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Nouvelle démonstration de force chinoise autour de Taïwan suite à la visite d’un sénateur US

Si l’attention médiatique est focalisée sur la guerre en Ukraine, les tensions entre Pékin et Washington au sujet de l’ile de Taiwan continuent de croitre, à grand renfort de démonstrations de forces menées par les armées chinoises et américaines à proximité de l’ile indépendante. Ainsi, ce week-end, les groupes navales des porte-avions USS Ronald Reagan et USS Abraham Lincoln ont participé à un important exercice conjoint entre l’ile japonaise d’Okinawa et Taïwan, après que le groupe naval chinois du porte-avions Liaoning revint d’un exercice dans le Pacifique occidental en passant par le détroit de Miyako quelques jours plus tôt. Aujourd’hui, ce furent 30 avions de combat des forces aériennes chinoises qui ont mené, comme ce fut déjà le cas à plusieurs reprises depuis 2 ans maintenant, une mission aérienne en pénétrant dans la zone d’identification aérienne au sud de l’ile de Taïwan, constituant la seconde plus importante mission de ce type cette année, après que 39 appareils chinois aient participé à une mission similaire le 23 janvier, sans atteindre toutefois le record de 52 appareils du 10 avril 2021.

Comme à chaque fois, il s’agissait pour Pékin de marquer son agacement en réponse à une action américaine, en l’occurence la visite officielle de la sénatrice démocrate Tammy Duckworth, et de sa délégation, lors d’une visite officielle de 3 jours sur l’ile indépendante pour rencontrer, entre autres, plusieurs élus locaux et régionaux. Il faut dire que Tammy Duckworth est une personnalité de poids au sénat américain comme au sein de la commission des forces armées du Sénat et du parti Démocrate. Ancienne pilote d’hélicoptère dans l’US Army, elle perdit ses deux jambes lorsque son UH-60 Black Hawk fut abattu par un tir de RPG en 2004 en Irak, l’obligeant à deux années de rééducation intense, avant de s’engager en politique au sein du parti Démocrate, non sans avoir reçu la prestigieuse Purple Heart. Après s’être engagée dans l’administration Obama pour soutenir la cause des anciens combattants, elle est élue en 2011 à la Chambre de Représentants pour l’état de l’Illinois, avant d’être élue sénatrice de l’état en 2016. Très populaire au sein des forces armées, elle fut un temps pressentie pour la vice-présidence de Joe Biden, avant que celui-ci ne choisisse Kamala Harris à ce poste.

Su35 des forces aeriennes chinoises Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
2 Su-35 chinois ont participé à la mission du 30 Mai autours de Taïwan

Plus qu’à l’accoutumé, le dispositif aérien déployé par Pékin pour protester contre la visite de la Sénatrice US était constitué de nombreux modèles différents : 2 KJ-500 d’alerte aérienne avancée, 4 Y-8 de renseignement électronique, un Y-8 de guerre électronique, un Y-8 de patrouille maritime ainsi qu’une flotte de 14 chasseurs composée de 6 J-16, de 4 J-10, de 2 Su-30 et, chose plus rare, de 2 Su-35. On remarquera toutefois l’absence de bombardiers lourds à long rayon d’action H-6, mais également d’avions de ravitaillement en vol, une capacité encore embryonnaire bien qu’en developpement rapide au sein des forces aériennes de l’Armée Populaire de Libération. Au delà de l’aspect purement symbolique, faire évoluer de concert des appareils aussi diversifiés et aux capacités aussi différentes, peut sembler tenir davantage d’un exercice de défilé aérien que d’une démonstration de force militaire. Toutefois, comme souvent avec la Chine, les motivations et objectifs liés à ces missions aériennes autour de Taïwan sont bien plus complexes et riches que perçues de prime abord.

Si ce type de réponse a perdu, avec le temps et la répétition, de son intérêt en matière de politique internationale, il permet toutefois aux forces aériennes chinoises de maintenir sous pression leurs homologues taïwanaises, tout en maintenant à jour leurs informations sur les dispositifs de défense de l’ile. C’est notamment la raison qui explique la présence de 4 Y-8 ELINT dans le dispositif aérien, ces appareils étant conçus précisément pour identifier l’ensemble des émissions électromagnétiques de l’adversaire. En outre, même si les appareils chinois ne représentent très probablement pas une menace immédiate pour Taiwan, les forces aériennes de l’ile ne peuvent ignorer un telle déploiement de force, et se doivent donc de réagir, en dépêchant des avions de combat pour observer les appareils chinois, mais également en activant des systèmes de défense, comme des radar et systèmes de défense anti-aérienne. De fait, en agissant ainsi, les forces aériennes chinoises obligent Taiwan à consommer du potentiel opérationnel de ses appareils, mais également à dévoiler une partie de l’architecture de défense qui protège l’ile, tant au niveau terrestre qu’aérien et naval.

Y 8GX4 ELIN Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
Le Y-8GX4 est une version dédiée à l’écoute électronique de cet appareil qui a connu plus de 40 versions différentes, allant du transport tactique à la patrouille maritime en passant par une version Gunship

Il est probable, toutefois, que le dispositif mit en oeuvre par Pékin soit appelé à évoluer dans les mois et années à venir. Ainsi, les forces aériennes chinoises mettent en oeuvre un nombre croissant de chasseurs de 5ème génération J-20 au profil furtif, et l’absence d’identification de ce type d’appareil par les forces aériennes taïwanaises ne signifie en rien qu’ils n’étaient pas présents, ni d’ailleurs qu’ils n’aient pas été effectivement détectés par Taiwan, dans un poker menteur opérationnel des deux cotés. De même, le nombre d’avions ravitailleurs Y-20U va lui aussi croitre rapidement, permettant aux appareils chinois de poursuivre leurs missions bien au delà du travers de l’ile indépendante, comme c’est aujourd’hui le cas en l’absence de ces avions ravitailleurs. Pékin doit également recevoir sous peu de nouveaux modèles d’aéronefs, dont le chasseur embarqué de 5ème génération J-35 dont une version terrestre serait également envisagée, et le bombardier stratégique H-20, sensé prendre la relève des vénérables H-6, eux-mêmes dérivés des Tu-16 soviétiques datant de la fin des années 50.

Surtout, les forces armées chinoises fournissent un très important effort depuis de nombreuses années pour developper et se doter d’une flotte de drones de combat évoluées, celle-ci s’appuyant tant sur des drones Moyenne Altitude Longue Endurance comme le Win Loong 2, que des drones de combat furtifs comme le GJ-11 de la famille Sharp Sword. Là encore, il est probable que le dispositif aérien déployé par Pékin pour tester les défenses taïwanaises sera appelé à rapidement évoluer vers l’utilisation massive de ce type d’aéronefs non pilotés, tant pour en évaluer l’efficacité contre les défenses taïwanaises, que pour en perfectionner l’utilisation dans un contexte opérationnel proche de la réalité, pouvant même intégrer par la suite d’autres systèmes autonomes, comme des drones navals ou sous-marins. Enfin, et c’est loin d’être anodin, avec le lancement prochain (on l’estime probable dans les jours à venir), du nouveau porte-avions chinois Type 003, la Marine chinoise disposera dans les années à venir d’une capacité aéronavale très significative pour peser dans ce bras de fer, notamment pour tenir à distance la puissante US Navy.

Sharp Sword Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
la famille des drones Sharp Sword constitue la colonne vertébrale des programmes de drones de combat furtifs chinois

De fait, sous des couverts pouvant apparaitre superficiels, ces missions chinoises autour de Taïwan s’inscrivent très probablement dans une stratégie sur le long terme visant à disposer d’une connaissance étendue des capacités défensives de l’ile, mais également à tester les faiblesses de ce dispositif défensif, en particulier avec l’arrivée de nouveaux materiels dans les mois et années à venir. Il s’agit, en fait, d’une stratégie à l’opposée de celle employée par le Russie contre l’Ukraine qui, par une mauvaise evaluation des capacités défensives de Kyiv, entraina les échecs successifs auxquels se sont confrontés les armées russes depuis le 24 février. Et ce ne sera probablement que lorsque Pékin aura l’assurance de pouvoir mener avec succès son opération militaire que la décision de s’emparer de Taiwan par la force sera prise. Il est probablement temps, pour les occidentaux et en particuliers les Européens, d’anticiper cette probable dérive, de sorte à ne pas se retrouver, comme avec la Russie, sous la menace de conséquences économiques lourdes une fois la trajectoire géopolitique en developpement à son terme.

La Pologne continue d’exclure les offres européennes de ses contrats d’armement

Depuis l’annulation du contrat d’hélicoptères Caracal annoncé en 2016 pour se tourner vers des hélicoptères de facture américaine, Varsovie a montré une très nette préférence pour les équipements américains, avec la commande de 2 batteries anti-aériennes et anti-missiles Patriot PAC3 en 2018, de 20 systèmes lance-roquettes multiples HIMARS, de 185 missiles antichars Javelin et de 32 chasseurs bombardiers F-35A en 2019, et plus récemment de 250 chars lourds M1A2 Abrams en 2021. Dans de nombreux cas, des équipements équivalents voire supérieurs de facture européenne étaient proposés (Avions Rafale/Typhoon/Gripen, missiles MMP/EuroSpike, système SAMP/T Mamba et chars Leopard 2A7), sans qu’ils puissent s’imposer face aux offres américaines. Toutefois, les derniers arbitrages polonais semblent indiquer qu’au delà du tropisme pro-américain déjà largement mis en évidence ces dernières années, les autorités polonaises mènent également une stratégie d’équipement de défense ouvertement hostile vis-à-vis de ses partenaires de l’Union Européenne.

Ainsi, il y a quelques semaines, Varsovie annonçait la commande de 3 frégates basées sur le modèle Arrowhead 140 du britannique Babcock, un contrat de 2 Md€ dans le cadre du programme Miecznik (Espadon), et ce au détriment de l’offre allemande de TKMS et de sa frégate Meko 300, aprés que l’espagnol Navantia ait été exclu de la compétition. Il y a quelques jours, le ministre polonais de la Défense Mariusz Błaszczak a annoncé son intention de commander 6 nouvelles batteries anti-missiles Patriot PAC 3 ainsi que 500 systèmes lance-roquettes multiples Himars auprés des Etats-Unis. Enfin, lundi 30 mai, Mariusz Błaszczak a annoncé la signature d’un accord de coopération avec son homologue sud-coréen Lee Jong-Sup, afin d’acquérir de nouveaux systèmes d’artillerie automoteurs Krab, ainsi que d’un modèle de véhicule de combat d’infanterie sud-coréen pour remplacer les VCI polonais datant du pacte de Varsovie, sans qu’il soit précisé s’il s’agissait du K-21 de 25 tonnes ou de l’AS-21 Redback de 42 tonnes, ce dernier étant actuellement en compétition en Australie contre … le KF-41 Lynx de l’allemand Rheinmetall.

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La Pologne envisage d’acquérir des VCI sud coréen K-21 ou AS-21 Redback (ici en illustration)

De toute évidence, depuis l’arrivée au pouvoir d’Andrzej Duda et du parti conservateur Droit et Justice en 2015, les autorités polonaises ont mené une politique d’équipement de défense qui non seulement privilégie le partenaire américain, avec la volonté affichée de faire de la Pologne le pilier européen de l’OTAN face à la Russie comme l’était l’Allemagne Fédérale contre l’Union Soviétique et la Pacte de Varsovie pendant la Guerre Froide, mais que cette stratégie a évolué vers une hostilité marquée vers les équipements proposés par les entreprises de défense européennes, en particulier celles basées en France et en Allemagne, au point que désormais, les entreprises françaises ne participent plus aux nouvelles compétitions organisées par les autorités polonaises. Dans le même temps, et paradoxalement, la Pologne est le pays membre de l’Union européenne qui affiche la balance entre contributions et aides européennes le plus favorable, avec un solde positif de presque 12 Md€ (2020) soit équivalent à l’intégralité du budget défense polonais (11,9 Md$ en 2019), alors que dans le même temps, Berlin et Paris sont les plus importants contributeurs au budget européen, avec un solde négatif respectivement de 17 et de 8 Md€ par an.

