L’admission au service actif du deuxième porte-aéronefs chinois serait prononcée au cours des prochaines semaines, voire jours. Le numéro de coque n’est pas encore peint et le bâtiment pas plus baptisé. Il demeure des doutes quant au projet auquel il appartient (Type 001A ou Type 002). La prochaine cérémonie devrait être l’occasion de plusieurs officialisations et de célébrer le premier porte-aéronefs de conception et de construction presque entièrement nationales. La permanence aéronavale chinoise manifestée par la présence simultanée en mer de deux porte-aéronefs le 28 février 2019 se poursuivra bientôt avec deux bâtiments pleinement opérationnels.
La Chine à l’assaut des ports Européens : une menace pour l’Europe ?
Au cours des dernières années, la Chine a multiplié ses acquisitions de ports en Europe : la Grèce, l’Italie, l’Espagne, la Belgique ou encore le Portugal en sont les principaux bénéficiaires. La Chine : rival systémique, aux dires de la Commission Européenne ou simple aubaine financière ?
Selon le Forum International des Transports, la Chine contrôle à présent près d’un dixième des activités portuaires européennes et ce chiffre pourrait progresser à l’avenir. Celle-ci profite d’une faille : chaque pays de l’UE peut décider de réaliser des affaires avec la Chine selon ses besoins ou le plus souvent selon ses faiblesses. L’onde de choc provoquée par la crise de 2008 a fragilisé certains pays de l’Union plus que d’autres (choc asymétrique). Avec un budget de 145Mds d’€uros/an, dont un tiers est alloué à la politique de cohésion, l’Europe n’a pas été en mesure de soutenir l’intégrité du vieux continent. La Chine pallie alors la faiblesse d’une Europe aux intérêts économiques divergents et donc fragmentée sur le plan politique.

Le tableau ci-dessous présente quelques opérations de la Chine sur des ports Européens de premier plan. Celle-ci est en mesure d’en prendre le contrôle via ses entreprises publiques de taille mondiale et ce quel que soit le montant des « deals ».
Ces opérations sont concentrées dans le temps et constituent un maillage fin autour du continent Européen : on observe des prises de contrôle en mer Méditerranée, sur la façade Atlantique ou encore au Nord Ouest de l’Europe.
La Commission Européenne s’est réveillée tardivement mais voit juste : la prise de contrôle d’infrastructures stratégiques modifie les intérêts commerciaux et politiques des pays récipiendaires et fragilise la cohésion Européenne. Et, derrière les investissements massifs chinois, l’influence n’est pas loin. A titre d’exemple, lors du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2017, la Grèce à l’encontre de l’Union Européenne, pose un véto à la publication d’un communiqué dénonçant les violations de la Chine en matière de droits de l’homme.
La Chine investit les infrastructures stratégiques européennes et s’alloue potentiellement des chevaux de Troie. Ironie de l’histoire : le premier est Grec. Enfin, dans le sillage des investissements chinois et de ce qu’ils impliquent, surviendra nécessairement la sécurisation de ses intérêts. A ce titre, la Chine a mené des exercices militaires avec la marine Russe en mai 2015 en Méditerranée orientale. Et, quelques années plus tôt deux frégates chinoises et un ravitailleur ont croisé depuis le canal de Suez et au-delà de détroit de Gibraltar. Au-delà de son intérêt pour les ports Européens, la Chine n’enfilera t-elle pas bientôt une perle à son collier[efn_note] La stratégie du collier de perles est une expression désignant l’installation par la marine de guerre chinoise de points d’appui (les « perles ») le long de sa principale voie d’approvisionnement maritime[/efn_note] en Méditerranée ?
Les forces américaines sont sous-dimensionnées de 30% pour répondre aux enjeux à venir
La très respectée Heritage Fundation, un Think tank américain connu pour la pertinence de ses analyses, a publié début octobre son « 2020 Index of US Military strengths » qui dresse un état des lieux à date des forces américaines, et le compare à l’état de la menace constatée dans le monde. Ce nouvel opus offre une vision éclairante, et inquiétante, des équilibres militaires aujourd’hui, et de la réalité des menaces, comme des moyens d’y répondre, pour les Etats-Unis comme pour l’Occident. Le document de 500 pages dresse une analyse précise, forces par forces, théâtres par théâtres, des équilibres militaires, et de leurs évolutions dans un futur proche. Sans se livrer à un exercice prospectif discutable, il se cantonne aux informations connues et avérées, par ailleurs largement suffisantes pour justifier les conclusions de l’analyse :
Les forces américaines sont sous-dimensionnées de 30% en moyenne,
pour être en mesure d’assurer l’ensemble de leurs objectifs.
