Dans le monde des contrats d’armements, l’Inde à la réputation d’être un client difficile, capable de volte-faces spectaculaires, et très difficile à négocier. Il semblerait que l’Indonésie fasse de gros efforts pour mériter une telle réputation, tant sa politique d’équipements de défense est difficile à lire aujourd’hui. En effet, après avoir annoncer la comme de Su-35, puis de F16V, s’être intéressé au F35, et avoir signifié son intérêt pour une flotte de Rafale, voilà que Jakarta surprend tout le monde en proposant à l’Autriche d’acquérir sa flotte de chasseurs Eurofighter Typhoon. Il faut dire que les changements de cap indonésiens sont souvent stupéfiants. Successivement, Jakarta s’est en effet intéressée à des chasseurs monomoteurs et bimoteurs, des chasseurs de supériorité aérienne et des chasseurs polyvalents, des chasseurs européens, américains et russes, et des flottes allant de 11 à 48 appareils.
Un petit retour en arrière s’impose. En Juin 2019, le ministre indonésien de la Défense, Ryamizard Ryacudu, annonçait avoir signé une commande pour 11 chasseurs russes Su35 destinés à remplacer les F5 Tigers en limite de potentiel, et ce en dépit des menaces américains liées au CAATSA. En octobre 2019, le chef d’état-major de l’armée de l’air indonésienne annonçait, quand à lui, la commande de 2 escadrons de F16V, et semblait alors persuadé que cela ne poserait aucun problème à Washington de faire côtoyer des F16V et des Su35. Mi Janvier 2020, à l’occasion de la visite du nouveau ministre de la Défense indonésien, Prabowo Subianto, à Paris, il fut évoqué la possibilité de commander 48 avions Rafale, ainsi que des sous-marins Scorpene et des corvettes Gowind. 3 mois plus tard, en mars, Jakarta annonçait avoir annulé la commande de Su-35, pour revenir sur ces déclarations quelques jours plus tard, en mettant en balance la possible annulation de la commande russe si Washington consentait à céder des F35 au pays.
Cette situation concernant les avions de combat est en fait, relativement caractéristique des atermoiements perpétuels de Jakarta, en proie à une grande instabilité politique. Ainsi, lors des dernières élections législatives de 2019, pas moins de 9 parties politiques obtinrent des sièges. Le Parti Démocratique Indonésien en Lutte, premier parti en nombre de voix et de sièges lors de ces élections, n’obtint que 19% des voix, et 22% des sièges. En outre, lorsque Jakarta a annoncé une augmentation de 16% de son budget de La Défense 2020, elle pointa notamment les tensions croissantes liées à la montée en puissance chinoise dans la région. Or, Pékin est, de loin, le premier partenaire commercial de Jakarta, représentant 15% de ses importations, et surtout prés de 24% de ses exportations, majoritairement des matières premières et des produits agricoles.
Pour autant, la proposition indonésienne faite à Vienne n’est pas dénuée de sens, ni d’intérêt. Coté autrichien, il s’agirait de se défaire des 15 Typhoon acquis au début des années 2000, dont les performances sont limitées aux missions Air-Air, au sujet desquels l’état autrichien poursuit l’entreprise Airbus en réclamant 1,1 Md€ de dommages et intérêts, accusant l’avionneur européen de sur-facturation et d’opacité volontaire sur les performances et l’évolutivité de l’appareil. Mais si les Typhoon de la Tranche 1, ceux précisément acquis par l’Autriche, ne sont pas aptes à mener des frappes au sol, ils ne représentent pas moins des plate-formes de supériorité aérienne performantes, capables de mettre en oeuvre de nombreux armements et missiles, et disposant d’excellentes performances en matière de vitesse et de plafond.
Pour au pays aussi étendu que l’Indonésie, un tel appareil s’avèrerait en effet adapté pour assurer la sécurité aérienne et la police du ciel, et s’opposer aux éventuels J15 de l’aéronavale chinoise le cas échéant. En outre, le faible nombre d’appareils envisagés, soit 15 aéronefs d’occasion, laisse présager qu’il s’agit de palier temporairement l’annulation des 11 Su-35 russes, tout en libérant du temps, et des crédits, pour envisager la construction d’une force aérienne plus homogène, dans un effort de modernisation à moyen terme à l’occasion du remplacement des F16. Nul doute, par ailleurs, que les industriels européens seront disposés à faire évoluer les appareils autrichiens, non pas vers une tranche 3 probablement trop onéreuse, mais vers un standard intermédiaire spécialisée dans la supériorité aérienne, et disposant notamment du nouveau radar AESA et du missile Meteor. Il faudra cependant attendre les évolutions de cette annonce, ni confirmée ni démentie par aucune des deux protagonistes, pour en évaluer la potentialité.
Coco Channel avait coutume de dire que le succès s’évaluait au nombre de copie. Selon ce précepte, les équipes du français Nexter qui ont conçu le canon automoteur CEASAR peuvent être fières d’elles ! Car après le Japon, l’Inde, la Chine, Israél et les Etats-Unis, c’est au tour de la Russie de présenter un modèle très inspiré du concept français, le Malva. Monté sur un châssis 8×8 BAZ-6010, le Malva, conçu par le Burevestnik Central Research Institut du constructeur Uralvagonzavod, se rapproche beaucoup plus du Caesar lourd que du modèle original, dans le plus pur modèle de l’industrie russe.
Evoqué pour la première fois en octobre 2019 dans le cadre du projet Nabrozok (Esquisse en russe), le canon automoteur 2S43 Malva est doté d’un canon 2A65 de 152mm et de 47 calibres (longueur du tube exprimé vis-à-vis du calibre du canon, soit 47x152mm = 7,15 mètres), équipant notamment le canon automoteur 2S19 Msta, et affichant une portée, somme toute modeste, de 30 km avec des obus à propulsion additionnelle. Il offrirait une cadence de tir de 8 coups par minute grâce à un nouveau système de chargement, et disposerait de dispositifs de pointage et de systèmes d’information modernes. Comme tous les systèmes du programme Nabrozok, le Malva est aérotransportable, bien qu’il semble évident qu’il faille un appareil des plus imposants pour déplacer un tel véhicule.
Le CAESAR de Nexter en version lourde 8×8, configuration notamment retenue par le le Danemark pour équiper ses forces armées
Mais le 2S43 n’est pas le seul canon automoteur sur roues sur lequel les ingénieur russes travaillent activement. En effet, parallèlement, Uralzavodvagon développe un second modèle, plus lourd, le 2S35-1 Koalitsiya-SV-KSH, dérivé du canon 2S35 Koalitsiya qui doit remplacer à terme les canons automoteurs chenillés 2S19 Msta. Le 2S35-1 reprend la même tourelle, et le même canon que le Koalitsiya, montée cette fois sur un camion 8×8 Kamaz-6560. Contrairement au canon 2A65 du Malva, le 2A88 du Koalitsiya à une longueur de 52 calibres, lui conférant une portée de 70 km avec des projectiles à poussée additionnelle. En outre, la tourelle automatique du Koalitsiya est annoncée pour avoir une cadence de tir de 10 coups par minutes, et même 16 coups par minutes en cas de besoin.
Les deux projets pourront probablement cohabiter, car répondant à des besoins différents. Si le Koalitisya-1-SV-KSH est visiblement destiné à étendre la mobilité des 2S35 chenillés pour les unités de ligne, le Malva répond davantage à un besoin de puissance des unités d’assaut, comme les forces d’infanterie de Marine ou les troupes aéroportées. A ce titre, l’utilisation faite des canons Caesar par les artilleurs français, lors des conflits maliens et au Levant, a démontré l’intérêt de cette configuration permettant de mener des raids d’artillerie, et de rapidement se déplacer après un tir, de sorte à éviter un éventuel tir de contre-batterie ou de riposte, et de frapper des cibles dans la profondeur du dispositif de l’adversaire, sans que ce dernier ne s’y attende, avec une grande réactivité.
le Koalitsiya-1-SV-KSH emploi la même tourelle que le 2S35 Koalitsiya
Si la configuration roues-canon joue effectivement un rôle important dans cette tactique, elle n’est efficace que du fait du système de conduite de tir et de la précision du Caesar français, permettant une mise en batterie très rapide et une levée de batterie toute aussi véloce, ainsi qu’un tir très précis, même avec des obus non guidés. Reste à voir, donc, si les nombreux modèles qui apparaissent aujourd’hui au travers le monde, auront les mêmes capacités.