Non content d’équiper ses armées de materiels américains, britanniques et sud-coréens sur des subsides payées par les contribuables allemands et français, Varsovie se montre dans le même temps très critique vis-à-vis des positions françaises et allemandes en matière de défense, critiques exacerbées depuis l’attaque russe contre l’Ukraine. Ainsi, Andrzej Duda a ouvertement critiqué Berlin pour ne pas avoir compensé les quelques 250 chars T-72M1 prélevés sur les stocks polonais et transférés aux forces ukrainiennes, par des Leopard 2, le char allemand le plus moderne mais également le plus cher du moment. En outre, Varsovie est très critique sur les positions franco-allemandes dans cette guerre, et notamment sur le fait que les deux capitales européennes tentent de maintenir le contact diplomatique avec Moscou, créant autour de ces sujets une importante vague de défiance vis-à-vis des pays d’Europe de l’Ouest (France, Allemagne, Italie, Belgique, Espagne..) de la part des pays d’Europe de l’Est et du Nord, notamment des pays Baltes et des ex-membres du Pacte de Varsovie.

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Varsovie veut se doter d’une capacité d’artillerie à longue portée sans équivalent en acquérant 500 systèmes américains HIMARS, soit autant que n’en dispose l’US Army

Pour autant, face à cet état de fait difficilement contestable, Paris et Berlin restent sans réaction. Au contraire, dans une interview donnée en avril, le president de KNDS, Franck Haun, avait inclus la Pologne dans la liste des pays pouvant potentiellement rejoindre à court terme le programme de char de nouvelle génération franco-allemand MGCS, aux cotés de la Norvège et surtout de la Grande-Bretagne. Varsovie est également courtisé par Rome, sans grands espoirs cependant, dans le cadre de son programme d’hélicoptère d’attaque léger, ainsi que pour developper un nouveau programme de char de combat, si l’Italie et la Pologne ne pouvaient rejoindre le programme MGCS.

Toutefois, il est probable que les autorités polonaises iront privilégier, dans ce domaine comme précédemment, les offres américaines ou sud-coréennes, ces derniers ayant déjà proposé une version spécialement adaptée de son K2 Black Panther à Varsovie. Cette reserve polonaise vis-à-vis des initiatives européennes se ressent également au sein de la Coopération Permanente Structurée, ou PESCO. Le pays participe bien à 13 programmes européennes, mais n’en dirige qu’un, le Special Operations Force Medical Centre ou SMTC, et s’ést tenu à distance des programmes majeurs structurants comme le programme de defense antimissile Twister, la corvette européenne EPC ou encore les programmes d’avion de transport tactique Futur Medium-Size Transport Cargo et de transport lourd SATOC. Quoiqu’il en soit, les arbitrages répétés pris par les autorités polonaises ces 10 dernières années en défaveur des offres d’équipements militaires européens, atteignent désormais un niveau difficilement tolérable par les européens eux-mêmes, d’autant que la Pologne profite très largement des subsides européens depuis de nombreuses années. Difficile, dans ces conditions, d’espérer concevoir une initiative européenne de défense.

La Russie a testé son missile anti-navire hypersonique 3M22 Tzirkon à sa portée maximale de 1000 km

Les armes hypersoniques, et plus particulièrement les armées hypersoniques russes, alimentent depuis plusieurs années de nombreux débats, qu’il s’agisse de la vulnérabilité des grandes unités navales comme des systèmes aptes ou non à s’opposer à de telles missiles évoluant au delà de Mach 5. Moscou exploite depuis l’annonce de l’entrée en service du missile balistique aéroporté Kinzhal en 2019, cette inquiétude très perceptible en occident, souvent relayée par des médias manquant de recul sur le sujet. Pour autant, la Marine russe vient de lever un des doutes qui planaient depuis plusieurs mois quant aux performances annoncées de son missile anti-navire hypersonique 3M22 Tzirkon, en annonçant le succès d’un tir de validation s’étant tenu ce week-end en Mer Blanche, à la portée maximum du système, soit à 1000 km de distance de la cible.

Jusqu’à présent, tous les tests annoncés par la Marine russe s’étaient tenu à des distances plus réduites, allant de 200 à 450 km de portée, ce qui laissait planer un doute quant à la portée annoncée du Tzirkon à 1000 km. Ce week-end, la frégate Admiral Gorshkov, a donc levé l’ambiguïté, en tirant son nouveau missile à sa portée maximale à partir de ses silos standards UKSK. La semaine dernière, les autorités russes avaient par ailleurs confirmé leur intention de doter les batteries côtières russes K-300 Bastion du nouveau missile hypersonique aux cotés du P800 Onyx supersonique déjà en service, de sorte à leur conférer une capacité de frappe à longue portée et de dissuasion très efficace contre les flottes adverses.

Gorshkov Tzirkon Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
La fregate Admiral Gorshkov (project 22350) a effectué samedi 26 Mai un tir de missile 3M22 Tzirkon à portée maximale de 1000 km en mer blanche

Pour autant, de nombreuses questions restent sans réponse concernant ce nouveau missile. En effet, s’il est admis qu’il soit équipé d’un propulseur à poudre pour l’éjection et la prise de vitesse initiale, et d’un Scramjet ou superstatoreacteur pour maintenir un vol de croisière hypersonique entre Mach 5 et Mach 8, à une altitude pouvant atteindre 28 km, sa capacité à pouvoir atteindre des cibles mobiles, même de grande taille comme un porte-avions, restent encore sujet à débat. En effet, un missile évoluant entre Mach 5 et Mach 10 engendre un important dégagement de chaleur sur ses parties saillantes, en particulier sur sa coiffe sensée abriter le système de guidage terminal. Pour résister à ces chaleurs extrêmes, il est donc nécessaire d’employer des alliages spéciaux qui s’avèrent particulièrement opaques aux ondes radars, sans même parler des systèmes de guidage infrarouge actuellement employés pour permettre aux missiles antinavires de repérer leur cible et de l’identifier si besoin.

Naturellement, une fois cette question posée, se pose un évident parallèle avec la torpille russe VA-111 Chkval qui, lorsqu’elle entra en service à la fin des années 70, inquiéta également les états-majors occidentaux. En effet, cette torpille pouvait atteindre des vitesses très élevées de plus de 400 km/h grâce à un système de propulsion dit de supercavitation, contre 80 km/h pour les meilleures torpilles occidentales du moment. Pour autant, cette torpille était loin de représenter un atout déterminant pour la marine russe, car à cette vitesse, la torpille évolue dans une bulle de gaz (d’ou le terme de supercavitation) qui, si elle lui permet d’évoluer beaucoup plus vite, est totalement opaque aux ondes sonores des sonar de guidage employés pour diriger les munitions. En d’autres termes, la Chkval est très rapide, mais elle n’est absolument pas capable de suivre une cible, contrairement aux autres modèles de torpilles plus lentes mais dotées d’un autodirecteur acoustique, et ne pouvait être employée qu’à courte portée par un sous-marin contre une cible peu manoeuvrante, dans ce qui s’avèrerait être une mission quasi-suicide.

VA 111 Chkval torpedo Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
Bien que capable des hautes vitesses, la torpille à super-cavitation Chkval russe ne peut être dirigée

Or, comme pour les Chkval, les Tzirkon ne sont pas appelés, en tout cas pas dans un avenir proche, à remplacer intégralement les missiles anti-navires supersoniques P800 Onyx à bord des navires et sous-marins russes, mais plutôt de les compléter. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la capacité effective du Tzirkon à utiliser un autodirecteur final, même s’il est probable que ce dernier soit capable de se diriger vers des coordonnées très précises par navigation inertielle et géolocalisation, et potentiellement d’être recalibré en vol par l’intermédiaire d’informations de localisation de la cible fournies par d’autres systèmes (avions, satellites, sous-marins), à l’instar de la manière dont les missiles balistiques anti-navires chinois à longue portée DF-21D et DF-26 fonctionnent eux-aussi.Une telle hypothèse permettrait aux forces occidentales de concevoir des moyens susceptibles de se prémunir contre la menace que représente le Tzirkon, précisément en empêchant la détection précise de la cible, et la recalibration en vol du missile, que ce soit en brouillant les moyens de détection, en gardant à distance ou en éliminant les systèmes de détection aériens et navals de l’adversaire, ou en empêchant la détection satellite par du brouillage électromagnétique ou électro-optique, voire en supprimant les satellites eux mêmes.

Pour autant, la menace Tzirkon, comme celle de Chkval avant elle, ne peut être prise à la légère par les forces navales occidentales. En évoluant à Mach 8, il ne faut que 7 minutes au missile pour parcourir les 1000 kilomètres de sa portée maximale, ce qui laisse une fenêtre de réaction très réduite à un navire ou un groupe naval pour apporter une réponse en cas de détection, pour peu que celle-ci ait elle-même été détectée par la cible. À 500 km de distance, ce délai est ramené à moins de 4 minutes, alors même que les meilleurs systèmes sol-air et air-air du moment ne portent qu’à 150 km et évoluent à Mach 4,5 (Meteor, Aster 30, SM-6), et que les radars air-surface employés par les Tu-142 russes ont une portée de l’ordre de 300 km. De fait, pour peu que la marine russe parvienne à mettre en place une chaine de communication et de commandement suffisamment véloce pour relayer rapidement l’information, l’équation posée par le 3M22 Tzirkon, même sans autodirecteur radar actif, pose une réelle menace pour les capacités de manoeuvre des marines occidentales.

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les avions de patrouille maritime russe comme le Tu-142MZ sont capables de détecter et localiser avec précision les navires à 300 km de distance

On le comprend, si le Tzirkon n’est probablement pas le missile ultime jurant la fin des grandes unités navales de surface comme les porte-avions et les navires d’assaut comme parfois annoncé non sans arrière-pensées, il n’en représente pas moins un nouvel enjeux opérationnel qui nécessitera une adaptation des moyens défensifs de ces mêmes grandes unités navales pour s’en prémunir. Dans les années 80, face à la Chkval et l’apparition des missiles anti-navires à changement de milieu, les marines occidentales entreprirent d’élargir le bouclier de lutte anti-sous-marine autour des grandes unités navales, en dotant les escorteurs d’hélicoptères de lutte ASM et de sonars remorqués plus performants, et en intensifiant la protection assurées par les avions de patrouille maritime comme le P3 Orion ou l’Atlantic. Il sera probablement nécessaire d’adapter les moyens de défense surface-air ainsi que la portée opérationnelle des systèmes de détection des escorteurs navals et aériens pour se prémunir, de la même manière, de la menace que représentent les nouveaux missiles comme le Tzirkon et le DF-21D. Paradoxalement, il est probable que la réponse à ce défi se trouve dans le Groupe aérien embarqué des porte-avions, seul capable de créer un bouclier de protection suffisamment élargi pour se prémunir de ce type de menace.

Terminator, TOS-2 et Su-57, la Russie déploie ses nouveaux systèmes d’arme en Ukraine

Lors des deux premières phases de l’offensive contre l’Ukraine, les forces armées russes s’appuyèrent essentiellement sur leurs unités les plus aguerries et les mieux équipées en dehors de quelques unités d’élite gardées en réserve. C’est la raison pour laquelle, lors des premières semaines du conflit, les pertes matérielles russes documentées étaient principalement composées de blindés modernisés comme les chars lourds T-72B3 et B3M, T-80U et BVM, et quelques T-90A, ainsi que de nombreux BMP-2, BMP-4 et autres BMD. Les nombreuses pertes enregistrées par les armées russes lors de ces deux phases avortées, amenèrent l’Etat-Major à changer de stratégie et à réviser ses objectifs, mais également à engager des materiels bien plus anciens, comme les chars T-72B et les VCI BMP-1. Pour autant, ces dernières semaines, Moscou semble avoir décidé d’engager certains materiels de toute dernière génération en Ukraine, avec l’arrivée de chars T-90M, de véhicules blindés d’escorte BMPT Terminator, et plus récemment encore, de systèmes d’artillerie TOS-2 et de robots Uran, alors que certains rapports font état de l’utilisation du nouveau chasseur de 5ème génération Su-57 dans ce conflit.