Pendant 25 ans, l’essentiel de la menace perçue par les Etats-Unis était représenté par les mouvements terroristes moyen-orientaux, l’Iran et la Corée du Nord. Elle est aujourd’hui concentrée autour de deux principaux rivaux, la Chine et la Russie. Si la menace que représente la Corée du Nord s’est technologiquement aggravée, le Think Tank estime que le pays, et son dirigeant, font preuve de moins d’agressivité vis-à-vis des Etats-Unis et de ses alliés, justifiant un classement de menace inférieur. La menace terroriste, si elle perdure, a toutefois été affaiblie par l’élimination de structures étatiques de l’Etat-Islamique en Irak et en Syrie, alors que le gouvernement Afghan a ouvert des négociations avec les mouvements talibans les moins radicaux. L’Iran, quand à elle, conserve le même potentiel de menace et de risques, de part des capacités militaires avérées, une position gouvernementale jugée agressive, et une situation géographique susceptible de nuire aux intérêts américains. Mais ces 3 menaces ont été éclipsées par celles émanant de Chine et de Russie, alliant une puissance militaire très importante, et des positions jugées agressives envers les Etats-Unis, ses alliés et ses intérêts.
Alors qu’en 2014, le président Obama qualifiait la Russie de puissance régionale, elle est, en 2020, considérée par la Fondation Heritage comme la seule force capable de menacer directement le territoire national américain, de manière stratégique comme conventionnelle. Avec 2750 chars de combat, 5100 véhicules de combat d’infanterie, 6100 transports de troupe blindés et plus de 4000 pièces d’artillerie, les forces terrestres russes sont parmi les mieux équipées en ce qui concerne les équipements lourds. L’entrée en service des nouvelles tenues Ratnik, de très nombreux missiles portables et de drones légers, et l’augmentation très sensible des entrainements à toutes les échelles, contribuent à sensiblement renforcer l’efficacité de ces forces. Le déploiement en zone de combat, en Syrie ou dans le Donbass, accentue ce phénomène.
La Marine Russe, si elle n’aligne que 35 navires de surface hauturiers combattants, emploie 58 sous-marins dont 10 SNLE, et 12 SNA, ainsi que 105 corvettes et patrouilleurs qui souvent emportent des armements lourds, comme le Missile de croisière Kalibr. Les forces aériennes russes disposent, quand à elles, de plus de 1200 avions de combat, et 350 hélicoptères de combat. A ces forces conventionnelles s’ajoutent 334 missiles balistiques intercontinentaux, des forces cyber très performantes, et une dimension spatiale significative. Si la Russie n’a pas montré de volonté de menacer directement les Etats-Unis jusqu’à présent, Moscou a montré de réelles ambitions vis-à-vis de certains pays ‘européens, notamment les pays baltes et dans les Balkans, dans le sud Caucase, ou en Arctique. Le pays a également largement renforcé ses positions en Mer Noire, en Mer Blanche, au Moyen-Orient ainsi qu’en Méditerranée orientale.
La Chine représente l’adversaire ayant le plus important potentiel militaire et économique face aux Etats-Unis. Paradoxalement, c’est en réduisant ses effectifs de plus de 280.000 militaires que l’Etat-Major chinois est parvenu à sensiblement augmenter le potentiel militaire du pays. L’augmentation de la puissance militaire chinoise repose sur un effort de modernisation sans précédant dans le pays, avec le glissement d’une doctrine défensive basée sur la force du nombre, à une doctrine offensive alliant équipements modernes et forces professionnelles. Concomitamment au developpement de ses forces armées, la Chine a également développé une industrie de Défense qui est parvenue, en 2 décennies, à passer d’une production d’équipements sous licence ou copiés, à des productions de materiels hautement technologiques de facture nationale, comme le Destroyer lance-Missile Type 052D, le chasseur léger J10, le char de combat Type 099.

Si Pékin continue d’acquérir certains équipements militaires, notamment auprés de Moscou (Su35, S400), le pays a désormais atteint une réelle autonomie stratégique, et un niveau technologique suffisant pour être considéré par la Fondation Heritage comme un adversaire disposant d’une puissance militaire comparable à celle de la Russie. La Chine ne peut pas menacer directement le sol américain continental, mais elle représente une menace croissante pour ses intérêts et ses alliés dans le Pacifique occidental et l’Océan Indien. Taiwan est évidemment au coeur des préoccupations américaines, mais Pékin a également des frictions importantes avec Tokyo, Jakarta, Séoul, et New Delhi. En outre, la flotte chinoise dans le Pacifique est désormais sensiblement supérieure à la 7ème flotte US (140 navires contre 50), qui ne peut rétablir la rapport de force qu’avec l’appui de ses alliés japonais, coréens et australiens.