Alors que l’US Navy continue de mener des exercices en Mer de Chine et à proximité, l’Armée Populaire de Libération réplique en menant, dans cette même zone, des exercices de tir navals, ainsi qu’en déployant des appareils de combat sur les bases artificielles construites sur les ilots et récifs des Paracelles. Si, pour l’heure, les deux forces armées s’évitent et parviennent à éviter l’escalade, l’affrontement entre Pékin et Washington continue de s’intensifier dans cette zone, devenu un des points chauds géostratégiques de la planete.
Afin de répondre aux exercices menés en Mer de Chine par les groupes aéronavals du porte-avions nucléaires USS Nimitz et de l’USS Ronald Reagan, les autorités chinoises ont annoncé avoir mené des exercices avec tirs de munition en Mer de Chine, notamment via des avions d’attaque JH-7. Et de menacer d’un déploiement d’avions de combat sur les iles artificielles construites pour « défendre l’intégralité territoriale » de la République Populaire de Chine, notamment dans les iles Paracelles. Il semble toutefois que Pékin ait décidé d’allier les actes aux paroles, puisque des photos satellites ont montré que, ce week end, des avions de combat de la famille Flanker avaient été déployés sur la base de Yongxing, dans les iles Xisha.
Le J-11B dispose d’un long rayon d’action (1500 km), d’une grande capacité d’emport et d’une électronique embarquée moderne, en faisant un appareil équivalent au F15 C Eagle américain.
La réponse chinoise reste, malgré tout, mesurée. En effet, s’il s’était agit de limites frontalières universellement reconnues qui avaient été violées par l’US Navy, nul doute que la réponse aurait été autrement plus significative. Mais Pékin sait parfaitement que ses revendications sur la Mer de Chine n’ont aucune légitimité internationale, si ce n’est celle du plus fort dans la région. En imposant, par exemple, une interdiction de navigation et une interdiction de survol de la zone, Pékin provoquerait sans nul doute l’intervention des pays frontaliers, comme les Philippines, la Malaisie et le Vietnam, avec un risque majeur d’embrasement.
L’USS Nimitz et l’USS Ronald Reagan lors des manoeuvres conjointes en mer de Chine en juillet 2020
Dès lors, et comme à leur habitude, les autorités chinoises ont choisi une attitude pouvant apparaitre comme « raisonnable », notamment sur la scène internationale, dans le but de faire peser sur Washington la responsabilité d’une éventuelle dégradation de la situation, face au statu quo imposé par Pékin depuis l’annexion de fait de la zone. Or, pour la majorité des pays frontaliers de la mer de Chine, et ayant des revendications territoriales disputées dans la zone, Pékin est également une des principaux partenaires commerciaux, notamment via l’accord de libre-échange régional ASEAN. Ainsi, le Vietnam, pourtant le pays plus véhément vis-à-vis de l’annexion de la Mer de Chine par Pékin, qui a réalisé 22,6% de ses échanges commerciaux avec la Chine, de loin son premier partenaire commercial mondial.
Reste que les tensions en Mer de Chine ne sont qu’un des marqueurs de l’évolution de la situation géostratégique en Asie. Pour y répondre, la majorité des pays de la zone ont très sensiblement augmenté leurs investissements en matière de Défense, notamment dans le domaine des forces navales et sous-marines. On constate, ainsi, une augmentation très nette du nombre de sous-marins présents dans le Pacifique occidental, mais également du nombre de navire de surface combattant, ainsi que des navires d’assaut et des porte-aéronefs.
Lancement du destroyer AEGIS japonais Haguro
Ainsi, le Japon a entrepris, depuis 2012, de décapitaliser ses forces en augmentant progressivement son budget de 46 à 50 Md de $, et le pays s’est engagé à disposer d’une force navale forte de 20 destroyers, 25 frégates, 20 sous-marins et 2 porte-aéronefs pour faire face à la montée en puissance de la puissance navale chinoise. D’autres pays, comme la Corée du Sud et l’Australie, suivent la même trajectoire, alors que les Etats-Unis focalisent toujours davantage leur attention, et leur forces,, dans cette zone. A n’en point douter, le Pacifique occidental est appelé à devenir une des principales; si ce n’est la principale zone tension dans le Monde dans les années à venir.
S’exprimant devant le parlement européen mardi 14 juillet, la ministre allemande de La Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a estimé qu’un désengagement progressif des Etats-Unis en Europe était probable, et ce quelque soit le résultat de l’élection présidentielle de cet automne outre atlantique. En effet, selon elle, même si le démocrate Joe Biden venait à l’emporter, comme semble l’indiquer les sondages, il est probable que le désengagement des forces américaines dans La Défense de l’Europe soit inéluctable, même si le ton du démocrate sera certainement différent de celui du président Trump aujourd’hui. La déclaration de la ministre allemande n’a pas manqué de faire réagir, notamment outre atlantique, ou de nombreuses voix ont voulu souligner l’attachement du candidat démocrate envers ses alliés. Toutefois, malgré ces déclarations se voulant rassurantes, il semble évident que les Etats-Unis n’aient d’autres choix que de se désengager d’Europe dans les années à venir. Il ne s’agit pas d’une question de choix ou de positionnement politique, mais d’impératifs géostratégiques.
Aujourd’hui, les Etats-Unis déploient en Europe presque 64.000 hommes, soit prés de 5% des ses effectifs totaux, dont plus de la moitié sont stationnés en Allemagne, qui reste le second pays accueillant le plus de militaires américains, 35.000, derrière le Japon, 55.000, mais devant la Corée du Sud, 26.000. Ils étaient plus de 300.000 à la fin de la Guerre froide, et encore plus de 100.000 en 2001. L’Asie connu, quand à elle, un parcours très différent, passant de 100.000 à la dinde de la Guerre Froide, à 78.000 aujourd’hui, et une remarquable stabilité depuis l’entame des années 2000, et ce, malgré les interventions en Afghanistan et en Irak. Ce qui fut présenté, au début des années 2010, comme un Pivot à l’Est sur des bases économiques, reposait, dans les faits, dans l’entame d’un processus de compétition allant vers la confrontation entre les Etats-Unis et la Chine. Ce phénomène s’est par la suite accéléré alors que les oppositions entre les ambitions américaines et celles du président chinois Xi Jinping se faisaient jour.
En trois décennies seulement, la Chine est parvenue à se hisser au rang de super-puissance économique et militaire, menaçant directement les intérêts et les alliés des Etats-Unis dans le Pacifique
Pour neutraliser la puissance militaire chinoise en pleine transformation, Washington se doit, aujourd’hui, de concentrer ses efforts, mais également ses ressources, et ne peut plus se permettre de les disperser, que ce soit dans des conflits de moyenne à faible intensité comme en Irak ou en Afghanistan, ni dans des zones à faible risque stratégique, comme en Europe. Non pas que le risque de conflit en Europe soit plus faible qu’ailleurs, mais l’extension d’un conflit européen vers les Etats-Unis est très peu probable. En effet, si la Russie peut, potentiellement, prendre l’ascendant militaire sur les pays européens, ou tout au moins une partie d’entre eux, les faibles ressources budgétaires et humaines du pays ne lui permettraient pas de poursuivre l’effort jusqu’en Amérique. En outre, l’Europe dispose de deux pays alliés, la France et le Royaume-Uni, disposant d’une dissuasion suffisamment performante pour contenir une extension du conflit vers l’Europe de l’Ouest, et donc outre-atlantique. En d’autres termes, si Moscou venait à intervenir en Europe, ce ne serait pas au delà des alliés très proches de ces deux pays, comme l’Allemagne, les Pays-bas, la Belgique et l’Italie.
La France met en oeuvre 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, dont un est en permanence à la mer pour assurer la permanence stratégique de la composante sous-marine de la dissuasion française.
Ce n’est évidemment pas le cas en Asie, ou les principales puissances militaires alliées des Etats-Unis, le Japon, la Corée du Sud, et l’Australie, ne disposent pas d’armes de dissuasion. Qui plus est, l’Armée populaire de Libération dispose d’un vivier quasi-illimité de jeunes hommes, bien au delà des ressources mobilisables dans les pays alliés de la Région, Etats-Unis y compris, et d’une ambition très affirmée. En d’autres termes, si l’épicentre géostratégique mondiale était en Europe durant la Guerre froide, il est désormais dans le Pacifique occidentale. Face à ce constat, les Etats-Unis, quelques soient les aspirations politiques du locataire de la Maison Blanche, seront contraint, à moyen terme, de concentrer leurs efforts, et leurs moyens militaires, dans la zone Indo-Pacifique, afin de contenir l’expansionnisme chinois, dont Pékin a donné un avant-gout avec l’annexion de fait de la Mer de Chine. En d’autres termes, le désengagement US d’Europe est, comme l’a laissé entendre Me Annegret Kramp-Karrenbauer, inéluctable.
