Depuis 2001, les campagnes aériennes des forces occidentales se sont articulées principalement autour de mission d’appui aérien rapproché (CAS) et de contre-insurrection (COIN), conduisant les forces aériennes à négliger de plus en plus le haut du spectre opérationnel, qui leur fait aujourd’hui défaut. Ironiquement, cependant, les coûts des opérations militaires de longue durée en Afghanistan, en Irak ou en Afrique, conjugués à des baisses continues des budgets militaires depuis les années 1990, n’ont pas permis de développer de nouveaux moyens réellement adaptés à la conduite des opérations CAS/COIN. Aux États-Unis comme en Europe, les armées de l’air s’articulent ainsi autour d’avions tactiques médians modifiés peu à peu pour la conduite d’opérations asymétriques, des machines à tout faire qui ne sont réellement capables d’exceller ni en CAS ni en combat de haute intensité.
Deux décennies après la première expression de besoin, et onze ans après le lancement du programme, l’USAF a décidé de mettre fin à son programme d’acquisition d’avions de reconnaissance et d’attaque légers LAAR (Light Attack/Armed Reconnaissance) ou LAS (Light Air Support), à l’occasion de la publication du budget prévisionnel du Pentagone pour l’année fiscale 2021. Le même document, toutefois, précise que le commandement des forces spéciales américaines USSOCOM réclame pour 2021 un budget de 100 millions de $ pour l’achat de cinq avions (sur 75 prévus) du programme « Armed Overwatch », la variante du SOCOM du programme LAAR. Un budget qui devra toutefois être encore validé par le Congrès.

Dans les faits, l’annulation du LAAR et le lancement effectif de Armed Overwatch acte le fait que le programme d’acquisition d’avions d’attaque léger est transféré de la direction de l’USAF vers le SOCOM. Organisation interarmes, le SOCOM déterminera les besoins opérationnels et se chargera de la sélection de l’avion, même si les 75 appareils envisagés resteront mis en œuvres et pilotés par des aviateurs de l’USAF. Des rencontres entre le SOCOM et les industriels sont prévues pour début mars, mais les compétiteurs semblent a priori déjà connus.
D’une part, Armed Overwatch va consulter les deux candidats du programme LAAR/LAS, Sierra Nevada Corp. (associé à Embraer) et Textron, qui proposaient respectivement le A-29 Super Tucano et le AT-6 Wolverine, tous deux dérivés d’avions d’entrainement turbopropulsés. D’autre part, l’USSOCOM pourrait s’intéresser à d’autres options, comme le AT-802 Longsword de L3 Aerospace Systems, un dérivé d’avion d’épandage agricole dont des variantes ont été exportés aux Emirats Arabes Unis. En attendant la sélection de l’USSOCOM, un petit nombre de A-29 et de AT-6 ont été commandés pour évaluation par l’USAF, qui devrait partager ses résultats avec le SOCOM. Pour les deux favoris, SNC et Textron, une commande de 75 exemplaires pourrait ouvrir la voie à d’autres contrats, y compris avec les forces américaines. Reste que les moyens du SOCOM sont sans commune mesure avec les ambitions autrefois affichées par l’USAF, qui prévoyait une première commande de pas moins de 300 exemplaires.
Le changement de situation autour du programme LAAR/LAS est représentatif de plusieurs problèmes structurels au sein de l’USAF. Il convient en effet de préciser que, en 10 ans, la force aérienne américaine a changé d’avis à de multiples reprises à propos du renouvellement ou du renforcement de sa force d’attaque au sol en lançant –parfois simultanément – les programmes OA-X, R/A-X, AT-X ou encore A-X2, ou encore en faisant évoluer OA-X vers le programme LAAR/LAS tout en conservant une option ultérieure pour un OA-X (ou A-X2) plus lourd capable de remplacer les A-10… ou pas.
Cette cacophonie programmatique retranscrit une réalité douloureuse pour l’USAF : elle ne sait pas quoi faire de ses avions d’attaque. Alors que le faible nombre de A-10 n’a permis de réalisé qu’environ un quart des missions des CAS/COIN entre 2001 et 2015, ce qui devrait militer pour une flotte complémentaire de LAAR plus légers, l’USAF n’a de cesse depuis plus de 10 ans de réclamer le retrait anticipé de tout ou partie de la flotte de A-10 afin de libérer du budget pour le développement et l’acquisition du F-35, un « vrai » chasseur aux yeux de l’USAF. De fait, un avion d’attaque dérivé d’un appareil d’entrainement turbopropulsé a bien du mal à entrer dans la culture des aviateurs américains, qui restent attachés depuis les années 1950 aux jets supersoniques de supériorité aérienne et d’interdiction. Dans un tel contexte, il n’y a rien d’étonnant à voir que l’USAF cherche à reléguer la gestion du LAAR/LAS à l’USSOCOM afin de se concentrer sur des jets de hautes performances.
Cette situation soulève cependant deux problèmes principaux. D’une part, comme cela est évoqué depuis quelques années, il conviendrait sans doute pour les forces américaines de permettre à nouveau à l’US Army d’opérer des avions armés à voilure fixe. Après avoir longtemps milité pour conserver la mainmise sur les avions armés, tandis que l’Army gérait les hélicoptères de combat, l’USAF pourrait bien voir l’Army récupérer une partie de ses missions de CAS… ce que l’US Army serait prête à faire nonobstant une hausse de budget au détriment de l’USAF. Etant donné la situation, confier le programme à la structure interarmées SOCOM apparaît alors comme un bon compromis bureaucratique, tout en apportant une solution opérationnelle à un réel besoin des forces spéciales US.

D’autre part, cette situation complexe souligne encore une fois le problème causé par les coûts gigantesques du programme F-35 et, surtout, par la rigidité intrinsèque qu’il impose sur la stratégie des moyens de l’USAF. Politiquement, l’USAF reste ainsi cantonnée à son objectif –hautement discutable– d’acheter environ 1700 F-35A, toute réduction drastique des commandes de cette branche armée risquant de faire exploser encore une fois les coûts du programme et de faire fuir des clients export. Pourtant, à travers la commande d’un petit nombre de F-15X ou encore ce transfert de compétences vers l’USSOCOM, on constate que les opérationnels au sein de l’USAF et du Pentagone cherchent des solutions pour contourner ce carcan imposé par l’avion de Lockheed Martin et ses soutiens politiques, y compris au sein de l’USAF.
Au final, cette situation n’est pas sans rappeler les débats intenses qui ont vu s’affronter, dans les années 1970, les tenants d’une USAF articulée autour de ses seuls avions de supériorité aérienne (F-4, F-15) opposés à une « jeune école » qui a su imposer à la fois le chasseur léger F-16 et l’avion d’attaque A-10. Deux avions qui sont devenus, dans les décennies à venir, le fer de lance des escadrons d’attaque américains. Il faut dire que le directeur des acquisitions de l’US Air Force, Will Ropert, ne cache pas son ambition de simplifier radicalement les futurs programmes de l’USAF, en privilégiant des cellules plus simples, plus économiques et plus spécialisées. Reste qu’il faudra, pour cela, abattre un nombre gigantesque de blocages politiques qui empêchent toute réduction majeure des commandes de F-35, pourtant indispensable à la mise en œuvre de cette nouvelle vision de l’USAF.













