’un des meilleurs systèmes anti-aériens à moyenne portée du marché

Enfin, l’industrie de défense française est partie prenante de nombreux programmes en coopération, comme c’est le cas de l’avion de transport A400M Atlas commandé par 10 forces aériennes à 178 exemplaires à ce jour, ou l’avion ravitailleur multi-mission A330 MRTT Phoenix commandé par 14 forces aériennes pour 66 exemplaires. Dans le domaine des hélicoptères, les industries françaises participent au programme NH90 commandé à prés de 580 exemplaires, ainsi qu’à la fabrication de l’ensemble de la gamme Airbus hélicoptère, notamment le H145 produit à plus de 1500 exemplaires et en service dans une douzaine de forces armées. D’autres programmes européens sont en cours de developpement, comme l’European Patrol Corvette, le Véhicule Blindé d’Aide à l’Engagement, et bien évidemment les programmes SCAF et MGCS en partenariat avec l’Allemagne et l’Espagne.

Par des équipements performants, robustes et souvent bons marchés, les industries de défense françaises ont su non seulement préserver mais également étendre leurs savoir-faire et leurs marchés ces 30 dernières années, en dépit d’un soutien parfois limité des pouvoirs publics. Aujourd’hui, la base Industrielle technologique et Défense, ou BITD française, est l’une des seules sur la planète capable de concevoir et produire l’ensemble des équipements de défense nécessaires à une armée moderne, et ce de manière autonome. Cette indépendance, notamment vis-à-vis des Etats-Unis ou de la Russie, constitue, avec les performances avérées de ces équipements conçus pour le combat, l’un des principaux atouts de cette industrie sur la scène internationale, en particulier pour des pays comme l’Inde, l’Indonésie, l’Egypte ou les Emirats Arabes Unis, qui souhaitent préserver une certaine indépendance vis-à-vis de Washington. En outre, l’indépendance technologique française permet à Paris de suivre un alignement propre, qui là encore constitue un argument de poids pour plusieurs clients de l’industrie française, comme les pays traditionnellement non alignés, mais également pour la Grèce pour qui la France représente un allié indépendant de poids face à la Turquie.

Atelier Rafale Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France

Aujourd’hui, la BITD représente plus de 250.000 emplois directs , et plus de 500.000 emplois en tenant compte des emplois indirects et induits, générant plus de 13 Md€ de recettes sociales et fiscales pour l’état, soit davantage que ne dépense l’état chaque année dans ce domaine pour équiper les armées françaises. En outre, nombre des grandes entreprises qui y contribuent, comme Dassault, Thales, Safran ou Sagem, ont une activité duale qui profite directement des investissements réalisés en matière de défense pour leurs activités civiles. Par ailleurs, les exportations défenses contribuent activement, de manière directe mais également indirecte, au commerce extérieure français sévèrement déficitaire, ne cédant dans ce domaine qu’à l’industrie du Luxe et l’industrie aéronautique civile. Alors que la demande internationale est forte et croissante, elle représente une opportunité d’importance pour l’économie mais également pour la puissance géopolitique française dans les années à venir.

A ce titre, il est important de s’interroger sur la pertinence de n’entrevoir les futurs developpement qu’au seul spectre de la coopération européenne, alors même que l’indépendance française a constitué, pendant plusieurs décennies, l’un des principaux arguments pour les exportations françaises sur la scène internationale. Sans renier l’intérêt des coopérations européennes, il est probablement indispensable de disposer, au besoin, d’une offre complémentaire susceptible de préserver cette indépendance et donc cette capacité à répondre aux attentes de nombreux pays qui ne souhaitent pas que leurs décisions soient entravées par certaines capitales européennes plus sensibles aux pressions américaines que ne peut l’être la France.

Le chef de l’US Air National Guard plaide pour acquérir davantage de F-15EX

Depuis le changement d’administration à Washington, le chasseur lourd F-15EX de Boeing n’est pas à la fête. Alors qu’il était question initialement que l’US Air Force commande jusqu’à 240 exemplaires de ce chasseur de supériorité aérienne, certes une évolution du F-15 conçu au début des années 70, mais doté de toutes les nouvelles technologies pour en faire un redoutable avion de combat parfaitement moderne, le nombre fut d’abord ramené à 144 exemplaires. Avec la nomination de Franck Kendall Jr au Secretariat à l’Air Force, un fervent défenseur du F-35, du NGAD et de la supériorité technologique absolue, ce nombre fut réduit à seulement 80 exemplaires, de quoi remplacer les F-15C de seulement 3 escadrons de l’US Air Force, alors que de nombreux autres F-15C et F-15E devront être retirés du service de l’Air Force comme de la Garde Nationale sans qu’une solution de remplacement ferme n’ait été annoncée à ce jour.

Si sur ces questions, Frank Kendall et son équipe ne jurent que par le F-35, le chef d’état-major de l’US Air Force, le général Charles Q. Brown Jr, se montre beaucoup plus discret, d’autant qu’il avait pris avant le changement d’administration, des positions favorables à une plus grande diversification de la flotte de chasse américaine, afin de ne pas trop dépendre du seul F-35. Depuis, il est pour le moins prudent dans ses prises de position. Ce n’est pas le cas de certains de ses subordonnés, notamment le Lieutenant Général Michael Loh, qui commande l’US Air Nationale Guard. Ainsi, à l’occasion d’une conférence organisée par l’Air&Space Association, le général Loh a fait savoir qu’il entendait produire les efforts nécessaires afin d’amener le législateur à augmenter le nombre de F-15EX commandés, y compris pour le budget 2023.

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Afin la fin des commandes de Super Hornet par l’US Navy, et de F-15EX par l’US Air Force, la ligne d’assemblage de Boeing à Saint Louis est menacée

Pour ce pilote de F-16 alignant plus de 3.200 heures de vol sur avion d’arme, dont 120 heures en missions de guerre, le F-15EX est en mesure de répondre aux besoins de l’ANG, ce d’autant que l’appareil n’a plus aucun rapport avec le F-15 des années 70 avec son radar AN/APG-82 AESA, son système de protection Eagle Passive Active Warning Survivability System et son architecture info-centrée ouverte, tout en conservant la puissance, l’allonge, la capacité d’emport et la manoeuvrabilité de l’appareil qui demeura au sommet de la chaine alimentaire des avions de combat pendant plus de 30 ans. Au delà des qualités reconnues du F-15EX, le général Loh fit également remarquer que si les 5 escadrons encore équipés de F-15C/D, au delà des 3 qui recevront les 80 F-15EX prévus, devaient être transformés du F-35A, il serait alors nécessaire de dépasser les 72 appareils par an envisagés comme le plafond pour renouveler les capacités de l’Air Force.

