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Quelles sont les Forces et les Faiblesses de l’Armée de l’Air et de l’Espace ?

Dans la nuit du 13 au 14 Avril 2017, 5 avions Rafale de la base de Saint-Dizier escortés de 4 Mirage-2000-5, de 2 avions Awacs et de 6 avions ravitailleurs KC-135, effectuèrent un raid de 10 heures et 7000 km pour frapper et détruire à l’aide des 2 missiles de croisière SCALP transportés par chacun des Rafale, les installations chimiques syriens utilisées par le régime du président Bashar El Assad, dans le cadre d’une coalition tripartite rassemblant les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. En dépit des importantes défenses anti-aériennes syriennes mises en oeuvre, toutes les cibles visées par les frappes de la coalition en réponse à l’attaque chimique de Douma du 7 avril qui avait fait entre 50 et 150 morts selon les estimations, furent totalement détruites. Cette opération, baptisée Hamilton coté français, n’est qu’un exemple des capacités avancées dont dispose aujourd’hui l’Armée de l’Air et de l’Espace, incontestablement l’une des plus efficaces et aguerries en Europe, mais également sur la planète.

Pourtant, en dépit de cette indéniable technicité, et d’appareils parmi les plus performants en service, l’Armée de l’Air française n’a pas davantage été épargnée que l’Armée de Terre et que la Marine Nationale par les reformes et restrictions budgétaires ayant parfois sévèrement entamé son potentiel opérationnel. Alors que l’hypothèse de devoir se confronter, dans un avenir de plus en plus proche, à des forces aériennes et des défenses anti-aériennes intégrées massives et performantes ne cesse de croitre, quelles sont, aujourd’hui ainsi que dans la décennie à venir, les atouts dont dispose de cette force aérienne ? mais aussi quelles en sont ses faiblesses, et à quel point celles-ci peuvent elles amoindrir son efficacité pourtant déterminante pour l’ensemble des armées françaises, et pour la sécurité du pays ?

Une force aérienne puissante et homogène en pleine transformation

Des trois armées françaises, l’Armée de l’Air devenue en 2020, l’Armée de l’Air et de l’Espace, est probablement celle qui fut le mieux préservées des restrictions budgétaires et des réformes de format ces 25 dernières années. De part sa dimension d’armée technologique, elle fut moins impactée que l’Armée de terre de la professionnalisation des armées françaises. En outre, elle parvient à sanctuariser, non sans mal et maintes bras de fer avec les autorités politiques du pays, certains programmes clés pour sa modernisation en ces temps de disette budgétaire sur fonds de « bénéfices de la Paix », comme l’avion de combat Rafale, l’avion de transport stratégique A400M, ou l‘avion ravitailleur A330 MRTT Phoenix, de sorte à poursuivre sa modernisation y compris lors des difficiles années de 2005 à 2015 qui firent tant de dégâts aux armées françaises. De fait, aujourd’hui, l’Armée de l’Air et de l’Espace aligne une flotte de chasse de 210 appareils dont 102 avions Rafale B et C, aux cotés d’une flotte de transport de 70 aéronefs dont 18 A400M, de 17 avions de ravitaillement en vol dont 6 A330 MRTT, de 4 E-3F Awacs et de plus de 70 hélicoptères dont 10 H225M Caracal dédiés aux opérations spéciales et aux missions de sauvetage. Elle opère également une vingtaine de satellite de détection et de communication, une douzaine de drones MALE Reaper, une centaine d’avions d’instruction et une trentaine d’appareils de transport lourd et de liaison, pour un total de 580 aéronefs de combat auxquels s’ajoutent les quelques 10 batteries de défense anti-aérienne à longue portée SAMP/T Mamba et les 12 batteries de défense rapprochée Crotale NG.

rafale TBA Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Le Rafale est aujourd’hui un des meilleurs avions de combat du moment, offrant une polyvalence et des performances avancées à l’Armée de l’Air et de l’espace , notamment en matière d’engagement en environnement contesté

Incontestablement, l’Armée de l’Air surpasse en de nombreux aspects les autres forces aériennes européennes, d’autant plus lorsqu’elle opère conjointement avec l’aéronautique navale et ses 200 aéronefs. Elle dispose également de capacités rares de projection de puissance à longue, voire très longue, distance, et d’un haut niveau d’aguerrissement et de technicité de ses quelques 40.000 aviateurs et officiers. Dès lors, à l’instar de l’ensemble des forces aériennes occidentales, l’Armée de l’Air et de l’espace représente non seulement le bras armé initial et final de la politique militaire française, participant notamment avec deux escadrons de chasse à la mission de dissuasion, mais elle porte également la majeure partie de la puissance de feu des forces armées françaises, protégeant et agissant aux profits des unités terrestres et navals engagées au combat. Enfin, cette armée est engagée dans un vaste effort de modernisation, qui l’amènera d’ici la fin de la décennie à aligner, entre autres, 185 avions Rafale au standard F4 puis F5, 15 avions ravitailleurs A330 MRTT, ou encore 50 avions de transport stratégiques A400M, mais également de nouveaux appareils comme les 3 Falcon Archange de renseignement et d’écoute électronique, ou les hélicoptères H160M Guépard du programme HIL, chacun d’entre eux apportant des capacités et des performances inédites en terme de combat, d’allonge, de capacité de transport et d’engagement coopératif.

Des impasses capacitaires critiques

Toutefois, ce tableau ainsi présenté ne permet pas de prendre en compte les défaillances capacitaires critiques auxquelles l’Armée de l’Air fait face aujourd’hui, ou fera face dans un avenir proche. Ainsi, et comme nous l’avions déjà abordé, elle ne dispose plus, depuis une vingtaine d’années, de capacités spécifiques pour éliminer ou neutraliser les défenses anti-aériennes adverses de plus en plus performantes auxquelles ses appareils et ses pilotes pourraient prochainement se trouver confronter. Certes, le Rafale dispose d’un excellent système d’auto-protection, le SPECTRA, qui s’est montré efficace contre certaines défenses antiaériennes, et même contre des radars aéroportés modernes. Mais le Rafale, pas plus que le Mirage 2000, ne dispose à ce jour d’aucune capacité de guerre électronique étendue capable de protéger un espace aérien, et pas davantage de munition spécialement conçue pour éliminer les radars de l’adversaire, communément appelée munition anti-radiation.

Rafale meteor mica Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Rafale en configuration de défense aérienne, avec 2 missile Meteor à longue portée, 2 missiles MICA EM à moyenne portée, et 2 missiles MICA IR pour l’autodéfense et les combats tournoyants

Or, l’absence de capacités de suppression, telles que désignées, réduit considérablement les capacités opérationnelles de l’Armée de l’Air dans son ensemble, qui ne peut dès lors mettre en oeuvre, dans les espaces aériens contestés, que ses avions Rafale, les seuls susceptibles de pouvoir se protéger contre des défenses antiaériennes modernes, et ce uniquement jusqu’à un certain point. Ni les mirage 2000, qui représentent pourtant la moitié de la flotte de chasse, ni les avions de soutien, comme les Awacs ou les avions ravitailleurs, ne peuvent alors accompagner les avions français, réduisant sensiblement leur efficacité, et donc l’appui et la protection qu’ils peuvent apporter aux unités engagées à terre ou en surface. Au mieux les Rafale français peuvent employer pour tenter de neutraliser les menaces sans s’exposer outre mesure, des missiles de croisière SCALP EG d’une portée de plus de 250 km. Mais l’Armée de l’Air n’a commandé la modernisation de seulement 100 de ces missiles, sachant qu’il fallut en utiliser 9 pour détruire le bâtiment principal syrien lors de l’opération Hamilton.

Outre cette défaillance critique sans solution planifiée à court ou moyen terme, tout au moins jusqu’à l’arriver des premiers Remote Carrier du programme SCAF prévus post 2030, l’Armée de l’Air et de l’Espace va également se retrouver dans les 6 années à venir en situation de privation capacitaire concernant le renseignement électronique, entre le retrait annoncé des vénérable C-160 Gabriel et l’entrée en service opérationnel des premiers Archange. Or, détecter, enregistrer et analyser les informations électromagnétiques d’un adversaire potentiel constituent les étapes préalables indispensables pour mener des opérations aériennes dans un environnement contesté, notamment pour configurer les systèmes d’auto-protection comme SPECTRA. Dans ces domaines, et comme nous l’avions déjà abordé, la France aurait tout intérêt à developper une version spécialisée en matière de guerre électronique et de suppression des défenses anti-aériennes de son Rafale, et ce d’autant qu’en dehors du EA-18G Growler de Boeing, l’occident ne dispose d’aucune offre de ce type, alors que la Chine et la Russie développent des solutions avancées dans ce domaine.

Jaguar Martel Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
L’Armée de l’Air a perdu son dernier escadron de guerre électronique et suppression des défenses anti-aériennes en 1997

Par ailleurs, l’AAE ne dispose aujourd’hui que d’un nombre limité de drones MALE Reaper de facture américaine, mais d’aucun drone de combat susceptible d’opérer en environnement contesté, et ce alors même que l’industrie nationale disposait, au début des années 2010, d’une avance notable dans ce domaine avec le programme NEURON. Or, dès lors qu’il s’agit d’intervenir dans un espace aérien contesté et en situation de haute intensité, les drones MALE traditionnels comme le Reaper, mais également comme le futur Euromale, seraient très exposés et vulnérables, et s’avéreraient des cibles aisées pour la defense anti-aérienne voire la chasse adverse. C’est la raison pour laquelle la Russie développe aujourd’hui le S-70 Okhtinik B, et la Chine la série des Sharp Sword, des drones de combat furtifs conçus pour ce type de mission. Là encore, l’AAE bénéficierait grandement de disposer de quelques dizaines de ces drones, potentiellement dérivés du programme NEURON, dans l’attente de l’entrée en service des premiers Remote carrier en 2030, si tant est que le programme SCAF suive son cours convenablement, et que le besoin ne se fasse pas sentir avant.

Dernier domaine ayant fait l’objet d’arbitrages défavorables, la formation des pilotes, et notamment des pilotes de chasse, avec le remplacement du couple Epsilon/Alpha Jet par le PC-21 Pilatus à turbopropulseur. Certes, l’appareil suisse offre un environnement avionique bien plus proche de celui du Rafale que ne le proposaient les epsilon et Alpha Jet datant des années 70 et 80. En revanche, ces appareils sont peu nombreux (24 à ce jours), et surtout, n’offrent pas des performances comparables à celles des avions d’arme, notamment en terme de vitesse, comme le peut l’Alpha Jet. Si plusieurs autres forces aériennes ont choisi le PC-21 pour la formation de leurs pilotes, force est de constater que les forces aériennes de premier rang, Chine, Russie et Etats-Unis en tête, privilégient l’emploi d’appareils dotés de turboréacteurs et de performances proches de celles des avions d’arme, comme les L-10 ou L-15 chinois, le Yak-130 russe et le T-7A américain.

Un format en trompe l’oeil

Mais la plus grande faiblesse de l’Armée de l’Air et de l’Espace, à l’instar de l’Armée de terre et de la Marine Nationale, reste incontestablement son format qui a été fortement contraint ces dernières années. Ainsi, la flotte de chasse visée par le Livre Blanc 2013 et confirmée par la Revue Stratégique de 2017, se limite à 185 avions de combat, la moitié de ce qu’elle était encore en 2005, un nombre très insuffisant ne serait-ce que pour répondre à la pression opérationnelle actuelle à laquelle elle fait face aujourd’hui, ceci expliquant en grande partie les difficultés rencontrées en terme de disponibilité des appareils ces dernières années. En outre, et jusqu’à la fin de la décennie, la moitié de la flotte de chasse française sera composée de mirage 2000D et mirage 2000-5, ceci ne laissant guère que 110 à 140 Rafale en capacité d’opérer en environnement de Haute Intensité, tout au moins pour les missions de frappe. Or, sur cette centaine d’appareils, un tiers est en moyenne en maintenance, et une vingtaine d’appareils sont dédiées à la mission de dissuasion, ne laissant, de manière effective, qu’une soixantaine de Rafale prêts au combat, auxquels il convient de retirer les appareils en opération extérieure.

A400M piste sommaire Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
L’arrivée de l’A400M au sein de l’Armée de l’Air et de l’espace a permis de considérablement accroitre les capacités de projection de puissance de cette force aérienne

Pour soutenir au combat une forcée armée de la taille d’une division, comme l’a défini comme objectif le général Schill, Chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre, il est indispensable d’aligner 90 à 120 avions de combat aptes à remplir ces missions, et non la cinquantaine de Rafale que l’AAE pourra, au mieux d’ici la fin de la décennie, consacrer à une telle opération. De manière objective, donc, il manquera entre 90 et 120 chasseurs dits de « haute intensité », au format de l’Armée de l’Air et de l’Espace pour assurer pleinement ses missions d’ici la fin de la décennie. Dans ces conditions, l’hypothèse de récupérer la cinquantaine de Mirage 2000-9 émirati si Abu Dabi venait à commander les 60 Rafale prévus, pourrait constituer une solution de transition inespérée pour l’AEE pour répondre à ce besoin, d’autant qu’elles s’est vue priver de 24 Rafale vendus d’occasion à la Grèce et la Croatie. Il devient également urgent de planifier le remplacement des 4 E-3F Awacs en service, qui flirtent avec les 40 années de service, et qui s’avèrent aujourd’hui particulièrement vulnérables aux systèmes sol-air et air-air à très longue portée comme les R-37M et S400 russes, ou le PL-15 chinois.