Mais l’annonce faite par la ministre allemande n’a pas pour seul objet que de provoquer une prise de conscience européenne face aux réalités géostratégiques qui vont s’imposer au continent dans les années à venir. En effet, ce constat avait été fait il y a déjà plusieurs mois, et même années, par la France, qui a même proposé, par la voix de son président Emmanuel Macron, d’entamer des discussions avec les partenaires européens qui le souhaitaient, pour étendre la doctrine de dissuasion française à ces pays. Proposition immédiatement rejetée par Berlin, puis par la majorité des pays européens, qui ne veulent pas envisager de défense européenne en dehors du cadre de l’OTAN, et de la protection américaine. Là se révèle toute la schizophrénie apparente de la position allemande en matière de Défense; à moins qu’il ne s’agisse d’un objectif plus élaboré.
La France est le seul pays européens a disposer d’une composante stratégique aérienne indépendante, avec deux escadrons de Rafale B emportant le missile nucléaire supersonique ASMPA.
Consciente de l’inéluctable désengagement américain en Europe, Berlin pourrait souhaiter se positionner comme l’alternative de référence pour piloter cette défense européenne, évacuant rapidement les problèmes liés à l’efficacité souvent très contestée de ses forces armées. Mais en conservant La Défense européenne dans le cadre de l’OTAN, Berlin conserverait en partie la main sur la composante de dissuasion de l’alliance, employant des bombes nucléaires gravitationnelles B61 sous le système des doubles clés, donc pilotée de Washington. En Europe, Berlin reste le plus important contributeur de cette composante, avec deux escadrons consacrés à cette mission, soit autant que dans l’ensemble des autres pays partageant cette fonction, la Belgique, les Pays-Bas et l’Italie (la Turquie n’étant pas européenne). En outre, de par sa puissance économique et son importante population, l’Allemagne sur-performe ces autres pays, même du point de vu militaire.
Dès lors, la déclaration faite par la ministre allemande n’aurai rien d’une soudaine prise de conscience, mais d’un plan exécuté avec méthode. Ce plan aurait pour objectif de progressivement remplacer les Etats-Unis dans le rôle de référant défense en Europe, tout en neutralisant l’initiative française qui, par calcul, ou par naïveté, se positionne sur le même objectif, mais avec une stratégie beaucoup plus lisible, et prévisible. Ainsi, lorsque me Annegret Kramp-Karrenbauer propose de créer un « compas stratégique » qui servira à orienter, en Europe, les besoins et les menaces, elle s’assurerait de piloter l’outil servant de référence à la construction de l’initiative européenne de défense à venir.
Bien qu’ayant plus d’une centaine d’avions de combat Typhoon en service, la Luftwaffe fait face à d’importants problèmes de disponibilité entravant considérablement son potentiel opérationnel
Mais le plan allemand ne serait pas sans faille. En premier lieu, il est, lui aussi, relativement visible et prévisible, et nul doute que dans les chancelleries européennes, il ne passera pas longtemps inaperçu. Surtout, les armées allemandes n’ont, aujourd’hui, qu’une puissance militaire limitée, très insuffisante pour assoir une dynamique de transition vis-à-vis des pays de l’Est de l’Europe face aux Etats-Unis, les plus sensibles aux questions de défense, et à la menace russe (ou turque pour la Grèce et Chypre). En outre, si la composante dissuasion OTAN permet de préserver les apparences en temps de paix, elle n’a que très peu de potentiel dissuasif en cas de crise. D’une part, les Etats-Unis ne s’exposeront pas inconsidérément à un tir de riposte russe lié à l’utilisation d’une telle arme e Europe, d’autre part, les chances qu’un appareil, même furtif, parvienne aujourd’hui en position de largage d’une telle bombe au dessus d’un objectif de valeur significative, sont pour ainsi dire proches de zéro.
Certes, Berlin aurait la possibilité d’augmenter rapidement son budget de la Défense, ses finances le lui permettent. En revanche, il lui serait très difficile d’augmenter sensiblement le format de ses armées, même progressivement, tout du moins sans profondément déstabiliser le modèle social allemand, très exposé à une courbe démographique plus que tendue, et un vieillissement rapide de la population. Même un retour à la conscription, comme du temps de la guerre froide, aurait des effets très négatifs sur l’économie allemande. Il ne resterait comme option, dès lors, pour Berlin, que d’alimenter les pays européens à la démographie plus dynamique en équipements de Défense à tarifs privilégiés, à l’instar de ce que firent les Etats-Unis en Europe durant la Guerre Froide. Reste à voir si l’hypothèse de sponsoriser des équipements de défense saura convaincre l’opinion publique allemande, ce qui serait loin d’être acquis.
Dans le cadre de l’Union européenne, ou des relations entre états, les européens vont devoir rapidement repenser leur positionnement stratégique et leur moyen de défense face au désengagement inéluctable des Etats-Unis
Quoiqu’il en soit, le constat fait par la ministre allemande, qu’il soit ou non dicté par un plan sous-jacent, n’en demeure pas moins incontestable. Qu’ils agissent à l’échelle des nations, comme le propose la France, ou à l’échelon supranational, comme semble le proposer l’Allemagne, il apparait indispensable de concevoir et de dimensionner la Défense européenne en dehors de toute assistance américaine qui, tout en restant nos alliés, aura probablement besoin de concentrer ses moyens dans le Pacifique et l’océan Indien. Cela suppose, en préambule, de porter un regard objectif sur les menaces, qu’elles soient frontalières et distantes, et de définir, la encore objectivement, un cadre pour y répondre de manière suffisamment efficace pour être parfaitement dissuasive. En d’autres termes, bien davantage qu’un compas stratégique, il serait nécessaire de réaliser une Revue Stratégique Européenne indépendante, identifiant et quantifiants les menaces, suivi d’un Livre Blanc Européen de Défense, définissant et quantifiants, également de manière indépendante, les moyens d’y répondre. A charge ensuite des gouvernants européens de respecter, ou d’ignorer, ces analyses, et d’en répondre face à leurs opinions publiques. Avec plus de 400 millions d’habitants et un PIB global égalant celui des Etats-Unis, l’Europe a les moyens d’assurer sa défense. Encore faut-il le vouloir ….
Il y a quelques jours, le congrès américain autorisait une ligne de crédits budgétaires limitées à 22,9 Md$ pour que l’US Air Force puisse acquérir entre 144 et 200 nouveaux F15-EX pour remplacer ses F15 C/D arrivants en limite de potentiel, avec un prix unitaire en configuration « Fly-Away » établit à 87 m$, et un support global pour 15 ans. Cette commande, plus qu’attendu pour Boeing qui avait, ces dernières années, aligné les défaites face au F35 de Lockheed, a semble-t-il donné des ailes à l’avionneur de Seattle, déjà fortement touché par l’arrêt brutal de la dynamique de croissance dans le domaine de l’aéronautique civile, ainsi que par les conséquences des accidents ayant touché son B737 Max.
Rappelons que le F15-EX représente l’ultime version du célèbre chasseur de McDonnell Douglas qui fit son premier vol en 1972, et qui reste l’avion de combat moderne ayant obtenu le meilleur taux de victoire aérienne avec plus d’une centaine d’avions abattus sans aucune perte en combat aérien. Ayant montré son potentiel comme chasseur de supériorité aérienne, l’appareil connut de nombreuses versions lui offrant une plus grande allonge et des capacités étendues pour la version C/D dans les années 80, la version Strike Eagle spécialisée dans l’assaut dans les années 90, ainsi qu’une version semi-furtive, le Silent Eagle, au début des années 2010. Mais c’est avec sa version EX que l’avionneur américain Boeing, qui a racheté MacDonnell Douglas en 1996, espère redonner à cette légende de l’aviation de combat sa splendeur passée.