Si le général Loh se heurtera probablement à une certaine résistance de la part du Secretariat à l’Air Force et de Frank Kendall, il pourra en revanche s’appuyer sur le Congrès américain, et notamment sur les sénateurs et représentants du Missouri, là ou sont assemblés les F/A-18 E/F Super Hornet et les F-15EX de Boeing sur le site de Saint-Louis. En effet, aux Etats-Unis, si l’exécutif pilote l’action des Armées et conçoit les budgets annuels, c’est au Congrès que revient la tache de la planification militaire et de la ventilation des budgets, et chaque années, l’effort militaire US est profondément amendé vis-à-vis du projet initial soumis par l’exécutif. De toute évidence, il s’agit là du levier que l’US Air Nationale Gard et son commandant entendent actionner pour accélérer le remplacement d’au moins une partie des F-15C/D restant par des F-15EX supplémentaires.

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Il reste 5 escadrons de F-15C/D qui n’ont pour l’heure pas de solutions de remplacement au sein de l’US Air Force et de l’US Air National Guard

En outre, Boeing risque de manquer rapidement d’activité pour maintenir sa ligne de production de Saint-Louis, l’US Navy ayant confirmé sa volonté de ne plus commander de F/E-18 E/F Super Hornet et de EF-18G Growler maintenant que le remplacement des Hornet et Prowler est arrivée à son terme, et que ni le Super Hornet, ni l’Eagle 2 ne remportent un franc succès à l’exportation. Alors que les capacités de production des chaines du F-35 de Lockheed-Martin ont des planning de production à pleine capacité pour répondre aux besoins des armées US et de leurs alliés, il semble en effet plus que recommandé, dans le contexte actuel, de se tourner vers le F-15EX de Boeing comme vase d’expansion pour répondre aux exigences de renouvellement capacitaire imposées par les tensions internationales. Se priver d’une telle capacité industrielle dans le présent contexte, serait en effet une décision des plus contestables…

SCAF, MGCS : Le politique reprend la main sur la coopération industrielle défense franco-allemande

« Beaucoup de choses ont été dites ou écrites ces dernières semaines, je crois que d’une phrase, nous allons y couper court en disant que le SCAF est un projet prioritaire. […] Il est attendu autant par Berlin que par Paris et ce projet se fera, on ne peut pas être plus direct » En une seule phrase, le ministre des armées français, Sebastien Lecornu, a coupé court à l’ensemble des spéculations concernant l’avenir du programme d’avion de combat de nouvelle génération entrepris par Paris, Berlin et Madrid. Et d’ajouter « Nous avons besoin de réfléchir à ce que sera l’aviation de chasse du futur, puisque nous en avons besoin, et nous devons déjà penser à la régénération de nos équipements en la matière. C’est vrai évidemment pour le SCAF, c’est vrai aussi, bien sûr, pour le char du futur « , afin de mettre sur un pied d’égalité le programme de char de combat de nouvelle génération franco-allemand MGCS. En un mot comme en cent, le politique vient de reprendre la main sur la coopération franco-allemande en matière de programmes industriels de défense, pour mettre fin à presque une année de discussions stériles entre les industriels afin de parvenir à un accord industriel équilibré.

Il faut dire que concernant ces dossiers, le Ministre des Armées n’avait plus guère le choix. Le programme SCAF est en effet à l’arrêt depuis presque un an sur fond de désaccord entre Dassault Aviation et Airbus Défense & Space quant à la portée de la coopération entre les deux avionneurs pour concevoir le pilier NGF du programme visant à developper l’avion de combat lui-même. Pour l’entreprise allemande, il n’est pas question d’agir tel à sous-traitant sur certains sujets comme les commandes de vol ou la furtivité, deux domaines pour lesquels Airbus DS s’estime largement au même niveau que son homologue français. Pour Dassault Aviation, l’industrie de défense française a déjà accepté suffisamment de se mettre en retrait sur l’ensemble des autres piliers du programme, 4 sur 7 d’entre eux étant pilotés par des entreprises allemandes, pour un seul pour une entreprise français. En outre, le français exclut de transférer certains savoir-faire et certaines technologies critiques aux industries allemandes sur fond de coopération industrielle. De fait, le programme est figé depuis de nombreux mois, et le joyau de l’industrie française n’a pas hésité, par la voix de son président Eric Trappier, à évoquer publiquement l’hypothèse d’un échec pur et simple de SCAF.

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Le programme MGCS vise à developper une gamme de blindés lourds répondant aux enjeux des conflits de haute intensité au delà de 2040

La situation n’est guère meilleure pour le programme MGCS, bien que les causes des difficultés diffèrent sensiblement. En effet, initialement, ce programme visant à developper le remplaçant du Leopard 2 allemand et du Leclerc français, devait être conçu et réalisé par le français Nexter et l’allemand Krauss Maffei Wegman, dans une coopération strictement équilibrée entre les deux industriels. Dans ce montage, Nexter reprenait, d’une certaine manière, la position qu’avait Rheinmetall au sein du programme Leopard 2. Seulement, pour ce dernier, il n’était pas question de se voir exclure d’un programme aussi important. A force de lobbying et de pressions notamment auprés du Bundestag, Berlin céda à son industriel et finit par imposer à Paris que Rheinmetall rejoigne le programme, chacun des industriels portant alors 3 des 9 piliers technologiques, alors que Berlin assura Paris que l’équilibre industriel franco-allemand serait préservé. Le point d’achoppement qui bloque aujourd’hui ce programme oppose le français Nexter et Rheinmetall, le premier voulant équiper le nouveau char de son canon de nouvelle génération de 140 mm ASCALON, le second voulant qu’il emporte son canon de 130 mm Rh-130 L/52, sans qu’aucun ne soit prêt à reculer sur ce sujet.

Depuis sa prise de poste en mai 2022, le ministre français des Armées Sebastien Lecornu était resté plutôt en retrait de ce bras de fer franco-allemand, laissant aux industriels eux-mêmes la responsabilité et la tache de sortir de l’ornière dans laquelle les deux programmes étaient embourbés. En l’absence de progrès, mais également face aux réactions politiques et par voix de presse suite aux derniers annonces de la part de Berlin qui semblaient prendre une distance certaine avec le couple franco-allemand, il était désormais indispensable pour lui de prendre position de manière publique sur le sujet. C’est précisément ce qu’il a fait, non sans abandonner la traditionnelle nonchalance qui était la sienne depuis son arrivée à l’hôtel de Brienne lorsqu’il s’adressait aux Medias. De toute évidence, le ministre est agacé du manque de progrès des industriels, mais également des nombreux commentaires de presse sur le sujet, et il entend bien, désormais, remettre de l’ordre dans ce dossier.