Dans d’autres domaines, en revanche, le dimensionnement visé par l’AAE semble cohérent avec les besoins, même si la flotte de chasse venait à être renforcée. C’est le cas des 15 A330 MRTT de ravitaillement en vol, qui feront de l’AAE la 4ème force aérienne la mieux dotée dans ce domaine sur la planète, ou encore des 50 A400M qui devraient être épaulés par un nouvel appareil de transport tactique destiné à remplacer les C-160 et, à terme, les CN-235, programme lancé le 16 novembre dans le cadre du PESCO. Les efforts consentis dans le domaine spatial, avec notamment le lancement des 3 satellites de renseignement électromagnétique de la constellation CERES il y a quelques jours, pointent également vers un dimensionnement adapté aux ambitions et aux besoins de la France et de ses Armées.

Morphee A330 MRTT Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Si la mission première de l’A330 MRTT phoenix est le ravitaillement en vol, cet appareil extrêmement polyvalent fut également employé au plus fort de la première vague COVID pour déplacer des patients sous respirateur vers des hôpitaux moins en tension

Reste que, pour augmenter la flotte de chasse au niveau des besoins réels imposés par la pression opérationnelle et l’évolution des menaces, ainsi que pour la doter des capacités lui faisant défaut, comme dans le domaine de la guerre électronique, la suppression des défenses et des drones de combat, l’AAE devrait disposer d’un budget d’équipement annuel accru de 2,5 Md€, auxquels il convient d’ajouter les couts de maintenance, ceux des nouvelles infrastructures devant accueillir ces unités, ainsi que les 10.000 aviateurs et officiers indispensables pour les mettre en oeuvre, soit une enveloppe supplémentaire de 4 Md€. Si le montant peut paraitre important, il convient de le mettre en balance avec le rôle prépondérant que jouent aujourd’hui l’AAE dans toutes les opérations militaires françaises, ainsi que celui qu’elle serait appelée à jouer pour soutenir les forces terrestres et navales en cas de conflit.

Conclusion

On le voit, si l’Armée de l’Air et de l’Espace est parvenue à maintenir des capacités opérationnelles de premier plan au travers des années de disette de l’après guerre froide, elle ne put le faire que par un concours de circonstance industriel favorable, et non sans devoir abandonner certains volets critiques de ses propres capacités. En outre, son format est aujourd’hui très insuffisant, ne serait-ce que pour répondre aux besoins immédiats, voire très préoccupant dès lors que l’on envisage des engagements de haute intensité s’étalant dans la durée. En outre, des 3 armées françaises, l’AAE est incontestablement celle qui agit le plus en faveur des 2 autres, et dont les capacités influences directement et massivement celles des autres forces. Une situation qui n’est d’ailleurs pas propre à la France, le Chef d’etat-major des armées britanniques ayant, il y a deux ans, estimé que 75% de la puissance de feu de l’OTAN provenaient de sa force aérienne de l’Alliance.

Dans ces conditions, il apparait urgent et indispensable de mettre en cohérence non seulement les moyens dont doit disposer l’Armée de l’Air et de l’espace pour répondre à ses engagements opérationnels présents et à venir, mais également pour garantir à l’Armée de terre, comme à la Marine Nationale, que ses appareils seront bien là en temps, en heure, et nombre, le moment venu en cas d’engagement de haute intensité. Car si la force aérienne, à elle seule, ne peut tenir le terrain, c’est aujourd’hui elle, qui plus est dans l’architecture de forces occidentale, qui permet aux unités terrestres et navales de le faire, notamment face à des adversaires disposant de moyens supérieurs en nombre, voire en puissance de feu.

L’hypothèse F-35 va-t-elle réapparaitre en Allemagne ?

La nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne a publié, hier, l’accord de coalition qui constitue le contrat global autour duquel les Sociaux-Démocrates, les Verts et les Libéraux se sont entendus pour gouverner le pays ensemble. Le document de 177 pages traite de nombreux aspects économiques, sociaux, environnementaux et de politique internationale. A l’inverse du discours de politique générale présenté par chaque nouveau gouvernement français, cet accord de coalition constitue un engagement ferme sur lequel la coalition de gouvernement s’est entendue et engagée, et chaque paragraphe, chaque mot y a été sous-pesé. La dimension défense y est naturellement traitée, tout comme la dimension européenne de ce dossier. Toutefois, de nombreux éléments contenus dans ce texte, ainsi que des événements récents connexes, laissent penser qu’Olaf Scholtz et ses alliés sont, si pas engagés, tout au moins ouverts à re-évaluer l’hypothèse de l’acquisition de F-35 pour la Luftwaffe pour remplacer une partie de ses Tornado.

Rappelons qu’en mars 2020, le gouvernement d’Angela Merkel avait arbitré en faveur de l’acquisition de 90 Typhoon ainsi que de 45 F/A 18 E/F Super Hornet et EA-18G Growler de l’américain Boeing pour remplacer les quelques 85 panavia Tornado encore en service au sein de la Luftwaffe, ainsi que les premiers lots de Typhoon dont la modernisation était jugée trop onéreuse pour les amener au standard multi-missions de la tranche 3B. Cette annonce avait fait de nombreux remous au sein de l’OTAN et outre Atlantique, qui privilégient toujours l’acquisition de F-35A en lieu et place des Super Hornet et Growler, afin d’assurer les missions de suppression des défenses anti-aériennes et surtout les missions de frappe nucléaire dans le cadre de l’OTAN. Mais Angela Merkel partageait l’avis d’Emmanuel Macron et des autorités françaises, selon lequel l’arrivée du F-35 en Allemagne constituerait à terme une menace pour le bon déroulement du programme de chasseur de nouvelle génération SCAF.

tornado nuke Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Afin de remplacer les Tornado dédiés aux missions de frappes nucléaires dans le cadre de l’OTAN, Berlin avait annoncer privilégier l’acquisition de F/A 18 E/F Super Hornet

Rappelons également que, pour l’heure, les seuls appareils qualifiés pour mettre en oeuvre la nouvelle bombe nucléaire B-61-12, celle-là même qui remplacera les bombes nucléaires mk4 et mk7 actuellement mises en oeuvre par les F-16 belges, néerlandais et turcs, et par les Tornado allemands et italiens dans le cadre de l’OTAN, sont les F-35A et les F-15E Strike Eagle. Le Super Hornet ne peut emporter cette munition, et à ce jour, aucune campagne de qualification de l’appareil n’a été annoncé par les autorités américaines. De fait, le choix d’Angela Merkel de privilégier le Super Hornet et le Growler face au F-35A constituait un pari potentiellement risqué, pouvant amener l’Allemagne à être exclue, si pas définitivement, en tout cas temporairement, des missions de partage nucléaire de l’OTAN. Le sujet était d’autant plus sensible une fois les élections législatives passées, quet la formation d’une coalition intégraitnt les Verts allemands traditionnellement anti-nucléaires, laissant craindre des positions hostiles de Berlin à ce sujet. Les tractations ont donc été intenses ces derniers jours, et l’allusion de Jens Stoltenberg, le Secrétaire Général de l’OTAN, à la possibilité pour l’Alliance de déplacer une partie de ces bombes nucléaires controlées par le système des doubles clés, une aux mains des Etats-Unis, l’autre du gouvernement des forces aériennes qui transportent la munition, n’est probablement apparue sans contexte.

Finalement, les Verts allemands n’ont pas imposé à la coalition un retrait de cette mission, perçue par de nombreux allemands comme une forme de garantie de l’implication des Etats-Unis dans la protection de leur pays. L’accord de coalition précise en effet que Berlin continuera de respecter ses engagements dans ce domaine, même si, de manière schizophrène et afin de faire quelques concessions aux Verts, le pays reste parallèlement engagé pour un renforcement du traité de Non-Prolifération, et vers une dénucléarisation totale de la planète. En outre, le maintien de cette capacité ne remet pas en cause la décision de Berlin de sortir du Nucléaire civil.

F35B et Typhoon RAF Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
A l’instar de la Grande-Bretagne et de l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne pourraient eux aussi se diriger vers une flotte de chasse mixte composée de Typhoon modernisés et de F-35, dans l’attente des avions de nouvelle génération

L’accord confirme également l’attachement de Berlin au lien trans-atlantique, et son intention d’acquérir des « chasseurs bombardiers américains » pour remplacer les avions Tornado qui participaient à la mission de partage Nucléaire, ainsi que l’acquisition de version plus évoluées du Typhoon. Or, il n’est nullement fait référence dans l’accord à la décision du gouvernement précédant d’acquérir des Super Hornet et des Growler pour cette mission, et comme dit précédemment, chaque mot a été sous-pesé dans cette déclaration. Cela laisse supposer que le nouveau gouvernement allemand se reserve la possibilité d’acquérir un autre modèle d’appareil américain pour cette mission. Sachant que le Super Hornet n’est pas encore qualifié pour la B-61-12, et que le remplacement des Tornado doit être entamé dans les 5 années à venir, il ne fait guère de doute que Berlin envisage sérieusement de se tourner vers le F-35A, au grand plaisir de la Luftwaffe et de l’OTAN.

Qui plus est, dans ce même document, la coopération de défense industrielle entamée avec Paris depuis 5 ans est à peine évoquée, et les programmes phares comme SCAF et MGCS ne sont nullement nommés, contrairement à l’accord de coalition entre la CDU d’Angela Merkel et le SPD d’Olaf Scholtz, en 2018. Certes, Paris peut s’appuyer dans cette coalition sur un soutien affirmé des Verts dans ce domaine, mais les références parcimonieuses à cette coopération pourtant structurante pour les deux pays, leurs armées et leurs industries, laissent évidemment planer un doute important quant à la determination des nouvelles autorités germaniques à s’engager pleinement dans ces programmes. A ce titre, l’accord précise que Berlin privilégiera les acquisitions « sur étagère » de technologies de défense efficaces, matures et économiques, et que les investissements de défense seront concentrés sur certains domaines stratégiques pour le pays et l’Union européenne.

FCAS Infographic 2019 Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Jusqu’à présent, Berlin partageait l’axe stratégique de Paris visant à developper une flotte de chasse homogène composée de Next Generation Fighter.

Ce changement de posture perceptible de la part de Berlin a d’ailleurs très probablement déjà engendré un premier effet notable sur la scène européenne. En effet, le ministère de La Défense espagnol a confirmé hier avoir transmis à Washington une demande d’information concernant le F-35B pour remplacer ses chasseurs embarqués AB-8B Harrier II Matador, mais également concernant le F-35A pour remplacer une partie de ses F/A 18 Hornet, tout en précisant que, dans le même temps, Madrid évaluait la possibilité d’acquérir une version évoluée du Typhoon pour ce besoin. Cette nouvelle volte-face des autorités espagnoles, qui avaient initialement reconnu la demande d’information pour 25 F-35A et autant de F-35B, avant de démentir formellement par la voix du ministre de La Défense, n’est très probablement pas étrangère à la nouvelle posture de Berlin.

Or, si Berlin et Madrid venaient à effectivement acquérir des flottes de F-35 A et B, les deux pays seraient alors dans l’exacte même configuration que la Grande-Bretagne et l’Italie, qui prévoient d’opérer simultanément une flotte de F-35 et de Typhoon, cette dernière devant à terme être remplacée par le Tempest du programme FCAS, contrairement à la France qui prévoit de remplacer à terme intégralement sa flotte de Rafale par le nouvel appareil du programme SCAF. Dans ces conditions, on comprend les enjeux qui sous-tendent la récente déclaration du Chef d’Etat-Major des forces aériennes italiennes, plaidant pour un rapprochement des deux programmes européens, ce qui aurait d’importantes et potentiellement graves conséquences pour la France, son industrie et sa défense.

AV 8B Harrier II Armada patrouille couverture Armada Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Si Madrid veut conserver une capacité aéronavale embarquée de chasse, elle ne pourra se tourner que vers le F-35B pour remplacer ses AV-8 B Matador.

Une nouvelle foi, il semble urgent pour Paris de connaitre le fin mot de ces déclarations d’intention allemandes, espagnoles et italiennes, et de comprendre objectivement vers quelle direction vont se diriger ces pays en matière de programmes de coopération, et plus globalement, de programmes de défense. Ainsi, la référence aux solutions « sur étagère » à privilégier dans l’accord de coalition, doit-il être compris par Paris comme la sortie définitive de Berlin du programme Tigre 3, ou doit-on attendre une décision ferme et unilatérale sans concertation, comme ce fut le cas au sujet de l’achat des 5 P-8A Poseidon, condamnant de fait le programme MAWS de patrouille maritime de nouvelle génération ? D’une manière ou d’une autre, il est désormais impératif de clarifier au plus tôt ces différents aspects, avec des engagements ou des décisions fermes, afin de ne pas engager la sécurité collective des Européens, et en particulier celle de la France, en poursuivant des programmes sans avenir.