Pendant plus de 30 ans, le F15 a été la référence occidentale en matière de supériorité aérienne
Pour convaincre l’US Air Force, Boeing a, en quelque sorte, jouer sur l’inversion de paradigme, en proposant un appareil ne cherchant pas à faire ce que fait le F35A, mais qui sait faire tout le reste ! En effet, le F15-EX ne sacrifie rien à la furtivité. Il conserve l’excellent comportement de la plate-forme F15 pour le combat aérien, et y ajoute une capacité d’emport d’armements sans équivalent, l’avion pouvant mettre en oeuvre jusqu’à 22 missiles AIM120 AMRAAM et AIM-9X Sidewinder. Il dispose par ailleurs d’un immense radar très performant APG-82, d’un système infrarouge IRST Légion et d’une suite électronique de défense EPAWSS comparable au Spectra du Rafale ou au Spartan du Typhoon, ainsi que d’une importe capacité de fusion de données. L’appareil sera propulsé par deux réacteurs aux performances accrues et à la consommation réduite, lui conférant une vitesse maximum de Mach 2,5 et une vitesse ascensionnelle de plus de 15.000 m par minute. Enfin, l’adjonction de réservoirs conformes lui permettra d’accroitre le rayon d’action déjà très important de l’appareil, au delà des 2000 km. En d’autres termes, à budget équivalent, le F15-EX va deux fois plus loin, deux fois plus vite, et emporte deux fois plus d’armements qu’un F35A, tout en ayant deux moteurs et un équipage à 2 pilotes.
Le combat pour réussir à imposer son F15-EX à l’US Air Force, toute acquise jusqu’il y a peu au seul F35A, fut particulièrement âpre. Boeing a su cependant profiter des retards successifs du programme de Lockheed, mais également des révélations concernant les limitations grandissantes qui entourent l’entrée en service de l’avion. Surtout, la montée rapide des tensions entre les Etats-Unis et la Chine, dont l’industrie aéronautique est très dynamique, ont fini par convaincre les plus retissants au Pentagone, qu’il était désormais nécessaire d’étoffer la gamme d’appareils et de performances au sein de l’US Air Force.
Boeing semble vouloir réserver son F18 E/F Super Hornet à la compétition l’opposant au Rafale français pour équiper les porte-avions indiens
Mais Boeing n’entend pas s’arrêter en si bon chemin maintenant que la commande US est quasiment assurée dans la durée. En effet, l’argumentaire développé pour l’US Air Force doit permettre de positionner l’appareil dans d’autres compétitions, notamment dans les pays vers lesquels le F35 ne peut être exporté. C’est ainsi que Boeing India vient d’annoncer que la firme proposait bien le F15-EX à l’Armée de l’Air indienne dans le cadre du programme portant sur l’achat de 114 chasseurs légers ou moyens qui seront fabriqués en Inde, et qu’elle réservait probablement son F18 E/F Super Hornet à la Marine Indienne. Le F15-EX sera opposée, dans cette compétition, à des appareils de sa catégorie, comme le Typhoon, le Rafale et le Su-35, mais également à des chasseurs légers, dont le Gripen suédois, le Mig35 russe, et le F21 de Lockheed, version « exclusive » du F16 renommée pour des questions contractuelles.
Il ne fait guère de doute que le F15-EX sera également proposé à d’autres pays, notamment au Moyen-Orient ou en Asie. Mais Boeing semble également vouloir renforcer son positionnement à domicile, en intégrant son appareil au programme Advanced Battle Management System, un des programmes clés de l’US Air Force pour piloter le champs de bataille aérien dans les années à venir. Par ses dimensions, sa capacité d’emport, et son importante puissance électrique, le F15-EX peut en effet représenter le candidat idéal pour porter ce programme et de fait, devenir la pierre angulaire du futur programme Digital Century Série cher à Will Roper. L’avionneur met en avant, dans les négociations en cours avec l’USAF, la flexibilité de la plate-forme pour tester et mettre en oeuvre les nouveaux équipements sous forme de modules, et répondre à la vision Agile de l’évolution de la puissance aérienne US proposée par le secretaire adjoint en charge des acquisitions de l’US Air Force.
Les appareils européens comme le JAS 39 Gripen E/F offrent un excellent équilibre entre performances aéronautiques et discrétion
La dynamique retrouvée de Boeing et de son F15, même si elle est, sans le moindre doute, en partie liée à des considérations purement politiques et industrielles, montre toutefois que le Pentagone fait évoluer, peu à peu, sa perception doctrinale vis-à-vis de la Furtivité, pourtant présentée pendant plus de 30 années comme l’Alpha et l’Oméga du futur de la puissance aérienne. L’émergence de nouvelles technologies visant à détecter les appareils furtifs, comme les radars passifs, ou des radars à basse fréquence beaucoup plus précis, ainsi que l’influence de plus en plus marquée des contraintes liées à la furtivité sur les performances des appareils, entraine un glissement lent, mais incontestable, des positions doctrinales américaines, et un retour à une certaine forme d’équilibre conceptuelle entre performances aéronautique et discrétion, plutôt qu’au radicalisme de la furtivité qui faisait loi jusqu’ici. Un équilibre que l’on retrouve bien davantage dans les appareils européens comme le Typhoon, le Gripen ou le Rafale, que dans les productions américaines, ou même russes et chinoises. De quoi interroger sur la pertinence des choix faits par le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, la Pologne ou encore l’Italie, qui ont tous préféré le F35A aux appareils européens ….
Il va devenir de plus en plus délicat de jouer l’entente cordiale entre le président Russe Vladimir Poutine et son homologue turc R.T Erdogan, tant les zones de confrontation se multiplient entre les deux pays. Car après la Syrie et les affrontements entre forces syriennes loyalistes soutenues par Moscou et forces paramilitaires islamistes soutenues par Ankara, et les engagements de plus en plus directs des deux pays dans le conflit Libyens, chacun soutenant un camps, c’est désormais au tour de l’affrontement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan de cristalliser les antagonismes forts entre Moscou et Ankara. Depuis quelques jours, les engagements militaires entre forces azéris, activement soutenues par la Turquie, et les forces arméniennes, soutenues par la Russie, ne cessent de s’intensifier, malgré les appels de la communauté internationale pour un retour au statu quo. Chaque belligérant accuse l’autre d’avoir entamé les hostilités, ainsi que de ne pas respecter les cesser le feu. Les échanges d’artillerie entre les deux armées aurait déjà fait plus de 16 morts, dont un général et un colonel azéris.
Alors que lors du conflit Syrien, Ankara tenta de provoquer l’intervention de l’OTAN pour soutenir son action dans le nord du pays, c’est cette fois au tour d’Erevan d’user de la même manoeuvre vis-à-vis de la Russie. En effet, l’Arménie est membre de l’Organisation du Traité de Securité Collective, une alliance militaire créée en 2002 et rassemblant la Russie et les anciennes républiques soviétiques de Biélorussie, du Kazakstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan et de l’Arménie dans une alliance militaire défensive comparable à l’OTAN. De part cette alliance, les forces russes assurent en partie la défense aérienne de l’Arménie, et disposent de 5000 hommes basée en permanence à Gyumri, à quelques encablures de la frontière turque.
Les forces russes déployées sur la 102eme base de Gyumri disposent de 5000 hommes, de nombreux blindés, des hélicoptères de combat ainsi que des systèmes de défense aérienne BUK.
En outre, selon des observations turques, plusieurs vols d’hélicoptères russes auraient été aperçus ces derniers jours à la frontière entre les deux pays, provoquant l’ire des autorités d’Ankara, et notamment du ministre des affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu, qui a par ailleurs déclaré lors d’une interview télévisée que la Turquie interviendrait massivement (textuellement « avec tout ce qu’elle a ») pour soutenir Bakou face « à l’agression arménienne ». Or, si Ankara venait à intervenir militairement, au delà du soutien logistique, aux cotés des forces azéris, Erevan serait en droit de réclamer l’intervention russe, et notamment des forces déjà positionnées dans le pays, avec un risque d’embrasement dans tout le Caucase.
Il semble dès lors que, contrairement à ce qui fut largement pressenti à son début, la carte jouée par Moscou lors de la vente des systèmes S400 à Ankara, avec l’intention évidente de créer des tensions fortes au sein de l’OTAN, commence non seulement à faire long feu, mais devient de plus en plus difficile à assumer. Si l’affrontement direct entre forces armées russes et turques a pu être évité en Syrie, il semble qu’il n’en va pas de même en Libye, ou Moscou aurait déployé, pour soutenir les forces du général Haftar face aux forces de Tripoli et de son allié turc, des unités Wagner paramilitaires ainsi que des avions de combat Mig29 et Su24 hâtivement transférés en Syrie et probablement pilotés et entretenus par des personnels russes. Avec la dégradation rapide de la situation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la confrontation risque d’être encore plus directe, si tant est qu’Ankara déploie effectivement des forces en Azerbaïdjan.
Des photos satellites ont montré le déploiement de 14 chasseurs Mig29 et Su24M sans cocarde sur la base aérienne de Al-Jufra contrôlée par les forces du général Haftar.