L’analyse méthodique des capacités militaires de ses adversaires potentiels, et en tenant compte de l’hypothèse d’un possible double engagement dans le Pacifique face à la Chine, et en Europe face à la Russie, la fondation Heritage a évalué la puissance militaire nécessaire pour que les Forces Américains puissent, avec leurs alliés, neutraliser la menace :
- 50 brigades de combat pour l’US Army (35 aujourd’hui – 30%)
- 400 navires de combat et 624 avions de combat embarqués (290 aujourd’hui – 27%)
- 1200 avions de combat (951 aujourd’hui – 21%)
- 36 bataillons de Marines (24 aujourd’hui – 33%)
En outre, elle recommande de sensiblement augmenter la disponibilité des équipements, comme la préparation opérationnelle des forces, dans la mesure ou les forces russes comme chinoises ont fait d’importants progrès dans ces domaines.
Il est interessant de constater que, si le rapport de la fondation Heritage pointe certains besoins technologiques comme en matière de guerre électronique, de moyens cyber, d’artillerie ou dans le domaine spatiale , sa principale recommandation est de rétablir un rapport de force numérique. Cette vision rompt avec les doctrines encore employées par de nombreuses forces occidentales, notamment en Europe, qui considère que la technologie des équipements occidentaux est suffisante pour compenser un rapport de force numérique défavorable. Si la Russie n’aligne que 750.000 hommes dans ses forces armées, elle dispose d’une réserve opérationnelle de plus de 2 millions d’hommes, ainsi que des moyens de les équiper, notamment en équipement lourds (La Russie dispose de 6000 chars et 10.000 blindés prêt à l’emploi, bien que de génération antérieure). La Structure chinoise est plus difficile à évaluer, mais le potentiel démographique du pays est à ce point important que l’augmentation numérique de ses forces pourrait être à la fois rapide et très importante. Les forces occidentales, qui ne disposent que de peu de réserves, ont été ramenées à un format minimum en matière d’équipements, éliminant toute capacité pour répondre à une mobilisation de la part de l’un ou l’autre des principaux adversaires identifiés.

On note également que, en recommandant une telle augmentation de format des forces US, la Fondation Heritage considère qu’il est possible, et même probable, qu’un conflit entre grandes puissances technologiques se limite à un conflit conventionnel, sans avoir recourt aux armes nucléaires. Or, pour l’heure, de nombreuses doctrines militaires occidentales, notamment en France, considèrent une telle hypothèse comme improbable, et construisent donc leurs forces conventionnelles sur un paradigme taillé en brèche par le Think tank américain. On peut enfin se demander comment les dirigeants européens vont justifier le format actuel de leurs forces armées, et un objectif d’effort de Défense à 2% du PIB, alors que les Etats-Unis devront, probablement, faire croitre leurs investissements de Défense au delà de 4%.
Le Laser est le CIWS ultime pour les forces américaines
Il est rare de voir les trois armées américaines collaborer en matière de développement technologique. C’est pourtant bien ce qui se passe aujourd’hui afin de developper un système de défense anti-aérienne et anti-missile laser dépassant le seuil dès 300 kw au-delà duquel l’arme serait efficace contre les missiles de croisières et les missiles anti-navires non balistiques.
Les trois corps majeurs des forces armées américaines, l’US Army, l’US Navy et l‘US Air Force, partagent la même appréciation de la menace représentée par aujourd’hui les missiles à trajectoire non balistique dont dispose en grande quantité les arsenaux russes et chinois, et qui se démocratisent rapidement sur le globe. Si l’attention médiatique est aujourd’hui concentrée sur les armes balistiques hypersoniques, la réalité de la menace, à court et moyen terme, sera avant tout représentée par des missiles de croisières, des missiles anti-navires à trajectoire rasante, et des missiles anti-aériens, visant des forces, des navires ou des aéronefs américains.
De nombreuses annonces ont été faites ces dernières années, mais la puissance des systèmes testés, de 15 kw pour le MEHEL de l’US Army au 60 kw de l’hélios de l’US Navy, limite leur usage à l’élimination des drones légers, et ne permet pas d’assurer la protection des forces contre des missiles, roquettes ou obus. En outre, les technologies employées pour ces armes vont rapidement atteindre un plafond de puissance, entre 100 et 150 kw, alors que la destruction d’un missile de croisière requiert une puissance minimale de 300 kw. Dès lors, les forces US doivent développer de nouvelles architectures technologiques pour atteindre et dépasser cette puissance.