La Turquie veut être la première à developper navire porte-drones de combat

Alors que le porte-aéronefs d’assaut TCG Anadolu va bientôt être transféré à la Marine turque, Ankara semble de plus en convaincu par le concept de navire porte-drones de combat, qui représenterait, selon les officiels turcs, une évolution en cours du porte-aéronefs dans les années et décennies à venir. Pour cela, Ankara travaillerait depuis le lancement de l’Anadolu, sur la conception d’un nouveau navire spécialement conçu à cet effet, et qui sera capable de mettre en oeuvre des drones de combat propulsés par hélice comme le TB2 Bayraktar qui rencontre un réel succès sur la scène internationale depuis plusieurs mois, le futur TB3 équipé d’ailes repliables, précisément pour être mis en oeuvre à bord d’un navire de ce type, et d’autres modèles plus lourds équipés de turboréacteurs.

Selon les déclarations d’ismael Demir, le chef de la Présidence des Industries de Défense, à l’agence de presse Anadolu, les autorités espagnoles auraient montré un intérêt pour ce projet, sachant que le TCG Anadolu a été conçu en coopération avec les bureaux d’étude espagnols de Navantia sur la base du porte-aéronef Juan Carlos I de la Marine Espagnole. En revanche, selon cette même interview, il semble que l’hypothèse d’équiper le TCG Anadolu de drones de combat, comme un moment évoqué par les officiels turcs, s’éloigne désormais, et que le navire, privé des F-35B qu’il devait initialement mettre en oeuvre avant que le Congrès Américain exclue définitivement la Turquie du programme et annule sa commande de 100 appareils à la suite de la mise en fonction des S-400 reçus de Russie, se destine à être cantonné aux fonctions de porte-hélicoptères d’assaut.

tcg anadolu en gec 2022 sonunda hizmete girecek Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Le TCG Anadolu va rejoindre la Marine turque en 2022. En revanche, il semble qu’il ne sera équipé que d’hélicoptères, et non de drones comme un moment évoqué par les autorités turques

Il faut toutefois prendre ces déclarations avec prudence. En effet, l’Espagne, comme tous les pays européens, est désormais plus circonspecte quant à l’assistance qu’elle pourrait fournir aux industries de défense turque, depuis la mise ne place de sanctions européennes à la suite de l’opération lancée par Ankara dans le nord de la Turquie en 2019 contre les Kurdes Syriens, alliés des européens contre l’Etat Islamique. En outre, les démonstrations de forces de 2020 en Mer Egée contre Chypre et la Grèce ont laissé de profondes marques dans la coopération entre pays européens et la Turquie. Par ailleurs, à plusieurs reprises, les autorités turques ont annoncé des partenariats et des coopérations alors qu’il ne s’agissait en l’état que de discussions préalables. Ce fut notamment le cas à la suite de la rencontre en V.Poutine et R.T Erdogan a Sochi en octobre 2021, lorsque le président turc annonça des coopérations turco-russes dans le domaine des moteurs d’avion et des sous-marins, ce que le Kremlin a immédiatement démenti.

Surtout, l’économie turque, et donc les recettes fiscales sur lesquelles le gouvernement du pays peut bâtir son effort de défense, est au plus mal. Ainsi, a la suite d’une allocution télévisée du president turc le 15 novembre, allocution durant laquelle R.T Erdogan mettait en cause les européens et l’occident au sujet des difficultés rencontrées par le pays, et promettait des réponses fermes de son gouvernement, la Livre turc a chuté de prés de 20% sur les places financières, passant de 88 euros pour 1000 livres à moins de 72 en 5 jours. Au total, la monnaie du pays a dévalué plus de 40% de sa valeur en une année face à l’euro, et de presque 75% de sa valeur en 5 ans. De même, après une croissance fulgurante entre 1995 et 2012, en passant de 130 Md$ à 950 Md$, le PIB turc s’est également effondré entre 2013 et aujourd’hui, revenant à 720 Md$ en 2020, soit son niveau de 2008, et les perspective à venir ne sont guère favorables. Dans ces conditions, les ambitions turques en matière de d’investissement de défense pourraient bien être révisées à la baisse.

mius turkish UAV Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Après le succès du TB2 Bayraktar, l’industrie des drones de combat turcs a de grandes ambitions, notamment pour le developpement de drones rapides équipés de turboréacteurs.

Quelles conséquences pour la France si les programmes SCAF et Tempest fusionnaient ?

Après son homologue allemand le Lt General Ingo Gerhartz, c’est au tour du général Luca Goretti, le Chef d’Etat-Major des forces aériennes italiennes, de déclarer que, selon lui, les programmes européens d’avions de combat de 6ème génération SCAF (pour Système de Combat Aérien du Futur) qui rassemble l’Allemagne, l’Espagne et la France, et FCAS (pour Futur Combat Air System, soit le même acronyme) qui rassemble la Grande-Bretagne, l’Italie et la Suède, seront appelés à fusionner dans un avenir plus ou moins proche. Selon l’officier général Italien, eu égard aux enjeux industriels et budgétaires, et à la proximité des programmes, des acteurs industriels et des pays, leur fusion est non seulement souhaitable, mais elle serait également le garant pour mener à terme cette ambition européenne, et d’estimer que l’Italie, qui a simultanément un pied dans l’UE, dans l’OTAN et dans le programme Tempest, pourrait servir de passerelle précisément pour rapprocher ces ambitions.

Pour l’heure, les deux programmes sont encore en phase de conception initiale. Cela n’a pourtant pas empêché d’importantes tensions d’apparaitre notamment au sein du programme SCAF, avec des exigences Allemandes et Espagnoles difficilement conciliables avec les ambitions Françaises, menant à des débats plus que houleux en début d’années 2021 avec la crainte de voir le programme abandonné, ou fortement ralenti comme c’est le cas de l’autre programme emblématique de la coopération franco-allemande, le programme MGCS qui doit permettre de remplacer les chars Leclerc et Leopard 2 des deux armées. Finalement, un accord négocié de haute lutte fut obtenu à la fin du printemps, à temps pour que le Bundestag autorise le financement des phases de conception des prototypes, non sans quelques prises de position défiantes de la part des parlementaires allemands. Pour autant, force est de constater que les deux programmes suivent effectivement un calendrier et des ambitions technologiques et opérationnelles proches, permettant d’envisager un rapprochement voire une fusion. Mais quelles seraient, dans une telle hypothèse, les conséquences pour les développements eux-mêmes, sur les capacités opérationnelles recherchées, et sur les industries de défense en France ?

Dans un monde idéal …

Au milieux des années 80, alors que la Guerre froide était à son paroxysme à la sortie de la crise des euromissiles, trois programmes d’avion de combat de nouvelle génération émergèrent quasi-simultanément sur le vieux continent : le JAS 39 Gripen suédois, un chasseur monomoteur se voulant le successeur désigné du F-16 et du Mirage 2000, l’Eurofighter Typhoon, successeur du Panavia Tornado, qui rassemblait les mêmes nations allemandes, italiennes et britanniques, et qui sera plus tard rejoint par l’Espagne, et le Rafale français, dont le developpement fut entamé lorsque Paris décida de se retirer du programme européen. Le fait est, et ce fut largement mis en évidence par plusieurs études, ces 3 programmes ont amené les européens à developper des doublons technologiques très nombreux, et même, dans le cas du Typhoon et du Rafale, à une certaine forme de doublon capacitaire dans plusieurs domaines. Ce constat n’empêchât pas, 30 ans plus tard, les européens de suivre la même démarche, avec le lancement simultané des programmes SCAF et FCAS à quelques mois d’écart, avec des ambitions opérationnelles et technologiques très proches.

Rafale Typhoon Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Désignés par le monde sous le terme d’Eurocanard, les Rafale, Typhoon et Gripen européens partagent une même vision technologique et opérationnelle de la guerre aérienne moderne.

Dans un monde idéal, donc, il serait parfaitement logique de fusionner ces 2 programmes, d’autant que leurs ambitions respectives nécessiteront des investissements colossaux de la part des pays européens. En outre, l’environnement industriel aéronautique de défense européen a profondément évolué ces dernières années, avec l’émergence de groupes ayant une dimension européenne élargie, comme Airbus Défense and Space, MBDA, Thales ou Leonardo, certains d’entre eux ayant à ce titre un pied dans chacun des programmes. Et alors que toutes les armées européennes sont contraintes d’exécuter des circonvolutions acrobatiques pour réparer les dégâts causés par 30 années de sous-financement, et que dans le même temps, les tensions internationales ont fait réapparaître le spectre des conflits de haute intensité entre états majeurs, l’hypothèse de partager les couts de developpement et d’éviter de developper plusieurs fois les mêmes technologies, permettrait d’assouplir voir d’accélérer cette reconstruction opérationnelle en allégeant le fardeau budgétaire des états et des armées.

Des ambitions nationales et européennes qui s’opposent

Toutefois, les négociations difficiles entre Paris et Berlin au seul sujet du SCAF, ont montré qu’au delà de ce constat initial, chaque pays suivait une trajectoire industrielle et politique propre, engendrant des tensions sévères et des arbitrages difficiles. En effet, en tenant compte du seul paramètre budgétaire et éventuellement technologique, on fait abstraction du fait que chacun de ces pays dispose déjà d’une industrie aéronautique de défense, dont la survie dépend en partie de la charge industrielle qui lui sera attribuée par les Etats eux-mêmes dans les années et décennies à venir. Ainsi, lorsque l’allemand Hensoldt a été désigné à la tête du pilier senseurs du programme SCAF, cela s’est nécessairement fait au détriment du français Thales, qui de fait aura beaucoup de difficulté à maintenir à niveau ses compétences dans certains de ces domaines clés, ceci engendrant des conséquences notables sur l’autonomie stratégique à venir du pays, mais également sur l’emploi, et donc sur le retour budgétaire aux investissements d’Etat de l’ensemble de l’industrie de défense française.

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Les deux programmes européens à venir partagent les mêmes paradigmes opérationnels, basés sur un système de systèmes, et l’utilisation massive de drones pour accroitre l’efficacité opérationnelle des avions pilotés

Plus récemment, l’exemple du programme Tigre 3, qui devait initialement rassembler Paris, Madrid et Berlin, mais qui voit de manière inéluctable ce dernier s’en éloigner au profit de l’achat d’hélicoptères de combat américains Apache AH-64E, montre également que même lorsqu’un programme est avancé, le programme Tigre étant à l’oeuvre depuis plus de 25 ans, un partenaire peut faire défection, ce qui créé pour les partenaires restants d’importants problèmes de soutenabilité. Ces aspects sont d’autant plus sensibles et notables lorsque les états suivent des trajectoires géopolitiques ou ont des ambitions industrielles divergentes, voire en certains aspects concurrentes, ou que leurs doctrines de défense ont un faible taux de recoupement. C’est, à ce titre, notamment l’une des raisons qui entravent aujourd’hui le bon déroulement du programme MGCS. Et plus le programme est sensible, plus la coopération suppose une proximité de vue à l’échelle stratégique, ce qui est loin d’être le cas entre une France attachée à son indépendance stratégique, une Allemagne qui s’estime leader européen, une Grande-Bretagne et une Italie qui se positionnent comme les pivots de la coopération entre Europe et Etats-Unis, et une Suède qui reste attachée à sa neutralité.

Des obstacles et menaces majeures pour La Défense française et son industrie

En effet, dans l’hypothèse d’une fusion entre les deux programmes européens, de nombreuses difficultés se dresseront pour faire cohabiter des ambitions et des postures stratégiques divergentes, en particulier concernant la France. Ainsi, pour Paris, le SCAF et son avion de combat principal NGF (Next Generation Fighter .. et oui on mélange des acronymes français et anglais pour plus de simplicité), devra être le remplaçant du Rafale, c’est à un dire un appareil polyvalent capable d’assurer aussi bien les missions de supériorité aérienne que les frappes terrestres et navales. En outre, il devra remplacer les Rafale M à bord du futur porte-avions nucléaire de nouvelle génération qui entre en service en 2038 pour remplacer le Charles de Gaulle, ainsi que les Rafale B qui arment les deux escadrons de la composante aérienne stratégique française, en mettant en oeuvre le remplaçant du missile de croisière supersonique ASMPA.

