lundi, décembre 1, 2025
Accueil Blog Page 51

La modernisation des F-35A suisses crée des remous politiques dans le pays

Les F-35A suisses font à nouveau les gros titres de la presse helvétique. En effet, après les interrogations quant aux critères retenus lors de la compétition de 2021, pour faire de l’avion américain, son vainqueur, ce sont désormais des questions budgétaires qui viennent à nouveau ébranler ce dossier très sensible.

Ce week-end, après des révélations faites par la presse nationale, l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse), a reconnu que la modernisation des turboréacteurs P&W F135 des F-35A helvétiques, qui interviendra quelques mois à peine après la livraison du dernier appareil, serait payée par l’Armée de l’air helvétique, et ne serait pas incluse dans le contrat initial,.

Cette déclaration fait suite à de nombreuses tergiversations de la part d’Armasuisse, qui refusait de s’exprimer, explicitement, sur le sujet, provoquant l’ire de plusieurs parlementaires helvètes qui remettent en cause le pilotage du dossier par l’office ainsi que par les autorités suisses, d’autant que celles-ci refusent toujours de donner des estimations concernant les couts de cette modernisation, pour ainsi dire imposée par Lockheed Martin.

Le contrat pour l’acquisition de 36 F-35A suisses sous le feu des critiques depuis 2021

Depuis qu’il a été déclaré vainqueur de la compétition pour remplacer les F/A-18 Hornet des forces aériennes helvétiques, le F-35A suisse est devenu un sujet clivant dans le pays. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’appareil lui-même, ou ses capacités, qui sont remises en cause par ses détracteurs transalpins, que les arguments avancés par Armasuisse, l’agence gouvernementale en charge de cette compétition, et me Viola Amherd, la conseillère fédérale en charge de la Défense, qui sont visés régulièrement par des critiques sévères et des mises en cause, entourant ce dossier.

F/A-18 Hornet forces aériennes helvétiques
La modernisation des F-35A suisses crée des remous politiques dans le pays 7

Déjà, en juillet 2022, le manque de transparence de cette compétition et l’argument du prix moins élevé du F-35A face, notamment, au Rafale française, avancé pour justifier du choix de l’avion américain, avaient été vivement critiqués par plusieurs parlementaires helvétiques. Toutefois, sans que des réponses claires, à ces sujets, aient été apportées, le Parlement helvétique avalisa le contrat avec Lockheed Martin, quelques mois plus tard.

Pour les défenseurs du dossier, il n’y avait pas d’inquiétude à avoir, même si le prix du F-35A était fluctuant, et que certains pays pouvaient faire face à des surcouts importants. En effet, Bernes avait obtenu de l’avionneur américain, et de Washington, une garantie de prix fixes, pendant les cinq années suivant l’entame de l’exécution du contrat.

Les F-35A suisses seront donc bel et bien vendus au prix négocié, sans mauvaise surprise. Du moins, était-ce ainsi que le dossier fut présenté aux parlementaires. Quelle ne fut pas leur surprise, il y a quelques jours, lorsque Armasuisse confirma que les F-35A helvétiques devront, à partir de 2029, soit quelques années, voire quelques mois après leur livraison, subir une modernisation majeure, en particulier concernant le turboréacteur F135.

Et surtout de découvrir que cette modernisation importante, et donc certainement couteuse, sera supportée par le budget fédéral helvétique, car entrainant une facturation supplémentaire…

À peine livrés, les F-35A helvétiques devront moderniser le turboréacteur F135, et ce sont les suisses qui paieront

En effet, comme l’ensemble des F-35A livrés à cette date, les avions de combat suisse devront en passer par une importante phase de modernisation, à peine seront-ils livrés aux forces aériennes helvétiques. Il s’agira, entre autres choses, de moderniser le turboréacteur P&W F135, qui rencontre, de l’aveu même de Lockheed Martin, certains dysfonctionnements venant détériorer les performances et la fiabilité de l’appareil.

F-135 turboreacteur Postcombustion F-35A
La modernisation des F-35A suisses crée des remous politiques dans le pays 8

Pas question, donc, comme l’avait laissé entendre Armasuisse lors des audiences de 2022, de choisir si cette modernisation est nécessaire, ou non, pour le F-35A, d’autant qu’elle est imposée par Lockheed et les États-Unis à ses alliés militaires, pour une question d’homogénéité des forces aériennes.

De fait, les F-35A suisses n’auront d’autres choix, que d’en passer par cette modernisation qui, intervenant après la livraison des chasseurs helvétiques, sera, de fait, facturée en prestations supplémentaires, aux autorités du pays, sans que les lignes de crédits nécessaires aient été planifiées à ce jour.

On comprend le désarroi des parlementaires helvétiques face à cette découverte, et la colère de ceux qui, dès 2021, avaient alerté sur l’insincérité des arguments avancés par Armasuisse et Me Amherd, pour justifier de cet arbitrage, arguant du fait que l’appareil américain était « le moins cher, quel que soit le point de vue« , ce qui provoqua une colère outrée et sincère, cette fois, de la part des avionneurs européens, Dassault aviation en tête.

Ce d’autant qu’Armasuisse refuse de donner un prix prévisionnel, ou ne serait-ce qu’une estimation des couts, de cette mise-à-jour qui, pourtant, pourrait fort bien devoir être intégrée dans le tableau comparatif des couts, ayant justifié de cet arbitrage en 2021.

La sincérité de la compétition pour le remplacement des F/A-18 Hornet suisses remise en question politiquement, et par l’opinion publique.

De fait, pour beaucoup de parlementaires helvétiques, la sincérité de la compétition organisée en 2021, et surtout, les critères retenus pour attribuer la victoire au F-35A, flirtent avec l’insincérité, n’hésitant pas à comparer ce dossier avec celui des Mirage III helvétiques, qui avait, lui aussi, fait l’objet de malversations, et qui fut à l’origine d’un immense scandale politique dans le pays.

Mirage III suisse
La modernisation des F-35A suisses crée des remous politiques dans le pays 9

Il faut dire que le sujet est particulièrement sensible dans le pays. Ainsi, le dernier référendum de 2020, sur la nécessité, ou non, d’acquérir de nouveaux avions de combat pour remplacer les Hornet et Tiger II toujours en service, certains en vol depuis plus de 50 ans, n’avait obtenu que 50,1 % des voix en faveur de cet investissement, faisant de l’argument du prix, le pivot de la compétition.

Or, tout indique que l’offre de Lockheed Martin, a été spécialement taillée pour répondre à ce plafond, quitte à éliminer des couts complémentaires, qui devront nécessairement apparaitre ultérieurement. Ainsi, pour réduire le prix de possession du chasseur, LM a intégré dans son offre davantage d’heures de simulateurs, et moins d’heures de vol, sans que le même abaque ait été transmis aux autres avionneurs européens.

Dès lors, la possibilité d’une connivence entre Armasuisse, le gouvernement helvétique, Lockheed Martin et les États-Unis, a souvent été évoquée dans ce dossier, certains jugeant qu’Armasuisse a adapté dynamiquement ses critères de notation et d’évaluation, en faveur de l’avion américain. Le fait que ni Armasuisse, ni Me Amherd, n’aient jamais accepté de rendre publics les documents entourant l’appel d’offres et les critères de sélection, renforcent ce sentiment désormais bien ancré dans une partie des esprits suisses.

F-35A suisse
La modernisation des F-35A suisses crée des remous politiques dans le pays 10

Ce d’autant que, depuis la compétition, il est devenu évident que le F-35A ne pouvait nullement être considéré comme plus économique qu’un Rafale, un Eurofighter Typhoon, et encore moins, qu’un Gripen. En effet, si le chasseur américain propose, en effet, un prix catalogue sorti d’usine légèrement inférieur à celui du Rafale, ses couts de possession, en revanche, sont deux fois plus élevés, avec une heure de vol à 30 000 $, contre 15 000 pour l’avion français.

Sur la durée de vie d’un chasseur de 30 ans, pour une utilisation moyenne de 150 heures de vol par an, l’écart de prix, en USD 2024, atteint 67,5 m$, soit 75 % du prix d’achat de l’avion. Difficile, dans ces conditions, de justifier d’un prix inférieur du F-35A face au chasseur français, avec un cout global de possession simplifié de 270 m$ pour le chasseur américain, contre 200 m$ pou le français, hors modernisation et munitions.

Les évolutions du F-35 ont déjà fait grincer beaucoup des dents dans le monde

C’est pourtant bien cette modernisation post-livraison des F-35A suisses, qui représente, aujourd’hui, le casus belli entre les parlementaires helvétiques, Armasuisse et Me Amherd. La Suisse n’est, d’ailleurs, pas la seule à devoir faire face à des tensions parlementaires et budgétaires, en raison des modernisations de l’avion de Lockheed Martin.

Ainsi, en décembre 2023, un rapport du Service National des Audits Norvégiens, l’équivalent de la cour des Comptes, provoqua un petit séisme dans le pays, en révélant des couts de possession et de mises à jour des F-35A norvégiens, seraient très supérieurs aux estimations communiquées jusqu’ici par le gouvernement et le ministère de la Défense. Pire encore, l’estimation définitive des couts est rendue impossible, par l’absence de coopération du ministère de la Défense dans ce domaine.

F-35A norvège
La modernisation des F-35A suisses crée des remous politiques dans le pays 11

Notons, de manière intéressante, que les autorités norvégiennes avaient dû publier plusieurs communiqués pour justifier des prix d’achat et de possession supérieurs de ses F-35A, par rapport aux prix annoncés par les compétitions belges et surtout suisses. Le ministère de la Défense norvégien avait, alors, laissé entendre que les prix annoncés avaient été artificiellement réduits en Suisse, et qu’ils augmenteraient nécessairement par des facturations complémentaires, dans les années à venir.

Le problème des couts de modernisation du F-35 s’est d’ailleurs posé dans la plupart des pays opérant le chasseur américain, en particulier pour ceux qui avaient reçu les versions les plus anciennes, comme les Pays-Bas, l’Australie, la Grande-Bretagne ou encore la Corée du Sud.

Ce sujet a, par ailleurs, été plusieurs fois mis à l’index par le Government Accountability Office, ou GAO, l’équivalent américain de la cour de comptes. Dans son dernier rapport, le bureau indique notamment que les couts de possession des quelque 2,500 F-35 devant être acquis par l’US Air Force, l’US Navy et l’US Marines Corps, sont passés de 1,100 Md$ en 2018, à 1,530 Md€ en 2023, soit une hausse de 44 % en 5 ans. Acquisitions comprises, le programme F-35 coutera plus de 2,000 Md$ (en $ 2024), au budget fédéral américain, soit un prix par appareil de 800 m$, R&D initiale comprise, et de 720 m$, hors R&D.

L’influence des hausses de prix sur les ventes de F-35 est négligeable

De fait, tout indique, aujourd’hui, que le F-35 sera, dans les années à venir, une véritable bombe à retardement budgétaire pour les armées qui en seront dotées, celles-ci n’ayant d’autres choix que de suivre le La donné par Lockheed Martin dans ce domaine. Ce phénomène est d’autant plus marqué par la stratégie commerciale appliquée par Lockheed, très inspirée de celle conçue initialement par Xerox dans les années 70, avec des équipements à prix très attractifs, et des consommables beaucoup plus chers.

Assemblage F-35 Lockheed-Martin
La modernisation des F-35A suisses crée des remous politiques dans le pays 12

C’est d’ailleurs, en l’occurrence, ce qui inquiète les parlementaires suisses, craignant que ces surcouts ne se fassent au détriment d’autres programmes indispensables des armées de la confédération.

Pour autant, les ventes de F-35 ne montrent aucun signe de ralentissement, bien au contraire, y compris vers des pays disposant de moyens limités, comme la République tchèque et ses 300 Md$ de PIB, qui a annoncé, il y a quelques semaines, une commande de 24 F-35A, pour 6 Md€, à comparer aux 6 MdCHF (6,1 Md€) pour 36 F-35A en Suisse… D’autres pays, comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne, préparent même des commandes supplémentaires de F-35, en dépit des risques budgétaires.

La détérioration des tensions internationales, en particulier en Europe, et le statut de standard de fait obtenu par le F-35 dans la sphère de protection américaine en Europe (OTAN) et dans le Pacifique (Japon, Corée du Sud, Singapour, Australie), jouent évidemment un rôle déterminant dans ce domaine, ce d’autant que le F-35 étant le seul chasseur occidental conçu pour opérer dans un environnement lourdement contesté à ce jour.

Pour autant, les conséquences sur le budget des armées clientes de Lockheed Martin, dans les années à venir, seront certainement très importantes, obligeant ses utilisateurs à accroître sensiblement les investissements de défense, ou à renoncer à d’autres capacités clés. Pas sûr, dans ces circonstances, que les bénéfices apportés par le F-35 aujourd’hui, justifient pleinement ces renoncements à venir, en Suisse comme ailleurs.

Pourquoi le chef d’état-major d’Estonie anticipe-t-il une possible offensive russe d’ici à 2 ou 3 ans ?

Deux à trois ans ! C’est le délai que donne, aujourd’hui, le chef d’état-major estonien, comme son homologue suédois, pour moderniser et préparer leurs forces armées, afin de faire face à une possible offensive russe contre leur pays respectif.

C’est en tout cas ce qui ressort d’une analyse publiée par le site américain breaking-defense.com, et qui montre la réelle fébrilité des chefs de ces armées, pour anticiper ce qu’ils perçoivent, ensemble, comme une menace à la fois très sensible et potentiellement létale pour leur pays.

Dans le même temps, l’analyse montre que dès que l’on s’éloigne des frontières russes, les autres membres de l’OTAN, y compris aux États-Unis et au Royaume-Uni, sont bien moins alarmistes et inquiets, au point de questionner même la réalité de la menace russe à moyen terme, contre un pays membre de l’Alliance Atlantique.

Comment expliquer ces divergences de perception au sein même de l’OTAN, alliance qui partage pourtant un grand nombre d’informations, en particulier au sujet de la Russie ? Surtout, si tant est que l’on puisse le déterminer, laquelle de ces deux perceptions, apparait la plus crédible aujourd’hui ?

Le chef d’état-major d’Estonie et de Suède estiment que la menace russe sur leur frontière sera critique d’ici à 2 ou 3 ans.

Pour le général Martin Herem, qui était le chef d’état-major des armées estoniennes jusqu’au 1ᵉʳ juillet 2024, les risques que la Russie lance, dans les années à venir, une offensive contre son pays, peuvent être modélisés avec une expression mathématique simplifiée, ayant pour paramètre le moment de la fin des combats en Ukraine, une simplification de la capacité russe pour produire les équipements et entrainer les forces nécessaires pour atteindre cet objectif, l’agrégation des facteurs intérieurs et extérieurs s’appliquant à la Russie, et l’État de préparation de l’Estonie, et de l’OTAN.

Chef d'état-major d'Estonie général Martin Herem
Le chef d’état-major d’Estonie, le général Martin Herem

Si l’expression du général estonien peut sembler obscure, voire contestable dans sa formulation, ces paramètres recoupent exactement ceux identifiés dans un article publié sur Meta-defense en janvier 2024, intitulé « L’OTAN peut-elle être attaquée par la Russie en 2030« .

Or, dans cette expression, il apparait que le seul paramètre pour retarder, voire pour rendre inaccessible l’échéance d’une attaque russe, dans les mains de Tallinn, repose sur l’état de préparation des armées estoniennes, et dans une moindre mesure, celle des armées de l’OTAN.

On comprend, dans cette perspective, pourquoi l’Estonie, comme ses voisins Baltes, qui partagent la même lecture, car la même destinée, a l’un des efforts de défense les plus élevés de l’OTAN, avec 3,2 % de son PIB, mais aussi pourquoi le pays soutient avec autant d’ardeur l’Ukraine, précisément pour décaler dans le temps, le début du compte à rebours de la reconstruction mortelle des armées russes.

Quoi qu’il en soit, en l’état des paramètres connus à ce jour, le général Herem estime que son pays a, aujourd’hui, 2 ou 3 ans devant lui, pour se préparer à absorber le choc russe, estimation par ailleurs partagée par le Chefs d’état-major suédois, et qui semblent aussi proches de celles faites par les autres pays baltes, et la Pologne.

Les occidentaux de l’ouest beaucoup moins pessimistes quant à la menace russe sur l’OTAN

À l’inverse, plusieurs autres analystes et chefs d’État-majors occidentaux, ne semblent pas du tout avoir la même lecture de la dynamique en cours en Europe de l’Est. Ainsi, les services de renseignement allemand avaient estimé, il y a peu, que la fenêtre de risques élevés, avec la Russie, pourrait débuter d’ici 4 à 5 ans, ceci ayant d’ailleurs conduit, depuis, à une évidente accélération de l’effort de préparation opérationnelle de la Bundeswehr.

leopard 2 finlande
Les armées finalndaises estiment qu’il ne reste, aujourd’hui, face à elles, en Russie, que trois brigades ramenées à l’echelle d’une Compagnie, ne représentant donc aucune menace immédaite. Toutefois, elles affirment que la situation peut très rapidement et radicalement évoluer.

Pour les armées finlandaises et norvégiennes, le risque d’une offensive russe à « court terme » est très limité, bien que l’on comprenne, dans leurs propos, que leur lecture du court terme est beaucoup plus imminente que pour le général estonien. Ainsi, pour expliquer cette confiance relative, les chefs d’état-major des deux pays nordiques, mettent en évidence la faiblesse du dispositif militaire russe déployé face à leurs frontières, largement conditionné par la guerre en Ukraine.

Le ton est radicalement différent concernant l’amiral Tony Radakin, chef d’état-major des armées britanniques. Selon lui, il faudra dix ans ou plus, après la fin du conflit en Ukraine, pour que les armées russes retrouvent le volume qui était le leurs, en février 2022, avant l’offensive contre Kyiv, tout en rappelant que ces armées n’avaient pas spécialement brillé pendant les premiers mois de guerre.

De manière intéressante, on remarque d’ailleurs, en Europe, que l’effort de défense des pays semble être aujourd’hui une fonction relativement linéaire n’ayant pour seul paramètre, que l’éloignement des frontières russes, et le point de départ de l’effort de réarmement.

Ainsi, on retrouve parmi les pays consacrant le moins à leurs armées, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Belgique, des pays qui, de toute évidence, ne se sentent aucunement menacés par le réarmement russe, et qui, d’ailleurs, paraissent parfois construire l’augmentation de leur effort de défense davantage au bénéfice de leur industrie, que de leurs armées.