En effet, si une puissance de 300 kw est suffisante pour gravement endommager un missile de croisière passant à proximité, elle ne permettra pas de détruire ce même missile se dirigeant en direction du laser lui-même. Une puissance de 500 kw à 1 mw est justement requise pour venir à bout des radômes de protection de ces missiles dans le temps imparti eu égard à leur vitesse. En outre, il est probable que ces missiles ne seront pas lancés de façon individuelle, mais en salve, et les systèmes de défense devront donc devoir rapidement éliminer chaque missile visé pour assurer une défense efficace. Il faut, en effet, garder à l’esprit que l’énergie thermique déployée par un laser sur sa cible est conditionnée par sa puissance ainsi que par la durée d’exposition. Plus un laser est puissant, plus rapidement, il atteindra l’effet thermique requis pour éliminer sa cible. D’autant que les missiles de croisière ou anti-navires supersoniques, qui seront de plus en plus nombreux demain, particulièrement en Chine et Russie, ont un radôme conçu pour résister à l’échauffement de température engendré par le vol supersonique, et seront donc plus résistants à l’énergie thermique d’un rayon laser, alors même que la durée d’exposition potentielle ira, elle, diminuant, par la vitesse.

Au delà de la puissance de l’arme, le second écueil de la technologie laser est la production d’une alimentation électrique de puissance suffisante pour alimenter le système. Si pour un navire de combat, l‘augmentation de la puissance électrique disponible est relativement aisée, il en va tout autrement pour les avions de combat, ou les systèmes terrestres, pour peu qu’ils doivent rester mobiles. En outre, la production de l’énergie électrique suffisante à alimenter ces armes s’accompagne d’un dégagement thermique important, rendant vulnérable les systèmes laser eux-mêmes.
Face à de telles contraintes, mais également à un potentiel opérationnel susceptible de profondément modifier les équilibres technologiques militaires mondiaux, les 3 armées américaines ne sont pas de trop, et, à l’instar des programmes de systèmes hypersoniques, n’hésitent pas aujourd’hui à unir leurs forces et leurs moyens, pour accélérer les recherches et l’émergence de solutions opérationnelles, et ainsi, reprendre un avantage déterminant sur les champs de bataille. Quoi qu’il en soit, une telle conjonction de vues et d’énergie dans les forces US est à ce point rare qu’elle devrait amener les européens à accélérer, comme les Britanniques, de telles recherches, avec des ambitions comparables. Faute de quoi, l’Europe risque de faire face une nouvelle fois à un déclassement technologique radical, pouvant amener à la même dépendance que celle à laquelle elle est confrontée aujourd’hui dans le domaine des drones MALE, ou des avions à faible signature radar.
Le Strategic Strike Canon Artillery dans le programme Long Range Precision Fires
La Field Artillery Branch ou l’arme de l’artillerie de l’US Army a la volonté de développer et mettre en œuvre un canon d’artillerie d’une portée de 1000 miles, soit 1609 km de portée : le Strategic Strike Canon Artillery (SSCA). Il s’agit de l’une des composantes du programme Long Range Precision Fires proposé par l’Armée de Terre américaine afin de répondre aux nouveaux défis opérationnels de théâtres moins permissifis et de stratégies de déni d’accès.
Il est à noter que le traité INF (Intermediate-Range Nuclear Forces), ratifié conjointement par les États-Unis d’Amérique et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) en 1988, interdisait le développement et la possession de missiles balistiques et de croisière d’une portée comprise entre 500 et 5500 km. L’annonce de sa dénonciation opportune par les États-Unis d’Amérique le 1er février 2019 et par la Fédération de Russie, État successeur de l’URSS, par réplique le lendemain ouvre de nouvelles perspectives. Seul le Missile Technology Export Control Regime (MTCR) continuera à contraindre les transferts de missiles d’une portée supérieure à 300 km.

Le programme Long Range Precision Fires (LRPF) conserve le paradigme de la fourniture d’un ensemble de feu précis grâce à des munitions guidées de précision (Precision Guided Munition (PGM). Certaines atteignent même une précision métrique, norme devenue indispensable pour les défis de déconfliction quand les unités engagées sont intriquées à l’extrême avec l’adversaire, en particulier dans les environnements urbains.
Ce paradigme est donc complété par le développement de nouvelles capacités opérationnelles, issues d’améliorations matérielles et du développement de nouvelles plateformes et munitions. Le défi est de continuer à fournir ces feux pour soutenir les unités engagées dans des théâtres moins permissifs car se sont diffusées, au sein de forces militaires étatiques, voire dans des groupes armés non-étatiques, des capacités de frappe à longue portée et de précision.
La Field Artillery Branch cherche donc à renforcer la survivabilité de ses plateformes en augmentant la portée de ses tubes afin de continuer à pouvoir frapper, tout en demeurant hors de portée des capacités de contre-batterie adverses.
La réponse réside pour les plateformes actuelles dédiées à l’appui-feu des troupes au contact est donc l’augmentation de la portée de leurs munitions. De premières améliorations des capacités existantes manifesteront cette ambition avec, par exemple, le dévelopement de nouveaux obus (type Rocket-Assisted Projectiles (RAP) pour les automoteurs actuels tel le M109 Paladin afin d’atteindre les 40 km de portée contre 30 aujourd’hui.