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Le Rafale participe à la dissuasion française avec deux escadrons équipés de Rafale B spécialement préparés pour cette mission et armés de missiles supersoniques nucléaires ASMPA

Ces capacités sont cependant exclusives à la France, aucun des autres pays européens n’ayant de porte-avions doté de catapulte ni ne prévoyant d’en avoir, et aucun n’ayant de capacités de frappe Nucléaire propre. Elles sont également largement dimensionnantes pour le programme lui même, impliquant des contraintes de conception, ainsi que des surcouts, qui devront s’appliquer à l’ensemble des appareils produits. En outre, pour des pays comme la Grande-Bretagne et l’Italie, le programme Tempest vise avant tout à remplacer les Typhoon dans les missions de supériorité aérienne, les composantes frappe et chasse embarquée étant, pour leur parts, du ressort des F-35A et B américains, programme pour lequel ces deux pays sont des partenaires de rang majeur. Or, si les exigences françaises furent déjà difficiles à imposer à Berlin et Madrid au sein du programme SCAF, elles seront encore plus délicates à défendre face à 4 pays partageant des besoins très similaires pour le remplacement des Typhoon, et n’ayant aucun besoin d’appareils embarqués ou capables de mettre le nouveau missile nucléaire hypersonique français.

En outre, l’augmentation du nombre de partenaires amènera immanquablement à un éclatement du partage industriel déjà problématique pour l’industrie de défense française. Ainsi, l’arrivée de la Grande-Bretagne menacera directement deux des piliers majeurs de la BITD nationale, à savoir Dassault Aviation qui devra se mettre sur un pied d’égalité avec British Aerospace, et le motoriste Safran qui, s’il justifie de savoir-faire et d’une experience très supérieures à l’Allemand MTU, ne pourra pas se prévaloir de la même position face à Rolls-Royce. Quant à Thales, déjà mis à mal face à Hensoldt, Airbus DS et l’espagnol Indra en dépit de son antériorité et de son savoir-faire, il devra réduire encore davantage son empreinte face au géant italien Leonardo. De fait, l’ensemble de l’industrie aéronautique de défense française pourrait bien, à la sortie d’un tel programme résultant de la fusion de SCAF et FCAS, se trouver largement handicapé de ses savoir-faire, mais également de ses personnels, en particulier dans les secteurs clés de la Recherche et du Developpement.

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Le partage industriel au sein d’un programme majeur comme SCAF est un enjeu dimensionnant pour l’industrie aéronautique de défense française habituée à developper en autonomie ses propres appareils

On notera, à ce titre, que ce furent les mêmes problèmes qui amenèrent Paris à quitter le programme d’avion de combat européen au milieu des années 80 pour developper son Rafale de manière autonome. Il n’était, en effet, pas question pour le pourtant très européen gouvernement français de l’époque, de sacrifier l’autonomie stratégique du pays, et celle de son industrie de défense, dans un programme qui, de toute évidence, visait des objectifs différents de ceux de la France, qui plus est dans un contexte de tensions très élevées lié à la Guerre Froide. Aujourd’hui, la question se pose dans les mêmes termes, qu’il s’agisse du programme SCAF actuel, et surtout si celui-ci venait à fusionner avec le FCAS britannico-italien. Dès lors, on peut s’attendre, comme ce fut le cas précédemment, à ce que les autorités françaises soient les plus difficiles à convaincre d’un tel rapprochement, qui pourrait bien, à terme, amener Paris à sortir de cette coopération pour developper son propre système, comme ce fut le cas pour le Rafale.

Des opportunités possibles en changeant de paradigmes

Alors, le rapprochement des deux programmes est-il impossible, tout au moins pour la France ? Einstein avait coutume de dire qu’on ne pouvait pas espérer des résultats différents si l’on ne changeait pas les paramètres mêmes de l’experience. Il en va de même dans ce cas précis. En restant figée sur un programme respectant le format SCAF ou FCAS, la conclusion en cas de rapprochement est écrite d’avance. Il faut donc, pour y parvenir, changer les paradigmes mêmes du programme résultant, pour élargir les horizons de cette coopération, et permettre à des ronds de cohabiter avec des carrés. La solution pourrait, dans une telle hypothèse, venir d’outre-atlantique, et plus précisément de l’approche retenue par l’US Air Force pour son Programme Next Generation Air Dominance, le pendant américain du SCAF/FCAS. Initialement, ce programme devait produire le remplaçant du F-22 à horizon 2030. Mais sous l’impulsion du très imaginatif Will Roper, puis du nouveau chef d’Etat-Major de l’USAF, le général Brown, celui-ci a évolué vers un programme de programmes, à savoir qu’il donnera naissance non pas à un nouvel appareil, mais à une famille d’avions et de systèmes de combat, partageant un ADN collaboratif et technologique dans une dynamique d’évolution technologique constante.

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Le programme NGAD américain ne portera que sur le developpement du successeur du F-22, mais sur une famille d’appareils à durée de vie opérationnelle raccourcie permettant à l’USAF de rester en permanence à la pointe technologique en matière de guerre aérienne

Appliqué au programme Européen, il s’agirait non pas de developper un Tempest/NGF ultra-polyvalent capable de tout faire et d’évoluer, mais de developper 2 voire 3 appareils plus spécialisés sur des cycles technologiques tuilés, chacun s’enrichissant des développements des autres. Il pourrait d’agir, par exemple, de developper un chasseur monomoteur à horizon 2030/2035 pour prendre le relais des F-16, Mirage 2000 et JAS 39 (et ainsi pleinement intégrer la Suède dans le programme), un chasseur bombardier moyen avec capacité d’embarquement à horizon 2035/2040 pour prendre le relais des Rafale et F/A 18, puis un chasseur lourd de supériorité aérienne à horizon 2040/2045 pour remplacer les Typhoon mais également les F-15 à l’exportation. D’autres programmes intermédiaires peuvent, quant à eux, être intégrés au programme de programmes, avec par exemple le developpement des drones de combat et autre Remote-Carrier/Loyal Wingmen, des capacités de détection avancée et de reconnaissance, ou encore des systèmes hypersoniques voire de vols sub-spatiaux.

Une telle approche permettrait non seulement de résoudre les problèmes purement liés aux besoins opérationnels de chacun, voire aux ambitions de coopération avec d’autres systèmes comme le F-35 ou le NGAD, mais il permettrait également d’accroitre la charge industrielle de manière performante et non redondante, voire de favoriser la consolidation européenne de l’industrie de défense, en offrant une atomicité accrue du partage industriel et des missions de R&D, au profit de l’ensemble du programme. Enfin, cette approche permettrait d’accroitre les opportunités d’ouverture vers d’autres pays européens qui, jusqu’ici, n’imaginent pas pouvoir rejoindre une telle initiative, mais qui disposent d’une industrie et de compétences valorisantes et intégrables à cette échelle, comme le Grèce, la Belgique, la Suisse ou encore les Pays-Bas, tout en offrant une gamme de matériel étendue sur la scène internationale, et ainsi être en mesure de faire face à la concurrence renforcée qui se développe dans ce secteur.

La pression du calendrier opérationnel en ligne de mire

Reste que, pour qu’une telle ambition puisse voire le jour, il est indispensable de prendre en compte un dernier paramètre qui va rapidement d’imposer au coeur même des programmes SCAF et FCAS actuels, avec le risque de les faire décrocher en plein vol. En effet, le tempo technologique et le calendrier retenu pour ces deux programmes résultent de la perception d’un besoin lié au vieillissement des flottes de Rafale et de Typhoon. Or, ce paramètre est en passe d’être supplanté à court terme par un autre, lié à la concurrence technologique et opérationnelle imposée par des pays comme la Russie et surtout la Chine, qui sont tous deux engagés sur une trajectoire technologique à la pente bien plus prononcée que celle suivie par les Européens.

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Malgré ses faibles moyens, la Russie développe simultanément deux programmes d’avions de 5ème génération, les Su-57 et Su-75, ainsi que plusieurs drones de combat furtifs

Ce constat est déjà au coeur des réflexions en cours outre-atlantique quant aux changements nécessaires qui devront être apportés à la programmation militaire américaine dans les quelques années à venir, afin de rester au contact des développements menés par Pékin. Rappelons qu’au delà du J-20 de supériorité aérienne, de sa version biplace J-20S/A récemment révélée probablement spécialisée dans les frappes et le controle de drones de combat, et du J-35 embarqué, les analystes américains estiment que l’industrie de défense chinoise développerait actuellement encore au moins deux autres modèles d’avion de combat de 5ème génération. Quant à la Russie, au delà du Su-57 qui va prochainement commencer à arriver en unités de combat, et de la révélation du Su-75 monomoteur comme chasseur léger/moyen de 5ème génération abordable, elle développe également des solutions avancées dans le domaine des drones de combat lourds et moyens, avec des calendriers largement plus court que ceux de programmes européens. Autant de nouvelles menaces qui, couplées aux tensions internationales, risquent fort d’amener les états et leurs armées à accélérer leurs propres programmes de modernisation, et donc réduire l’étalement des dépenses prévues pour ceux-ci, menaçant gravement les équilibres instables qui sous-tendent les programmes de coopération européens.

Conclusion

On le comprend, le rapprochement voire la fusion des deux programmes européens de chasseurs de nouvelle génération, est un sujet complexe, et il est hasardeux de l’aborder sans une parfaite compréhension des enjeux qui l’entourent et le conditionnent. Si la dynamique de rapprochement, essentiellement portée par les partenaires du programme Eurofighter, peut apparaitre simple et même naturelle pour ces pays, elle se pare de nombreux obstacles et de dangers pour ce qui concerne la participation de la France, et ce tant du point de vue industriel qu’opérationnel. A cela s’ajoute désormais un calendrier qui n’est pas dicté par des impératifs économiques ou politiques, mais par les efforts menés par des pays de plus en plus antagonistes de l’occident sur la scène internationale.

Dans ces conditions, il semble indispensable de clarifier, au plus vite, les positions de chacun, et notamment les raisons qui ont amené deux chefs d’état-major européens au coeur de ces programmes à aborder ce sujet de cette manière. Si, en effet, Berlin a entamé des négociations discrètes avec Londres ou Rome dans cet objectif, comme il semble que ce soit désormais la ligne de conduite allemande, il est indispensable pour la France d’en être informée, et qu’elle soit intégrée aux discussions, sans quoi un épisode comme celui des sous-marins australiens pourrait bien se reproduire, cette fois entre nations européennes. Ce qui est vrai pour SCAF l’est, d’ailleurs, tout autant pour MGCS, comme pour tous les programmes en coopération franco-allemande. Dans tous les cas, si tant est que ce rapprochement puisse être envisagé, il semble indispensable de redéfinir en profondeur les ambitions et les paradigmes de celui-ci, faute de quoi, il est plus que probable qu’une nouvelle fois, Paris vienne à developper unilatéralement son propre programme, tout en engendrant des délais supplémentaires qui pourraient bien gravement handicaper les capacités opérationnelles et défensives du pays.

La Chine va-t-elle renforcer ses capacités de lutte anti-sous-marine côtières ?

De toutes les composantes de l’arsenal militaire américain, la flotte sous-marine de l’US Navy est probablement la plus redoutée par Pékin et les forces navales de l’Armée populaire de libération. C’est la raison pour laquelle, depuis une dizaine d’années et l’arrivée de Xi Jinping à la tête du pays, un effort particulièrement important a été fait afin de renforcer les moyens de contrer cette menace. Ce fut d’abord le cas de frégates Type 054A chargées d’escorter les grandes unités navales et en particulier d’éliminer les menaces sous-marines contre ces navires, A partir de 2013, apparurent également les premières corvettes Type 056A. Evolution des Type 056 dont 20 exemplaires ont été livrés à la Marine Chinoise entre 2013 et 2016, les Type 056A disposaient en plus des systèmes anti-navires et d’auto-protection anti-aérienne et du sonar de coque de sa prédécesseur, d’un sonar tracté et d’un sonar à profondeur variable, faisant de ce petit navire de 90 mètres et 1500 tonnes seulement, un précieux outils pour la sécurisation anti-sous-marine du plateau continental chinois, notamment à l’interieur du « premier cercle » d’iles cerclant la mer de Chine.

La 50ème et dernière corvette Type 056A fut livrée à la Marine chinoise en 2021, marquant la fin annoncée de ce programme. Pourtant, une annonce récente venue des réseaux sociaux chinois laisse supposer que la production de cette corvette hautement spécialisée dans la lutte anti-sous-marine pourrait bientôt reprendre. En effet, selon ces informations, 20 des 22 corvettes Type 056, celles-là même qui ne disposaient initialement que de capacités ASM limitées, seraient prochainement transférées aux Gardes Côtes chinois, qui opèrent déjà plusieurs unités précédemment en service au sein de la Marine chinoise, comme les 3 frégates Type 53H2G de 2.250 tonnes. Mais il s’agissait là le plus souvent de navires relativement anciens et obsolètes pour les missions militaires, et non corvettes ayant navigué 6 à 12 ans seulement, et sensées avoir une durée de vie opérationnelle de 25 à 30 ans.

Corvette Type056 Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Les corvettes Type 056/A dispose d’un hélipad capable de recevoir un hélicoptère moyen Z-9, mais pas de hangar pour accueillir en permanence l’appareil. Il est vrai que ces navires sont destinés à opérer prés des cotes, et donc à proximité des bases aériennes et aéronavales chinoises.