F-35 Italie
Certains pays de l’OTAN, comme l’Italie, semblent davantage préoccupés par leurs investissements indsutriels et défense et leurs exportations, que par le renforcement effectif de leurs capacités militaires.

Quant aux États-Unis, force est d’admettre, à présent, que l’évolution de leur effort de défense, est presque exclusivement orienté vers la Chine et le théâtre Indo-pacifique, alors que le théâtre européen ne constitue plus le théâtre principal et structurant dans ce domaine.

Les facteurs qui expliquent l’analyse divergente concernant la menace russe

Toute la question, à présent, est de comprendre les raisons de ces divergences aussi majeures quant à l’urgence du risque, et la réponse qu’il convient d’y apporter, y compris dans le cadre de l’OTAN, entre les pays frontaliers de la Russie et la Biélorussie, et ceux qui en sont plus éloignés.

L’expérience de l’irrationalité rationnelle de l’exécutif russe

En premier lieu, force est de constater que plus les pays ont été proches de la Russie dans leur histoire récente, plus ils semblent enclins à avoir une lecture pessimiste des événements à venir.

C’est en particulier le cas des Pays baltes qui, comme l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie ou l’Arménie, appartenaient à l’Union Soviétique jusqu’en 1991. Ce faisant, les populations ont expérimenté, pendant plusieurs décennies, l’organisation de la prise de décision aux plus hauts sommets de l’État russe, et, d’une certaine manière, l’irrationalité rationnelle des dirigeants du pays.

Rappelons, par exemple, qu’en janvier et février 2022, beaucoup de services de renseignements et de dirigeants européens, refusaient de croire qu’une offensive russe était véritablement en préparation contre l’Ukraine. Et pour cause ! Tout indiquait, alors, qu’une telle opération militaire, avec les moyens déployés par l’armée russe, était très risquée, même face à l’état apparent d’impréparation des armées ukrainiennes.

vladimir Poutine
Difficile de déterminer la part d’irrationalité, de mauvaise informations et d’erreurs d’appréciations, dans les decisions de Vladimir Poutine, ayant conduit à l’offensive contre l’Ukraine.

Pourtant, non seulement le président et l’état-major russes ont-ils lancés l’offensive, mais ils semblaient sincèrement persuadés de l’effondrement rapide des défenses ukrainiennes, et d’un accueil si pas chaleureux, en tout cas, indifférent, des populations.

Pour autant, une fois les erreurs initiales admises et assimilées, les armées russes ont su se réorganiser derrière des lignes défensives bien préparées, que la contre-offensive ukrainienne n’a pas réussi à percer, en dépit de l’aide des occidentaux. Et si les manœuvres russes ont couté la vie à des dizaines de milliers d’hommes, Moscou ne semble pas rencontrer de difficultés pour renouveler ses effectifs, ni ses équipements d’ailleurs.

De fait, les pays baltes, mais aussi, dans une mesure moindre, les ex-membres du Pacte de Varsovie, ont une certaine compréhension intuitive de la prise de décision en Russie, et ainsi, savent que les grilles d’analyses employées en occident, y compris au sein de l’OTAN, pour évaluer le risque, sont parfois d’autant plus incomplètes, que la Russie n’a plus, en son sein, le paramètre modérateur que constituaient les républiques soviétiques, et le Politburo, durant la guerre froide.

On retrouve d’ailleurs cette perception décalée du raisonnement au plus sommet de l’État russe, dans le discours des dirigeants politiques des pays Baltes, comme Kaja Kallas, l’ancienne première ministre estonienne devenue cheffe de la diplomatie européenne il y a quelques jours de cela.

La perception du risque de champ de bataille

Le second paramètre expliquant la lecture radicalement différente du risque russe, pour ces pays, n’est autre que celui du champ de bataille. En effet, en cas d’offensive russe contre l’OTAN, les pays Baltes, la Pologne, ou encore la Finlande et la Suède, seront non seulement les premiers frappés, mais ce sont également eux qui serviront de champ de bataille aux affrontements entre les armées russes et l’OTAN.

frontière lituanie
La protection des fronitères des pays baltes représente aujourd’hui un enjeu plus que vital pour ces trois pays de moins de 3 millions d’habitants chacun.

Une telle perspective, pour de petits pays comme l’Estonie, la Lettonie ou la Finlande, avec de 1,3 à 5,5 millions d’habitants, induirait probablement des dommages aussi profonds qu’irréparables, venant menacer jusqu’à l’avenir même de la nation et de son peuple.

De fait, pour ces pays, il ne s’agit pas simplement d’avoir l’assurance d’une victoire militaire contre les armées de Moscou, en cas d’offensive russe, il s’agit, avant tout, de tout faire pour qu’en dépit de l’irrationalité de la décision au Kremlin, les armées nationales et la protection offerte par l’OTAN, s’avère effectivement à ce point dissuasive, qu’elle sera écartée par l’exécutif russe.

Une perception élargie de la définition de l’agression russe

Les pays d’Europe de l’Est et du nord ont, également, une perception plus étendue et directe, de l’amplitude des moyens mobilisables par Moscou, pour mener une campagne d’agression contre eux.

C’est en particulier le cas des pays Baltes, qui abritent, aujourd’hui encore, 900000 ressortissants russes parmi les 6 millions de personnes résidents dans ces trois États, soit 15 % de la population totale.

Cette population est d’autant plus mobilisable, au travers d’actions de déstabilisation, de désinformation et de manipulations russes, que longtemps, elle fut elle-même considérée comme de second rang par les baltes eux-mêmes, jusqu’à ce que l’Union européenne vienne mettre bon ordre à cela, après leur adhésion en 2004.

Manifestation pro-russe en lettonie
Les populations russes représentent 15 % de la population des pays baltes, et peuvent être manipulées pour engendrer des désordres majeurs, voire pour justifier une intervention russe.

En outre, les pays baltes ont été, à plusieurs reprises, la cible de menaces directes, ainsi que d’actions hybrides comme des cyberattaques massives, menées de Russie, ceci ayant entrainé d’importants dysfonctionnements étatiques et économiques, sans d’ailleurs que l’OTAN ne réagisse directement.

Une confiance raisonnée dans la réponse de l’OTAN à une menace russe

De fait, les baltes, bien que pleinement investis au sein de l’OTAN, ont une confiance limitée, ou tout du moins, raisonnée, concernant l’efficacité de l’Alliance Atlantique, et son caractère dissuasif sur les décideurs russes. Et ce, non sans raison.

Ainsi, jusqu’il y a peu, les plans défensifs de l’alliance, en cas d’attaque russe contre les pays baltes, considérait que les trois pays seraient initialement perdus lors de l’offensive initiale russe, puis repris, après six mois, par la contre-offensive alliée.

Ces plans n’étaient pas particulièrement dédaigneux face au destin des baltes, mais ils prenaient en compte les délais nécessaires aux armées de l’OTAN, pour se mettre en position de reprendre le terrain perdu, et de libérer les pays capturés.

Depuis, la situation a sensiblement évolué, avec le déploiement de trois bataillons mécanisés armés par les alliés de l’OTAN, en permanence pour défendre les Pays Baltes, le déploiement prochain d’une brigade mécanisée allemande en Lituanie, pour protéger le corridor du Suwalki, et la constitution d’un corps de réaction rapide de l’OTAN fort de 300.000 hommes, pour répondre rapidement à une situation de crise.

NATO Steadfast 2021 exercice
L’OTAN s’est dotée d’une force de reaction rapide de 300 000 hommes , pour intervenir face à un potentiel risque d’agression russe contre un ou plusieurs de ses états membres.

De fait, désormais, les baltes savent que pour dissuader la Russie, il faut, et suffit, d’assurer une résistance ferme le temps que ces capacités de riposte rapide soient déployées, ce qui, là encore, dépend de leur propre effort de défense, et donc de leur propre perception.

À l’inverse, les européens de l’ouest, comme les américains et canadiens, tendent à estimer que le Corps de réaction rapide assure une réponse suffisamment rapide, pour prévenir une attaque russe, ou, tout au moins, pour la contenir et la repousser rapidement, sachant qu’il n’existe aucun doute sur la victoire finale occidentale, dans une telle hypothèse.

Résister à la sidération et au découragement européen initial

Bien que non évoqué, ni directement, ni indirectement, dans le discours des officiels civils et militaires baltes, un dernier paramètre doit, très certainement, être pris en compte, dans la conception des plans défensifs des pays frontaliers de la Russie, et dans l’urgence de leur application. Et celui-ci a probablement pris naissance en Ukraine, en février 2022.

En effet, lors des premiers jours de l’offensive russe contre Kyiv, l’immense majorité des chancelleries européennes et occidentales, y compris à Washington, ont été, pour ainsi dire, prises de sidération, et incapables de réagir en soutien aux défenseurs ukrainiens.

À ce moment-là, la certitude d’une victoire rapide des armées russes, semblait avoir annihilé toute volonté d’aider les ukrainiens, en dehors d’une évacuation des autorités et de l’accueil des réfugiés. Ce n’est qu’après ce premier choc passé, et que les armées ukrainiennes soient parvenues à enliser l’offensive russe au nord de Kyiv et de Kharkiv, qu’Européens et américains ont commencé à transférer des armes et des munitions à Kyiv.

Resistance zelensky ukraine fevrier 2022 Kyiv
Lé résistance des militaires ukrainiens et la détemrination de zelensky, aux premiers jours de l’offensive russe, ont donné le temps necessaires aux eiropéens pour se ressaisir, et engager le soutien militaire, humanitaire et economique, à l’Ukraine.

Cette période de flottement a été certainement mal exploitée par Moscou et les armées russes dans les premiers jours de l’offensive. Mais il est aussi certain que l’état-major russe en a tiré des enseignements, qu’il pourra mettre en œuvre, par ailleurs.

On peut raisonnablement penser que les dirigeants baltes, scandinaves ou polonais, ont tiré, eux aussi, les leçons de cet épisode, en acquérant la certitude qu’il reviendra, à eux, comme à leurs armées, de résister à cette première offensive, suffisamment longtemps pour passer outre cette sidération initiale qui paralysera jusqu’à l’OTAN elle-même, on peut le craindre.

Ce d’autant qu’une offensive russe contre un ou plusieurs pays baltes, s’accompagnera, sans le moindre doute, d’une puissante campagne de désinformation et de manipulation, pour faire naitre le doute sur l’opportunité de s’impliquer dans ce conflit, en particulier chez pour les européens de l’ouest, dont une partie de l’opinion publique est particulièrement malléable et sensible à ce type de désinformation.

Conclusion

On le comprend, l’analyse quant à la durée de la fenêtre d’opportunités, pour permettre aux armées européennes de se préparer à encaisser le choc russe, dépend de nombreux facteurs, eux-mêmes liés tant à l’histoire qu’à la géographie des pays.

Ainsi, plus les pays sont proches de la frontière russe ou biélorusse, plus ils perçoivent le risque d’une offensive contre eux-mêmes, et non contre l’OTAN, menées par Moscou, ce d’autant qu’ils craignent de devenir le champ de bataille d’un affrontement entre les forces armées alliées et celles de la Russie, dont on a pu être témoin des exactions en Ukraine.

armée estonienne
Les armées estoniennes se modernisent et se renforcent très rapidement, pour soutenir un possible choc miltiaire russe, et surtout pour dissuader tout aventurisme dans ce domaine de la part de Moscou.

Les pays ayant un passé politique avec la Russie ont, pour leur part, une perception accrue de l’irrationalité qui peut conditionner les décisions de l’exécutif russe, ce d’autant qu’ils ont, parfois, certaines faiblesses mobilisables ou exploitables pour prêter le flan à ces offensives, ou les justifier, comme les populations russes ou russophones qu’ils abritent.

Enfin, ces pays ont pu observer la dynamique de soutien des pays occidentaux avec l’Ukraine en 2022, en particulier lorsque les chancelleries européennes ont hésité plusieurs jours avant de prendre fait et cause pour Kyiv, pour ne pas se retrouver impliqués dans un conflit avec la Russie, même indirectement.

Les pays baltes, eux, cumulent ces trois aspects, avec des frontières directes avec la Russie et la Biélorussie, une parfaite connaissance de la Russie et des dirigeants russes, pour avoir appartenu à l’Union Soviétique, et avec une position excentrée, une faible antériorité et un poids politique, démographique et économique, relativement faibles en Europe, pour justifier d’une réaction immédiate et massive des alliés, en cas d’agression.

On comprend, dans ce contexte, pourquoi les armées estoniennes, lettones et lituaniennes, ne peuvent se permettre la moindre approximation dans leurs évaluations et constructions défensives, tant la moindre faiblesse, pourrait leur couter le pays. Ceci explique, très certainement, la différence d’appréciation des différents paramètres constituant l’expression de la fenêtre d’action pour anticiper à ce choc potentiel, et surtout, pour se montrer suffisamment dissuasif afin de l’empêcher.

Estonian army defensive position
Militaires estoniens lords d’un exercice de l’OTAn en 2023. (Photo by Jaap Arriens / AFP)

Quant à savoir qui a raison, et qui a tort, il est tout simplement impossible, aujourd’hui, de répondre à cette question avec une marge d’erreurs suffisamment faible, tant le nombre de variables est élevé, et leur évaluation incertaine. Tout dépend, en réalité, s’il s’agit effectivement de strictement dissuader la Russie d’une agression potentielle, de manière certaine, ou de concentrer son attention sur la protection de ses propres frontières, et la capacité de riposte globale de l’alliance, face à une offensive russe.

Ce sont les réponses à ces questions, qui conditionnent la bonne réponse à l’interrogation initiale, de savoir à quelle date la Russie sera, ou ne sera pas, en position pour attaquer l’OTAN, ou l’un de ses pays membres, car tout dépend s’il s’agit de déterminer les seuils pour atteindre une réponse moyenne acceptable, ou si, au contraire, il s’agit d’assurer son intégrité territoriale et la protection de sa population. On comprend, dès lors, les écarts qui existent entre les estimations estoniennes, allemandes, britanniques et américaines, dans les réponses, certitudes et postures, à ce sujet.

L’arrivée du J-31B Gyrfalcon dans les forces aériennes chinoises se précise

Depuis le premier vol d’une version navale du FC-31, baptisée « J-35 » par les médias, pour en souligner la proximité avec le F-35 américain, l’attention de la presse spécialisée entourant ce nouvel appareil, a longtemps été focalisée sur cette version destinée à embarquer à bord du nouveau porte-avions Type 003 Fujian, et peut-être sur les deux porte-aéronefs CATOBAR de la Marine chinoise.

En début d’année 2024, toutefois, les autorités pakistanaises annoncèrent leur intention d’acquérir un escadron de chasseurs de 5ᵉ génération FC-31 auprès de la Pékin, après avoir acquis 2 escadrons de J-10C et 36 appareils en 2022, laissant supposer qu’une version terrestre de l’appareil était toujours en développement.

Au-delà des réserves qu’il convient d’avoir autour des annonces d’Islamabad, d’autant qu’elles n’avaient pas été officiellement par Pékin, se posait alors la question d’une éventuelle version terrestre du FC-31, à destination des forces aériennes chinoises.

Sans apporter une réponse définitive à cette interrogation, la nouvelle vidéo promotionnelle publiée par l’avionneur Shenyang, renforce néanmoins le faisceau d’informations tendant à confirmer cette hypothèse, puisqu’elle présente le nouvel appareil, aux côtés d’autres grands succès de l’avionneur comme le J-2, le J-8 et le J-15, et qu’il est, pour l’occasion, paré d’une désignation officielle de l’Armée Populaire de Libération, le J-31B Gyrfalcon.

Le J-31B Gyrfalcon, une version terrestre du FC-31 pour les forces aériennes chinoises ?

La vidéo publiée par Shenyang doit être prise avec une certaine réserve. Non seulement s’agit-il d’une vidéo à des fins de communication, mais elle est constituée exclusivement d’images de synthèse, et non de prises de vue réelles.

J-35 essais
L'arrivée du J-31B Gyrfalcon dans les forces aériennes chinoises se précise 30

Toutefois, l’avionneur chinois n’a pas pour habitude d’exagérer sa communication, en particulier lorsqu’il s’agit des capacités destinées à l’APL, un domaine strictement encadré par l’état-major chinois et par les instances du parti communiste chinois, en particulier depuis le tour de vis législatif donné dans le domaine de la communication industrielle défense, en 2019.

Ces réserves prises, que nous raconte cette nouvelle vidéo ? La première, et la plus flagrante des informations, concerne la désignation de l’appareil, non plus en tant que FC-31, mais comme J-31. En effet, la désignation J-XX est, en règle générale, donnée exclusivement aux avions de chasse en service au sein des forces aériennes ou aéronavales chinoises, mais aussi à certains programmes menés directement sous le contrôle de ces forces (comme le J-13), là où la désignation FC-XX, concerne des appareils destinés au marché export, comme le FC-17 sino-pakistanais.

De fait, en prenant la désignation « officielle » de J-31, l’appareil entrerait bel et bien, sur des délais encore indéterminés, dans l’inventaire de la flotte de chasse chinoise. Le suffixe « B » du J-31B n’apporte, en revanche, pas d’informations supplémentaires. Il suppose qu’il y aurait également un J-31A, peut-être la désignation officielle de la version navale en lieu et place de J-35, mais il ne s’agit que de spéculations.

En effet, en observant l’appareil apparu dans la vidéo, on remarque que celui-ci a un train d’atterrissage avant avec une seule roue, contre deux sur la version supposée navale observée depuis son premier vol en 2021.

L’hypothèse d’une version terrestre du chasseur de Shenyang est apparue à la fin de l’année 2023, peu après le premier vol d’un nouveau prototype identifié comme ayant des dimensions différentes de celle des appareils observés jusqu’ici, et dont on pense qu’ils sont destinés à préparer l’arrivée de la version chasseur embarqué.

J-31B Gyrfalcon
Capture d’image de la video promotionelle de Shenyang diffusée sur la télévision chinoise, et montrant le FC-31B Gyrfalcon – Remarquez la soute latérale pour 2 missiles air-air à courte portée.

En particulier, le nouveau prototype semblait avoir une surface alaire plus réduite que les autres, ce qui fut interprété par les spécialistes du sujet, comme un signe qu’une version, destinée à opérer à partir de bases aériennes terrestres, étaient en cours de conception.