SCAF 2 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Le programme SCAF est aujourd’hui embourbé dans une opposition conceptuelle entre Dassault Aviation et Airbus DS

Il faut dire que pour Emmanuel Macron, un échec de SCAF et de MGCS constituerait comme un profond camouflet pour ce qui concerne sa politique européenne et sa politique de défense; ces programmes, mais également les programmes MAWS et CIFS aujourd’hui morts nés, ayant dés 2017 été présentés comme la pierre angulaire des ambitions européennes du président français. De fait, aujourd’hui, l’échec de ces deux programmes chargés de symboles est inenvisageable du point de vue politique, alors qu’une porte de sortie industrielle semble elle aussi hors de portée. Ne restait plus, dans ces conditions, comme alternative qu’une reprise en main politique de SCAF et MGCS, quitte à devoir tordre le bras des industriels pour y parvenir. Car en substance, les déclarations de Sebastien Lecornu, sont autant une preuve de détermination de l’exécutif qu’une menace à peine voilée aux industriels français. Ainsi, quand il précise « Nous avons un conseil des ministres franco-allemand à la fin du mois d’octobre, cela nous laisse donc quelques semaines de préparation pour acter des calendriers exigeants« , il ne fait que mettre les industriels français face à un cruel dilemme, à savoir parvenir à un accord avec leurs homologues allemands avant l’échéance fixée à la fin du mois d’octobre, soit ne plus avoir voix au chapitre sur ce sujet, et laisser le gouvernement, et la DGA, assurer les négociations et les arbitrages.

Il s’agit donc, pour l’exécutif, d’un passage en force annoncé. Il est vrai qu’en l’état des négociations, et du calendrier qui s’égraine, il ne fait guère de doute qu’il s’agit ici de la seule solution pour effectivement sortir ces programmes de l’immobilisme mortifère dans lequel ils sont bloqués depuis plusieurs mois. Mais cette alternative est préoccupante à plus d’un titre. En premier lieu, par cette annonce, Sebastien Lecornu fait avant tout peser la pression sur les industriels français, alors que rien n’indique à cette heure qu’il en sera de même du coté allemand. Bien au contraire même, puisque même si l’exécutif berlinois venait à faire pression sur Rheinmetall ou Airbus DS pour plus de flexibilité, il est très probable que le Bundestag se montre, quant à lui, bien plus intransigeant, lorsque les programmes arriveront en commission. En outre, si cette dichotomie est traditionnelle de l’autre coté du Rhin, elle s’applique aussi désormais en France, alors que le Président et son gouvernement ne disposent plus d’une majorité suffisante pour passer en force au parlement. Or, rien ne garantit que l’exécutif français puisse rassembler une majorité pour sa prochaine Loi de Programmation Militaire, en particulier si les industriels de défense se sentent lésés par les négociations franco-allemandes à ce sujet.

commission de la defense nationale et des forces armees Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Les commissions Défense de l’Assemblée Nationale et du Sénat auront un rôle déterminant pour équilibrer les arbitrages de l’exécutif concernant la prochaine LPM, notamment pour ce qui concerne les programmes de coopération franco-allemands.

D’ailleurs, si Sebastien Lecornu a fait montre d’une grande determination pour amener SCAF et MGCS à leur terme, il s’est montré des plus discrets quant aux arbitrages qui pourraient être menés ou imposés pour dépasser les présents blocages. On peut naturellement craindre, car rien n’indique à ce jour le contraire, que l’Hotel de Brienne soit amené à accepter de nouvelles reculades en matière de partage industriel afin de satisfaire les exigences allemandes, et ainsi préserver la pérennité des programmes eux-mêmes, tout au mois sur ce quinquennat, et en supposant qu’ils soient soutenus par les deux chambres du Parlement. Toutefois, on peut également imaginer que Paris serait en position de force dans certains dossiers vis-à-vis de Berlin, notamment dans le dossier énergétique, suffisamment pour amener l’exécutif allemand à plus de souplesse. Le fait est, pour l’heure, rien de permet de privilégier l’une ou l’autre des hypothèses, et c’est probablement là que se situe le bras de levier actionné par le ministre des armées pour amener les industriels à trouver eux-mêmes des compromis acceptables.

Une chose est cependant désormais évidente, le bras-de-fer franco-allemand qui anima ces derniers mois les discussions autour de ces programmes, tend à se transformer en bras de fer franco-français entre l’exécutif et la sphère industrielle de Défense. Cela démontre, à tout le moins, que ces programmes ont été lancés et conçus sur des paradigmes coopératifs largement instables et non-consolidés, au risque d’affaiblir durablement la BITD nationale ainsi que les armées. Dans ce contexte, le rôle des oppositions à l’Assemblée nationale comme au Sénat, sera probablement déterminant. Sans nécessairement chercher à entraver la trajectoire retenue par le gouvernement, qui ne manque pas d’intérêts, il sera de leur responsabilité d’une part de négocier avec Brienne les contre-projets nécessaires pour préserver et étendre les savoir-faire et les compétences industrielles, y compris celles qui seront menacées par le partage industriel autour de ces programmes; et de répondre aux exigences techniques et technologiques des armées dans des délais cohérents de l’autre, et donc d’imaginer des programmes intermédiaires à SCAF et MGCS, franco-français ou avec d’autres partenaires que Berlin. Quoiqu’il en soit, entre la prochaine LPM qui doit entrer en vigueur dès 2023, et l’échéancier imposé par M Lecornu aux industriels à fin octobre, nous serons fixés rapidement.

Les Etats-Unis vont-ils s’opposer à la vente de missiles anti balistiques Arrow 3 israéliens à l’Allemagne ?

Il y a quelques jours à peine, à la suite du discours de Prague du Chancelier Olaf Scholz à Prague qui s’impose comme fondateur de la stratégie allemande en matière de défense européenne désormais, les autorités allemandes confirmèrent leur intention de commander le système anti-missiles balistique israélien Arrow 3 pour constituer son bouclier anti-missile, et par voie de conséquence, celui des pays européens qui rejoindront l’initiative proposée par Berlin. Si cette annonce fit grincer des dents Paris et Rome qui, ensemble, développent le missile anti-balistique Aster 1NT entièrement européen, il ne provoqua aucune réaction officielle de la part de Washington. C’est précisément cette absence de réaction qui aujourd’hui inquiète la presse israélienne, qui craint que les autorités américaines ne viennent s’opposer à une telle transaction entre Berlin et Jerusalem.