Ce transfert permettra très probablement à la Marine chinoise de relancer la production de nouvelles corvettes dotées de capacités anti-sous-marines avancées, afin de conférer à la Marine chinoise une capacité de défense côtière homogène sur l’ensemble du périmètre naval à sécuriser. Il se peut qu’à l’instar des frégates Type 054A, dont la construction d’une nouvelle tranche a été entamée il y a une année après que l’objectif initial de 30 navires fut atteint, que Pékin se satisfasse d’une nouvelle série de 22 nouvelles Type 056A. Mais il est également possible que la Marine Chinoise en profite pour developper une nouvelle variante, plus performante de sa corvette, qui disposerait notamment d’un hangar permettant d’accueillir un hélicoptère moyen Z-9 de lutte anti-sous-marine, ou plus probablement un ou plusieurs drones dédiés à cette mission. Il se pourrait également que l’industrie navale chinoise en profite pour intégrer une propulsion électrique au navire, ce qui pourrait lui conférer une discrétion accrue lors des missions ASM, et ce d’autant que les travaux dans ce domaine ont été déjà mené dans le cadre du developpement de la frégate Type 054B qui devrait bientôt prendre le relais en production des Type 054A.

Quoiqu’il en soit, cette annonce ne laisse guère de doute quant à la volonté de Pékin de renforcer ses capacités de lutte anti-sous-marine à proximité des cotes. L’épisode de l’USS Connecticut, ce sous-marins de la classe Seawolf entré en collision avec un relief sous-marin non cartographié en Mer de Chine du Sud, aura peut-être agit comme un révélateur pour les autorités chinoises, qui auraient prit conscience de la menace que représente les sous-marins de l’US Navy une fois passé le premier cercle, au coeur de ce qui se veut être le sanctuaire naval de Pékin, là ou évoluent, selon toute probabilité, les SNLE Type 09IV de la classe Jin portant une part stratégique de la dissuasion nucléaire chinoise.

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Début octobre, le sous-marin nucléaire d’attaque USS Connecticut de la classe Seawolf est entré en collision avec un relief non cartographié en mer de Chine.

La présence de sous-marins nucléaires américains en mer de Chine, voire dans le détroit de Taiwan, sans que les navires chinois ne puissent les détecter, pourrait en effet considérablement compromettre la posture de menace tenue par Pékin envers Taipei, et la promesse répétée de forcer la réunification par la force si les autorités de l’ile ne venaient pas à se ranger aux vues de Parti communiste Chinois. Dans ces conditions, la production d’une nouvelle série de corvettes dédiées à la lutte anti-sous-marine, équipées de capacités de détection renforcées et éventuellement d’une propulsion plus discrète, s’avèrerait une réponse pertinente à apporter par Pékin pour tenter de recoller à la posture affichée depuis plusieurs années face à Taïwan et à ses soutiens occidentaux.

Ceci dit, si tel est le cas, cela pourrait donner à Taïwan, comme aux forces américaines, le répit nécessaire pour parachever leurs mutations et renforcer leurs propres capacités défensives, de sorte à conserver en l’état le statu quo concernant Taïwan qui, au final, convient parfaitement bien à Washington. En effet, la production d’une nouvelle série de corvettes de lutte anti-sous-marine, qui plus est si celles-ci devaient disposer de capacités renforcées et de nouvelles technologies, prendrait nécessairement de 3 à 6 ans si l’on se base sur le programme Type 056A, précisément le temps nécessaire à l’US Navy pour sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. Il se pourrait bien, dans ce conditions, que la collision de l’USS Connecticut avec cette montage sous-marine en Mer de Chine agisse, au final, bien davantage au bénéfice des Etats-Unis que de Pékin.

Quelles sont les forces et les faiblesses de la Marine Nationale ?

L’entrée en service au sein de la Marine Nationale de la nouvelle frégate Alsace, qui offre des capacités anti-aériennes renforcées tout en conservant les capacités de lutte anti-sous-marine et de lutte anti-navire des FREMM de la classe Aquitaine, a été, à juste titre, saluée comme un pas important dans l’effort de modernisation de la flotte française.

De nombreux autres programmes sont en cours pour soutenir cet effort, dont les frégates de défense et d’intervention FDI, les sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Suffren, les Pétroliers ravitailleurs de la classe Jacques Chevallier, les futurs Patrouilleurs Océaniques ou encore le programme de guerre des Mines SLAM-F, tous devant entrer en service au cours de la présente décennie.

La décennie suivante verra, quant à elle, l’arrivée du remplaçant du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, ainsi que celle des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins désignés pour l’heure par l’acronyme SNLE-3G, tous deux participants à la posture de dissuasion française.

Dès lors, il est incontestable qu’un effort remarquable a été consenti depuis plusieurs années, et en particulier au cours de la présente Loi de Programmation Militaire 2019-2025, pour transformer la Marine Nationale française, et lui conférer les navires, mais également les aéronefs nécessaires à ses missions dans les années à venir.

Pourtant, si celle-ci dispose en effet d’atouts marqués dans de nombreux domaines, à l’instar de l’Armée de Terre, elle souffre également de certaines lacunes qui peuvent sévèrement entraver ses capacités opérationnelles dans l’hypothèse d’un engagement de Haute Intensité, et ce alors qu’elle représente, en de nombreux aspects, la première ligne de défense et de projection de puissance de la France dans le Monde.

Dans cet article, nous analyserons ces deux aspects, afin de déterminer les priorités en matière de programmation de défense dans les mois et années à venir.

Une force navale réduite mais aux capacités globales

En bien des domaines, la Marine Nationale dispose de capacités qui, aujourd’hui, ne sont mises en œuvre que par une poignée de grandes marines militaires mondiales, et offre ainsi à la France une panoplie de moyens d’action exceptionnelle.

Ainsi, elle aligne 10 sous-marins à propulsion nucléaire, dont 4 SNLE participant à la dissuasion, et en théorie, 6 SNA (Sous-marins Nucléaire d’Attaque) assurant la protection des premiers, ainsi que des grandes unités de surface. Dans le monde, seules quatre marines, en dehors de la France, disposent de telles capacités, celles des quatre autres membres du Conseil de Sécurité des Nations Unis.

À cela s’ajoute un porte-avions à propulsion Nucléaire, le Charles de Gaulle, qui n’est autre que le seul porte-avions nucléaire non américain en service à ce jour, ainsi que le seul porte-avions doté de catapultes n’appartenant pas à l’US Navy, jusqu’à l’entrée en service du premier Type 003 chinois.

Cette caractéristique permet au Charles de Gaulle de mettre en œuvre, outre les avions de combat Rafale offrant des capacités identiques à celles des avions basés à terre, des avions de détection aérienne E2 Hawkeye, et confère à ses appareils embarqués une allonge supplémentaire en ne gaspillant pas 20% de leur carburant pour la seule phase de décollage.

La Marine Nationale dispose avec le PAN Charles de Gaulle d'un outil militaire unique en Europe
Le Charles de Gaulle est le seul porte-avions nucléaire et le seul porte-avions doté de catapultes en service à ce jour n’appartenant pas à l’US Navy

Au-delà de ses capacités sous-marines et aéronavales embarquées, la Marine Nationale dispose également de 3 Porte-hélicoptères d’Assaut de la classe Mistral, navires parmi les plus performants de ce type, conférant une importante capacité de projection, de puissance et d’assaut amphibie aux armées françaises dont très peu de Marines dans le monde sont effectivement dotées.

Les PHA Mistral comme le PAN Charles de Gaulle sont escortés par une flottille de frégates en pleine mutation, alignant aujourd’hui 2 frégates de défense aérienne de la classe Forbin armées de 48 missiles anti-aériens Aster 15 et 30, ainsi que 2 frégates anti-aériennes de la classe Alsace (le sister-ship de l’Alsace, la Lorraine, entrera en service en 2022), et de six frégates polyvalentes FREMM de la classe Aquitaine.

Très performantes dans le domaine anti-sous-marin, les FREMM françaises disposent également chacune de 16 missiles de croisière MdCN d’une portée de plus de 1200 km, là encore une capacité partagée par un nombre très réduit de marine mondiale à ce jour.

À cela s’ajoutent 5 frégates légères furtives de la classe Lafayette, 4 frégates Type 70 qui seront remplacées par les FDI à partir de 2025, une dizaine de patrouilleurs hauturiers A69, ainsi que 6 frégates de surveillance classe Floréal qui assurent la protection des espaces navals des territoires ultra-marins français.

Au-delà de ces unités de ligne, la Marine Nationale dispose également de pétroliers ravitailleurs classe Durance, de navires de renseignement et d’écoute électronique, de chasseurs de mines Tripartite, ainsi que de divers navires de patrouille pour un total de plus de 100 bâtiments, auxquels s’ajoute la plus ancienne aéronautique navale mondiale forte d’une quarantaine de chasseurs embarqué Rafale Marine, de 3 avions d’alerte aérienne avancée Hawkeye, de 18 avions de patrouille maritime Atlantique 2, de 27 hélicoptères de lutte anti-sous-marine NH-90 Caïman Marine, et de nombreux autres aéronefs de surveillance et de soutien à l’engagement, pour un total de 200 appareils.

Ceci confère à la Marine Nationale des capacités opérationnelles globales, surclassant même parfois, qualitativement parlant, des grandes marines mondiales comme la Chine, la Russie ou le Japon dans certains domaines.

En outre, et contrairement à ces pays, la Marine nationale dispose d’un atout considérable, celui de pouvoir s’appuyer sur de nombreux territoires nationaux répartis sur presque tous les océans, lui offrant des bases d’appui et de soutien inaccessibles à de nombreux pays, qui doivent alors négocier au cas par cas les escales de leurs propres flottes pour soutenir leur déploiement à la Mer.

Des arbitrages budgétaires à fort impact opérationnel négatif

De fait, en portant un regard macroscopique sur la Marine Nationale, il apparait que celle-ci s’avère être conçue avec cohérence et ambition, en dépit de son format relativement réduit. Rappelons, à titre d’exemple, que la Chine produit en deux ans seulement autant de destroyers et de frégates que n’en dispose la Marine française, et que plusieurs marines asiatiques, dont celle du Japon et de la Corée du Sud, la surclasse très largement numériquement parlant.

Même un pays comme la Russie, pourtant 25% moins riche de la France, aligne 5 fois plus de sous-marins et 3 fois plus de navires de surface combattants que la marine Nationale. En revanche, aucun de ces pays ne dispose de porte-avions Catobar comme le Charles de Gaulle, ni même de capacités de projection de puissance comme celles conférées par le couple Mistral et FREMM Aquitaine. Cependant, lorsque le regard se porte sur certains détails, il apparait que ces unités navales françaises souffrent, elles aussi, de failles capacitaires importantes.

FREMM Mistral Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Les Porte-hélicoptères d’assaut classe Mistral et les FREMM classe Aquitaine sont deux composantes essentielles de la capacité de projection de puissance de la Marine Nationale

Nous avons déjà abordé de manière détaillée l’une de ces failles majeures, à savoir la configuration du système de silos verticaux Sylver qui équipe les frégates françaises, britanniques et italiennes. En effet, contrairement aux systèmes américains, russes ou chinois, le SYLVER conçu par Naval Group est particulièrement rigide, ne permettant d’embarquer qu’un type de missile par type de silo.

Ainsi, les silos « longs » Sylver 70, ont été conçus pour accueillir le missile MdCN de croisière. Mais il est impossible de les équiper de missiles anti-aériens Aster si besoin est, comme dans le cadre d’une mission d’escorte.

Dès lors, les frégates françaises de la classe Aquitaine, et probablement les futurs FDI, ne disposent ou ne disposeront que de 16 silos verticaux pour accueillir des missiles anti-aériens, un faible nombre au regard des nouvelles menaces et des risques d’attaques de saturation, c’est-à-dire avec un nombre de vecteurs dépassant le nombre de missiles défensifs.

Qui plus est, là où les Redut russe et Mk41 américains permettent d’ensilotter 4 missiles anti-aériens à moyenne portée 9M100 ou ESSM par silo en lieu et place d’un unique missile à longue portée, le Sylver en est incapable, alors même que la Marine Nationale n’a jamais équipé ses navires de systèmes antimissiles à courte portée de type CIWS, comme le Phalanx ou le Goalkeeper.

De fait, en dépit de la qualité de leurs missiles anti-aériens, les frégates françaises sont vulnérables, tout comme les navires qu’elles doivent escorter par transitivité, à des attaques aériennes massives, en particulier celles employant des drones capables de saturer les défenses de l’adversaire.

Et si le Charles de Gaulle dispose effectivement d’un système d’auto-défense PAAMS comparable à celui qui équipe les frégates Horizon, les 3 PHA Mistral, quant à eux, en sont dépourvus, et ne disposent en tout et pour tout que de 2 systèmes anti-aériens à très courte portée SIMBAD armés chacun de seulement 2 missiles Mistral, pour assurer leur auto-défense, très insuffisants pour des navires de cette valeur opérationnelle s’ils devaient être engagés dans un conflit de haute intensité.