Le déploiement de prototypes et de materiels de pré-série en zone de conflit n’est pas, en soit, une nouveauté pour les armées russes. Ainsi, depuis 2015 en Syrie, les forces russes ont déployé de nombreux nouveaux materiels militaires, non pas pour qu’ils apportent une plus-value opérationnelle déterminante, mais pour en évaluer le comportement opérationnel, tant du point de vue des combats que de la pression logistique qu’ils imposent. Dans cette optique, plusieurs prototypes de Su-57 ont effectués des séjours sur la base aérienne de Khmeimim, et auraient effectué des missions de combat pour en évaluer les atouts et les contraintes. De même, les robots de combat terrestres Uran 6 et 9, les nouveaux blindés comme le T-90M, les systèmes d’artillerie comme le système thermobarique TOS-1A et les systèmes anti-aériens de nouvelle génération comme le Pantsir S2 et le Tor-M2 ont été testés lors de cette guerre de longue haleine. A ce titre, les armées russes avaient mis en place un protocole de retour d’expériences et de modernisation qui, vu de l’extérieur, semblait particulièrement efficace pour tirer les leçons de ces engagements tests.

Photo 4 Pantsir SM Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
Le nouveau Pantsir-SM a été conçu sur les enseignements et RETEX de l’utilisation des Pantsir S1 et S2 en Syrie et en Libye

De fait, il ne devrait rien y avoir de surprenant lorsque l’agence de presse officielle TASS annonce que des materiels comme le char lourd T-90M, le système thermobarique TOS-2 et le BMPT Terminator ont été engagés en Ukraine. Toutefois, ces annonces interviennent dans un contexte bien particulier, rendant leur lecture plus complexe. En effet, dans le même temps, des observations récurrentes dans les oblasts frontaliers de l’Ukraine, font état de l’arrivée de materiels beaucoup plus anciens, comme les chars T-72A et B datant des années 70 et du début des années 80, et même de T-62M, un char conçu comme son nom l’indique en 1962, et dont la modernisation remonte à 1983. De même, des systèmes d’artillerie sensés avoir été retirés du service auraient eux aussi rejoint la ligne d’engagement, comme le 2S7M Malka de 203 mm ou le 2S5 Giansint de 152mm. Surtout, pour faire face à ces materiels d’ancienne génération, les forces ukrainiennes commencent à recevoir et mettre en oeuvre des materiels occidentaux bien plus performants, comme le canon automoteur porté CAESAR français et l’obusier tracté M-777 américain, alors que de nombreux autres systèmes comme le Krab polonais et l’AS90 britannique doivent rejoindre prochainement les lignes ukrainiennes, et que des échos insistants en provenance de Washington font état de la possible livraison de lance-roquettes multiples HIMARS à Kyiv, tous ces systèmes étant très supérieurs à ceux en service actuellement dans les forces russes.

Dans cette course contre la montre que se livrent aujourd’hui occidentaux et russes par ukrainiens interposés, Moscou semble donc déterminé à pousser son avantage immédiat, même au prix de pertes importantes, dans le but de concrétiser ses objectifs territoriaux avant que les forces ukrainiennes ne soient effectivement dotées de materiels occidentaux en nombre suffisant pour inverser le rapport de force. En effet, l’observation des axes de progression russes ces dernières semaines montrent que les armées russes fournissent un important effort de sorte à s’emparer des limites administratives des Oblasts de Luhansk et Donetsk dans le Donbass, de Kherson dans le sud, et d’une grande partie de celui de Zaporija entre le Dniepr et la Mer d’Azov. A ce titre, alors que rien ne peut laisser penser qu’une fois le rapport de force basculé en sa faveur avec l’aide des materiels occidentaux, Kyiv acceptera un accord de cesser le feu actant de telles pertes territoriales, il est probable que Moscou envisage d’employer des méthodes bien plus radicales que celles actuellement utilisées pour défendre ses gains territoriaux, afin de neutraliser la détermination ukrainienne.

TOS 2 Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
Plus mobile et beaucoup plus moderne et automatisé, le TOS-2 est capable d’effectuer un tir en moins de 90 secondes

Dans ce contexte, l’arrivée de ces nouveaux materiels en zone de combat semble bien davantage représenter un ultime effort des forces russes afin d’achever ses objectifs stratégiques, et de compenser la dynamique défavorable du rapport de force qui ne manquera pas d’intervenir dans les semaines à venir, même si pour l’heure les forces russes continent de progresser; que d’une volonté de tester ses nouveaux materiels en zone de combat pour en tirer d’importants enseignements, et ce d’autant que les Retex syriens ne semblent pas avoir permis aux armées russes de compenser certaines défaillances, comme dans sa capacité à lutter contre les drones moyens et légers ou contre les munitions vagabondes. En outre, de plus en plus d’indices laissent penser que l’industrie de défense russe rencontre aujourd’hui les plus grandes peines pour produire de nouveaux équipements et même pour moderniser ou réparer des materiels plus anciens, raison de l’arrivée massive de T-72A et de T-62M à Koursk, plutôt que de T-73B3 et B3M qui auraient été prélevés des stocks et modernisés par l’industrie russe, sensée capable de produire entre 50 et 80 de ces modernisations par mois si besoin.

Reste qu’il s’agit d’un pari dangereux pour Moscou comme pour son industrie de défense. Non seulement ces materiels n’ont pas été testés de manière étendue par les armées russes, mais les unités qui en ont été dotées n’ont pas eu le temps nécessaire pour prendre en main ces équipements de manière optimale. Par ailleurs, en multipliant le nombre de références matérielles au combat, Moscou complexifie probablement inutilement sa propre pression logistique, déjà mise à mal par 3 mois de rudes et couteux engagements. Surtout, les armées russes prennent le risque de voir leurs prototypes détruits ou capturés par l’adversaire, nuisant gravement à l’image d’efficacité dont les autorités russes veulent parer leurs nouveaux équipements sur la scène internationale, et pouvant potentiellement fournir de précieuses informations aux services de renseignements occidentaux qui ne manqueront pas de récupérer dès que possible ces materiels. Dans ce domaine, l’épisode du T-90M détruit il y a quelques semaines lors d’une embuscade menée par les forces ukrainiennes, et largement documentée par plusieurs journalistes présents sur place, montre les limites de l’exercice auquel se livrent les autorités russes dans ce domaine.

T90M russe Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
le T-90M est sensé être protégé par le systeme APS Arena-M, mais le char détruit en Ukraine en était dépourvu

Pour autant, bien employés, ces nouveaux materiels peuvent effectivement apporter une certaines plus-value opérationnelle aux forces russes engagées actuellement face aux armées ukrainiennes. Ainsi, le BMPT Terminator a été conçu précisément pour escorter les blindés en zone de combat, et en particulier en zone urbaine afin de neutraliser la menace que représentent les unités antichars d’infanterie. Très bien armé avec 2 canons de 30 mm, 4 missiles antichars Ataka-M et 2 lance-grenades de 30mm, le Terminator basé sur le châssis du T-72, semble toutefois souffrir d’un système optronique de moindre qualité limitant la perception du chef de char de son environnement. Le T-90M, pour sa part, est sensé être bien plus puissant et mieux protégé que les autres chars russes, en particulier avec le système de protection active Arena-M capable d’intercepter missiles et roquettes avant qu’ils ne frappent le blindé. Toutefois, les clichés du T-90M détruit par les ukrainiens, précisément à l’aide de roquettes antichars, montrent que ce dernier en était dépourvu. Le TOS-2, entré en service en janvier 2022, est beaucoup plus moderne que son prédécesseur le TOS-1A, avec un système numérisé permettant une mise en batterie, un tir des 18 roquettes thermobariques ou incendiaires de 220mm, et une levée de batterie en moins de 90 secondes, tout en étant beaucoup plus mobile sur châssis 6×6, et mieux protégé grâce à un système soft-kill, permettant au véhicule de se tenir hors de portée des tirs de contre-batterie ukrainiens. Mais les unités russes qui les mettront en oeuvre n’auront eu que quelques semaines pour les prendre en main, sans pouvoir s’appuyer sur des formateurs expérimentés comme c’est le cas des servants ukrainiens de materiels occidentaux.

Les rapports concernant l’implication de Su-57 dans le conflit ukrainien sont pour l’heure impossibles à confirmer. A ce jour, les forces aériennes russes ne disposent que de 5 Su-57 de pré-série en service, et eu égard de ce faible nombre d’appareils, et de la réalité de la guerre aérienne au dessus de l’Ukraine, il semble peu probable que ces chasseurs de 5ème génération puissent être employés au dessus du sol ukrainien, même s’il est possible qu’ils soient employer pour contrôler la guerre aérienne tactique au dessus du Donbass en patrouillant dans l’espace aérien russe. Car si la perte d’un TOS-2 ou d’un BMPT peut être acceptable pour l’industrie russe, celle d’un Su-57 face aux défenses anti-aériennes et aux forces aériennes ukrainiennes enverrait un bien mauvais message sur la scène internationale. On notera à ce titre que ces 3 derniers mois, les exportations militaires russes ont connu un net coup d’arrêt, avec quelques annonces spectaculaires comme la suspension des négociations portant sur l’acquisition par New Delhi de 10 hélicoptères navals Ka-31. Il faudra certainement attendre plusieurs mois, voire plusieurs années pour évaluer précisément les conséquences de cette guerre sur les exportations militaires russes, par ailleurs indispensables pour maintenir l’effort de défense pour Moscou. Mais il fait peu de doutes que les piètres performances des équipements russes, y compris les plus modernes comme le char T-72B3M, l’hélicoptère de combat Ka-52 ou l’avion d’attaque Su-34; les difficultés de production suite aux sanctions occidentales; et la menace de se voir sanctionner par ces mêmes occidentaux en acquérant des materiels russes, vont sensiblement peser négativement sur les exportations militaires russes dans les années, peut-être les décennies à venir.

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Il est peu probable que la Russie se risque à déployer ses quelques Su-57 dans le ciel ukrainien, même si les appareils peuvent participer au controle de l’espace aérien au dessus du Donbass à partir du ciel russe.

Quoiqu’il en soit, tout semble indiquer qu’aujourd’hui, Moscou joue le tout pour le tout dans le but d’atteindre ses objectifs stratégiques de conquête territoriale, et que le déploiement de ces nouveaux équipements aux cotés de certaines pièces de musée s’inscrit dans cette logique, plutôt que dans la volonté de les tester du point de vue opérationnel. Reste que, comme dit précédemment, cette determination pour atteindre ces objectifs avant que le rapport de force ne s’inverse, laisse supposer que Moscou dispose d’une stratégie établie pour garantir l’intégrité de ses prises territoriales, celle-ci ne pouvant s’appuyer sur une approche conventionnelle qui tournera de manière évidente en sa défaveur dans la durée.

Pourquoi un effort de défense à 2% du PIB est-il insuffisant pour la France ?

