Depuis l’entrée en service du premier drone MALE MQ-1 Predator au sein de l’US Air Force en 1995, le rôle de ces aéronefs pilotés du sol et dotés d’une autonomie de plus de 24 heures n’a cessé de croitre au sein des armées mondiales. Désormais, la plupart des grandes armées mondiales mettent en oeuvre ce type de drone, ou son successeur le MQ-9 Reaper pour assurer des missions de renseignement et parfois de frappe sur des théâtres de basse intensité, comme ce fut le cas lors des campagnes irakiennes et afghanes pour les Etats-Unis, ou pour l’opération Barkhane dans le Sahel pour les armées françaises. En revanche, comme l’avaient déjà montré les pertes de Predator et de Reaper en Libye et au Yemen, dès que l’adversaire dispose de systèmes anti-aériens évolués, ces drones se révèlent être très vulnérables, bien au delà de ce que leur cout d’acquisition et de mise en oeuvre ne permettent de supporter.
Pour continuer à disposer de ce type de renseignements et de capacités de frappe en environnement contesté, deux solutions s’offrent aux forces armées. La première est d’employer des drones plus légers et plus économiques, et d’en accepter la perte probable si celui-ci devait s’approcher d’un système anti-aérien ou antidrone adverse. C’est notamment l’approche retenue par le turc Baykar avec son désormais célèbre TB2 Bayraktar, qui fit ses preuves lors du conflit du Haut-Karabakh, et qui s’est élevé au rang de symbole nationale pour les ukrainiens depuis le début de l’agression russe. Plus petit et plus economique que le MQ-9, avec un prix unitaire de l’ordre de 4 à 5 m$, le TB2 a permis aux forces ukrainiennes de suivre l’avancée des offensives russes pour coordonner les frappes et contre-attaques sur les lignes logistiques de l’adversaire, mais également de mener des frappes contre les systèmes anti-aériens TOR, Pantsir et Buk sensés protéger les convois russes. Toutefois, si les ukrainiens utilisèrent très efficacement leurs Bayraktar, ceux-ci connurent une importante attrition dès lors qu’ils se confrontaient à des systèmes anti-aériens modernes TOR-M2 ou Buk-M2/3 correctement employés par les forces russes.

Les résultats enregistrés par les TB2 ukrainiens amenèrent de nombreux commentateurs et analystes des questions de défense en Europe, et notamment en France, à recommander l’acquisition ou de développement de ce type de drones low cost. Mais que faire, dans ces conditions, des flottes de drones MALE Reaper déjà acquises qui doivent rester en service jusqu’au milieu de la prochaine décennie, alors qu’ils restent toujours très efficaces sur les théâtres de faible intensité ? Le concepteur du Predator et du Reaper, l’américain General Atomics, propose désormais une solution à ce dilemme avec le drone léger aéroporté Eaglet. Conçu pour être transporté et mis en oeuvre par les drones MALE Grey Eagle, Reaper et Gardian, l’Eaglet est un petit drone de 3 mètres d’envergure ailes déployées et de 90 kg, pouvant transporter une charge utile de 15 kg pendant 8 heures ou 800 km à une vitesse de 200 km/h. Il permet ainsi au porteur de se maintenir à distance de sécurité des défenses anti-aériennes adverses, tout en déployant des capacités de renseignement et de localisation électronique et electroptique au dessus du champs de bataille.
Comme les drones légers employés communément en Ukraine, ces derniers seront difficiles à détecter et à éliminer à l’aide d’une DCA traditionelle, conçue pour éliminer des appareils plus rapides et plus volumineux que des équipements. Pour autant, même s’ils ont un aspect laissant supposer une certaine forme de furtivité, ils ont été conçus pour proposer une cout d’acquisition « compatible » avec une importante attrition, même si le système est en soit réutilisable. En outre, il permettra d’intégrer rapidement et simplement de nouvelles capacités de détection, de surveillance, de communication ou de frappe, au fil des évolutions technologiques et des besoins. Enfin, et c’est une capacité des plus interessantes en particulier dans le domaine naval, l’Eaglet profitera de l’allonge et de l’autonomie du drone MALE porteur pour potentiellement être déployé à des distances inaccessibles aux drones légers, ou même aux TB2 Bayraktar, profitant en outre de la connexion satellite de son drone porteur pour évoluer bien au delà de la ligne de visée vis-à-vis de la station de controle.
On le voit, l’Eaglet de General Atomics n’est en fait qu’une application du concept de Remote Carrier développé dans le cadre des programmes d’avions de combat de 6ème génération, comme le SCAF rassemblant la France, l’Allemagne et l’Espagne, le Tempest Italiano-britannaique, et les NGAD et F/A-XX de l’US Air Force et de l’US Navy, tout en l’adaptant astucieusement aux besoins, technologies et moyens de deploiement immédiatement disponibles. Il permet ainsi de transposer à relativement court terme l’efficacité des flottes de drones MALE aux Etats-Unis ainsi que parmi ses alliés, en une capacité adaptée aux enseignements de la guerre en Ukraine dans le domaine de la haute intensité. Reste que pour transformer cet essai en réussite, il sera nécessaire pour General Atomics d’effectivement satisfaire à ses engagements en terme de capacités et de performances, mais surtout en terme de couts et de calendrier, ces derniers points étant pour l’heure encore obscures dans le discours de l’avionneur américain.
D’un autre point de vue, l’approche proposée par General Atomics, pourrait également inspirer les Européens et notamment le groupe MBDA en charge de la version « légère » du Remote Carrier des programmes SCAF et Tempest. On peut en effet imaginer que les solutions développées dans le cadre de ces programmes pourraient être, à court terme, transposées pour concevoir un Remote Carrier destiné à armer les drones MALE en service en Europe, comme le Reaper, le Gardian et surtout bientôt, on l’espère, l’Eurodrone, de sorte à permettre à ces appareils de répondre eux-aussi aux enjeux de la haute intensité. En outre, l’Eurodrone disposant de capacités d’emport supérieures à celles du MQ-9, il devrait permettre de mettre en oeuvre des drones aéroportés plus lourds, eux même pouvant, dans cette hypothèse, transporter si besoin des munitions vagabondes, de sorte à créer une capacité de renseignement et de frappe à la fois résidente et parfaitement adaptés aux enseignements de la guerre en Ukraine. Ceci constituerait alors une capacité opérationnelle différenciée susceptible de promouvoir le drone européen sur la scène internationale, voire d’en accroitre l’attractivité pour les clients initiaux, en particulier pour les missions de surveillance et d’engagement navales…