Il faut dire que, dans ce domaine, les Etats-Unis ont sans le moindre doute des raisons sérieuses de s’agacer du choix de Berlin. En premier lieu, ils arment aujourd’hui la presque totalité du bouclier anti-missile européen déployé en Europe dans le cadre de l’OTAN, au travers de batteries THAAD déployées en Europe, des destroyers et croiseurs Aegis de l’US Navy navigant en Méditerranée et Atlantique nord et armés du missile anti-balistique SM-3, ainsi que des deux sites AEGIS Ashore construits en Pologne et en Roumanie, aux aussi armés de SM-3. Par ailleurs, Washington ne manque pas de solutions pour armer un bouclier anti-missile, qu’il s’agisse du système Terminal High Altitude Area Defense ou THAAD pour les missiles balistiques à portée intermédiaire et moyenne portée, du SM-3 et du systeme AEGIS qui intervient sur les mêmes cibles, ou du système anti-aérien et anti-missiles Patriot PAC-3 pour contrer les missiles à courte et moyenne portée. En outre, ces systèmes, tous très onéreux, représenteraient un très important marché pour les industriels américains s’il s’agissait de constituer un bouclier anti-missiles en Europe de l’Est.

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Les Etats-unis disposent de 44 intercepteurs balistiques GBI déployés sur pour protéger le sol national d’une attaque par missile balistique stratégique

Mais le point le plus agaçant pour Washington, et contraignant pour Jerusalem et Berlin, n’est autre que l’origine du système Arrow 3. En effet, si le système est officiellement développé et produit par l’israélien IAI, il a été développé en grande partie grâce au soutien technologique de l’américain Boeing, qui participa activement notamment au developpement du système Group Based Interceptor qui défend le sol américain contre des frappes balistiques à longue portée. De fait, d’un point de vue technologique, Washington a un droit de veto particulièrement strict concernant l’exportation éventuelle de l’Arrow 3. Mais ce veto prend une dimension toute autre lorsque l’on ajoute que 80% des couts de developpement du système israélien ont été payés par le contribuable américaine afin d’assurer la protection de l’Etat Hebreux contre les menaces balistiques syriennes et surtout iraniennes. C’est une chose d’aider Jerusalem à se protéger, s’en est une autre de voire le fruit de cette aide priver les industries américaines d’un marché stratégique, et Washington d’un controle renforcé sur les défenses européennes.

D’une certaine manière, il semble surprenant que Berlin et Jerusalem se soient engagés dans de telles négociations sans en avoir préalablement reçu l’autorisation de la part des autorités américaines, tant les arguments que pourraient avoir Washington de s’y opposer peuvent être nombreux. Il est vrais que, sur la papier, le système Arrow 3 est plus performant que le THAAD, précisément du fait qu’il se rapproche, d’une certaine manière, du GBI américain bien plus lourd. Toutefois, depuis plusieurs années, Lockheed-Martin propose de developper son THAAD-ER pour Extended Range, précisément dans le but d’accroitre l’enveloppe d’interception de son système, notamment contre les planeurs hypersoniques et les véhicules de rentrée atmosphérique à capacité de manoeuvre. De son coté, Northrop-Grumman développe également un intercepteur cinétique destiné à contrer les nouvelles armes hypersoniques. Le contrat allemand, et par extension européen, pourrait constituer en ce sens le parfait cadre pour entreprendre de tels développements, tout en conférant aux autorités américaines une main mise efficace sur le sujet, un atout déterminant notamment lorsqu’il s’agira de négocier avec Moscou d’éventuels accords de désarmement ou de limitation nucléaire.

Tir dun missile par le systeme anti missiles balistiques americain THAAD 1 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Le THAAD est aujourd’hui le système anti-balistique sous le controle de la Missile Defense Agency, après avoir été initialement sous le controle de l’US Army.

Reste qu’à l’inverse, l’acquisition de systèmes Arrow 3 par certains pays européens pourrait également permettre à Washington d’accroitre ses moyens de pression, et donc ses capacités de négociation, avec la Russie le cas échéant, notamment en imposant une négociation multipartite permettant d’étendre les possibilités face à Moscou. Dans les faits, si rien n’indique factuellement que les Etats-Unis vont s’opposer à cet accord germano-israélien, rien n’indique non plus le contraire. Et il est bon de se rappeler que les Etats-Unis ont interdit au denier moment à Zagreb d’acquérir des F-16i d’occasion auprés d’israél, dans l’espoir de vendre ses propres F-16V. Au final, la Croatie s’est tournée vers le Rafale français, mais c’est une autre histoire. Quoiqu’il en soit, le silence des autorités américaines sur ce sujet n’est probablement pas bon signe, d’autant qu’en de nombreux aspects, Washington a des raisons justifiées, mais également les moyens, de s’y opposer, quitte à froisser un temps la susceptibilité de deux de ses alliés les plus fidèles.

KAI présente une maquette prometteuse de la version navale de son chasseur KF-21 Boramae

Alors que tout portait à croire il y a quelques semaines que Seoul avait abandonné l’idée de se doter d’un porte-avions, les déclarations du chef d’Etat-Major sud-coréen, le général Kim Seung-kyum, le 19 septembre, donnèrent un nouvel éclat à cette ambition. Non seulement le programme n’était pas abandonné, mais Séoul envisagerait désormais de se doter d’un navire plus imposant, de l’ordre de 60.000 tonnes, avec la possibilité de s’appuyer sur un partenaire étranger pour réaliser le bâtiment. En outre, là ou le CVX initial devait mettre en oeuvre 16 F-35B américains, le nouveau navire sud-coréen pourrait, quant à lui, emporter une version navale du nouveau chasseur KF-21 Boramae conçu par KAI, et qui fit son premier vol cet été. Il n’aura fallu que quelques jours pour que cette hypothèse prenne corps à l’occasion du salon Defense Expo 2022 de Goyang dans la banlieue de Séoul, KAI ayant présenté une maquette du KF-21N, la version navale embarquée de son aéronef.

Le constructeur sud-coréen a précisé, lors de la presentation de cette maquette, qu’il ne s’agissait là que d’un concept de ce que pourrait être une version du Boramae destinée à embarquer à bord d’un éventuel futur porte-avions sud-coréen, façon de dire qu’à ce jour, aucune commande ni aucun contrat n’a été officiellement signifié pour developper un tel appareil par les autorités du pays. Toutefois, la maquette présentée n’est en rien un simple KF-21 équipé d’une crosse d’appontage et d’un train renforcé. En effet, l’aéronef semble avoir delà pris la mesure des contraintes que représentent la conception et la mise en oeuvre d’un tel appareil.