A son arrivée au Palais de l’Elysée, en 2017, le nouveau Président Emmanuel Macron engagea un important effort pour amener l’effort de défense de la France à 2% de son Produit Intérieur Brut, comme la France s’y était engagée en 2014 lors du sommet de l’OTAN de Cardiff. Pour y parvenir, le nouvel exécutif mit en oeuvre une nouvelle Loi de Programmation Militaire de 2019 à 2025 visant à atteindre cet objectif, ainsi qu’à réparer les nombreuses et parfois dramatiques déficiences dont souffraient les armées françaises après 20 années de sous-investissements accompagnés d’une activité opérationnelle particulièrement lourde. Il s’agissait d’un paradoxe pour cette période désignée de post guerre froide, et qui donna naissance à la très controversée doctrine des « bénéfices de la Paix » ayant amené les dirigeants français comme européens à diminuer drastiquement leurs efforts de défense respectifs.

A la surprise de l’immense majorité des spécialistes du sujet, l’exécutif tint parole, et exécuta avec précision la nouvelle LPM, offrant aux armées de nouvelles capacités budgétaires indispensables pour traiter les innombrables obsolescences dont elles souffraient. Et de fait, en 2022, en partie aidé par les conséquences de la crise Covid sur l’économie nationale, l’effort de défense français atteint les 2% du PIB, classant la France parmi les bons élèves de l’OTAN dans ce domaine, alors que nombreux pays restent encore à des niveaux bien plus bas. Pourtant, l’étude méthodique des besoins auxquels doivent répondre les armées françaises, qui plus est alors que les risques de guerre de haute intensité en Europe sont à nouveau très présents, montrent que cet objectif est très insuffisant pour le France, ses armées et ses ambitions. Dans cet article, nous étudierons les 3 raisons cumulées pour lesquelles cet objectif est sous-dimensionné, mais également les raisons pour lesquelles la France peut soutenir un effort au delà de cette limite, contrairement à ses voisins et alliés européens.

Pourquoi cet objectif de 2% de PIB ?

L’objectif d’effort de défense à 2% du PIB semble représenter, pour beaucoup de journalistes mais surtout de dirigeants politiques, l’alpha et l’oméga d’un effort de défense nécessaire et suffisant. Pourtant, son élaboration a été laborieuse, et ne s’est en rien reposée sur une complexe analyse des moyens requis pour défendre les pays. En préparation du sommet de l’OTAN de 2014, les responsables de l’alliance eurent pour mission de définir un seuil susceptible d’être accepté par l’ensemble de ses membres pour faire croitre leurs efforts de défense d’ici 2025. C’est ainsi que l’ensemble des délégations s’entendirent sur ce seuil de 2%, représentant en quelque sorte le plus petit commun dénominateur commun pour les capitales européennes, afin de répondre aux attentes américaines pour être en mesure de participer activement à la defense collective européenne dans le cadre de l’OTAN.

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En d’autres termes, cet objectif visait à permettre aux membres de se doter de forces armées capables de coopérer avec les armées occidentales, et surtout avec la puissance militaire américaine, tout en s’appuyant sur certaines capacités clés fournies précisément par les forces US, en particulier dans des domaines stratégiques comme la logistique, le renseignement ou le spatial. A aucun moment il ne fut question de permettre aux européens de se doter d’une puissance militaire autonome et indépendante, d’autant qu’ils n’en avaient nullement l’ambition alors. Bien évidemment, personne n’interdit aux européens de dépenser davantage, et certains comme les pays baltes, la Grèce et la Pologne, dépassent depuis plusieurs années cet objectif, par ambition et parfois par nécessité, comme dans le cas d’Athènes. En revanche, pour la France, cet objectif est loin d’être suffisant, et ce en raison de 3 caractéristiques inhérentes à la Défense française : sa dissuasion, ses territoires ultra-marins, et son ambition de disposer d’un format d’armées global capable d’agir en autonomie.

Le surcout de la dissuasion française

Chaque année, en moyenne, le Ministère des armées dépense entre 6 et 9 Md€ pour le maintien et la modernisation des deux composantes de la dissuasion française, sa composante sous-marine mettant en oeuvre 4 Sous-marins nucléaires lanceurs d’Engins de la classe Triomphant armés chacun de 16 missiles intercontinentaux M-51.3 d’une portée de plus de 10.000 km et emportant 6 à 10 têtes nucléaires à trajectoire indépendante TNO de 100 kt, ainsi que deux escadrons de l’Armée de l’Air et de l’Espace équipés de Rafale B spécialement adaptés pour mettre en oeuvre le missile de croisière supersonique ASMPA d’une portée de plus de 500 km et armé d’une tête nucléaire de 300 kt. A ces deux fers de lance de la dissuasion française, s’ajoutent de nombreuses capacités mixtes destinées à leur mise en oeuvre, comme les sous-marins nucléaires d’attaque, frégates de lutte anti-sous-marine et avions de patrouille maritime pour protéger les SNLE lors des phases de transition et les Rafale du Groupe Aériens Embarqués susceptibles d’emporter eux aussi le missile ASMPA si besoin pour la Marine Nationale; ainsi que les appareils d’escorte Rafale et Mirage 2000, les avions de ravitaillement en vol A330 MRTT Phénix et les appareils de veille aérienne avancée Awacs de l’Armée de l’Air, mais également toutes les infrastructures nécessaires à leurs mises en oeuvre.

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Le SNLE Triomphant doit rester indétectable pour assurer sa mission de dissuasion

Au delà de l’effort direct des armées pour assurer la mission de dissuasion, le Ministère des armées doit également investir d’importants moyens dans l’industrie de défense et dans la recherche afin de garantir l’efficacité de cette doctrine. Ainsi, sur la LPM 2019-2025, les investissements dédiés à la dissuasion atteindront 65 Md€, soit plus de 10 Md€ par an, même si une partie de ceux-ci auront un usage mixte pour les autres missions des armées. Pour autant, cet effort représente plus de 20% du budget annuel des armées qui, sur un seuil à 2% du PIB, représente donc 0,4% du PIB de la France chaque année dédiés à cette seule mission. Mécaniquement, il manque 0,4% de cet effort de défense aux armées françaises pour assumer leurs missions conventionnelles, simplement pour atteindre le seuil fixé par l’OTAN, ceci expliquant, par exemple, que l’Armée de Terre française a un format opérationnel équivalent à celui formé par la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie, un groupe de pays qui, ensemble, représente 40% de la population et 20 % du PIB français.

Territoires ultra-marins et zone economique exclusive

La dissuasion n’est pas le seul aspect spécifique français nécessitant un effort de défense supplémentaire. Ainsi, le pays dispose d’un grand nombre de territoires ultra-marins, représentant une superficie terrestre totale de plus de 120.000 km2 supérieure à celle d’un pays comme la Bulgarie, et un population de 2,7 millions de français soit 4% de la population française. Ces territoires contrôlent en outre une zone economique exclusive de 10 millions de km2, la seconde ZEE au monde après celle des Etats-Unis. Si, pendant la guerre froide et la période post-guerre-froide, ces territoires français ne semblaient pas menacés du point de vue militaire, le focus étant principalement en Europe, au Moyen-Orient et dans l’Atlantique nord, les choses ont considérablement évoluées ces dernières années, avec des points de tension dans le Pacifique (Polynésie, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna), dans l’Ocean Indien (Réunion, Mayotte) et en Amérique du Sud (Guyane).

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De fait, les armées françaises devront, dans les années à venir, faire évoluer leurs dispositifs déployés pour aller au delà des missions de garde cotes, de sureté et de représentation qu’elles assument à ce jour, pour se doter de moyens défensifs effectifs, mais également de disposer des moyens pour renforcer rapidement ces capacités militaires en provenance de la Metropole le cas échéant, à l’instar de ce que firent les britanniques sur les iles Malouines après la guerre de 1983. En considérant un dispositif minimaliste composé de deux GTIA par zone de défense prioritaire (Reunion, Guyane, Nouvelle-Calédonie), d’une frégate de 1er rang épaulée d’une corvette, et d’un dispositif aérien composé de 4 avions de combat, un avions de soutien, deux appareils de patrouille maritime, et 6 à 8 hélicoptères, ainsi que les moyens nécessaires pour assurer la permanence opérationnelle pour ces moyens, le cout pour le ministère des armées représenterait 0,15% du PIB par an, soit 3 Md€, qu’il faudra soit ajouter aux dépenses, soit prélever sur les capacités conventionnelles au détriment du contrat opérationnel français vis-à-vis de l’OTAN, sauf bien sur à ne pas se préoccuper du sujet, ce qui ne manquerait pas d’aiguiser les appétits de certaines puissances régionales ou mondiales.

Le format d’armées global

Si les deux premières caractéristiques présentées dépendent de contraintes historiques, la troisième repose, quant à elle, sur un arbitrage très actuel. En effet, pour le président Macron, dans la droite ligne de ses prédécesseurs, la France se doit de disposer d’une capacité militaire capable d’agir en autonomie, et donc de disposer de ce qu’il est commun d’appeler un format d’armées global. Pour se faire, il est nécessaire pour les armées françaises de disposer, au delà des capacités conventionnelles attendues dans le cadre d’un engagement en coalition et/ou dans le cadre de l’OTAN, de moyens propres permettant d’agir de manière autonome, comme ce fut le cas, par exemple, lors de l’opération Serval au Mali. Or, un tel objectif, politique au demeurant, suppose de disposer de nombreux moyens complémentaires fournis par les Etats-Unis dans le cadre de l’OTAN, comme dans le domaine du renseignement, du flux logistique, mais également dans le domaine de la projection de puissance.

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Cela suppose également de disposer d’une certaine masse critique quant aux moyens susceptibles d’être engagés dans ce type de mission, et particulièrement en opération extérieure, raison pour laquelle les armées françaises disposent de nombreuses forces d’assaut et spécialisées, comme les troupes aéroportées, les troupes de marine et les troupes de montagne, toutes particulièrement adaptées à ce type de mission. En outre, proportionnellement à ses moyens, la France dispose d’importants moyens de renseignement, sous la forme de satellites, mais également de moyens aériens et navals, tous contribuant à cette capacité globale que le général de Gaulle résumait par la phrase « Pouvoir choisir ses guerres, et être en mesure de les gagner ». S’il est vrai que ces capacités jouent également un rôle dans les capacités de combat en coalition, il ne fait aucun doute qu’elles consomment dans le même temps des moyens qui auraient pu être attribués à des capacités dites de « haute intensité », d’autant qu’elles ne répondent pas précisément aux besoins spécifiques de l’alliance. Reste qu’en raison de cette aspect dual, cette caractéristique ne représente qu’un surcout de l’ordre de 0,10 à 0,15% du PIB français dans l’effort de défense.

L’atout de l’industrie de défense française

De fait, pour répondre à minima aux contraintes structurelles et historiques françaises, l’effort de défense national ne peut se contenter de viser un effort de défense à 2%, mais entre 2,65% et 2,70% du PIB, de sorte à disposer de moyens cohérents avec la richesse et la population du pays au sein de l’Alliance Atlantique, tout en préservant ses spécificités et ambitions nationales. Ce surcout budgétaire peut sembler difficile à atteindre, mais dans ce domaine, la France aussi peut s’appuyer sur une spécificité propre en Europe, à savoir les performances de son industrie de défense. En effet, là ou l’immense majorité des pays européens visant un effort de défense à 2% de leur PIB ne peuvent que considérer cela que comme un effort, en particulier en s’équipant de materiels américains pour accroitre l’interopérabilité aves les forces US, la France dispose, quant à elle, d’une industrie de défense très efficace et exportatrice, générant d’importantes recettes directes et induites pour le budget de l’Etat.