Un nouveau cliché, apparut, cette fois, à la fin du mois de mai 2024, renforçait cette interprétation, d’autant qu’entre temps, Islamabad, dont la Marine n’a aucun porte-avions, avait annoncé son intention d’acquérir le FC-31 auprès de Pékin. Celui-ci montrait, en effet, que ce prototype était doté, cette fois, d’un train avant avec une seule roue, contre deux sur le modèle naval, afin de mieux résister aux contraintes de l’appontage.

De fait, si la vidéo de Shenyang n’est pas déterminante en soi, elle s’inscrit bien dans un faisceau d’indices orienté vers la conception d’une version terrestre du FC-31 destinée aux forces aériennes de l’Armée Populaire de Libération, et baptisée J-31B Gyrfalcon.

Le parcours mouvementé du FC-31 pour donner naissance au J-31B et au « J-35 »

Passer du FC-31 au J-31B et à sa version navale, que nous continuerons de nommer J-35 pour plus de clarté, faute de désignation officielle, n’aura toutefois pas été un parcours dénué d’obstacles pour Shenyang.

Le premier cliché du FC-31 est apparu en 2011. Alors baptisé F-60, l’objectif de ce démonstrateur était cependant obscur, d’autant que ni l’avionneur, ni l’APL ne communiquait à son sujet.

FC31 Gyrfalcon au decollage Actualités Défense | Aviation de chasse | Construction aéronautique militaire
Premier prototype du FC-31 Gyrfalcon lors de ses vols d’ssais.

Il fallut attendre le premier vol du premier démonstrateur, en octobre 2012, pour en apprendre davantage sur ce nouvel appareil, de toute évidence une réponse au F-35 américain, à en juger par ses attributs furtifs, sa masse max au décollage de 25 tonnes, et ses performances annoncées.

Trois ans plus tard, à l’occasion du salon de Dubaï, AVIC, la maison mère de Shenyang, donna davantage d’informations sur l’appareil, précisant que l’objectif était alors d’obtenir un chasseur prêt à produire en 2019. En outre, si le FC-31 était initialement destiné au marché international, comme le montrait sa désignation, l’avionneur soutenait qu’il entendait bien convaincre l’APL à son sujet.

Il est toutefois rapidement apparu que les choix architecturaux autour du chasseur posaient certains problèmes, sans que l’on sache précisément s’il s’agissait de performances, de furtivité, ou des deux. Ainsi, en 2016, un nouveau prototype, arborant de très nombreuses différences, y compris en termes d’aspect et de dimensions, avec le modèle original, effectuait son premier vol.

Depuis, le destin du FC-31 a été pour le moins peu visible, en grande partie en lien avec le durcissement des règles concernant la communication sur les questions industrielles de défense, imposée par Pékin en 2019.

FC-31 second prototype
En 2016, un nouveau prototype du FC-31, profondément redessiné, a effectué son premier vol.

Néanmoins, en 2020, après de nombreuses hésitations, il est apparu que c’était ce modèle qui avait été préféré au J-20 de Chengdu, pour armer les futurs porte-avions de la Marine chinoise. Depuis cette date, d’ailleurs, les maquettes et vidéos promotionnelles montrant l’avenir de la flotte de porte-avions chinois, montre uniquement le « J-35 », le J-15T, version améliorée du J-15 pouvant employer une catapulte, et le KJ-600, un avion d’alerte aérienne embarquée proche du E-2D Hawkeye américain.

Après quoi, le programme a évolué pour donner naissance à une version navale embarquée qui, à en juger par les essais sur les ponts d’envol du Fujian et du Liaoning, serait proche d’effectuer ses premiers essais à la mer, et une version terrestre, que la vidéo de Shenyang publiée il y a quelques jours, semble désormais officialiser.

Une flotte de chasse chinoise en miroir de l’US Air Force et de l’US Navy

Ce faisant, il apparait que la flotte de chasse globale de l’Armée populaire de Libération chinoise, sera presque identique, en structure, si pas en capacités ni en expérience, de celle des États-Unis. En effet, chaque appareil américain dispose d’un appareil chinois en miroir, produit avec célérité par les avionneurs pour mettre la puissance aérienne de Pékin, sur un pied d’égalité avec celle des Washington.

Ainsi, concernant l’US Air Force, le J-10C répond au F-16C/D, le J-11 au F-15C, le J-16 au F-15E et le J-20, au F-22. Quant au J-31B, il constitue, de toute évidence, le miroir chinois du F-35A américain. Il ne s’agit pas, évidemment, de mettre chaque appareil sur un pied d’égalité technologique et/ou capacitaire de son miroir, mais de disposer d’une force aérienne structurée selon les mêmes découpages, de part et d’autre du Pacifique.

J-20 APL Air Force
Le J-20 constitue le mirroir chinois du F-22 en matière d’apapreil de supériorité aérienne de 5ème génération.

Ce même découpage se retrouve, d’ailleurs, à bord des porte-avions chinois, avec le J-15 et J-15T face au F/A-18 E/F Super Hornet, le J-15D face à l’EA-18G Growler et le « J-35 », face au F-35C. En fait, en termes d’aviation de chasse à horizon 2030, seul le F-35B, la version ADAC/V du chasseur de Lockheed Martin, armant les LHD et LHA de l’US Navy pour le compte de l’US Marines Corps, n’a pas d’équivalent au sein de l’APL à ce jour.

Cette stratégie, visiblement assumée par Pékin et par l’état-major de l’APL, pose évidemment un important problème au Pentagone, dans le bras de fer que les deux armées se livrent déjà dans le Pacifique. En effet, l’US Navy, et plus généralement, l’ensemble des forces armées américaines, font reposer une très grande partie de leur puissance de feu, donc de leurs capacités à dissuader un adversaire, sur la certitude de disposer de la supériorité aérienne.

En appliquant cette stratégie, l’APL entend donc priver Washington de cette certitude, et même, en cas de conflit, de cette supériorité aérienne, sans nécessairement, d’ailleurs, chercher à l’acquérir à tout prix. Ainsi, privées de l’appui aérien, les forces terrestres ou de surface des armées américaines, pourraient sensiblement être désavantagées face à la masse dont dispose l’APL, que ce soit en termes de flotte de surface, ou de forces terrestres.

Par ailleurs, en reproduisant la trajectoire suivie par les forces aériennes américaines, avec un léger décalage temporel, les avionneurs chinois peuvent apprendre des succès et échecs des avionneurs occidentaux, et donc limiter les investissements en temps comme industriels, au final improductifs, tout en réduisant, rapidement, l’écart technologique et capacitaire, qui les séparaient de leurs homologues américains.

De nombreuses inconnues entourent toujours l’avenir du J-31/J-35 en Chine et sur la scène internationale.

La vidéo marketing de Shenyang semble renforcer la certitude d’une version terrestre du FC-31 à destination des forces aériennes chinoises, alors que les observations concernant les essais du J-35, comme de ses maquettes à bord des porte-avions de la Marine chinoise, semblent bien confirmer que l’appareil est destiné à jouer un rôle important au sein de l’ensemble des forces aériennes et aéronavales de Pékin dans les années et décennies à venir.

J-35 et J-15 maquettes Liaoning
Maquettes de J-35 et J-15 à bord du porte-avions Liaoning lors de ses essais à la mer suivant sa premirèe IPER.

Reste que, au-delà de ces éléments, très souvent issus d’informations et observations parcellaires et recoupées, de nombreuses inconnues et incertitudes entourent toujours l’avenir exact de ce programme.

Ainsi, concernant l’aéronavale chinoise, on ignore encore quel sera le rôle et la désignation exacte du « J-35 », en particulier s’il sera appelé à jouer un rôle de chasseur bombardier furtif spécialisé, ou s’il évoluera vers un appareil multirôle, faisant la jonction avec les drones de combat et la 6ᵉ génération des avions de combat, comme le fera le F-35C au sein de l’US Navy.

Dans la mesure où des maquettes du J-35 ont été observées à bord du Liaoning, à l’occasion de ses essais ayant suivi la première grande modernisation du navire, ayant durée plus d’un an, on peut supposer, sans certitudes, que le J-35 pourrait, comme le J-15, employer un Skijump. Enfin, on ignore si la catapulte électrométrique du nouveau LHD chinois Type 076, permettra au navire d’embarquer un escadron de J-35, comme les Wasp et les America de l’US Navy, embarquent un escadron de F-35B.

La version J-31B terrestre est encore plus floue. Non seulement les performances du chasseur sont inconnues, en particulier en termes de furtivité et de fusion de données, mais la place exacte de l’appareil, au sein des forces aériennes chinoises, est parfaitement obscure, alors que jusqu’au présent, celles-ci ne semblaient pas spécialement enthousiastes ni pressées de se tourner vers ce modèle.

J-31 version terrestre du J-35
Premier cliché du « J-31 », avec une voulure plus etroite par rapport à la version navale, et un train avant avec une unique roulette.

Quant à la version export du J-31B, elle semble plus incertaine que jamais, en dépit de l’annonce faite par le Pakistan, non confirmée officiellement par Pékin. En effet, si, comme pour le J-20, le J-31B est effectivement destiné à équiper les forces aériennes chinoises, on peut supposer que l’appareil embarquera des technologies que Shenyang et Pékin n’entendent pas partager, en particulier dans le domaine de la furtivité, ce d’autant que la Chine ne peut pas s’appuyer sur un socle d’alliance solide et ancien, comme les États-Unis avec l’OTAN, les Five-eyes, et les dragons du Pacifique (Japon, Corée du Sud et Singapour).

Difficile de prédire, dans ces conditions, si Pékin acceptera, ou non, d’exporter l’appareil vers certains de ses partenaires, ce d’autant que comme la Russie, la Chine est engagée dans un effort industriel important pour moderniser ses forces, ne laissant que peu d’options industrielles vers l’exportation.

Il n’en demeure pas moins vrai, en dépit de ces incertitudes, que le J-31B comme le J-35, semblent aujourd’hui très proches des forces aériennes chinoises, et que l’arrivée de cet appareil au sein des flottes de chasse de Pékin, pourrait encore davantage réduire l’écart capacitaire et technologique qui les sépare des États-Unis, et plus généralement, de l’occident.

Washington propose le F-16V en leasing pour s’imposer en Thaïlande

Les États-Unis multiplient les initiatives pour tenter de placer leur chasseur F-16V ou F-16 Block 70/72 dans le Pacifique. Après les Philippines, c’est aujourd’hui à la Thaïlande que Washington et Lockheed Martin ont transmis une offre portant sur l’ultime version du chasseur monomoteur américain, pour s’imposer dans l’effort de modernisation de la flotte de chasse des forces aériennes royales thaïlandaises.

Il s’agit, pour l’administration Biden, de placer le F-16V face aux offres chinoises et européennes, et ainsi conserver la proximité militaire et technologique avec cet allié historique, exemplaire durant la guerre froide, mais se rapprochant de Pékin depuis une vingtaine d’années, sur un théâtre d’opération indo-pacifique sur lequel le pays occupe une position stratégique.

Pour séduire Bangkok, l’offre américaine se pare d’un volet contractuel qui n’avait plus été observé depuis longtemps outre-atlantique, concernant les exportations d’équipements de défense américains. En effet, Washington propose non de vendre, mais de louer ses nouveaux chasseurs à la Thaïlande, qui plus est par lots relativement réduits de quelques appareils seulement, répondant aux enjeux budgétaires thaïlandais, tout en renforçant le lien ainsi créé, avec cet allié stratégique sur un théâtre qui l’est tout autant.

Les forces aériennes thaïlandaises vexées du refus américain de lui vendre le F-35A

Il faut dire que l’offre américaine partait avec un sévère handicap, face aux autres alternatives chinoises et européennes. En effet, il y a un peu plus de deux ans, le chef d’état-major des forces aériennes thaïlandaises, l’Air Chief Marshal Napadej Dhupatemiya, avait annoncé qu’il privilégiait l’achat de F-35A à celle de JAS 39 Gripen, pour remplacer ses F-5 et F-16, dans le cadre de la modernisation des forces aériennes Thaïlandaises.

F-35A US Air Force
Washington a refusé d’exporter le F-35A vers la Thaïlande à court termes, jugeant Bangkok trop proche de Pékin pour accorder cette autorisation.

La déclaration avait toutefois de quoi surprendre. Le chef d’état-major thaïlandais affirmait, ainsi, que le F-35A était plus économique que l’avion suédois, pourtant déjà en service dans la flotte de chasse Thaï, ce qui est plus que contestable, quel que soit le point de vue choisi.

Surtout, Bangkok s’est rapproché, ces deux dernières décennies, de Pékin, pour équiper ses armées, en faisant l’acquisition de sous-marins Type S26T, de LPD Type 071E, de frégates et d’OPV pour la Marine Royale Thaïlandaise, et de chars VT-4, d’APC VN-1 et de systèmes d’artilleries, acquis auprès de l’industrie de défense chinoise.

Comme on pouvait s’y attendre, les autorités américaines se sont montrées plus que rétives à l’hypothèse de vendre le précieux F-35A, à un allié de longue date, certes, mais qui a montré une réelle dynamique de rapprochement avec la Chine. Longtemps, Washington tenta de convaincre Bangkok de se tourner vers un autre modèle, comme le F-15EX ou le F-16V.

Face à l’insistance thaïlandaise, les États-Unis ont finalement dû officiellement rejeter la demande concernant l’acquisition de F-35A pour les forces aériennes royales Thaï, il y a tout juste un an, provoquant une grande déception, et une certaine colère de la part de Bangkok qui estimait, non sans raison, avoir largement mérité la confiance américaine, par sa fidélité exemplaire, notamment pendant la guerre du Vietnam et la guerre froide.

Les États-Unis proposent le F-16V accompagné d’une offre de Leasing à la Thaïlande pour s’imposer face au JAS 39 Gripen suédois.

Pékin se saisit immédiatement de l’opportunité offerte par le refus américain, en proposant, quelques jours à peine après, un partenariat stratégique étendu à Bangkok, y compris concernant l’acquisition de matériels militaires sensibles de facture chinoise.

JAS 39 Gripen forces aériennes thailandaises
Les forces aériennes thaïlandaises emploient un escadron de JAs 39 Gripen C/D, et pourraient se tourner vers l’appareil suédois pour remplacer la trentaine de F-5 viellissants.

Le Suédois Saab aussi, profita quant à lui, du refus américain, et de la réaction d’amour-propre thaïlandaise, pour revenir dans le jeu avec le Gripen. Il est vrai que jusqu’aux déclarations surprenantes de l’Air Marshal Napadej Dhupatemiya, c’était l’appareil suédois qui était considéré comme favoris pour moderniser la flotte de chasse Thaï.

Il fallait donc à Washington se montrer inventif pour tenter de séduire et d’apaiser les autorités thaïlandaises, sans pour autant céder sur le F-35A, en tout cas, à court ou moyen termes. Pour y parvenir, les États-Unis ont transmis une offre rare de leur part, basée sur une solution de leasing de F-16V pour les forces aériennes thaï.

Ce faisant, ils espèrent répondre aux attentes thaïlandaises, ce d’autant que cette offre est conçue pour avoir un niveau minimum d’engagements réduit, avec des lots de seulement 4 à 5 appareils, et des engagements de transferts de technologies significatifs, pour assurer la maintenance des chasseurs avec la plus grande autonomie possible.

L’offre a été transmise par l’ambassadeur américain en Thaïlande, Robert Frank Godec, directement au ministre de la Défense Sutin Klungsang. Celui-ci a toutefois déclaré qu’il était surpris par les taux d’intérêts proposés, jugés très élevés, bien que les détails de l’offre américaine soient restés confidentiels.

Le Leasing export des avions et navires de combat, une solution attractive pour de nombreuses forces armées

Rien ne garantit que l’offre américaine de leasing de F-16V soit suffisamment attractive, aux yeux de Bangkok, pour prendre l’avantage sur celle de Saab et de Stockholm, que l’on sait particulièrement convaincante, y compris sur l’aspect budgétaire.

JAS 39 Griipen Leasing République Tchèque
La République tchèque, comme la Hongrie, ont loué à Stockholm leurs JAS 39 Gripen, leur permettant de moderniser leurs forces aériennes avec dix à quinze ans d’avances sur leurs voisins.

Toutefois, le fait que Washington se soit tourné vers ce modèle de financement, pour soutenir une offre d’exportation d’équipements de défense, est, en soi, très intéressante. Les États-Unis avaient fait largement usage de ce modèle pendant la Seconde Guerre mondiale, et surtout au début de la guerre froide.

Il s’agissait, alors, de permettre aux alliés d’équiper et de moderniser leurs forces armées, pour faire face à la menace soviétique, alors qu’ils étaient, pour la plupart, lourdement affaiblis par les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, pendant presque trois décennies, une grande partie des flottes militaires occidentales, était constituée de navires loués, plus tard achetés, sur les surplus de l’US Navy. Il en était de même concernant les flottes de chasse et de transport des forces aériennes.

À partir des années 60, alors que les pays européens et asiatiques renouaient avec une forte croissance et une économie performante, les offres d’exportations américaines évoluèrent vers des ventes traditionnelles, parfois accompagnées de solution de financement. Naquit ainsi le Foreign Military Sales, ou FMS, qui permet aux alliés des États-Unis d’acheter les équipements militaires américains en se rattachant aux contrats des armées US.

Depuis, toutefois, la situation financière de nombreux États occidentaux, clients traditionnels ou potentiels de l’industrie de défense US, a sensiblement évolué, notamment avec des dettes souveraines qui ont parfois considérablement cru, ne permettant plus à ces pays de souscrire des offres de financement traditionnelles.

C’est là que le leasing apporte une solution performante. En effet, dans ce cas, le pays n’a qu’à payer les annuités prévues, sans devoir souscrire une dette pour la valeur totale de l’équipement. En d’autres termes, le leasing permet d’éviter de creuser la dette souveraine, mais aussi, de linéariser les dépenses sur le budget de l’État, donc de réduire l’impact sur les déficits publics.

S26T Thailande
L’acquisition de navires chinois, comme els sous-marins S26T dérivé du Type 39A, par Bangkok, a agit comme un repoussoir pour Washington, concernant l’exportation de F-35A.