KF21 Boramae first flight Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Remarquez le train du KF-21 très différent de celui présenté sur la maquette du KF-21N

Ainsi, le KF-21N est plus imposant que la version terrestre, avec une longueur de 17,1 mètres, 30 cm plus longue, et une envergure de 12,3 mètres contre 11,2 pour la version initiale, conférant au KF-21N une surface alaire 20% plus importante. Les ailes, justement, peuvent être repliées sur une longue d’environ 1 mètre, permettant de réduire l’empreinte au sol de l’aéronef, une caractéristique appréciable dans les hangars exigus d’un porte-avions. Le KF-21N serait propulsé par deux GE F-414 comme la version terrestre, et la masse maximale au décollage serait identique entre les deux versions, même si la masse à vide est légèrement supérieure pour la version navale. Enfin, l’appareil est présenté avec un train renforcé permettant le catapultage à l’aide d’une catapulte à vapeur ou Emals américaine, et d’une crosse d’appontage qui, elle, parait bien légère pour un appareil de cette masse. On notera à ce titre que la garde au sol de l’appareil a été sensiblement augmentée, la hauteur du KF-21N dépassant de 50 cm celle du Boramae.

La maquette présentée par KAI était présentée en version armée, avec 4 missiles air-air à moyenne portée AIM-120 sous la cellule comme c’est le cas du KF-21 qui, à ce jour, ne dispose pas de soute d’armement, deux missiles ASRAAM air-air d’autodéfense sur les pylônes externes, deux bidons de carburant subsoniques ainsi que deux missiles anti-navires supersoniques à statoréacteurs sous les ailes. De toute évidence, cette maquette n’a pas été assemblée à la va vite par KAI pour coller aux annonces du général Kim Seung-kyum, les caractéristiques externes de ce KF-21N ayant été semble-t-il étudiées par l’avionneur sud-coréen, peut-être dans le but d’inciter les autorités de Séoul à s’engager plus rapidement et plus activement dans le developpement de l’appareil, si celui-ci venait à susciter de l’intérêt lors du salon, notamment de la part d’éventuels clients internationaux.

CVX Carrier Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Pour mettre en oeuvre une flotte d’appareils comme le KF-21N équipé de crosse d’appontage, le pont droit du programme CVX n’est plus adapté, et un point oblique s’imposera

Pour autant, rien n’est encore fait, bien au contraire. Ainsi, les forces aériennes sud-coréennes ont indiqué qu’elles entendaient, avant toute chose, developper une version du KF-21 qui serait pleinement partie de la 5ème génération des avions de combat, là ou la version actuelle se présente davantage comme un avion de cette classe intermédiaire mais pourtant au combien prolifique de la 4.5 génération, voire de la génération 4.5 + ou peut-être de la 5-, tant cette classification est aujourd’hui artificielle. Pour les forces aériennes sud-coréennes, il s’agirait avant tout de renforcer la furtivité du Boramae, notamment en le dotant d’une soute d’armement interne et de bidons et charges externes conçues pour ne pas détériorer la surface équivalente radar de l’appareil, ainsi que d’en accroitre les capacités des senseurs et de fusion de données pour se rapprocher des performances offertes par le F-35A, tout en disposant d’un appareil produit localement et moins onéreux pour remplacer la flotte de F-16 à compter de la seconde moitié de la décennie.

Le KF-21N lors du salon Defense Expo 2022 de Seoul

Une chose est certaine, KAI comme les autorités sud-coréennes, sont aujourd’hui en pleine confiance vis-à-vis de leur programme KF-21 Boramae, au point d’imaginer se doter d’une version navale, chose que l’on sait par experience difficile et risquée. Il ne faut, bien évidement, pas prendre la presentation de cette maquette du KF-21N pour argent comptant, d’autres options restant sur la table comme la conception d’une version plus lourde de l’appareil dotée d’un rayon d’action accru, ou encore se tourner non pas vers le F-35B visiblement écarté, mais vers le F-35C de l’US Navy, appareil qui justement bénéficie d’une allonge supérieure à celles des deux autres versions. Les arbitrages seront probablement menés conjointement concernant le futur porte-avions sud-coréen et le chasseur embarqué qui l’armera. Une chose est cependant frappante, c’est à quel point la stratégie et les ambitions dont les autorités sud-coréennes font montre aujourd’hui, peuvent se calquer sur celles qui avaient cours en France dans les années 60, et sur lesquels les autorités françaises purent construire leur autonomie stratégique comme une industrie de défense de premier plan sur la scène internationale. A bon entendeur …

Les armées US préparent leur évolution vers la guerre des drones avant 2030

L’emploi de drones militaires n’est pas un sujet récent. Déjà, pendant la seconde guerre mondiale, des tentatives de transformation de certains avions de chasse et bombardiers furent menées, ainsi que d’employer des systèmes télécommandés pour mener des reconnaissances à courte portée. Durant la guerre du Vietnam, les forces américaines employérent fréquemment des drones pour mener certaines missions de reconnaissance risquées, ou pour amener les défenses anti-aériennes nord vietnamiennes à se révéler. Mais la première armée qui fit un usage intensif et coordonné des drones au combat fut l’armée de l’air israélienne qui, en 1982 lors de l’opération Paix en Galilée, employa intensément des drones pour localiser et détruire les défenses anti-aériennes syriennes SA-2, SA-5 et SA-6 qui menèrent la vie dure aux forces aériennes israéliennes 9 ans plus tôt lors de la guerre du Kippour. Quelques dix années plus tard, inspiré par les succès israéliens, l’américain d’origine irakien Abraham Karem conçu le drone Predator, premier drone Moyenne Altitude Longue Endurance ou MALE américain, créant au passage l’entreprise qui aujourd’hui controle l’essentiel du marché des drones de combat en occident, General Atomics.