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Le Charles de Gaulle est équipé de 4 systèmes Sylver 43 armés de 32 missiles Aster 15 pour assurer sa propre défense anti-aérienne

Il s’agit, d’ailleurs, d’un constat global concernant les unités navales de surface françaises, comme les frégates de surveillance ou les Patrouilleurs Hauturier, tous étant particulièrement mal équipés en matière de défense anti-aérienne et de lutte anti-sous-marine.

En outre, rien ne laisse penser que les futurs European patron Corvette destinées à remplacer les Frégates de Surveillance, ni les Patrouilleurs Océaniques qui remplaceront les A69, seront mieux lotis dans ces domaines, en dehors de l’ajout d’un sonar de coque.

En comparaison, les corvettes chinoises Type 056A emportent, quant à elles, un sonar tracté et un sonar de coque, ainsi qu’un système anti-aérien d’auto-défense FL-3000N armés de 8 missiles à courte portée.

Quant aux corvettes Gowind2500 conçues et exportées par Naval Group, elles emportent 16 missiles Mica VL pour leur defense anti-aérienne, et un système sonar complet épaulé par 2 tubes lance-torpilles triples. Les corvettes russes, elles, disposent pour la plupart d’une puissance de feu sans commune mesure avec les bâtiments français de même tonnage et même fonction.

Le format de la Marine Nationale ne répond pas aux exigences à venir

Mais, là encore, à l’instar de l’Armée de terre, la plus importante faiblesse de la Marine Nationale aujourd’hui, reste incontestablement son format, trop restreint pour soutenir un engagement majeur. Le point le plus notable est évidemment l’absence d’un second porte-avions, qui interdit de disposer d’une réelle permanence des capacités aéronavales embarquées, pourtant indispensable dès lors que l’on traite les questions de haute intensité.

En effet, la disponibilité opérationnelle du Charles de Gaulle, toute remarquable qu’elle puisse être, est en revanche pour le moins prévisible, comme elle l’est pour tous les navires de ce type, ceci offrant à un adversaire potentiel la possibilité de choisir le créneau le plus adapté pour éviter de devoir se confronter à ce navire, et ses chasseurs embarqués.

De même, si 3 PHA sont en service, l’un d’eux est assigné à la mission Jeanne d’Arc de formation des élèves officiers de la Marine Nationale, ce qui prive cette dernière d’un tiers de ses capacités de projection six mois par an.

Et si le navire est en mission Jeanne d’arc dans le Pacifique, alors qu’un autre Mistral est en entretien périodique, il ne reste à disposition de la France qu’un unique PHA pour mener d’éventuelles opérations amphibies.

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La décision de remplacer les 5 dernières frégates FREMM par 5 frégate de Défense et d’Intervention FDI a engendré un surcout de 1,5 Md€ et une extension de délais de 5 années dans le renouvellement des frégates de premier rang de la Marine Nationale

Le constat est le même concernant les frégates dites de 1ᵉʳ Rang, qui doivent être au nombre de 15 selon le Livre Blanc de 2013. Non seulement ce chiffre n’est pas atteint aujourd’hui et ne le sera pas avant la fin de la décennie, avec le retrait des T70 et le report des livraisons de navire de remplacement lié au programme FDI en lieu et place des 5 dernières FREMM, mais il est, de l’aveu même de l’État-Major de la Marine, insuffisant pour répondre à la pression opérationnelle actuelle.

Celui-ci a d’ailleurs entrepris de doubler les équipages de certaines de ses frégates FREMM afin d’augmenter de 50% le temps de présence à la mer de chaque navire et palier en partie ce déficit capacitaire.

Cette solution, par ailleurs employée depuis de nombreuses années dans la flotte sous-marine, permet en effet d’optimiser la disponibilité de la flotte sans user outre mesure les équipages eux-mêmes. En revanche, il ne s’agit là que d’un artifice efficace en temps de paix. En temps de guerre, ce modèle ne permet plus d’augmenter la présence à la mer de la flotte, ni d’absorber les effets de l’attrition au combat.

Dès lors, force est de constater que le format de la Marine Nationale, qu’il s’agisse de la flotte sous-marine, y compris les SNLE, des groupements aéronavals et amphibies, comme de la flotte de surface et de soutien, n’est aujourd’hui plus en adéquation avec la réalité de la menace, face à des adversaires potentiels qui, eux, renforcent rapidement leurs capacités navales, comme la Russie qui accepte au service 3 sous-marins et 10 navires de surface par an, ou la Chine qui accepte autant de sous-marins et davantage de navires de surface dont des unités majeures comme les porte-avions Type 003 ou les porte-hélicoptères Type 075.

Pour satisfaire à ces besoins, il serait en effet nécessaire d’accroitre le format de la flotte de 30 à 50%, avec notamment un second porte-avions, un cinquième SNLE, au moins 3 sous-marins d’attaque, 6 à 8 frégates et une dizaine de corvettes supplémentaires, ainsi que les aéronefs et drones nécessaires à leurs mises en œuvre.

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Les frégates russes de la classe Admiral Gorshkov emporteront des 2022 des missiles anti-navires Hypersoniques 3M22 Tzirkon contre lesquels les frégates occidentales n’ont pas de capacité de défense efficace à ce jour

Elle pourrait ainsi parer à un grand nombre de scénarios probables à moyen et long terme, que ce soit dans le bassin Méditerranée, en Atlantique, mais également dans le Pacifique et l’Océan Indien. Pour y parvenir, la Marine Nationale devrait alors voir ses crédits d’équipement atteindre 4,5 à 5 Md€ par an, et ses effectifs augmenter de 30% pour atteindre les 55.000 marins, soit une augmentation globale du budget de l’ordre de 5,5 à 6 Md€ par an, en partie dédiée à la force de dissuasion nationale.

Conclusion

On le comprend, La Marine Nationale française dispose aujourd’hui d’atouts et de savoir-faire à très forte valeur ajoutée opérationnelle, en faisant une force navale de premier plan dans le monde. En revanche, les arbitrages défavorables qui se sont succédé ces 25 dernières années, tant dans le domaine technologique que capacitaire, ont fortement entaché la portée de cette efficacité, au point d’engendrer certaines vulnérabilités critiques, et un manque de résilience sensible dès lors qu’il s’agirait d’engager ses unités dans un conflit de Haute Intensité.

Alors que de nouvelles menaces apparaissent, comme les missiles anti-navires balistiques et/ou hypersoniques ou les drones aériens, navals et sous-marins, que les capacités de détection et d’engagement à longue portée se démocratisent sur la planète, et que les marines de concurrents déclarés se développent à un rythme effréné.

Il convient donc de mener une réflexion approfondie non pas sur ce que le pays ou le budget, pourrait permettre, mais sur les moyens nécessaires pour répondre à ces menaces avérées, puis de faire l’effort de trouver les modèles de financement mais également de recrutement pour y répondre.

Sans une vision claire, objective et dépourvue de filtre de ces menaces, toutes les réponses qui pourront être apportées seront en décalage avec ce à quoi les hommes et les femmes de la Marine Nationale devront se confronter dans un avenir de plus en plus proche. La France ne peut plus, désormais, se satisfaire de disposer « d’une frégate par océan », ou d’un porte-avions à mi-temps.

Certes, ses alliés peuvent parfois pallier certaines indisponibilités, mais pour défendre les territoires ultra-marins, pour renforcer les capacités dissuasives de la Grèce, ou pour mener une opération de projection de puissance en Afrique, il est probable que Paris ne pourra compter que sur ses propres navires, ses propres aéronefs, et ses propres militaires.

Pour la Marine Nationale, comme pour l’Armée de Terre, et l’Armée de l’Air et de l’espace, il est désormais indispensable de mener à terme une réflexion approfondie et rapide de sorte à répondre aux enjeux de défense qui se profilent dans un calendrier de plus en plus court.

Berlin s’intéresserait à l’hélicoptère AH-64E Apache américain .. depuis 2019 !

Depuis quelques mois, le programme Tigre 3, rassemblant la France, l’Espagne et l’Allemagne dans le cadre de la coopération permanente structurée, ou PESCO, depuis novembre 2019, rencontre de forts vents contraires, Berlin se montrant de plus en plus difficile à convaincre d’investir dans la modernisation de l’hélicoptère de combat européen. En effet, selon la Bundeswehr, l’appareil serait particulièrement difficile à maintenir en condition opérationnelle, et offrirait une disponibilité insuffisante eu égard des besoins. Sans jamais remettre en cause leurs propres procédures de maintenance et le rôle du format de la flotte dans le sujet, l’Allemagne semblait, depuis, s’intéresser de plus en plus ouvertement à l’hélicoptère AH-64E Apache de Boeing, ce qui n’irait pas sans poser d’importants problèmes à la France et potentiellement à l’Espagne pour faire évoluer leurs propres appareils.

A en croire le journaliste américain Gareth Jennings, Boeing aurait en effet confirmé l’intérêt de l’Allemagne pour son hélicoptère de combat, et aurait même fait parvenir une demande d’information à l’avionneur de Seattle. Problème, cette demande aurait été envoyée avant la crise Covid, qui rappelons le débuta en décembre 2019. Dès lors, on comprend que Berlin se serait simultanément engagée dans le cadre du PESCO en Novembre 2019 à developper le Tigre 3, et sans rien en dire à ses partenaires européens, aurait demandé à Boeing des informations sur l’AH-64E Apache, au mieux dans le même temps, au pire avant de s’être engagé à Bruxelles avec Paris et Madrid.

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Le Tigre 3 offrirait de nouvelles capacités opérationnelles à l’hélicoptère de combat européen permettant de rester performant au delà de 2030

Cela pose naturellement un important problème de crédibilité quand à la méthode retenue par Berlin dans ce dossier, mais également dans l’ensemble des programmes de coopération menés avec Paris et Madrid. En effet, si les autorités allemandes se réservent en permanence une porte de sortie venue des Etats-Unis, ou d’autres partenaires européens (on pense au programme Tempest britannique concurrent du SCAF), on comprend pourquoi Berlin peut se montrer si intransigeant face à la France dans ces négociations, et obtenir, de fait, des arrangements hautement bénéfiques pour sa propre industrie, au delà de ce que l’équité justifierait. En outre, en courant deux lièvres à la fois, les autorités allemandes non seulement affaiblissent la force du partenariat franco-allemand, mais également les armées françaises elles-mêmes, qui misent sur ces programmes sans alternatives pour planifier leur montée en puissance à venir.

On pense naturellement ici au programme MAWS, à l’arrêt depuis que Berlin a annoncé sa décision d’acquérir des P-8A Poseidon américains, laissant Paris sans solution évidente. Et si cette méthode venait à être appliquée à SCAF, comme on peut l’imaginer avec le NGAD américain ou le Tempest britannique en alternative, ou au programme MGCS avec la Grande-Bretagne, la Suède et l’Italie frappant avec insistance à la porte, ces programmes pourraient non seulement fusiller des pans entiers de capacités industrielles et technologiques françaises, mais entamer gravement les plans de modernisation des armées, alors même que la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader.

P8 Poseidon Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Le choix du P-8A Poseidon par Berlin pour remplacer une partie de ses P-3C porte un coup fatal au programme d’avion de patrouille maritime franco-allemand MAWS

Enfin, on notera que dans le cas précis du Tigre 3, eu égard au partage industriel dans le programme Tigre lui-même, Paris et potentiellement Madrid seraient contraints d’inclure des partenaires industriels allemands pour la modernisation de leurs propres appareils, sans aucune compensation de la part de Berlin, alors même qu’il est probable que Boeing conférera des compensations industrielles à son client, d’autant que celui-ci pourrait également lui passer commande de 53 hélicoptères de transport lourds. Dans tous les cas, cette révélation jette sans le moindre doute le discrédit sur les volontés réelles de l’Allemagne en matière de coopération avec la France, et devrait appeler les autorités françaises à réviser leurs propres engagements, voire à se tourner vers d’autres partenaires, probablement moins fortunés, mais bien plus fiables.

La Frégate FREMM anti-aérienne Alsace rejoint le service actif dans la Marine Nationale

Le nouvelle frégate FREMM à capacité anti-aérienne renforcée Alsace est officiellement entrée en service ce lundi 22 novembre, selon un message publiée directement par la Ministre des Armées, Florence Parly. Ce navire remplace la frégate anti-aérienne Cassard retirée du service en mars 2019, et permet à la Marine nationale d’aligner désormais 9 frégates modernes, sur les 15 navires de ce type dont elle doit disposer selon le livre blanc de 2013 et la Revue Stratégique de 2017. Si le nombre n’y est pas encore, dans l’attente de l’entrée en service de son sister-ship la Lorraine en 2022, puis des nouvelles Frégate de Défense et d’Intervention FDI entre 2025 et 2030, les nouvelles capacités offertes par l’Alsace, notamment en matière de défense anti-aérienne, permettent à la Marine Nationale de faire un important bond capacitaire immédiat.