Le programme ERCA (Extended Range Cannon Artillery) permettra d’atteindre et de dépasser les 100 km, voire 130 km de portée grâce à des munitions hypervéloces ou à ramjet et la mise à l’étude d’un nouvel automoteur XM1113 ERCA. Les feux de contre-batterie s’appuient sur les roquettes guidées Guided Multiple Launch Rocket System) tirées par les M113 MLRS (Multiple Launch Rocket System) et M142 HIMARS (High Mobility Artillery Rocket System) dont la portée sera étendue (GMLRS-ER (Extended Range). La frappe dans la profondeur profitera de la même logique d’accroissement de la portée offerte par l’ensemble formé de la plateforme et de ses munitions :
Les M113 MLRS continueront à tirer des missiles balistiques de courte portée (SRBM) MGM-168 AtacMS (Army Tactical Missile System) – Block IVA (305 km) qui seront remplacés par une évolution incrémentale : les CD AtacMS.
Par la suite le Precision Strike Missile (PrSM) – un missile hypersonique – se substituera à toutes les versions de l’AtacMS pour atteindre jusqu’à 499 km de portée. Cela signe l’influence du traité INF et il y a tout lieu de penser que sa dénonciation pourrait influencer l’objectif de portée du PrSM. L’US Army annonce en octobre 2019 vouloir revoir l’objectif de base afin d’accroître franchement la portée au-delà des 500 km. Et de futures versions sont imaginées afin de transformer toute ou partie de ces munitions en « missiles rôdeurs » (loitering munition), sorte de drones consommables aptes à mener des missions ISR et même de frapper sa cible. Il n’est pas encore dit s’il sera tiré de par les plateformes actuelles ou bien s’il impliquera le développement de nouveaux matériels.

Deux vecteurs sont à développer pour la frappe stratégique. Ces capacités visent à répondre aux défis dits « A2AD » (Anti–Access/Area Denial) théorisés depuis 2003. Il s’agit de répondre aux prétentions d’une partie des acteurs d’interdire l’accès à un théâtre ou de limiter la projection de forces et de puissance sur ce même théâtre (anti-access) ou à la zone proche ou adjacente (area denial) dans l’optique d’entraver la liberté de manœuvre de l’adversaire. Et l’exemple le plus cité est de pouvoir répondre aux fortifications d’îles et d’ilots des archipels des Paracels et des Spratleys par la Chine. La proposition de l’US Army consiste à pouvoir attaquer les capacités opérationnelles A2AD d’un théâtre où les bâtiments de l’US Navy ne pourraient pas suffisamment approcher : ni les croiseurs et destroyeurs porteurs de missiles de croisière, ni les groupes aériens embarqués des porte-avions.
Le premier de ces vecteurs prend la forme assez classique d’un missile : le Strategic Fires Missile dont la portée devrait être comprise entre 500 et 2250 km bénéficiera des esssais d’un démonstrateur en 2023 qui retiendra la voie du missile balistique mettant en œuvre un planeur hypersonique.
Mais le programme qui retient ici l’attention est le Strategic Strike Canon Artillery (SSCA) dont la portée visée doit atteindre les 1000 miles ou 1609 km. 1150 miles (1850 km) sont parfois cités.
C’est le Center for Army Analysis and the Research and Analysis Center situé au White Sands Missile Range qui doit déterminer de la faisabilité technique d’atteindre les objectifs énoncés. Des essais préliminaires sont menés au Naval Surface Warfare Center Dahlgren Division (NSWCDD), le centre qui assura les essais du démonstrateur de canon électromagnétique pour l’US Navy. Un démonstrateur du SSCA doit être présenté en 2023, ses essais détermineront s’il conviendra de passer aux étapes suivantes, du prototype jusqu’au modèle de série.
Les technologies devant être employées n’ont pas encore été précisées par les responsables du programme de l’US Army. Les munitions hypersoniques semblent investiguées dont les technologies du canon électromagnétique. La plateforme devrait être « mobile », « déplaçable » ou « relocalisable », ce qui tendrait à lui conférer une mobilité stratégique, voire opérative (au sein d’un même théâtre) mais pas tactique. Cela tendrait à condamner les technologies employant la poudre. L’exemple historique sont les recherches de l’ingénieur canadien Gerald Bull qui auraient pu culminer avec le Babylon canon de 156 mètres de longueur mais son assassinat en 1990 mis fin à ses recherches. Il s’agit aussi pour les équipes de l’Armée de Terre américaine de ne pas développer des munitions aussi coûteuses que celles du démonstrateur de canon électromagnétique de la marine américaine.