Que ce fut au Moyen-Orient, en Afghanistan, en Afrique ou en Asie-Pacifique, les drones de combat ont depuis pris part à une grande partie des opérations de surveillance et de frappes sur des théâtres de moyenne à basse intensité. Le MQ-1 Predator, d’une tonne et de 16 mètres d’envergure, capable d’emporter au mieux deux missiles Hellfire, céda sa place dix années plus tard au MQ-9 Reaper de 4,5 tonnes et de 20 mètres d’envergure, capable d’évoluer deux fois plus haut à des vitesses deux fois plus importantes que son prédécesseur, tout en emportant jusqu’à 8 missiles Hellfire ou 2 bombes guidés de 250 kg GBU-12 Paveway II. Dans le même temps, des drones plus imposants et évoluant plus haut apparurent, comme le MQ-4C Triton de 15 tonnes et 40 mètres d’envergure, spécialisé dans les missions de surveillance à haute altitude. A l’opposé du Triton, le turc Baykar développa le drone MALE léger TB2 Bayraktar qui se distingua en Libye, en Syrie, en Arménie et plus récemment en Ukraine. Malgré une envergure de seulement 12 mètres et une masse maximale de 700 kg, le petit drone de combat turc s’est distingué grâce à d’excellentes capacités de conduite d’artillerie, mais également grâce à un arsenal de munitions légères très efficaces, y compris contre des cibles blindées et retranchées.

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Le MQ-9 Reaper offre des performances et des capacités d’emport considérablement plus importantes que le MQ-1 Predator

La dynamique drone est donc désormais fermement implantée dans les armées du monde entier. Toutefois, outre Atlantique, industriels et militaires sont engagés dans un effort aussi ambitieux que discret, afin de doter les forces armées américaines d’une nouvelle génération de drones aux performances et capacités sans commune mesure avec ceux actuellement en service de par le monde. Qu’il s’agisse de l’US Air Force, de l’US Navy, du Marines Corps et du l’US Army, toutes les armées américains, épaulées du departement de La Défense et de la DARPA, sont engagées dans une trajectoire destinée non seulement à intégrer la réalité drone à tous les niveaux de l’engagement, mais également à disposer de drones ayant une avance technologique marquée sur leurs éventuels compétiteurs, qu’ils soient sur le champs de bataille ou dans les salons feutrés des salons de l’armement, et ce avant la fin de la présente décennie.

3 grandes familles de drones aériens sont ainsi en cours de developpement. La première repose sur le concept de Loyal Wingman, un drone relativement lourd capable d’accompagner des avions de combat en zone d’engagement afin d’en étendre les capacités de détection et de frappe vers des cibles aériennes comme terrestres ou de surface. Controlés par les avions de combat pilotés de nouvelle génération comme le F-35, le futur NGAD de l’US Air Force ou son pendant de l’US Navy, le F/A-XX, ces drones agissent au profit de l’appareil maitre. Si ce dernier en assure le controle, le pilotage est lui confié à une intelligence artificielle, de sorte à permettre à un unique appareil piloté de contrôler plusieurs de ces drones simultanément, et ce de manière coordonnée. Emportant de puissants senseurs et différents armements, ils étendent considérablement les capacités d’engagement des avions pilotés, tout en en renforçant la sécurité, à l’instar d’un allié, d’ou le nom de ce type d’appareil. Le programme Skyborg de l’US Air Force, s’appuyant sur des drones XQ-58A Valkyrie de Kratos et MQ-20 Avenger de General Atomics, est au coeur de cet effort, alors que Boeing participe au programme Loyal Wingmen australien avec le MQ-28 Ghost Bat.

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le MQ-20 Avenger participe à la fois au programme Skyborg et au programme MQ-Next

Si le Loyal Wingman accompagne les avions de combat sur l’ensemble de la mission, les drones de la famille Remote Carrier sont, quant à eux, aéroportés directement sur la zone d’engagement pour accomplir leur mission, permettant de concevoir des drones plus compactes et plus économiques que les premiers. Paradoxalement, ce sont les européens, et en particuliers les français et allemands rassemblés dans le programme SCAF, qui se tournèrent en premier vers ce modèle de drones pouvant agir tant au profit d’avions pilotés que pour mener des missions autonome ou en essaim sous le controle de forces basées au sol ou en surface. Deux programmes principaux sont en cours outre-atlantique dans ce domaine, tous deux sous les auspices de la DARPA, l’agence de recherche et de developpement du Pentagone. Le premier est le programme LongShot, un remote carrier versatile capable d’emporter munitions et système de détection, voire de guerre électronique, et mis en oeuvre à partir d’un chasseur lourd ou d’un avion de transport, dans un approche similaire à celle de MBDA et Airbus DS. Le second programme, plus disruptif, s’appuie sur un drone léger, le X-61 Gremlins, et sur un système permettant à un avion de transport C-130 et déployer mais également de récupérer en vol les drones, dans un très prometteur concept d’avion gigogne.

La troisième catégorie de drones en cours de developpement n’est autre que celle destinée à remplacer, d’ici la fin de la décennie, les MQ-9 Reaper ainsi que les MQ-4C Triton, des appareils désormais jugés trop vulnérables pour opérer dans des zones de combat dites de haute intensité, face à un adversaire disposant de défense anti-aériennes avancées. Il est vrai que les MQ-1 et MQ-9 américains et alliés, mais également les Wing Loong II chinois et les TB2 turcs, payèrent de lourds tribus dès lors qu’ils intervenaient en Libye ou en Syrie à proximité des défenses aériennes adverses. De même, si les TB2 ukrainiens remportèrent de réels succès en début de conflit face à la Russie, leur efficacité fut considérablement réduite dès lors que les forces russes rétablir leurs défenses anti-aériennes. Même les puissant et onéreux MQ-4 ne sont pas hors de portée, comme l’a montré la destruction d’un MQ-4C américain par les défenses anti-aériennes iraniennes en juin 2019, menant les Etats-Unis et l’Iran au bord de la guerre. Le remplacement de ces drones, désigné programme MQ-Next, vise à developper des drones offrant des performances largement accrues vis-à-vis des modèles existants, notamment en terme de vitesse et de capacité d’emport, permettant d’accueillir des équipements et des armements variés y compris des missiles air-air, air-surface et anti-radiation, et doté d’une furtivité suffisante pour garantir leur non détection des radar adverses à longue et moyenne portée. Plusieurs modèles sont ainsi développés et expérimentés, dont le discret RQ-180 et le MQ-20 Avenger.

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Le RQ-180 est un drone furtif de reconnaissance à haute altitude, conçu pour évoluer au dessus des environnements contestés

Au delà de ces familles de drones bien distinctes, les industriels américains développent, dans le même temps, des drones d’une grande versatilité, capables de répondre à plusieurs besoins, voire des familles de drones couvrant l’ensemble des besoins de sorte à en simplifier la maintenance, l’adaptabilité opérationnelle et d’en réduire les couts de developpement et de construction. C’est notamment le cas du Boeing MQ-25 Stingray de l’US Navy, un drone autonome furtif initialement dédié aux missions de ravitaillement en vol des appareils embarqués à bord des porte-avions américains, mais capables également de mener des missions de reconnaissance de type MALE, et même d’intégrer un Strike au profit d’avions pilotés à l’instar d’un Loyal Wingman. le MQ-20 de General Atomics répond également à cette classification, évalué simultanément en tant que Loyal Wingman et dans le cadre du MQ-Next par l’US Air Force.