Coté turc, la situation est sensiblement différente. En effet, Ankara dispose désormais d’un argument supplémentaire dans ses négociations avec l’OTAN et Washington, afin de garder à distance les européens de ses actions en Syrie, en Libye et en Mer Egée. L’Alliance Atlantique a déjà montré son incapacité à apporter une réponse ferme aux débordements d’Ankara, alors qu’une partie de l’intelligentsia américaine, comprenant le président Donald Trump, se montre étonnement bien disposée à ce sujet.
L’hypothèse avancée à Washington de racheter les systèmes S400 acquis par Ankara contre l’acquisition de systèmes Patriot et le retour dans le programme F35 pourrait, dès lors, s’avérer une excellente opération politique pour le président Erdogan, pour peu qu’il obtienne dans le même temps le musèlement des européens par Washington. Fort heureusement, une part croissante des parlementaires américains semblent de plus en plus hostiles aux agissements du président turc. De fait, avec l’échéance présidentielle américaine se rapprochant, et les antagonismes russo-turcs qui s’accentuent, il est probable que le dénouement de cet étrange épisode entre Moscou et Ankara soit désormais proche.
Le RACER de Airbus Helicopters est un
démonstrateur d’hélicoptère rapide et économique (Rapid And Cost-Effective
Rotorcraft) soutenu par le projet européen Clean Sky. C’est d’ailleurs sur le site
de Clean Sky qu’a été publié le 20 mars dernier un
état des lieux du programme RACER. Il semblerait ainsi que le développement
du premier démonstrateur rencontre deux difficultés techniques importantes,
mais que le calendrier du programme dans son ensemble ne devrait pas en être
bouleversé.
Derniers réglages
avant le début des essais
Les deux éléments concernés par d’importants retards de
conception sont la boîte de transmission principale et les lignes d’arbres
latérales. Concrètement, le retard s’accumule logiquement sur les éléments
vraiment différenciant du RACER, à savoir ses deux pods de propulsion latéraux
fixés au bout de petites voilures latérales. Néanmoins, comme l’explique l’ingénieur
en chef sur le démonstrateur technologique Brice Makinadjian, les difficultés
de conception sur ces deux éléments ne devraient pas retarder l’assemblage du
démonstrateur ni la date prévue de son premier vol à l’automne 2021. En effet,
les dimensions générales et les interfaces extérieures de la boîte de
transmission et des lignes d’arbres sont connues. Ce qui permettra de commencer
à assembler le RACER dans lequel les éléments encore en cours de conception
seront intégrés au dernier moment.
La voilure en tandem rhomboïdale du RACER est plus fine et offre plus de portance et de résistance que la voilure proposée sur le démonstrateur X3. La transmission entre les turbines et les hélices extérieures demande cependant encore un peu de travail.
Le design général des pièces problématiques aurait déjà été
figé, et les tests de fatigue en d’endurance devraient avoir lieu dans les mois
qui viennent. Ainsi, sauf retards supplémentaires causés par les conséquences
de l’épidémie de coronavirus, le premier vol du RACER est toujours attendu pour
le dernier trimestre de 2021.
Le RACER d’Airbus
Helicopters
Sur le plan technique, le RACER d’Airbus offre une réponse originale à un besoin opérationnel identifié depuis quelques décennies : offrir une vitesse de croisière importante à des aéronefs capables d’opérer comme des hélicoptères. A cela s’ajoute la problématique plus actuelle des enjeux environnementaux, le RACER promettant de réduire de 20% la consommation et les émissions polluantes par rapport à un hélicoptère de masse équivalente.
Les hélices tournées vers l’arrière assurent la sécurité des opérateurs et des passagers. L’empreinte au sol de l’appareil n’est pas supérieure à celle d’un hélicoptère classique, et sa maintenance est simplifiée par rapport à d’autres configurations hybrides ou convertibles.
Pour répondre à ces problématiques, Airbus Helicopters a
choisi de développer un hélicoptère relativement classique mais dépourvu de
rotor anti-couple. En lieu et place, il dispose d’un jeu de voilures courtes rhomboïdales
équipées de deux petits rotors propulsifs, également capables de fournir l’anti-couple.
Cela le place donc dans la catégorie des hélicoptères à configuration dite « hybride »
ou « composite ». En vol de croisière, le rotor principal peut ralentir
sa vitesse de rotation, les deux hélices assurant la poussée tandis que les
ailes assurent la portance. Grâce à un système Start & Stop, Airbus
Helicopters propose même de pouvoir éteindre une des deux turbines Safran
Aneto-1X pendant les vols de croisière, afin de réduire la consommation en
carburant de 15%.
Avec cette solution, le RACER conserve une empreinte au sol d’hélicoptère
classique, lui permettant d’opérer depuis des héli-ports standards parfois hors
de portée des appareils convertibles comme le V-22 Osprey américain ou le AW609
italien. Mais le RACER dispose tout de même d’une vitesse de croisière
dépassant 400km/h, contre environ 280km/h pour un hélicoptère conventionnel et 500km/h
pour un convertible. Enfin, par rapport aux hélicoptères hybrides dotés d’une
hélice propulsive centrale, comme le
Raider de Sikorsky, la configuration du RACER emploie un rotor principal
simple, et non pas une solution contrarotative bien plus complexe sur le plan
technique.
Une première démonstration de la configuration aérodynamique du RACER avait été faite par Airbus Helicopters (Eurocopter à l’époque) avec le X3, qui a battu de nombreux records.
Pour développer son RACER, Airbus s’appuie sur l’expérience
obtenue avec son prototype X3. Effectuant son premier vol en 2010, le X3 a démontré
que la configuration rotor simple + voilure + hélices propulsives permettait d’atteindre
une vitesse de 472km/h. Le X3 était cependant un simple démonstrateur dérivé d’un
Dauphin 2 commercial, et affichant une masse de 5 tonnes. Le RACER sera quant à
lui un appareil de la classe des 8 tonnes entièrement nouveau, et représentatif
des futurs appareils de série en matière de performances, de capacités d’emport
et de confort (notamment acoustique). De manière générale, le RACER et les
appareils de série qui en seront dérivés devraient être 20% plus silencieux,
20% moins polluants et 25% moins cher à exploiter que des hélicoptères de masse
équivalente. Enfin, par rapport au X3, les hélices latérales du RACER sont
tournées vers l’arrière, assurant la sécurité des personnes entrant et sortant
des portes latérales de l’aéronef.
Pourquoi le RACER n’intéresse-t-il
pas les forces armées ?
Avec toutes ces qualités, il peut paraître étonnant de voir
que le concept du RACER ne semble pour l’instant pas intéresser les forces
armées européennes, alors même que les concepts d’appareils convertibles et
hybrides semblent plébiscités par
l’ensemble des forces américaines. Si l’Italie pourrait exploiter à petite échelle
le potentiel de son convertible AW609, la France, l’Espagne ou l’Allemagne n’ont
pas exprimé clairement leur envie de compléter leurs forces armées avec un
appareil de la classe du RACER.
Malgré ses airs de V-22 osprey, le AW609 de Leonardo est un appareil de la classe des 7-8 tonnes, similaire au RACER d’Airbus. Le développement de l’appareil a été particulièrement long et complexe, mais les premiers exemplaires de série sont en cours de livraison pour des clients civils. Son succès sur le marché militaire n’est cependant pas encore assuré.
Il serait pourtant faux de dire qu’aucune réflexion ne va en
ce sens. Ainsi, en octobre 2019, en réponse à une
question parlementaire, le Ministère des Armées français expliquait qu’il n’était
en effet aucunement prévu d’acheter des aéronefs convertibles pour la prochaine
décennie, quand bien même ce type d’engins deviendraient la norme aux USA.
Cependant, il était ajouté que les forces armées et la DGA (Direction Générale
de l’Armement) réfléchissent à l’apport du RACER en matière de grande vitesse
et de grande autonomie, a priori pour contourner les systèmes anti-accès (A2/AD)
adverses. Cependant, les Armées françaises sont déjà massivement engagées dans
le programme H160M Guépard, et l’arrivée du NH90 de 10 tonnes est encore
récente dans la plupart des armées européennes.
Le principal problème pour un RACER militaire sera donc
celui du positionnement commercial de l’appareil. D’une masse d’environ 8
tonnes, l’appareil se situe entre le H160M Guépard et le NH90 Caïman, et est
bien loin des 10 ou 11 tonnes des Cougar et Caracal, les prochains hélicoptères
à remplacer dans les armées françaises. Si techniquement on peut imaginer un
hélicoptère de 10 tonnes équipé de la même propulsion que le RACER comme le
fait Nathan
Gain dans Forces Operations Blog, trois problèmes se poseront : celui
de la propulsion, du positionnement commercial et de la cohérence
opérationnelle.