Atelier Rafale 1 Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime

En effet, l’industrie de défense française réalise, en moyenne chaque année, un chiffre d’affaire de 20 Md€, et fournit une activité professionnelle à plus de 500.000 personnes dans le pays (direct, indirect et induit), ceci générant un retour budgétaire de plus de 10 Md€ pour l’Etat, soit 0,4% du PIB aujourd’hui. En considérant une augmentation de l’effort de défense à 2,7% du PIB, les recettes budgétaires générées par l’industrie de défense dépasseraient alors les 0,7% supplémentaires, ce sans tenir compte ni du retour budgétaire généré par les militaires eux mêmes, ni la probable augmentation de l’attractivité de l’industrie de défense française en lien avec l’augmentation de ses capacités de défense. En d’autres termes, et là encore en prenant comme point de comparaison la majorité des pays européens pour lesquels l’effort de défense n’est que très peu compensé par les retours budgétaires émanant de leur propre industrie de défense, la France peut, grâce à cette spécificité, autofinancer les surcouts purement nationaux au delà du seuil des 2% visé par l’OTAN.

Conclusion

On le comprend, viser un effort de défense à 2% du PIB en France ne peut se faire qu’au détriment de plusieurs capacités indispensables, puisqu’entre 0,5 et 0,7% du PIB sont consacrés aujourd’hui à des capacités certes importantes mais annexes dans le cadre de la défense collective au sein de l’OTAN. Au delà de cet aspect, le seuil des 2% semble désormais avoir été retenu bien au delà de l’OTAN, par de nombreux alliés des Etats-Unis, ceci validant de facto l’estimation faite en 2014 par les dirigeants de l’alliance, pour construite et maintenir une force armée suffisante pour agir en coalition avec les armées US. Dans ces conditions, il n’y a rien de surprenant à ce que les alliés européens d’Europe de l’Est peinent à considérer les positions françaises avec attention, les armées françaises n’ayant pas, dans le domaine conventionnel, des moyens en cohérence avec la puissance démographique et economique du pays, et ne pouvant en aucune manière représenter, si pas une alternative, au moins une voie parallèle, à l’omni-présence US dans la Défense européenne.

porte avions charles de gaulle FREMM Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime

Alors que l’implication américaine en Europe ne pourra aller que décroissante dans les années à venir, avec la montée en puissance de la menace chinoise dans le Pacifique et l’Ocean Indien, il semble indispensable pour la France de faire les arbitrages qui s’imposent, et de considérer un objectif d’effort de défense en adéquation avec ses propres ambitions et contraintes historiques, tout en s’appuyant sur ses propres atouts pour valoriser au mieux cet effort national, en Europe comme dans le Monde. Notons enfin, et c’est loin d’être anodin, qu’avec un effort de défense à 2,7% de son PIB, les dépenses de défense françaises seraient presque équivalentes à celles de l’Allemagne, celles-ci atteignant les 2% de PIB comme promis par le chancelier Olaf Scholz au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cela permettrait alors à Paris et Berlin de maintenir un équilibre stricte dans leurs dépenses de défense, ce qui fut au coeur des équilibres stratégiques en Europe depuis le réarmement de la République Fédérale d’Allemagne. Loin d’être un objectif hypothétique ou fantasmé, un effort de défense français à 2,7% du PIB s’avère donc un objectif réaliste et cohérent avec les besoins et contraintes.

Quelles solutions pour accroitre la disponibilité du Groupe Aéronaval Français face aux besoins opérationnels ?


En décembre 2020, le président français Emmanuel Macron annonçait le lancement d’un nouveau programme de porte-avions pour la Marine Nationale. Destiné à remplacer le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle à horizon 2038, ce nouveau navire, dont on ignore à ce jour s’il comportera un ou deux bâtiments, sera bien plus imposant que son prédécesseur, avec une longueur de 300 mètres et un déplacement de 70.000 tonnes, contre 261,5 mètres et 42.500 tonnes pour le Charles de Gaulle, et sera propulsé par deux réacteurs nucléaires K-22 de 220 Megawatt chacun, là ou les deux K-15 du CdG ne délivrent que 150 mW, de sorte à répondre aux besoins imposés par le nouvel avion de combat NGF développé dans le cadre du programme SCAF, et qui sera lui aussi plus imposant que le Rafale qui équipe aujourd’hui les flottilles de combat de l’Aéronautique navale française. Bien que parfois sujet de critiques, ce programme est aujourd’hui indispensable au maintien des capacités de projection de puissance françaises, alors que le pays se doit de pouvoir intervenir sur l’ensemble de la planète du fait de ses territoires et intérêts ultra-marins.

Pour autant, qu’il s’agisse du PAN Charles de Gaulle aujourd’hui, ou du PANG à partir de 2038 si la construction d’un second navire n’était pas actée, disposer d’un unique porte-avions n’est pas sans imposer certaines restrictions, en particulier en terme de disponibilité. Lors de la période ayant précédé la période d’Indisponibilité Périodique pour recharger les réacteurs nucléaires et moderniser les systèmes du bord en 2019, le Charles de Gaulle avait fait montre d’une disponibilité exemplaire, avec plus de 240 jours en mission opérationnelle sur la dernière année. Mais un tel rythme, imposé par les tensions en Méditerranée Orientale et au Levant, ne peut être soutenu de manière soutenue dans la durée, alors qu’en rythme normal, la disponibilité du Groupe Aéronaval Français n’excède pas les 200 jours de mer par an. Alors que les tensions internationales vont croissantes depuis plusieurs années, en zone Europe comme au Moyen-Orient et dans la zone indo-pacifique, il semble indispensable d’accroitre cette disponibilité de sorte à offrir à la Marine Nationale et à la France la capacité de peser sur les crises et les enjeux. Dans cet article, nous étudierons deux approches susceptibles d’apporter une réponse à cette problématique de manière soutenable du point de vue budgétaire, et efficace du point de vue opérationnel.

Le principe du double équipage

La première approche est également la plus simple à mettre en oeuvre, puisqu’elle s’appuie sur une solution employée depuis plusieurs décennies pour les sous-marins nucléaires français, et plus récemment pour certaines frégates, en dotant ces navires non pas d’un, mais de deux équipages. Le paradigme de cette approche est évident, puisqu’il repose sur le fait qu’aujourd’hui, le critère le plus restrictif et contraignant concernant le maintien à la mer d’une grande unité navale n’est pas technique mais humain. En d’autres termes, c’est la fatigue des équipages, et non des materiels, qui contraint les sous-marins et les frégates à limiter la durée de leurs déploiements ou de la prise d’alerte opérationnelle. En outre, alors que les systèmes embarqués sont de plus en plus complexes à maintenir et à mettre en oeuvre, les besoins de formation des personnels sont plus importants, nécessitants des périodes consacrées à l’entrainement plus importantes pour les équipages. Puisqu’il est plus difficile et contraignant d’effectuer des rotations de personnels partielles à bord d’un navire au combat, et que dans le même temps, les marins, comme tous les militaires, aspirent aujourd’hui davantage à préserver un certain espace consacré à la vie de famille, le facteur humain est incontestablement le plus contraignant pour ce qui concerne la disponibilité à la mer d’un navire de combat.

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Plusieurs frégates FREMM de la classe Aquitaine se sont vue dotée d’un double équipage pour en optimiser la disponibilité opérationnelle

Dans ce contexte, s’appuyer sur un double équipage présente de nombreux avantages. En effet, en procédant ainsi, il est possible d’augmenter de 50% la disponibilité opérationnelle du bâtiment, tout en diminuant de 25% la pression opérationnelle sur chacun des équipages. Plus concrètement, si le PAN Charles de Gaulle doit aujourd’hui soutenir une activité opérationnelle de 200 jours de mer par an, dont 40 consacrés à l’entrainement et la qualification des équipages et 160 jours en déploiement operationel, un double équipage permettrait d’atteindre les 300 jours de mer, soit la limite de ce que le navire peut soutenir du point de vue technique, alors que les besoins d’entrainement et de qualification ne seraient quant à eux augmentés que de 20 jours, lui conférant une disponibilité opérationnelle de 240 jours par an. Dans le même temps, chaque équipage ne serait embarqué que 150 jours par an, offrant une plus grande souplesse à l’état-major en matière de planification de la formation et des entrainements, tout en améliorant la qualité de vie des marins eux-mêmes.

Cette solution est également relativement economique à mettre en oeuvre. En effet, si l’équipage du Charles de Gaulle est fort de 2000 hommes et femmes, seuls 1200 d’entre eux appartiennent effectivement au porte-avions lui même, le reste étant détaché par l’Etat-Major et par les flottilles et escadrilles de l’aéronautique navale. En outre, plusieurs frégates constituant l’escorte du porte-avions sont d’ores et déjà passées en double équipage, et la Marine Nationale a commandé 4 nouveaux Bâtiments de Ravitaillement de la Flotte, les navires logistiques qui soutiennent l’activité du porte-avions et des Porte-hélicoptères d’assaut, une flotte suffisamment dimensionnée pour soutenir une telle augmentation de l’activité opérationnelle. En d’autres termes, le doublement de l’équipage ne portera que sur les 1200 membres d’équipage du PAN, alors que les flottilles et escadrilles n’auront, quant à elles, besoins dans un tel scénario que d’augmenter leurs effectifs de 300 personnes pour soutenir un tel rythme, soit 1.500 nouveaux personnels ayant un cout budgétaire moyen de moins de 75 m€ par an.

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Le Rafale M est un avion de combat polyvalent à haute performance capable de soutenir la comparaison avec tous les avions de combat du moment, y compris ceux exclusivement mis en oeuvre à partir de bases terrestres

En terme de moyen aérien, de sorte à disposer des moyens optimums pour ce regain d’activité, il serait bienvenu, mais nullement nécessaire, d’accroitre le format de la chasse embarquée de 15 nouveaux appareils, soit une nouvelle flottille, et de disposer d’un avion de veille E-2D Hawkeye supplémentaire, soit une enveloppe budgétaire supplémentaire de 1,8 Md€ pouvant être repartie progressivement sur plusieurs années, de sorte à en diminuer le poids relatif. On notera, idéalement, qu’il pourrait être largement pertinent, dans une telle hypothèse, de surdimensionner la Flottille 12F spécialisée dans la défense aérienne aérienne avec 5 appareils supplémentaires, et de spécialiser la nouvelle flottille créée dans les missions de guerre électronique et de suppression des défenses aériennes, en se dotant d’une version adaptée du Rafale pour cette mission. Ainsi parée, l’Aéronautique navale embarquée serait d’une grande efficacité, et offrirait à la France une disponibilité opérationnelle avancée pour un cout final somme toute largement soutenable pour les finances publiques.

Le porte-avions d’escorte léger

La seconde hypothèse pour répondre à cette problématique est plus ambitieuse, mais également bien plus prometteuse. Elle repose sur la conception et la construction d’une nouvelle classe de navire, le porte-avions d’escorte léger ou PAEL, un navire plus compact et beaucoup moins onéreux qu’un porte-avions traditionnel, s’appuyant sur la récente démonstration faite en Inde des excellentes capacités du Rafale à employer un tremplin de type Skijump. Ainsi, en se basant sur les performances des Chantiers Navals de l’Atlantique qui ont été capables de construire les très performants PHA Mistral pour un cout unitaire de 500 m€, on peut imaginer une nouvelle classe de porte-avions équipé d’un Skijump et de brins d’arrêt conçu pour mettre en oeuvre une douzaine de Rafale M, des hélicoptères et des drones, et dont le prix unitaire pourrait plafonner à 2 Md€. Le montant est certes important, mais contrairement à un porte-avions traditionnel, un tel navire aurait un fort attrait sur la scène internationale à un tel prix, d’autant qu’il serait optimisé pour mettre en oeuvre le Rafale M qui représente déjà l’un des meilleurs avions de combat du moment. On imagine sans difficulté que des pays comme l’Indonésie, le Brésil, l’Egypte, les EAU ou la Malaisie pourraient être intéressés par cette classe de porte-avions d’escorte léger, sans parler de la Grèce.