Mais le programme le plus remarquable n’est autre que le projet Gambit de General Atomics. Dans une approche qui n’est pas sans rappeler les paradigmes soutenus par Will Roper lorsque ce dernier dirigeait les acquisitions de l’USAF, Gambit propose de developper une famille de drones de combat spécialisés, sur la base d’un noyau technologique commun. Ainsi, sur la base d’un noyau unique, le programme Gambit propose de developper un drone de combat de type MALE discret doté d’une grande portance et d’un propulseur économe en carburant, mais également un drone de combat spécialisé en combat aérien en agrémenter le turboréacteur d’une poste-combustion et l’appareil d’une aile en flèche taillée pour la vitesse et la manœuvrabilité à vitesse élevée, un drone d’appui feu en optimisant la furtivité dans le domaine sol-air et en dotant l’appareil d’une aile droite plus adaptée pour manoeuvrabilité à vitesse basse et moyenne. Enfin, en dotant le noyau d’une cellule de type aile volante furtive, le drone peut effectuer des frappes dans la profondeur de l’adversaire et des missions de suppression des défenses anti-aériennes. En ce sens, le programme Gambit va bien au delà du programme Skyborg de l’USAF, qui vise seulement à developper une IA commune pour le pilotage de différents modèles de drones.

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Le projet Gambit de General Atomics vise à produire une famille de drones sur une base centrale technologique unique

De nombreux autres programmes de drones sont en cours de developpement outre-atlantique, qu’il s’agisse de drones légers et moyens de reconnaissance et de logistique pour l’US Army dans le cadre du programme Futur vertical Lift, de drones héliportés ou de reconnaissances légers pour les navires de surface et sous-marins de l’US Navy, ou afin de developper des munitions vagabondes au profit des 4 armées. En outre, l’US Navy produit un effort sans précédant pour se doter de navires de surface et sous-marins autonomes agissant tant au profit de navires que de la flotte elle-même. Quant à l’US Army, elle est engagé dans le programme Optionnaly Manned Fighting Vehicle, ou OMFV, un véhicule de combat d’infanterie capable d’agir de manière autonome, et destiné à remplacer les M2 Bradley.

Quoiqu’il en soit, il apparait que les armées américaines produisent effectivement un effort très important afin de se doter de drones et de systèmes autonomes avancés et, en bien des aspects, sensiblement plus performants que ce que développent à ce jour les Européens, les turcs ou les Russes dans ce domaine. La seule inconnue aujourd’hui n’est pas relative à la trajectoire ou au calendrier US, mais à celle que la Chine suit afin de rester au contact de son principal compétiteur. Il est en effet très difficile d’évaluer avec précision les progrès réalisés par les entreprises chinoises dans ce domaine, alors que de nombreux modèles, y compris très inspirés des drones américains en cours de developpement, ont été présentés lors des derniers salons de l’armement chinois. Il faut espérer que la prochaine Loi de Programmation Militaire en cours de conception en France, mais également la transformation de l’effort de défense en cours en Allemagne, en Grande-Bretagne ou encore en Italie, permettra aux européens de rester eux aussi au contact des Etats-unis et de la Chine dans ce domaine qui s’avèrerait, sans le moindre doute, déterminant pour la conduite des opérations miltaires dans les années et décennies à venir.

Mobilisation partielle et armes nucléaires, faut-il avoir peur des déclarations de Vladimir Poutine ?

Depuis le discours de Vladimir Poutine sur les chaines publiques russes de ce matin, une grande fébrilité s’est emparée des médias européens, et par voie de conséquence, de l’opinion publique dans son ensemble. Face à ce qui se dessine chaque jour davantage comme une impasse opérationnelle, le président Russe a annoncé 3 mesures clés pour tenter de retourner la situation à son avantage en Ukraine et en Europe. Cette déclaration publique du président russe, étayée quelque minutes plus tard par le ministre de la Défense, Sergey Choigou, a fait franchir une nouvelle étape à cette guerre entamée le 24 février, faisant resurgir le spectre d’une guerre totale et nucléaire en Europe. Toutefois, il convient d’avoir une perception globale de la matérialité de ces annonces et menaces, ainsi que de leur articulation les unes vis-à-vis des autres ainsi qu’avec la réalité existante, pour en comprendre la finalité.

En premier lieu, Vladimir Poutine a annoncé une mobilisation partielle, soit 300.000 hommes, afin de renforcer le dispositif militaire en Ukraine, parmi les hommes de 18 à 65 ans ayant le statut de reserviste et ayant une experience militaire, même distante. A l’issue de cette annonce présidentielle, Sergei Choigou a précisé que seule une partie de ces 300.000 hommes seront effectivement mobilisés à court terme, et que les cas seront étudiés individuellement dans chaque Oblast. Pour autant, depuis ce matin, l’ensemble des vols au départ des aéroports russes à destination de la Turquie, de l’Azerbaïdjan ou de la Bielorussie ont été pris d’assaut par de nombreux jeunes russes craignant d’être mobilisés. Reste que même une application partielle de la mobilisation partielle constitue un défi très difficile à relever pour les armées russes, qui ne disposent pas à ce jour des équipements nécessaires pour armer et équiper ces forces supplétives, laissant supposer qu’elles pourraient avoir un rôle de sécurité et de controle des territoires, plutôt que de renforcer les unités de première ligne.

un soldat ukrainien debout sur un char russe abandonne pres d izioum dans la region de kharkiv le 11 septembre 2022 en ukraine 6365854 Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense | France
Les forces armées russes ont perdu un grand nombre de materiels critiques lors des 6 premiers mois de guerre en Ukraine, rendant improbable la possibilité d’une victoire militaire conventionnelle

La seconde annonce de Vladimir Poutine porte sur l’organisation à la fin de la semaine de « référendum d’autodétermination » dans les 4 oblasts partiellement controlés par les forces Russes, à savoir les Oblast de Kherson, de Zaporijjia, de Donetsk et de Luhansk. A l’instar de celui organisé en Crimée à la suite de l’intervention des forces spéciales russes en 2014, l’objectif ici est d’acter, du point de vue du droit russe, et donc de l’opinion publique du pays, le rattachement de ces territoires à la Russie, de sorte à leur conférer le même statut que l’ensemble des territoires russes, notamment pour ce qui concerne la possibilité d’avoir recours à l’intégralité de l’arsenal militaire russe pour protéger l’intégrité territoriale du pays. Le fait que ces referendum ne soient pas reconnu par la communauté internationale n’a aucune influence sur l’objectif recherché ici par Vladimir Poutine.