En matière de propulsion, le RACER de la classe
des 7-8 tonnes sera motorisé par deux turbines produites par Safran. Un
appareil équivalent de 10 ou 11 tonnes demandera d’utiliser trois moteurs, ou
bien de développer une nouvelle turbine.
En terme de positionnement, le RACER a été conçu
pour séduire le marché civil avant tout. Si Airbus Helicopters devait
développer un engin de 11t pour remplacer les Super Puma sur le marché offshore
en grande difficulté financière, ce sera sans doute dans une configuration
conventionnelle qui ne s’accordera pas avec les besoins militaires.
Enfin, si les successeurs militaires du Cougar
et du Caracal étaient capables de filer 400km/h, ils seraient alors plus
rapides que les hélicoptères de reconnaissance et de combat sensés les
escorter.
Le X6 de Airbus Helicopters devait être l’équivalent du H160 sur le marché des hélicoptères lourds, et permettre le remplacement des Super Puma et Caracal. Son développement à cependant été stoppé en 2018 suite à la stagnation du marché civil, privant les clients militaires d’une option européenne pour le remplacement de la famille Cougar/Super Puma
Au final, en France tout du moins, un RACER militarisé ne
pourrait émerger que pour remplir des missions particulières. Au sein de l’Armée
de l’Air, il pourrait ainsi venir réaliser une partie des missions CSAR de recherche
et sauvetage au combat, où sa vitesse et son autonomie seraient un atout. L’appareil
pourrait également présenter un intérêt pour l’infiltration et la récupération
de commandos du Commandement des Opérations Spéciales, mais aussi pour le
soutien aérien aux troupes au contact. Le cas échéant, le RACER viendrait alors
sans doute se substituer en petit nombre à une partie des H160M Guépard déjà
commandés, en permettant aux forces spéciales de disposer d’une machine unique
en matière de vitesse de déploiement, de rayon d’action et de souplesse d’emploi.
Si la France est le principal client des hélicoptères
militaires d’Airbus Helicopters, elle n’en est cependant pas le seul. Sur le
papier, un dérivé opérationnel du RACER pourrait remplacer une partie des Bell
AB212/412 et des Puma/Super Puma en service en Europe à l’heure actuelle.
Cependant, ce marché est déjà bien occupé par le NH90 européen, et seul l’équipement
des forces spéciales pourrait ouvrir un potentiel commercial au RACER. Il
faudra cependant faire vite, puisque ce marché sera probablement courtisé dès
la décennie prochaine par le V-280 Valor ou le SB-1 Defiant, selon le modèle
qui sera sélectionné par l’US Army.
Conclusion
Le marché militaire américain est suffisamment vaste pour
permettre aux constructeurs de proposer à la fois des hélicoptères
conventionnels pour le marché civil et des hélicoptères hybrides ou
convertibles pour le marché militaire. En Europe, toutefois, les besoins
militaires sont plus réduits et ils sont de plus fractionnés entre les clients
traditionnels d’Airbus, de Leonardo et des industriels américains Bell, Boeing
et Sikorsky.
En refusant d’évaluer le RACER d’Airbus, l’US Army évite de financer le développement d’un hybride militaire européen capable de concurrencer les productions américaines, comme le V-280 Valor de Bell
Dans un tel contexte, voir émerger un premier hélicoptère hybride européen pour le marché civil serait déjà une victoire en soi. Sans un soutien étatique fort de la part de la France et d’autres Etats européens, les chances de voir un jour une famille d’hélicoptères hybrides militaires européens sont cependant extrêmement réduite. D’autant plus que la fenêtre d’opportunité sera très courte, les appareils convertibles et hybrides américains risquant d’inonder le marché de l’OTAN dès le début des années 2030.
Nous le savons, La Défense russe est habile lorsqu’il s’agit de communication, et qu’elle n’est pas avare de symboles. En la matière, ce 16 juillet 2020 sera à marquer d’une pierre blanche pour la Marine russe, puisque seront menées conjointement les cérémonies de pose de la quille de deux frégates du projet 22350 étendu Admiral Gorshkov, de deux sous-marins nucléaires du projet 885-M Iassen, et de deux porte-hélicoptères d’assaut du projet 23900. En une seule journée, la Marine Russe lance 6 navires majeurs de haute mer, soit autant, voir plus, que n’en disposent bon nombre de Marines occidentales et européennes.
Ces dernières décennies, la Marine Russe avait été le parent pauvre des armées russes en matière de budget, obligée de maintenir en service des unités n’ayant pas été modernisées depuis de nombreuses années, et affichant une vétusté structurelle comme opérationnelle avérée. L’accent fut mis sur le developpement de corvettes, patrouilleurs armées lourds et sous-marins à propulsion conventionnelle, qui présentaient l’intérêt premier de pouvoir rapidement, et à moindre couts, augmenter le nombre de vecteurs équipés de missiles de croisière à capacité nucléaire Kalibr, n’entrant pas dans le cadre du traité INF qui interdisait à la Russie comme aux Etats-Unis de disposer de missiles balistiques ou de croisière lancer d’un vecteur terrestre et ayant une portée entre 500 et 2500 km.
La Marine russe a considérablement renforcer sa flotte de corvettes et patrouilleurs armés durant la décennie précédente, avec notamment les patrouilleurs de la classe Buyan
Avec la fin du traité INF en 2018, la pertinence de cette stratégie s’étiola rapidement, alors que conjointement, les tensions internationales mirent en évidence le besoin renforcement de la flotte de haute mer pour Moscou, ainsi que d’unités navales modernes capables de soutenir la comparaison avec leurs homologues européennes, américaines et asiatiques. Les 6 navires lancés ce 16 juillet marquent le changement profond de paradigme pour Moscou en matière de stratégie et d’ambitions navales. D’autant que conjointement au lancement de nouvelles classes de navires hauturiers comme les frégates Admiral Gorshkov, les sous-marins Yasen et les navire d’assaut 23900, l’Amirauté russe a également entamé la modernisation de certaines de ses unités majeurs, comme les destroyers de lutte anti-sous-marine Udaloy (classe Fregat en Russie).
A l’instar des corvettes Gremyashchyi, Les frégates 22350 Admiral Gorshkov représentent un bon capacitaire sensible pour l’Amirauté russe
Les deux nouvelles frégates 22350 viendront renforcer les 2 navires de cette classe déjà en service, et les 4 frégates à different stade de construction devant être livrés entre 2022 et 2025, et doivent entrer en service à l’horizon 2026. Longues de 135 mètres pour un tonnage en charge de 5400 tonnes, les nouvelles unités reprennent les caractéristiques de le premier navire de la classe, la frégate Admiral Gorshkov, mettant en oeuvre notamment 32 silos pour le système anti-aérien à moyenne portée Poliment Redut basé sur le système S350. A l’instar des unités suivant la seconde frégate de la classe, elles emporteront non pas 16 mais 24 silos UKSK pouvant mettre en oeuvre les missiles de croisière 3M-54 Kalibr, les missiles anti-navires supersoniques P-800 Onyx, et surtout le futur missile anti-navire hypersonique 3M-22 Tzirkon, offrant une puissance de feu redoutable aux navires. Les deux nouvelles frégates constitueront cependant les dernière unités de cette classe, puisque Moscou a annoncé vouloir désormais s’équiper de frégates 22350M plus lourdes (7500 tonnes) et plus puissamment armées, dont la construction devrait être entamée en 2022, et qui devrait être forte de 8 à 10 unités.
Les deux sous-marins Iassen-M du projet 885M seront également, en toute probabilité, les dernières unités de cette classe à être construits. Déjà annoncée en Mai 2020, leur construction devrait prendre 6 années, pour une entrée en service en 2027. Long de 130 m pour un tonnage en plongée de plus de 13.000 tonnes, ces submersibles à propulsion nucléaire sont classés en tant que sous-marin nucléaire lanceur de missiles de croisière, mais sont destinés à assurer aussi bien les missions de sous-marins nucléaires d’attaque comme les sous-marins Victor III qu’ils vont remplacer. Puissamment armé par 8 tubes lance-torpilles de 533mm et 8 systèmes de silos verticaux pouvant mettre en oeuvre 24 missiles anti-navires P800 Onyx ou 32 missiles de croisière Kalibr, ils n’en sont pas moins considérés très discrets. Les Iassen-M pourront également, comme les frégates Admiral Gorshkov, mettre en oeuvre le missile anti-navire hypersonique 3M22 Tzirkon lorsque la version à changement de milieux sera disponible. Ils seront suivis par la nouvelle classe de sous-marins nucléaires polyvalents du projet 545 classe Laïka, également appelée classe Husky.