Dans un contexte d’économies mondialisées, et de dettes souveraines financées avant tout sur les marchés, le leasing s’avère donc particulièrement attractif. Ce d’autant qu’il ne s’accompagne, le plus souvent, que d’un engagement limité dans le temps, par exemple, 15 ans pour les avions de chasse, permettant de planifier une permutation des équipements, et de ne pas devoir financer les évolutions et modernisations des équipements loués.

Bien évidemment, l’offre Leasing a certains inconvénients. La plus évidente, concerne le porteur de l’offre, qui risque de se retrouver, au bout de quinze ans, avec des avions de combat ou des frégates, qu’il faudra relouer ou revendre, sur le marché de l’occasion.

Ceci explique que les offres de leasing, dans le domaine des équipements militaires, sont portées par les Etats, et non par des entreprises privées, pour qui de tels risques nécessitent des assurances presque impossibles à souscrire, ou à des prix dissuasifs.

En outre, le Leasing s’avère, souvent, plus cher que le crédit d’état, tout en moins en matière de taux d’intérêts. Enfin, il crée un lien permanent renforcé avec le pays portant l’offre.

Pour autant, lorsque articulé efficacement, le leasing parvient à séduire. C’est ainsi que le Gripen suédois a été sélectionné par la Hongrie et la République tchèque dans les années 90, des pays qui, autrement, auraient dû prolonger leurs avions de combat hérités du pacte de Varsovie d’une dizaine ou une vingtaine d’années, comme le firent beaucoup de pays d’Europe de l’Est.

La France mal équipée pour ce type d’offres de leasing export

Alors que les pays faisant face à de sévères contraintes budgétaires et devant moderniser leurs armées sont de plus en plus nombreux, notamment après la crise Covid, l’attrait pour les offres d’exportation d’équipements militaires construites sur une solution de leasing, pourrait largement croitre dans les années à venir.

FREMM-aquitaiine
En 2018, Athènes avait beaucoup insister auprès de la France pour louer deux frégates FREMM de la classe Aquitaine, pour faire face à la pression militaire turque en mer égée. La France n’a toutfois jamais été en mesure d’accéder à cette demande.

La France, second exportateur mondial d’armements, pourrait cependant avoir beaucoup de mal à s’aligner sur de telles offres, lorsque portées par des pays comme la Suède, l’Allemagne, la Corée du Sud ou les États-Unis.

En effet, conceptuellement, l’offre de leasing repose sur un transfert de dettes souveraines, du pays « locataire », vers le pays « propriétaire » des équipements. Or, la France est dans une situation budgétaire tout aussi détériorée que ces pays pour qui le leasing s’avère une solution attractive. Les États-Unis, eux, peuvent s’appuyer sur la puissance du Dollar, pour compenser leurs déficits publics dans ce domaine.

D’ailleurs, la France a longtemps peiné pour accompagner ses offres exports, de solutions de financements, en particulier vers des pays n’offrant pas des profils lissés, comme la Grèce, la Belgique ou l’Égypte.

De fait, les concurrents de l’industrie de défense française, en Europe avec l’Allemagne et la Suède, en Asie avec la Corée du Sud, ainsi que la Chine et les États-Unis, pourraient bien disposer, à relativement courts termes, d’offres très convaincantes, contre lesquelles la qualité et même les prix des équipements français de défense, ne sauraient suffire pour convaincre.

Leopard 2A-RC 3.0 par KNDS Deutschland
Les finances publiques allemandes permettraient à Berlin de proposer un mécanisme de leasing très efficace pour accompagner ses offres d’exportationd’équipements de défense.

La solution, pour la France, pourrait être de s’appuyer sur une entreprise publique privée ad hoc, financée par des canaux propres intégrant les entreprises de défense, l’appel au marché ou à l’épargne, avec la garantie de l’état, et conçue pour porter ce type d’offres pour soutenir les offres d’exportation françaises dans ce domaine, voire dans certains autres domaines stratégiques, comme le rail ou l’énergie.

Il s’agirait, bien évidemment, d’une structure comparable à celle évoquée dans un précédent article décrivant le modèle du Socle Défense. D’ailleurs, il est parfaitement possible que les deux entreprises ne fassent qu’une, pour porter simultanément, et sur les mêmes canaux de financement et de pilotage, les offres de location à destination des armées françaises et des clients internationaux de l’industrie de défense nationale.

Conclusion

Quoi qu’il en soit, l’offre américaine transmise à la Thaïlande, construite sur une solution de Leasing, marque une évolution sensible de la perception des attentes du marché de l’armement mondial, par les États-Unis, le premier exportateur de la planète, et de loin, sur ce marché.

Rien n’assure Washington d’un succès à Bangkok, d’autant que l’offre suédoise, à qui elle fait face, est aussi attractive, y compris sur le plan budgétaire, et qu’il est probable que le ressentiment thaïlandais contre les États-Unis, suite au refus d’exporter des F-35A, demeure vivace.

Toutefois, cette offre invite les européens, et plus particulièrement les français, à anticiper l’évolution du marché mondial, ou d’une partie de celui-ci, pour se tourner vers ce modèle, mieux adapté à leurs propres situations budgétaires. Reste à voir si cette évidence sera perçue par les autorités françaises, ou si celles-ci resteront attachées au modèle traditionnel, avec les risques que cela représente pour l’avenir des exportations de son industrie de défense ?

Des navires robotisés de lutte anti-sous-marine accompagneront les 2 futures frégates ASM néerlandaises

Pour remplacer les frégates de lutte anti-sous-marine de la classe Karel Doorman, la Koninklijke Marine, la Marine royale néerlandaise, a entrepris la construction de deux nouvelles frégates, codéveloppées avec la Belgique par Damen, en cours de construction, et désignées, aujourd’hui, par le terme M-Fregat.

Ces navires auront pour rôle d’assurer l’escorte anti-sous-marine des Capital Ships de la Koninklijke Marine, comme de ses alliés, en mer du Nord et dans l’Atlantique nord, en particulier contre la menace grandissante que représente la flotte sous-marine russe, en pleine évolution.

C’est précisément pour répondre à cette évolution de la menace russe, que la Koninklijke Marine a annoncé son intention de doter ses nouvelles frégates de navires robotisés destinés à en accroitre le potentiel de lutte anti-sous-marine, sans dégrader la pression en matière de ressources humaines, à laquelle elle doit faire face.

Face au défi RH et à l’augmentation des menaces, la Marine néerlandaise parie sur les navires robotisés

En effet, si les Pays-Bas ont été, en bien des aspects, exemplaires en Europe, pour ce qui concerne l’augmentation de son effort de défense, entamée dès 2017 avec le traumatisme du MH17, les armées néerlandaises font tout de même face, comme toutes leurs homologues occidentales, à une tension croissante en matière de ressources humaines.

Frégate classe karel Doorman Marine neerlandaise
Frégate Van Hamstel, dernière unitée en service de la classe Karel Doorman.

De fait, il est impossible à la Marine néerlandaise, d’augmenter le nombre de ses navires militaires, même en tenant compte de la réduction sensible du format des équipages sur les unités navales modernes. Ainsi, aujourd’hui, la frégate Van Speijk, seconde et dernière unité de la classe Karl Doorman en service, est en réserve, face à l’impossibilité, pour la Koninklijke Marine, de lui fournir un équipage complet.

Pour répondre à la montée des tensions et des menaces, sans accroitre le nombre de coques, la Marine néerlandaise a entrepris de se tourner massivement vers la robotisation de sa flotte.

Il y a quelques mois, elle avait, ainsi, présenté sa feuille de route dans ce domaine au Parlement néerlandais. Celle-ci s’appuyait sur trois programmes principaux. D’abord, avec le programme MICAN, anciennement dénommé Trific, celle-ci entend se doter de navires de combat auxiliaires, d’une soixantaine de mètres de long, dotés d’un équipage restreint, et pouvant, au besoin, agir en autonomie complète.

Les MICAN seront ainsi équipés de modules de mission leur permettant d’emporter des munitions et des senseurs supplémentaires, au profit des frégates qu’ils accompagneront, pour en accroitre l’efficacité.

navires robotisés MICAN marine néerlandaise
Illustration du programme MICAN.

Le second programme de navires robotisés concerne le domaine de la guerre des mines, développé conjointement avec la Composante Marine belge, et depuis peu, par la Marine nationale française. Ainsi, les 6 grands navires de guerre des mines du programme RMCM destinés à la Marine néerlandaise, emporteront chacun deux navires autonomes Inspector 125 conçus par Exail, eux-mêmes mettant en œuvre le drone sous-marins A18M pour localiser et détruire les mines sous-marines.

Le dernier programme présenté alors, concernait la conception de navires autonomes de petites dimensions, dont la fonction serait d’étendre le potentiel de lutte anti-sous-marine des frégates néerlandaises, et de leurs hélicoptères de lutte anti-sous-marine NH90.

La Marine néerlandaise veut développer de petits navires robotisés de lutte anti-sous-marine pour épauler ses frégates dans l’Atlantique

C’est précisément ce navire autonome de lutte anti-sous-marine qui vient de faire l’objet d’un accord entre le Consortium de design naval néerlandais et le Commandement des matériels et des services informatiques, ou COMMIT, du ministère de la Défense hollandais.

Cet accord a pour objet de préparer le cadre technique et industriel du programme, permettant, par la suite, au ministère de la Défense de le présenter, pour financement, au Parlement néerlandais, d’ici à la fin de l’année 2024.

Bien qu’il ne soit qu’en phase d’étude préliminaire, le Commander Paul Dröge, qui commande la branche lutte sous la surface du COMMIT, a dressé le portrait robot de ce que sera ce navire autonome, dont le premier prototype pourrait voir le jour dès 2025.

USV Concept marine neerlandaise
Modèle simplifié du narivire robotisé de lutte anti-sous-marine destiné à armer les frégates néerlandaises, rendu public lors de la présentation au parlement.

Ainsi, le navire robotisé ne ferait qu’une douzaine de mètres de long pour une masse inférieure à 10 tonnes, permettant à une frégate de le transporter, le mettre à la mer, et le récupérer en fin de mission. Il serait équipé d’un système de sonar plongeant, inspiré des sonars emportés par les hélicoptères de lutte anti-sous-marine et par les bouées acoustiques, lui permettant de rechercher les sous-marins adverses au-dessous et sous la thermocline.

Le sonar, particulièrement imposant pour un navire de si petite dimension, en partie en raison du long câble à dérouler, serait monté en position centrale, tant pour des questions de centrage que de protection.

Le navire, lui, aurait une autonomie de 96 heures, et pourrait être opérationnel jusqu’à une mer 5, c’est-à-dire, des creux de 2,5 à 4 mètres, le rendant apte à opérer dans les eaux agitées de l’Atlantique Nord.

Comment les USV peuvent-ils accroitre le potentiel des frégates dans la lutte anti-sous-marine ?

Selon les informations données par le Commander Paul Dröge, le navire aurait un profil de mission comptant 50 % du temps de transit, et 50 % du temps sur site. En admettant qu’il puisse évoluer à quinze nœuds en transit, il serait donc capable de tenir une position distante de 600 km de sa frégate, pendant deux jours complets, ce qui, effectivement, lui conférerait un potentiel de détection, complémentaire des sonars de la frégate et de l’hélicoptère NH90, très significatif.

navire robotisé ASM Marine néerlandaise
Présentation du navire robotisé de lutte anti-sous-marine de la Marine néerlandaise. (source Navalnews.com)

Non seulement pourra-t-il mettre en place une station de détection distante de plusieurs centaines de kilomètres du navire, et maintenue pendant 48 heures, voire plus, mais il pourra, au besoin, procéder à des explorations successives en amont de la frégate et de la task force escortée, pour détecter des menaces avant qu’elles soient à portée utile pour mettre en œuvre leurs armes antinavires.

En outre, il pourra, au besoin, coopérer avec l’hélicoptère NH90 de la frégate, voire avec un appareil de patrouille maritime comme le P-8A ou l’Atlantique 2, pour déployer des capacités de détection sonar bi statiques, potentiellement très efficaces, même contre les sous-marins les plus discrets.

Enfin, par son profil et son empreinte sonar et radar atypiques, le navire robotisé néerlandais, même s’il n’est pas armé, sera très difficile à détecter et engager par un sous-marin adverse, même s’il reste à la merci d’un navire de surface qui peut le détruire ou le capturer avec d’autant plus de facilité, qu’il sera distant de sa frégate de contrôle et isolé des aéronefs alliés.

Il permettra, enfin, d’économiser le potentiel de vol, ainsi que la fatigue de l’équipage de l’hélicoptère embarqué, précisément, en tenant, sur la durée, des stations de barrage distantes, traditionnellement confiées aux hélicoptères de lutte ASM ou aux avions de patrouille maritime.

Une nouvelle opportunité de codéveloppement en Europe, entre la Koninklijke Marine et la Marine française.

Le programme de navire robotisé de la Marine néerlandaise, a donc de nombreux attraits, ce d’autant qu’il pourrait permettre à des frégates et destroyers dont la fonction première, n’est pas la lutte anti-sous-marine, de contribuer à renforcer le rideau défensif ASM d’une flottille.

MCM Thales
Les navires robotisés se sont déjà imposés dans le domaine de la guerre des mines.

La France et la Marine nationale n’ayant pas, à ce jour, annoncé de programme comparable, elles auraient certainement tout intérêt à rejoindre l’initiative néerlandaise, comme d’autres marines européennes, du reste.

En effet, la Marine nationale, comme la Koninklijke Marine, s’appuient principalement sur des systèmes de détection sonar développés par Thales, rapprochant naturellement les deux marines, tant dans leurs expressions de besoin, que dans leurs capacités à opérer conjointement des systèmes inter-opérables et coopératifs en matière de détection sous-marine.

En outre, en participant à ce programme, la Marine nationale en étendrait le potentiel de création de standard, notamment pour ce qui concerne les procédures et les moyens d’embarquement et de transfert de l’unité robotisée, ainsi que son contrôle à la mer.

Ainsi, dans une telle hypothèse, un navire robotisé ASM mis à la mer par une frégate néerlandaise, pourrait être récupéré dynamiquement par une frégate française, pour venir durcir le dispositif ASM sur une zone, voire pour recharger les réserves énergétiques du navire, avant de le renvoyer vers sa frégate-mère.

Enfin, une telle coopération permettrait aux deux marines de partager les couts de développement du programme, et d’augmenter le potentiel export du modèle vers leurs marchés traditionnels respectifs, pour en diminuer le cout final, et pour en optimiser la maintenance et l’évolutivité, voire les retours d’expérience opérationnels.

Conclusion

On le voit, doter une frégate d’un navire robotisé de lutte anti-sous-marine, comme visé par le programme néerlandais, a de nombreux intérêts opérationnels. Non seulement permettra-t-il de tenir des stations distantes de détection-protection anti-sous-marine pendant deux jours, voire davantage, mais il pourra, au besoin, coopérer très efficacement avec les aéronefs de lutte anti-sous-marine déployés par la frégate, les navires alliés et la patrouille maritime.

Iassen-M sous-marin SSGN
La flotte sous-marine russe évolue rapidement, en se modernisant avec des modèles très performants, comme le SSGN classe Iassen-M

Il serait, de manière évidente, pertinent pour la France, et la Marine nationale, de tenter de rejoindre le programme néerlandais, tant pour marquer la volonté de rapprochement entre les deux marines, déjà sensible avec le programme MRCM et les sous-marins Blacksword Barracuda retenus par la Marine néerlandaise, que pour étendre, efficacement, le potentiel de détection ASM des frégates françaises, pour une empreinte budgétaire limitée, car partagée.

Ce constat s’étend probablement au programme MICAN, de navires de soutien à équipage restreints, également en cours de développement par la Koninklijke Marine, et qui pourraient, eux aussi, apporter des bénéfices sensibles en matière de lutte anti-navire et anti-aérienne, aux navires d’escorte français, alors que la Marine nationale, elle aussi, fait face à certaines tensions dans le domaine RH.

Toutefois, bien que de nombreuses opportunités de coopération, européennes et internationales, soient apparues ces derniers mois, pour les armées et l’industrie de défense françaises, le sujet ne semble guère attirer leur attention, tout au moins, jusqu’à présent.

Peut-être sont-elles, aujourd’hui, victimes d’un phénomène de vision en tunnel, engendré par les succès enregistrés sur la scène nationale et internationale depuis deux ans maintenant, opacifiant les opportunités et évolutions à moyen et long terme qui se dessinent ?

Dassault Aviation prend l’initiative pour vendre 114 Rafale construits en Inde

En 2012, Dassault aviation remportait la compétition indienne MRCA pour 118 chasseurs Rafale à destination des forces aériennes indiennes, dont une centaine d’exemplaires devait être assemblée en Inde. Toutefois, les négociations avec HAL tournèrent court, les capacités industrielles de l’avionneur indien ne permettant pas de garantir le niveau de qualité exigé par les armées indiennes, selon le groupe français.

En 2015, après l’abandon du programme MRCA, New Delhi commanda donc 36 chasseurs Rafale à Dassault, assemblés en France, mais accompagnés d’un large volet d’engagements de la part des industriels français, pour investir 50 % du montant du contrat de 8 Md€, en capacités industrielles déployées en Inde.

C’est dans ce contexte que la presse indienne vient de révéler que Dassault avait entamé une démarche pour construire un très important site de maintenance opérationnelle dans le pays, destiné à assurer la Maintenance en Condition Opérationnelle (MCO) des Mirage 2000 et Rafale en service au sein des forces aériennes indiennes, et bientôt, de l’Indian Navy.

Toutefois, cet investissement permettra également à l’avionneur français, et l’ensemble de la Team Rafale, de prendre un avantage important dans le cadre du programme MRCA 2, remplaçant du premier MRCA, qui doit permettre à New Delhi de construire localement 114 avions de combat moyens pour moderniser la flotte de chasse du pays.

Dassault va construire un site de maintenance aéronautique en Inde, pouvant se transformer en ligne d’assemblage Rafale

En effet, le site hindustan-times.com, a révélé que Dassault Aviation avait entamé des démarches pour acquérir une importante surface de terrain à proximité du site qui accueillera le nouvel aéroport international Noida, près de la ville de Jewar, dans le nord du pays.

Dassault Aviation Rafale Merignac
Dassault Aviation prend l'initiative pour vendre 114 Rafale construits en Inde 49

Selon le site indien, l’avionneur français entend construire, sur ce site, un très important site industriel, destiné à assurer la maintenance en condition opérationnelle des Rafale et Mirage 2000 en service au sein des forces aériennes indiennes, et certainement, des Rafale M et B prochainement acquis par la Marine indienne.