L’US Army n’est pas prête pour faire face aux brouillages chinois ou russes
Pourquoi la Russie et la Chine ont-elles toutes deux consenti à d’importants investissements en matière de guerre électronique depuis une vingtaine d’années, alors que l’opportunité de s’en servir paraissait très faible ? La réponse est donnée aujourd’hui par un panel d’experts en guerre électronique aux Etats-Unis, qui jugent que l’US Army, ainsi que l’ensemble des forces américaines, serait tout simplement rendu inopérant par la puissance du brouillage électromagnétique que les forces russes ou chinoises sont aujourd’hui capables de déployer.
Ces mêmes experts, dont certains sont des officiers d’active des 4 corps américains, estiment que le problème est aujourd’hui majoritairement ignoré par le Pentagone, qui ne cherche pas à y remédier, ni même à en faire un sujet d’intérêt, malgré certains programmes allant dans ce sens. Ainsi, les exercices nationaux et internationaux auxquels participent les forces américaines, y compris ceux de l’OTAN, sont jugés irréalistes et anormalement faciles par ces experts, avec des exemples édifiants. Comme celui où des officiers de l’US Army comme de l’US Air Force auraient requis l’arrêt du brouillage effectué par un C130 Compas Call à l’occasion de plusieurs exercices. Ce brouillage rendait la tenue de l’exercice impossible, et maintenait la force aérienne au sol … plutôt embarrassant, n’est-ce pas ? En outre, la Russie a déjà à plusieurs reprises qu’elle était capable de générer la tenue d’exercices de l’OTAN à proximité de ses frontières, simplement en brouillant le signal GPS dans la zone.

Malheureusement, les forces américaines sont parfaitement représentatives de l’ensemble des forces occidentales dans ce domaine. La Guerre électronique, comme l’ensemble des actions sur le spectre électromagnétique, ont été parmi des premières capacités opérationnelles délaissées sur l’autel des « bénéfices de la Paix », après l’effondrement du bloc soviétique. En quelques années, le sujet était sorti des préoccupations des états-majors et des gouvernants politiques, et aucun pays européen ne dispose aujourd’hui d’appareils spécialisés dans le brouillage électronique. Etonnement, la Russie, qui pourtant traversait alors une crise économique et sociale historique dans les années 90 et 2000, a maintenu ces mêmes compétences, et la Chine les développait de son coté. A titre d’exemple, nombreux sont ceux, en Europe, qui estiment que les systèmes de défense comme SPECTRA équipant le Rafale, ou Pretorian équipant le Typhoon, suffisent à garantir la sécurité de l’aéronef et de sa mission. Les spécialistes de la question, eux, sont beaucoup plus circonspects, et estiment, comme les experts outre-atlantique, que les forces en Europe, et notamment en France, sont extrêmement vulnérables du fait de leur inconsistance sur le spectre électro-magnétique. On peut se demander si les rapports concernant les effets du brouillage d’une corvette russe à proximité des bâtiments français, qui aurait empêché deux des trois frégates FREMM de tirer leurs missiles MdCN, sont à ce point fantaisistes, considérant les positions exprimées de ces mêmes experts …
La vulnérabilité électromagnétique des forces occidentales n’est, en fait, qu’un des aspects de leur vulnérabilité globale, et de leur faiblesse dès lors qu’elles devraient affronter un adverses technologique dans le domaine de la guerre conventionnelle. Formatées par les multiples campagnes contre des adversaires non technologiques en Afghanistan, en Irak ou au Mali, convaincus de leur supériorité technologique et doctrinale après les guerres d’Irak (90) et de Yougoslavie, les forces occidentales ont évolué pendant 30 ans dans l’ombre de leur propre légende autoproclamée, sans tenir compte des évolutions et progrès de pays potentiellement compétiteurs, la Russie et la Chine. C’est toute la réflexion stratégique occidentale qui est défaillante dans ce domaine, la même défaillance que celle qui mena les forces françaises et britanniques à la défaite en 1940 face à une Allemagne nazie qui, en moins de 10 années, avait conçu un outil militaire et une doctrine pour venir à bout d’une armée franco-britannique pourtant plus puissante, mais figée dans ses certitudes.
Des canons électromagnétiques pour la marine turque ?
Deux démonstrateurs de canon électromagnétique (ou railgun en anglais) furent présentés par des entreprises turques aux éditions 2017 et 2019 du salon IDEF (International DEfence Industry Fair). Ils peuvent tous les deux être des « game changer » pour la défense aérienne, le combat naval et la frappe dans la profondeur, voire stratégique, en mer Méditerranée s’ils pouvaient équiper des bâtiments de guerre turque au milieu des années 2020.