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Construits par les Chantiers de l’Atlantique, les PHA classe Mistral offrent un rapport performances/prix exceptionnel

C’est précisément ce potentiel à l’exportation qui constitue l’attrait d’un tel programme. En effet, avec un retour budgétaire moyen pour les finances publiques de 50% sur les équipements de Défense (il s’agit du taux de prélèvement moyen direct et induits sur les investissements industriels de Défense), il faut et il suffit d’exporter un navire pour compenser intégralement les couts de construction d’un navire pour la Marine Nationale (chaque navire ayant un retour budgétaire de 50%, 2 navires construits en France génèreront une retour budgétaire total de 100%, soit le prix d’acquisition du navire pour la France). Et même si, pour exploiter au mieux cette nouvelle classe, il serait optimum de disposer de 2 porte-avions d’escorte aux cotés d’un PAN, le marché potentiel export pour ces navires excède sans conteste les 2 unités, et pourrait même, si les commandes venaient à excéder ce niveau, financer en partie l’effort national pour la construction du PANG.

Au delà des aspects purement budgétaires, ces navires permettraient à la Marine Nationale de disposer d’une extraordinaire souplesse opérationnelle, avec une progressivité inédite en matière de moyens dont elle dispose pour répondre aux besoins. Ainsi, le PAEL répond parfaitement aux besoins d’escorte, mais également aux besoins d’appui des missions amphibies, et de controle de zone navale de basse et moyenne intensité, là ou le PAN, et son successeur le PANG, constituent un outil taillé pour la haute intensité. Rappelons que cette stratégie navale fut celle de l’US Navy pendant la seconde guerre mondiale, avec d’une part les porte-avions lourds de la classe Essex (24 navires de 35.000 tonnes construits) pour les grands affrontements aéronavals, et d’autre part la très prolifique classe de porte-avions d’escorte de la classe Casablanca (50 navires de 8000 tonnes), qui assuraient la formation des pilotes, les missions d’escorte dans l’Atlantique nord, et les missions d’appui des bataillons de Marines dans le Pacifique. C’est également une approche similaire qui fut à l’origine de la classe de porte-avions britannique Invincible, destiné à assurer des missions similaires aux cotés des porte-avions lourds de la classe Ark Royal.

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L’US Navy étudie la possibilité de transformer ses LHA classe America en porte-avions légers avec 20 F-35B à son bord

Dans une telle hypothèse, une flotte composée d’un PAN/ NG et de deux PAEL permettrait à la Marine Nationale de disposer d’une disponibilité aéronavale de 100%, avec un navire en mission, un navire assurant l’alerte et la formation, et un navire en maintenance, et pourrait même être optimisée si la PAN était en équipage double, de sorte à disposer, de cette manière d’une disponibilité permanente de 150%, dont 75% pour le porte-avions nucléaire. Dans cette optique, il serait également possible de préserver le PAN pour les missions d’alerte et de haute intensité, et de confier aux PAEL les missions de moindre intensité et d’entrainement, pour disposer d’une capacité aéronavale optimisée à chaque instant, et d’une disponibilité théorique de haute intensité proche des 90%, équivalente à celle qu’offrirait une flotte à deux PAN, pourtant bien plus onéreuse à developper, sans même prendre en considération les questions de retour budgétaire.

Conclusion

On le comprend, les problèmes de disponibilité du Groupe Aéronaval Français liés à son unique porte-avions sont loins d’être insolubles, même en tenant compte du contexte budgétaire difficile dans lequel se trouve le Ministère des Armées. Les deux solutions présentées ici offrent leurs propres bénéfices, le double équipage étant une solution simple et à relativement court terme, les porte-avions d’escorte légers étant plus longs à developper, mais offrant une capacité opérationnelle supérieure et une excellente soutenabilité budgétaire. En réalité, ces deux solutions ne s’excluent pas mutuellement, au contraire ! Le double équipage peut ainsi constituer une réponse à court terme, tout en permettant à la Marine de se dimensionner pour accueillir les deux futurs PEAL, mais également pour soutenir l’offre export française dans ce domaine, en se dotant à nouveau, par exemple, d’une école de chasse embarquée et de navalisation en propre sur avion Rafale pour former ses équipages mais également ceux de ses clients et partenaires.

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Le PANG restera l’outil indispensable pour la France pour peser sur les crises internationales sur la planète

Une chose est certaine, en revanche : bien au delà des débats stériles et partisans sur l’utilité ou la vulnérabilité supposée du porte-avions, la puissance aéronavale sera amenée à jouer un rôle déterminant dans la redistribution des rapports de force sur la planète, raison pour laquelle les Etats-Unis maintiennent une flotte à 10 porte-avions et étudient la solution visant à transformer les LHA America en porte-avions légers; raison pour laquelle la Chine entend construire d’ici 2040 une flotte de 6 porte-avions dont aux moins 2 seront des super-porte-avions à propulsion nucléaire; raison pour laquelle la Grande-Bretagne, qui pourtant réduit le format de ses armées, a construit deux grands porte-avions et dimensionne sa flotte pour exploiter au mieux ces deux atouts; et raison pour laquelle le Japon, la Corée du Sud, le Brésil et l’Inde ont eux aussi, fourni d’importants efforts pour se doter de cette capacité. Dans ce contexte, considérant les besoins spécifiques de la France du fait de ses territoires ultra-marins, et sur la base d’une ambition voulant faire du pays un acteur significatif de la géopolitique internationale dans le futur, la question de la disponibilité du Groupe Aéronaval Embarqué mérite d’être posée, et les solutions pour répondre à cette problématique d’être étudiées.

L’US Army abandonne son programme de super-canon Strategic Long-Range Cannon

Face au retour probable des tensions internationales et des risques de conflit de haute intensité, l’US Army entreprit, en 2017, de lancer un nouveau super programme désigné BIG 6, en référence au super programme BIG 5 du début des années 70 qui donna naissance au Bradley, au Patriot et à l’hélicoptère UH-60 Black Hawk, entre autres choses. Parmi les piliers critiques du BIG 6, figure aux cotés du programme Futur Vertical Lift pour remplacer les hélicoptères de combat et du programme Optionnaly Manned Fighting Vehicle pour remplacer les Bradley, le pilier Long Range Precision Fire, visant à doter l’US Army d’une artillerie de nouvelle génération. Ce pilier s’appuie lui-même sur plusieurs programmes, dont l’Extended Range Cannon Artillery ou ERCA pour remplacer les canons automoteurs M109, le Long Range Hypersonic Weapon ou LRHW pour doter l’artillerie tactique à longue portée de missiles hypersoniques, le Mid Range Antiship Missile ou MRC pour reconstituer une capacité de batterie côtière anti-navire, le Precision Strike Missile ou PrSM pour remplacer les systèmes balistiques type Himars, et enfin, le plus ambition, le Strategic Long-Range Cannon, un programme visant à concevoir un canon à très longue portée capable d’atteindre des cibles à 1650 km.

C’est précisément ce dernier programme dont l’avis de décès vient d’être annoncé par l’US Army dans le cadre des discussions autour du budget 2023, sous la pression du Congrès américain. En effet, selon les parlementaires américains, les ambitions technologiques et opérationnelles de ce programme sont telles qu’il serait nécessaire d’investir des sommes colossales pour en venir à bout, y compris en restructurant les unités de l’US Army elles-même pour exploiter une telle capacité. Dans le présent contexte de tension, alors que les urgences d’investissement se multiplient outre Atlantique comme en Europe, pour faire face aux nombreuses obsolescences non traitées par deux décennies de sous-investissements défense, et que les tensions ne cessent de croitre, en Europe mais aussi dans le Pacifique. En d’autres termes, pour le Congrès, si le programme SLRC constituait effectivement un gain technologique interessant, il ne peut désormais plus être soutenu alors que des besoins plus urgents demandent à être traités.

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Le programme ERCA est conçu pour atteindre des cibles jusqu’à 100 km avec des obus à propulsion additionnée

Au delà des risques technologiques importants et des mauvaises expériences du Congrès américain vis-à-vis de ce type de programme avec le fameux Advanced Gun System devant équiper les destroyers Zumwalt mais également avec le programme de Rail Gun de l’US Navy, tous deux avortés après d’importants investissements, le SLRC était également le moins indispensable des 5 programmes du pilier Long Range Precision Fire, puisque sa portée et ses capacités auraient été redondantes avec celles du programme LRHW et PrSM, même si ces derniers auront très probablement un coût par frappe bien plus élevé que celui supposé du SLRC. D’autre part, la conduite de tir pour ce type de portée, incluant reconnaissance et identification des cibles, et evaluation des dégâts, suppose des moyens par nature complexes et peu nombreux, rendant l’utilisation de ce type de frappe plus compatibles avec des systèmes balistiques lourds qu’avec un système d’artillerie conventionnel à longue portée.

Reste que si le programme SLRC est abandonné, le reste du pilier Long Range Precision Fire a toujours des ambitions très élevées, et probablement confortées par les retours d’expériences dans le cadre du conflit russo-ukrainien. Après des décennies de conflits de basse et de moyenne intensité ayant fait la part belle aux frappes de drones, la guerre en Ukraine démontre que l’artillerie reste une composante centrale de la conduite des opérations de haute intensité, en particulier lorsque la puissance aérienne est en partie neutralisée par les systèmes de DCA. Or, si dans le domaine des canons et obusiers, l’Occident dispose toujours d’un avantage sur les materiels russes, avec des systèmes plus précis, tirant plus rapidement et plus loin, les forces russes disposent de capacité à moyenne et longue portée plus nombreuses et parfois plus évoluées que les systèmes occidentaux, alors même que la nouvelle génération de système d’artillerie russe doit entrer en service prochainement (canon automoteurs S235 Koalitsya-SV, LRM 9A52 Tornado, missile balistique 9M723 Iskander-M, missiles de croisière 9M728/729 Iskander-K..), et que la Chine, elle aussi, est très dynamique dans ce domaine.

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Le canon automoteur 2S35 Koalitsiya-SV russe annonce des performances très supérieures à celles des systèmes existants comme le Msta-S, avec une portée pouvant atteindre 80 km avec des obus à propulsion additionnée

Dans ce contexte, le retard que prend le programme franco-allemand Common Indirect Fire System, ou CIFS, pourrait très rapidement s’avérer plus qu’handicapant pour les forces armées des deux pays. A l’instar du programme américain LRPF, CIFS ne visait pas simplement à remplacer les Caesar français et Pzh2000 allemands, mais à proposer une gamme complète de systèmes d’artillerie de nouvelle génération pour répondre aux enjeux de la guerre de haute intensité à compter de 2035. Outre le remplacement des canons automoteurs des deux armées, il devait en outre developper un système d’artillerie à longue portée pour remplacer les systèmes Lance-Roquette Unitaire et M270, et developper des capacités innovantes, comme par exemple l’utilisation de munitions vagabondes à longue portée. Pour autant, à l’instar des difficultés rencontrées dans la coopération franco-allemande autour des programmes SCAF (avion de combat 6ème génération) et MGCS (blindé lourd nouvelle génération), les divergences doctrinales et opérationnelles entre les deux armées, et les difficultés pour trouver un terrain d’entente pour les industriels de part et d’autre du Rhin, ont fortement handicapé le programme CIFS, au point que ce dernier est désormais quasiment à l’arrêt depuis plus d’une année.

De fait, comme les Etats-Unis, mais également comme la Russie ou la Chine, il est désormais urgent pour les européens, et pour la France en particulier, d’arbitrer autour de ces programmes de coopération et, le cas échéant, de developper des solutions nationales ou différenciées si les convergences s’avèrent trop faibles pour compenser les divergences pré-citées. Car si la guerre en Ukraine va offrir aux européens une dizaine d’années de répit vis-à-vis de la menace russe, cette dernière devant reconstituer et moderniser ses forces, et tirer les leçons de ses nombreux échecs en Ukraine, il ne fait guerre de doute que d’ici 2035, cette menace sera à nouveau très sensible, alors que, dans le même temps, la protection américaine sera considérablement diminuée en Europe pour faire face aux enjeux sécuritaires dans le Pacifique face à la Chine. On en peut qu’espérer que la dure réalité du conflit ukrainien amenera les dirigeants, les industriels et les militaires européens à plus de souplesse mais également plus de determination pour faire les arbitrages nécessaires pour répondre à ces enjeux stratégiques pour La Défense du vieux continent.