Cet investissement, qui concerne Dassault Aviation ainsi que d’autres industriels de la Team Rafale, s’inscrit dans les engagements d’offset pris lors de la commande des 36 Rafale indiens en 2015.

Outre le site industriel à faire sortir de terre, l’industriel français et ses partenaires, seraient aujourd’hui engagés dans l’organisation de la Supply Chain indienne, pour respecter les exigences en termes de Make in India, mais aussi pour se préserver des mauvaises surprises comme celles rencontrées en 2012 avec HAL. Il semblerait même que Dassault aurait entamé la préparation de sa chaine d’approvisionnement en Titane, pour anticiper l’évolution de la demande indienne, vers la fabrication de chasseurs sur ce site.

Par ailleurs, selon les informations obtenues par les journalistes indiens, il semblerait que le site à construire, sera dimensionné pour assurer la maintenance de plus d’une centaine de Rafale, soit bien plus que la flotte prévue en l’état des commandes actuelles.

Le Dassault Rafale en position de force pour s’imposer dans la compétition pour 114 chasseurs moyens pour les forces aériennes indiennes

La presse indienne anticipe le fait que ce site industriel majeur, et la Supply Chain en cours de déploiement par Dassault et la Team Rafale, constitueront un outil efficace et huilé, pour éventuellement assembler les 114 avions de combat du contrat MRCA 2, conférant au chasseur français, un avantage décisif dans cette compétition.

Dassault Rafale Inde
Dassault Aviation prend l'initiative pour vendre 114 Rafale construits en Inde 50

En effet, outre les enjeux industriels et technologiques, autour de ce contrat qui pourrait atteindre 20 Md$, et représenter le plus important contrat d’importation défense jamais passé par New Delhi, les critères de délais de production s’avèrent, aujourd’hui, déterminants pour les forces aériennes indiennes.

Celles-ci doivent aujourd’hui faire face à la montée des tensions internationales et régionales, que ce soit face au Pakistan qui modernise rapidement ses forces aériennes avec l’arrivée des JF-17 Block III et de deux escadrons de J-10C chinois, mais aussi avec la Chine, dont les efforts en matière de modernisation des forces armées ne sont plus à présenter.

De fait, l’arrivée d’un nouveau chasseur moderne, pour remplacer les Jaguar et Mig-21 indiens, capable de s’opposer efficacement aux JF-17, J-10C, J-16 et autres J-20, est non seulement indispensable, elle est aussi urgente, ce d’autant que le futur Tejas Mk2, devant remplacer les Mirage 2000 indiens, n’arrivera qu’au milieu de la prochaine décennie, dans le meilleur des cas.

Ainsi, en disposant d’un site industriel majeur, placé stratégiquement à proximité du plus moderne des aéroports internationaux indiens, et entouré d’une Supply Chain organisée et qualifiée, Dassault Aviation disposera d’un atout compétitif déterminant pour s’imposer dans la compétition MRCA 2.

À cela s’ajoutent les évolutions et adaptations du Rafale aux besoins indiens, effectuées dans le cadre du programme de 2015, et les équipements et procédures de formation et d’entrainement, déjà à l’œuvre dans les forces aériennes indiennes, conférant à l’offre française un avantage en termes de prix, lui aussi important, vis-à-vis des offres européennes (Typhoon et Gripen), américaines (F-15EX et F/A-18 E/F) et russes (Mig-35, Su-35se).

Safran aussi, déploie un site de maintenance et de construction en Inde, pour le réacteur M-88 du Rafale

Dassault Aviation n’est pas le seul à anticiper un succès du Rafale pour le programme MRCA 2. En effet, le motoriste Safran, qui produit le turboréacteur M-88 du chasseur français, a également entrepris de déployer un site industriel dédié à la maintenance opérationnelle du moteur, avec la possibilité d’évoluer rapidement vers une fabrication locale, « si le niveau des commandes le justifie ».

M-88 Rafale Safran
Dassault Aviation prend l'initiative pour vendre 114 Rafale construits en Inde 51

Le français a entrepris la construction d’un site dédié à la MCO du M-88 jouxtant son site d’Hyderabad, produisant déjà les réacteurs LEAP destinés à l’aviation commerciale. Comme pour Dassault, Safran organise conjointement l’ensemble de sa Supply Chain, pour être en mesure de rapidement basculer vers la fabrication locale des turboréacteurs, le cas échéant.

Notons que le motoriste français serait également engagé dans des négociations avec la DRDO, l’agence de l’armement et de l’innovation du ministère de la Défense indien, pour accompagner l’industrie indienne dans la conception d’un turboréacteur de nouvelle génération destiné à propulser les futurs avions de combat indiens.

Toutefois, comme dans le cas de l’accompagnement de l’industrie navale indienne, dans le domaine de la conception d’un sous-marin nucléaire d’attaque, ces sujets stratégiques sont négociés très discrètement entre Paris et New Delhi, s’inscrivant dans une coopération technologique avancée à long terme.

L’Inde pourrait assurer l’assemblage de Rafale export pour soulager la ligne d’assemblage de Mérignac

Il semblerait que, pour simposer en Inde dans le cadre du programme MRCA 2, la Team Rafale et Dassault aviatiion, aient dégainé un dernier argument, mais il est de taille. En effet, toujours selon la presse indienne, les infrastructures industrielles déployées en Inde pour assembler le chasseur français à destination des forces aériennes indiennes, pourraient aussi être employées pour fabriquer les Rafale destinés à d’autres clients internationaux.

Selon les sources citées, la ligne d’assemblage qui produit actuellement les Rafale, à Mérignac en Gironde, serait aujourd’hui dans l’incapacité d’absorber de nouvelles commandes accompagnées d’impératifs de livraison sur un calendrier court.

Ligne d'assemblage Dassault Aviation Merignac Rafale
Dassault Aviation prend l'initiative pour vendre 114 Rafale construits en Inde 52

Avec près de 300 chasseurs restants à produire, et même en portant la production à trois appareils par mois, il faudrait huit ans, pour Dassault aviation, afin d’apurer le carnet de commande existant et à venir.

Or, si Dassault peut, éventuellement, encore accroitre ses cadences, faire de même pour les quelque 400 PME et ETI appartenant à la Team Rafale, serait beaucoup plus difficile. En outre, augmenter les ressources humaines de manière aussi importante, sur un calendrier se limitant à quelques années, s’avère particulièrement compliqué et risqué en France, en lien avec la législation du travail française.

On comprend, dans ces conditions, que l’avionneur et les grandes entreprises de la Team Rafale, comme Safran, Thales ou MBDA, pourraient avoir tout intérêt à déployer ce tampon de production en Inde, précisément pour absorber avec réactivité le pic de demandes et de commandes, sans déstabiliser l’infrastructure nationale.

Pour New Delhi, d’autre part, exporter des Rafale assemblés en Inde, constituerait un succès industriel et politique majeur, qui ne manquerait pas d’être mis en valeur sur la scène nationale comme internationale.

Conclusion

Bien évidemment, il convient de se montrer prudent avec les informations émanant de la presse indienne, parfois victime d’un « excès d’enthousiasmes ». Cependant, le scénario ici décrit, correspond aux engagements pris par Dassault et la Team Rafale, en 2015, lors de la commande des 36 premiers Rafale indiens, et répond à des besoins et des problématiques bien réelles.

Rafale inde decollage
Indian Air Force’s Rafale fighter jet lands during the first day of the Aero India 2021 Airshow at the Yelahanka Air Force Station in Bangalore on February 3, 2021. (Photo by Manjunath Kiran / AFP)

De fait, si ces informations ne doivent pas être prises sans réserve, force est de constater, en revanche, qu’elles sont parfaitement cohérentes avec le contexte existant.

Reste que les négociations avec les autorités et le paysage industriel indiens, sont toujours compliquées et longues, les négociateurs français le savent bien, même si, ces derniers jours, une certaine dynamique franco-indienne dans le domaine de l’industrie de défense, semble être à l’œuvre.

Il faudra donc se monter patient et attentif, quant aux évolutions de ces différents aspects d’un même dossier, en espérant, évidemment, une conclusion positive pour le Rafale, qui deviendrait le pivot de la puissance aérienne indienne et digne successeur du très apprécié Mirage 2000i, aux côtés du Su-30MKI.

Rheinmetall et Leonardo vont-ils ressusciter le KF51 Panther et menacer le programme MGCS ?

Il y a tout juste quatre semaines, nous spéculions sur l’opportunité que représentait, pour Rheinmetall, l’espace libéré par l’annonce de l’abandon des négociations entre Leonardo et KNDS au sujet de l’acquisition par l’Italie du Leopard 2A8.

Il n’aura donc pas fallu un mois, à l’industriel de Düsseldorf, pour concrétiser cette occasion presque inespérée de produire enfin son nouveau char KF51 Panther, en annonçant, le 3 juillet, la création d’une coentreprise 50/50 avec l’Italien Leonardo, afin de répondre aux besoins des armées italiennes en termes de blindés lourds chenillés, avec, à la clé, un marché de presque 30 Md€ et 700 blindés chenillés.

Une alliance entre Rheinmetall et Leonardo sur les ruines des négociations avec KNDS

C’est donc sur l’échec des négociations entre KNDS et Leonardo, au sujet du partage industriel entourant la fabrication des quelque 120 chars Leopard 2A8 initialement visés par l’Armée de terre italienne, que Rheinmetall et l’industriel italien sont parvenus à bâtir, en un temps record, un accord industriel.

Leopard 2A8 Allemagne
Le Leopard 2A8 n’equipera donc pas l’Armée de terre italienne

Concrètement, les deux entreprises européennes vont constituer une coentreprise à égalité de parts, pour concevoir et produire les blindés lourds chenillés de l’Armée de terre italienne, ainsi que pour aller, ensemble, à la conquête de marchés internationaux.

L’accord prévoit que les blindés, leur armement principal et systèmes de défense primaires, seraient conçus par Rheinmetall, alors que Leonardo serait en charge des systèmes de missions, des suites électroniques et de l’intégration des armements sur les nouveaux véhicules blindés.

Les chars et véhicules de combat d’infanterie, ainsi conçus pour l’Armée de terre italienne, seront par ailleurs assemblés en Italie, qui assurera 60 % des prestations industrielles pour la fabrication des blindés.

Un premier client pour le KF51 Panther de Rheinmetall

Sans que cela soit clairement affirmé, tout porte à croire que le nouveau char de combat qui sera conçu par la nouvelle coentreprise, sera une évolution du KF51 Panther de Rheinmetall.

Conçu sur une plateforme de Leopard 2A4, le Panther est un char de génération intermédiaire présenté dès 2022 par Rheinmetall, comme une alternative, pour la Bundeswehr, au programme MGCS, ou, tout au moins, comme une solution intérimaire dotée d’un très haut potentiel opérationnel, à ce programme désormais prévu pour 2045, .

KF51 Panther Rheinmetall salon Eurosatory 2024
La KF51 Panther de Rheinmetall au salon Eurosatory 2024

Toutefois, les autorités allemandes ont préféré donner leur confiance une nouvelle fois à Krauss-Maffei Wegmann, devenue depuis KNDS Deutschland, en acquérant d’abord 18, puis 105 Leopard 2A8 supplémentaires, pour remplacer les Leopard 2A6 envoyés en Ukraine, et pour étendre le format de la flotte de chars allemands.

En dépit de performances prometteuses, le KF51 Panther, et son nouveau canon de 130 mm, n’avait pourtant jusqu’ici pas convaincu, n’engrangeant aucune commande alors que le Leopard 2A8 était retenu par Oslo, Prague, Tallinn et La Haye. Seule la Hongrie, déjà partenaire avec Rheinmetall pour la fabrication de plus de deux cents VCI KF41 Lynx, avait montré de l’intérêt pour le char, sans toutefois s’engager à le commander.

200 chars et 350 véhicules de combat d’infanterie KF41 Lynx pour l’Armée de terre italienne, et d’importants transferts de technologies pour Leonardo

L’échec des négociations entre Leonardo et KNDS, autour de l’adaptation du Leopard 2A8, du partage industriel et des transferts de technologies, a évidemment ouvert une voie royale pour Rheinmetall, qui n’a pas tardé à s’y engager avec emphase.

Il est vrai que le groupe industriel de Düsseldorf, et son bouillant PDG, Armin Papperger, devaient rapidement trouver des débouchés significatifs pour le KF51, un char conçu sur fonds propres sans aucune demande nationale ou internationale, et qui semblait, jusqu’ici, engagé sur une trajectoire préoccupante.

Blindé chenillé KF41 Lynx Rheinmetall Eurosatory 2024
PK41 Lynx en version chasseur de char au salon Eurosatory 2024

En outre, contrairement à KNDS, qui doit garantir l’homogénéité d’une flotte de plus de 2000 Leopard 2 à maintenir et faire évoluer, Rheinmetall était vierge de toute contrainte dans ce domaine, et pouvait donc se montrer beaucoup plus flexible que son compatriote, pour répondre positivement aux attentes de Leonardo.

Il faut dire que le marché, dans les mains de Leonardo, pouvait séduire. En effet, la nouvelle coentreprise doit concevoir le char qui sera commandé à 200 exemplaires pour remplacer les C1 Ariete de l’Armée de terre italienne, accompagnés par une seconde commande de 350 VCI KF41 Lynx pour remplacer les véhicules blindés Dardo.

La livraison des chars et VCI débutera par celle d’une vingtaine de prototypes d’ici à 2027, puis par l’ensemble des blindés, étalée jusqu’en 2040. Ce contrat, d’un montant estimé de 20 Md€, serait alors la plus importante commande de blindés passée en Europe ces 40 dernières années.

En outre, il ouvre la voie à la commande, attachée à celle des 200 chars de combat, pour 140 véhicules de soutien, dépanneurs de chars, véhicules du génie et de bréchage, commandement…, estimée à plus de 8 Md€, et planifiée jusqu’en 2037. Ensemble, ces trois contrats (Chars, Soutien et VCi), viendraient donc flirter avec les 30 Md€, un record absolu dans le domaine des véhicules blindés modernes en Europe.

Un site de production et une référence internationale pour permettre au Panther de Rheinmetall d’entamer sa carrière internationale

L’échec des négociations entre Leonardo et KNDS, il y a un mois de cela, est apparu comme une chance unique pour permettre à Rheinmetall de remettre le KF51 Panther sur le devant de la scène, après deux années de déception face au Leopard 2A8.

Armin Pappeger Panther Lynx
Le pari d’Armin papperger (à droite s’il était besoin de rpeciser), au sujet du KF51 Panther, pourrait bein s’averer payant.

Outre le contrat italien, déjà colossal, pouvant venir flirter, dans son ensemble, avec les 30 Md€, celui-ci permet au groupe allemand de disposer, enfin, de la référence client et du site d’assemblage qui lui ont tant fait défaut jusqu’ici, dans les compétitions européennes et internationales.

Pas question, en effet, pour un pays européen ne prévoyant d’acquérir que cinquante à cent chars de combat, de se tourner vers un modèle n’ayant pas une base client installée, pour en assurer la maintenabilité et l’évolutivité.

De fait, cette coentreprise, et le contrat pour les 200 Panther leonardisés italiens qui l’accompagnent, représentent la porte d’entrée du char allemand sur la scène internationale. Et si le KF51 n’a pas, encore, la présence et le volume international du Leopard 2 de KNDS, de l’Abrams américain ou du K2 Black Panther sud-coréen, il peut cependant se présenter comme sensiblement plus évolué et moderne que les versions actuelles de ces chars lourds occidentaux.

On notera, au passage, que les liens entre Rheinmetall, l’Italie et Leonardo, ne datent pas de la signature de cette coentreprise. L’industriel allemand exploite déjà six sites en Italie, et emploie 1 400 salariés dans le pays. Par ailleurs, alors que le Lynx était déjà pressenti comme le favori pour remplacer le Dardo italien, les deux entreprises avaient collaboré en amont du salon Eurosatory, pour concevoir une version chasseur de char du Lynx, montée d’une tourelle Leonardo armée d’un canon de 120 mm.

On peut d’ailleurs se demander si Leonardo serait resté aussi ferme, face à KNDS, sans avoir une ébauche de plan de secours, plus avantageux pour l’industriel italien, avec Rheinmetall ?

Le programme MGCS encore plus marginalisé par l’accord industriel germano-italien

Reste que le plus grand perdant de ce rapprochement entre Rheinmetall et Leonardo, pourrait bien être le programme franco-allemand MGCS. Rappelons que celui-ci prévoit la conception d’un ensemble de systèmes blindés pilotés et automatisés, regroupés dans une bulle info centrée de combat terrestre, pour remplacer, plus spécifiquement, les chars Leclerc français et Leopard 2 allemands, à horizon 2040 ou 2045.

MGCS vision allemande
Vision allemande du programme MGCS

Très vindicatif vis-à-vis de ce programme, bien que l’ayant rejoint en 2019, Rheinmetall s’était montré beaucoup plus discret à son encontre ces derniers mois, en particulier depuis que Boris Pistorius, le ministre de la Défense allemand, et Sébastien Lecornu, son homologue français, étaient intervenus conjointement pour remettre de l’ordre dans ce programme miné par des oppositions industrielles entre LNDS France et Rheinmetall, et par des divergences de conception entre la Bundeswehr et l’Armée de terre française.

Visiblement, cette discrétion n’était qu’apparente. En effet, à peine l’annonce de la signature de la coentreprise avec Leonardo rendue publique, que Rheinmetall lançait l’offensive sur MGCS, en soutenant que celui-ci devrait reposer sur une plateforme Panther, ce qui va à l’encontre de la stratégie établie par KNDS, pourtant pilote des piliers entourant les véhicules blindés eux-mêmes.

Nul doute, à présent, que le groupe présidé par Armin Papperger, reprendra sa campagne d’influence, de communication et de lobbying politique, y compris au Bundestag, pour tenter de faire dérailler le programme franco-allemand, y compris en jouant l’obstruction industrielle, comme il le fit précédemment.

Par ailleurs, cette fois, Rheinmetall pourra certainement s’appuyer sur un partenaire politique de poids, l’Italie, qui aura tout intérêt à monnayer sa participation au programme franco-allemand, en préconisant des solutions nationales, et plus particulièrement, le KF51 Panther Leonardisé, qui va bientôt entrer en gestation.