Si le frégates de la classe Alsace ne dispose ni du tonnage, ni de la puissance de détection et de feu des deux Frégates de Défense Aérienne de la classe Forbin, elles sont en revanche bien plus polyvalentes, et nettement moins onéreuses (35% moins onéreuses). En effet, L’Alsace est une évolution de la classe Aquitaine, une frégate polyvalente disposant notamment de capacités de frappe vers la terre avec 16 missiles de croisière MdCN. Si les 16 MdCN ont été remplacés par autant de missiles anti-aériens Aster 30 à longue portée, pour un total de 32 missiles en silos verticaux prêts à faire feu, et si le radar Herakles de la FREMM a été optimisé pour les missions anti-aériennes, l’Alsace conserve en effet les excellentes capacités de lutte anti-sous-marine et de lutte anti-navire des Aquitaine, avec une chaine de détection sonar très performante incluant un sonar tracté CAPTAS-2 et un sonar de coque Kingklip, et un hélicoptère de lutte ASM Caiman.

La Marine Nationale met en oeuvre des helicopteres NH90 equipes du sonar Flash pour la lutte anti sous marine Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
le NH-90 Caiman Marine offre des capacités de detection et d’engagement des menaces sous-marines et de surface très performantes, notamment grâce à son sonar trempé Flash

De fait l’Alsace est tout aussi à l’aise dans les missions de défense anti-aérienne, en étant capable de mettre en oeuvre une zone de déni d’accès de 100 km autour d’elle grâce à ses missiles Aster 30, que dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, disposant de la même discrétion et des mêmes capacités de détection et d’engagement que l’Aquitaine dans ces domaines. La frégate constituera dès lors un élément clé de la protection des unités majeures de la Marine Nationale, comme le porte-avions Charles de Gaulle ou les porte-hélicoptère d’Assault de la classe Mistral, aux cotés des FDA de la classe Forbin, et des FREMM de la classe Aquitaine. A noter que l’annonce de l’entrée en service de l’Alsace est intervenue alors même que celle-ci participe à l’exercice majeur de la Marine Nationale Polaris, qui rassemble en Méditerranée et dans le Golfe de Gascogne, 24 navires dont le porte-avions Charle de Gaulle, appartenant à 6 nations (France, Espagne, Italie, Etats-Unis, Grèce et Royaume-Uni), 65 aéronefs et 6000 marins ainsi que des éléments de l’Armée de terre et de l’Armée de l’Air, et ce jusqu’au 3 décembre 2021.

En revanche, on ne peut s’empêcher de remarquer que les moyens dont dispose aujourd’hui la Marine Nationale sont particulièrement réduits. Outre le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et les 3 PHA, elle n’aligne que 4 sous-marins nucléaires d’attaque opérationnels, 2 frégates de défense aérienne, 7 FREMM dont une de defense aérienne, ainsi que 5 Frégates légères furtives, dont une a été modernisée pour faire office d’intérim dans l’attente des livraisons de FDI. Le reste des unités se compose de frégates T70 aux capacités opérationnelles dépassées impropres à l’engagement moderne, et de patrouilleurs de haute mer A69 encore plus anciens, et de chasseurs de mines Tripartite atteignant eux aussi l’âge de la retraite. Malheureusement, alors même que le format de la Marine Nationale est insuffisant pour répondre aux enjeux sécuritaires qui sont apparus ces dernières années, celle-ci ne pourra disposer de son arsenal minimum qu’à horizon 2030, lorsque toutes les FDI, mais également les SNA classe Suffren, et les nouveaux patrouilleurs océaniques auront été livrés. Il ne reste plus qu’à espérer que rien de grave n’arrive d’ici là ….

porte avions charles de gaulle FREMM Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
En dépit de moyens parfois uniques, comme le porte-avions Charles de Gaulle, la Marine Nationale va traverser la décennie en situation de déficit capacitaire chronique

Les renseignements ukrainiens et occidentaux craignent une offensive d’hiver russe en Ukraine

Le scénario est bien connu désormais. La Russie masserait en effet, selon les observations satellites et les services de renseignement ukrainiens et occidentaux, une force armée considérable de prés de 100.000 hommes et d’une centaine de bataillon de combat à la frontière de l’Ukraine, face au Donbass et en Crimée. Et une nouvelle fois, comme ce fut le cas en mars 2021, mais également en 2019 et 2020, la crainte de voir Moscou déclencher une offensive contre l’Ukraine réapparait fort logiquement. Selon les services de renseignement américains, les forces armées russes auraient en effet déjà sur place plus d’une soixantaine de BTG (Bataillon Tactical group), l’équivalent russe du Groupement Tactique inter-arme de l’Armée de Terre, rassemblant autour d’un bataillon (un régiment en France), l’ensemble des capacités nécessaires au combat, notamment de haute intensité, comme de l’artillerie, des défenses anti-aériennes, des éléments du génie et des transmissions etc…

Le scénario redouté par Washington reposerait sur une offensive d’hiver qui aurait lieu en janvier ou février, moment durant lequel les sols ukrainiens sont gelés, permettant une meilleure mobilité des unités blindées. L’objectif anticipé serait de créer un corridor permettant de relier la Crimée à la Russie par la terre, probablement jusqu’à l’embouchure du Dniepr et la ville de Zaporijia, par ailleurs un important centre industriel en matière d’aéronautique civile et militaire, mais également la ville portuaire de Mariopol, également critique en matière d’infrastructures. Outre la connexion de la Crimée, cela permettrait à Moscou de faire de la Mer d’Azov une mer « intérieure », entièrement bordée de côtes russes.

T84 Oplot Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Le T84 Oplot est la char le plus puissant de l’arsenal ukrainien

Au delà de l’éventuelle offensive venue de l’Est par le Donbass, et du Sud par la Crimée, les services de renseignement anticipent également une possible manoeuvre le long de la frontière avec la Biélorussie, probablement pour amener les armées ukrainiennes à diviser leurs forces et donc à offrir une résistance moindre à l’offensive principale dans le sud. Une telle action militaire serait la plus importante en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et aurait incontestablement d’immenses conséquences, au delà des pertes humaines et matérielles dans les deux camps, sur la sécurité du vieux continent, quel que soit la posture choisie par les Européens, les Etats-Unis et l’OTAN dans cette hypothèse.

Pour autant, le rapport des renseignements US insistent sur le fait qu’il s’agit là d’une hypothèse possible, et non d’une certitude. Selon eux, Vladimir Poutine lui même n’aurait pas, à ce jour, pris de décision ferme à ce sujet. Mais de nombreux facteurs montrent que, dans cette attente, les armées russes, quant à elles, se préparent bel et bien à une telle action. Ainsi, concomitamment au déploiement des bataillons de combat russes, notamment les plus expérimentés de la 41eme division de combat combiné, Moscou a annoncé, ce week-end, le rappel de plusieurs dizaines de milliers de réservistes, ce qui pourrait lui permettre de mettre en place ses échelons de soutien autour des unités de combat professionnelles. En revanche, et contrairement au mois de mars, le dispositif naval de la Mer Noire ne semble pas avoir été renforcé de manière significative à ce jour, de même que les unités aériennes présentes en Crimée et à proximité du Donbass.

Russian Tank Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
A l’instar des GTIA français, les unités de combat russe s’appuient sur le Battalion Tactical Group, qui rassemble autour d’un bataillon les éléments lui permettant d’agir en autonomie (artillerie, défenses AA, génie ..)

Pour l’heure, donc, la situation reste ouverte. Il est possible que Moscou cherche avant tout à peser sur l’Europe et les Etats-Unis, pour stopper le soutien occidental vis-à-vis de l’Ukraine, mais également face à la Biélorussie, tout en tentant d’accentuer les divisions au sein des alliés. Ainsi, simultanément à ces renforcements militaires, la Russie a déclenché depuis quelques jours une vaste opération d’influence en ligne, battant le rappel de l’ensemble de ses services communiquants tant à destination de sa propre population que des Européens et américains, en s’appuyant notamment sur un important réseau de commentateurs politiques et défense prompts à répéter sans grande finesse le discours officiel du Kremlin, et qui présente l’Ukraine comme l’agresseur et l’instigateur de ces tensions. On voit, à ce titre, fleurir à nouveau sur les reseaux sociaux des questions comme « sommes-nous prêts à mourir pour Kiev ? », et la résurgence des accusation de « nazisme » des autorités ukrainiennes, sans aucun fondement (pour rappel, le président Zelensky est de confession juive, son prédécesseur Piotr Poroshenko était d’ascendance juive, et son premier ministre, I.Iatsenouk était également de confession juive..) mais d’une efficacité indiscutable vis-à-vis des plus influençables des européens.

En outre, et contrairement au mois de mars, la situation internationale est aujourd’hui très favorable pour que Moscou puisse espérer une certaine forme d’impunité s’il venait à entamer une action militaire contre l’Ukraine. En plein hiver, alors même que les prix sur le gaz et les hydrocarbures sont aujourd’hui élevés, toute mesure de rétorsion, économique ou politique, venue des Européens entrainerait la coupure de la livraison de gaz russe vers l’Europe, au moment ou la demande sera au plus haut. En outre, la résurgence d’une nouvelle vague Covid va immanquablement handicaper la réponse possible des européens, et on notera qu’en dehors des britanniques qui ont annoncé l’envoi d’hommes et de navires en Ukraine et en Mer Noire, aucun pays européens n’a annoncé de mesure concrète pour soutenir Kiev dans cette épreuve. Le discours reste immanquablement figé autour de la promesse de ‘graves sanctions » si Moscou venait à franchir le Rubicon, sans pour autant prendre le risque de détailler ces mêmes sanctions, ce qui n’impressionne, désormais, plus guère le chef du Kremlin.

La base navale russe de Sevastopol en Crimee abrite la flotte de la mer noire Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
La flotte de la Mer Noire n’a pour l’heure pas reçu de renforts significatifs, notamment venus de la Mer Caspienne, comme ce fut le cas en Mars 2021

Pourtant, même sans devoir intervenir militairement, les européens et les américains seraient en mesure de frapper durement le régime de Vladimir Poutine. Ainsi, si l’économie russe se relève depuis quelques mois, notamment du fait de la hausse des couts des hydrocarbures, la monnaie russe, le rouble, reste particulièrement faible, à près de 84 roubles pour 1 euro. Une attaque contre cette monnaie constituerait une épreuve très difficile pour le régime russe, d’autant que les russes eux-mêmes sont prompts, lorsque la monnaie dévaluent, a amplifier le phénomène en changeant massivement des dollars et des euros. Le second point faible du pays est sa démographie, notamment sur la tranche 20-35 ans, celle-là même qui constituent le coeur des forces armées.

L’immense majorité des jeunes russes déclarent en effet, sondage après sondage, être prêts à s’exiler, notamment en Europe, si l’occasion se présentait. Considérant le niveau d’education des jeunes russes, l’un des meilleurs de l’OCDE, l’Europe pourrait, pour un cout bien inférieur à celui d’un conflit, vider la Russie de ses forces vives en attirant ces jeunes gens très qualifiés, privant Moscou de solution à moyen et long terme. Enfin, la solution la plus efficace à moyen terme pour neutraliser la menace venue de Russie serait bien évidement un double embargo, technologique d’une part pour bloquer les usines russes et l’accès aux technologies numériques, et contre les exportations d’hydrocarbure venues de Russie vers l’Europe, qui génèrent les recettes avec lesquelles le Kremlin construit son outil militaire, celui-là même qui menace l’Ukraine et potentiellement l’Europe.

British Army Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Seuls les britanniques ont annoncé des mesures concrètes pour soutenir Kiev face à Moscou et Minsk, avec l’envoie d’un contingent de 800 militaires et de navires en Mer Noire

Malheureusement, il semble que l’attentisme et l’espoir de voir les crises instrumentalisées par Moscou depuis quelques années, que ce soit en Ukraine, en Biélorussie, en Afrique ou au Moyen-Orient, se résoudre d’elles-même, prévaut dans les chancelleries européennes, exception faite de la Grande-Bretagne bien plus active dans ce domaine que les autres pays européens, ainsi qu’au sein de leurs populations, bien plus inquiète d’un possible reconfinement que des conséquences d’une guerre en Ukraine. Il est vrai que, médiatiquement, le sujet ne jouit que d’une couverture infime en dehors des milieux spécialisés, et que la majorité des européens ignorent totalement la situation. Et lorsque le président français annonce qu’il soutiendra l’intégrité territoriale ukrainienne, l’immense majorité des commentaires publiés sur les reseaux sociaux sont en total décalage avec la réalité de la situation. Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi Vladimir Poutine hésiterait, persuadé qu’il est, probablement à juste titre, que les Européens ne répondront jamais à cela de manière significative.

Quelles sont les forces et faiblesses de l’Armée de terre française ?

Lors de son audition devant la commission des affaires étrangères et de La Défense du Sénat, le Chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre (CEMAT), le général Schill, a déclaré qu’il serait prioritaire de redonner à son armée des capacités accrues en matière d’artillerie et de défense anti-aérienne rapprochée à l’occasion de la prochaine Loi de Programmation Militaire. Il est vrai, et nous avons à plusieurs reprises abordé le sujet dans nos lignes, que ces deux domaines font parti aujourd’hui des points faibles de l’Armée de Terre, en particulier pour s’engager dans un conflit de haute intensité. Mais à travers les déclarations du Général français, et le constat de la réalité des forces en présence notamment face à un adversaire puissant, l’Armée de Terre, si elle dispose de qualités et de forces intrinsèques particulièrement notables, souffre dans le même temps de faiblesses importantes. Dans cet article, nous allons aborder les deux sujets, afin de comprendre les enjeux programmatiques à venir dans un contexte international particulièrement tendu.