Le démonstrateur d’hélicoptère super-véloce européen Racer volera d’ici la fin d’année !

Parmi les nombreux enseignements qui ont émergé de la guerre Ukraine, la vulnérabilité des hélicoptères de combat a été particulièrement mise en évidence, au point que malgré une supériorité matérielle évidente dans ce domaine, les capacités d’aérocombat russes ont été largement sous-exploitées après le désastre de l’assaut sur l’aéroport d’Hostomel. Du fait de leur faible vitesse, les appareils russes ont été aisément la cible des systèmes anti-aériens ukrainiens, et particulier des missiles d’infanterie MANPADS. En outre, la destruction au sol de prés de 40 appareils sur la base de Kherson par des frappes d’artillerie a également mis en évidence l’obligation de déployer ces appareils à partir de bases bien plus éloignées de la ligne d’engagement qu’envisagé précédemment. De fait, si le concept d’aérocombat n’est pas en soit remis en cause, la guerre en Ukraine montre qu’il est désormais indispensable de disposer d’appareils à la fois plus rapides, et disposant d’une allonge bien supérieure à ceux des hélicoptères de la génération des Mi-8, Mi-35, Mi-28 et autres Ka-52 russes.

Ce constat n’est pas en soit une révélation. En effet, le programme Futur Vertical Lift, l’un des 6 piliers du super programme BIG 6 de l’US Army, vise précisément à developper des hélicoptères de nouvelle génération répondant à ce cahier des charges précis, avec les programmes FLRAA (Futur Long Range Assault Aircraft) destiné à remplacer l’hélicoptère de manoeuvre UH-60 Black Hawk, et le FARA (Futur Attack and Reconnaissance Aircraft) pour le remplacement des OH-58 Kiowa (retirés en 2014) et d’une partie des AH-64 Apache. Parmi les impératifs de l’US Army, chacun des appareils doit être en mesure de dépasser la vitesse de 200 noeuds, doit 50% plus rapide que celle des appareils qu’ils remplaceront, mais également offrir des gains comparables en matière d’allonge. Pour y répondre, les deux avionneurs sélectionnés par l’US Army ont tablé sur la technologie du rotor basculant pour le V-280 Valor de Bell, ou celle des rotors contra-rotatifs et hélice propulsive pour les Raider-X et Défiant de Sikorsky. Si ces technologies permettent effectivement de répondre aux attentes de l’US Army, elles sont en revanche complexes à concevoir et à maintenir, et onéreuses à acquérir et entretenir.

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Rapide et performant, le Bell V-280 Valor s’appuie sur des rotors basculants par nature complexe et lourds à maintenir

En Europe, Airbus Helicoptere s’est également engagé dans ce défi des hélicoptères super-véloces, avec le démonstrateur X-3, qui fit son premier vol en 2010, et qui parvient a atteindre 254 noeuds (472 km/h) en palier à 3000 m juin 2013. Mais contrairement aux appareils américains, le démonstrateur européen s’est appuyé sur une approche toute aussi élégante qu’innovante, en plaçant deux nacelles équipées d’hélice de traction de part et d’autres de la cellule. De cette manière, les nacelles fournissaient la traction nécessaire pour accroitre la vitesse de l’appareil, prélevant l’énergie nécessaire directement sur les deux turbines RTM332 qui équipaient l’appareil, et assurant par la même la fonction anti-couple vis-à-vis du pas principal. C’est sur cette base technologique que le programme Racer a été développé. Successeur du X-3, le Racer est un programme européen sur base civile visant non seulement à dépasser la vitesse de croisière de 200 noeuds, mais également de réduire de 50% la consommation de carburant et de 20% le bruit de l’appareil vis-à-vis d’un hélicoptère équivalent, de sorte à répondre à certains besoins comme le sauvetage en Mer par exemple. Ce très prometteur démonstrateur, en cours d’assemblage, devrait faire son premier vol d’ici la fin de l’année.

Si le programme Racer est aujourd’hui développé par 13 pays et 40 entreprises européennes à des fins et sur des budgets civils, il n’en représente pas moins un sujet de grand intérêt pour les forces armées, et pour l’avenir de l’aérocombat, en particulier suite aux mises en évidence de la vulnérabilité des hélicoptères conventionnels en Ukraine. Il faut dire que le concept est des plus prometteur, avec une vitesse bien au delà de 200 noeuds, une consommation moitié moindre que les hélicoptères traditionnels en transit, et surtout, et contrairement aux appareils en cours de conception outre-atlantique, une maintenance simplifiée puisque la technologie mise en oeuvre par les deux nacelles propulsives n’est pas très éloignée de celle employée aujourd’hui pour les rotors anti couples. Cette approche permet dès lors d’envisager la conception d’appareils disposants de hautes performances, alliant les capacités tactiques des hélicoptères de combat, de reconnaissance et de manoeuvre, à celles des avions de combat tactiques légers, ouvrant la voix à une nouvelle évolution de la doctrine d’aérocombat de sorte à l’adapter aux enjeux de la haute intensité moderne.

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Le démonstrateur Eurocoptere X3 a atteint la vitesse de 472 km/h en palier en 2013

En dépit de ses qualités conceptuelles indéniables, et d’une approche potentiellement bien moins risquée téchnologiquement parlant que celles des Valor et autres Défiant américains, le Racer a toutefois également certaines faiblesses. En premier lieu, il s’agit d’un programme européen civil développé initialement dans le cadre du programme Clean Sky, avec toutes les lourdeurs administratives et budgétaires que cela implique. En outre, avec 13 pays participants et 40 entreprises, le Racer est d’une complexité industrielle sans nom, chacune des entreprises et chacun des pays ayant naturellement son mot à dire quant à l’avenir du programme. Enfin, aucun calendrier précis n’accompagne le programme, en particulier dans le domaine militaire pas même abordé à ce jour. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que plusieurs pays européens, comme la Pologne, la Grande-Bretagne et l’Italie, aient entrepris de se rapprocher du programme FVL de l’US Army, alors même qu’ils participent dans le même temps au Racer.

En d’autres termes, là ou la coopération européenne devait initialement représenter un atout majeur pour ce programme, avec la promesse d’un marché adressable étendu, elle constitue en réalité un handicape significatif et surtout inutile, puisque le cout global du programme de démonstrateur est estimé à 200 m€, soit un montant largement abordable pour un pays européen, ou pour un cercle de coopération plus restreint. Dans ce contexte, et à supposer que le démonstrateur Racer affiche des performances en accord avec les attentes, on ne peut qu’espérer que le programme, ou tout au moins sa technologie clé, servira de base à un programme militaire, soit avec une dimension européenne dans le cadre de la coopération permanente structurée ou PESCO, soit dans une dimension purement nationale mais ouverte, dans laquelle la France prendrait l’initiative du developpement d’hélicoptères de nouvelle génération sur un calendrier cohérent avec les besoins opérationnels.

Les Emirats Arabes Unis se tournent vers le missile MICA VL NG pour leurs corvettes Gowind 2500

En novembre 2017, les Emirats Arabes Unis confirmaient la commande de deux corvettes Gowind 2500 auprés du constructeur naval militaire français Naval Group. Si nombres des équipements sélectionnés par Abou Dabi étaient d’origine française, lé défense anti-aérienne était alors confiée au couple américain formé par le système de lancement vertical VLS Mk41 et le missile anti-aérien ESSM Block 2, la nouvelle version de l’héritier du Sea Sparrow. Mais selon le site Naval News, les autorités émiriennes auraient changé de posture, pour se tourner vers le missile français MICA VL NG du missilier MBDA, nouvelle version du missile sol-air MICA VL lui même dérivé du très performant missile air-air MICA qui équipe les Rafale et Mirage 2000 en France et à l’export.

Si, comme l’Egypte avant elle, Abu Dabi s’est tourné vers le missilier français, ce serait avant tout du fait du refus américain d’exporter la version Block 2 de son ESSM aux EAU, une mesure de rétorsion liée au projet depuis avorté d’installer une base navale chinoise dans le pays et qui, entre autres choses, avait également amené les autorités américaines à mettre en attente les négociations portant sur l’acquisition de 50 F-35. Même après l’abandon du projet chinois, Washington n’aurait pas arbitré spécifiquement quant à l’autorisation d’exportation de l’ESSM Block 2 vers Abu Dabi, proposant à la place la première version du missile actuellement en service dans de nombreuses marines. Or, ce dernier utilise un système de guidage semi-actif et non un autodirecteur radar actif comme le Block 2 ou comme le MICA VL, qu’il soit standard ou NG, limitant de fait les capacités du navire à guider simultanément plusieurs missiles contre ses cibles.

ESSM Mk41 Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
le couple ESSM-Mk41 est incontestablement un succès sur la scène internationale, en particulier du fait de sa capacité à ensiloter 4 missiles par silo

L’ESSM Block 1 ou 2 disposait pourtant d’un atout de taille vis-à-vis du missile français, celui de pouvoir être ensilloté par 4 dans un silo Mk41, on parle alors de « quad pack », permettant potentiellement à une corvette comme la Gowind 2500 équipée de 2 VLS Mk41 soit 16 silos, de disposer de 64 missiles anti-aériens, là ou le choix du MICA VL NG limitera le nombre de missiles embarqués à 16. En revanche, du fait de ses capacités de tirs autonomes « tir et oublie » du MICA VL, la corvette pourra lancer presque simultanément plusieurs missiles pour se protéger, ce d’autant que le missile français est réputé plus précis et efficace que l’ESSM Block 1 qui doit, le plus souvent, être lancé par paire pour traiter une unique menace là ou un unique MICA VL suffit. C’est précisément là que la nouvelle version ESSM Block 2 apporte un importante plus-value, puisqu’elle est dotée, comme le MICA VL, d’un autodirecteur radar couplé infra-rouge permettant une utilisation « Tir et oublie » et donc répondre aux attaques de saturation.

L’arbitrage mené par Abu Dabi est interessant à plus d’un titre. D’un point de vue purement militaire, il est évident que le MICA VL, qui plus est dans sa version NG qui entrera en service en 2026, offre des performances avancées, avec une portée de plus de 50 km (proche de l’ESSM Block 1 et 2 donné à 50 km) grâce à un nouveau propulseur à double impulsion, tout en étendant les qualités de la version initiale grâce à un autodirecteur radar/infrarouge amélioré et une excellente manœuvrabilité offrant des performances avancées contre les aéronefs et les missiles. En outre, le missile MICA VL est identique à celui utilisé par les Mirage 2000 et, dans sa version NG, les futurs Rafale émiriens, offrant à ces missiles air-air une seconde vie une fois le potentiel de vol atteint (une stratégie identique à celle employée par le système NASAM américain basé sur le missile air-air AIM-120). Rappelons que comme tous les materiels volants, les missiles air-air ont une durée de vie limitée lorsqu’ils équipent les appareils en vol, et ceux-ci doivent passer par une couteuse maintenace une fois cette limite atteinte. Dans le cas du MICA, celui-ci peut alors être converti en version VL à moindre frais.