Les deux navires d’assaut porte-hélicoptères du projet 23900 sont des navires destinés à remplacer les deux navires français de la classe Mistral commandés par Moscou en 2010, dont la livraison à été annulée par la France en 2015 suite à l’annexion de la Crimée par la Russie, pour être par al suite cédés à l’Egypte. Selon les informations transmises, les navires russes seront très inspirés du design français, en reprenant l’essentiel des caractéristiques. Il est vrais que les chantiers navals russes avaient activement participé à la construction des deux unités commandées à la France, et disposaient, dès lors, de plans détaillés du navire.
Toutefois, et contrairement aux annonces répétées lors du refus français de livrer les navires, les chantiers navals russes n’avaient pas, alors, les capacités industrielles pour mener un tel projet. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui avec les chantiers navals Zaliv, basés à Kerch en Crimée, qui fut longtemps spécialisé dans la construction de grandes unités comme les tankers, et qui a récemment achevé un vaste programme de modernisation. Ceci explique le délais entre l’annulation de la livraison par la France en 2015, et l’entame des travaux pour une nouvelle classe de navire en 2020. En revanche, et contrairement à ce qui fut déclaré notamment par des parlementaires français proches du gouvernement russe, le besoin pour ce type de navire est resté critique pour l’Amirauté Russe, de plus en plus sollicité pour des opérations aéronavales et de deplacement de forces, pour lesquels ces navires sont conçus.
Les nouveaux LHD russes auront des dimensions, un tonnage, et probablement un aspect très proche des Mistral français
Budgétés à 100 Md de roubles (1,4 Md$, soit plus chers que les 2 Mistrals français), les navires doivent entrer en service en 2026 et 2027. Ils sont présentés comme pouvant mettre en oeuvre 20 hélicoptères et transporter jusqu’à 900 troupes de marine, ainsi qu’une cinquantaine de véhicules blindés. Contrairement aux navires français, toutefois, les bâtiments russes disposeront d’un armement défensif significatifs, avec un canon de 100 mm, 3 CIWS antimissiles Kasthan et 2 systèmes anti-aériens Pantsir-M à courte et moyenne portée.
Même si les annonces de la pose de la quille de certains de ces navires avaient déjà été faites, il n’en demeure pas moins que ces annoncent marquent un effort concret de la Russie pour moderniser et renforcer sa flotte de haute mer, ainsi que ses capacités de projection aéronavale. Avec l’arrivée de nouveaux armements comme le système anti-aérien Poliment Redut, le missile P-800 onyx et surtout le missile hypersonique 3M22 Tzirkon, la flotte russe pourrait bien, à moyen terme, représenter un adversaire de taille pour la suprématie navale occidentale, et notamment pour les flottes européennes, toujours fortement contraintes par des questions budgétaires tant dans leur format que dans leur avantage technologique.
Depuis sa nomination au poste d’Assistant Secrétaire à l’US Air Force en charge des acquisitions en février 2018, Will Roper a de nombreuses fois surpris son audience par ses propositions audacieuses, et ses approches en parfaite opposition avec la doxa industrielle de Washington. Ce docteur en mathématiques appliqués de l’Université d’Oxford, qui avait créé en 2012 le Strategic Capability Office au Pentagone, a en effet apporté une vision radicalement nouvelle, et une agilité intellectuelle qui en a déconcerté beaucoup. Sa dernière apparition ne fut pas différente des précédentes, lorsqu’il annonça que face à la contraction répétée de l’industrie aéronautique avancée américaine, l’US Air Force pourrait n’avoir d’autres choix que la nationalisation ….
Il faut dire que l’homme de 42 ans avait déjà montré sa propension à bouleverser les paradigmes lorsqu’il présenta, en 2019, son projet dénommé Digital Century Série, qui propose ni plus ni moins que d’abandonner les principes de grandes séries, comme c’est le cas du F35, pour revenir à des programmes plus restreints d’appareils spécialisés à durée de vie plus courte, de l’ordre de 15 à 20 ans, concernant le programme Next-Generation Air Dominance, ou NGAD. L’utilisation de la comparaison avec la Century Série, du nom de la série d’avions conçus dans les années 50 allant du F100 Super Sabre au F106, et qui devait apporter aux Etats-Unis la suprématie aérienne absolue, fut loin d’être un succès. Certains de ses appareils, comme le F104 Starfighter, s’avérèrent même plus que décevants en opération. En revanche, l’idée sous-jacente à la Century Serie reste d’actualité, à savoir concevoir et construire une série d’appareils spécialisés et complémentaires appartenant à la même génération technologique.
Le F105 Thunderchief, ici en version Wild Weasel, était l’avion d’attaque de la Century Série. Il fut massivement employé au Vietnam ou il connut une importante attrition, notamment face aux missiles SA-2 et aux chasseurs Mig vietnamiens
Pour démontrer la pertinence de son approche, Will Roper a mené une analyse mathématique basée non pas sur les seuls couts frontaux, comme l’acquisition, mais sur le cout de possession et d’utilisation des appareils, en comparant d’un coté les surcouts à l’achat liés à des series plus réduites et des appareils diversifiés, de l’autre ceux liés à la conception et l’évolution d’appareils polyvalents produits en grande série. Et de façon contre-intuitive, il a démontré qu’il était sensiblement plus efficace, du point de vue budgétaire, de produire une série d’appareils spécialisés à durée de vie limitée qu’une grande série d’appareils polyvalents à longue durée de vie. En d’autres termes, il a pris à contre-pied l’ensemble des paradigmes qui ont dicté la conception aéronautique occidentale depuis 30 ans, y compris en Europe, et qui continuent d’être scrupuleusement appliqués dans les programmes à venir, comme le SCAF et le Tempest en Europe.
Pour valider son approche, le secrétaire américain a demandé une expertise indépendante de son approche, qui doit rendre son verdict d’ici le milieu du mois d’aout 2020. Car le temps presse pour Will Roper. Non seulement l’échéance électorale de novembre 2020 pourrait bien sonner son éviction politique, mais surtout, l’industrie américaine aéronautique, et surtout celle qui produit les avions de combat, va de plus en plus mal. En effet, la conjonction des effets de la crise Covid19, et surtout celle liée aux grands programmes à très long terme de l’US Air Force, comme le programme F35A, KC46 et B21, ne permettent pas de dynamiser l’industrie, ni de favoriser l’innovation et la compétition. En d’autres termes, chaque industriel s’enferme dans une bulle de savoir-faire avec un marché quasi-hégémonique piloté uniquement par la commande publique. Il reste, aux Etats-Unis, 3 grands groupes industriels ayant la compétence pour concevoir des avions de combat : Lockheed-Martin, Northrop-Grumman et Boeing. Or, les grands programmes ont figé pour des décennies la spécialisation et les savoir-faire de ces groupes, et empêchent désormais toute approche innovante et toute émulation technologique dans le domaine, selon Will Roper.
La production en grande série du F35A permet de réduire les prix d’acquisition, mais le prix de possession de l’appareil reste, lui, très élevé, notamment du fait des très nombreuses mises à jour que l’aéronef subit.
A contrario, la Chine, qui fonctionne avec deux grands groupes industriels, s’appuie sur des programmes en série limité et durée de vie réduite. La force aérienne chinoise se compose en effet d’un chasseur léger, le J-10, d’un chasseur de supériorité aérienne lourd, aujourd’hui le J-11 remplacé par le J-20, d’un chasseur lourd polyvalent, le J-16, et d’un avion d’attaque, le JH-7. Chaque appareil est renouvelé tous les 20 ans, avec 5 années entre les aéronefs. Selon toute probabilité, le prochain appareil chinois, qui remplacera le JH-7, apparaitra entre 2021 et 2022, de nombreux échos y faisant déjà référence. Chaque catégorie d’appareil est remplacé dans une génération, sur une dizaine d’années de production au total, même si pour l’heure la moitié des appareils chinois sont encore d’une génération antérieure à la génération des J10-11-16. Cette approche doit permettre à la Chine de prendre l’ascendant technologique sur les Etats-Unis en 2050, comme voulu par le président Xi Jinping.