Des capacités opérationnelles avancées et parfois uniques

Il est commun de dénigrer systématiquement les Armées françaises, et notamment l’Armée de Terre, en particulier lorsque l’on veut la comparer à d’autres forces comme l’Armée russe. Pourtant, celle-ci dispose de nombreux atouts propres, constituant des plus-values opérationnelles importantes sur le champs de bataille. On pense naturellement à l’excellent niveau opérationnel des hommes qui composent la Force Opérationnelle terrestre, le bras armé de l’Armée de Terre, rompus au combat avec de nombreux engagements au Moyen-Orient et en Afrique. A l’exception de la British Army, et des Armées russes, aucune force armée en Europe n’affiche un tel aguerrissement et savoir-faire au combat de ses personnels, une donnée critique lors d’engagement notamment de haute intensité.

VBMR Griffon Mali Analyses Défense | Aviation d'entrainement et d'attaque | Aviation de chasse
Le remplaçant du vénérable VAB, le VBMR Griffon, est depuis peu déployé en opération extérieure au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane. L’Armée de terre est l’une des armées disposant du meilleur taux de mobilité sous blindage au monde.

En outre, l’Armée de Terre française dispose du plus grand nombre de véhicule blindé en Europe et dans l’OTAN, en dehors des Etats-Unis. Avec plus de 3000 véhicules de transport de troupe blindés et véhicules de combat d’infanterie, épaulés par plus de 1200 véhicules blindés légers, l’Armée de Terre dispose du plus haut taux de transport sous blindage pour ses forces, lui conférant une mobilité au feu sans aucune équivalence en Europe. Même les forces russes, avec pourtant plus du double d’APC (Transport de troupe blindés) et de VCI (véhicule Combat d’Infanterie) en ligne, n’atteint pas la moitié de ce taux français. En outre, au delà de ses chars lourds Leclerc en nombre insuffisant, l’Armée de terre dispose également de nombreux véhicules de combat légers automoteurs, comme les chars légers AMX-10RC et son successeur l’EBRC Jaguar, augmentant encore cette composante qui offre une capacité de manoeuvre blindée inégalée.

Dans le domaine de l’aeromobilité, l’Armée de Terre dispose également d’une flotte d’hélicoptères de manoeuvre conséquente de plus de 100 NH-90, Puma et Cougars, ainsi que d’un savoir faire avéré dans ce domaine, toujours au profit d’une manoeuvre se voulant fulgurante et décisive. Enfin, elle aligne plusieurs régiments hautement spécialisés, dans l’assaut amphibie, l’engagement en milieu montagneux, l’assaut aéroporté et le renseignement, lui conférant des capacités de réponse spécifiques de très haut niveau, parfois même enviées par nos plus puissants alliés. Dans ces conditions, on peut penser que l’Armée de Terre est aujourd’hui largement à niveau pour soutenir la comparaison avec les armées du théâtre européen et méditerranéen. Malheureusement, elle souffre également d’importantes faiblesses héritées de 25 années de laisser-aller budgétaire et capacitaire.

Des faiblesses capacitaires significatives

Comme l’a souligné le Général Schill, deux des plus importantes faiblesses capacitaires actuelles de l’Armée de terre, pour répondre aux besoins de l’engagement de haute intensité, se concentrent sur les domaines de l’Artillerie et de la défense antiaérienne. En matière d’artillerie, pourtant un des points forts de l’Armée française depuis le 15ème siècle, la situation est effectivement critique, avec seulement 77 systèmes CAESAR en service et une poignée de Lance-roquettes unitaires ou LRU, épaulés de mortiers tractés de 120mm et de quelques dizaines de canons automoteurs AUF1 hérités de la guerre froide et plus à même de mener des engagements modernes. Rapporté aux effectifs de la Force Opérationnelle terrestre, le taux de pièces d’artillerie des forces françaises est 5 fois moindre que celui des forces russes, un écart de puissance très significatif, aggravé qui plus est par le manque de capacité à moyenne et longue portée.

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Le CAESAR a montré son efficacité et sa précision en opération extérieure. Mais avec seulement 77 pièces en service, l’Armée de terre a un coefficient d’appui d’artillerie 5 fois inférieur à celui de l’Armée russe.

La situation est encore pire dans le domaine de la défense anti-aérienne rapprochée. En effet, en l’absence de menace réelle, l’Armée de terre a progressivement abandonné ses capacités d’autodéfense et de détection dans ce domaine, au profit de la simple utilisation de missiles d’infanterie Mistral, certes performants mais incapables de répondre aux besoins d’une guerre de haute intensité dans leur configuration actuelle. Il n’existe d’ailleurs à ce jour aucun programme destiné effectivement à répondre à cette menace de plus en plus prégnante avec l’arrivée des drones et des munitions vagabondes, ou dans le domaine de la défense C-RAM contre les missiles de croisière, les roquettes et les obus d’artillerie et de mortier. En d’autres termes, aujourd’hui, en l’absence d’une protection dans ce domaine offerte par un éventuel allié, les unités françaises engagées dans une conflit de haute intensité seraient très vulnérables à la majorité des frappes et menaces aériennes.

Ces deux dimensions sont effectivement critiques, mais elles ne constituent pas les seules faiblesses capacitaires de l’Armée de terre nécessitant une réponse rapide. Ainsi, si elle dispose de nombreux blindés, ceux-ci manquent de puissance de feu, notamment pour ce qui concerne les 650 VBCI de combat d’Infanterie équipés seulement d’un canon de 25mm bien trop léger pour faire face aux canons de 35, 40 voire 57mm dont sont équipés les autres VCI modernes. En outre, désormais, la majorités des tourelles de VCI se voit adjoindre des missiles antichars pour accroitre cette puissance de feu, missiles qui là aussi font défaut aux VBCI français. Il en va de même pour les transport de troupe blindés, y compris les nouveaux Serval et Griffon, qui ne seront équipés, dans le meilleur des cas, que d’un tourelleau armé d’une mitrailleuse lourde ou d’infanterie, là ou les APC russes se voient équiper de mitrailleuses lourdes ou de canons légers.

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Mobile et performant, le VBCI a fait merveille au Mali. En revanche, son faible blindage et don canon de 25mm semblent insuffisants dans un contexte de haute intensité

Outre le manque de puissance de feu, les blindés français sont également vulnérables, si ce n’est en s’appuyant sur leur mobilité et sur les systèmes soft-kill qui équipent les VBMR et EBRC. En effet, aucun blindé français n’est équipé, ni n’est prévu de l’être à court ou moyen terme, de systèmes de protection actifs de type Hard-kill, pourtant en bien des points indispensables pour accroitre la survivabilité de ces véhicules au combat, et protéger les militaires transportés. Ceci est notamment critique pour les blindés de première ligne, comme les chars Leclerc et les VBCI, qui profiteraient grandement de ce regain de protection dans un contexte de haute intensité.

Enfin, certaines capacités pourtant critiques sont aujourd’hui absentes ou très largement sous-représentées dans l’arsenal de l’Armée de terre. C’est le cas par exemple des systèmes de guerre électronique offensifs et défensifs, ainsi que des drones et plus particulièrement des munitions vagabondes, ou encore des capacités amphibies et de franchissement. Ces problématiques, en partie oubliées depuis la fin de la Guerre Froide, sont à nouveau indispensables pour assurer une manoeuvre fluide et efficace, notamment sur le théâtre européen et dans un contexte étendu au spectre électro-magnétique par exemple. Là encore, faute de pouvoir s’appuyer sur un allié susceptible de compenser ces déficiences opérationnelles, les unités de l’Armée de terre engagées dans un conflit de Haute Intensité face à un adversaire avancé, pourraient se retrouver très exposées.

Un format inadéquate face aux enjeux

Mais le plus important enjeu mis en avant par le général Schill lors de son audition, et pourtant passé inaperçu des sénateurs, dépasse de loin ces aspects techniques et technologiques. En effet, selon lui, il va être indispensable à l’Armée de terre d’être en mesure d’engager une force armée à l’échelle d’une division, c’est à dire une force opérationnelle rassemblant 15 à 20.000 combattants agissants de manière coordonnée sur le champs de bataille. Si le système de commandement et de communication au coeur du programme SCORPION et son évolution TITAN permet en théorie cela, le format de l’Armée de terre aujourd’hui, ne lui permet pas de déployer une force dépassant le format d’une brigade à court terme, et de deux brigades dans un délais de 3 mois, et ce dans le meilleur des cas, selon les études prospectives de l’OTAN.

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Malgré ses atouts, l’Armée de Terre souffre de sérieuses lacunes capacitaires, et d’un format trop contraint pour répondre aux enjeux sécuritaires qui se dessinent

Dès lors, pour être en mesure d’engager simultanément une division, soit 3 brigades, dans des délais raisonnables de quelques semaines, l’Armée de terre va devoir profondément faire évoluer son format actuel. Il serait alors nécessaire d’être en mesure de soutenir le déploiement d’une brigade en action continue en opération extérieure, comme c’est le cas aujourd’hui de Barkhane dans le Sahel, mais également de maintenir une division entière, soit 3 brigades, prêtes à l’engagement dans des délais ne dépassant pas 3 ou 4 semaines. Cela supposerait, dans les faits, d’augmenter les effectifs opérationnels de l’Armée de terre de prés de 40.000 à 50.000 hommes, soit 35 à 40 régiments, mais également de les équiper, de les entrainer et de les logers.

Pour y parvenir, il serait nécessaire d’augmenter le budget dédié à l’Armée de terre de 6 à 8 Md€ par an, ainsi que de mettre en place des procédures de recrutement largement renforcées pour augmenter le nombre de candidats, ainsi que la fidélisation des militaires eux-mêmes. En effet, rien ne garantit, aujourd’hui, que l’Armée de terre puisse maintenir ses standards et exigences de recrutement pour atteindre un tel format, surtout si l’objectif est d’y parvenir dans des délais relativement courts en cohérence avec l’évolution de la menace. On peut naturellement envisager la remise en place d’un Service National, mais cela s’avèrerait totalement contre-productif pour répondre aux enjeux de défense. En effet, la technicité demandée aux militaires modernes, y compris aux fantassins ou aux équipages de blindés, dépassent de loin ce qu’il serait possible d’inculquer à des appelés en une année ou moins. En outre, cela mobiliserait des capacités immenses en matière de formation et de personnels, sans aucun bénéfice opérationnel effectif. Il s’agirait, là, incontestablement de la plus mauvaise solution pour l’Armée de terre, qui en subirait les plus importantes contraintes.

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En revanche, il pourrait être possible d’envisagé la constitution d’une forme de Garde Nationale, composée en majeure partie de réservistes encadrés par des militaires de carrière, et spécialisée précisément dans l’engagement de Haute Intensité. Cette hypothèse avait déjà fait l’objet d’une analyse détaillée il y a quelques mois, et pourrait représenter une solution privilégiée pour répondre à ces enjeux dans un contexte budgétaire, RH et un calendrier contraint. Quoiqu’il en soit, d’une manière ou d’une autre, l’Armée de terre devra impérativement accroitre ses effectifs disponibles pour répondre aux enjeux de défense qui se profilent dans un avenir de plus en plus proche.

Conclusion

On le comprend, l’Armée de terre française aujourd’hui dispose de sérieux atouts à faire valoir sur le champs de bataille, mais également de certaines lacunes très problématiques dès lors que l’on envisage un engagement majeur de haute intensité. Les réponses qui doivent être apportées sont désormais contraintes par un calendrier qui n’est plus du ressort des autorités françaises, ni de leur agenda politique ou budgétaire, mais qui est piloté par les tensions internationales qui se multiplient sur la planète, y compris en Europe.

Une chose est en revanche certaine, en dépit des qualités indiscutables dont font preuves aujourd’hui les unités et les hommes et femmes de l’Armée de Terre, celle-ci va devoir, très rapidement, évoluer en profondeur pour répondre aux transformations en cours sur l’échiquier international. Il en va, d’ailleurs, de même pour la Marine Nationale et l’Armée de l’Air et de l’Espace, toutes deux étant comme l’Armée de Terre, contraintes par des formats et des doctrines d’engagement hérités d’une période révolue. On peut même se demander si, aujourd’hui, il est pertinent d’attendre les résultats de la prochaine élection présidentielle et législative pour arbitrer dans ce domaine, tant il apparait clair que le fossé se creuse rapidement face à certains adversaires potentiels. A trop vouloir rester dans sa zone de confort, la France risque bien d’envoyer ses soldats au combat sans qu’ils ne disposent des moyens nécessaires pour remplir leur mission, ou plus prosaïquement, sans qu’ils aient les capacités de se défendre efficacement.