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Associé au Sylver, le MICA VL NG offre des capacités de riposte étendue y compris contre les attaques de saturation

En revanche, une fois le choix du MICA VL NG entériné, se pose la question de la pertinence du système Mk41 américain pour les deux corvettes émiriennes. En effet, le principal avantage du Mk41 dans la configuration retenue par Abu Dabi est de pouvoir ensiloter plusieurs missiles ESSM par silo, les navires n’ayant pas été conçu pour embarquer d’autres missiles comme le SM-2 à longue portée. Or, le Mk41 souffre d’un important défaut de conception en matière d’évacuation des gaz de propulsion, ne lui permettant de soutenir une cadence de lancement que d’un missile toutes les 5 à 6 secondes par VLS (8 silos). Le Sylver, son concurrent français français, ne souffre pas d’une telle limitation, et peut soutenir une cadence de tir de 4 missiles par seconde. Associé aux capacités Tir et Oublie et aux performances du MICA VL NG, le couple Sylver/MICA VL offre donc une capacité de résistance aux attaques de saturation bien supérieures à celles du couple Mk41/ESSM Block 1 ou 2, ou au couple Mk41/Mical VL. De ce point de vue, il serait donc logique pour Abou Dabi de se tourner vers le SYLVER en lieu et place du Mk41 pour ces deux Gowind 2500, afin d’exploiter au mieux les capacités de ses MICA VL NG.

Il s’agit également d’un acte politique important pour Abu Dabi vis-à-vis de Washington, ce après que les Emirats Arabes Unis aient annoncé, fin 2021, la commande record de 80 avions de combat Rafale F4 auprès de Dassault Aviation, suivant la suspension des négociations concernant l’éventuelle commande de F-35A américains. Contrairement au Koweit, à Bahreïn et même au Qatar, les EAU ne font parti à ce jour des pays classés « Allias majeurs non-membres de l’OTAN, et ce alors que les Etats-Unis disposent de nombreuses infrastructures militaires sur place, en particulier sur la base aérienne Al Dafhra qui abrite en permanence plus de 5000 miltaires américains. Pour autant, Abu Dabi maintient également des relations avec la Russie et la Chine, en particulier au travers de plusieurs contrats d’équipements de défense comme le système anti-aérien Pantsir S1 russe et les drones Wing loong chinois, au grand damn de Washington, mais également dans le domaine des infrastructures civiles. C’est ainsi la décision émirienne de confier au chinois Huawei le déploiement des infrastructures 5G dans le pays qui amena l’administration Biden à faire trainer les négociations concernant le contrat F-35.

bani yas Corvette EAU Gowind2500 Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
La corvette Bani Yas, première des deux Gowind commandées par les EAU, a été lancée le 4 décembre 2021 à Lorient par Naval Group

Reste que si certaines circonstances ont amené Abu Dabi à privilégier le MICA VL NG au détriment de l’ESSM Block 2 américain, il est plus que probable que si Washington n’avait pas refusé la livraison de ce missile, ce dernier aurait été acquis par les EAU. A l’inverse, si le MICA VL (NG) avait été proposé en version quad pack avec le VLS Sylver, les autorités émiriennes n’auraient probablement pas même considéré le couple MK41/ESSM comme alternative. C’est également cette faiblesse concurrentielle qui explique en partie l’immense succès du Mk41 et de l’ESSM sur la scène internationale, celui-ci ayant été retenu par un grand nombre de marines occidentales et alliées pour équiper leurs corvettes et frégates, en dépit des défauts significatifs du système notamment en matière de cadence de feu. Au delà de l’exportation, l’intégration du MICA VL (NG) en quad pack sur système Sylver pourrait également considérablement renforcer les capacités d’autodéfense des navires français, permettant par exemple à une frégate FREMM de disposer, aux cotés des 16 missiles de croisière MdCN, de 8 missiles Aster 30 pour l’interception à longue portée, et de 32 MICA VL pour son autodéfense faisant office de CIWS. Avec le durcissement des tensions internationales et la diffusion des systèmes anti-navires dans le monde, cette solution constituerait probablement un des quickwin les plus efficaces pour renforcer les capacités opérationnelles des bâtiments de la Marine Nationale.

Les simulations montrent que les essaims de drones seraient une solution pour défendre Taïwan

Si le soutien à l’Ukraine est au coeur des préoccupations stratégiques de l’exécutif américain, c’est la défense de Taïwan qui, depuis plusieurs années, donne des cauchemars aux stratèges et planificateurs des forces armées américaines. En effet, la plupart des simulations et wargames réalisés ces dernières années montre que protéger l’ile indépendante depuis 1949 d’un assaut massif lancé par l’Armée Populaire de Libération d’ici quelques années, sera une entreprise à la fois des plus difficiles et des plus périlleuses pour les forces américaines. Entre les hypothèses de frappes préventives massives contre l’ile et contre les bases militaires américaines présentes sur ce théâtre (Japon, Guam..), les capacités croissantes de déni d’accès des systèmes anti-navires et anti-aériens de l’APL, et l’immense capacité de projection de puissance navale et aérienne mobilisable par Pékin, les scénarios montrent qu’en l’état des capacités militaires et technologiques américaines et taïwanaises, empêcher la chute de l’ile en moins de 15 jours s’avèrera très difficile.

Les armées américaines ne pouvant pas déployer préventivement des capacités défensives sur l’ile de Taïwan sans provoquer une riposte massive et immédiate de Pékin, et les capacités de déploiement et de protection des moyens existants sur les bases américaines alentours étant déjà à saturation, la seule solution qui pourrait permettre au Pentagone de contrer une telle offensive ne pourrait reposer que sur de nouvelles approches et capacités technologiques. Ainsi, l’US Navy parie sur une extension et modernisation de sa flotte de sous-marins nucléaires d’attaque, ainsi que sur le renforcement de l’allonge et de la protection de ses groupes aéronavals, notamment contre les nouvelles menaces anti-navires, tout en accélérant sa mutation vers une flotte mixte composée de navires traditionnels et de navires sans équipage. Pour l’US Marines Corps, il s’agit de s’appuyer sur une nouvelle doctrine et de nouvelles capacités d’engagement coopératif permettant d’accroitre la mobilité, la survivabilité et la létalité de ses unités. Quant à l’US Army, elle s’est engagée dans un nouveau super programme BIG 6 visant à faire radicalement évoluer ses capacités d’engagement dans la décennie à venir.

Drone Swarm Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
L’US Navy aussi étudie le potentiel des essaims de drones déployés à partir de ses unités de surface voire même de ses sous-marins

L’US Air Force, pour sa part, fait face à de très importantes contraintes pour tenter de répondre à ces hypothèses. En effet, ses bases aériennes régionales sont très exposées aux frappes préventives chinoises, tout en étant à des distances vis-à-vis de Taïwan à la limite de la portée de ses chasseurs tactiques, alors que les capacités de déni d’accès de la flotte et des forces aériennes chinoises peuvent potentiellement l’empêcher de s’emparer de la supériorité aérienne sur ce théâtre d’opération, y compris pour ses chasseurs furtifs les plus modernes. Pour répondre à cette impasse tactique, l’US Air Force entend elle aussi s’appuyer sur de nouvelles capacités technologiques. L’un d’elle sera le Programme Next Generation Air Dominance, ou NGAD, sensé mettre à disposition un avion de combat de 6ème génération d’ici la fin de la décennie pour remplacer les F-22 vieillissant. D’autre part, elle entend s’appuyer sur ses nouvelles capacités de frappe à distance de sécurité, notamment sur les futurs missiles hypersoniques aéroportés, pour détruire les capacités offensives chinoises. Mais l’un comme l’autre ne pourront déployer leur plein potentiel qu’en disposant de renseignements permettant et localiser et d’identifier les forces chinoises en temps réelles. Pour cela, les simulations ont montré que la meilleure réponse n’est autre que l’essaim de drones.

Contrairement à une perception répandue, un essaim de drones n’est pas simplement constitué d’un grand nombre de drones évoluant simultanément dans un même espace. Aujourd’hui déjà, plusieurs drones évoluent régulièrement dans un même espace sans représenter pour autant un essaim, du fait qu’ils sont tous controlés de manière individuelle, et qu’ils ne disposent que de faibles capacités de coopération. Un essaim de drones, pour sa part, se compose de drones évoluant de manière entièrement coordonnée et agissant tel un ensemble capacitaire cohérent. Bien évidemment, il n’existe pas de notion d’essaim de drones sans Intelligence artificielle, même si le degré de répartition entre IA individuelle et IA collective reste encore sujet à débat entre les experts. En revanche, un essaim doit permettre à un unique opérateur de commander (plus que de contrôler) l’action de l’ensemble des drones.

NGAD next gen air dominance USAF Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
le programme NGAD doit permettre de répondre aux problématiques d’engagement à longue distance posées par La Défense de Taïwan

Dans l’hypothèse d’un assaut chinois sur Taïwan, l’utilisation d’essaims de drones représente une capacité susceptible de profondément faire évoluer la réalité du rapport de forces, en particulier dans le domaine aérien. Selon les simulations, avec un drone pour 10 km2, il est possible de coordonner l’ensemble des capacités offensives et défensives à disposition de l’US Air Force, sans jamais devoir recourir à des capacités de détection actives des appareils pilotés, permettant de fait de frapper l’adversaire et ses capacités offensives tout en préservant la discrétion et donc la survivabilité des moyens aériens engagés. En outre, grâce au fonctionnement en essaim, la destruction de quelques drones par les systèmes anti-aériens chinois n’altérerait pas le potentiel de riposte américain, au point de potentiellement éroder de manière suffisante le dispositif offensif chinois.

Reste que si cette hypothèse n’est pas dénuée d’intérêts, elle est loin de représenter une alternative ultime pour protéger Taïwan d’une offensive chinoise. D’une part, les drones, quels qu’ils soient, ne sont pas sans faiblesse et vulnérabilité. Car si le Pentagone investit massivement dans les armes à énergie dirigée, systèmes de brouillage et même drones anti-drones pour se préserver de cette menace, il en va de même de l’Armée Populaire de Libération, certes de manière moins visible, mais probablement toute aussi efficace. En outre, la mise en oeuvre de ces drones légers suppose un déploiement à proximité de l’espace de manoeuvre, donc à portée des capacités de frappes préventives chinoises. Même en admettant que ces drones puissent être déployés de manière anticipée sur l’ile de Taïwan, rien ne garantit que le renseignement chinois ne sera pas en capacité de les éliminer avant qu’ils ne soient employés, qui plus est s’ils peuvent jouer un rôle si déterminant dans l’opposition à une éventuelle invasion aéronavale de l’ile. Enfin, et surtout, Pékin n’est pas en reste vis -à-vis des Etats-Unis dans le domaine du développement de drones militaires, tout comme dans celui des solutions d’intelligence artificielle. En d’autres termes, rien ne permet d’anticiper de manière certaine que l’avantage produit par l’utilisation de drones en essaim soit exclusivement aux mains des américains, alors que l’APL disposera de manière certaine d’un atout de taille du fait de la proximité relative du territoire chinois pour mettre en oeuvre ses propres solutions dans ce domaine. A ce titre, il serait très hasardeux de transposer les limitations et défaillances constatées de l’Armée russe en Ukraine à celle de Pékin, tant du point de vue doctrinal qu’opérationnel et technologique.

drone swarm killer Actualités Défense | Aviation de chasse | Aviation de Patrouille Maritime
Les armes à énergie dirigée constituent l’une des réponses pour contrer les essaims de drones

Plus globalement, il apparait risqué de baser une stratégie défensive comme offensive face à un adversaire plein de ressources comme peut l’être la Chine Populaire, sur la base de supposées percées technologiques à venir. Certes, historiquement, l’avantage technologique a souvent joué un rôle important dans les conflits, sans pour autant jamais représenter, à lui seul, un facteur décisif, à l’exception peut-être de l’apparition de l’arme nucléaire en 1945. A ce titre, l’exemple du conflit en Ukraine devrait amener le Pentagone à plus de réserves quant aux effets opérationnels d’avancées technologiques à venir, les armées ukrainiennes étant, à presque tous les points de vue, surclassées téchnologiquement par les forces russes. Et pourtant …