Le 11 janvier dernier, le Tejas-N a réalisé son premier appontage sur l’unique porte-avions indien, l’INS Vikramaditya, avant d’en redécoller le lendemain. Après 17 années de développement, le programme NLCA (Naval Light Combat Aircraft) a donc enfin démontré sa capacité à opérer depuis un porte-avions doté d’un tremplin et de brins d’arrêt. Problème : l’Indian Navy a fait savoir il y a quatre ans qu’elle n’était plus intéressée par le Tejas-N. En l’état actuel des choses, le NLCA n’est donc plus qu’un démonstrateur technologique, et symbolise à la perfection les problèmes de l’industrie aéronautique indienne, qui tente désespérément de suivre les ambitions des forces armées du pays sans réussir à consolider ses connaissances.
Conçu par l’Agence de développement aéronautique nationale (ADA) du DRDO, et construit par l’entreprise publique HAL, le LCA Tejas est un chasseur léger qui équipe déjà l’Indian Air Force dans ses versions terrestres Mk1 (40 exemplaires en cours de livraison) et Mk1A (83 exemplaires commandés). Déplaçant 13 tonnes à pleine charge, et motorisé par le même F404 américain qui équipe aussi le Gripen suédois, le Tejas est le plus petit chasseur supersonique en production. S’il a été conçu pour être simple à produire et économique à l’usage, afin de remplacer les nombreux MiG-21 indiens, son développement a malheureusement été particulièrement complexe, le programme ayant pris une douzaine d’années de retard.
Et la situation est vite devenue encore plus dramatique pour la version navale NLCA Mk1. Cette variante ayant été développée à partir du LCA terrestre, elle souffre comme bien souvent dans ce cas-là d’un sérieux embonpoint ainsi que de défauts de conception incorrigibles. Si LCA et NLCA conservent la même masse maximale au décollage, le Tejas-N est 2,5t plus lourd à vide que son pendant de l’Indian Air Force, ce qui impacte nécessairement sur sa capacité d’emport, son autonomie et sa maniabilité. Pire encore, au lancement du programme en 2003, l’Indian Navy était la seule marine de la région Asie-Pacifique à disposer de porte-avions. Sa supériorité opérationnelle en haute même était alors assurée, même avec un avion léger. Entre temps, toutefois, la marine chinoise a non seulement lancé deux porte-avions, là où l’Indian Navy n’en comprend plus qu’un, mais ces derniers sont équipés de chasseurs lourds de la famille des Flanker, les J-15. Face à ce déclassement capacitaire et aux problèmes de poids de l’avion, l’Indian Navy a annulé en 2016 sa commande de NLCA, préférant se concentrer sur le programme MRCBF visant à acquérir 57 chasseurs lourds –à choisir entre le Rafale et le Super Hornet– pour compléter par le haut sa flotte de MiG-29K.
Chez HAL et au sein de l’ADA, on évoque pourtant dès 2012 la possibilité de développer une variante plus puissante du Tejas, le Tejas Mk2, qui pourrait être adapté aux besoins de la Navy. La version Naval Mk2, dans sa dernière mouture, se voyait ainsi dotée du puissant réacteur F414, qui équipe également le Super Hornet, ainsi que de petits empennages arrières destinés à assurer le contrôle de l’appareil pendant les appontages. Bien que la masse au décollage de cette variante était portée à 17 tonnes, l’Indian Navy continua à trouver l’appareil sous-motorisé et trop peu performant par rapport à ses concurrents. Alors que le programme continuait depuis 2016 pour des raisons de politique industrielle, malgré le manque d’intérêt de l’Indian Navy, l’ADA et la Navy ont pu finalement annoncer conjointement en novembre dernier l’arrêt du programme NLCA, version Mk2 comprise, afin de développer une variante bimoteur de cet appareil.

Dans ce contexte, les essais en cours sur le NLCA visent avant tout à acquérir de l’expérience technique et opérationnelle au profit de l’ADA et de HAL. Pour autant, comme nous l’évoquions en novembre dernier, le calendrier comme les ambitions opérationnelles affichées par l’ADA semblent au mieux illusoires, si ce n’est totalement fantaisistes. Le programme d’avion bimoteur TEDBF (Twin Engine Deck Based Fighter), s’il se présente comme un dérivé du Tejas Mk2, reprend en effet les grandes lignes du Rafale, avec la même motorisation que le Super Hornet. Deux avions en compétition en Inde pour le programme MRCBF et qui seront disponibles plus rapidement, en plus grand nombre et pour bien moins cher que le TEDBF, sans qu’il n’y ait de doute sur leurs performances réelles.
En l’état actuel des choses, la proposition du TEDBF par l’ADA ne semble être rien d’autre qu’une tentative de la part de l’industrie nationale de récupérer des crédits de développement pour faire tourner ses bureaux d’études, alors même qu’un arrêt brutal du NLCA risquait de pousser durablement la Navy dans les bras de fournisseurs étrangers. La posture de l’Indian Navy apparaît encore plus subtile. En soutenant le TEDBF, elle obtient enfin l’abandon du NLCA et acte définitivement la pertinence de ses besoins en matière d’avions bimoteurs. La rhétorique capacitaire mise en avant depuis 2016 par l’Indian Navy pourrait ainsi être reprise à leur compte par les divers organismes nationaux de développement aéronautique, mais aussi par le ministère et HAL. De quoi couper l’herbe sous le pied aux détracteurs du MRCBF qui militent pour une solution nationale, tout en repoussant de plus d’une décennie la nécessité d’acquérir un avion national –la Navy ne se faisant aucune illusion sur les promesses de livraison du TEDBF en 2026.
Dans tous les cas, il ne fait pas le moindre doute que l’Indian Navy n’aura pas les finances pour développer conjointement, dans cette décennie, à la fois un programme de chasseur national et le programme MRCBF, surtout si ces derniers partagent un cahier des charges quasiment interchangeable. Malgré toutes les ambitions du Make In India et les besoins bien réels pour de nouveaux équipements navals, l’Indian Navy fait encore une fois face à des coupes budgétaires conséquentes. De quoi l’obliger à réduire les ambitions de ses programmes aéronavales en cours, comme l’acquisition d’hélicoptère d’alerte avancée Ka-31 ou d’avions de patrouille maritime P-8I supplémentaires.
Dans un tel contexte, les chances que le TEDBF voit le jour restent très faibles, d’autant plus que l’Indian Air Force ne compte pas spécialement financer ce programme, moins avancé que son propre AMCA. Mais la possibilité existe toujours de voir le MRTBF annulé purement et simplement pour des raisons politiques, afin de pousser à une solution nationale au détriment du Rafale, favoris de la compétition. Au risque alors de voir le déclassement régional de l’Indian Navy s’accentuer encore un peu plus au cours de la décennie à venir.