Le programme MGCS étant, avant tout, une initiative d’essence politique, disposer d’un allié de poids comme l’Italie, en Europe, sera assurément bien plus audible pour Rheinmetall et Leonardo, que lorsque le groupe de Düsseldorf tenta de convaincre les autorités allemandes de se tourner vers le Panther, en 2022 et 2023.

L’hyper-prédominance de la roue pour les blindés français, mise à l’index par le programme italien

Reste que cet accord, et la commande potentielle de 200 chars Panther et 350 VCI Lynx, par l’Armée de terre italienne, isole encore davantage la France et sa position dogmatique en faveur des véhicules blindés à roues, sur la scène internationale, qu’elle soit militaire ou industrielle.

VBCI Armee de terre
En dehors de ses 200 chars leclercs, tous les 300 véhicules blindés de l’Armée de terre française sont montés sur roues, une configuration de force preque unique en occident. Photo by Thomas SAMSON / AFP

Ainsi, si les armées françaises, et leur industrie de défense, furent souvent à la pointe de l’innovation technologique et doctrinale, y compris dans l’utilisation des blindés à roues dans la manœuvre mécanisée, ou avec le canon porté Caesar, force est de constater que ceci ont depuis été repris et copiés par de nombreuses armées et industriels, signe d’une réelle plus-value opérationnelle et technologique.

Ce n’est cependant pas du tout le cas aujourd’hui, concernant une solution exclusivement orientée vers des blindés à roues, en dehors des chars lourds, comme mise en œuvre par l’Armée de terre, unique exemple d’une telle organisation en Europe, en dehors de la Belgique et de quelques forces armées limitées dans leurs moyens.

Difficile, dans ce contexte, de ne pas s’interroger sur la pertinence des choix faits par l’état-major français dans ce domaine, tant ils divergent de ceux de l’immense majorité des armées européennes et occidentales.

Conclusion

On le comprend, l’accord conclut par Rheinmetall et Leonardo, pour la conception et la fabrication des nouveaux chars lourds et véhicules de combat d’infanterie de l’Armée de terre italienne, a le potentiel de profondément transformer les équilibres industriels en Europe, en matière de véhicules blindés chenillés.

KF51 Panther Rheinmetall
Potentiellement plus moderne que le Leopard 2A8 de KNDS, le K2 Black Panther sudcoréen ou le M1A2 SEPv3 Abrams américain, le KF51 Panther de Rheinmetall et Leonardo pourrait bien rencontrer le succès sur la scène internationale, maintenant qu’il a une référence et un site de production.

Non seulement peut-il donner à Rheinmetall, l’opportunité de placer son Panther, et de disposer, ainsi, de la référence et du site de fabrication qui lui faisaient défaut jusqu’ici, mais il est probable que ce succès ramènera l’industriel allemand, épaulé de l’Italie, à plus de confiance, dans son objectif de marginaliser, voire de faire dérailler le programme MGCS, au profit du Panther.

Dans ce contexte, l’attentisme français, qui semble vouloir éviter à tout prix de devoir se confronter aux arbitrages qui s’imposent en matière de chars de génération intermédiaire, ainsi que de véhicules de combat d’infanterie chenillés, pourrait rapidement devenir une faiblesse majeure dans les relations autour du programme MGCS.

Berlin pourrait bien, en effet, s’apercevoir, à un moment ou un autre, que son partenaire italien, s’avèrerait bien plus volontaire, compétent dans ce domaine et, par ailleurs, déjà client d’une grande entreprise allemande, que ne le sont la France et son industrie de défense. Et d’arriver à l’évidente conclusion qu’il aurait beaucoup plus intérêt à collaborer avec Rome dans ce domaine, qu’avec Paris…

Le déclassement militaire et industriel français d’ici à 2035 peut-il être évité ?

Alors que certains redoutent le déclassement militaire et industriel, il était fréquent d’entendre, jusqu’il y a eu, dans les propos des dirigeants français et européens, que l’écosystème défense français, ses armées et son industrie, étaient au sommet de la hiérarchie européenne.

La nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030, devait permettre de préserver cette position dominante en Europe, ainsi qu’une influence majeure dans le Monde, en amenant le budget des armées à 67 Md€ en 2030, soit de 2,15 à 2,25 % du PIB français, à cette date.

Une fois passée la satisfaction de voir les dépenses militaires continuer de croitre jusqu’en 2030, après 25 années de sous-investissements critiques, les évolutions de l’environnement sécuritaire et industriel défense mondial, ont rapidement engendrer des interrogations, et même des critiques, sur la trajectoire de cette LPM, jugée insuffisante pour répondre aux enjeux qui se dessinent.

Aujourd’hui, l’écosystème défense français est pris dans un étau potentiellement mortel, avec, d’un côté, une dette souveraine et des déficits publics excessifs, privant le pays de marges de manœuvre dans ce domaine, et de l’autre, une transformation massive, et rapide, de la menace, comme de la concurrence industrielle et militaire en Europe et dans l’ensemble de la sphère occidentale.

Dans ce contexte, le déclassement de l’ensemble des composantes de la défense française, en Europe et dans le monde, est-il inévitable ? Et, quelles alternatives peuvent être envisagées, pour tenter de préserver à la France, ses armées et son industrie de défense, de ce déclassement potentiellement irréversible ?

L’évolution rapide de la menace internationale en Europe et dans le monde et le plancher d’investissement OTAN à 2,5 % PIB en 2025

Il est, évidemment, inutile de revenir sur l’évolution rapide des menaces militaires qui se développent dans le monde, y compris en Europe. Entre la montée en puissance des armées et de l’industrie de défense russes, les efforts colossaux développés par Pékin pour rattraper et dépasser la puissance militaire américaine au plus tôt, les inquiétantes évolutions des trajectoires iraniennes et nord-coréennes, et le réarmement massif au niveau mondial, les tensions sont, aujourd’hui, au plus haut niveau depuis la fin de la guerre froide.

industrie de défense russe
L’industrie de défense russe a connu une croissance extraordinnaire ces deux dernières années, pour soutenir l’opération militaire en Ukraine.

Face à cette situation, la France, comme l’immense majorité des pays de la sphère occidentale, a augmenté ses dépenses de défense. pour atteindre un effort de défense de 2 % en 2024, et avec l’objectif d’atteindre autour de 2,2 % à la fin de la LPM en cours, en 2030.

Pour autant, cet effort apparait déjà insuffisant. Ainsi, aujourd’hui, les armées françaises font face à d’importantes contraintes budgétaires, venant lourdement handicaper leurs capacités de formation et d’entrainement des forces, et obligeant à de difficiles, mais discrets, arbitrages dans les efforts de modernisation, comme lorsque seuls 160 des 200 Leclerc seront modernisés sur la durée de la LPM, alors que cette modernisation est, de l’avis même des spécialistes du sujet, très insuffisante face aux évolutions constatées des menaces sur le champ de bataille ukrainien.

Cette trajectoire budgétaire pourrait être, d’ailleurs, rapidement mise à l’index, au sein même de l’OTAN. En effet, la décision de porter le plancher de l’effort de défense des membres de l’alliance à 2,5 %, et non 2 % comme aujourd’hui, a été reporté à 2025, lors du prochain sommet de l’alliance, pour éviter de créer des dissensions dans l’alliance.

Toutefois, l’objectif est désormais fixé, et la trajectoire de la LPM actuelle, ne permettra donc pas de répondre aux exigences minimales de l’alliance Atlantique, venant considérablement altérer le discours officiel, au sujet de la première armée et de la première industrie de défense en Europe.

L’Allemagne et la Pologne prennent les rênes de la défense européenne dans le domaine conventionnelle

Il est vrai que Paris peut s’appuyer sur une capacité exclusive au sein de l’Union européenne, et très rare même sur le plan mondial, sa dissuasion à deux composantes. Celle-ci garantit, effectivement, la sécurité ultime du pays, et prévient la possibilité d’un chantage nucléaire.

Le poids de la dissuasion sur l’effort de défense français

Cependant, elle ne représente pas, tout du moins aujourd’hui, une compétence à forte influence internationale, y compris auprès des européens, qui restent très attachés au bouclier nucléaire américain, alors qu’ils se montrent beaucoup plus réservés vis-à-vis de la confiance qu’ils accordent à Paris, pour protéger leurs intérêts le cas échéant.

Écosystème défense français Missile SLBM M51 France
La dissuasion française absorbe 20 à 25 % du budget des armées.

Surtout, les compétences technologiques entourant la dissuasion française, souffrent de deux handicaps sévères. D’abord, elles ne s’exportent pas, ou difficilement, faisant intégralement porter sur la France les couts de conception et de développement. Surtout, elles sont chères, et même, très chères.

De fait, les couts de la dissuasion française, sur le budget des armées et l’effort de défense, s’imputent aux investissements dans les moyens conventionnels qui, eux, s’exportent, et qui représentent un potentiel militaire bien plus efficace sur la scène internationale et européenne, dans l’immense majorité des cas.

Jusqu’à présent, la France parvenait à équilibrer ses investissements entre dissuasion et forces conventionnelles, dans la hiérarchie mondiale, en s’appuyant notamment sur une plus grande efficacité de l’investissement, une BITD nationale presque autonome, et en consommant à petit feu le potentiel militaire et technologique résiduel hérité de la fin de la guerre froide.

La Pologne prend la position de glacis oriental européen face à la Russie

Depuis quelques années, cependant, et notamment le début du conflit en Ukraine, les armées mondiales ont lourdement accru leurs moyens budgétaires et leurs ambitions. En Europe, c’est particulièrement le cas de l’Allemagne et de la Pologne, qui, eux, ne souffrent pas de la captation budgétaire de la dissuasion.

K2 Black Panther Pologne
La Pologne a acquis de nombreux équipements majeurs pour moderniser et étendre son outil militaire, comme 180 chars K2 Black Panther construits en Corée du Sud, alors que 820 exemplaires devraient être assemblés dans le pays.

Sous l’influence du président Duda et du PiS, la Pologne a été la première à s’engager dans cette voie, avant même le début du conflit ukrainien, en signant de nombreux contrats d’acquisition d’équipements pour moderniser et étendre ses armées, dont un millier de chars K2, 250 chars M1A2 Abrams, 700 lance-roquettes multiples K239 Chunmoo et Himars, 3 frégates, 3 sous-marins ainsi que 32 chasseurs F-35 et 48 chasseurs légers FA-50, entre autres.

Dans le même temps, les armées polonaises vont passer de 200.000 à plus de 300.000 hommes, avec, notamment, la création de deux divisions mécanisées supplémentaires, faisant de la Pologne le pivot du rideau défensif de l’OTAN face à la menace russe et biélorusse.

L’État polonais investit par ailleurs massivement dans le développement de son industrie de défense, en s’appuyant, en particulier, sur les accords de transferts de technologies et de fabrications locales, concernant les nombreux contrats d’importation signés. Pour financer ses ambitions, Varsovie a amené son budget défense à 4,1 % de son PIB en 2024, faisant, au passage, exploser son déficit budgétaire au-delà de 5 %.

L’Allemagne en route pour une position dominante, militaire et industrielle, en Europe

D’autres pays européens ont considérablement augmenté leurs dépenses de défense en Europe, comme les Pays-Bas, la Suède ou encore le Danemark, ainsi que tous les pays d’Europe de l’Est et Baltes, souvent bien au-delà des 2,5 % PIB dorénavant visés par l’OTAN.

C’est cependant l’Allemagne qui, dans ce domaine, a pris le virage le plus radical, et la trajectoire la plus directe pour venir contester la position dominante française sur la défense européenne. En effet, Berlin a fait progresser son effort de défense de 53 Md€ et 1,55 % de son PIB en 2022, à 67,8 Md€ en 2023 (+8,7 Md€), puis 90,6 Md€ et 2,1 % du PIB, en 2024 (+22,8 Md€), soit une hausse de 55,4 %, et 31,5 Md€, en deux ans seulement.

Leopard 2A8 Allemagne
L’industrie de défense allemande a multiplié les succès et les annonces ces derniers mois, s’appuyer sur l’augmentation massive du budget de la défense qui dépasse en 2024, les 90 Md€.

En partie financé par le Zeitenwende d’Olaf Scholz, cette progression s’est particulièrement ressentie dans les acquisitions d’équipement de la Bundeswehr, passés de 12 Md€ à 26 Md€ en 2024, soit plus de 10 Md€ de plus que les Armées françaises.

Cet afflux budgétaire, il est vrai temporaire, a permis aux industriels allemands de la défense, d’enregistrer des croissances très importantes, qu’il s’agisse de leur chiffre d’affaires comme de leur carnet de commande, et d’augmenter significativement le nombre de programmes en cours de développement.

De fait, ces derniers mois, les annonces se sont multipliées outre-Rhin, concernant le lancement ou la participation allemande, à des programmes industriels de défense, mettant incontestablement l’industrie allemande de défense, au sommet de la hiérarchie européenne, y compris face à la France, tout au moins en termes de moyens budgétaires.

Dans le même temps, le ministère de la Défense allemand, a engagé plusieurs transformations profondes de la Bundeswehr, pour en augmenter le format et les capacités opérationnelles, y compris en ouvrant la voie à une nouvelle forme de conscription. Ce faisant, Berlin s’est engagée sur une trajectoire pour prendre une position dominante incontestable en Europe, tant en matière de défense et de forces armées, que dans le domaine de l’industrie de défense. Ce qui ne pourra se faire, qu’au détriment de la France.

Corée du Sud, Israël, Turquie : la menace des émergents sur l’écosystème défense français

Les menaces sur la position française sur la scène internationale, en matière de défense, et d’industrie de défense, ne viennent pas uniquement de Berlin, de Varsovie ou de Rome. Plusieurs pays, en effet, ont investi des moyens colossaux pour s’imposer sur de nombreux marchés stratégiques, y compris ceux qui étaient, précédemment, une spécialité de la BITD française.

C’est d’abord le cas de la Corée du Sud, devenue, en quelques années seulement, un acteur majeur de la scène mondiale de l’armement, s’arrogeant plusieurs contrats majeurs dans le domaine des chars lourds et de l’artillerie autotractée, y compris en Europe. Séoul n’entend cependant pas se limiter aux véhicules blindés.

KA-21 Boramae atterrissage
Le KF-21 Boramae sud-coréen est positionné sur le même segment de marché que le Rafale français.

Ainsi, il y a quelques jours, Séoul annonçait la commande d’un premier lot de 20 chasseurs bimoteurs de génération intermédiaire KF-21 Boramae, pour un prix unitaire de 68 m€, 20 % moins cher qu’un Rafale ou un Typhoon. Dans le domaine naval, également, la Corée du Sud produit d’immenses efforts sur la scène internationale, notamment pour proposer son sous-marin KSS-III Dosan Anh Changho au Canada, en Pologne et aux Philippines.

De fait, la Corée du Sud a toutes les chances, d’ici à quelques années, de faire jeu égal, sur le marché international de l’armement, avec la France, en termes de qualité comme de richesse de catalogue.

L’industrie de défense israélienne, elle aussi, a connu une formidable progression en termes de parts de marché internationales, le pays annonçant un record de 13 Md$ de commandes pour 2023. Moins exhaustive que l’offre sud-coréenne, l’offre internationale d’armements israéliens peut s’appuyer du précieux label « combat Proven », et de bons résultats enregistrés par Tsahal concernant leur utilisation, qu’il s’agisse de blindés, de missiles, ou de drones.

De tous les pays ayant produit d’importants efforts pour developper leur industrie de défense ces dernières années, c’est incontestablement la Turquie qui a enregistré la progression la plus fulgurante, passant, en 15 ans, d’une position presque exclusivement importatrice de technologies de défense à un niveau d’autonomie stratégique supérieur à 70 % aujourd’hui.

L’industrie de défense turque s’est ainsi engagée dans de très nombreux programmes avancés, allant du char de combat Altay à la frégate Istanbul, en passant par l’hélicoptère T129 à l’avion de combat Khan. C’est toutefois dans le domaine des missiles tactiques, et des drones de combat, que le pays s’est démarqué, en particulier sur la scène internationale, le pays ayant enregistré une croissance ininterrompue à deux chiffres dans ce domaine depuis 10 ans.

La France sans aucune marge de manœuvre pour contenir le déclassement militaire français et de son industrie de défense

Face à l’ensemble de ces menaces, qu’il s’agisse d’assurer la défense du pays et de ses intérêts vitaux, en Métropole et sur l’ensemble de la planète, mais aussi de conserver les prérogatives qui sont aujourd’hui encore les siennes, du fait de la prédominance relative de ses armées et de son industrie de défense, la France n’a que très peu d’alternatives.

Industrie de défense française MBDA
Bien que très performante, l’indsutrie de défense française ne pourra pas se maintenir dans la concurrence internationale sans une nouvelle augmentation rapide et massive des investissements en matière d’équipements de défense.

Le pays est, en effet, contraint par une dette souveraine représentant 110 % de son produit intérieur brut, dans un contexte de croissance lente, et de tensions politiques et sociales extrêmes, faisant passer les impératifs de défense au second, voire au troisième plan des priorités gouvernementales.

Les déficits budgétaires français, chroniques et supérieurs à la limite de soutenabilité de 3 % établie par Bruxelles, ont d’ailleurs amené les autorités financières européennes à entamer une procédure pour déficit excessif.

De fait, pour les tenants actuels de l’offre politique, présents ou potentiels, le mieux que la France puisse atteindre, dans les années à venir, n’est autre que le respect de la trajectoire budgétaire tracée dans le cadre de la LPM 2024-2030, que l’on sait très insuffisante pour répondre aux différents enjeux préalablement abordés.

Une menace pour l’autonomie stratégique française largement sous-évaluée jusqu’ici

Pour beaucoup, la France disposant, en ultime recours, de la dissuasion nucléaire, le déclassement supposé de ses armées dans le domaine de la puissance militaire conventionnelle, et de son industrie de défense, ne représentent donc pas une menace pour l’autonomie stratégique du pays.

Il s’agit là, cependant, d’une perception simplifiée et, en grande partie, erronée, de la notion d’autonomie stratégique. D’abord, parce que cette autonomie stratégique française, résulte en grande partie de la capacité de son industrie de défense à produire l’immense majorité des équipements de ses armées, y compris dans le domaine de la dissuasion.

Ligne d'assemblage Dassault Aviation Merignac Rafale
Si la France est en mesure de produire l’immense majorité de ses équipements de défense, c’est en grande partie grâce au succès de ses exportations.