F16V, Su35 : l’Indonésie veut les deux, mais ne les aura probablement pas
A l’occasion d’un déplacement sur la base aérienne de Roesmin Nurjadin à Pekanbaru, capitale régionale de la province de Riau, le chef d’Etat-Major de l’Armée de l’AIr indienne, l’Air Marshal Yuyu Sutisna, a déclaré que l’Indonésie ferait l’acquisition de 2 escadrons de F16 block 72 Viper à l’occasion du plan d’équipements 2020-2024, avec une augmentation de 16% du budget des armées pour l’année 2020. Ces appareils seront destinés à renforcer les 33 F16 déjà en service, acquis au cours du programme nommé Peace Bima Sena I durant les années 1990 et complétés par un don de 24 appareils d’occasion par les Etats-Unis l’année dernière. Parallèlement, il a indiqué que le pays de doterait également de Su35 d’ici 5 ans, une commande en négociation depuis prés de 4 ans désormais avec Moscou, pour remplacer ses Su27.
Depuis son indépendance, en 1949, l’Indonésie, sous l’influence de son président Soekarno, avait été un des piliers du mouvement tiers-mondistes des non-alignés. Il a notamment accueilli la conférence de Bandung en 1955, où avec l’Inde de Nehri, la Chine de Zhu Enlai et l’Egypte de Nasser, il déclara le non alignement du pays vis-à-vis des deux blocs de la guerre froide. Alternativement plus proche de l’Union Soviétique et des Etats-Unis, Jakarta a toujours tenté de maintenir un certain équilibre dans les fournisseurs d’équipements de défense pour ses forces armées. C’est ainsi que dans les années 60 et 70, des A4 Skyhawk américains et des Vampire britanniques côtoyaient des Mig 17, 19 et 21 soviétiques sur les bases du pays.
Mais aujourd’hui, avec une situation politique différente, rien ne garantit que Jakarta puisse arriver à ses fins. Il est en effet peu probable, en l’état de la législation CAATSA, que Washington autorise la vente de 2 escadrons de F16 block72 Viper, les plus évolués des F16 disposant notamment d’un radar AESA et d’une électronique de bord très moderne, alors que le pays envisage d’acquérir simultanément 11 Su-35 russes. En avril 2019, l’annonce faite par Le Caire de son intention de se doter de Su-35 avait ainsi provoqué une vive réaction des autorités américaines, qui avait menacé de représailles l’Egypte et ses forces armées. De même, les revirements dans les déclarations des autorités turques concernant l’acquisition de l’appareil auprés de Moscou ces derniers jours sont la conséquence directes des menaces américaines dans le domaine. Seule l’Inde, et son immense marché de plus de 110 chasseurs légers, pour lequel Lockheed-Martin propose le F21, une version du F16 block72 spécifique aux besoins indiens, semble aujourd’hui immunisée contre le CAATSA, et ce malgré l’acquisition de 5 régiments de S400.
Cependant, cette stratégie sans grande nuance des Etats-Unis commence à se retourner contre sa propre industrie, et ses propres intérêts. Ainsi, certains pays commencent à s’associer pour palier la possible mise sous embargo des équipements et pièces détachées des systèmes d’armes américains. C’est le cas, par exemple, de la Turquie et du Pakistan, mettant en oeuvre ensemble une flotte de prés de 400 F16, qui collaborent de plus en plus intensément dans ces domaines pour la maintenance et l’évolutivité des aéronefs. La Russie, quand à elle, a commencé à mettre en oeuvre des protocoles de paiement alternatifs permettant de se passer du recours au Dollar et au virement internationaux SWIFT américains pour exécuter ses commandes. De fait, l’intransigeance du CAATSA est en train de produire plus d’effets négatifs que d’effets positifs, et il est possible qu’assez rapidement, cette législation soit amendée, ou tout simplement supprimée, à l’occasion, par exemple, de la prochaine mandature présidentielle américaine qui commencera en 2020.

Quoiqu’il en soit, il est probable que les communications concernant l’acquisition de Su35 par Jakarta seront désormais beaucoup plus rares, sans que cela n’obère de l’avancée des discussions avec Moscou. Il reste cependant à voir comment l’administration US répondra à la demande de Jakarta dans les conditions actuelles. Le choix d’un appareil moins contraint politiquement, comme le Rafale français ou le JAS 39 Gripen Suédois, aurait probablement simplifié les démarches indonésiennes.
L’Allemagne sacrifie-t-elle l’Europe de La Défense sur l’autel de l’interopérabilité avec les forces US ?