Face à la crystallisation en cours de l’industrie aéronautique avancée, Will Roper a avancé l’hypothèse de la nationalisation de ce segment industriel, de sorte à préserver les compétences, et relancer la dynamique industrielle grâce à la Digital Century Série. Soyons réalistes, une telle hypothèse n’a que peu de chances de survenir, mais elle a le mérite de marquer les esprits, surtout aux Etats-Unis. En outre, elle attire l’attention sur l’évolution très problématique de ce secteur industriel et technologique pourtant stratégique pour la puissance militaire américaine (et occidental), qui fait reposer plus de 75% de sa puissance de feu sur la force aérienne.
Le programme SCAF européen reprend à l’identique les paradigmes américains ayant concouru à la conception du F35, notamment en matière de polyvalence et de plate-forme unique.
Il est surprenant que l’initiative de Will Roper au sein de l’US Air Force n’ai pas davantage d’échos en Europe. Si elle venait à être appliquée, elle bouleverserait pourtant de nombreuses certitudes, en particulier concernant la pérennité à long terme du F35A choisi par de nombreuses Armées de l’Air européennes. Elle poserait également un profond dilemme concernant les programmes en cours, comme le SCAF franco-allemand ou le programme Tempest britannique, qui devront faire face à une approche économique et technologique en opposition avec celles retenues par l’US Air Force, et héritées des américains eux mêmes. On peut enfin remarquer que le cycle technologique sur lequel se base Will Roper dans son modèle est identique à celui présenté dans cet article de 2018, qui analysait une approche alternative pan-européenne du SCAF basée non pas sur un unique appareil polyvalent, mais sur 3 appareils et 3 drones spécialisés.
Les relations entre Washington et Pékin n’ont cessé de se détériorer ces dernières années, qu’il s’agisse de l’affrontement commercial et technologique ayant opposé les deux super-puissances en 2018 et 2019, les tensions autours de l’île de Taiwan, ou bien les revendications chinoises en mer de Chine. L’ensemble de ces oppositions larvées semblent désormais se cristalliser en une opposition directe entre les deux pays, et les provocations et mesures de rétorsion se multiplient de part et d’autre du Pacifique.
Deux sujets focalisent l’essentiel des tensions aujourd’hui. En premier lieu, le soutien massif porté par les Etats-Unis à Taiwan, avec la vente et la modernisation, ces derniers mois, d’avions de combat F16, de chars Abrams M1 ou de missiles Patriot PAC-3. Il faut dire que, pour sa part, Pékin a multiplié les manoeuvres aériennes et navales autours de l’île indépendante depuis 1948, dont Xi Jinping, le leader chinois, a juré la réintégration au sein de la république populaire de Chine sous son mandat. Les Etats-Unis, pour leurs parts, ont intensifié et renforcé les démonstrations de forces en Mer de Chine, afin de signifier à Pékin que Washington n’accordait aucune légitimité à l’annexion de cette mer par la Chine au détriment de ses voisins Indonésiens, philippins, vietnamiens, malais et vietnamiens.
La Chine a déployé des bases militaires artificielles sur les ilots des Paracels pour justifier de son assise territoriale
Cette semaine, le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a tenu un discours d’une grande fermeté à ce sujet, signifiant aux autorités chinoises qu’elles ne contrôlaient pas la Mer de Chine, et que les Etats-Unis étaient garants de la souveraineté territoriale de ses alliés, ce une semaine après qu’une manoeuvre de grande ampleur de l’US Navy, réunissant deux de ses porte-avions nucléaires, ait eu lieu dans la zone, au grand damn de Pékin. Selon Mike Pompeo, la Chine n’a présenté aucune base juridique sérieuse pour justifier de ses prétentions territoriales, conformément au jugement rendu par un Tribunal International des nations unis. Et de préciser que les Etats-Unis se tenaient aux cotés de ses alliés pour empêcher la Chine de soustraire à leur souveraineté les territoires, mais également les Zones Economiques Exclusives attachées, notamment concernant les ressources halieutiques et minières, qui aujourd’hui ont été accaparées par Pékin.
Coté chinois, la perception est naturellement toute autre. En effet, la Mer de Chine, comme Taiwan, sont considérés comme appartenant au patrimoine historique du pays, et en tant que tel, ne relevaient pas d’arbitrages internationaux, comme dans le cas de Hong-Kong, mais d’arbitrages purement intérieurs. Dès lors, toute ingérence étrangère est, elle aussi, considérée comme une action visant à soutenir la sédition (Taiwan) ou à empêcher la jouissance de son propre territoire (Mer de Chine). Mais là où, durant les années 2000 et 2010, Pékin jouait surtout sur l’ambiguïté des situations, le président Xi Jinping choisit désormais la voie de la confrontation avec ses voisins, et surtout les Etats-Unis, sans toutefois rechercher l’affrontement militaire. Et pour cause, le Président chinois sait pertinemment qu’aujourd’hui, ses armées ne sont pas encore prêtes à relever le défis d’une confrontation armée avec les Etats-Unis qui, contrairement à la Chine, disposent d’un vaste réseau d’alliances dans la région, qu’il s’agisse du Japon, de la Corée du Sud ou de l’Australie.
Lockheed-martin est un des principaux exportateurs d’armes vers Taiwan, avec la vente récente de 66 F16 Block70 et la modernisation de 150 des F16 taïwanais à ce standard.
Pourtant, Pékin ne reste pas inerte face à la montée en puissance de la réponse US, et utilise ce qui représente aujourd’hui probablement sa meilleure arme, à savoir les terres rares. Ce terme désigne un ensemble de 16 métaux aux propriétés spécifiques qui, comme le nom l’indique, sont relativement rares, et dont la Chine concentre aujourd’hui 80% de la production mondiale. Or, ces éléments sont indispensables à la conception et la fabrication de nombreux équipements modernes, qu’il s’agisse de systèmes d’armes, d’aéronefs, ou de composants électroniques. Afin de ne pas contrevenir aux règles de l’OMC, Pékin a annoncé mettre sous embargo la livraison de terres rares vers Lockheed-Martin, le géant américaine de La Défense, qui produit notamment les Patriot PAC-3 et F16 taïwanais. Or, Lockheed n’ayant aucune activité commerciale en Chine, et ne s’approvisionnant pas directement dans le pays en matière de terres rares, c’est donc, en toute probabilité, toute la chaine d’approvisionnement de terres rares entre la Chine et les Etats-Unis qui sera impactée, sous couvert de viser Lockheed au sujet de Taiwan. Il faut dire que Lockheed-Martin, non comptant de vendre des missiles et avions de combat modernes à Taiwan, vient également de se voir signifier une commande de plus d’une centaine de chasseurs F35A et B par le Japon, ce qui est loin de satisfaire Pékin.
Jusqu’ici, les menaces concernant la mise sous embargo des terres rares par la Chine n’avaient jamais donné lieu à une application formelle. Les Etats-Unis, comme les Européens, avaient toutefois pris au sérieux les précédentes menaces faites par Pékin à ce sujet, et avaient entamé la diversification des sources d’approvisionnement. Car, contrairement à ce que l’on pense, les terres rares ne sont, au final, pas si rares que ça. Il en existe sur tous les continents, et certains pays, comme l’Australie ou le Botswana, en sont particulièrement bien fournis. Mais l’extraction industrielle de ces éléments est à la fois complexe et particulièrement polluante pour l’environnement, raisons pour lesquelles les occidentaux se satisfaisaient bien d’une hégémonie chinoise dans le domaine. Avec l’intensification des tensions, il est probable que ces alternatives vont rapidement devenir des priorités stratégiques pour Washington, comme pour tous les occidentaux qui dépendent de ces éléments pour maintenir l’écart technologique avec la Chine et les autres pays émergents.
Les porte-avions nucléaires USS Nimitz et USS Ronald Reagan en mer de Chine lors de la mission FONOP du 6 juillet 2020
Reste que les tensions entre Washington et Pékin ont passé, cette semaine, un nouveau seuil, et que l’hypothèse d’une opposition directe, si pas armée, devient de plus en plus précise. Toutefois, on peut également lier la présente fermeté américaine à l’élection présidentielle de Novembre aux Etats-Unis, pour laquelle le Président Trump semble marquer le pas dans les sondages face à son opposant démocrate Joe Biden. Or, la politique de fermeté vis-à-vis de la Chine a été un marqueur significatif de l’action du président en exercice sur la scène internationale, là ou d’autres actions s’avérèrent peu fructueuses, comme en Corée du Nord, ou en Iran. On peut donc s’attendre à voir, dans les semaines à venir, des échanges de plus en plus vifs entre les deux super-puissances.