Or, en perdant sa position relative dans la hiérarchie militaire internationale, et en réduisant, de manière relative, ses investissements de R&D et de production d’équipements de défense, l’offre française en matière d’équipements de défense verrait son attractivité décroitre rapidement, face aux offres croissantes et agressives venues d’Allemagne, de Corée du Sud, d’Israël, de Pologne ou de Turquie, venant surcoucher les offres britanniques, italiennes, russes, chinoises et, bien entendu, américaines, déjà présentes.

Et si les équipements de defense français ne s’exportent plus, l’industrie de défense nationale perdrait la position d’équilibre lui permettant de concevoir et produire l’ensemble des équipements de ses armées. De fait, la France devrait importer une partie croissante des armements pour son armée, engendrant une dépendance stratégique majeure, vis-à-vis des pays qui lui les auront vendus.

La France perdrait, par ailleurs, une partie des revenus budgétaires, et des emplois, liés à l’écosystème entourant la Base Industrielle et Technologique Défense, venant accroitre les déficits, ce d’autant que les couts d’importations sont, en général, sensiblement supérieurs aux couts de production de l’industrie nationale.

De plus, la vente d’équipements de défense confère à la France un important bras de levier international vis-à-vis de ses clients et partenaires dans ce domaine hautement stratégique. Perdre sa position dominante, dans ce domaine, reviendrait donc à un profond déclassement français, sur la scène internationale.

Ce qui serait d’autant plus absurde qu’aujourd’hui, industriels et militaires français peuvent s’appuyer sur une technicité et une expérience encore largement supérieures à celles des pays qui menacent ses positions, en Europe et dans le Monde. Toutefois, cet avantage qui subsiste, ne durera que peu de temps, si une alternative à l’impossible augmentation du budget des armées, n’est pas trouvé.

Le Socle Defense : changer les données du problème pour préserver la position de la France

Alors, la France est-elle condamnée à rejoindre les Pays-Bas, l’Espagne et la Hongrie, au firmament des grandes puissances européennes et mondiales, aujourd’hui sans influence, autonomie stratégique, et sans poids sur la scène internationale ? Pas nécessairement…

Macron Merkel
Pour Emmanuel Macron et son prmier gouvernement, en 2017, la LPM à venir, et la coopération franco-allemande, suffisait à garantir les interets de la France en matière de défense.

En effet, en 2017, un modèle alternatif au financement des armées avait été proposé, sans toutefois retenir l’attention des autorités, ni des candidats à la présidentielle. L’élection passée, le ministère des Armées avait poliment rejeté la proposition soutenue alors par deux anciens chefs d’état-major français, en expliquant que la LPM 2018-2025 suffirait à résoudre l’ensemble des problèmes des armées.

Baptisé Socle Défense, ce modèle visait à amener le budget des armées françaises à 2,7 % du PIB d’ici à 2022, spéculant qu’à cette date, la Russie et la Chine disposeront d’une puissance militaire suffisante pour engager, éventuellement, des opérations militaires majeures, contre l’Ukraine, l’Europe ou Taïwan.

Comme aujourd’hui, la dette souveraine et les déficits, pourtant inférieurs à ce qu’ils sont en 2024, interdisait une hausse rapide et significative de l’effort de défense. Pour lever cette objection, le Socle Défense s’articulait autour de trois outils complémentaires.

Une entreprise PPP pour porter le leasing et la re-commercialisation des équipements de défense des armées françaises

Au cœur du Socle Défense, prenait place une entreprise en Partenariat Public Privé, dont la fonction était d’acheter les équipements de défense auprès de l’industrie de défense française, pour les louer, par la suite, aux armées françaises.

Cette solution, proche des Sociétés de Projet étudiées en 2014, permettait de résoudre les écueils auxquels celles-ci s’étaient confrontées, à savoir la menace sur l’attrition, et les couts d’assurance. En effet, les sociétés de projet reposaient sur une structure financière légère, destinée à acquérir un ou deux équipements majeurs, comme les A400M, pour les louer aux armées.

A400M Airbus DS Armée de l'Air
Les sociétés de Projet, étudiée par la DGA et les indsutriels de la BITD en 2014 et 2015, devaient initaiement servir à porter le financement des A400M de l’Armée de l’Air .

Or, selon ce modèle, si un appareil venait à être gravement endommagé ou détruit, par accident ou au combat, les fonds propres de la société porteuse pouvaient devenir négatifs, entraînant son dépôt de bilan immédiat. Pour palier ce risque, il aurait été nécessaire de souscrire une assurance, qui aurait fait exploser les couts de location, effaçant tous les bénéfices attendus par ce modèle.

En regroupant tous les équipements majeurs au sein d’une seule entreprise porteuse, le risque de l’attrition et des fonds propres négatifs est, bien évidemment, largement maitrisé. Car s’il est possible de perdre un avion de combat ou un hélicoptère à l’entrainement, voire au combat, la perte d’une frégate ou d’un porte-hélicoptère, est largement moins probable, créant un tampon suffisant pour contenir le risque sur les fonds propres.

Ce modèle permet, en outre, de traiter contractuellement le risque d’attrition, avec les armées, sous la forme d’un transfert de propriété en valeur résiduelle, accompagné d’un financement traditionnel, à la destruction de l’équipement.

Le recours au leasing permet à l’état et aux armées, de ne pas inscrire la dette souscrite par la société PPP, dans le cumul de la dette souveraine, alors que seuls les échéances annuelles, s’inscrivent dans le solde budgétaire des comptes publics. Il faut, cependant, pour que ce montage soit validé par Eurostat, respecter certaines règles strictes, mais cohérentes avec le modèle.

Un appel à l’épargne volontaire des français pour financer l’achat des équipements de défense

Le second volet du Socle Défense, repose sur un produit d’épargne, destiné exclusivement à créer le fonds d’investissement mis en œuvre par la société PPP pour acquérir les équipements de défense.

KNDS Leclerc Evolved Eurosatory 2024
L’industrie française peut s’appuyer sur un acquis encore prédominant pour garantir son succès et ses innonvations pensant quelques années. Leclerc Evolved de KNDS France présenté au salon Eurosatory (Photo F. Dosreis)

L’appel à l’épargne des français permet de conserver l’intégralité de la dette dans la sphère nationale, et donc d’en maitriser finement les flux, y compris en période de crise. En outre, cette solution permet de créer un lien qui s’est étiolé, ces dernières décennies, entre les Armées, l’industrie de défense et l’opinion publique, en partie en lien avec la professionnalisation des forces.

Le recours à un livret garanti par l’État, comme le Livret A, mais dédié à cette fonction, serait, certainement, la solution la plus efficace dans ce domaine, ce d’autant que les dépôts sur livret sont largement excédentaires en France. Toutefois, d’autres modèles d’épargne peuvent être envisagés, dont l’assurance-vie.

Un nouveau modèle pour évaluer la soutenabilité de l’effort de défense français au profit de l’autonomie stratégique

Le troisième et dernier volet du Socle Défense, consiste en une doctrine de pilotage de l’efficacité budgétaire de l’investissement de défense, appelée Défense à Valorisation Positive. Celle-ci propose de remplacer le pilotage à la dépense, traditionnel et peu efficace, par un pilotage au solde budgétaire, c’est-à-dire la différence entre les investissements de l’état, et les recettes générées par ces investissements pour les finances publiques.

Sans entrer dans le détail du modèle macro-économique, il apparait, en effet, qu’en cumulant les recettes fiscales et sociales liées aux dépenses de l’État dans l’industrie de défense, et celles liées aux exportations des équipements de défense, le cout réel résiduel pour l’État devient presque négligeable, face aux bénéfices politiques, sécuritaires et technologiques engendrés.

Frégate FDI Amiral Ronarc'h
Le solde budgétaire de l’investissement d’état dans l’indsutrie de défense française, offre une nouvelle manière de piloter l’effort de défense.

En étendant le modèle pour y intégrer les économies induites par une hausse de l’activité industrielles et des exportations, conséquences d’une hausse des investissements industriels, le solde budgétaire pourrait même devenir positif, pour les finances publiques, et ainsi, servir de base à une bulle autofinancée de l’effort industriel de défense.

Pour parvenir à ce niveau d’équilibre, il est toutefois indispensable d’optimiser les exportations, et donc de piloter la commande publique, en tenant compte de ce paramètre d’autant plus déterminant, qu’il conditionnerait les capacités budgétaires à venir pour les armées.

Un outil performant pour amener l’effort de défense français à 3 % sans creuser les déficits

Ensemble, ces trois outils forment une solution particulièrement performante pour augmenter les dépenses de défense, en particulier au travers de l’investissement industriel national, sans altérer les comptes publics, ni creuser les déficits. Mieux encore, lors de la phase de mise en place, en transférant des investissements planifiés industriels, vers ce modèle, il est possible de libérer des crédits supplémentaires, au sein du budget des Armées, pour traiter certaines urgences, comme en termes d’infrastructures et de format.

Bien évidemment, la description ici faite du Socle défense est largement simplifiée, le diable se nichant, dans ce type de modèle, dans les détails, et les méandres des législations nationales et européennes encadrant une telle initiative. Toutefois, elle permet d’en comprendre la cadre et le potentiel général, en particulier, la possibilité d’accroitre rapidement les investissements de défense, dans le présent contexte particulièrement contraint.

Conclusion

Alors, la France, ses armées et son industrie de défense, peuvent-elles éviter le déclassement international ? Comme évoqué, il existe des alternatives, au moins une, qui permettrait aux autorités françaises de sensiblement accroitre les moyens consacrés aux armées et à l’industrie de défense, sans subir les foudres de Bruxelles.

Caesar Mali
Les Armées françaises et la BITD nationale disposent de compétences uniques au sein de l’Union Européenne, qui contribuent à l’influence de Paris sur la scène européenne et internationale.

Reste que, comme dit précédemment, la Défense et les armées ne semblent ni être la priorité des sphères politiques aujourd’hui, quel que soit leur alignement, et encore moins de l’immense majorité de l’opinion publique, souvent déconnectée de ces sujets à forte composante internationale.

Difficile, dans ces conditions, d’imaginer qu’un gouvernement à venir, puisse s’emparer avec détermination et imagination du sujet, pour trouver, ou appliquer, des modèles innovants permettant d’amener, à courte échéance, l’équivalent budgétaire dédié aux armées, à 3 % du PIB.

Dans ces conditions, la menace d’un déclassement majeur d’ici à dix ans, soit à horizon 2035, des armées françaises, ainsi que l’industrie de défense occupant à ce jour la seconde place du podium mondial des exportateurs d’armement, demeure très élevée, et difficilement contournable.

Mettre le programme NGAD au prix du F-35A, l’USAF dévoile son plan pour sauver le chasseur de 6ᵉ génération

Il y a à peine deux semaines de cela, le Chef d’état-major de l’US Air Force, le général Allvin, confirma que le programme NGAD de chasseur de 6ᵉ génération américain, pouvait être menacé par des arbitrages budgétaires, provoquant une onde de choc dans l’ensemble de l’écosystème défense américain.

Plus tard, c’était au tour du Secrétaire à l’Air Force, Frank Kendall, de faire de même, lorsqu’il laissa entendre que des arbitrages difficiles pourraient avoir lieu, sur fonds de hausses des couts de certains programmes stratégiques, comme le bombardier B-21 Raider et le missile ICBM Sentinel.

Depuis ces annonces, de nombreuses voix, militaires comme politiques, se sont élevées outre-atlantique, pour appeler à préserver le programme NGAD, jugé indispensable pour faire face à la menace chinoise dans le Pacifique, mais aussi pour préserver et developper l’industrie aéronautique de défense américaine.

Dans une interview donnée au site Defensenews et publiée le 1ᵉʳ juillet, le SECAF Frank Kendall, a détaillé la manière dont lui-même et l’US Air Force, s’étaient engagés dans une approche de rupture, pour sauver le NGAD sans devoir renoncer aux autres programmes, dans le respect des contraintes budgétaires existantes.

F-35A, B-21, Sentinel, CCA : L’US Air Force a plus de programmes prioritaires que de crédits

La principale contrainte menaçant le programme NGAD étant budgétaire, la solution préconisée par l’US Air Force, va évidemment vers la diminution du prix de l’appareil et de son développement.

B-21 Raider Northrop Grumman US Air Force
Le B-21 Raider est l’un des programmes stratégiques de l’US Air Force qui a vu des couts croitre significativement ces dernières années.

Il faut dire que, comme c’est souvent le cas outre-atlantique, les ambitions technologiques du NGAD sont aujourd’hui telles, que l’appareil avait un prix prévisionnel estimé entre 300 et 400 m$, exprimés en USD 2030, date de son entrée en service.

Comme cela a été le cas pour de nombreux autres programmes, le NGAD visait, jusqu’ici, à devenir l’appareil de combat le plus performant de sa catégorie, et son programme servait simultanément de cadre aux besoins exprimés par l’US Air Force, et de colonne vertébrale pour le développement de certaines nouvelles technologies majeures, comme pour le turboréacteur adaptatif à hautes performances, successeur du F135.

C’est précisément ce à quoi l’US Air Force semble, aujourd’hui, prête à renoncer. Et pour cause ! L’objectif budgétaire avancé par Frank Kendall, lors de cette interview, a de quoi laisser pantois, puisqu’il serait question d’amener le prix du NGAD, premier chasseur de 6ᵉ génération et successeur du F-22 Raptor, au niveau de celui du F-35A, soit autour de 100 m$.

Exclure les programmes de R&D de la conception du programme NGAD pour en réduire les prix et les délais

Parvenir à un tel prix unitaire constituerait, naturellement, non seulement une planche de salut pour le programme lui-même, mais aussi un profond bouleversement dans la stratégique d’acquisition de l’US Air Force en matière de flotte de chasse.

Industrie de défense américaine P&W F-135
Le reacteur qui propulsera le NGAD pourrait bien ne pas être un modèle de nouvelle génération a technologie adaptative, mais un turboreacteur plus classqiue déjà en service.

En effet, paradoxalement, les ambitions opérationnelles autour du NGAD ne semblent devoir souffrir qu’à la marge, d’une telle réduction budgétaire. Ainsi, l’appareil demeurera bien le premier chasseur de 6ᵉ génération de l’USAF, conçu pour s’assurer de la suprématie aérienne au-dessus du champ de bataille et pour mettre en œuvre, le plus efficacement possible, les nouveaux drones de combat du programme CCA. Il sera toujours, en outre, optimisé pour le théâtre Pacifique et ses longues distances.

Il semble, en revanche, que c’est dans la doctrine entourant le programme, qu’il faut chercher les économies considérables que l’US Air Force veut réaliser. Ainsi, il ne serait plus question de lier le développement du turboréacteur de nouvelle génération à la conception du NGAD, l’appareil devant se tourner vers « la solution la plus efficace et la plus économique du moment », selon le SECAF.

En d’autres termes, pour atteindre de tels objectifs de couts et de délais, puisqu’il est désormais question de refondre intégralement le programme dans que l’objectif d’une entrée en service en 2030 ou juste après ne soit décalé, l’US Air Force entend se contenter d’intégrer à l’appareil l’état de l’art des technologies existantes, sans prendre à sa charge, en tout cas, dans ce programme, les nouveaux développements technologiques.

Revoilà la doctrine Roper, qui semble désormais s’infiltrer par tous les interstices industriels des programmes de l’US Air Force

Le lecteur attentif de Meta-defense que vous êtes n’est évidemment pas surpris de cette révolution, pourtant copernicienne, dans la doctrine industrielle de l’US Air Force. Ce d’autant que cette approche reprend, dans ses fondements, les éléments du modèle industriel du Docteur Will Roper, lorsqu’il présidait aux achats de l’USAF, maintes fois détaillée sur ce site.

Frank kendall US Air Force
Frank Kendall, en 2014, lorsqu’il était sous-secrétaire aux acquisitions de l’US Air Force

En effet, la solution préconisée par Kendall et l’US Air Force, pour préserver NGAD, consiste avant tout à séparer la Recherche et le Développement des nouvelles technologies constitutives d’un avion de combat, de la conception d’un nouveau modèle, qui, elle, ne reposerait que sur des technologies existantes.

À ce titre, dans le prolongement de cette approche, certaines voix préconisent également de différencier la conception d’un aéronef, de sa construction. En d’autres termes, l’industriel ayant conçu le nouvel appareil, ne serait pas nécessairement celui qui devra le fabriquer en série et au meilleur prix.

On comprend à quel point ce modèle, préconisé par Roper, diverge en tout point de celui employé ces 30 dernières années par l’US Air Force, et plus globalement, par l’ensemble du Pentagone, qui tendait à rassembler tous ces aspects auprès d’un unique contractant, avec les résultats parfois catastrophiques, que l’on connait.

Il s’agit, d’ailleurs, d’un certain désaveu de la stratégie poursuivie par Frank Kendall depuis son arrivée à la direction civile de l’US Air Force, celui-ci ayant, dès son arrivée, traité avec un certain mépris la doctrine Roper, pour s’en tenir à une approche très conventionnelle de la conduite des programmes industriels.

Le programme NGAD, indispensable à la préservation de l’écosystème industriel aéronautique de défense américain aujourd’hui

Même transformé, et avec des ambitions technologiques revues à la baisse, la préservation du programme NGAD sera certainement accueillie, si elle se confirme, avec un grand soulagement, tant par l’US Air Force que par les Représentants et Sénateurs américains, ainsi que par beaucoup d’industriels, en premier lieu desquels, Boeing.

Ligne assemblage F-15EX Boeing Saint-louis
la ligne d’assemblage Boeing de Saint-Louis n’aura plus de livraisons vers les armées US après 2027

En effet, l’avionneur de Seattle est aujourd’hui dans une situation des plus complexes, en particulier concernant son activité avions de combat de Saint-Louis, Missouri. Ainsi, les derniers F-15EX commandés par l’US Air Force seront produits en 2025, alors que les derniers Super Hornet de l’US Navy, le seront en 2027.

En dehors des avions d’entrainement T-7A et des drones de combat MQ-25 Stingray, deux contrats à engagement fixe de prix, ayant déjà couté plusieurs centaines de millions de $ à la trésorerie de Boeing, l’avionneur ne peut, désormais, compter que sur d’éventuelles commandes export de F-15EX, pour préserver l’activité de son site de Saint-Louis, sachant qu’en dehors des 50 appareils pour les forces aériennes israéliennes, proches d’une conclusion contractuelle, les autres pistes évoquées (Indonésie, Pologne…), sont loin d’être acquises.