Les chefs d’Etat-Major américains et allemands viennent de signer un accord visant à développer un très haut degré d’interopérabilité entre les deux armées d’ici 2027, la semaine dernière lors de conférence annuelle des armées européennes se tenant au quartier général des forces US en Europe, à Wiesbaden en Allemagne. L’objectif affiché par le général américain James McConville et son homologue allemand, le Lt. General Jörg Vollmer, est d’atteindre une parfaite interoperabilité des forces à cette date, permettant à un régiment allemand d’être intégré dans une brigade ou une division US, ou une division d’être intégré dans un corps d’armée, avec, en point de mire, un statut comparable aux « Five eyes », les 4 alliés proches des Etats-Unis que sont le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et qui bénéficient d’une intégration complète avec les forces américaines.
La signature de cet accord, visant de tels objectifs, pose de réelles questions quand à la sincérité de l’engagement allemand vis-à-vis d’une Europe de La Défense véritablement autonome. On voit par exemple, dans la compétition pour le remplacement des F18CF canadiens, que l’appartenance aux Five Eyes (et au NORAD), est un argument massue utilisé par Washington pour imposer à son voisin l’acquisition d’appareils américains. Il en va de même vis-à-vis des pressions américaines et de l’OTAN sur Berlin pour choisir le Super Hornet pour remplacer les Tornado allemands, ou concernant les menaces répétées des Etats-Unis sur l’Union européenne concernant le PESCO. Surtout, les Etats-Unis sont devenus experts pour générer des dépendances opérationnelles apparaissant comme secondaires, et qui s’avèrent, en réalité, à ce point majeures qu’elles conditionnent toute indépendance d’action à l’échelle d’un Etat.
C’est le cas, par exemple, des capacités de renseignement et de logistique que les Etats-Unis déploient fréquemment pour un allié. On le sait, l’opération française Serval au Mali n’aurait pas pu voir le jour sans l’implication des Etats-Unis dans le flux aérien logistique vers Bamako, ainsi que dans le partage de renseignement collectés par les nombreux drones et satellites américains, ayant contribué à fournir au commandement français une vision claire de la situation, et donc de mener une manoeuvre précise et optimale. Il en allait de même au Levant, et pour les mêmes raisons. Que se serait-il passé si les Etats-Unis, pour une raison X, avaient jugé que l’opération Serval ne servait pas leurs intérêts, et avaient retiré ce soutien aux forces françaises…
En passant à l’échelle de l’interoperabilité totale avec les forces US, un pays, en l’occurence le plus puissant pays européen en matière de population et d’économie, acte donc un renoncement absolu à toute indépendance d’action militaire, car cette interoperabilité implique le respect des architectures organiques et technologiques en place dans les forces américaines, et donc créé des verrous opérationnels aux mains de la Maison Blanche et du Pentagone. En outre, elle impose également le respect des standards américains, standards qui souvent entrainent une dépendance technologique vis-à-vis de composants américains, eux mêmes soumis à l’arbitrage de Washington via la législation ITAR.

De fait, en souscrivant un tel plan, l’Allemagne va à l’encontre des objectifs d’autonomie stratégique énoncés dans le cadre de la construction de l’Europe de La Défense par A.Merkel et E.Macron. Elle se satisfait de ne jouer qu’un rôle de supplétif des forces américaines, comme c’est déjà le cas de plusieurs pays européens qui suivent la même trajectoire. Il est évident que cette décision aura également des conséquences dans les choix industriels que fera le pays en matière d’équipements de Défense, et qui devront, eux aussi, refléter cette objectif d’Interopérabilité. Ce faisant, cet accord que vient de signer le général Jörg Vollmer, pourrait également avoir des conséquences notables sur des programmes en coopération avec la France, comme le MGCS ou le SCAF.
Plus que tout, il acte que l’Allemagne, malgré sa puissance économique et démographique, et malgré la puissance potentielle que représenterait une Europe unie politiquement et indépendante militairement, préfère n’envisager sa défense que dans une dépendance renforcée vis-à-vis des Etats-Unis. Une vision qui pouvait avoir du sens durant la guerre froide, du fait de l’immense écart de forces entre le Pacte de Varsovie et les pays d’Europe occidentale, mais qui aujourd’hui, face à une Russie qui, même si elle est puissante militairement, ne représente que 25% de la population européenne, et 12% de son PIB, n’a plus lieu d’être.

Les Allemands semblent se convaincre que d’autres, en l’occurence les Etats-Unis, viendront assurer leur défense alors que eux continueront à construire des automobiles … L’épisode Syrien devrait les amener à envisager d’autres alternatives, basées sur une capacité d’autodéfense conventionnelle suffisante, et une alliance stratégique avec des pays partageant le même destin continental. Quand aux ambitions françaises en matière d’Europe de La Défense, il serait temps d’admettre que tant qu’un pays européen ne sera pas en mesure de proposer un exemple et une alternative viable à la protection US à ses voisins, aucun pays d’Europe ne dépassera les engagements de façade, pour revenir se blottir sous l’aile protectrice fantomatique des Etats-Unis…