Enfin, la troisième annonce porte sur la menace d’utilisation de l’arsenal nucléaire russe pour défendre le pays face à ce que Vladimir Poutine décrit désormais comme une agression de l’occident contre la Russie. C’est évidemment celle qui aujourd’hui focalise le plus l’attention des médias occidentaux et européens, avec à la clé le spectre d’une guerre nucléaire totale, d’autant que si les armées russes ont désormais probablement perdu la guerre en Ukraine du point de vue conventionnel, sans possibilités réelles d’inverser la tendance de ce point de vue, Moscou dispose effectivement du plus important stock d’armes nucléaires de la planète, et d’un grand nombre de vecteurs qu’ils soient balistiques stratégiques ou tactiques, aériens ou sous-marins. Si Vladimir Poutine avait déjà brandit sans grand succès cette menace pour tenter de tenir à distance américains et européens de son intervention en Ukraine, il ne fait guère de doute que désormais, la menace est bien réelle.

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Emportées par une dynamique de victoire, un excellent commandement et des équipements occidentaux en quantité croissante, les forces armées ukrainiennes prendront l’avantage sur les armées russes sans les semaines à venir, sauf à changer les paradigmes de l’engagement

Reste que si prises individuellement, ces annonces cumulées décrivent une trajectoire des plus inquiétantes, elles prennent une toute autre dimension lorsqu’on les considèrent dans leur ensemble, et dans le présent contexte. En premier lieu, il est indispensable de garder à l’esprit que le but de ces annonces n’est ni de vaincre l’Ukraine, ni de vaincre l’OTAN, pas plus d’ailleurs que de protéger la Russie et les russes eux-mêmes. Il s’agit uniquement de protéger le régime en place, et son président. L’hypothèse d’une défaite militaire conventionnelle des armées russes en Ukraine étant désormais très crédible, il est indispensable pour le Kremlin de mettre en place les pare-feu nécessaires pour éviter que des dynamiques comme celles qui amenèrent à la chute de l’empire russe en 1917 à la suite de sévères défaites contre l’Allemagne, et de la dislocation de l’URSS après l’échec en Afghanistan, ne se reproduisent. De cette perspective, les 3 annonces faites par Vladimir Poutine ce matin, et détaillées par son ministre de La Défense plus tard, prennent effectivement beaucoup de sens.

En premier lieu, comme dit précédemment, les referendum organisés à la hâte ce week-end permettront de rattacher les territoires encore controlés par les armées russes à la Russie, et donc d’en faire un territoire nationale. La précipitation de cette tache montre, sans équivoque, que les armées russes savent qu’elles sont désormais dans l’incapacité à court ou moyen terme non seulement de récupérer des territoires, mais également d’empêcher les forces ukrainiennes d’avancer. Ce changement de statut des territoires controlés est déterminant afin de pouvoir appliquer les mesures de defense stratégique du territoire que les forces russes s’apprêtent à mettre en oeuvre, notamment en ayant concentré, depuis plusieurs semaines, une très importante force aérienne dans les aérodromes proches de l’Ukraine. Une fois les territoires rattachés à la Russie du point de vue du droit russe, Moscou pourra alors, en toute « légalité », engager des mesures massives de rétorsion contre l’Ukraine si les offensives se poursuivent.

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des T-62M ont été observés allant vers l’Ukraine en Russie, ceci révélant que les stocks de materiels lourds effectivement opérationnels sont au plus bas pour les armées russes

Dans une telle hypothèse, il est probable que les armées russes commenceraient par engager des frappes contre les centres de pouvoir ukrainiens, comme la Rada, l’Etat-major des Armées et même le Palais présidentiel, ainsi que contre des infrastructures stratégiques du pays, jusqu’ici relativement épargnées. On peut également penser qu’il soit envisagé de mener des frappes massives contre certaines villes ukrainiennes, dans le but de briser la determination des ukrainiens à recouvrer leur intégrité territoriale. Dans le même temps, cette phase servira d’ultime avertissement aux occidentaux pour faire pression sur le pouvoir ukrainien afin d’engager des négociations pour mettre fin à cette guerre sur la base des frontières imposées par Moscou via l’outil référendaire. Dans le cas contraire, ou si les armées ukrainiennes parvenaient à réaliser une nouvelle brillante manoeuvre afin de libérer des territoires importants, on peut s’attendre à ce que Vladimir Poutine autorise l’utilisation d’une ou plusieurs armes nucléaires tactiques, afin de détruire les têtes de pont ukrainiennes, mais également d’imposer aux occidentaux la fin des combats et la création d’une ligne de démarcation comparable à celles qui séparent aujourd’hui les deux Corées ou l’Inde et la Chine dans la chaine Himalayenne.

Dans ce contexte, la mobilisation partielle n’a guère d’intérêt, en dehors de disposer des forces nécessaires pour assurer le controle des territoires conquis aux cotés de la garde russe, et de permettre aux unités de manoeuvre très éprouvées des armées russes engagées depuis le début du conflit, de rejoindre leurs casernements et lécher leurs profondes blessures. En revanche, cette annonce fait peser une réelle menace sur l’opinion publique russe qui, si elle soutenait jusqu’ici Vladimir Poutine, pouvait devenir impossible à contrôler en cas de défaite militaire. En s’appuyant sur une mobilisation partielle, le régime russe donne de la matérialité à cette menace qui s’appuie sur le souvenir encore bien vivace dans l’inconscient russe des pertes terribles de la grande guerre patriotique, et donc entend rendre beaucoup plus docile son opinion publique, y compris si des actions militaires extrêmes comme l’attaque des lieux de pouvoir ou de population civile, venaient à être engagées.

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Manquant de materiels et d’entrainement, conscrits et réservistes russes ne pourront constituer une force militaire significative avant plusieurs mois, voire plusieurs années,

On le comprend, l’ensemble de ces annonce ne vise qu’à permettre à Vladimir Poutine et son régime de garder le controle du pays, et à neutraliser la menace bien réelle que représente désormais un effondrement militaire des armées russes en Ukraine. Dans ce contexte, il parait très peu probable que le président russe envisage effectivement l’utilisation des armes stratégiques russes contre l’occident, ces décisions étant avant tout dictées par un profond instinct de conservation. Toutefois, on peut s’attendre à ce que les jours et semaines à venir soient d’une intensité comparable à celle qui avait cours au plus fort de la crise des missiles de Cuba ou de celle des Euromissiles.