De fait, le programme NGAD de l’US Air force, constituait un objectif stratégique presque existentiel pour Boeing, alors que Lockheed peut s’appuyer sur le très lucratif programme F-35, et Northrop sur le très prometteur B-21, alors que l’US Navy a annoncé le report de son F/A-XX, le pendant naval du NGAD de l’US Air Force.

Or, la préservation de l’activité avions de combat et du site de Saint-Louis de Boeing, s’avère aussi stratégique pour de nombreux acteurs de l’industrie aéronautique américaine, et, par transitivité, pour beaucoup de Représentants et Sénateurs, Républicains comme Démocrates, que l’on sait jugés très souvent sur ce type de sujets par le corps électoral local.

Enfin, pour le Pentagone, une menace sur l’activité Avions de combat de Boeing, c’est courir le risque de n’avoir, à l’avenir, comme seule alternative concernant les chasseurs tactiques et chasseurs embarqués, que Lockheed Martin. Lorsque l’on voit la manière dont l’industriel à su s’imposer sur tous les sujets contractuels du F-35, on imagine bien ce qu’une position hégémonique pourrait engendrer sur les prix et les programmes des avions de combat américains.

Un NGAD au prix du F-35A viendra nécessairement menacer le programme de Lockheed Martin

Reste que si, comme annoncé, les nouveaux objectifs et la nouvelle doctrine encadrant la conception du NGAD, permettent, en effet, d’atteindre un appareil au prix de 100 m$, soit le prix d’un F-35A, c’est bien l’ensemble du paysage industriel et opérationnel de l’US Air Force, et à plus long terme, du Pentagone, qui pourrait se voir transformer.

F-35A US Air Force
Le F-35A pourrait être directement menacé par un NGAD à 100 m$

En effet, dans une telle hypothèse, le NGAD deviendrait bien davantage que le remplaçant de 6ᵉ génération au F-22, dans sa mission de supériorité aérienne. Il deviendrait, en effet, une alternative directe au F-35A, ainsi qu’aux chaines contractuelles qui entourent ce programme.

Plus lourd et bimoteur, le NGAD serait, à ce titre, bien plus apte à combattre sur le théâtre Pacifique, qui demeure la principale préoccupation de l’US Air Force, tout en étant nativement conçu pour opérer en coopération avec des drones de combat, peut-être avec l’idée d’une version biplace permettant à un officier système d’armes de prendre place pour partager la charge cognitive au sein de l’équipage.

Dans une telle hypothèse, il n’y aurait rien de surprenant à ce que l’US Air Force préfère se tourner vers le NGAD, pour remplacer ses F-15E, plutôt que vers le F-35A, permettant d’augmenter le volume de la flotte du chasseur de 6ᵉ génération, avec, à la clé, certaines économies d’échelle, tout en diminuant celle du chasseur de 5ᵉ génération de Lockheed Martin, et de ses engagements contractuels si contraignants.

Mieux encore, en construisant le NGAD comme une synthèse des meilleures technologies disponibles du moment, l’appareil pourrait s’avérer plus facile à exporter, légalement parlant et contrairement au F-22 aujourd’hui, tout au moins vers certains alliés clés comme le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, Israël ou les pays de l’OTAN, permettant d’en accroitre la soutenabilité budgétaire.

Conclusion

On le voit, les remous provoqués par les déclarations de Frank Kendall et le général Alvin, pourraient bien engendrer une évolution profonde, et même salutaire, de la doctrine de conduite des programmes industriels de l’US Air Force.

NGAD boeing
Boeing devait également participer au programme F/A-XX de l’US Navy, mais ce dernier a été reporté de quelques années, avec une entrée en service prévue pour 2040 dorénavant.

Reste à voir à quel point les ambitions évoquées par Frank Kendall, qui a peu de chances de conserver ses fonctions au-delà du mois de janvier 2025, sont effectivement crédibles, et surtout si elles permettront d’entamer l’indispensable mutation au sein de l’US Air Force, et par transitivité, du Pentagone, pour retrouver une efficacité budgétaire et industrielle perdue depuis plus de deux décennies maintenant.

Le fait est, il s’agit, probablement, de l’ultime chance américaine pour tenter d’inverser les évolutions du rapport de force industriel et militaire avec la Chine, en prenant une distance salvatrice avec les dérives technologistes stériles ayant handicapé nombre de ses programmes industriels ces dernières années, et en recollant au modèle performant qui fit son succès, notamment durant les années 70 et 80.

Il faudra donc suivre avec grande attention les évolutions du programme NGAD dans les semaines et mois à venir, celui-ci ayant le pouvoir de radicalement transformer l’ensemble de l’écosystème aéronautique militaire américain, et au-delà, occidental, si tant est que les portes ouvertes par le Secrétaire à l’Air Force, lors de cette interview, soient effectivement empruntées.

Pourquoi la commande du premier lot de 20 KF-21 Boramae par Séoul menace-t-elle l’industrie aéronautique européenne ?

L’industrie de défense sud-coréenne s’apprête à franchir le pas et à entrer sur la scène internationale avec son chasseur moyen de génération intermédiaire KF-21 Boramae, comme elle le fit précédemment pour les véhicules blindés, avec le char K2 et le VCI AS21, l’artillerie avec le K9, les sous-marins avec le KSS-III, et les missiles.

En effet, le gouvernement sud-coréen vient de signer la première commande pour 20 chasseurs bimoteurs KF-21 Boramae Block 1 pour les forces aériennes sud-coréennes, ouvrant la voie à la commercialisation de l’appareil sur la scène internationale.

Même si, ou peut-être à cause des ambitions technologiques raisonnables de ce programme, le Boramae présente toutes les caractéristiques d’un chasseur polyvalent équilibré et attractif, qui pourrait, rapidement, se tailler des parts de marché significatives sur le marché international, reproduisant les succès des blindés et systèmes d’artillerie sud-coréens, qui s’imposent régulièrement lors des compétitions face aux équipements occidentaux, notamment européens.

9 ans après le lancement du programme KFX, les forces aériennes sud-coréennes commandent les 20 premiers KF-21 Boramae Block 1

Le KF-21 Boramae repose, avant tout, sur un programme mené d’une manière particulièrement efficace par l’avionneur sud-coréen KAI et l’agence d’innovation nationale DAPA.

KF-21 Boramae biplace
Pourquoi la commande du premier lot de 20 KF-21 Boramae par Séoul menace-t-elle l'industrie aéronautique européenne ? 85

En effet, il n’aura fallu que 9 ans et 8 Md$, entre le lancement du programme KFX, et la commande des 20 premiers appareils de série, devant être livrés en 2025 et 2026. Elle intervient, par ailleurs, seulement deux ans après le premier vol du démonstrateur, suivi, depuis, par cinq autres prototypes, dont deux biplaces, ayant enregistré plusieurs centaines d’heures de vol lors du programme d’essais.

Il n’aura d’ailleurs fallu qu’un an, à partir du premier vol du Boramae, pour que le chasseur satisfasse à une première capacité opérationnelle, et seulement trois ans, entre le premier vol, et la livraison du premier appareil de série, aux forces aériennes sud-coréenne.

Long de 16,9 mètres pour 11,2 mètres d’envergure, le Boramae a une masse à vide de 11,8 tonnes et une masse maximale au décollage de 25,5 tonnes, le mettant dans la catégorie du Rafale, du Typhoon et du Super Hornet. Il est propulsé par deux turboréacteurs américains F-414-GE-400K codéveloppé par General Electric et Hanwha Defense, assemblés en Corée du Sud, et développant chacun 58 KN et 98 KN avec post-combustion.

Le chasseur est doté d’excellentes performances, avec une vitesse maximale supérieure à Mach 1.8 et un rayon d’action de combat de 1000 km. Il dispose d’une avionique moderne, avec un radar AESA, un IRST et une suite de guerre électronique, et peut emporter de nombreuses munitions sous ses 10 points d’emport, dont les missiles air-air Meteor, AMRAAM, IRIS-T et Sidewinder AIM-9X, le missile de croisière Taurus, le missile antinavire Harpoon et différentes bombes guidés.

Bien que non furtif et dépourvu de soute à munition, le Boramae est un avion discret. Il doit, d’ailleurs, évoluer à l’avenir vers une version plus évoluée, plus furtive, et disposant d’une fusion de données et de capteurs étendus, pour en faire un avion de 5ᵉ génération.

Un besoin total de 120 KF-21 Boramae pour remplacer les F-4 et F-5 sud-coréens

Le KF-21 Boramae a été conçu par KAI et la DAPA pour répondre aux besoins de modernisation des forces aériennes sud-coréennes, et notamment pour remplacer les 80 F-5E Tiger II encore en service, ainsi que les F-4 Phantom II, retirés du service cette année.

F-5 forces aériennes sud-coréennes
Pourquoi la commande du premier lot de 20 KF-21 Boramae par Séoul menace-t-elle l'industrie aéronautique européenne ? 86

Au total, les forces aériennes sud-coréennes veulent acquérir 120 KF-21, 40 en version Block I, plus spécialisée pour les missions air-air, et 80 en version Block 2, polyvalents et multimissions.

La seconde commande de 20 KF-21 Block 1 à suivre, doit intervenir en 2025, une fois que les derniers vols d’essais et les confirmations technologiques auront donné satisfaction. La commande des 80 Block 2 interviendra en 2026, après que les prototypes ont effectué plusieurs centaines d’heures de vol supplémentaires, pour avaliser le standard.

Tous les 120 appareils devront être livrés d’ici à 2032, soit à peine 16 ans après le lancement du programme, qui aura couté, selon les projections, moins de 18 Md$, construction et livraison des appareils incluses.

Pour parvenir à un tel résultat, KAI n’a pas hésité à se tourner vers des technologies exogènes, comme les États-Unis ( turboréacteur F-414-GE-400K, système de survie UTC), Israël (radar Elta-System, système de suivie de terrain Elbit System), l’Italie (IRST Leonardo) ou la Grande-Bretagne (siège éjectable Martin-Baker, réservoir largable Cobham, missiles MBDA) etc…

KF-21-avril-21
Pourquoi la commande du premier lot de 20 KF-21 Boramae par Séoul menace-t-elle l'industrie aéronautique européenne ? 87

En outre, 600 entreprises sud-coréennes participent à la conception et la fabrication de l’appareil, KAI ayant structuré un écosystème complet pour maitriser parfaitement sa chaine de sous-traitance, ses couts et des délais de production.

L’appareil résultant offre des performances proches de celles d’un Rafale ou d’un Typhoon, bien qu’il doive encore démontrer son efficacité et sa fiabilité à l’usage. Sur la base du contrat pour les 20 premiers KF-21 Boramae, d’un montant de 1960 milliards de Wons, soit 1,36 Md€, le prix unitaire de l’appareil de 68 m€, sensiblement moins cher qu’un Rafale et qu’un Typhoon, autour de 100 m€, et même que le JAS 29 Gripen E, de 75 m€.

3 versions du KAI KF-21 en préparation pour les forces aériennes sud-coréennes et l’export

Si, jusqu’à présent, la trajectoire du KF-21 reposait sur deux versions principales, la Block 1 spécialisée Air-air et disposant de capacités air-sol et air-surface limitées, et la Block 2, à partir de 2027, multimission, KAI a présenté, il y a quelques jours, une nouvelle déclinaison de version à venir, à partir de 2030.

Ainsi, le Boramae sera dérivé en trois versions différentes. La première, baptisée KF-21SA, sera très proche du Block 2 des forces aériennes sud-coréennes, et formera l’offre de base sur le marché de l’exportation, pour un chasseur de génération 4.5 à hautes performances et abordable.

KF-21N
Pourquoi la commande du premier lot de 20 KF-21 Boramae par Séoul menace-t-elle l'industrie aéronautique européenne ? 88

Le KF-21EX, lui, verra sa furtivité renforcée, et sera notamment doté d’une soute à munition, ainsi que d’une avionique et d’une fusion de données modernisées, pour en faire un véritable chasseur de 5ᵉ génération. Il disposera, en outre, de la possibilité de contrôler des drones de combat.

Enfin, le KF-21EA sera une version dédiée à la guerre électronique et la suppression des défenses aériennes adverses, avec, notamment, un officier système d’armes pour contrôler les systèmes de brouillage et de guerre électronique du chasseur.

Un sérieux concurrent en devenir pour les F-16V, F-15EX, Gripen, Rafale et Typhoon occidentaux

Si, effectivement, KAI disposera de ces 3 versions du Boramae au début des années 2030, et que les KF-21 Block 1 et Block 2 des forces aériennes sud-coréennes se montrent performants et fiables, l’avionneur sud-coréen disposera d’une offre qu’il sera difficile de confronter pour les avionneurs occidentaux, y compris américains.

En effet, le KF-21SA offrira des performances supérieures au F-16V et au Gripen, du fait de sa configuration bimoteur, pour un prix d’acquisition inférieur. Le KF-21EX sera de plain-pied dans la 5ᵉ génération, prenant une longueur d’avance sur les Rafale, Typhoon et F-15EX. Il sera notamment « furtif », certes, certainement moins que le F-35A, mais il sera, également, beaucoup moins onéreux que le chasseur de Lockheed Martin, et bien moins contraint, en termes d’exportation.

Rafafle en patrouille serrée
Pourquoi la commande du premier lot de 20 KF-21 Boramae par Séoul menace-t-elle l'industrie aéronautique européenne ? 89

Enfin, le KF-21EA fournira une alternative au Growler américain, qui, d’ailleurs, ne sera plus fabriqué à ce moment-là. Cet appareil bénéficiera, en particulier, de sa filiation avec les KF-21SA et EX, permettant de se doter d’une flotte réduite de chasseurs de SEAD, sans devoir assumer les contraintes d’une microflotte.

Reste que le Boramae ne sera pas dépourvu de faiblesses. En premier lieu, contrairement à Dassault Aviation, BAe, Boeing ou Lockheed Martin, la fiabilité de Séoul, en tant que partenaire d’armement, et de KAI, en tant qu’industriel, restent à démontrer sur le long terme.

Si cette dépendance peut être acceptable concernant des blindés, elle devient plus problématique lorsqu’il s’agit d’équipements à forte dépendance technologique, comme les avions de combat, ou les sous-marins. Ainsi, bien que, sur le papier, le sous-marin KSS-III Dosan Anh Changho est très attractif, il n’a pour l’heure, pas trouvé preneur, alors que dans le même temps, les Type 212 allemands, ainsi que les Scorpene Évolution et Blacksword Barracuda français, se sont imposés.

Surtout, le panachage technologique international employé pour concevoir à moindre cout le KF-21, représente autant de contraintes à l’exportation, puisqu’il sera nécessaire d’obtenir, pour chacun de ces équipements, une autorisation d’exportation de la part des industriels et pays concernés.

Un exemple concret de la doctrine Roper à l’œuvre dans le domaine des avions de combat

Reste qu’avec un chasseur moyen bimoteur de génération 4.5 à 68 m€, le KF-21 Boramae a le potentiel de redessiner une partie du marché des avions de combat, en frappant d’obsolescence les prix pratiqués par les avionneurs traditionnels européens et américains.

KF-21 Boramae usine
Pourquoi la commande du premier lot de 20 KF-21 Boramae par Séoul menace-t-elle l'industrie aéronautique européenne ? 90

Paradoxalement, ce prix unitaire, comme le faible cout de la conception du chasseur, tout de même 100 fois moins élevée que les 400 Md$ du F-35, n’ont été possibles que par l’application d’une doctrine industrielle qui n’est pas sans rappeler celle préconisée par Will Roper, le précédent sous-secrétaire aux acquisitions de l’US Air Force de l’administration Trump, pour sa Digital Century Series.

En effet, le Boramae a été conçu comme un programme de synthèse des technologies existantes, pour concevoir, rapidement, et au meilleur cout, le meilleur appareil possible. Si, au-delà de cette doctrine de base, la durée de vie efficace de l’appareil, avait été initialement réduite à 15 ans, comme préconisé par Roper, il est probable que la conception aurait été encore plus rapide, et l’appareil encore moins onéreux.

Par ailleurs, la déclinaison du chasseur en versions spécialisées, une pour la guerre électronique, l’autre pour les frappes furtives, une troisième pour la supériorité aérienne, recoupe également certains aspects de spécialisation de la doctrine Roper.

Or, les réserves, jusqu’à présent, concernant cette doctrine, reposaient avant tout sur le manque de données fiables, quant aux économies qu’elle pouvait engendrer concernant les couts et délais de conception et de fabrication des avions de combat.

Les résultats, désormais, sont incontournables. KAI, un avionneur sans expérience de la conception d’un véritable avion de combat jusqu’ici, a conçu en moins de dix ans, un chasseur qui a le potentiel de surclasser les meilleurs chasseurs européens du moment, tout en étant 30 % moins cher, et en ayant couté 70 % moins cher à concevoir.

Une menace existentielle se profile pour les avionneurs européens

De fait, avec le programme KFX et le KF-21, l’industrie aéronautique sud-coréenne a acquis bien davantage qu’une expérience de la conception d’un avion de combat, mais un recul et des données clés quant à une méthodologie, et une doctrine susceptible de renverser le marché aéronautique militaire occidental dans les années à venir.

Prototype KF-21
Pourquoi la commande du premier lot de 20 KF-21 Boramae par Séoul menace-t-elle l'industrie aéronautique européenne ? 91

En effet, s’il n’a pas fallu 10 ans et 8 Md$ pour concevoir un chasseur comme le Boramae à un avionneur sans expérience du sujet, avec une base industrielle qui débutait dans ce domaine également, quel sera le potentiel de cet écosystème à l’avenir, une fois enrichi de cette expérience ?

Il semble bien, aujourd’hui, qu’il est urgent, pour les avionneurs européens comme Dassault aviation, BAe et Saab, d’étudier avec intérêt et ouverture d’esprit, l’ensemble du processus industriel de KAI et de la DAPA autour du programme KFX, et de suivre avec attention les déclinaisons qui s’annoncent, et s’apprêter à reproduire cette doctrine, au besoin.

Faute de quoi, les sud-coréens pourraient bien appliquer, dans le domaine des avions de combat, la même stratégie que celle qui leur a permis, jusqu’ici, de s’imposer dans toutes les compétitions majeures dans le domaine de l’artillerie autotractée et des chars lourds ces dernières années.